O Amour, que tu agites mon esprit de diverses inquiétudes ! Charlote, Belle Charlote ! Pourquoy, cruel Amour… Si l’ardeur de la flâme… Faut-il que tu mettes la joye… Que tes beaux yeux par leurs lumieres… A tourmenter les cœurs… Ont jetté dans mon ame… Que tu soûmets à ton empire… Peut estre assez heureuse… Si….. Pour…. Si tu veux montrer ton pouvoir… Pour obtenir de tes bontez… En nous forçant d’aimer… Le bonheur où j’aspire… Pourquoy ne fais-tu pas… Les plus heureuses destinées… Qu’on aime avec plaisir… N’égaleront point ma fortune… Et par quelle…. Mais si toute…. Et par quelle raison, dy-moi… Mais si toute mon ardeur… Veux-tu que tes moindres plaisirs… Tous mes soins et tous mes respects… Soient achetez de tant de peines… Ne peuvent te fléchir… Que les douc….. Oste-toy de là, ne vois-tu pas bien que tu m’interromps ? Je voy que tu m’interromps de mesme. Oüy ; mais je suis un Amant qui ay besoin de cette place pour soûpirer. Je suis aussi un Amant qui ay affaire de ce lieu-cy pour resver à mon amour. Vous estes Amant ? Oüy. Peut-on vous demander, Pasteur, qui est la Bergere que vous aimez ? Helas ! Pasteur, la Personne la plus aimable qui soit en ce Païs. Vous l’appellez ? La Nymphe Charlote. Eh ? Comment ? Vous vous moquez. Moy ! Oüy. Plust au Ciel que je me moquasse, et que cela ne fust point vray ! Vous aimez la Nymphe Charlote, Fille du Notaire du Village ? Fille du Juge du Village. Promise au Marinier Pierrot ? Au Marinier Pierrot. Ah ! Quoy ? Je l’aime aussy. Vous l’aimez aussi, Pasteur ? Oüy, Pasteur ; mais puis-je sçavoir le nom de mon Rival ? Je m’appelle Lignon. Et moi, Pasteur, je m’appelle Jourdain. Helas ! faut-il que deux Fleuves soient réduits à se couper la gorge ensemble ? Et pourquoy cela ? Pour voir qui de nous deux demeurera son Amant. Il y a des Remedes plus humains que cela, si nous voulons nous en servir. Et quels ? Ouy, avez-vous declaré votre amour ? Non. Allons chercher ce rare Objet, pour le prier de choisir de nous deux ; et celuy qui sera refusé, pourra se pendre aprés, s’il le veut. Je consens à cela. Mais la voicy. Belle Nymphe, vous voyez icy deux Fleuves tous deux amoureux de vous. Oüy, nous sommes deux pauvres Amans nécessiteux, qui viennent à vostre Porte vous demander l’aumône de vos bonnes graces. Nous venons mettre entre vos mains nostre diférent amoureux. Vous pouvez regarder, Bergere, qui de moy ou de luy vous voulez accepter. N’avez-vous point veu Pierrot ? Je ne sçay où il est depuis ce matin qu’il s’est mis en Mer avec la Chaloupe. Ah, trois et quatre fois belle et trop belle Beauté, nous n’avons rien veu icy que le mérite des perfections de vos avantages. Cela est vray, belle Nymphe. Pierre ne veut point que j’entende tout cela, et il m’a dit qu’il battra tous ceux qui m’en parleront. Cela seroit bien cruel, belle Nymphe, que nous fussions battus pour vos beaux yeux. Cela est vray, belle Nymphe. Pasteur, pour ne point faire de jalousie entre nous, baisons-luy chacun une main. Pour ne point faire de jalousie entre vous, voila chacun un soufflet. Ah, Bergere, le Ciel vous a-t-il faite si charmante pour estre si cruelle ? Ah, mon pauvre Lignon ! Ah, mon pauvre Jourdain ! Pauvres Fleuves méprisez ! Il se faut pendre aprés cela. Tu as raison, mon pauvre Fleuve, vien que je te pende le premier, et tu me pendras