Passons ici, Monsieur Delamarre ; puisque vous avez à me parler, nous y serons mieux que dans le salon, qu’on va arranger pour le concert. Vous avez concert aujourd’hui ? Oui, ma fille aime beaucoup la Musique, et je ne suis pas fâché de lui donner quelquefois cet amusement-là. C’est très bien fait. C’est d’elle que j’ai à vous parler. Voyons, asseyez-vous. N’avez-vous pas envie de la marier ? Oui, si je trouve un bon parti. Je crois avoir votre affaire. Qu’est-ce que c’est ? C’est un banquier Vénitien, fort riche, qui veut s’établir à Paris. Et combien croyez-vous qu’il ait ? Un de mes amis qui me l’a adressé et qui connaît son bien et ce que lui vaut sa banque, répond qu’il a quarante à cinquante mille livres de rente. Diable ! Ce serait une sort bonne affaire ! Ma fille a du bien ; mais ici je ne trouverais jamais un pareil parti. Comment se nomme-t-il ? Monsieur, Monsieur... C’est un diable de nom en J, dont je ne me souviens jamais ; cela ne fait, rien ; il est assez jeune et pas trop mal fait. Je crois qu’il ne faut pas manquer ce parti-là. Je pense comme vous ; mais comme il connaît peu de monde à Paris, il n’y a rien à craindre. Il y connaît au moins ses correspondants, et ces gens-là, qui sont au fait de ses facultés, peuvent avoir des filles à marier ; ainsi il ne faut pas perdre de temps. Voulez-vous que je vous l’amène aujourd’hui ? Pourquoi pas ? Il doit aimer la musique, et le concert est justement une occasion. C’est très bien dit ; mais c’est que j’ai affaire, et je ne sais pas à quelle heure je pourrai revenir. Et passez chez lui, et s’il y est, envoyez-le moi. Oui, vous avez raison. Je ne perds pas un instant. Je ne vous remercie pas, encore. Vous vous moquez de moi. Revenez le plutôt que vous pourrez. Je ne ferai peut-être pas longtemps. Allons, tant-mieux ; adieu, mon ami, au revoir. Hé bien, Papa, il n’y a pas encore un violon d’arrivé, il n’y a que les Basses, concevez-vous que ces Messieurs se fassent attendre aujourd’hui encore comme la dernière fois ? Ils viendront, ils viendront. Cela est impatientant ! Laissons cela un moment. Permettez que j’aille voir encore. Non, j’ai quelque chose à te dire en attendant. Tu aimes la musique italienne ? Sûrement ; d’abord je ne connais que celle-là. Moi, je ne l’aime pas trop ; mais cela ne fait rien. Je vous réponds que vous finirez par ne vouloir pas en entendre d’autre. Cela se pourra ; mais revenons à notre affaire. Serais-tu fâchée d’épouser un Vénitien, fort riche ? Parle-moi naturellement. Un Vénitien ? Oui, c’est un homme assez jeune, un banquier. Et faudra-t-il aller à Venise ? Non, il vient s’établir à Paris. Pourvu que je ne m’éloigne pas de vous, Papa, tout ce que vous ferez me conviendra très fort. Cela sera décidé dès aujourd’hui ; c’est Monsieur Delamarre qui m’a fait cette proposition, et ce banquier va peut être venir ici dans le moment, même tout seul. Tu le verras. On prétend qu’il a de quarante à cinquante mille livres de rente ; il n’y a pas à hésiter. Sans doute, d’abord que cela est sûr. Oh, très sûr. Un de ses correspondants l’a assuré à Monsieur Delamarre. J’entends quelqu’un ; c’est peut-être lui. Monsieur Octavini. C’est lui-même. Monsieur, donnez-vous la peine d’entrer. Monsieur, est Monsieur de Saint-Hygin ? Oui, Monsieur, et voilà ma fille, qui sera charmée de faire connaissance avec vous. Mademoiselle, je suis votre serviteur. Je suis pas encore bien au fait de la langage de ste pays, mais j’ai purtant entendou dire beaucup de Mademoiselle pour son gût pour notre mousique. Oui, Monsieur, j’aime beaucoup la musique italienne. Je suis bien fâché de n’avoir pas encore été plous longtemps ici. Ah, cela se réparera ; on dit que vous avez envie d’y rester toujours. Oh, tujurs ; je sais pas encore bien autrement. Papa, il a une drôle de voix, ce Monsieur-là. Paix donc. Monsieur, suivant ce qu’on m’a dit, il serait aisé de vous y fixer, et il n’y a personne qui ne voulût s’allier avec un homme aussi honnête que vous ; ma fille