Je vous ai de ma femme appris la trahison ; Quoiqu’il puisse arriver, j’en veux avoir raison. Contre ce beau mémoire elle ne peut rien dire ; Et pour la condamner il suffit de le lire. Parlons sans passion. Êtes-vous bien certain Que ce Mémoire-là soit de sa propre main ? J’y trouve, comme vous, des endroits effroyables... Si j’en suis bien certain ? Trop de « par tous les Diables ». Oui, Monsieur, il est d’elle. Avez-vous bien ouï ? Voilà cinq ou six fois que je vous dis que oui. En cherchant des papiers hier dans son armoire Dans un coin, à l’écart, j’aperçus ce Mémoire. Quoi qu’elle m’observât ses yeux furent déçus: Avec subtilité je mis la main dessus. Je cherchais un prétexte à me défaire d’elle : Et je l’ai bien trouvé, puisqu’elle est infidèle. J’ai reçu votre plainte, et je sais tout cela : Ne poussez point la chose, et tenez-vous en là. Vous donner cet avis c’est vous mal satisfaire ; Mais un sot par arrêt est difficile à faire. Si tous ceux qui le sont intentaient des procès Il faudrait leur créer un Tribunal exprès ; Encore est-il certain, à bien peser les choses, Qu’il ne pourrait suffire à juger tant de causes. Quoi ! Pour donner à rire à tout le genre humain, Comme fit ce Bourgeois du Faubourg Saint-Germain, Voulez-vous, en rendant votre femme si noire, Vous-même troubler l’eau que vous avez à boire ; Et quand vous serez sot, à la face de tous, Être encor trop heureux de la revoir chez vous ? Est-ce peu pour un sot de la douleur de l’être ? Quelle démangeaison de le vouloir paraître ! Hé qui, de bonne soi, croyez-vous le moins sot, D’un sot qui l’est assez pour n’en dire aucun mot, Ou d’un qui se démène, et qui donne à connaître Qu’il fait tout ce qu’il peut pour s’empêcher de l’être ? Je veux, si je le suis, le dire à haute voix ; Et ne pas ressembler à tous ceux que je vois, Qui par un mercenaire et coupable silence Avec leurs substituts semblent d’intelligence. Vous avez, pour ma plainte, en quatre louis d’or ; Je prétends par la suite en user mieux encor : Je sais combien d’argent vous coûte votre office ; Et comment aujourd’hui s’exerce la Justice : On ne la connaît plus que par son attirail ; Et qui l’achète en gros, la revend en détail. N’importe ce qu’il coûte à venger cet outrage. Mais si, par cas fortuit, votre femme était sage ? Après les actions dont vous êtes instruit, Il est vrai que le cas serait assez fortuit. Elle, sage !         Je sais que dans le voisinage On ne s’est jamais plaint qu’elle ne fût point sage : Je demeure d’accord qu’elle a d’autres défauts : Elle s’en fait accroire, et prend des airs trop hauts. On la blâme, surtout, de ce qu’elle s’infecte De certains mots nouveaux que sans cesse elle affecte. Alexandre le Grand, l’exemple des Héros, Est appelé par elle Alexandre le Gros. Hier au soir elle-même, en parlant d’Allemagne ; Dit que le Gros Vizir s’allait mettre en campagne. On ne peut là-dessus lui faire ouvrir les yeux : C’est un mot favori qu’elle fourre en tous lieux : Mais de quelque façon qu’une femme s’exprime, C’est un entêtement, mais ce n’est pas un crime. Aussi, suis-je chagrin, mon cher Monsieur Griffet, Moins de ce qu’elle dit que de ce qu’elle fait. Quoi que dans le quartier chacun se moque d’elle, Le vice du langage est une bagatelle ; Et quant au choix des mots, il m’est indifférent, Quel est le plus en vogue ou le Gros ou le Grand. Le cas dont il s’agit, est un cas plus énorme. Je reviens dans une heure avec un acte en forme. Adieu.         Souvenez-vous d’arrêter prisonnier Un certain gros coquin qui sert de jardinier. J’ai mes raisons.         Suffit. C’est une affaire faite. Dans quel piège ma femme elle-même se jette ! Quelle imprudence aussi d’écrire mot pour mot Tout ce qu’elle dépense à faire un mari sot ! Ce que depuis six mois elle a fait de sottises En termes naturels dans ce journal font mises. La voici. Sa présence augmente mon courroux. Je viens vous avertir qu’il ne tiendra qu’à vous De donner dès ce soir des époux à vos filles. Connaissez-vous leurs biens, leurs emplois, leurs familles ? Leurs familles ? Eh si ! Perdez-vous la raison ? Les voudrais-je souffrir s’ils n’étaient de maison ? Qui vous fait présumer en moi tant de faiblesse ? Famille est bourgeoisie, et Maison est noblesse. Je vous les garantis nobles ; c’est un grand point. Vous les garantissez ?     Nobles.         Je n’en veux point. Je veux d’honnêtes gens. Par exemple un Notaire, Un banquier, un marchand, un bonhomme d’affaire, Gens avides de bien, et sûrs d’en amasser ; Et non pas de ces gens faits pour en dépenser, Qui consumant leurs jours en des chimères vaines, Ont plus de créanciers qu’un an n’a de semaines. Entendez-vous, ma femme ?         Oui, mon mari, j’entends. Que dirait-on de pis chez de petites gens ? À moins d’être du « Peuple » on ne dit point « ma Femme », C’est une « Impolitesse » à faire rendre l’âme. Cela sent le bourgeois du plus méchant « aloi ». Hé que suis-je de plus ? Parlons net.     Vous ?         Oui, moi. Que, Diable, suis-je ?         