Enfin voici le jour favorable à ma gloire, Qui finissant la trêve avance ma victoire. Puisque Porus d’accord avecque mes souhaits Semble ne plus songer à demander la paix. Perdiccas, toi qui fis sa première défaite, Songe à ne point laisser ta victoire imparfaite ; Tu m’as déjà livré ce qu’il a de plus cher ; Il adore sa femme et ne peut l’approcher : Depuis qu’elle est aux fers, sa valeur endormie Semble suivre en prison cette illustre ennemie ; Et son coeur amoureux pressé de sa douleur N’exhale qu’en soupirs sa première chaleur, Va, fais que sans tarder nos troupes triomphantes Poussent jusques au bout ses cohortes tremblantes : Nos destins sont trop beaux pour s’achever ainsi, Et nos premiers combats ont trop bien réussi. Ne vous étonnez point en l’état où vous êtes Si j’ose m’opposer aux cours de vos conquêtes : Voyant que le bonheur marche à votre côté, Tant d’obstacles vaincus, l’Hydaspe surmonté, Porus presque défait, ses troupes étonnées, Sa femme dans les fers, ses filles enchaînées, Quelque ardeur, dont pour vous je me sente piquer, Mon courage frémit, quand je vais l’attaquer ; Et malgré les efforts d’une ardeur si pressante, La pitié rend pour lui mon âme languissante. Que la même pitié vous parle en sa faveur ; Rendez-vous favorable à son Ambassadeur ; Déjà quelques courriers annoncent sa venue. Cette pitié pour lui ne m’est pas inconnue : De mon dernier triomphe elle a rompu le cours ; Et me coûte déjà la perte de deux jours : Il est temps qu’en ces lieux j’achève ma conquête ; Et que j’y fasse choir la dernière tempête. Je ne puis qu’avec honte, ayant trop attendu, Répondre à ma valeur du temps que j’ai perdu. Puisque c’est aujourd’hui que doit finir la trêve, Que Porus en profite avant qu’elle s’achève ; Je vais donner bon ordre à ce dernier combat. Et toi mets pour demain les troupes en état. Que je combatte encor le père de Clairance ! Ah ! Mon amour s’oppose à cette obéissance ; Et malgré ses rigueurs, et malgré mon devoir Elle prend sur mon coeur un absolu pouvoir, Fidèle confident de ma secrète flamme Que d’ennemis cruels tyrannisent mon âme ! Alexandre et Clairance y règnent à leur tour ; Et quand je n’y voudrais recevoir que l’amour, Un jaloux désespoir avec elle y préside. Clairance (me dit-il) n’est que pour Arsacide. Je vous plains. Mais, Seigneur, comment l’avez-vous su ? Alors que sur l’avis que j’en avais reçu ; Avec cinq cent chevaux dans la forêt prochaine, Je surpris les soldats qui conduisaient la Reine ; Attale en combattant du cheval renversé, Allait être des miens de mille coups percé ; Je lui sauvé le jour, et pour ce bon office Il m’a depuis rendu ce signalé service ; Sachant quel rang Porus lui donne dans sa Cour ; Je crus que je devais lui fier mon amour ; Il m’écrit que Clairance est ailleurs engagée. Mais pour rendre le calme à mon âme affligée, Il flatte mon espoir, et contre mon rival Me promet un secours qui lui sera fatal ; Je m’en tais par son ordre, et je cache à Clairance De mes jaloux soupçons la juste défiance. Mais adieu ; cet objet se présente à mes yeux. Faut-il que mon abord vous chasse de ces lieux ? Quoi ? Serez-vous toujours à ce point insensible ? Dieux quel est mon destin ! Hélas est-il possible ! Que ce coeur qui pour vous souffre mille trépas, Trouve tant de rigueurs où règnent tant d’appas ? Perdiccas c’en est trop ; ce procédé m’offense : Si vous aviez pour moi la moindre complaisance ; Après ce que j’ai dit pour en rompre le cours, Vous ne me devriez plus adresser ce discours. Loin de vous souvenir que Porus est mon père ; Que vous mîtes aux fers et ma soeur et ma mère. Madame.         Laissez-moi, considérez mes fers ; N’êtes-vous pas l’auteur des maux que j’ai soufferts ? Et cependant.         Hélas ! Considérez Clairance Si c’est ou mon malheur, ou moi qui vous offense ; L’aveugle déité qui préside aux combats M’a fait vous offenser, ne vous connaissant pas ; J’attaque en ennemi l’ennemi d’Alexandre ; Après un long combat je le force à se rendre ; Un succès que mon coeur abhorre avec raison, Fait tomber en mes mains toute votre maison : Vous êtes prisonnière ; et bien voilà mon crime ; Votre haine, Madame, est-elle légitime ? L’amour punit-il pas assez cruellement Ce malheur arrivé sans mon consentement ? À peine le Dieu Mars amoureux de ma gloire ; Semblant vous attacher au char de ma victoire, Que votre oeil adorable amusant ma raison Dans mon char triomphant me menait en prison ; Ne vous connaissant pas je vous ai desservie, Vous pour qui maintenant je donnerais ma vie. Vous pour qui.         Brisons là ; je n’en ai que trop su. Ah ! Vous ne savez pas tout ce que j’ai conçu. Je veux vous satisfaire au dépens de ma vie ; Votre injuste rigueur dans mon sang assouvie Perdra le souvenir de ce funeste jour, Qui me vit offenser l’objet de mon amour. Oui, ce bras pour Clairance à moi-même funeste Va tirer de ce flanc tout le sang qui lui reste, Et puisque ma douleur ne la satisfait pas, Je ne balance point à courir au trépas : Trop heureux, si ma mort, inhumaine Clairance, Signalant mon amour plaît à votre vengeance ; Trop heureux, si je puis en me privant du jour, Servir à votre haine, autant qu’à mon amour. Mais pourrai-je percer ce coeur qui vous adore ? Mais vous me l’ordonnez, et je conteste encore ! Ah ! J’y cours, j’obéis, et le trépas m’est doux, Puisqu’il le faut souffrir et par vous et pour vous. C’est le seul avantage où mon amour aspire ; Je verse avec plaisir le sang qui vous sût nuire ; Et voyant par mes voeux votre esprit offensé Je rougis du regret d’avoir tant balancé. Ah ! Plutôt rougissez d’en avoir la pensée ; Par votre désespoir vous m’avez offensée ; Et soupçonner en moi tant d’inhumanité, C’est plus que de m’avoir ôté la liberté. Prince connaissez mieux les bontés de Clairance. Et c’est de ces bontés, dont je dois la vengeance. Mais vous m’offrez en vain un secours étranger, Quand celui de mon père est prêt à me venger ; Dedans votre défaite il cherche sa victoire ; Ne vous dérobez point à l’éclat de sa gloire ; Vous cherchez un trépas, que j’empêche aujourd’hui ; Pour le rendre plus noble, et pour nous et pour lui. Porus vous va réduire au point de vous défendre ; Il vous cherche plutôt, qu’il ne cherche Alexandre ; Ne vous dérobez point à sa juste douleur. Et bien je vais m’offrir, Madame, à sa valeur ; Ce coeur infortuné lui doit cette victime. Mais hélas pourrait-il vous immoler sans crime ! Le coup qu’il porterait serait trop inhumain, Et je ferais des voeux, pour désarmer sa main. Vous avez adouci la prison de Clairance ; Elle vous doit au moins cette reconnaissance, Et les soins obligeants qu’elle a reçus de vous Étouffent la moitié de son juste courroux. Mais.     Et bien prononcez.         Dieux que je suis sensible ! Je devais le haïr, mais il m’est impossible. Ne me faites point grâce ou justice à demi. Je commence à le voir sans voir mon ennemi. Calmez ce désespoir, vivez.         Hélas ! Princesse Que la faible pitié qui pour moi s’intéresse, En détournant ma mort me sait mal secourir ; Vous devez me laisser espérer, ou mourir. L’un des deux doit finir mes mortelles alarmes : Parlez.         Que je sais mal résister à vos larmes ! Mais aussi dans l’état où nous réduit le sort, Que j’ai peu de pouvoir d’empêcher votre mort ! Ce que vous demandez n’est pas en ma puissance, Pourrai-je à vos désirs donner quelque espérance ? Je suis fille d’un Roi, contre qui le malheur Encore tous les jours arme votre valeur. Jetez les yeux sur lui, regardez Alexandre ; Et me dites après, que pouvez-vous prétendre ? Vivez, Prince vivez, mais sans songez à moi ; Abandonnez Clairance ; et servez votre Roi. Je l’ai quitté pour vous, dans ce désordre extrême Je puis bien le quitter en me quittant moi-même ; Je ne suis plus à lui ; je ne suis plus à moi ; Et vous seule avez droit de me donner la loi. Mon amour m’a rendu malgré ma résistance, De sujet d’Alexandre esclave de Clairance, Esclave téméraire infidèle sujet ; Pouvais-je résister à ce divin objet ? Non ; puisqu’il fallait être insensible ou rebelle ! Fallait-il pas quitter Alexandre pour elle ? Comme si sa rigueur s’oppose à mon amour, Si Clairance me hait ; il faut quitter le jour. Ah ! Je ne vous hais point.         Mais votre indifférence M’ordonne de mourir en m’ôtant l’espérance. Ou souffrez que j’espère, ou ne prétendez pas Que je puisse un moment différer mon trépas. Espérez.         Ô bonté qu’il faut que je révère ! Mais puis-je ainsi traiter l’ennemi de mon père ? Vous voulez donc ma mort.         