aprés. Non, ne nous pendons point. Je trouve que pour nostre disgrace ce n’est pas assez de se pendre. Ah ! voicy nostre Rival ; retirons-nous, Pasteur, de peur de quelques demeslez. Cela est vray, Pasteur. Pargué Pierrot, tu t’es donc trouvé là bien à point ? Parguenne il ne s’en est pas fallu l’époisseur d’une éplingue qu’ils ne se sayent nayez tous deux. C’est donc le coup de vent da matin qui les a renvarsez dans la Mar. Aga quien, Charlote, je m’en vas te conter tout fin droit comme cela est venu. Car, comme dit l’autre, je les ay le premier avisez, avisez le premier je les ay : Enfin j’esquions sur le bord de la mar moy et le gros Lucas, et je nous amusions à batifoler avec des motes de tarre, que je nous jequions à la teste ; car, comme tu sçais bian, le gros Lucas aime à batifoler, et moi par foüas je batifole itou ; en batifolant donc, pisque batifoler y a, j’ay aperceu de tout loin queuque chose qui groüilloit dans liau, et qui venoit comme envars nous par secousse. Je voyais ça fixiblement, et pis tout d’un coup je voyais que je ne voyais plus rian. Ah Lucas, çay-je fait, je pense que vla des hommes qui nageant là-bas. Voire, ce m’a-t-il fait, t’as esté au trépassement d’un chat, tas la veüe trouble. Palsanguenne, çay-je fait, je n’ay point la veüe trouble, ce sont des hommes ; point du tout, ce m’a-t-il fait, tas la barluë ; veux-tu gager, çay-je fait, que je n’ai point la barluë, çay-je fait, et que se sont deux hommes, çay-je fait, qui nageant droit icy ? çay-je fait ; morguienne, ce m’a-t-il fait, je gage que non ; oça, çay-je fait, veux-tu gager dix sols que si ? Je le veux bian, ce m’a-t-il fait, et pour te montrer, vela argent sur jeu, ce m’a-t-il fait ; moy je n’ay esté ny fou ny étourdy, j’ai bravement bouté à tarre quatre pieces tapées, et cinq sols en double, jarniguenne aussi hardiment que si j’avois avalé un varre de vin ; car je sis hazardeux, moy, et je vas à la débandade, je sçavas bien ce que je faisais pourtant, queuque gniais. Enfin donc je n’avons pas pû tost eu gagé, que j’avons veu les deux hommes tout à plein qui nous faisians signe de les aller querir, et moy de tirer auparavant les enjeux. Allons Lucas, çay-je dit, tu vois bien qu’ils nous appellons, allons viste à leur secours. Non, ce m’a-t-il dit, ils m’ont fait pardre, adonc tant y a qu’à la parfin, pour faire court, je l’ay tant sarmonné que je nous sommes bouté dans une barque, et pis j’avons tant fait cahin caha, que je les avons tiré de liau, et pis je les avons mené cheu nous auprés du feu, et pis ils se sont dépouïllez tout nuds pour se sécher, et pis il en est venu encore deux de la mesme bande, qui s’estians sauvez tous seuls. Vela justement, Charlote, comme tout ça s’est fait. Il y en a donc un, Pierrot, mieux fait que les autres. Oüy, c’est le Maistre. Il faut que ce soit queuque gros Monsieu ; car il a du dor à son habit, tout depis le haut jusqu’en bas, et ceux qui le servons sont des Monsieux eux-mesmes, et stanpandant tout gros Monsieu qu’il est, il se seroit ma figue noyé, si je n’avieme esté là. Ardez un peu. Oh, parguenne sans nous il en avoit pour sa mene de feuve. Est-ce qu’il est encore tout nud, Pierrot ? Nanain, ils l’avon r’habillé devant nou. Mon Dieu, je n’en avois jamais veu s’habiller, que d’histoire et d’angins gorniaux ils boutons, ces Messieus-là : Je me pardrais là-dedans, pour moy, et j’estois tout ébauby de voir ça : Tien Charlote, ils avons des cheveux qui ne tenans point à leurs testes, et ils boutons ça aprés tout, comme un gros bonnet de filace. Ils ant des chemises qui ant des manches où j’entrerien tout brandy toy et moy. En lieu d’audechausse ils portons un garderobe aussi large que d’icy à Pasques. En lieu de pourpoint, de petites brassieres qui ne leur venons pas jusqu’au brichet, et en lieu de rabat, un grand mouchoir de cou à risiau, avec quatre grosses houpes de linge qui leur pendon sur l’estomac. Ils avon itou d’autres petits rabats au bout des bras, et parmi tout ça tant de ribans que c’est grande piquié. Il n’y a pas jusqu’aux souliez qui n’en soiont tous farcy, tout depuis un bout jusqu’à l’autre ; et ils sont faits d’une façon que je me romprois le cou aveuc. Il faut que j’aille voir un peu ça. Oh, écoute un peu auparavant, Charlote, j’ay queuque chose à te dire, moy. Qu’est-ce que c’est ? Vois-tu Charlote, il faut, comme dit l’autre, que je debonde mon cœur, je t’aime, tu le sçais bian, et je somme pour estre mariez ensemble ; mais mordienne je ne suis point satisfait de toy. Qu’est-ce donc qu’il y a ? Il y a que tu me chagrines l’esprit, franchement. Comment donc ? Testedienne, tu ne m’aimes point. N’est-ce que ça ? Oüy ce n’est que ça, et c’est bian assez. Mais tu me dis toûjours la mesme chose. Je te dis toûjours la mesme chose, parce que c’est toûjours la mesme chose, et si ce n’estoit pas toûjours la mesme chose, je ne te dirois pas toûjours la mesme chose. Que veux-tu ? Jernidienne je veux que tu m’aimes. Est-ce que je ne t’aime pas ? Non, tu ne m’aimes pas ; et si je fais tout ce que je pis pour ça. Je t’achette sans reproche des ribans à tous les maciez qui passon. Je me romps le cou à t’aller dénicher des marles. Je fais joüer pour toy les Vielleux quand se vient ta Feste, et tout ça comme si je me frapois la teste contre un mur. Vois-tu, ça n’est ny bian ny honneste de n’aimer pas les gens qui nous aimon. Mais je t’aime aussi. Oüy, tu m’aimes d’une belle dégaine. Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? Je veux que l’on fasse comme on fait quand on aime comme il faut. Mais je t’aime comme il faut. Non, quand ça est ça se voit, et l’an fait mille petites singeries, quand on les aime du bon du cœur. Regarde la grosse Thomase, comme elle est assotée du jeune Robain, alle est toûjours entour de luy à l’agasser, et ne le laisse jamais en repos, toûjours alle luy fait queuque niche, ou ly baille quelque taloche en passant ; et l’autre jour qu’il estoit assis sur un escabeau alle fut le tirer de dessous ly, et le fit choir de tout son long par tarre. Jarny vela où on voit les gens qui aimon ; mais toy tu ne me dis jamais mot ; tés toûjours là comme une vray souche de bois, et je passerois vingt fois devant toy que tu ne te groüillerois pas pour me bailler le moindre coup, ou me dire la moindre chose. Ventredienne ça n’est pas bian aprés tout, et tés trop froide pour les gens. Dame, c’est mon hymeur, on ne peut pas me refondre. Il n’y a hymeur qui tienne, quand l’an a de l’amitié pour les parsonnes, on en donne toûjours queuque petite signifiance. Hé bien, laisse-moy en repos, et vas en chercher quelque autre. Hé bian, vela pas mon conte ; testigué si tu m’aimois