Noble. Et ce qui plus me touche, C’est moi qui, malgré vous, ai voulu faire souche. Pour peu qu’on ait de « Goût » au rang où je me vois, On abdique aisément ce qu’on a de « Bourgeois ». Imitez-moi.         Ma femme, en un mot comme en mille, Votre sotte noblesse est comme votre style ; Et je ne m’accommode en aucune façon Ni de votre fierté ni de votre jargon. De nobles, comme moi, d’une fabrique neuve, Le nombre croit si fort qu’on dirait qu’il en pleuve : Il n’est point de manant, pourvu qu’il ait de quoi, Qui pour le même prix ne le soit comme moi. Trêve donc, s’il vous plaît, Mademoiselle Josse, Du ridicule orgueil qui vous rend si féroce. Est-il charge ni rang qui puisse me cacher Que mon père est orfèvre, et le vôtre boucher ? Voilà pour faire un jour de célèbres familles ! Je veux à leurs égaux associer vos filles. Faites-les moi venir ; et surtout pour leur bien Quand je leur parlerai ne vous mêlez de rien. « Hé quelqu’un » ! Mes Laquais, montrez-vous, je vous prie. L’un s’appelle Champagne, et l’autre a nom la Brie. Est-il si malaisé de se souvenir d’eux ? Fi ! C’est montrer par-là que l’on n’en a que deux ; Au lieu qu’en m’expliquant de manière incertaine Je parais en avoir une demi-douzaine. Qui voit-on aujourd’hui, distingué du commun Appeler de ses gens, qui ne dise, « hé quelqu’un » ? Un air noble sied bien jusques aux bagatelles. Préparez-vous, Monsieur ; voici des Demoiselles, Qui savent les beaux mots comme leur alphabet. Approchez-vous, Nannette ; et vous aussi, Babet. C’est moi qui vous demande.         Hé, Monsieur ? Je vous prie, Donnez-nous à chacune un nom de Seigneurie : Je ne vois que vous seul de gens de qualité Prendre si peu de soin de sa postérité. Monsieur Coquerico, Marchand de Savonnettes > Devenu gentilhomme aussi bien que vous l’êtes, N’a pas un de ses fils qui n’ait un nom nouveau, Soit le nom de quelque arbre ou de quelque ruisseau : Pour faire ses enfants nobles, en bonne forme, L’un est Monsieur du Rus, l’autre Monsieur de l’Orme; Et comme le plus jeune a le dos tout courbé, Sûr qu’il n’est bon à rien il en fait un abbé. S’il avait comme vous une fille bien faite Lui ferait-il l’affront de l’appeler Nannette ? Vous me citez, vraiment, un plaisant animal ! Est-ce vous offenser, que citer votre égal, Monsieur !         Je vous ai dit, et vous le réitère, Que vous m’appelassiez simplement votre père ; À moins que votre mère en secret, et tout bas, Ne, vous ai fait savoir que je ne le suis pas, Les gens de qualité, dont elle a l’honneur d’être, Ont une extrême peine à ne pas le paraître : Quoi que le nom de père ait de beau, de touchant, Depuis un an ou deux cela « pue » le marchand Un chétif Avocat par un ordre sévère, Défend à ses enfants de l’appeler leur père. C’est une vérité qu’on peut vous garantir J’en sais bien la raison : c’est de peur de mentir. Souvent un avocat donne toutes ses peines Aux affaires d’autrui, pendant qu’on fait les siennes. Mais je vous mande ici pour un autre entretien. Je veux vous marier. Vous ne répondez rien ! Je n’ai de volonté que pour suivre la vôtre. Je me fais un devoir, de n’en avoir point d’autre. Fort bien : j’aime à vous voir dans ces sentiments là. Je dois à vos bontés beaucoup plus que cela. Vos ordres en tout temps me sont doux et faciles. Puisqu’à mes volontés vous êtes si dociles, Vous aurez pour époux, dans huit jours au plus tard, Vous, Monsieur Poussineau, vous, Monsieur Rodillard. L’un est un bon Marchand à grand’porte cochère, Où l’étoffe par aulne est d’un écu plus chère ; Car aux gros magasins comme aux grands cabarets, L’apparence entre en compte au mémoire de frais. L’autre est un homme d’ordre, un banquier d’importance, Qui n’avait pour tout bien que mille écus d’avance ; Et qui par son mérite est devenu puissant À prêter pour six mois à quatorze pour cent. Enfin, gens sans reproche, et d’une bonne race. Je vous baise les mains.         Et moi, je vous rends grâce. Comment ?         Je ne veux pas me marier sitôt. Ni moi non plus.     Non ?     Non.         Je le veux. Il le faut. Votre prétention sur ce point sera vaine. Je ne puis.         Craignez-vous de mourir dans la peine ? Votre mère à votre âge avait franchi ce pas : Elle n’en est pas morte ; et vous n’en mourrez pas. Vous nous offrez des gens d’une agréable « allure ». Il nous faut des partis bien d’une autre « tournure ». Puis-je prendre un époux à moins que de son chef. Il ne soit noble, riche, et d’un « gros relief » ? Pour moi, je n’en veux point, comme vous pouvez croire, S’il me fait « dérouter » du chemin de la gloire. Je voudrais bien savoir si Monsieur Poussineau, Peut jamais, quoi qu’il fasse, être à notre « niveau » ? Et Monsieur Rodillard avec qui l’on m’assemble ; Ne fera-t-il pas beau nous « faufiler » ensemble ? J’en sais qui sous nos lois sont prêts à se ranger, Fais comme une peinture et jolis à manger : Au lieu que les « amants » dont vous faites l’ébauche, Ont un esprit si « louche » ! Un entretien si « gauche » ! Quoique votre noblesse ait déjà près d’un mois, Il vous reste toujours des « vestiges » bourgeois. Je ne vois qu’à vous seul « ces petites manières ». Hé bien ? N’est-il pas beau de voir trois grimacières, Qui sans le fade appas de vingt bizarres mots, Que font des étourdis et que disent des sots, Tant que dure le jour n’auraient rien à se dire ? Encor n’est ce pas là ce que l’on fait de pire. Hé, que fait-on, Monsieur ?     