Ah que vous me pressez ! Hélas je connais bien à vos soupirs forcés, Que vous m’allez défendre un espoir légitime. Je ne vous défends rien, prince je vous estime. Espérez j’y consens ; mais cachez bien vos feux. Peut-être que les Dieux répondront à vos voeux. De quel plus doux espoir peut-on flatter mon âme ? Prince la Reine vient, cachez lui votre flamme. Ô ! Dieux que cet abord me coûte de plaisirs ! Quelque juste douleur qui forme nos soupirs, Nous cessons de trouver notre sort déplorable ; Depuis qu’à nos ennuis vous êtes favorable. Pour l’être avec succès que ne m’est-il permis De vous offrir ce bras contre vos ennemis ? Et de la même main qui fit naître vos peines Leur rendre vos malheurs et détacher vos chaînes ? Que ne puis-je guérir tout le mal que j’ai fait ? Hé bien injuste sort n’es-tu pas satisfait ? Je voudrais ; et ne puis lui rendre sa victoire, Il ne m’a fait jouir que d’une fausse gloire Que mon coeur indigné ne peut que détester, Puisqu’au prix de vos fers il fallait l’acheter. Ah ! Combien le regret m’en est insupportable ! Mais las que ce regret vous est peu profitable ! À vos maux effectifs, à vos ennuis pressants Il n’offre que des voeux, et des voeux impuissants. Bientôt votre secours nous sera plus utile ; À notre Ambassadeur vous rendrez tout facile ; Et quoi qu’il puisse offrir pour notre liberté, J’espère moins de lui, que de votre bonté. De mon peu de crédit il ne faut rien attendre ; Mais j’ose vous jurer connaissant Alexandre, Qu’il n’est pas en état de vous rien refuser. Et de tout mon pouvoir je vais l’y disposer. Que les Grecs ont sur nous des avantages rares ! Et que c’est à bon droit qu’ils nous nomment barbares ! Ce Prince vaut beaucoup.         Enfin le Ciel nous rit : Mais votre étonnement me trouble, et m’interdit. Ah ! Clairance.     Ah ! Ma soeur.         Un espoir plein de charmes Doit-il essuyer le reste de nos larmes ? Le sort nous traite-t-il avec trop de respect ? Le bien qu’il nous promet vous devient-il suspect ? Dans l’état où tu vois et ta soeur et ta mère Apprends que le destin devient si contraire ; Que malgré la rigueur de tant de maux soufferts Notre moindre malheur est celui de nos fers. Que peut-il ajouter au mal qui nous outrage ? N’a-t-il pas déployé sa plus cruelle rage ? Enfin notre constance a lassé son courroux ; Qu’aurions-nous à souffrir, et qu’appréhendez-vous ? Je prévois des malheurs dont la funeste suite Rend avec ma raison ma constance interdite. Porus que ton mépris m’est aujourd’hui fatal ! Qui te peut obliger à nous traiter si mal ? Tu vois à mille maux ta femme abandonnée. Le débris malheureux de ton triste hyménée, Ta famille, ton sang languir dans la prison, Le destin résolu d’accabler ta maison ; Et ton coeur insensible à ces rudes alarmes Regarde avec courroux nos soupirs et nos larmes. Madame, jugez mieux d’un père et d’un époux. Hélas si tu savais.         De quoi l’accusez-vous ? Clarice conte lui ce que je voulais taire, Apprends la cruauté d’un époux et d’un père. Quand la Reine eut mandé Phradate devers lui ; Pour lui faire savoir l’excès de votre ennui, Le Roi triste et pensif fait en ouvrant sa lettre Tout ce qu’en ce moment la douleur peut permettre, S’engage bien avant dedans vos déplaisirs, Et mêle à vos sanglots ses pleurs et ses soupirs ; Mais à peine a-t-il lu, qu’il crie et qu’il déteste, Qu’on m’éloigne (dit-il) cet objet si funeste. Phradate alors surpris de ce grand changement ; Et ne sachant d’où vient ce prompt ressentiment Quoiqu’il se trouve seul avec lui dans sa tente, Croit qu’il parle à quelque autre, et son âme tremblante Cherche de tous côtés cet objet odieux, De qui le Roi se plaint, et qui blesse ses yeux. Mais il connaît enfin où vient fondre l’orage, Il s’écarte et voyant la colère et la rage, Qui dans le coeur du Roi par de brûlants transports Contre la Reine même envoyait ses efforts Il écoute de loin ce qu’elle lui fait dire Il l’entend murmurer. Dieux souffrez-vous qu’Argire Me traite indignement ; et que cette prison Coûte tant de désordre à toute ma maison ? Que je suis sans secours, que le Ciel me trahisse, Que les miens soient aux fers, que mon trône périsse, Mais faut-il. À ces mots il se tait ; et soudain Il reprend son discours sans ordre et sans dessein. Dieux !         Phradate n’a pu comprendre davantage De ce discours confus, qu’interrompait sa rage. Lors Attale approchant le Roi, pour lui parler ; Après un long conseil on le fait rappeler. Phradate, dit le Roi, rapportes à la Reine, Que mes Ambassadeurs vont terminer sa peine ; Dis-lui. ne lui dis rien ; retire-toi d’ici ; Phradate alors s’écarte, et s’en revient ainsi. Imputez au regret de notre servitude Ces violents transports et son inquiétude, Se trouvant accablé du poids de nos malheurs, Il ne peut autrement exprimer ses douleurs ; Si vous n’avez d’ailleurs de sujet de vous plaindre. Où l’on écoute Attale, Argire doit tout craindre. Quelque état que le Roi fasse de ces conseils, Que peut-il contre vous ?         Que peuvent ses pareils ! Préférant dans les voeux qu’il fit pour Oraxène, Ceux d’Arsacide aux siens, j’ai mérité sa haine ; Et voyant que le Roi s’obstine à l’écouter Sa haine est un malheur que je dois redouter ; Mais quoi que sa fureur contre moi puisse dire, Rien ne peut ébranler la confiance d’Argire, Ni Porus m’imposer d’assez sévère loi ; Pour me faire oublier mon époux et mon Roi. Oui Seigneur de ce pas je m’en vais vers la Reine. Quoi verrai-je grands Dieux cet objet de ma haine ! Sachant sa perfidie, et voyant que son coeur Au milieu de ses fers adore ce vainqueur. Non, perfide, non, non, brûle pour Alexandre. Lâche.         Seigneur je crains qu’on ne vous puisse entendre. Dévorez vos douleurs, ne parlez qu’à demi ; Tout doit être suspect dans un camp ennemi. Alexandre pourrait par quelque défiance Vous faisant observer tromper votre espérance. On nous prend pour suivants de mon Ambassadeur. Mais on pourrait enfin sortir de cette erreur. Où penses-tu mon coeur, et qui t’oblige à feindre ? Éclate, il n’est plus temps d’espérer ni de craindre Argire me trahit, fais ton dernier effort ; Assure d’un seul coup ma vengeance et sa mort. De l’éclat d’un vainqueur orgueilleux de ma perte Argire est éblouie, Argire s’est offerte À ce cruel fléau de tous les Potentats, De qui l’ambition dévore mes États. Oui, c’est elle mon coeur, oui c’est cette infidèle ; Étouffe les soupirs, que tu pousses pour elle. À ce coup ma raison ne m’abandonne pas ; Parle-moi de son crime en cachant ses appas. Je crains qu’en sa faveur mon amour s’intéresse, Que l’ingrate m’arrache une indigne tendresse, Et que tous ses attraits venant pour me trahir, Ne me fassent aimer ce que je dois haïr. Argire, lâche Argire, est-ce ainsi que ton âme Soutient la pureté de sa première flamme ? Va perfide il est temps ; sors enfin de mon coeur. Sers d’infâme trophée au char de mon vainqueur. Puisqu’il faut à son tour que ma haine s’exprime, Je ne te connais plus à travers de ton crime, Et mon coeur convaincu d’un si grand changement S’abandonne sans peine à son ressentiment. Oui, Seigneur, je l’avoue ; il est vrai que la Reine Se rend par cet amour digne de votre haine. Mais sur quel fondement vos soupçons sont formés ? Est-ce sur des billets que l’envie a semés ? C’est de vos ennemis le lâche stratagème. Je ne le sais que trop. Arsacide elle l’aime. Donnez à vos soupçons plus d’éclaircissement. Je donne à mes soupçons un meilleur fondement, J’assure ces billets sur sa première lettre ; J’y vis un certain feu qui commençait de naître ; Et son âme en désordre agissant lâchement Céder sans résistance à cet embrasement, Mais dois-je plus douter de son injuste flamme ? Et qu’Alexandre enfin ne règne dans son âme, Elle ne m’écrit plus que ses fers sont pesants, Et ne m’entretient plus que de riches présents, Que du bon traitement que lui fait Alexandre ; Que sa prison n’a rien qui puisse la surprendre, Qu’il n’appartient qu’à lui de ranger sous ses lois Par sa rare douceur les Reines et les Rois. Je versai sur sa lettre un déluge de larmes ; Malgré sa trahison voyant encor ses charmes, Je me persuadai que mes yeux imposteurs Enveloppaient mes sens en des songes trompeurs : Mais enfin ma raison se voyant dégagée De cette aveugle amour où je l’avais plongée, Et traînant après elle une suite d’horreurs, Me fit voir de plus près son crime et mers malheurs. Mon âme en ce moment sembla voir Alexandre, Qui malgré mes efforts voulaient tout entreprendre. Je le vis triomphant de ses rares appas ; Arsacide que vis-je ? Ou que ne vis-je pas ? Cet objet qui vous trompe, et qui vous épouvante N’est rien qu’une vapeur que votre amour enfante. La Reine vous a vu trop sensible à ses pleurs ; Ressentir la moitié de ses vives douleurs ; Et pour vous éloigner de ce triste partage Vous parle d’Alexandre avec tant d’avantage. Ah ! Non, non, dis plutôt que son coeur amoureux N’a pu parler de lui sans découvrir ces feux, Dont malgré le devoir une âme révoltée De l’estime à l’amour se voit précipitée. Mon esprit prévoyait ce sensible malheur : Du mal qui l’approchait il souffrait la douleur, Et le pressentiment de cette grande perte Ne l’affligeait pas moins, que s’il l’avait soufferte. Quoi Seigneur, ce grand coeur se rend-il sans combat ? Un soupçon lui fait peur, un fantôme l’abat ? Formez-vous un penser avec si peu de peine Si peu digne de vous, si mortel à la Reine ? Et loin d’être venu pour la désabuser, Ne voudriez-vous la voir qu’afin de l’accuser ? Si c’est votre dessein, une fureur si grande Mérite plus de maux qu’elle n’en appréhende. Seigneur pardonnez-moi, si je sors du respect ; Le discours d’un flatteur vous doit être suspect ? Mais celui qu’a formé la grandeur de mon zèle S’il est moins complaisant, est d’autant plus fidèle. Ah ! Soupçons trop cruels qui m’avez alarmé ; Dans quel gouffre d’horreurs m’avez-vous abîmé ? Enfants tumultueux de mon amour extrême, Ou souffrez que je meure, ou souffrez que je l’aime, Apaisez le désordre où vous m’avez réduit, Et ne détruisez pas celle qui vous produit. N’êtes-vous pas lassés de causer mon martyre ? Qu’avez-vous observé dans la prison d’Argire ? Que lui reprochez-vous ? Ah ! Que vous me pressez ! Argire est criminelle, et vous me punissez. Juges, témoins, bourreaux, de mon sort déplorable Vous perdez l’innocent et sauvez la coupable. Vous venez m’exposer l’horreur de son forfait, Et vous vengez sur moi le tort qu’elle me fait. Mais Seigneur vous devez.         