Cette Pièce est d’un caractere si singulier, qu’il y avoit lieu de craindre qu’elle ne fût pas au goust de tout le monde ; il est aisé de se perdre lors qu’on veut s’écarter des routes ordinaires : Cependant je dois estre assez content du succez de Zaïde. Ce n’est pas qu’on n’ait fait beaucoup de remarques tres judicieuses, & qu’il n’y ait beaucoup de fautes que j’ay connuës moy-mesme & dont je suis tombé d’accord avec les gens de bonne foy ; mais je ne pense pas que quelques legeres imperfections doivent faire condamner un ouvrage. Quelques-uns m’ont reproché que j’ay mal suivi mon histoire, & ils n’ont pas pris garde que je n’ay point d’autre histoire que celle que j’ay voulu me faire. Zaïde est une pure invention, dont il n’y a aucun fondement dans l’Histoire de Grenade. Les noms des Zegris, & des Abencerrages, & cette haine celebre entre leurs deux familles sont les seules choses qui ont quelque apparence de verité ; tout le reste est imaginé. J’ay crû que je pouvais hazarder cette espece de Roman sur le Theatre, où il y a longtemps qu’on est ennuyé de ne voir que des Romains & des Grecs : J’ay choisi la Nation la plus avanturiere du monde, afin que la vraysemblance ne fut point blessée par la nouveauté d’un rôle de femme en homme qui soutient toute une piece. D’autres dont le métier est fort opposé à la profession des belles lettres, & qui ont pourtant dans leurs jugemens toute la fierté qui accompagne d’ordinaire les demy sçavans, se sont élevez contre les sacrifices, les Dieux & les Prestres, expressions Poëtiques & figurées, dont j’ay voulu orner cette Piece : S’imaginent-ils que je n’aye pas sceu quelle estoit l’origine des Maures de Grenade, Peuples sortis de l’Arabie, où la premiere Religion estoit la Payene. Le Mahometisme succeda au culte des faux Dieux, mais il ne l’abolit pas si entierement qu’il n’en restât encore dans les derniers siecles quelques vestiges, mesme à Grenade. De la vient que presque tous les vieux Romanciers, qui ont parlé des Grenadins, les ont fait Payens, & leur ont donné plusieurs Dieux, dont ils en nomment mesme quelques-uns de noms assez bizares. J’ay crû que leur exemple m’authorisait assez dans une piece, où comme j’ay déja dit, il n’y a rien d’historique, & où les faux Dieux & l’idée des sacrifices font un assez agreable ornement. Voila les deux objections qui ont fait le plus de bruit dans le monde. Je pense y avoir assez bien répondu, & je croy qu’on me dispensera volontiers de faire une grande dissertation pour répondre aux autres qui m’ont paru de moindre consequence : Les Prefaces ne sont guere de mon goust, & il me semble que celle-cy est déja trop longue. Par grace & privilege du Roy, donné à saint Germain en Laye le treiziéme de Mars 1681. signé par le Roy en son Conseil, GAMART : Il est permis au Sieur de la Chapelle de faire imprimer, vendre, & debiter par tel Libraire ou Imprimeur qu’il voudra choisir une Tragedie de sa composition, intitulée, Zaïde : Pendant le temps de six années, à compter du jour qu’elle sera achevée d’imprimer pour la premiere fois ; & défence sont faites à toutes personnes de l’imprimer ou faire imprimer, vendre ny debiter d’autre Edition que celle de l’Exposant, ou ceux qui auront droit de luy, à peine de trois mille livres d’amende, confiscation des exemplaires contre-faits, & de tous dépens, dommages & interests ; ainsi qu’il est porté plus au long par lesdites lettres de privilege. Et ledit Sieur de la Chapelle a cedé & transporté son droit de