Ce que l’on fait ?         Oui ; quoi ? Ce que personne ici ne doit faire que moi. Mais je vais de ce pas y donner si bon ordre, Qu’il sera malaisé que nous puissions nous mordre. Serviteur.         Moquez-vous des menaces qu’il fait : Messieurs Coquerico sont bien mieux votre fait. Il ne s’est jamais vu d’égalité plus grande : Âge, rang...     Moi, banquière !     Il est fou.         Moi, Marchande. Il radote.         Ah, c’est vous ! Eh, mon frère, bonjour. Bonjour, ma soeur.         De quand êtes-vous de retour, Monsieur l’Avocat ?         D’hier à dix heures, je pense. Je vous veux un « gros » mal d’une si « grosse » absence. Depuis quinze « gros » jours ne m’avoir point écrit ! Vous qui passez partout pour un si « gros » esprit. À peine un « gros » Seigneur, que le rang autorise, Se serait-il permis cette « grosse » sottise. Quoi ! Ma soeur, votre erreur dure jusqu’à présent ! Laissez mourir en paix un mot agonisant. Hors chez quelques Laquais qu’il est en étalage, En aucun lieu du monde il n’est plus en usage. Laissez, encore un coup, mourir ce mot en paix. Me trouver l’esprit « gros », c’est le trouver épais. A moins qu’un « gros » Seigneur n’ait la taille fort grosse, Est-il expression plus bizarre et plus fausse ? Qui, Diable, a jamais dit depuis quinze « gros » jours ? Ceux qui risquent ces mots pour leur faire avoir cours Devraient être punis presque de même voie Que ceux qui font passer de la fausse monnaie ; « Gros » est un mot proscrit, ma soeur.         Avez-vous peur Que l’on ne sache pas que je suis votre soeur ? À qui plus justement voulez-vous qu’appartienne Le titre de Madame ?         Oh ! Qu’à cela ne tienne. C’est un titre abusif que tant de femmes ont, Qu’il ne fait plus d’honneur à celles qui le font. On traite également, tant on rend de justice, Et la femme d’un Duc et celle de son Suisse ; Et l’on distingue à peine en un même quartier, Celle d’un président de celle d’un huissier. Jadis un conseiller défendit à sa femme De souffrir que ses gens l’appelassent Madame ; Et le Clerc de son Clerc, moins scrupuleux que lui, Trouve bon que la sienne ait ce titre aujourd’hui. Cette contagion s’étend avec furie ? Particulièrement parmi la librairie : Auprès des Mathurins j’en connais un trio, Une Madame « in-douze », et deux « in-folio ». Mais les gens de bon goût distinguent les espèces. Hé bien, mariez-vous mes deux charmantes nièces ? Vous ne pouviez choisir un plus heureux moment. Il nous vient ce matin à chacune un amant : Mais bien faits ! Mais d’un « goût » ! Et du rang dont nous sommes. Madame, on vous demande.     Hé qui ?         Deux gentilshommes ; Leur père est parfumeur, et demeure ici près. Il semble que le ciel nous les envoie exprès, Les fils d’un parfumeur Gentilshommes ? Prodige ! Oui, mon frère, ils le sont.     Eux, ma soeur ?         Oui, vous dis-je, De l’éclat de vos yeux éblouis, pénétrés ; Ils ne sortiront pas comme ils seront entrés. Charmez les bien.         Et vous, respectez leur noblesse. Et qu’il ne vous échappe aucun mot qui la blesse. Qu’ils entrent.     Hé « quelqu’un » ! Des fauteuils.         Vos appas Qui font à tout venant mettre pavillon bas, Sûrs de tout conquérir aussitôt qu’ils se montrent, Font autant de captifs que de cours qu’ils rencontrent. Vers une autre beauté j’avais pris mon essor, Mais je change.         Pour moi, mon cour est libre encor : Mais à voir tant d’appas pour peu qu’il persévère, J’appréhende bien fort qu’il ne le soit plus guère. Quel plaisir de ranger sous l’amoureux lien De ces cours « isolés » qui ne tiennent à rien i Que ne puis-je causer votre première alarme ! « Isolés » ! Ah, Messieurs, le joli mot ! Il charme. Qui jamais avant elle, à l’âge où la voilà, Avec tant de justesse a placé ce mot-là? « Isolés » !         Franchement, « Isolés » me prend l’âme. « Isolés » me ravit, me pénètre, m’enflamme. Ce qui m’en plaît le plus, c’est qu’elle s’en sert bien. De ces cours « Isolés » qui ne tiennent à rien ! Quand de l’architecture on saurait la manoeuvre, On aurait de la peine à mieux le mettre en ouvre. Ce mot est d’un « bon sel », et d’un excellent « goût ». Il m’a fait oublier que vous êtes debout. Ces fauteuils sont ici pour nous mettre à notre aise. Hé « quelqu’un » ! Pour mon frère il ne faut qu’une chaise ; Il n’est pas noble.         