me dirois-tu ça ? Qu’est-ce que tu viens aussi me tarabuster l’esprit ? Morgué, queu mal te fais-je ? je ne te demande qu’un peu plus d’amiquié. Eh bien va, ça viendra sans y songer. Touche donc là, Charlote. Eh bien, tien. Promets-moy que tu tascheras de m’aimer d’avantage. Hé, Pierrot, est-ce là ce Monsieu ? Oüy, le vela. Helas, c’eust esté dommage qu’il eust esté noyé. Je revian toute à l’heure, je m’en vay boire chopine, pour me rebou- ter tant soit peu de la fatigue que j’ay euë. Par ma foy il semble que nous n’ayons jamais bû que du vin, et nous voila aussi bien remis que si de rien n’avoit esté ; mais, Monsieur, dites-moy un peu, s’il vous plaist, tous ces vœux que nous avons faits avec tant d’ardeur dans le péril sur la Mer, seront-ils executez avec la mesme ? Tais-toy. Ah ! la jolie Personne, Gusman. La peste, le joly tendron ! Il faut l’aborder. Comment ma belle, un lieu si sauvage peut produire une personne comme vous ? Ah, vous n’estes point faite pour habiter les deserts. Regarde, Gusman, qu’elle est bien prise. Et vous aussi. Est-ce que vous voudriez, ma belle, demeurer toute vostre vie dans un lieu pauvre et inhabité comme celui-cy ? Ho, Monsieur, il y a bien des filles et des garçons dans notre hameau. Il faut que vous quittiez une si triste demeure. Ho, Monsieur, mon pere me vouloit marier au gros Lucas, mais ma mere n’a pas voulu, à cause qu’il me falloit aller demeurer à trois lieuës d’icy avec luy. Sa simplicité me charme : Et qui est-t-il votre pere ? Il est Juge d’icy. Vous estes fille asseurément à vostre âge. On me va marier. Et à qui, ma belle ? A Pierrot qui demeure auprés de cheux nous. Quoy, Pierrot aura ce bonheur- là ? Pierrot possedera ce tresor ? non, non, vous n’estes point destinée pour Pierrot, un rustique, un vilain ; il vous faut un homme comme moy qui vous fasse brave, qui… comment vous appellez-vous ? Charlote, Monsieur. Fy, il faut qu’on ne parle à vous qu’avec respect, et qu’on vous appelle Madame ; n’aimeriez-vous pas mieux estre avec moi ? car, belle Charlote, je vous aime passionnément. O Monsieur, vous ne voudriez pas aimer une petite fille comme moy. Si fait, si fait, je vous en répons. Mais, Monsieur, il faut demander à ma mere. Il est homme d’ordre, et fera les choses dans les formes. Et il ne faut pas que Pierrot le sçache, car il se fâcheroit. Mon Maistre est secret. Pour moy je suis enchanté, quelle taille ! tournez-vous un peu, elle est charmante. O Monsieur, quand j’ay mes habits des Dimanches. Ah ! les belles dents, montrez-les-moy encore de grace ; quel rang de perles, quelles mains, elles sont faites au tour ; quelle blancheur ! O Monsieur, si j’avois sçeu ça, je les aurois lavées ce matin avec du son, elles seroient bien plus blanches. Ma belle enfant, souffrez qu’un baisé…. O Monsieur, ma mere m’a dit qu’il ne falloit pas baiser les hommes, je ne baise pas seulement Pierrot. Tant mieux, ma belle, tant mieux, abandonnez-moy seulement vostre main ; je ne me sens pas de joye et rien n’égale le ravissement où je suis. Tout doucement, Monsieur, tenez-vous, s’il vous plaist, vous vous échaufez trop, et vous pourriais gagner la puresie. Qui m’amene icy cét impertinent ? Je vous dis qu’ou vous teniais, et que vous ne caressiais pas nos accordées. Ah ! que de brüit. Jernidienne, ce n’est pas comme ça qu’il