Privilege à Jean Ribou pour en joüir par luy, suivant l’accord fait entr’eux. Registré sur le Livre de la Communauté le dix-huitiéme jour de Mars 1681 ; Achevé d’imprimer pour la premiere fois le vingtiéme de Mars 1681. La princesse Fatime, Osmar, est chez le Roy ? Tu dis qu’en la quittant il veut parler à moy. Et qu’icy pour me voir il doit bientost se rendre. Oüy, Seigneur         Il suffit, Osmar, je vais l’attendre. Tu t’étonnes, Amy, des honneurs qu’on me rend. Ma nouvelle grandeur, je le voy, te surprend. Quand tu quittas Grenade, où sortis de l’Afrique Les Maures ont fondé ce Palais magnifique : Sans amis, dépoüillé du rang de mes ayeux, Seul, mais foible heritier d’un nom toûjours fameux, Je rampois inconnu dans la foule importune Qu’assemble autour des Roys l’éclat de leur fortune. Cette haine celebre entre deux noms puissans, Qui depuis plus d’un siecle arme leurs partisans, M’exposoit chaque jour à de nouveaux outrages, Et les Zegris cedoient aux fiers Abincerages. Déjà mon desespoir m’entrainoit à la mort, Lorsque le Roy touché de mon funeste sort Jetta sur mes malheurs un regard favorable, Sa bonté rappella dans son cœur équitable Des Princes mes ayeux la valeur & la foy, Et bien-tost les voulut recompenser en moy. Il daigna m’appeler aux soins du ministere, Où le fier Alamir mon plus grand adversaire Voit déjà mon pouvoir independant du sien. L’Armée est son partage & l’Etat est le mien. Mais, dis-moy, que fait-il ? instruit de ton voyage ; En sçait-il les raisons, t’a-t’il veu sans ombrage ? L’as-tu bien observé, d’un si fameux vainqueur Penses-tu que Fatime occupe encor le cœur ? Paroist-il inquiet, parle-t’il souvent d’elle ? As-tu sçu le tromper ; la croit-il infidelle ? Envoyé dans son camp par mes ordres exprés, Quels soins as-tu donnez à mes desseins secrets ? N’en doutez point, Seigneur, il est toûjours le mesme Il craint son inconstance, & cependant il l’aime, Des bruits que j’ay semez trop vivement frappé, De mille soins jaloux de craintes occupé Il veut par son retour confondre une infidelle. Il revient.         Quoy sans ordre, & sans qu’on le rappelle. Abendax il revient, il se pert, c’en est fait. Oüy, Seigneur, vos desseins auroient eu leur effet Si le rare bonheur qui par tout l’accompagne, Ne vous le ramenoit triomphant de l’Espagne. En vain les Roys liguez & les peuples unis Armoient contre nous seuls un monde d’ennemis. Leurs troupes, leurs ramparts , & leurs vastes rivieres N’ont pû nous opposer que de foibles barrieres. Vaincus en cent combats, dispersez & défaits, Ils offrent un tribut, & demandent la paix. Quoy qu’ait fait Alamir, cette grande victoire Met trop en asseurance & ses jours & sa gloire. Non, ne croy pas que rien excuse son retour, Je le voy bien, amy, tu connois mal la Cour : Des services passez on a peu de memoire, Plus les sujets fameux se sont acquis de gloire, Plus ils sont enviez, & moins leurs grands exploits Les mettent à couvert de la rigueur des loix. Il est perdu, te dis-je.         Hé bien par sa disgrace, Le destin à vos vœux offre une auguste place ; Que la mort soit le prix de sa temerité, Vous l’avez souhaité.         Moy, je l’ay souhaité ? Et n’est-ce pas, Seigneur, pour servir vostre haine, Pour rendre d’Alamir la perte plus certaine, Que je fus envoyé dans son Armée ?         