Non ; dont je rends grâce au ciel. Ouais ! Contre la noblesse il semble avoir du fiel. Point du tout ; je l’honore autant qu’on le peut faire : Il n’est dans un état rien de plus nécessaire : À le rendre tranquille elle applique son soin ; Mais je l’aime un peu vieille, et marquée au bon coin. Fi ! Peut-on avouer qu’on aime la vieillesse ? Rien n’est plus décrépit que la vieille noblesse. Est-il un financier noble depuis un mois, Qui n’ait son dîné sûr chez Madame Guerbois ? Et que de vieux barons pour le leur trouvent blanque Quand le gibier s’envole, ou que leur fusil manque ? Monsieur parle en bourgeois des plus « invétérés ». Les mots les plus « jolis » sont par lui censurés. Contre celui de « gros » il jette feux et flammes, Tant pis : il se fera lapider par les Dames. C’est un des mots nouveaux qu’elles aiment le plus. Est-il rien de mieux dit que de « grosses » vertus ? Je suis de cette phrase inséparable amie. Vous avez contre vous toute l’Académie : Elle, qui dans la langue a le don d’exceller. Moi, je lui soutiens, moi, qu’on ne peut mieux parler. Il est certains endroits où ce mot charme, enchante. Quelle Académie est-ce ? Est-ce celle où l’on chante ? Plaisante Académie, et dont on fait grand cas ! Est-ce celle, où l’on fait de si bons almanachs ? Ces gens, pour bien parler, n’ont pas l’air assez grave. Est-ce l’Académie où l’on peint ? Où l’on grave ? Ces gens-là sont du monde, et parlent juste.         Non. C’est donc l’Académie où l’on ne fait rien.         Bon ! Celle que je vous dis travaille plus que toutes. C’est-là que de la langue on décide les doutes : Là que l’on sert de règle à tous les gens d’esprit, Par ce que l’on prononce et ce que l’on écrit : L’ennemie, en un mot, des sottises nouvelles. Marote Poussineau vient voir ces Demoiselles. Voyez pour quel sujet le sot nous interrompt : Dis qu’elles n’y sont pas.         J’ai dit qu’elles y sont, Je ne serai pas cru, si je dis le contraire. De ces sortes de gens tâchez à vous défaire. C’est vers la « bourgeoisie » un reste de penchant Que de souffrir ici la fille d’un marchand. Elle ne connaît pas, tant elle est animale, Combien entre elle et vous le rang met d’intervalle. Qu’elle entre. Ces Messieurs permettront bien cela. Pardon.         Bonjour Nannette ; à la fin te voilà ! Je suis venue ici deux ou trois fois de suite ; Et toutes ces fois-là j’ai perdu ma visite. Comment te portes-tu ? J’en suis en peine.         Bien. Je te vois du chagrin. Qu’as-tu ?         Qu’aurais-je ? Rien. Parle-moi bonnement, et ne fais point la sotte. Qu’as tu ? Bonjour, Madame.         Ah, ah ! Bonjour, Marote, Bonjour.         On me reçoit ici bien froidement ! D’où vient donc que Babet ne me dit rien ? Vraiment On me chasse ; et l’on veut que je m’en aperçoive. Comment donc voulez-vous, dites, qu’on vous reçoive ? Comment ? Il semble ici qu’on me voie à regret. Apporter pour Marote un petit tabouret. Car je ne pense pas que votre orgueil vous porte À vous « équipoler » aux gens de notre sorte : Il faut selon les rangs de la distinction ; Et l’on nomme cela subordination. Je veux un fauteuil, moi, s’il faut que je le dise ; Non pour avoir l’honneur d’être un peu mieux assise ; Mais sachant où je fuis, pour m’épargner l’affront De l’être un peu plus mal que les autres ne sont. Que le monde aujourd’hui se rend peu de justice ! Et qu’aux petites gens l’audace est un sot vice ! Vous imaginez-vous qu’ici, non plus qu’ailleurs, Vous ayez un fauteuil où seront ces messieurs, Eux qui vont à la gloire avec tant de vitesse ; Et qui, de compte fait, ont un mois de noblesse ? Il faut de la raison et de l’ordre partout. Ces Messieurs, où je suis, devraient être debout. Une belle noblesse et de source bien pure, Que celle qu’on débite à la manufacture ! Vous vous êtes, ma fille, exposée à cela, En vous encanaillant de cette guenon-là. Marote Poussineau ! Ce nom seul est atroce. Marote Poussineau vaut bien Madame Josse. Cet orgueil avec moi ne lui sied-il pas bien ? Elle de qui le père est le boucher du mien ; Et qui plus d’une fois eût fermé sa boutique S’il n’eût eu le bonheur d’avoir notre pratique ? Je m’en vais le changer, sans y perdre un moment. Vous l’avez repoussée, et vigoureusement. Je ne sais rien de mieux pour vous en bien défaire. Remettons-nous. Hé bien, Messieurs, qu’allez-vous faire ? Car rien n’est plus honteux, dans ces temps divisés, Que de voir la noblesse avoir les bras croisés : Il faut, pour son honneur, qu’elle soit occupée. Prenez-vous une charge où de robe ou d’épée. D’épée. On sent bien mieux l’homme de qualité. Partout Mars sur Thémis l’a toujours emporté. Chez tous les gens d’épée aujourd’hui c’est la mode De passer sur le ventre à tous les gens du code. Ce n’est pas au Palais que croissent les lauriers. Que vous ferez tous deux de « jolis » officiers ! Si l’on en croit le bruit que fait la renommée, De « jolis » officiers ornent bien une armée. Quand ils ont à leur tête un « joli » général : Il n’est pour les « grivois » point de plaisir égal : Et ce qui rend la France en tous lieux formidable En « jolis » généraux elle est inépuisable. Ce que nous en avons sont des gens accomplis. Ceux que nous n’avons plus étaient bien plus « jolis ». Quoique pour en juger mon esprit soit trop mince, Feu