Lapierre ! Monsieur ? Est-il venu quelqu’un ? Oui, monsieur : cette veuve qui demeure ci près, Madame, Madame... Ah ! Madame de Rupert ? Oui, monsieur, et puis Monsieur le chevalier de Saint-Rieul. Saint-Rieul ? Oui, monsieur. Je ne le connais pas. Ils reviendront tous les deux. Ah ! Tenez, voilà déjà Monsieur le chevalier. Monsieur le chevalier, voulez-vous en vous donner la peine d’entrer ? Monsieur du Bouloir, je suis bien votre serviteur. Asseyez-vous donc, monsieur, s’il vous plaît. Monsieur, je suis capitaine d’infanterie, par conséquent très peu riche : mais j’avais un oncle qui devait l’être beaucoup, parce qu’il était l’aîné de notre famille et qu’il a toujours vécu dans la plus grande économie. Il est donc mort ? Oui, monsieur, il y a six mois. On m’a mandé qu’il n’avait rien laisse : c’est ce qui fait qui je ne me suis pas pressé de venir ; mais, comme il mangeait fort peu, je ne comprends pas ce qu’est devenu son bien. N’a-t-on pas fait un inventaire à sa mort ? Oui, monsieur, mais on n’a rien trouvé. En ce cas-là, monsieur, vous ne pouvez rien demander. Non, vraiment. Mais à qui a été le peu qu’il avait ? À sa veuve, car il n’a jamais eu d’enfants. À sa veuve ? Cela devient différent. Oui, monsieur, d’autant qu’elle est très avare. Il y a tout lieu de croire que c’est elle qui retient ce qui devait vous revenir de votre oncle. Je le crois comme cela. Mais son bien, de quelle nature était-il ? En très bonnes terres : mais tout cela a été vendu, et je crains qu’en l’attaquant elle ne réponde que tout a été dissipé du temps de mon oncle. C’est sûrement ce qu’elle répondra s’il n’y a point eu de remplacement des fonds provenus de la vente de ces terres. Je n’ai point d’argent à manger à plaider, ainsi je suis fort embarrassé. Vous devez l’être en effet. Voilà pourquoi je m’adresse à vous, monsieur, parce que vous êtes voisin de Madame de Rupert, et que... Quoi ! C’est Madame de Rupert ? Oui, monsieur, c’est la veuve en question. Mme de Rupert est très avare, et si elle a envie de vous frustrer je ne suis pas étonné qu’elle n’ait pas voulu placer ces fonds. Il pourrait très bien se faire, si l’on n’a point de connaissance d’acquisitions, de contrats, que tout ce bien ne soit qu’en argent ou en papiers. Et comment le savoir ? C’est très difficile, car c’est là le secret des avares et ils ne le confient à personne. Il n’y a donc aucune ressource ? Non, si vous êtes sûr qu’il n’y a ni fonds ni contrats que l’on connaisse. Ah ! Monsieur, je suis un homme perdu ! Comment ! Ne pouvez-vous pas vivre dans l’emploi que vous avez ? S’il n’y avait que moi, ce ne serait rien : mais, n’ayant plus de ressources, plus d’espoir, d’avoir : rien de la succession de mon oncle, je vais faire le malheur d’une personne que j’aime... Ah ! Monsieur, elle en mourra de désespoir ! Vous ne l’épouserez pas, et elle n’en mourra pas : il n’y a que vous à plaindre dans ce cas-ià. Si j’étais seul, j’aurais bientôt fini mon sort. Vous ne savez pas à quel point je suis malheureux : monsieur, mon état est affreux ! Vous m’épouvantez. J’ai grand besoin de vos conseils, de vos secours... Je crains d’être poursuivi... Quelle affaire avez-vous ? Monsieur, en arrivant à Arras où nous sommes en garnison, j’y devins amoureux d’une demoiselle qui est réellement charmante. À Arras ? Oui, monsieur. J’y connais beaucoup de monde. Eh bien ! Monsieur, c’est la fille du receveur des tailles. Mademoiselle de Piremont ? Oui, monsieur : son père est-il de vos amis ? Beaucoup. Ah ! Monsieur, ne nous trahissez pas, je vous en conjure ! Achevez, achevez. N’ayant point de bien, je ne pouvais espérer de l’obtenir, mais cela ne put diminuer mon amour : j’espérais encore de mon oncle, quoiqu’il n’eut jamais répondu à toutes les lettres que je lui ai écrites lorsque j’appris sa mort, et en même temps qu’il ne m’avait rien laissé. Eh bien ? Les moyens que nous avions