Helas ! Vous soûpirez: Qu’entens-je ? Hé quoy n’avez vous pas Toûjours pour Alamir cette haine mortelle… J’ay cent fois éprouvé ta prudence & ton zele, Et je vais confier des secrets à ta Foy, Amy, qui ne sont sceus que des Dieux & de moy. Je les tairois encor si mon ame étonnée Pouvoit vaincre ou changer la triste destinée ; Mais par un cruel sort blessé de tous costez, Pour détourner ses traits j’implore tes clartez. Aprens donc de mes jours le secret déplorable, Au milieu des honneurs, dont tu voy qu’on m’accable, Parmy tant de grandeurs, sous ces titres pompeux, Qui semblent relever le nom de mes ayeux, Et soutenir l’espoir d’une illustre famille ; Enfin sous cet habit tu ne vois qu’une fille. Quoy vous, Seigneur ?         Ecoute, & me laisse parler. Je penetre, je voy ce qui peut te troubler : Ce fut toy qui pris soin d’élever mon enfance, Mais mon pere aisement trompa ta vigilance, Déjà vieux, sans enfans, seul du nom de Zegris ; Dans un fécond hymen il crut trouver un fils, Et d’Armire à la sienne unit la destinée ; Je fus l’unique fruit de ce triste hymenée. Ma mere dont encor, je pleure le malheur, En me donnant la vie, expira de douleur. Mon pere qui voyoit d’un fier Abincerrage Ses biens par ce revers devenir le partage, Cacha son desespoir, & mon sexe avec soin. De ma triste naissance un esclave témoin, Fut le seul confident de ce vain artifice, Dont aujourd’huy les Dieux confondent l’injustice : Enfin de cent Heros on me crût l’heritier, Tu m’apris à domter un superbe Coursier. Tous les jours au travers d’une épaisse poussiere, On me voyoit fournir une noble cariere. La chasse estoit l’objet de mes plus chers desirs. L’arc & les javelots faisoient tous mes plaisirs. Je vivois dans les bois, & souvent croyois estre Ce que mesme à tes yeux j’affectois de paroistre. Je trompay tes regards, ceux du Roy, de la Cour, Heureuse si j’avois aussi trompé l’amour. Mais je vis Alamir dans ce jour plein de gloire… Jour qui sera long-temps present à ma memoire. Il revenoit suivy d’Ennemis enchesnez, De Generaux captifs, de Princes détrônez. Ses Soldats à l’envy sur leurs armes brillantes, Etaloient des vaincus les dépoüilles sanglantes. Il marchoit entouré de faisseaux, d’étandarts ; Fier sans estre orgueilleux, tel qu’on peint le Dieu Mars. Auguste dans son port, sans art& sans contrainte, Imprimant aux mortels le respect & la crainte. Il n’estoit point chargé d’un vain ajustement ; Son nom fameux estoit son unique ornement. Abendax, je le vis, je sentis dans mon ame… Que dis-je, en le voyant j’appris que j’estois femme. Surpris, confus, troublé de ce déguisement, A peine je reviens de mon étonnement. Qu’entens-je ! Zulemar est une fille ! elle aime ! Hé qui ? Quel est l’objet de son amour extrême ! Grands Dieux ! c’est Alamir l’ennemy des Zegris ! Avez vous oublié ses injustes mépris ? Ne vous souvient-il plus de la haine d’un pere, Songez qu’elle doit estre en vous hereditaire. Que dis-tu ? cet amour qui cause ton ennuy, Encor plus que ma haine est funeste pour luy. Tu le vois, insensée, envieuse, cruelle, J’ay voulu qu’Alamir crût Fatime infidelle. Mes vœux sont exaucez, tous tes traits ont porté, Il revient de fureur & d’amour agité. Gloire, devoir, respect, danger rien ne l’arreste, Par ce retour sans ordre il expose sa teste. Un Roy fier & jaloux de son authorité, Opposera les Loix à sa temerité. Oüy déja sous ses pas s’ouvre le precipice. Mal-heureuse, & c’est moy qui l’entraîne au supplice ; Ce sont mes faux avis, c’est pour les avoir crus, Si je le haissois, pourois-je faire plus ! Le Roy vient ; cachez luy vostre flâme alarmée. Scavez-vous qu’Alamir a quitté mon Armée, Qu’il revient en ces lieux sans mon ordre ?         