Monsieur de Turenne, et feu Monsieur le Prince, L’un pour temporiser et lasser l’Allemand ; L’autre pour foudroyer Espagnol et Flamand ; Ont été, selon moi, les deux plus « jolis » hommes Que la France ait produit dans le siècle où nous sommes. Et vous ne voulez pas que les gens soient piqués Contre des mots si sots et si mal appliqués ! Est-il dans l’Univers encore un Capitaine Tel que Monsieur le Prince, et Monsieur de Turenne ? Quels noms ont plus de gloire, et sont mieux établis ? Et des gens d’un tel poids vous paraissent « jolis » ! Qui jamais, dites-moi, fut assez ridicule Pour traiter de « jolis » Hector, Achille, Hercule ? Vous nommez deux héros qui les effacent tous : Il faut quand on en parle en parler à genoux ; Et ceux qu’en pareil cas ces jolis termes tentent Sont du moins aussi fous que ceux qui les inventent. On ne dit point non plus de « jolis » officiers. « Jolis » ne convient point à de vaillants guerriers : Il faut que l’épithète exprime ce qu’on nomme : Dire un « joli garçon » n’est pas dire un brave homme ; Et le mot de « joli » n’a jamais été fait Qu’en faveur d’un enfant, et d’un colifichet. J’entrevois les raisons de Monsieur votre frère : « Joli » ne lui plaît pas, parce qu’il ne l’est guère. Voilà ce qui l’oblige à s’expliquer ainsi. Ha ! Que mal-à-propos ma mère vient ici ! Quel sujet vous amène en ce lieu, toute seule ? Je devrais y venir vous souffleter la gueule. Vous avez par vos soins fait si bien et si beau, Que nous ne servons plus chez Monsieur Poussineau. Sa fille...         Savez-vous qu’elle est assez brutale Pour oser sottement se croire notre égale ? De la désabuser on s’est donné le soin. Franchement, l’insolence allait un peu trop loin. Mêlez-vous, s’il vous plaît, de ce qui vous regarde. Ces messieurs sont d’un rang...         Vous, taisez-vous, Guimbarde. Il vous appartient bien de dire vos raisons, Et de mettre le nez dans ce que nous disons. Qui demande un avis aussi sot que le vôtre ? Eh ! De grâce, ma mère, abstenez-vous...         À l’autre Qui pour être boucher ayant trop peu d’esprit Voulut être Avocat pour nous faire dépit ; Et de qui chaque jour la principale affaire Est d’endosser sa housse, écouter, et se taire. Faites-moi le plaisir de me laisser en paix : On vous y laisse bien tous les jours au Palais. Ciel ! Que les vieilles gens ont un esprit revêche ! Entendez-vous jaser la petite pimbêche ? Voyez : Ne faut-il pas qu’elle s’en mêle aussi ? Les vieilles gens ! La masque, oser parler ainsi ! Je t’apprendrai, friponne, à me morguer en face. Vieille !         Madame Brice, il faut lui faire grâce. Vos attraits par ce mot ne font pas effacés ! Vous êtes encor jeune; on le voit bien.         Assez, Pour voir votre noblesse un jour aller au peautre ; Et vous, redevenir parfumeurs l’un et l’autre. Mon gendre est une bête, et votre père un fou De chercher à monter pour se casser le cou. Suffit d’être enrôlé dans la Gentilhommaille Pour être convaincu de n’avoir pas la maille : Et de tous les états où l’on est malheureux, Le plus insupportable est d’être noble et gueux. Ajoutez à cela quelle sera la fièvre D’un noble parfumeur, d’un gentilhomme orfèvre, Si le Roi les oblige à marcher dans un an, Comme l’autre noblesse, à quelque arrière-ban ? Les braves gens !         Ma mère, il vaut mieux qu’on se taise... Jour de Dieu ! Je prétends quereller à mon aise. C’est à vous à vous taire, imbécile Orateur. Adieu. Madame Brice est de mauvaise humeur. Elle rêve. Eh, Messieurs ! Supposez qu’elle dorme. Restez, Monsieur du Rus.         Restez, Monsieur de l’Orme. Nous prendrons notre temps pour revoir tant d’appas Que la mère éternelle un matin n’y soit pas. Votre façon d’agir, ma mère, est effroyable. Ils sont sortis. .         Tant mieux : Qu’ils s’en aillent au Diable. J’aurai la joie au moins de gronder en repos. Ha, ha ! Je vous rencontre ici tout à propos. Je viens de vous chercher pour une belle affaire. Comment donc ? Qu’est-ce ?         Entrez, Monsieur le Commissaire. Un Commissaire ici ! Pourquoi faire ?         Attendez. Vous saurez assez tôt ce que vous demandez. Je veux auparavant, sans nulle incertitude, Informer vos parents de votre turpitude. Autrefois, par l’hymen l’un à l’autre conjoints, Votre fille m’aimait ; je ne l’aimais pas moins : J’étais jeune : un mari toujours jeune est aimable ; Mais enfin...     Enfin, quoi ?         J’ai vieilli : c’est le Diable ; Et ma femme au plaisir immolant le devoir, À ses petits besoins a pris foin de pourvoir. C’est tout dire.         Imposteur ! L’impudence est extrême. Vite, à l’aide, au secours du pauvre Nicodème : Si vous ne vous hâtez c’est fait du jardinier. Comment ?         Des pousse-culs l’arrêtent prisonnier. Comme il est fort et raide, et qu’il sait battre et mordre, Il leur donne à tretous bien du fil à retordre : Il en viendrait à bout s’il avait de l’appui. Le voici qu’on amène, et sa femme avec lui. Approche gros Coquin.         