faut pousser les gens. Laisse-le faire aussi, Pierrot. Comment, que je le laisse faire ; je ne veux pas, moy. Ah… Testedienne, parce que vous estes Monsieu, vous viendrez caresser nos femmes à notte barbe ? Allez-vous-en caresser les vostres. Hen. Hen ? Tastigué ne me frapez pas. Oh, jarnigué, ventregué, palsangué, mordienne, ça n’est pas bien de battre les gens, et ce n’est pas là la récompense de vous avoir sauvé d’estre noyé. Pierrot, ne te fasche point. Je me veux fascher, et t’és une vilaine, toy, d’endurer qu’on te cajolle. Il n’y a pas de quoy te bouter en colére. Quement, jarny, tu m’és promise. Est-ce que tu és fasché, Pierrot, que je devienne Madame ? Jarnigué, oüy, j’aime mieux te voir crever, que de te voir à un autre. Va va Pierrot, tu porteras des fromages cheux nous. Ventredienne, je n’y en porteray jamais quand tu m’en poirois deux fois autant qu’un autre ; est-ce donc comme ça que t’escoutes ce qu’il te dit ? Morguienne, si j’avois sceu ça tantost, je me serois bien gardé de le tirer de liau, et je luy aurois baillé un bon coup d’aviron sur la teste. Qu’est-ce que vous dites ? Jarniguenne, je ne crains parsonne. Attendez-moy un peu. Je me mocque de tout, moy. Voyons cela. J’en avons bian veu d’autres. Eh ! laisse-le faire, mon pauvre garçon, et ne luy dis rien. Je veux luy dire, moy. Te voila payé de ta charité. Jarny, je vas dire à ton pere tout ce ménage-cy. Ah, Gusman, que je suis épris de cét aimable enfant ; mais que je crains qu’elle ne reçoive quelque rude reprimande pour moy. Tout de bon, vous tient-elle au cœur ? Oüy, Gusman, et je craindrois plus que la mort qu’elle fust querellée par son pere. Ecoutez, pour servir vostre passion, vous sçavez que j’ay accoûtumé d’entreprendre bien des choses ; laissez-moy faire, j’ay déja beu avec son pere, et ce sont de ces bonnes gens qui font connnoissance en deux verres de vin. J’imagine une piece assez plaisante pour l’intimider et l’empescher de quereller sa fille. Reposez-vous sur moy ; je luy vay mettre mon camarade en teste, et de la façon dont je conduiray la chose, je vous promets de servir vostre amour. Allons seulement faire un doigt de collation. Mon pere, pourquoy me tourmentez-vous ? Est-ce ma faute si j’aime mieux ce Monsieur que ce gros vilain Pierrot que vous me voulez donner ? Allons, petite baboüine, allons, vous aimez donc les Monsieur ; or je vous apprendray que les Monsieur ne sont pas pour vous, et que vous n’estes pas pour eux. Rentrez au logis, et qu’il ne vous arrive plus de songer à d’autres qu’à Pierrot, c’est luy qui sera mon gendre, il a bon mestier, et vous ne sçauriez mourir de faim avec luy. Adieu, qu’on ne m’en souffle pas seulement un petit mot. Voyez-vous, il leur faut des godeluriaux, de ces petits muguets bastis comme des poupées, avec leurs grands cheveux et leurs petites épées ; non sera, non sera vostre Monsieur, le Monsieur ne sera pas pour vous, ma fille. Ah, voicy son Valet de Chambre, c’est le plus honneste d’eux tous, celuy-là, car dés le matin nous avons bû ensemble. Monsieur Gusman, je suis le vostre ; comment vous va ? Fort bien, Monsieur, je vous cherchois. Qu’y a-t-il pour vostre service ? Vous estes un brave homme, vous ; et de toute vostre bande, vous estes celuy que j’aime le mieux. Monsieur, je vous suis bien obligé, et aussi en récompense je