Oüy, Seigneur. Il faut pour satisfaire à ma juste fureur, De ce presomptueux humilier l’audace : Zulemar, que l’effet devance la menace, Prenez ma Garde, allez l’arrester aujourd’huy, Qu’une obscure prison me réponde de luy. Luy, Seigneur, qu’en tous lieux la victoire accompagne ; Son bras vient d’affermir vostre Empire en Espagne, L’Etat à sa valeur doit ses prosperitez, Adoré des Soldats & du Peuple….         Arrestez. Ce n’est pas un avis qu’icy je vous demande, Zulemar, apprenez qu’un Roy lors qu’il commande, Veut de l’obeïssance, & non pas des raisons ; Vostre esprit va trop loin chercher de vains soupçons. Prenez ma garde, allez que rien ne vous étonne, Partez, obeïssez, c’est moy qui vous l’ordonne. Dust mon refus, Seigneur, m’exposer à la mort, Lors que vostre bonté daigna porter mon sort, Du neant où j’estois, au comble de la gloire ; La Loy la plus presente encor à ma memoire, Que vous sceûtes prescrire à ma sincerité, Ce fust de ne jamais farder la verité, Voicy le temps, Seigneur, d’en faire un digne usage ; Voyez à quels dangers cet ordre vous engage ? Alamir est coupable, il est vray, ses exploits Ne peuvent le sauver de la rigueur des Loix, Son sang doit effacer son retour temeraire, Vous pouvez le punir ; mais le devez vous faire ? Songez que la clemence est la vertu des Roys, Qu’il est des attentats contre certaines Loix, Que souvent moins jaloux des droits de la couronne, Il faut qu’un Roy prudent dissimule ou pardonne. Alamir ne vient point les armes à la main Refuser ce qu’il doit au pouvoir souverain. Si l’on en veut, Seigneur, croire la renommée, Pour un soin amoureux il quitte vostre Armée : L’amour sur son devoir luy fait fermer les yeux, Et Fatime est l’objet qui l’appelle en ces lieux. C’est elle….         Ah ! Zulemar, que me venez vous dire. Je le voy, ces raisons ne peuvent vous suffire, Vous n’en croirez, Seigneur, qu’un trop ardent couroux. Gardes, qu’on se retire ; Abendax, laissez-nous. Quoy qu’ait fait d’Alamir la valeur sans seconde, Eust-il sauvé l’Etat, fust-il vainqueur du monde, Rien ne l’arracheroit aux rigueurs de la Loy, Si le Ciel ne m’avoit fait naistre que son Roy ; Mais je suis son Rival. Fatime a sceu me plaire, Voila ce qui suspend la mort d’un temeraire, Que l’on imputeroit dans la posterité Plûtost à mon amour qu’à la temerité : Mais lors que ma colere est à demy calmée, S’il ne va sans me voir retrouver mon Armée, Si ce presomptueux ne rentre en son devoir, Si sa presence encor vient braver mon pouvoir, Il n’est auprés de moy rien qui le justifie, Et le moindre refus luy coustera la vie ; Confident de mon cœur, seur de mes volontez, Pour instruire Alamir de mes ordres, partez. Songez bien quel devoir vous presse l’un & l’autre, Retourner est le sien, l’y resoudre est le vostre, Il importe à tous deux d’estre exacts : pensez y, C’est ce qu’ordonne un Roy qui veut estre obeï. Qu’entens-je ! A quel employ me vois-je destinée ? J’aime Alamir : Pour moi sa haine est obstinée, C’est peu de cet amour qui pourra l’irriter ; On me choisit encor pour le persecuter, A son cœur mal-heureux on porte un coup terrible, On prend pour le frapper l’endroit le plus sensible ; Par un funeste Arrest il le verra percer, Et c’est ma bouche, helas !qui doit le prononcer ! Ah Dieux !combien par vous ma vie est traversée ! Vos rigueurs…Mais que dis-je !