pris pour nous voir, Madeoiselle de Piremont et moi, nous ont plongé dans un abîme affreux. Comment ? Elle est devenue grosse : la crainte d’être exposée à la colère de ses parents et son désespoir si je ne voulais l’en sauver en l’enlevant m’ont déterminé à m’enfuir avec elle à Paris, où nous sommes depuis huit jours, et tout prêts à mourir de misère si vous ne trouvez pas quelque moyen de nous en tirer. Monsieur, je n’abuserai pas de votre confiance en moi, et je ne vous ferai point de reproches sur le malheur où vous avez entraîné une malheureuse personne que vous dites que vous aimez. Mais savez-vous à qui vous parlez ? Monsieur... À son oncle, au frère de Monsieur de Piremont. Ah ! monsieur, faites de moi ce qu’il vous plaira, mais je vous en supplie, ayez pitié de votre malheureuse nièce : qu’elle ne soit pas la victime de son imprudence. Je me jette à vos pieds. Monsieur, que faites-vous ? Asseyez-vous et écoutez-moi. Ah ! Monsieur... Les regrets ne feront rien à ce qui est arrivé : voyons le parti qui nous reste à prendre pour tout réparer. Il faut savoir s’il n’y a pas moyen de rien tirer de Madame de Rupert. Je crois en imaginer un. Vous connaît-elle ? Non, monsieur, je ne me suis point présenté à elle avant de savoir si j’avais droit de lui demander. À la bonne heure : si je ne réussis pas, je me charge de tout arranger vis-à-vis de mon frère, d’une façon ou d’autre. Je suis garçon, je ne veux point me marier, j’ai du bien, je le donnerai à ma nièce à condition qu’elle vous épousera. Quoi ! Monsieur ! Point de remerciements... Monsieur, Madame de Rupert est là qui demande à vous parler. C’est justement elle que j’attendais. Monsieur le chevalier, entrez dans ce cabinet : vous en sortirez quand je vous appellerai. Monsieur, permettez... Ne perdons pas de temps. Entrez, entrez là-dedans. Toi, Lapierre, quand je frapperai du pied, tu entreras en criant au feu, et tu diras qu’il est chez l’épicier qui demeure à côté de Madame de Rupert. Oui, monsieur. Tu te tiendras ici dessous : tu entendras bien ? Oh ! Ne vous embarrassez pas. Allons, fais entrer Madame de Rupert et ne dis rien à personne de cela. Non, non, monsieur. Madame, donnez-vous la peine d’entrer. Je ne sais, monsieur, si j’ai l’honneur d’être connue de vous ? Oui, madame, sûrement : j’ai cet honneur-là. Voulez-vous bien vous asseoir ? Monsieur, je n’entends point du tout les affaires : j’ai très peu de bien, je suis une pauvre veuve, bien à plaindre ; le peu que j’avais mon mari l’a mangé. C’est très fâcheux, madame : il ne fallait pas y consentir. Pour une femme raisonnable comme vous, il est étonnant que vous ne l’ayez pas empêché. Monsieur, il est vrai, je l’aurais dit, mais un mari que l’on aime est toujours le maître. Je lui avais apporté en mariage deux cent mille francs. Et il ne vous reste plus rien ? Monsieur, je n’ai eu ni mes rep ni mon douaire, et je suis réduite à vivre de très peu de chose. Mais il n’était pas dissipateur. Monsieur, non : du moins on ne le voyait pas, et il est vrai que ce n’est pas le luxe qui nous a ruinés, mais de mauvaises affaires qu’il a faites toute sa vie, parce qu’il n’y entendait rien et... qu’il a toujours été trompé par des fripons. C’est très malheureux. Sa dernière passion, qui a achevé de nous ruiner, a été sa chimie. On lui avait fait accroire qu’il ferait de l’or, et l’on a mangé tout ce qu’il avait en opérations réitérées, et quand on a vu qu’il n’avait plus de bien, on l’a abandonné. Que vous reste-t-il donc ? Environ deux-mille francs de rente viagère, et voyez, monsieur, comment répondre avec ça à un neveu qui prétend que son oncle est fort riche. Il dit qu’il va arriver : je n’entends point les affaires et suis très inquiète. Mais le bien de votre mari était en contrats, en terres sans doute, ainsi que le vôtre ? Oui, monsieur, mais tout cela a été vendu. S’il ne reste rien en nature absolument, son