vous viens avertir de quelque petite chose qui vous touche. Moy ! Vous-mesme. Et qu’est-ce que ce seroit ? Eh, ce n’est qu’une bagatelle ; mais il est toûjours bon d’y prendre garde. Dites-moy donc, je vous prie, ce que c’est. C’est que l’on vous veut tuer. Me tuer ! Oüy ; mais cela ne sera rien : c’est un drosle qui prend avec un peu trop de chaleur les interests de mon Maistre contre vous, touchant vostre fille ; mais je luy ay bien dit son fait : Ce n’est pas qu’il est méchant comme un diable, et quand il a résolu quelque chose, il faut que cela soit ; mais je luy ay bien juré que s’il més-arrivoit de vostre personne, je sçaurois bien vous en vanger tost ou tard ; c’est pourquoy vous n’avez que faire de craindre. Et oüy da ; mais s’il m’alloit tuer sans vous avertir, je ne laisserois pas que d’estre mort. Chut, ne faites point semblant de rien, et vous tenez un peu à l’écart, le voicy ; vous allez entendre comme je luy vay parler. Gusman, fay-moy connoistre un peu le Juge de ce lieu, qui est le pere de cette jolie Charlote. Pourquoy, Monsieur ? Je viens d’apprendre qu’il veut empescher que mon Maistre l’épouse, et qu’il se vante de le poursuivre par Justice. Il est vray qu’il ne veut pas consentir à ce mariage, parce que sa parole est engagée à un autre. Par la mort, par la teste, par le ventre, si je le trouve, je le veux échigner, deussay-je estre roüé tout vif. Hé, Monsieur, c’est un honneste homme, peut-estre ne vous craindra-t’il point. Luy, luy ? Par le sang, par la teste, s’il estoit là, je luy donnerois de l’épée dans le ventre. Qui est cét homme-là ? Ha, Monsieur, ce n’est pas luy. N’est-ce point quelqu’un de ces amis ? Au contraire, c’est son ennemy capital. Son ennemy capital ? Oüy. Ah ! parbleu j’en suis ravy. Vous estes ennemy, Monsieur, de ce faquin de Juge ? Eh ? Ouy, ouy, je vous en réponds. Touchez-là, touchez ; je vous donne ma parole, et vous jure sur mon honneur par l’épée que je porte, par tous les sermens que je sçais faire, qu’avant la fin du jour je vous déferay de ce maraut fiéfé, de ce faquin de Juge ; reposez-vous sur moy. Monsieur, ces sortes de choses ne sont guéres souffertes, et il y a bonne Justice en cas….. Je me mocque de tout, et je n’ay rien à perdre. Monsieur, ce n’est pas un homme sans amis, et il pourroit trouver quelque appuy contre vostre ressentiment. C’est ce que je demande, morbleu ; c’est ce que je demande : ah, teste ; ah, ventre ; que ne le trouvay-je à cette heure, avec tout son secours ; que ne paroist-il icy à mes yeux au milieu de trente personnes ; que ne le vois-je fondre sur moy les armes à la main ? Comment, marauts, vous avez la hardiesse de vous attaquer à moy ?Allons, morbleu ; tüe, point de quartier ; donnons ferme ; poussons ; bon pied, bon œil. Ah, canaille, vous en voulez par là, je vous en feray tâter vostre saoul. Soûtenez, marauts, soûtenez. Allons, à cette botte, à cette autre, à celle-cy, à celle-là ; comment, vous reculez ? pied ferme, morbleu ; pied ferme. Nous n’en sommes pas. Voilà qui vous apprendra à vous oser joüer à moy. Voilà bien du sang répandu pour une bagatelle. Et bien, Monsieur, vous voyez quel diable d’homme c’est là. Oüy, oh, je me mocque de toutes ses menaces. Ah ventre, jarny, que ne le puis-je trouver ? N’y est-il plus ? Non, non, il est party tout à fait, ne craignez