& quelle est ma pensée ! Fatime tient toûjours Alamir sous sa loy, Tant qu’il vivra pour elle, il ne peut estre à moy : Tantost dans mes projets, pleine d’impatience, Je voulois de leurs cœurs rompre l’intelligence. Mal-heureuse ! Hé de quoy te plains-tu, quand ces Dieux, Mieux que tu n’aurois crû répondent à tes vœux, A l’amour d’un Monarque, à son pouvoir supréme, Il faudra qu’Alamir cede tout ce qu’il aime ; Ce divorce à mon cœur offre un heureux succez, Ma flâme auprés de luy trouvera plus d’accez ; Cette haine qu’il a pour toute ma famille Pourra se dissiper à l’aspect d’une fille. Helas !où m’emportay-je !à cet espoir flateur ! O Ciel !m’est-il permis d’abandonner mon cœur ? Oüy, pour le confirmer allons trouver Fatime ; Allons vanter du Roy la precieuse estime, L’éclat du Diadême aura….Mais je la voy. Dois-je croire, Seigneur, ce que m’apprend le Roy : Alamir s’est trouvé digne de vostre estime, Vous opposez vos soins au destin qui l’opprime ; Je veux bien l’avoüer, je tremblois pour ses jours ; Mais le Roy s’est laissé flechir à vos discours, Achevez, détournez le coup qui le menace. Et quel autre que vous peut obtenir sa grace ? S’il faut calmer du Roy l’implacable couroux, Madame, desormais qui le peut mieux que vous. Moy, Seigneur ?         Vous, le Roy ne veut plus que j’ignore Les secretes bontez dont son chois vous honore, Sa main répand sur vous, rang, titres, dignitez, Bien-faits, moins glorieux que vous ne meritez, Et je viens avec joye à ces grands avantages, Rendre mes premiers soins, & mes premiers hommages. Les bontez, les bien-faits, l’empressement du Roy, Le temps que chaque jour il passe auprés de moy : Ses regards, ses soûpirs, & son silence mesme, Tout me dit, tout m’apprend, tout confirme qu’il m’aime : Cependant oseray-je à vostre esprit discret, De mon bizare sort confier le secret ? Le Ciel ne m’a point fait une ame ambitieuse, Et l’espoir de regner ne me rend point heureuse. Le Roy m’accable en vain, de biens à tous momens, Je ne sens point pour luy ces tendres mouvemens, Dont les Amans se font de douces habitudes, Soins de plaire, transports, craintes, inquietudes, Je souffre sans regret qu’il s’éloigne de moy ; Mon ame est sans plaisir lors que je le revoy, Distraite auprés de luy, tranquille en son absence, Ce qu’il dit, ce qu’il fait ne me plaist ny m’offense ; Non que rien ait caché son merite à mon cœur, L’air grand, jeune Heros, tendre Amant, Roy vainqueur ; Je connois tout le prix de sa personne auguste, Et mon aveugle erreur ne me rent point injuste ; Mais qui peut de l’amour éviter le poison ? L’ame est-elle toûjours soumise à la raison ? Le Roy par ses bien-faits n’aspire qu’à me plaire ; Je le voy, je le sçay ; tout ce que je puis faire, C’est malgré mon penchant de voir avec ennuy Les foiblesses d’un coeur qui n’est pas fait pour luy. Quoy, Madame, un Heros que les mortels admirent, Pour qui mille beautez secretement soûpirent ; Puissant, heureux, vainqueur de cent Peuples divers, Est-il donc un captif indigne de vos fers ? Mais de vostre froideur je penetre la cause, A l’amour de ce Prince, un autre amour s’oppose Alamir….         Oüy, Seigneur, il a sceu me toucher, Il m’a plû, je ne veux, je ne puis m’en cacher, Sa grande ame a la gloire uniquement sensible, Au milieu des flatteurs, constante, incorruptible, Cette droite vertu, cette intrepidité, Ce mépris des honneurs, cette sincerité : Enfin mille raisons me le rendoient aimable, Je croyois mon amour, fidelle, inviolable ; J’en attestois des Dieux le pouvoir absolu, Mes yeux, alors, mes yeux ne vous avoient pas veu. Moy, Madame ?         