C’est fort bien dit. Peut-être Que j’en dirais autant si j’étais votre maître. Je ne sais que penser de tout ce que je vois. Plus ce désordre augmente et moins je le conçois. Fripon !         Mordié nenni. Tout chétifs que je sommes J’avons été cinq ans à de vrais gentilshommes: À telle enseigne, ardé, qu’ils n’avions pas un sou, Et qu’ils me tapotiont tout leur diantre de faou ; Il ne s’est jamais vu de noblesse meilleure. Ce n’était pardié pas comme celle d’astheure. Vous le méritez bien, Monsieur Josse.         Tout doux. Je sais ce qui se passe entre-eux, quelque autre et vous. Hé, que se passe-t-il qui ne soit à ma gloire ? Monsieur le Commissaire apportez son mémoire. C’est trop avoir d’égard pour son manque de foi ; Ne la ménagez plus. Parlez.         De par le Roi. Dites-moi, sans mensonge, et sans être interdite, Si vous reconnaissez ce mémoire ?         Elle hésite. Plus elle a de chagrin, plus je suis réjoui. Oui, Monsieur, ce mémoire est de moi.     De vous ?         Oui. Je ne sais ce que c’est que dire une imposture. Il s’agit maintenant d’en faire la lecture. Vous allez, j’en suis sûr, être scandalisez. De quoi ?         Prêtez l’oreille : et vous, Monsieur, lisez. « Mémoire de la Défense que j’ai faite en galanteries ». Voyons par quel endroit ce mémoire débute. « Premièrement », vingt francs pour une « Culbute »... Pour une « Culbute » ! Oh bon Dieu ! Qu’est-ce là? Bon ; ce n’est rien : le reste est bien pis que cela. Poursuivez seulement, Monsieur le Commissaire. Pour une « Culbute » avec un « Mousquetaire ». Avec un « Mousquetaire » ! En effet, c’est bien pis. Malheureuse ! Est-ce là ce qu’on t’avait appris ? Faire un si grand affront à la race des Brices ! Monsieur, de pareils coups laissent des cicatrices... La peste ! Un « Mousquetaire » est assez bien choisi. Plus, pour un « Boute-en-train », et pour un « Tâtez-y », Huit cents francs !         Dites-moi, vous, à qui je me fie, Qu’est-ce qu’en bon français « Tâtez-y » signifie ? Que signifierait-il que ce qu’on entend bien ? Qu’avez-vous à répondre à cela, ma soeur ?         Rien. C’est un extravagant, qui de Paris à Rome Aurait peine à trouver son égal.         Le pauvre homme ! Il est bien malaisé qu’il ait l’esprit serein Quand il sait qu’à sa femme il faut un « Boute-en-train ». « Plus » pour la « Jardinière », et pour des « Engageantes » Dont mes filles et moi nous fumes bien contentes ; Trois cents livres.         Voilà ce qui m’outre le plus. Donner à ses enfants des leçons là-dessus ! À quoi lui servais-tu?     Qui ? Moi, Monsieur?         Oui, Chienne. Je te tordrai le cou, suborneuse.         Adrienne, Dis-moi, Dis-moi, sans barguigner ce que c’est que cela ? Et quelle manigance on débagoule-là. Parle.     Moi, Nicodème ?         Oui, palsandié, dégoise. Est-ce ma faute, à moi, si Madame l’emboise ? Quand on a bon renom cela vaut mieux que tout. Je sommes, comme on dit, plus couché que debout. Tenez, je ne fais rien, comme sait Nicodème, Que ce que je vourois qu’on me fît à moi-même, J’allons tête levée, et je ne craindons rien ; Dieu marci.         Pour cela, je sommes gens de bien : Et j’avons de l’honneur, malgré la médisance, Plus qu’il ne nous en faut pour notre suffisance. J’ignorons ce que c’est que de faire faux-bon : Ce n’est pas comme vous et Madame.         Ah, fripon ! Tu ne t’amuses pas à voler des vétilles. « Plus » pour des « papillons », des « guêpes », des « chenilles », Huit cens écus.         Maraud, qui fais l’homme de bien, Te voilà si confus que tu ne dis plus rien ! Tu ne présumais pas que l’on sut ton négoce. Vendre des « papillons » une somme si grosse ! Je prétends qu’aujourd’hui cet argent soit rendu. Ou qu’il soit dans trois jours bien et dûment pendu. Pour un vol domestique on ne fait pas long gîte. On ne peut d’un voleur se défaire trop vite. Pendez, pendez.         Crois-moi, de peur d’être étranglé, Rends-moi ce que ta femme et toi m’avez volé : Voilà neuf cens écus marqués en deux articles. Volé ! Nous ?         Testedié, boutez mieux vos bésicles. Quand je suis échauffé, je sois pis qu’un Satan. Si je ne vous agrée, il faut dire va-t-en. Avec un peu d’esprit jamais on ne demeure ; Et, sans reproche à Dieu, j’en eus d’assez bonne heure, J’apprenais de Musa le Singulariter, Quand je me dépétri de notre Magister : Il me brisi, mordié, quasiment une côte, Parce que, disi-t-il par ma chienne de faute, Notre âne avec sa bouche un soir avait failli À démettre la gueule à Monsieur le Bailli. Sans cet accident-là qui vint troubler la fête, Moi, la bourrique et lui je n’étions qu’une tête. Je n’avons pas toujours mangé notre pain sec. Jamais aucun fripon n’a manqué par le bec. Ne crois pas m’éblouir par de tels artifices. Ta femme, pour ses bons et louables services, A reçu trois cens francs. Toi pour des « papillons », Et je ne sais combien de pareils guenillons, Huit cents écus.         