Que veux-tu que je fasse ? Pèse mes déplaisirs, regarde ma disgrâce. Hélas ! Je tâche en vain de flatter vos malheurs. Je sens que vos soupirs réveillent mes douleurs Voulant vous consoler ma constance se trouble : Plus je combats vos maux, plus le mien se redouble. Oui Seigneur, mes malheurs sont sans comparaison, Et de mon désespoir j’attends ma guérison Qui pourrait résister à mon sort déplorable ? Vous m’avez accordée une fille adorable, L’hymen déjà tout prêt d’allumer son flambeau ; Promettait à mes feux le destin le plus beau. Un excès de bonheur allait suivre ma peine, Et les Dieux assemblés pour former Oraxène, N’avaient jamais uni par de si doux accords Les charmes d’un esprit à la beauté d’un corps. Et cependant le sort déployant ses caprices De mes plus doux plaisirs a formé mes supplices. Oraxène est captive, et ce malheur fatal Dans le camp ennemi me suscite un rival. Mais un rival aimé.         L’on te trompe Arsacide. D’où te naît un penser si bas et si timide ? Je sais. mais non, souffrez que malgré ma douleur J’épargne à ma Princesse un affront plein d’horreur. Il faut qu’auparavant sa bouche m’en assure : Je pourrais toutefois sans lui faire une injure. Quoi.         Je me plains, Seigneur de mon sort rigoureux, Et je dis seulement que je suis malheureux. Madame les voici.         Dieux que vois-je Clairance ! Ah ! Madame.         Peux-tu soutenir ma présence ! Perfide me trahir.         Est-ce vous ? Ah ! Seigneur. Comment puis-je acquitter cette extrême faveur ? Mais las ! Quelle terreur vient surprendre ma joie ? Dans ces lieux ennemis faut-il que je vous voie ? Pourquoi vous faites-vous un sort si rigoureux ? Et pourquoi m’offrez-vous un bien si dangereux ? Puis-je voir sans trembler dans ce péril extrême Un époux qui m’est cher cent fois plus que moi-même ? Retirez-vous, Seigneur, de ces dangers pressants, Et délivrez mon coeur des troubles que je sens, Fuyez, qu’avez-vous fait Arsacide ?         Madame. Que de craintes en foule entrent dedans mon âme ? Je vois de tous côtés des gouffres entrouverts ; Et tout me parle ici de prisons et de fers, De l’excès de mes maux ma constance troublée Par cet abord fatal est enfin accablée. Sauvez-vous, et souffrez.     Arrêtez.         Je ne puis. M’abandonnerez-vous en l’état où je suis ? Non, je ne dois pas craindre un traitement si rude ; Vous êtes trop sensible à mon inquiétude. Laissez-moi.         Cet accueil est un peu surprenant. Je ne puis vous sauver qu’en vous abandonnant. Considérez, Seigneur, que mon amour extrême Ne pourrait s’empêcher d’agir contre vous-même. Mes sanglots, vos regards, mes soupirs et vos feux Sont ici centre nous des témoins dangereux. Ménageons mieux Seigneur, quelque espoir qui nous reste, Et puisque le destin nous est encore funeste, Attendons que le Ciel touché de nos tourments Accorde à notre amour de plus heureux moments. Je connais, je connais la crainte qui te blesse. Cette fausse pitié, qui pour moi s’intéresse, Ces sanglots malformés, et ces brûlants soupirs Me déclarent assez quels sont tes déplaisirs ; Va perfide, va, cours après ton Alexandre. Qu’entends-je ?         Ce reproche a droit de te surprendre. Quoi, Seigneur, est-ce ainsi.         Je ne t’écoute plus, Tu fais pour t’excuser des efforts superflus. Ce sont donc les soupçons dont votre âme est saisie ? C’est donc la trahison de votre jalousie, Qui vous donnent en proie à tous ces mouvements, Et vous font consentir à ces déguisements ? Quoi, Seigneur, non content de mortelles alarmes Que m’a fait ressentir le malheur de vos armes. Alexandre t’attend, va donc, je te promets Pour ne te plus choquer de ne te voir jamais. Perfide qu’attends-tu ? Qui peut donc te contraindre ? Si tu ne crains que moi, tu n’as plus rien à craindre. Va lâche.     Justes Dieux !         Vole après ton amant. Sa passion se plaint de ton retardement. Mais ton crime te suit, et ton âme étourdie Par les remords affreux de cette perfidie T’occupant pleinement arrête ici tes pas. Ah ! Barbare, ah ! Cruel je ne m’étonne pas Si ton Ambassadeur pour rompre notre chaîne Présente une rançon indigne d’une Reine. Si l’offre que je fais est au-dessous de toi, Je puis abandonner ce qui n’est plus à moi. Puisque mon innocence a perdu l’avantage De se faire connaître à celui qui l’outrage, Suivez aveuglement votre jalouse humeur : Argire aime Alexandre, Argire est dans son coeur, Je presse votre haine, et sers votre vengeance, J’arme votre fureur contre mon innocence ; Mais je puis mettre fin à mon sort inhumain ; Puisqu’il me reste encor et mon coeur et ma main Pour punir vos soupçons et me rendre justice, Je me dois à moi-même un si beau sacrifice ; Et mon sang soupçonné de cette lâcheté Brûle de vous montrer quelle est sa pureté. Dieux un reste d’amour entreprend sa défense Et dans sa trahison cherche son innocence ; Ma haine s’affaiblit sous son premier effort : Je sens qu’elle chancelle, et qu’il se rend plus fort. Revenez mes soupçons, voyez, voyez qu’Argire Sur ma rage lassée établit son Empire. Que ne redonnez-vous à mon coeur abattu Malgré tous ses appas un reste de vertu ? Vous rendez-vous si tôt à l’éclat de ses charmes, Et pour me secourir n’avez-vous que des larmes ? Ah ! Si vous ne voulez me rendre mon honneur. Du moins pour m’arracher aux désirs d’un vainqueur, Percez ce coeur, chassez cette indigne tendresse. Haïssez, haïssez avec moins de faiblesse. Argire doit mourir puisque vous le voulez, Portez le dernier coup à ses sens désolés. Mais Alexandre vient, Dieux mon âme abattue Pourra-t-elle cacher la douleur qui la tue ? Étouffez ces transports. Ne me regardez-pas. Cachez-vous.     Moi !         Seigneur il dresse ici ses pas. Qu’on nous laisse ici seuls, gardes qu’on se retire. Arsacide !     Seigneur.         Quoi lui quitter Argire ! Non, il faut par sa mort l’arracher de ses bras. C’est se perdre, Seigneur, et ne se venger pas. Je ne puis vous celer ce que je viens d’apprendre, L’offre de votre époux me fait peine à comprendre M’offrant une rançon, que je n’ose accepter Je doute avec raison s’il veut vous racheter. Je m’étonne qu’un Roi dont l’amour est extrême, Qui perd en vous perdant la moitié de soi-même Ait pour vous des pensers jusques là ravalés, Et qu’il offre si peu pour ce que vous valez. Seigneur, pour m’affranchir s’il t’offrait davantage ; Ta générosité recevrait quelque outrage : D’elle seule aujourd’hui j’attends ma liberté, Tu vois qu’elle s’oppose à ma captivité. Ne lui dérobe pas une illustre matière, Qu’elle doit pleinement exercer la première. Un qui vous connaîtrait bien moins que je ne fais Sur l’offre qu’il me fait ne vous rendrait jamais. Si j’étais comme lui pour vous tirer des chaînes J’offrirais et mon trône et le sang de mes veines ; Et mon coeur méprisant le sceptre et le danger À quel prix que ce fût vous irait dégager. Mais pourrait-il tomber dans ce désordre extrême. Votre vertu vous rend seule égale à vous-même ; Et je ne puis souffrir de semblables revers Puisqu’il n’est qu’une Argire en tout cet Univers. Argire vaut si peu, que je crois qu’Alexandre Ne ferait qu’à regret ce que je viens d’entendre. Porus fait ce qu’il doit ; et j’estime qu’aussi Si vous la connaissiez vous agiriez ainsi. Je connais mieux que lui le mérite d’Argire, Et pour vous confirmer ce que je viens de dire Je vous laisse à vous-même, il ne tiendra qu’à vous De me faire accepter l’offre de votre époux. Ô ! Dieux fut-il jamais âme plus généreuse ! Ô Dieux fut-il jamais Reine plus malheureuse ! Sa générosité va finir vos ennuis. Ah ! Que tu juges mal de l’état où je suis ! Que l’offre qu’il me fait est peu digne d’envie ! Si d’un plus grand malheur cette grâce est suivie ; Et s’il faut que ce coeur en cette extrémité De même que ses fers craigne la liberté. Vois quel est de mon sort le bizarre caprice : Le comble de mes voeux fait mon plus grand supplice. Je trouve un ennemi si je cherche un époux. Si je fuis mon vainqueur ; c’est pour suivre un jaloux. Profitons toutefois des faveurs d’Alexandre ; Allons, allons presser ce que j’en ose attendre. Pour périr promptement abandonnons ces lieux ; Exposons-nous entiers aux traits d’un furieux ; Et sans examiner le courroux qui l’anime, Allons à ses soupçons offrir cette victime. Hé bien cher Arsacide, en dois-je plus douter ? Diras-tu désormais que j’ai tort d’éclater ? Et que je dois bannir l’injuste défiance, Dont