neveu ne peut rien avoir. Non ! Sûrement. On m’avait dit... Sur quoi voulez-vous qu’il vous attaque si vous êtes en règle ? Si vous avez fait un inventaire, vous le lui présenterez, et s’il veut se porter héritier, il faudra qu’il commence par vous donner tout ce qui vous revient. Vous avez bien de la bonté de me tranquilliser, mais ne me fera-t-il pas des frais, toujours ? S’il va me faire un procès sur ce qu’il me croit plus riche que je ne suis ? Quand il le gagnerait, si vous n’avez rien, il n’aura rien. En ce cas-là je ne le crains pas, Et vous avez raison. Monsieur, je vous ai bien de l’obligation de m’avoir tranquillisée : je sens que j’ai bien fait de venir vous consulter. Au feu ! Au feu ! Au feu. Ah ! Mon Dieu ! Qu’est que c’est que cela ? Où allez-vous donc ? Attendez. Au feu ! Au feu ! Au feu. Lapierre, qu’est-ce que c’est ? Eh ! Monsieur, c’est le feu qui est chez l’épicier ici près. Ah ! Mon Dieu ! C’est à côté de chez moi. Je suis perdue ! Non, non, madame, restez ici : nous allons voir à sauver vos effets. Eh ! Monsieur, ils seront perdu brûlés avant qu’on ait pu les découvrir ! Nous les trouverons, monsieur, à moi. Non, monsieur, c’est dans l’épaisseur du mur, de l’argent, des papiers : laissez-moi aller je vous prie. Comptez sur moi. C’est toute ma fortune : il y a cent mille francs, messieurs. Tranquillisez-vous, ce ne sera peut-être rien. Eh ! Messieurs, je veux y aller absolument. Je vous dis que vous n’avez rien à craindre : vous voyez bien qu’on n’entend pas de bruit. Tout est peut-être volé. Tenez, voyez à la fenêtre : il n’y a pas la moindre apparence de feu. Ah ! Monsieur. Lapierre ! Qu’est-ce que c’est que ce feu ? Il n’y a rien, n’est-ce pas ? Non, monsieur, ce n’est rien. C’est-il bien vrai, mon garçon ? Oui, madame. Ah ! Mon Dieu ! Que j’ai eu de peur ! Je veux aller voir toujours. Madame, il n’y avait point de feu du tout, si vous voulez que je vous dise : ceci n’est qu’une plaisanterie et qui tournera sûrement à bien. Comment ? Oui, j’étais pénétré de douleur de voir qu’une honnête femme comme vous était réduite à avoir si peu de quoi vivre, et, pour m’assurer que vous disiez vrai, je vous ai fait donner cette alarme. Quoi, monsieur, vous êtes capable de trahison pareille ? Madame, ce n’est pas un crime si grand que celui de vouloir retenir le bien d’autrui. Monsieur... Vous avez avoué, dans l’inquiétude où vous étiez, que vous aviez six cent mille francs en argent et en papiers. Moi ? Oui : il n’est plus temps de dissimuler, il faut nous en donner absolument la moitié. Mais, monsieur, c’est un dépôt. Eh bien ! Si c’est un dépôt, je m’en vais faire mettre le scellé chez vous et vous faire renfermer jusqu’à ce que ceux à qui il appartient se présentent : voyez, déterminez-vous. Monsieur, on n’use point comme cela de violence. Pardonnez-moi : on a ce droit vis-à-vis de ceux qui veulent nous ôter ce qui nous appartient. D’ailleurs, voilà monsieur, qui est le neveu ; de votre mari; il est le maître d’en user avec vous comme il lui plaira. Quoi ! Vous êtes le chevalier de Saint-Rieul ? Oui, madame. Où me suis-je fourée ! Madame, consentez à ce que vous propose Monsieur du Bouloir : ceci sera un secret, si vous voulez. Mais, messieus, si j’ai dit six cent mille francs, il n’y a pas cela ; je me suis trompée. Eh bien ! Nous partagerons. Je ne vous donnerai jamais trois cent mille francs. En ce cas, on mettra le scellé comme je vous ai dit, et puis vous raurez que ce qui vous revient de droit. Allons, messieur, venez chez moi puisqu’il le faut absolument. Cela vaudra mieux que de plaider, madame. Ah ! Mon Dieu pourquoi suis-je venue, ici ? Quelles obligations ! Quels services! Vous êtes mon neveu. Finisse cette affaire sans perdre un instant : nous irons chercher ma nièce après, et j’aurai la satisfaction de faire votre bonheur à tous deux ; ne serai-je, pas bien récompensé. Allons, allons.