plus rien. Qui, moy ? Oh, en bien faisant on ne craint rien ; et on luy montrera bien les dents quand il le faudra. Oh, je n’en doute pas ! on voit bien que vous estes un homme ferme. Je m’en vais un peu consulter ce que j’ay à faire, et si on ne me conseille rien de bon là-dessus, j’iray assembler le Village, et on sonnera le toxin sur vostre Maistre et sur vous. La peste soit le vieux fou, il nous va attirer icy quelque défluxion sur les épaules. Et bien, Gusman, qu’as-tu fait ? Ma foy, Monsieur, rien qui vaille ; nostre vieillard s’est mutiné, il nous menace du toxin, et cela ne sent rien de bon. Si tous ces diables de Mariniers se mettoient une fois sur nous, garre les coups d’aviron. Si vous m’en croyez, Monsieur, évitez ce désordre, nous ne serions pas les plus forts icy ; rengainez vos amours pour quelque temps, et à la première occasion d’une Barque qui partira nous enleverons vo- stre jeune Charlote sous un habit d’homme, ou quelque autre déguisement ; franchement il n’y a point de jeu avec ces canailles-cy, ils seront toûjours les plus forts ; et quelque grandeur que vous ayez au dessus d’eux, la quantité l’emportera sur la qualité. Laissez-moy raccommoder tout cecy, et vous retirez seulement, je vay tascher de rejoindre nostre vieux Juge, et faire en sorte de le ramadoüer un peu. Va donc, j’abandonne tout à ta conduite ; mais tu ne sçais pas, Gusman, le malheur qui nous accompagne ? Et qu’y auroit-il de nouveau ? Une Barque marchande vient de moüiller icy, et comme la curiosité m’a porté à voir quelles gens estoient dedans, le premier homme qui s’est presenté à mes yeux, devine qui c’est ? Ma foy, Monsieur, je ne suis point Sorcier. Monsieur Dimanche. Monsieur Dimanche ! Quoy ? ce persecuteur de Chrestiens ; ce maudit Marchand qui ne sçauroit laisser vivre en repos ceux qui luy doivent ? Luy-mesme. Par ma foy, Monsieur, il vaudroit presque autant nous estre noyé, que d’avoir encore retrouvé cét homme-là ; et l’avez-vous accüeilly à vôtre ordinaire, par de grands com- plimens et de belles paroles, que vous luy faites passer pour argent comptant ? Je ne l’ay point abordé, je n’ay pas voulu qu’il me parlast devant d’autres Marchands qui estoient là avec luy ; mais je ne crois pas estre long-temps sans le voir ; il m’a veu : et comme je m’esquivois, j’ay bien oüy qu’il s’est informé de moy, en me demandant par mon nom à quelques habitants d’icy. Quel diable d’embarras ! On dit bien vray, qu’un mal-heur ne vient jamais sans l’autre. Nous partons joyeux d’un païs où nous sommes endebtez, pour aller employer nostre crédit ailleurs ; un maudit banc de sable nous fait faire naufrage ; l’amourette vous prend pour une fille promise à un autre ; on nous menace d’amenter tout le village sur nous ; et pour comble de maux nous trouvons Mr Dimanche ; mais ma foy, Monsieur, bon pied, bon œil, le voicy, je le reconnois, vous n’avez qu’à vous bien tenir. Paix, paix ; ne dis mot, écoute seulement, je vay payer d’une monnoye toute nouvelle. Ah, que vois-je ? Mr Dimanche icy ! quelle heureuse rencontre ! Monsieur…. Que je vous embrasse, Mr Dimanche. En verité c’est moy, Monsieur, qui suis trop heureux de vous trouver icy, et j’ay bien de la joye que cela serve d’occasion à vuider… Vrayement j’ay bien du plaisir à vous voir. Monsieur, c’est beaucoup d’honneur que vous