Eh si ! Si je n’étais honnête, Je vous dirais, Monsieur, que vous êtes bien bête ; Bien nigaud, bien butor, bien badaud de Paris: Mais Nicodème et moi je sommes bien appris ; Et je ne disons rien qui chagrine parsonne. C’est une bride à viau que Madame vous donne Que tous les « papillons » qu’elle vous boute-là : Elle dépense mieux son argent que cela : Fraîche comme un gardon, droite comme une parche, Bon, vrament, c’est bien là les bêtes qu’elle charche ! Les femmes de Paris en savont bien plus long. Vous m’impatientez, ma soeur. Répondez-donc. Tout parle en sa faveur, et tout vous est contraire. Plus, quatre louis d’or pour un « Laisse-tout-faire ». Cela n’est point obscur et chacun l’entend bien : Quand on laisse tout faire on ne réserve rien. Mettez-vous en ma place. Est-ce à tort que je gronde ? Que ne l’ai-je étouffée en la mettant au monde ! Je n’aurais pas l’affront de voir ce que je vois. Je ris de vous voir tous déchaînés contre moi. Vous me charmez.         L’infâme ! Et toi, tu m’assassines. « Plus », pour une « effrontée », et pour deux « gourgandines », Quinze louis.         Comment ? Tu connais ces gens-là ! Des « gourgandines » ! Ciel ! Quelle Peste voilà ! Il n’est pas sur la terre une plus méchante âme. Le dangereux bétail qu’une pareille femme ! « Plus » pour une « innocente », onze louis.         Viens ça. Qui ?     Toi.         Moi ? Je ne sais ce que c’est que tout çà. J’ai toujours vu Madame une bonne vivante. La preuve de son crime est assez convaincante. On lui dira le reste en temps et lieu. Suffit. Qu’avez-vous à répondre à tout ce que j’ai dit ? Que mes filles, Monsieur, ont dur elles les pièces, Que contient ce mémoire espèces par espèces. De me justifier je leur laisse le soin. Défendez mon honneur.         Je crois qu’il est bien loin. Ce qui dans cet écrit vous paraît des injures, Sont des noms que l’on donne aux nouvelles parures. Une robe de chambre étalée amplement, Qui n’a point de ceinture, et va nonchalamment, Par certain air d’enfant qu’elle donne au visage Est nommée « innocente », et c’est du bel usage. Ce manteau de ma soeur si bien épanoui, En est une.     Cela est une « innocente » ?         Oui. Sont-ce là des sujets pour vous mettre en colère ? Voilà la « culbute », et là le « Mousquetaire ». Un beau noeud de brillants dont le sein est saisi, S’appelle un « Boute-en-train », ou bien un « Tâtez-y » Et les habiles gens en étymologie, Trouvent que ces deux mots ont beaucoup d’énergie. Une longue cornette, ainsi qu’on nous en voit, D’une dentelle fine, et d’environ un doigt, Est une « Jardinière » : et ces manches galantes Laissant voir de beaux bras ont le nom d’« engageantes ». Ce qu’on nomme aujourd’hui « guêpes » et « papillons », Ce sont les diamants du bout de nos poinçons ; Qui remuant toujours, et jetant mille flammes, Paraissent voltiger dans les cheveux des Dames. L’homme le plus grossier et l’esprit le plus lourd Sait qu’un « Laisse-tout-faire » est un tablier fort court : J’en porte un par hasard qui sans aucune glose, Exprime de soi-même ingénument la chose. La coiffure en arrière, et que l’on fait exprès Pour laisser de l’oreille entrevoir les attraits, Sentant la jeune folle, et la tête éventée, Est ce que par le monde on appelle « effrontée ». Enfin, la « gourgandine » est un riche Corset, Entrouvert par devant à l’aide d’un lacet : Et comme il rend la taille et moins belle et moins fine, On a cru lui devoir le nom de « gourgandine ». Vous avez pris l’alarme avec trop de chaleur. À ce compte, mon mal n’était donc qu’une peur, Et mon front avait tort de croire son cas sale ? Comment prétendez-vous réparer ce scandale ? Après un tel éclat je n’ai plus d’yeux pour vous, Et je vais tout permettre à mon juste courroux. Qui voulait me punir mérite un sort semblable. Le moins qu’il puisse faire est amende honorable, Tête-nue, en chemise, avec la torche au poing: Madame fera bien de n’en démordre point. Vartidié ! Ce n’est pas une faute légère Que de prendre l’honneur à ceux qui n’en ont guère. Je ne prétends pas, moi, qu’il soit quitte pour rien, D’avoir, ou peu s’en faut, fait une brèche au mien. On ne peut de l’honneur se montrer trop friande ; Et ce qu’il m’en a pris je veux qu’il me le rende. Je vous l’avais bien dit d’aller moins vite.         Et quoi. Vous l’accusez à tort de vous manquer de foi ! Cette brutalité n’est point du tout permise : Et dussai-je y manger jusques à ma chemise, Il ne sera point dit que je souffre cela. Que pouvais-je penser de ce mémoire-là ? « Tâtez-y », « Boute-en-train », « Culbute », « Engageantes »; Tout cela pour le front sont des armes parlantes ; Et je sens que le mien me démange toujours. Voilà de vilains noms pour de si beaux atours. Il a raison.     Lui ?         