la vertu d’Argire et mon amour s’offense Elle le suit l’ingrate, et je suis dans ces lieux Un objet importun à son coeur, à ses yeux. Mais lâche que je suis ! Alexandre a pu dire Qu’on nous laisse ici seuls ; soldats qu’on se retire ; Et loin de l’immoler à mon ressentiment J’obéis en esclave à son commandement. Quoi dans le temps qu’il faut signaler ma vengeance, J’écoute des discours si remplis d’insolence ? Qui s’oppose à sa perte et qui retient mon bras ? Puis-je vivre, le voir, et ne me venger pas ? Quoi Porus, quoi ce Roi qui sut se faire craindre Cherche et voit son rival, et s’amuse à se plaindre ! Et sans me souvenir ni de lui, ni de moi, J’obéis en esclave et je reçois sa loi. Que suis-je devenu ! Je me cherche moi-même ; Et ne me trouve plus dans ce désordre extrême. Vous ai-je donc quittés trône, sceptre, grandeur, Pour servir mon rival et mon Ambassadeur ? Mais gardez-vous encor de montrer ma naissance : Vous quittant je vous sers autant que ma vengeance. Trône ? Pour t’asservir un rival massacré Doit être ma victime et ton premier degré ; Enfin sceptre, grandeur, je ne puis vous reprendre Que je ne sois vengé d’Argire et d’Alexandre. C’est à toi seulement que ce coeur maltraité Demande du secours en cette extrémité ; C’est par toi, c’est par toi que cette âme outragée Doit être pleinement satisfaite et vengée. Arsacide fais voir que pour me secourir Tu sais.         Oui je saurai vous venger ou mourir. Mais pensez-vous qu’Argire.         Oses-tu la défendre ? Séparez sa vertu du crime d’Alexandre, Et perdant ce rival Seigneur ne souillez pas Par des soupçons si noirs de si divins appas ; Écoutez la raison autant que votre haine. Encor que Perdiccas soit aimé d’Oraxène, Et qu’un même destin pour accroître nos maux, De ces deux ennemis ait fait nos deux rivaux ; Aussi pressé que vous du mal qui nous possède, Malgré mon désespoir, j’en pèse le remède ; Et celui-ci, Seigneur, est si peu de saison ; Qu’il avance la mort, et non la guérison. Allons.         Et bien sans perdre un moment davantage, Retourne dans le camp et laisse agir ma rage : Tiens nos soldats tous prêts à combattre demain ; Les traités sont rompus, cependant de ma main Par ma juste douleur puissamment animée Je cours perdre Alexandre au coeur de son armée. C’est à moi qu’appartient ce dangereux emploi Vous.         Va pars Arsacide ; obéis à ton Roi. Quoi vous abandonner ; et trahir ma querelle ! Non, non, l’obéissance est ici criminelle ; Double intérêt m’engage à courir ce danger : J’ai mon Prince à servir ; mon amour à venger ; Ces devoirs opposés à mon obéissance De leur côté sans peine emportent la balance. Et m’instruisant par eux de vos commandements. Je sens qu’ils sont d’accord avec mes sentiments. Vous plutôt en qui seul tout notre espoir se fonde ; Dont le salut importe à la moitié du monde, Qui de l’autre moitié redoutant le malheur ; Oppose à son tyran votre seule valeur ; Ménagez pour son bien une tête si chère ; Je suffis au dessein que l’amour nous suggère. Et vous, en qui l’Indie a mis tout son espoir : Réservez-vous, Seigneur, à ce premier devoir. Retournez dans le camp, et par votre présence Rendez à vos soldats leur première assurance ; Demain, si le démon qui veille en sa faveur, Sauve votre ennemi des traits de ma fureur ; Vous pourrez pour finir cette sanglante guerre, Disputer contre lui l’empire de la terre ; Le défier en Roi, le vaincre aux yeux de tous. Mais tout autre dessein est indigne de vous. Hélas ! Quand tes discours échauffent mon courage Que je hais les desseins que m’inspire ma rage ! Mais aussi quand je vois l’excès de mon malheur, Que tes discours sont froids auprès de ma fureur : Autrefois au seul bruit de ses grandes merveilles ; Quand le nom d’Alexandre eut frappé mes oreilles Avec le même effet je sentis dans mon coeur Allumer le désir d’attaquer ce vainqueur. Quand j’appris qu’il venait fondre sur cette terre, Mon âme avecque joie embrassa cette guerre, Et me voir prévenu par ce fameux vainqueur Est le seul déplaisir qui troubla ce bonheur. Mais depuis quand le Ciel ennemi de ma gloire. Dès le premier combat lui livra la victoire ; Au malheureux moment qu’il mit dans sa prison Ma femme et mes enfants ; je perdis la raison. Comme d’un gouffre affreux de ce malheur extrême S’élevèrent des maux pires que ce mal même ; Je reste sans vertu, sans coeur, sans jugement ; Et tu vois un effet de ce dérèglement. Mon dessein quel qu’il soit ne doit plus le surprendre ; Je cherche mon rival ; et non pas Alexandre, Et je cherche en rival, en amant, en jaloux ; Un tyran qui ravit sa femme à son époux. Le délai d’un moment redouble mon offense ; Et tu veux d’une nuit reculer ma vengeance. Ce conseil me nuirait, plus que mon désespoir : Aussi pour arracher Argire à son pouvoir Sans en plus consulter que ma fureur extrême, Je cours perdre Alexandre, et l’ingrate et moi-même. Enfin pour amoindrir l’excès de mon malheur Je veux tout accorder à ma forte douleur. Ne lui refuse rien, fais ce qu’elle t’inspire ; La cruelle qu’elle est a soif du sang d’Argire ; Je viens pour te l’offrir, Seigneur, que tardes-tu Déjà de cette main je l’aurais répandu ; Si ne te pouvant montrer mon innocence, Je ne t’avais voulu réserver ta vengeance. Va mon honneur la veut devoir à mes efforts ; Et non pas à l’effet de tes lâches remords ; Si tu veux m’obliger, songe à te mieux défendre Appelle à ton secours la valeur d’Alexandre, Je la veux égorger à ses yeux dans ses bras ; Et sa mort autrement ne me vengerait pas. Ah ! Porus est-ce ainsi que ton amour m’offense ? Vengez Dieux immortels, vengez mon innocence, Mais où m’emporte ici mon premier mouvement ? Dieux ne la vengez pas sauvez-la seulement. Mon âme au désespoir vous demandait un crime : C’est mon Roi qui l’offense et mon Roi qui l’opprime : Conservez-la grands Dieux, et soyez son appui ; Ce serait m’accabler, que la venger sur lui. Que t’ai-je fait cruel, pour être ainsi traitée ? De quels divers transports mon âme est agitée : Fuyons.         N’espère pas d’échapper à mes pleurs ; Il faut ici finir ma vie, ou mes malheurs ; J’y veux vivre innocente ou mourir en coupable, Ta haine ou ton amour me sera favorable, Je t’aimerai toujours dans l’un et l’autre sort. Détrompé d’un faux crime, ou vengé par ma mort. Dieux pourquoi fallait-il qu’elle fut infidèle ! Ne puis-je.         Ne crains rien trop chère criminelle : Malgré ta trahison je t’aime, et ma douleur Sent bien que t’outrager c’est croître mon malheur. Vis, et souffre qu’ailleurs je porte ma vengeance. Ah ! Plus que tes rigueurs je hais cette indulgence. Rends-moi mon innocence, ou me prive du jour. Mais tu fuis ; est-ce ainsi qu’on trait mon amour ; Je te suivrai partout.         Qu’allez-vous entreprendre ? Voulez-vous le livrer au pouvoir d’Alexandre ? Vous l’allez découvrir.         Madame où courez-vous ? Quel obstacle nouveau m’arrache à mon époux ? Que dois-je devenir Arsacide, Oraxène, Je vous entends, la mort doit terminer ma peine. Quoi Prince, dans nos fers loin de nous soulager Le Roi n’est-il venu que pour nous outrager ? Est-ce là ce secours, cet effort salutaire Que nos maux attendaient d’un époux et d’un père ? Vous, qui vîtes former, et croître son erreur, Prince vous nous devez compte de sa fureur. Loin de vous opposer.         Hélas ! Ma résistance Loin de la ralentir a cru sa violence ; Et malgré mes efforts sur l’esprit de ce Roi Attale le flattant a plus gagner que moi. Ah ! Le lâche !         Un billet qu’on trouve dans sa tente Donna le premier branle à son âme flottante, Prête à tout présumer de l’heur de son rival ; Et vos lettres enfin achevèrent ce mal. La Reine en écrivant lui parlait d’Alexandre Comme d’un conquérant, à qui tout se doit rendre ; À qui seul appartient de ranger sous ses lois Par sa rare douceur les Reines et les Rois. Nous vîmes à ces mots dans son âme troublée Repasser les soupçons qui l’avaient ébranlée, Et suivant des pensers conçues sans fondement, Il se précipita dans son aveuglement. Tous ces doutes ainsi changés en assurance, Il ne respire plus que haine, que vengeance ; Et de tous nos conseils il ne veut recevoir Que celui qui s’accorde avec son désespoir ; Attale en est l’auteur, pour racheter la Reine, Ou plutôt pour servir sa détestable haine. Il députe en ces lieux, suit son Ambassadeur ; Moi qui vis ce dessein conforme à mon ardeur, Je le suis dans l’espoir que toutes nos alarmes S’enfuiraient à l’éclat de tant d’aimables charmes. Mais hélas ! Je sens bien, que loin de les guérir Notre abord en ces lieux n’a fait que les aigrir. Vous parlez pour le Roi !     Madame.     Quoi ?         Princesse Il est vrai que je sens la douleur qui le presse : Mais aussi.         