me faites ; mais si vous y vouliez joindre une grace, je me trouve icy dans quelque besoin, et…. Comment se porte Madame Dimanche vostre femme ? Fort à vostre service, Monsieur. Je voudrois donc vous prier…. Je suis son serviteur. Monsieur, je disois donc que si vous aviez la commodité… Et vostre fille Mademoiselle Marion ? Elle est en bonne santé aussi, Monsieur ; mais…. C’est une aimable enfant. Elle est bien vostre petite servante, Monsieur ; je… Et qui est vrayement bien sage. Oh, Monsieur, vous vous moc- quez d’elle. J’ose prendre la liberté de vous dire, Monsieur, qu’une certaine Lettre de Change que je dois acquiter dans peu m’oblige…. Et vostre petit garçon fait-il toûjours bien du brüit avec son tambour ? Oh, Monsieur, il est assez semillant. Or ça, si vous vouliez que nous parlassions un peu…. Il vous ressemble comme deux goutes d’eau. Voyez-vous, Monsieur, dans le negoce si nous ne payons à jour nommé, on proteste d’abord contre nous ; c’est ce qui fait, Monsieur, que nous importunons quelquefois nos debiteurs ; et comme vous m’avez fait l’honneur de prendre…. A propos, vostre petit Chien est-il encore en vie ? Il s’interesse pour toute la famille. Monsieur, tout se porte fort bien. En vérité j’en suis fort joyeux, et je vous veux prier de les embrasser tous deux pour l’amour de moy, quand vous retournerez chez vous. Monsieur, si auparavant vous trouvez bon que nous…. Adieu Mr Dimanche, que je vous embrasse. Monsieur… Je ne vous laisseray point là. Mais Monsieur… Je sçay trop ce que je vous dois. Et oüy Môsieur, d’accord, mais le besoin… Allons, allons, permettez-moy de vous conduire. Monsieur, la necessité de payer… Je ne vous laisseray point là, vous dis-je. Mais si… C’est perdre le temps. Je… Vous vous moquez. Point du tout. Hola, hé ? des Flambeaux, et reconduisez Mr Dimanche. Quel diable d’homme est ce cy ? Orça, me payerez-vous de la même monnoye, vous, Mr Gusman ? Plaist-il, Monsieur ? Je vous demande s’il vous souvient bien que vous me devez en vostre particulier pour quarante écus d’Etoffe que je vous ay livré ? Comment se porte Madame Dimanche ? Oh je n’entens pas raillerie, et… Et vostre petit Chien ? Il vous ressemble comme deux goutes d’eau. Allons donc, je ne vous laisseray point là. Je vous reconduiray, je sçay trop mon devoir. Vous vous moquez. Sortez donc, s’il vous plaist, ou que le Diable vous emporte. Bonsoir et bonne nuit. Belle maniere de payer ses Creanciers. On ne nous rapporte ny argent faux, ny Pistoles légeres. Mais voicy mon vieux Juge avec son Gendre prétendu ; tâchons de détourner l’orage qu’ils nous apprestent. Pour moy je ne trouve rien de meilleur pour nos affaires que de crier haro sur ce diable de Monsieur qui veut tuer les Hommes, et prendre les Femmes. Palsangué, faites comme moy, je criërons l’allarme. Et qu’y a-t-il, Messieurs ? à quoy bon tout ce vacarme ? Vous inquietez-vous ? J’ai tourné l’esprit de mon Maistre tout comme vous le souhaitez ; il ne s’oppose plus à vostre mariage, au contraire il prétend estre de la noce. Il en payera le Festin, et mesme il se retient pour estre le Compere au premier Enfant que vous aurez. Oh, pargué, vela un honneste homme cela. Oh bian vous ly diré pour l’amour de cela que je sommes son sarviteur, et que j’allons décrier l’allarme et boire à sa santé. Venez payer chopaine.