Lui. N’est-ce pas une honte De voir de la pudeur faire si peu de conte ? Donnez, puisqu’il vous plaît d’avoir ces ornements, De plus honnêtes noms à vos ajustements. Tous ces termes impurs, ces équivoques sales, Sont de droit naturel du Pont-neuf, ou des Halles. Qui de les inventer s’ose mettre en devoir, Sait plus d’obscénités qu’il n’est beau d’en savoir : Rien n’est plus odieux qu’une femme immodeste ; Et qui risque ces mots, risque aisément le reste. Les cours bien situés font posés, retenus..... Franchement, ces mots-là sont un peu saugrenus. J’ai sué de frayeur de son « Laisse-tout-faire », Et de la « Culbute » avec un « Mousquetaire », En un mot, ce jargon n’est point édifiant. Monsieur le Commissaire, en vous remerciant : Vous et vos Grippechairs vous pouvez disparaître, Puisque je ne suis pas ce que je croyais être. Comment ? N’est-ce pas vous qui m’avez employé ?... Si j’eusse été cocu je vous aurais payé. De tout ce que j’ai fait vous êtes le complice. Moi ?         Vous. Si l’on faisait une exacte Police On ne souffrirait point tous ces vilains mots-là, Non plus que la Bassette et le Jeu du Hocca ; Et l’on condamnerait à mille écus d’amende L’impudent lapidaire, et l’impure marchande, À qui l’on entend dire avec un front d’airain Un « Tâtez-y », Monsieur ; Madame, un « Boute-en-train »; « Gourgandine » à bon prix ; « Culbute » nouvelle. Quel abus!         Mon devoir en d’autres lieux m’appelle : Payez-moi, je vous prie, ou bientôt un exploit... Satisfaites Monsieur, et qu’il s’en aille.         Soit. J’en suis quitte à bon compte, et la peine est petite. Oh palsandié nonfait, vous n’en êtes pas quitte. Si l’honneur de Madame a fait queuque faux pas, J’avons notre cas net, si le sien ne l’est pas. La femme de cheuz-nous n’est point une « Engageante ». Au lieu de vingt écus je t’en donnerai trente. C’est payer son honneur et le tien grassement. Est-ce assez ?         Eh oui-da, c’est bien honnêtement. Les femmes d’aujourd’hui faisont bien voir aux hommes Que l’honneur n’est pas cher dans le temps où je sommes. Dix écus pour le mien c’est un prix assez haut. Je crois, comme tu dis, que c’est tout ce qu’il vaut. Boutez-là votre main : je vous pardonne. Eh qu’est-ce ? Pour des mots de travers faut-il bouder sans cesse ? Je me charge du soin de les rapatrier. Et l’affront qu’il m’a fait se peut-il oublier ? Si me croire timbré c’est vous faire une offense, En faisant le péché, j’en ai fait pénitence : J’ai souffert comme un Diable. Eh, bon Dieu! Comment font Tant de gens que je vois qui savent qu’ils le sont, Et qui de ce malheur n’étant tristes ni mornes, Vivent dans un plein calme à l’abri de leurs cornes ? La patience est belle en de semblables cas : Mais c’est un don du ciel, qu’il ne m’accorde pas. Nommez, si vous voulez, mon imprudence extrême, J’aime mieux avoir tort que vous l’ayez vous-même ; Et le risque est moins grand, pour tout dire en un mot, D’être imprudent cent fois, que d’être une fois sot. L’êtes-vous ?         S’il est vrai ce qu’on me fait connaître Non, je ne le suis pas, mais je croyais bien l’être : Et sur une apparence égale à celle-ci, Bien d’autres en ma place auraient cru l’être aussi. Puisqu’il faut se soumettre à ce que veut la mode, Et que la plus suivie est d’être époux commode ; Oublions toute chose. Y consentez-vous?         Non. Je ne veux plus vous voir.         Moi, je le veux, Guenon, Ce serait un ménage assez beau que le vôtre, Le mâle d’un côté, la femelle de l’autre ! Il faut qu’à son époux, de peur d’avoir du bruit. Une femme obéisse en tout temps, jour et nuit. Ce n’est point à la poule à tant lever la crête. À tout ce qu’il lui plaît le mien me trouve prête. Demandez-lui plutôt si je mens.         Pardié non Parmi bien du méchant elle a cela de bon, Que lorsqu’il faut m’aider à de certains ouvrages Elle court, tête-dié, comme des arrérages, Veux-je boire deux coups, elle en veut boire trois ; Aussi, vivons-je heureux comme de petits Rois. La paix est d’un logis la pièce la plus bonne. Profitez des leçons qu’un jardinier vous donne. À vivre bien ensemble appliquez votre soin. Votre sotte querelle est allée assez loin. Surtout, qu’il ne vous sorte aucun mot de la bouche Dont l’oreille s’indigne, et l’honneur s’effarouche. Portez des diamants, des dentelles, de l’or, Et, si faire se peut, plus de richesse encor ; Mais évitez les mots dont les moeurs sont blessées, Et qui mènent l’esprit à de sales pensées. Chez tous les gens d’honneur ces mots sont interdits. Je voudrais bien savoir quels vilains mots je dis. Lisez votre mémoire ; on ne voit rien de pire, Lisez.         Hé bien, mon frère, il ne faut plus les dire ; J’ai cru de nos bijoux pouvoir mettre les noms, Sans attirer sur moi de si cruels affronts. S’ils rendent ma conduite ou douteuse, ou suspecte, J’y renonce à jamais, loin que je les affecte. Je n’ai pas eu dessein de le mettre en courroux. Si vous y renoncez, j’en fais autant que vous. Pour les dire jamais, j’ai trop peur qu’on me gronde. Fort bien. Nous voilà tous les plus contents du monde. Je ne suis pas ingrat à qui me fait plaisir : Choisissez des époux selon votre désir. Allons nous ébaudir, et dîner tous ensemble. Et vous, allez souper, Messieurs, si bon vous semble. Comme en chemin faisant vous trouvez quelquefois D’impertinents parleurs et de nobles bourgeois, Envoyez-les ici voir comme on accommode La Noblesse en détrempe, et les Mots à la Mode.