Mais comment a-t-il pu dans son coeur Recevoir des soupçons mortels à son honneur. Sur un billet qu’aura semé la médisance, Une lettre, où la Reine avec reconnaissance Parle du traitement que nous font nos vainqueurs A-t-il lieu de former de pareilles erreurs. Il est vrai ses soupçons ont fort peu d’apparence, À les examiner avec indifférence ; Mais aussi qu’un esprit conduit par son malheur Y trouve des sujets d’une extrême douleur ; Il est vrai que l’on voit dans la Cour d’Alexandre Des charmes, dont l’esprit à peine à se défendre ; Mais quelque grand qu’il doit en est-il d’assez doux Qui puisse justement alarmer un époux ? Hé bien Porus a tort, une chaîne si sainte Doit vaincre ses soupçons, et sa jalouse crainte, Mais que puis-je espérer ? Où sera mon recours ? Si contre un plus grand mal j’ai demandé secours ? On trouve, dites-vous, dans la Cour d’Alexandre Des charmes, dont le coeur a peine à se défendre ; Et le vôtre contre eux s’est si mal défendu, Qu’il le faut confesser Princesse ; il s’est perdu. Au moins est-il perdu pour le triste Arsacide ; Perdiccas me le vole ; et vous-même perfide Vous lui tenez la main, pour me voler mon bien Et lui livrer un coeur qui me coûte le mien. Ingrate, car enfin il est temps de se plaindre ; Et mon ressentiment ne doit plus se contraindre ; Où sont tant de serments et donnés et reçus Que mon timide amour avait si bien conçus. Serments qui m’assuraient d’une foi si durable Par tout ce que le Ciel a de plus vénérable ; Il ne t’en souvient plus, ou sans les rappeler Il ne t’en souvient plus que pour les violer, Rends-moi, rends-moi ta foi perfide.         Je me lasse D’entendre des discours de si mauvaise grâce ; Ces reproches éloquents sont si mal inventés, Que qui peut les souffrir, les a bien mérités ; Bizarre défiant, esprit faible et timide Que je t’ai mal connu, c’est dont vous Arsacide ? Qui pour autoriser votre dérèglement Avez plongé le Roi dans son aveuglement. Je n’en accuse plus Attale, ni quelque autre : Sa fureur, nos malheurs tout ce désordre est vôtre. C’est vous, par qui je vois la Reine au désespoir. Ah ! Ne m’obligez plus désormais à vous voir. Va.         Princesse arrêtez ; est-ce ainsi qu’on s’excuse ? Tu ne mérites pas que je te désabuse. Perfide dis plutôt qu’on ne peut t’excuser ; Et qu’il n’est pas en toi de me désabuser ; Hé bien volage cours à ta nouvelle flamme : Ou si quelque piste loge encor dans ton âme, Donne au moins un moment à voir couler mes pleurs ; Je n’en espère pas d’adoucir mes malheurs ; Ni de mon mauvais sort changer l’ordre barbare ; Puisque tu l’as voulu, mon esprit s’y prépare ; Et je ne veux jouir du plaisir de te voir Que pour en redoubler mon juste désespoir ; Triste et funeste effet d’une chère présence Oui je sens à tes yeux croître sa violence Par le poids des malheurs à mon esprit offerts Quand je vois de quel prix est le bien que je perds. Arsacide.         Il est tel que quelque tyrannie Qu’exerce sur mon coeur ta puissance infinie, Je ne puis résister au juste mouvement Qui me fait révolter contre ton changement. Je sens tous mes transports céder à cette envie ; Pour m’ôter ma Princesse, il faut m’ôter la vie, Et dans mon désespoir je me sens assez fort Pour garder ma Princesse et détourner ma mort. Oui rival tu sauras qu’on n’acquiert Oraxène Qu’après de grands travaux qu’avec beaucoup de peine ; Qu’il reste, après avoir triomphé de son coeur, Un ennemi plus fort que sa molle rigueur. Quoi Prince ?         Je vois bien que ce dessein vous blesse ; Mais que m’ordonnez-vous inhumaine Princesse ? Faut-il par un désordre à mon honneur fatal Que pour vous contenter je serve mon rival ? N’attendez point de moi de si sotte indulgence ; Vous m’avez tout ôté laissez-moi ma vengeance. Non.         Voulant obéir jusqu’à mon trépas Je ne puis la garder qu’en ne t’écoutant pas. Écoute et souffre enfin que je te désabuse Arrête Prince aveugle ; ah ! Que je suis confuse ! Qu’ai-je fait ?         Ah ma soeur suis ce désespéré Empêche son trépas, que je vois assuré ; Dis-lui pour l’arracher à sa fureur extrême. Qu’Oraxène pour lui sera toujours la même ; Que je l’aime au moment qu’il soupçonne ma foi, Plus que je n’ai promis, et plus que je ne dois. Va.         Quoi ma soeur descendre à cette complaisance ? Pardonne une pitié dont ma gloire s’offense J’ai cru que pour finir son mortel désespoir Je pouvais faire un pas au-delà du devoir ; Mais j’y rentre, et l’amour banni de ma mémoire J’abandonne ce Prince, et prends soin de ma gloire ; Meurs, meurs, et par un coup qui te sera fatal Immole un innocent que tu vois ton rival. Porte sur Perdiccas ta fureur et tes armes Meurs et n’attends de moi que d’impuissantes larmes. Sur Perdiccas.         C’est là ce rival supposé. Ah ! Vous deviez ma soeur l’avoir désabusé ; Faire si peu d’état du salut d’Arsacide L’abandonner ingrate au courroux, qui le guide. Hélas ?     Où courrez-vous ?         Faire votre devoir. Et par vos repentirs chasser son désespoir. Pour un ingrat descendre à cette complaisance ! Que tu mérites bien le soupçon qui l’offense. Il faut plaindre Arsacide, et son aveuglement Est digne de pitié, non pas de châtiment ; Et quand bien ses soupçons mériteraient sa peine ; Que t’a fait Perdiccas insensible, Oraxène ; Et pourquoi l’exposer aux redoutables coups ; D’un amant furieux, désespéré, jaloux. Ah ! Ma soeur je vois bien, la pitié qui te touche. Toute celle que j’ai s’explique par ma bouche. Et je ne parle ici que pour votre intérêt. Hé bien je ne veux pas entrer dans tes secrets. Suis-le.     Est-ce ainsi ma soeur.         C’est perdre temps Clairance. Va tâche à détourner sa mort, ou sa vengeance Mais.     Quoi.         Ne lui dis rien qui me fasse rougir. J’apprends de ton orgueil comme je dois agir. Encor pour quelque temps vous serez prisonnières ; Ce n’est pas que le Ciel n’ait reçu vos prières ; Mais au point qu’Alexandre allait tour accorder, Les vôtres ont cessé de lui plus demander. Rompant tous les traités d’assez mauvaise grâce, Ils ont d’abord passé de l’offre à la menace ; Mais par un changement si superbe et si prompt, Qu’à peine le vainqueur s’est sauvé de l’affront. Par son Ambassadeur Porus a fait entendre Que son bras peut forcer les prisons d’Alexandre ; Que c’est par ce moyen qu’il vous veut secourir, Et qu’il prétend par là vous ravoir ou périr. Il vaut mieux en effet que son coeur en ordonne, Il sied mal de prier portant une couronne : Et le Roi possédé de ce beau sentiment Croit nos fers moins honteux, que cet abaissement. Argire est en vos mains il hasarde sa gloire S’il prétend la ravoir , que par une victoire ; Et nous nous trouverions dans un pire malheur, Si votre liberté nuisait à sa valeur, Ne plaigniez point, Seigneur, cette heureuse disgrâce. Je donne ces soupirs au mal qui me menace, Quand je vois que le Ciel de mon bonheur jaloux Me force encor un coup à m’armer contre vous. Vos générosités.     Quoi Prince ?         Non Clairance ; Je ne puis perdre un temps si cher à ma vengeance. Au secours.     Justes Dieux !     Ah barbare !         Seigneur. Ah ! Ne m’empêchez pas de venger votre soeur. C’est à toi que j’en veux garde-toi d’Arsacide. Ah rival ! Penses-tu que ton nom m’intimide ? J’accepte le combat et malgré moi je perds Le respect que tu dois à celle que tu sers. Contre mon désespoir songe à te mieux défendre. Ah Clairance !         Ah ma soeur ! J’aperçois Alexandre. Partout des assassins à ma table à mon lit. Viens-tu pour m’achever ? Il chancelle ; il pâlit ; Qu’on voit bien dans ses yeux les horreurs de son crime, Plus il veut le cacher plus sa fureur s’exprime, Amener son complice Oronte. Fiers destins Livrez-vous Alexandre à ces noirs assassins ? Mais où m’emporte ici cette fureur extrême ? Pardonnez-moi, grands Dieux, cet imprudent blasphème ; Si formant contre vous des soupçons mal fondés J’ose vous attaquer quand vous me défendez. Je vous dois mille autels et mille sacrifices. Vous m’avez découvert le traître et ses complices ; Vous avez empêché leurs efforts inhumains ; Et vos rares bontés m’arrachent de leurs mains. Traître tu venais donc.         Son nom a trop de gloire Pour le déshonorer d’une tache si noire ; J’ai si bien reconnu sa générosité Que si on a sur vous lâchement attenté Il n’est point de complot, non Seigneur ; et je jure Que pour un tel forfait il a l’âme trop pure ? Un bien plus généreux et plus noble dessein Lui mettait en ces lieux les armes à la main ; Laisse-le sur sa foi ; que tien ne le retienne ; Et ma tête partout répondra de la sienne. Ma fureur qui n’a pu jusqu’ici s’exhaler ; Enfin se relâchant me permet de parler. On te trompe Alexandre et Perdiccas lui-même Se trompe en m’arrachant à ce péril extrême ; Et ne me connaissant seulement qu’à demi Sauve ton assassin sauvant son ennemi. Mais en vain ignorant ou cachant mon envie Il aspire à l’honneur de me sauver la vie : J’aime bien mieux périr, que s’il s’osait vanter Qu’il m’eût donné le bien que je lui veux ôter : Mes malheurs ont laissé mon âme toute entière : Mon coeur n’a rien perdu de sa grandeur première ; Et toute sa faveur l’aidant plus puissamment Prête un nouveau secours à son ressentiment. Non, non ; ne défends plus un mortel adversaire. Puisque pour ton repos sa mort est nécessaire ; En le tirant des fers dont tu veux l’arracher Ta générosité te coûterait trop cher. Quand ce traître t’attaque, et qu’il ose entreprendre Sue un destin plus cher que celui d’Alexandre ; Faut-il que ses remords assurant ton destin Malgré lui malgré toi livrent cet assassin. Qu’on le charge de fers.     