a du bien, elle en aura encore davantage, et l’on doit vous avoir dit que je serais charmé pour ma part, que tout cela pût vous convenir. Monsieur, après la concert, vous direz si je chante bien, et puis, s’il vous plaît, l’argent il me fait point, je suis content tujurs de vivre à Paris, par tut ce que j’y ai vous. Le concert n’est pas une chose qui doive nous retarder, je m’en vais envoyer chercher mon notaire qui vous montrera l’état des biens de ma fille. Je n’ai pas besoin de voir. Pardonnez-moi, quand on se marie, il faut bien que toutes ces formalités-là se fassent. Est-ce que ce n’est pas l’usage dans votre pays ? Pardonne-moi ; mais je n’ai point été à des mariages. Mademoiselle il se marie donc ? Oui, si vous voulez. Je ne puis pas empêcher. Il ne sait pas ce qu’on lui dit. Monsieur, je vais vous parler tout naturellement on m’a dit que vous vouliez vous marier. Moi ? Oui, Monsieur, et comme vous ne savez pas beaucoup notre langue, je ne veux pas prendre de détours pour vous dire que si vous voulez épouser ma fille, c’est une affaire faite. Monsieur, je vois bien que c’est un badinage ; c’est pourquoi je dis rien à cela. Non, je ne badine point ; sur ce qu’on nous a dit de vous, nous en serons charmés. Monsieur, je suis veuou pur la concert. Hé bien, vous entendrez le concert. Est-ce que ma fille ne vous plaît pas ? Je dis point qu’il n’est pas jolie ; mais pour la mariage c’est autrement ; vous savez bien que je ne puis pas. Pourquoi, dans votre état il faut se marier en demeurant à Paris, lorsqu’on y veut tenir une bonne maison. Oui, mais Monsieur, je curs peut-être encore dans d’autres pays. C’est une défaite ; si vous avez des engagements ici avec d’autres, c’est différent. Non, je suis point engagé. Si vous n’êtes point engagé, pourquoi ne voulez-vous pas de ma fille ? Vous n’entendez pas bien, je crois, ce que j’ai l’honneur de vous dire. Monsieur, je parle tut de bon. Je suis point pur la mariage. On vous a peut-être dit du mal des femmes de France. Monsieur, pour les femmes, je suis fort charmé de voir en ste pays, mais je puis pas dire. Monsieur, quand vous connaîtrez ma fille, je me flatte que vous penserez différemment, et je ne vois pas pourquoi nous ne finirions pas cette affaire tout de suite. Mais Papa, c’est aussi trop presser Monsieur. Oui, Mademoiselle, il dit bien, et la concert il vaut mieux pur moi. Mais dites-moi, je vous prie, une raison. Monsieur... Monsieur Delamarre... Monsieur Delamarre, il m’a dit de venir ici chanter aujurd’hui, c’est le vérité. Il va venir, ainsi il vous expliquera mieux tout cela que moi. Je entend fort bien ; c’est pur cela que je dis comme il est vrai, certainement. Je n’y comprends rien. Monsieur Delamarre. Ma foi, mon ami, je suis bien fâché, mais on m’a dit que notre homme en question était allé à Saint-Cloud se promener, et qu’il ne rentrerait que ce soir fort tard. Bon, le voilà. C’est Monsieur Octavini. Oui, il dit qu’il ne peut pas se marier qu’il a des raisons qu’il ne peut pas me dire. Quoi ! Vous croyez que c’était... Comment, allez-vous aussi être comme lui, et tout le monde se moque-t-il de moi aujourd’hui ? Non ; mais écoutez-moi. Il a beau dire, je n’entends rien à tout cela, et vous m’avez fait faire des démarches fort désagréables pour un honnête-homme ; enfin on n’aime pas à être refusé, et cela n’est pas convenable. Mais il ne peut pas faire autrement. Pourquoi donc m’avez-vous dit... Monsieur Delamarre, Monsieur, il se fâche contre moi ; je sais pas purquoi. C’est qu’il vous prenait pour un autre. Monsieur Octavini est un célèbre chanteur Italien, que j’ai promis à Mademoiselle de Saint-Hygin de lui faire entendre ; mais que je ne voulais pas lui donner pour mari. Monsieur, vous voyez bien à ste moment. Oui, oui, Monsieur. Allons, allons au concert. Pourquoi ne m’aviez-vous pas dit aussi ? Je ne savais pas ce qui arriverait. Monsieur, il n’est plous fâché avec moi ? Non, non, Monsieur ; et vous avez grande raison, allons, passez, passez.