Seigneur.         Point de Clémence. Voulez-vous m’exposer à souffrir cette offense, Qu’il me soit désormais justement imputé, D’avoir dans son malheur cherché ma sûreté. Connaissant son dessein, son coeur et sa franchise Je ne crains de sa part trahison ni surprise ; Et de l’air dont ce Prince attente sur mes jours Ce fer sans ta faveur m’offre assez de secours. Ce Prince !     Qu’ai-je dit ?         Ce repentir m’offense ; Arsacide est mon nom ; apprête ta vengeance : Oui, oui, si quelque orage a menacé ta tête, Sache que j’ai moi seul ému cette tempête. J’en voulais par ta mort délivrer l’Univers Qui soupire et gémit sous le poids de tes fers ; Que si le Ciel ailleurs n’eût détourné mes armes Déjà dedans ton sang j’aurais noyé ses larmes ; Puisque pour achever un si noble dessein, Je crois l’assassinat digne de cette main. Prince indigne du rang où les Dieux t’ont fait naître, Mais voici l’assassin. Connais-tu bien ce traître ? Ah ! Reproche sanglant qui déchires mon coeur, Où m’avez-vous conduit, amour, haine, fureur ? Arsacide.         Ah ma soeur, avertissons la Reine ? Elles s’en vont.     Le connais-tu ? Son nom.         Il n’en vaut pas la peine : Tu le peux renvoyer.         Qu’on le fasse mourir. Arrête.         Ah ! Tu me perds, loin de me secourir ? Abandonne mes jours et prends soin de ma gloire. Qu’on dépêche.         Sa mort flétrira ta mémoire, Et c’est pour ton malheur que le Ciel a permis Qu’on compte un vil esclave entre tes ennemis. Donne d’autres objets à ta noble colère ; Tu vois en moi l’auteur du coup qu’il n’a su faire Et ce lâche n’a rien digne de ton courroux. Qu’on l’ôte de mes yeux.         Soldats que tardez-vous ? Prends plus de soin, Seigneur, d’une si belle vie. Viendrait-elle à mes maux ajouter l’infamie ? Porus est en tes mains, et le sort a voulu Que d’Argire et de lui tu sois maître absolu : Mais lorsque sa rigueur insolemment nous brave ; Souviens-toi qu’il est Roi plutôt que ton esclave ; Et ne prétendant pas de lui donner la loi, Songe à le moins traiter en esclave qu’en Roi. Quoi ? Porus en infâme attente sur ma vie ? Porus a pu former une si lâche envie ? Et dressant à sa gloire un monument d’horreur, En traître, en assassin exercer sa fureur ! Ah de mon mauvais sort, rigueur insupportable, Qu’ai-je fait ! Ou plutôt suis-je coupable ! Dans le noble dessein qui m’a conduit ici, Mon crime est seulement d’avoir mal réussi. Venge-toi, sauve-toi des efforts de ma haine, Si je suis dans tes fers je puis rompre ma chaîne ; Crois-moi, n’épargne point un puissant ennemi, Tu n’en a jusqu’ici triomphé qu’à demi, Achève et par ma mort assure ta victoire. Ah ! Que ta trahison est funeste à ma gloire ! Grands dieux ! Me faites-vous un si cruel destin ? Si je dois triompher est-ce d’un assassin ? Mon âme de dépit et de rage enflammée M’oblige à te chercher au coeur de ton armée, N’ayant pu jusqu’ici te rencontrer ailleurs. Donne à ta trahison de meilleures couleurs, De ton noir attentat tu sais mal te défendre, Il n’est pas malaisé de trouver Alexandre ; Tu ne le peux trouver, lui, qui dans les combats S’expose tous les jours au moindre des soldats ; Lui qui vient de si loin fondre comme un tonnerre Au coeur de tes États te déclarer la guerre. Lui qui fait en tyran tout ce qu’il entreprend, Lui qui n’ose attaquer et fait le conquérant, Qui n’employant jamais de moyens légitimes Usurpe les États à la faveur des crimes. Je ne dois qu’à ce coeur, je ne dois qu’à ce bras, Ma gloire, ma grandeur, ta perte et tes États, Qu’appelles-tu tenter des moyens légitimes ? Est-ce te rétablir à la faveur des crimes ? Est-ce entrer dans mon camp, suivre un Ambassadeur ? Descendre de ton trône, oublier ta grandeur ? Te cacher dans ma tente et m’attaquer en traître ? Perfide, est-ce par là que tu te fais connaître ? La poudre qui s’élève en mille tourbillons Sous les pas triomphants de mes fiers bataillons, Tant de forts renversés et tant de murs superbes Dont le fameux débris est caché sous les herbes Tes soldats par ce fer de mille coups percés, Tes escadrons toujours pliants et renversés, Font voir pour ton malheur que du moins Alexandre Attaque beaucoup mieux que tu ne sais défendre. Joins à ces vanités celle de ton amour : C’est par là que se perd et l’honneur et le jour ; Tu n’eus que ce moyen pour conquérir l’Indie ; Et tu n’eus que par là du pouvoir sur ma vie. Ah ! Porus, j’ai pitié de ton aveuglement. Et moi j’ai de l’horreur de ton dérèglement. Ah ! C’est faire à ma gloire un trop sensible outrage. Ah ! Seigneur.         Dans mon sang vient assouvir ta rage, Que tous ses traits mortels se détournent sur moi : Frappe.         Va, tu suivras le destin de ton Roi. Quel sera ce destin, consulte avec ta gloire Comme tu dois user des traits de ta victoire ! Ne laisse pas languir un Roi dans ses liens, Tire-le de ses fers et redouble les miens ; Et puisque c’est pour moi qu’il s’expose à l’orage, Accable-moi des maux où son amour l’engage, Pour rendre mes ennuis un peu moins rigoureux, Ôte à mon mauvais sort au moins un malheureux. Oui Reine.         Garde-toi de suivre son envie, Lâche, ma liberté te coûterait la vie, Il faut finir mes jours, et non pas ma raison, Porte jusques au bout ta noire trahison, Tu m’as mis dans les fers, achève ton ouvrage. Moi ?     Toi perfide-toi ?         Justes Dieux quelle rage ! Quoi Porus ?         Ne feins point de répandre des pleurs Ton remords les arrache, et non pas mes malheurs : Mais chasse ces remords et cesse de te plaindre, Alexandre est sauvé ; tu n’as plus rien à craindre. Mon rival est paisible et par ta lâcheté Contre tous mes efforts il est en sûreté ; Garde, garde ces pleurs que tu devais répandre, Si j’eusse triomphé de ce grand Alexandre. Argire si le sort vient à le traverser Tu maudiras tes yeux, qui n’en pourront verser. Où ce coeur innocent trouvera-t-il des armes Puisque même tu fais un crime de mes larmes ? Soupirs, larmes, sanglots vous êtes sans effort ; Et je n’ai du secours que celui de la mort, J’y cours. Porus au nom de ta première flamme Prends les derniers soupirs de ta mourante femme. Laisse-moi.         Quoi cruel tu ne m’écoutes pas. Un tigre. Cependant que je cours au trépas, Que mon sang va montrer quelle est mon innocence, Daignez dire, Seigneur, un mot en ma défense. Arrête-la, Clarice.         Ah Madame ! Un moment. Que je me sens touché de son aveuglement ! Argire, arrête encor.         Que me veux-tu barbare ? Commence à mieux traiter une vertu si rare. À tes derniers soupçons mesure le premier. Tu vois dans cet écrit qui t’a fait prisonnier. Madame espérez mieux.         Ciel qui vois mon martyre Prends contre ma fureur la défense d’Argire. Alexandre prends garde à toi Deux hommes par l’ordre du Roi Sont allés dans ton camp t’immoler à sa haine, Défais-toi de ces inhumains, Et dès lors sans aucune peine Si tu me donnes Oraxène Je mets l’Indie entre tes mains. Attale, Dieux vengeurs prêtez-moi votre foudre. Ah ! Traître, quand leurs coups te réduiront en poudre ; Après ta trahison, après tes attentats Leurs coups les plus cruels ne me vengeraient pas. Attale l’a trahi.     C’est lui-même.         L’infâme ! Que de troubles nouveaux s’élèvent dans mon âme ! Mon esprit attentif à cette trahison Contre ma jalousie arme encor ma raison. Traître ne dois-je pas à ta lâche conduite De ma jalouse ardeur la naissance et la suite ? N’est-ce pas ton conseil qui m’amène en ces lieux ? M’as-tu pas inspiré ce dessein furieux ? Et cependant Attale ta trame est découverte ! Mais elle l’est trop tard, pour empêcher ma perte. Viens lâche, viens jouir du mal que tu m’as fait. Où dois-je commencer d’expier mon forfait Partout également envers vous envers elle, Je vois mon coeur coupable et ma main criminelle, Ici lâche assassin, là barbare, jaloux Que n’ai-je point commis contre vous contre vous ? Vengez-vous, vengez-vous, que rien ne vous retienne, N’avez-vous point de main qui ressemble à la mienne ? À l’exemple cruel que je vous ai donné N’oseriez-vous prêter qu’un esprit étonné ? Ce fut en moi fureur ; mais en vous c’est justice. Par pitié tirez-moi de ce noir précipice ; Plus j’en veux fuir l’abîme et plus avec terreur D’un timide regard j’en mesure l’horreur. Plus ma raison m’arrache à cet état coupable, Plus l’objet à mon coeur en paraît effroyable. Argire, de quel oeil vous dois-je regarder ? Ah ! C’est à moi Seigneur à vous le demander. De quelque trahison dont on accuse Attale, Puisque c’est votre amour qui vous la rend fatale. J’ai causé vos malheurs, et loin de les guérir, Peut-être ai-je vécu d’un air à les aigrir ? De tous les deux, Seigneur, je vous demande grâce, Souffrez qu’avec mes pleurs mon amour les efface. Ah ! Reine Ce n’est pas comme il me faut punir : Mais tu laisses le soin à mon ressouvenir. Il te servira bien, et vous Roi magnanime Perdez un criminel.         Ne parlons plus de crime. Vous n’avez rien commis qui mérite ce nom Si l’amour n’en est un, indigne de pardon. Mon coeur en juge mieux que ne fait ta clémence. Et je n’ai pas dessein de frustrer ta vengeance, La mienne te regarde, et je laisse à ton choix De venger hautement la Majesté des Rois. Tu sais les trahisons et les crimes d’Attale, J’en laisse la vengeance à ton âme Royale ; Quelque indigne qu’il soit de mon ressentiment, Mon coeur avec plaisir attend son châtiment. Hé bien va dans ton camp châtier ce rebelle ; C’est à toi de punir un sujet infidèle ; Puisque tu n’as des fers que par sa trahison. Il est de mon devoir de rompre ta prison. Permets qu’à ce devoir j’ajoute quelque chose, Puisqu’il plaît au hasard que d’elle je dispose, Avecque tous les tiens, Prince je te la rends. Souffre pour la rançon celle de tes enfants. Que j’ajoute aux États qui sont sous ta couronne Ceux que sur tes voisins ma conquête me donne. J’aurai beaucoup gagné, si je puis à ce prix Compter le grand Porus au rang de mes amis. Ô générosité à qui tout se doit rendre ! Ô coeur vraiment Royal !         Tu sais vaincre Alexandre. Et le Ciel assemblant tant de vertu en toi. Sans doute à l’Univers ne veut donner qu’un Roi. À cet auguste loi j’obéis sans contrainte ; Règne ; porte partout ou l’amour ou la crainte : Rien ne puisse arrêter ton destin glorieux ; Toutefois sans choquer l’ordonnance des Cieux Trouve bon que ce coeur plein de reconnaissance Ose se prévaloir de ta magnificence ; Il choisit ; et des biens que m’offre ta bonté, Je te veux seulement devoir ma liberté, Je la reçois de toi, mais si pleine et si belle Que mon premier orgueil me revient avec elle ; Et n’ayant jusqu’ici combattu qu’à demi, Je brûle de t’avoir encor pour ennemi. Après ce que pour moi ta bonté vient de faire ; Ce désir est ingrat, injuste, téméraire, Dont tout autre que toi se pourrait outrager. Mais le grand Alexandre en saura mieux juger. Par ta rare faveur mon âme délivrée Des soupçons qui l’avaient si fort défigurée, Reprend ses sentiments et la noble chaleur De vouloir d’Alexandre éprouver la valeur. Souffre donc qu’un combat achève notre guerre ; Non pour te disputer l’Empire de la terre. Tu peux seul y porter tes désirs justement ; Les Dieux te l’ont promis, et je veux seulement Que quelque grand exploit heureux ou magnanime Avant ton amitié m’acquitte ton estime. Ainsi charmé d’un bien que je n’ose accepter Je ne te combattrai que pour le mériter. Ton dessein me ravit, adieu. Quoi qu’il arrive Suivez ou demeurez, soyez libre, ou captive. Demeurez.     Ah ! Souffrez.         Ah ! Laissez-moi l’honneur De vous tirer des mains d’un illustre vainqueur. Après tant de bienfaits je fais tort à ma gloire. Si je ne vous obtiens des mains de la victoire ; Puis je dois d’autant plus recevoir de l’éclat Du succès, que j’attends de ce dernier combat, Que j’y dois signaler mon devoir et ma flamme, Relever mon Empire et racheter ma femme. Quoi ? Faudra-t-il, Seigneur, après tant de hasards Tenter encore un coup la fortune de Mars ? Cet honneur délicat dont votre âme s’abuse À mon timide amour est une forte excuse. Argire mon devoir ne s’en peut dégager ; Mais n’en redoutez rien qui vous puisse affliger, Adieu. Toi cependant viens voir notre vengeance, Et dans le sang d’Attale amoindrir mon offense. Hé bien Attale est mort.         Phradate m’a tout dit. Et m’a fait de sa mort un fidèle récit. Parle.         Sa trahison était si bien tissue, Que les Dieux seuls pouvaient en détourner l’issue. Je ne vous dirai pas par quelle étrange erreur Il fit naître du Roi la jalouse fureur ; Mais enfin ce fut lui qui sema dans sa tente Des billets à troubler l’âme la plus constante ; Et sût avec tant d’art ses soupçons ménager Que le Roi n’a depuis songé qu’à se venger. Dans la même entreprise il engage Arsacide ; Ils viennent dans ces lieux. Cependant le perfide Avertit Alexandre et couvrant ses desseins Sous des noms inconnus cache les assassins, Afin que dans l’erreur de leur basse naissance Alexandre en tirât une prompte vengeance. Et que lui par leur mort seul maître des soldats Il peut sans nul obstacle usurper vos États. Quelle suite grands Dieux d’attentats et de crimes ? Il croyait que l’amour les rendrait légitimes. Ne pouvant l’obtenir ni du Roi ni de vous. Il voulait l’acquérir par la perte de tous. Déjà depuis longtemps il formait cette trame ; Et le peu de combat que rendit cet infâme Quand il dut vous sauver des mains de Perdiccas, Fut le commencement de ces noirs attentats. Ainsi de ma prison je vous suis obligée. Mais vous n’en n’êtes pas ma soeur trop affligée. Achève.         Cependant par l’absence du Roi Tout le camp se remplit de tristesse et d’effroi. Jusques aux plus zélés tout le monde en murmure, Quelques séditieux passent jusqu’à l’injure : Et gagnés par Attale ils portent les soldats À demander au Roi qui ne les quitte pas. Faisons, dit-il, un Roi qui nous puisse défendre, Et qui sachant fléchir ou combattre Alexandre, Après tant de périls et des travaux soufferts Nous rende à nos enfants, et nous sauve des fers. Ces mots volants partout excitent leur furie ; Araspe s’opposant à la mutinerie Percé de mille coups tombe ; et par son malheur De vos meilleurs sujets ralentit la chaleur. Voyant que résister c’est croître le tumulte : Ils cèdent, et d’abord on s’assemble, on consulte : Attale est élu Roi, ses voeux sont satisfaits. Pour gagner les soldats il leur promet la paix. Est-ce là le succès que tu m’as fait attendre ? Écoutez tout. Croyant l’obtenir d’Alexandre Lui-même il vient l’offrir ; mais il est arrêté Par Porus et par ceux qui l’avaient escorté. Reconnaissant le Roi ; d’abord il perd courage ; Mais aussitôt tournant son désespoir en rage Il crie avec fureur, Aux armes mes amis Voici le plus cruel de tous vos ennemis ; Il vient de vendre aux Grecs vos femmes et vos vies, Mais le Ciel pour punir ces noires perfidies Sans défense en vos mains le livre à cette fois Frappez, et par sa mort confirmez votre choix. Il est hors de saison de s’en pouvoir dédire : Et votre sûreté dépend de mon Empire. Eux cependant pressés de leur noir attentat Par des regards affreux s’animent au combat ; D’autre côté les Grecs voyant leur contenance Pour secourir leur Roi se mettent en défense ; Là Porus à l’objet de cette trahison Sent frémir tout son corps et troubler sa raison. Tout son sang vers le coeur se ramasse et se presse ; Il pâlit ; mais ce sang d’une même vitesse Se répand au dehors avec tant de chaleur Qu’on ne peut de son front soutenir la lueur, Ses yeux étincelants de colère et de flamme Vont porter la terreur jusques au fond de l’âme. Amis, (dit-il) parlant aux Macédoniens, Ce n’est pas me servir que d’attaquer les miens. De leur perfide chef laissez-moi la vengeance. Avec tant de fureur à ces mots il s’avance, Qu’Attale et tous les siens frappés d’étonnement, Confus, épouvantés restent sans mouvement : Mais voyant le Roi seul ils reprennent courage, Soudain pour profiter d’un si grand avantage Font mine d’attaquer. Loin de parer leurs coups Le Roi jette son casque, et se fait voir à tous. Amis (leur crie-t-il) qu’on enchaîne ce traître : Lors Attale tremblant à la voix de son maître Comme un cerf fugitif, qui se sent approcher, Dans la foule des siens tâche de se cacher. Mais en vain ; le Roi suit ; et les siens sans défense Livrent ce criminel à sa juste vengeance. Seul parmi tous les Chefs d’un parti révolté Le Roi pour les dompter n’a que sa Majesté. Mais admirez l’effet de sa force Royale ; Ses plus chers confidents se tournent vers Attale. Et portent contre lui tant de coups inhumains Qu’à grand peine le roi l’arrache de leurs mains. Lors ce traître à ses pieds au point de rendre l’âme Découvre aux yeux de tous son infidèle trame. Tout le monde en frémit, quand d’un ton élevé Grâces (dit-il) destins tout n’est pas achevé. Mon rival Arsacide écumant de furie Il perd avec ces mots et la voix et la vie. Ah ! Mot plein pour mon coeur de menace et d’effroi. Clarice que faisait Arsacide ?         Et le Roi. Porus voyant enfin les deux camps en présence Dépêche aux ennemis avecque diligence ; Et sans perdre un moment leur offre le combat. Là soudain chaque chef anime le soldat. Mais dis-moi promptement que faisait Arsacide ? On l’ignore.         Ma soeur vous êtes trop timide. Il est vrai que l’on croit qu’avec Perdiccas. Ah ! Je t’entends.         Ma soeur ne vous alarmez pas. Porus est donc aux mains ; quel destin est le nôtre ? Sans sortir d’un malheur nous tombons dans un autre. Nous abandonnez-vous et pouvez-vous grands Dieux Veillant pour tout le monde être pour nous sans yeux ? Dieux vous qui contemplez du haut de votre gloire Qui de nous ou du sort emporte la victoire ; Jusqu’à quand voulez-vous croître nos déplaisirs ? Et d’un âpre dédain rejeter nos soupirs ? Mais Phradate revient ; je vois sur son visage D’un malheureux succès le sinistre présage : Hé ! bien le Roi Phradate, ah ! Tu ne réponds pas : Ce silence cruel m’annonce son trépas. Rien ne peut résister au destin d’Alexandre. Tout est perdu, Madame, il est temps de se rendre. Quoi ? Porus est donc mort ; ne me déguise rien. Le Démon de la Grèce est plus fort que le sien. Il vit. Mais las.         Phradate apprends-moi sa disgrâce. Madame ; puisqu’il faut que je vous satisfasse. Aussitôt que le Roi parut aux yeux de tous, On voit tous ses soldats tomber à ses genoux. Renouveler le voeu de leur obéissance, Et d’un cri pitoyable implorer sa clémence. Selon qu’ils avaient pris son parti dans leur coeur. On voit leur front serein, et couvert de frayeur. Et lui par les effets d’une clémence rare Confondre tous les siens, que le crime sépare. Amis (leur a-t-il dit) vous êtes innocents ; Attale a seul failli. Ces mots doux et pressants Les font lever de terre ; et leur cachant leur honte Raniment tous leurs fronts d’une ardeur vive et prompte, Porus en peu de mots les anime au combat ; Leur parle de vos fers, de l’honneur, de l’État, Et sans leur amoindrir le péril, ni croître, Leur disant seulement ce qu’il en faut connaître. Suivez-moi, reprend-il, je vais vous exhorter Par les coups glorieux que mon bras va porter : Il dit. Et cependant Alexandre s’avance ; On voit à même temps ces deux Rois en présence ; Qui sans perdre un moment à se considérer D’une égale valeur se viennent mesurer. Là d’un commun accord une louable rage Dessus ce sang Royal exerce leur courage. L’espoir de la victoire excitant leur ardeur Relève le vaincu, renverse le vainqueur. Tantôt Porus triomphe, et tantôt Alexandre. Mais pressé de tous deux ne sait à qui se rendre, N’ose se déclarer, et laisse en cet instant Le succès du combat incertain et flottant. De ce choc furieux et l’une et l’autre armée Chacune pour son Chef puissamment alarmée, Opposant sa valeur à leurs sanglants efforts Présente à leur courroux tout un monde de morts. Lui fait voir que Hydaspe en ravageant la plaine, Enflé de tant de sang qu’a répandu leur haine, Dans son débordement entraîne à flots pressés Des montagnes de morts l’un sur l’autre entassés. Mais rien ne pût calmer cette funeste envie ; Et leur fureur lassée et non pas assouvie Pour donner à leurs coups plus d’espace et de temps Dérobe l’un et l’autre aux yeux des combattants, Là par l’ardeur de vaincre encore rallumée La valeur de leur sang devient plus affamée. Ils reviennent aux mains avec plus de fureur ; Par des coups redoublés signalent leur valeur ; Et la chute du Roi seulement les sépare. Pour Alexandre enfin le destin se déclare ; Ce Roi tombe à ses pieds ; il veut le relever ; Et descend de cheval afin de le sauver. Ô ! Générosité favorable et funeste, Que je bénis cent fois, que cent fois je déteste. Mais le roi dédaignant un secours ennemi, Ne se croit malheureux ni vaincu qu’à demi ; Et son coeur ramassant le reste de ses forces De ses soins obligeants repousse les amorces. Il fait tout ce qu’il peut, mais son corps abattu Par des coups languissants trahissant sa vertu Et sa faible vigueur semant mal son courage Fait de l’autre côté voler tout l’avantage. Hélas ! Mais pour le moins puis-je bien espérer De le revoir encor.         J’ose vous l’assurer, Les Dieux ont trop de soin de cette illustre vie, Qu’un sort capricieux a longtemps poursuivie. Quoi ? Tu crois que les Dieux qui l’ont persécuté Esclaves d’Alexandre et de leur cruauté Dont l’aveugle fureur ne peut être assouvie Abandonnant sa gloire ayant pris soin de sa vie ? Non, non, pour m’achever ils offraient à mes yeux Son vainqueur teint d’un sang qui m’est si précieux. Le vois-tu pas enflé de l’orgueil de sa gloire, Qui vient à mon malheur étaler sa victoire ? Mais quelle tyrannie, et quelle cruauté. Viens-tu vanter ce coup que ton bras a porté ? Madame.         Achève enfin ; signale ton courage Par les plus noirs degrés où peut monter ta rage ; Et si tu n’as assez de ce malheureux flanc, J’offre à ta cruauté le reste de son sang. Oui, s’il te faut encore Oraxène et Clairance ; Je ne dérobe rien au cours de ta vengeance ; Elle a ravi le père, et doit en ce moment Entraîner les enfants dans son débordement. Reine que faites-vous.         Ah ! Moment plein de joie Ah ! Seigneur se peut-il qu’encore je vous revoie ? Pardonnez, grand Monarque, à l’injuste courroux Que ma douleur séduite a pressé contre vous. C’est elle malgré moi qui m’inspirait ce crime. Votre ressentiment était trop légitime. Ah : Seigneur ! Que de pleurs vous nous avez coûté. Princesses ce vainqueur vous rend la liberté, Il fait plus, il me rend la puissance Royale, Mais avec tant d’excès, que sa main libérale Joint ce que l’Inde enferme à mes anciens États. Il a trop fait pour nous il a fait des ingrats. Nous ne pouvons, Seigneur, étant dans l’impuissance Montrer que par des voeux notre reconnaissance. Je haïrais le sceptre, et le titre de Roi S’il fallait les tenir d’un autre que de toi. Mais pour me consoler du sort de cette guerre, Je n’ai qu’à regarder tous les Rois de la terre. Ils ont tous mérité ta haine ou ta pitié ; Et j’ose me vanter d’avoir ton amitié. Ma perte en cet état vaut mieux qu’une victoire, De ce dernier combat naîtra toute ma gloire, Et bien que je me voie à tes pieds abattu Je suis trop glorieux de t’avoir combattu. Alexandre dont l’âme est toute généreuse, A rendu par son bras ma défaite orgueilleuse. Enfin cet invincible et qui dans les hasards N’oppose que son bras à la fureur de Mars. Ces éloges grand Roi surprendraient Alexandre S’il ne savait la source où vous les allez prendre. C’est de votre vertu, qui fait mille jaloux D’où naissent ces ruisseaux qui retournent chez vous. C’est elle qui fait voir aux plus puissants Monarques De son éclat fameux les plus brillantes marques. Elle vous les inspire, et ne vous en instruit Que par le grand amas qu’elle a déjà produit. Ah ! Seigneurs résistez à leur sanglante envie. Perdiccas.     Arsacide.         Dieux quelle furie ! Qu’est-ce ci Perdiccas.         Arsacide arrêtez. D’où naît ce différend ?         Quoi vous vous emportez ? Qu’il ne prétende pas, ô vainqueur magnanime, De prendre quelque part à cet honneur sublime ; Dont un si grand succès vous couronne aujourd’hui. Il n’a rien fait ni pour vous ni pour lui, Si vous ne permettez que ma propre défaite Rende avec vos exploits sa victoire parfaite ; Mais vous le souffrirez, son honneur vous est cher Et vous ne voudriez pas qu’on peut vous reprocher, Que privé de l’honneur qu’attend votre victoire, Il eut suivi de loin le char de votre gloire, Et que l’on prit enfin ce Prince généreux Pour un témoin oisif d’un combat si fameux. Si votre Majesté pour conserver ma vie Lui défend d’achever sa généreuse envie, Et si votre pouvoir agissant pleinement Songe à me dérober à son ressentiment. Ces soupçons délicats, et mortels à ma gloire D’un reproche éternel souilleraient ma mémoire, Et flétrissant mon nom me feraient voir à tous Indigne des honneurs que j’ai reçus de vous. Quoi ? L’on aurait pour moi des sentiments si lâches ? Et je serais noirci de ces honteuses taches ! Il ne sera pas dit : non il ne dira pas, Que jusqu’à votre tente il poussa Perdiccas, Et que là ne pouvant assouvir sa colère Lassé de tant poursuivre un si faible adversaire Son coeur avec dédain reprochait à ses yeux Une lâche défaite, un triomphe odieux. Quelle aveugle fureur vous pousse l’un et l’autre ? Quel est ce différend qui dure après le nôtre ? Nos discords sont finis vous combattiez pour nous. Mais dans notre combat l’un de l’autre jaloux N’étant pas bien d’accord de tout ce qui s’y passe, À votre Majesté demeure cette grâce, Que ce dernier effort lui soit encor permis. Je veux vous accorder généreux ennemis. Souffrez, souffrez grand Roi que je le satisfasse. Puisqu’il se plaint de moi faites-moi cette grâce. Perdiccas c’est assez me faire demander, Quel est ce différend que je veux accorder ? C’est.... Madame.     Parlez.         C’est que la même flamme Dont son coeur est épris règne dedans mon âme. Il est autant aimé que je puis être amant ; Seigneur, et son bonheur fait mon ressentiment, Clairance me surprit à l’éclat de ses charmes. Quoi Clairance ! À ce mot Prince je rends les armes. Madame, mon esprit justement interdit Cherche encor incertain ce que le Prince a dit. Il est temps de finir votre injuste querelle. Permettez qu’il espère en soupirant pour elle. Un noeud si glorieux et si bien assorti Vous défend d’incliner à tout autre parti. Grand Roi si ma prière a chez vous quelque place. Et si j’ose pour lui demander cette grâce. Puisque vous le voulez en l’état où je suis Vous pouvez disposer de tout ce que je puis. J’accepte avec plaisir cet heureux hyménée. Alexandre et les Dieux vous l’avaient destinée. Prince je vous l’accorde.         Ô ! Justes immortels Que je vous dois de voeux, et d’encens et d’autels. Ah ! Divine Clairance, adorable Princesse. Madame de quel oeil verrez-vous ma faiblesse ? Que dois-je devenir ? Et n’est-ce pas assez Maltraiter un amant pour des soupçons passés. Oui, puisque Perdiccas les rendait légitimes, Et que l’infâme Attale ajoutait à ses crimes Cette fatale erreur qui vous rompait tous deux. Rendons grâce aux bontés d’un vainqueur généreux, Puisse-t-il à jamais plus craint que le tonnerre Faire à tout l’Univers une aussi douce guerre ; Et puissent par son bras cent Princes étonnés Se voir à même temps captifs et couronnés Puisse-t-il en tous lieux et dans chaque victoire Combattre et triompher avec tant de gloire. Aimer si justement ceux qu’il aura soumis, Et rencontrer partout de pareils ennemis.