L’aveu qu’icy je vous confie, Offense le devoir, blesse la modestie : Avant que d’en venir à cette extremité, Quels efforts, quels combats ne m’a-t’il point coûté. Croyez, lors que l’amour prend sur nous trop d’empire, Qu’il n’est rien qu’on ne souffre avant que de le dire ; Un destin rigoureux m’entraîne malgré moy. Mais n’en redoublez point le trouble où je vous voy : Si j’ai trop de mes feux montré la violence, Je sçauray m’en punir par une longue absence, Et mon cœur trop sensible à ces folles amours, Vous les dit une fois pour les taire toûjours. Elle me quitte. Où suis-je, & que viens-je d’apprendre ! Juste Ciel….Ah ! sçais-tu ce qu’on m’a fait entendre ! Fatime…Mais suy moy, sortons de ce Palais : Abendax, viens m’entendre en des lieux moins suspects. Heureuse si les Dieux finissent la contrainte… Avant que vostre cœur s’abandonne à la plainte, Aprenez d’Alamir le retour en ces lieux ; Ce heros qu’on plaçoit au rang des demy Dieux, Qui voyoit autrefois retournant de l’Armée, Au devant de son char voler la renommée  ; Et le zele empressé d’un Peuple adorateur Parfumer son chemin, exalter sa valeur, Accablé maintenant d’une douleur profonde, Sans pompe, sans honneur, & fuy de tout le monde, Inquiet, étonné, revient, entre sans bruit, A peine accompagné d’un amy qui le suit. Ah Ciel ! ma jalousie a formé cet orage ! C’est elle qui le pert, & voilà mon ouvrage : Grands Dieux ! de qui dépent le destin des humains, Si vous desaprouvez mes innocens desseins, Detournez d’Alamir ce couroux formidable, Epuisez tout sur moy, je suis seule coupable, Mais, Abendax, sortons ; viens apprendre de moy Ce que m’a dit Fatime, & ce que veut le Roy. Non, ne nous flattons point d’une vaine esperance, Plus mes exploits sont grands, plus mon retour l’offense ; J’ay vaincu, mais je viens sans son ordre en ces lieux, Et je ne montre enfin qu’un coupable à ses yeux, Je ne m’aveugle point sur ma triste conduite, Je sçay quel est mon crime, & j’en prevoy la suite ; Mais qu’il me fasse grace, ou m’envoye à la mort, Je verray du mesme œil & l’un & l’autre sort. Pourquoy de ce retour aprés vostre victoire, Vous faites vous, Seigneur, une image si noire ; Si les Dieux & les Roys ne pardonnoient jamais, Les mal-heureux mortels pourroient-ils vivre en paix ? Non, le trouble où tu vois que mon cœur s’abandonne, N’est point d’un mal-heureux que le suplice étonne ; Mais de tant d’ennemis, triomphant & vainqueur, Puis-je me regarder moy-mesme sans douleur ? Lors qu’il faut qu’un pardon honteux à ma memoire, Soit pour sauver mes jours le prix de ma victoire, Vous qui prenez plaisir à former de vos mains Quelques mortels plus grands que les autres humains. A quelles passions, Dieux ! à combien d’outrages. Sans cesse exposez-vous vos plus nobles ouvrages. Gazul on nous éleve au rang des immortels, Par tout à nos vertus on dresse des Autels, Mais Helas ! tost ou tard nous détrompons les hommes, Et toûjours quelque foible aprend ce que nous sommes : De cette triste Loy, moy-mesme à nos neveux, Cher amy, je vais estre un exemple fameux, J’abandonne l’Armée, & je trahis ma gloire, Pour des raisons qu’un jour on aura peine à croire. Je l’avoüeray, Seigneur, puis que vostre bonté Me donne auprés de vous entiere liberté, Plus sur vostre retour en secret je medite, Plus cherchant vos raisons, mon ame est interdite. Je sçay que Zulemar, jeune, presomptueux Des passions du Roy, flatteur, respectueux, Nouveau dans les secrets du grand art Militaire. Et pour toute vertu, sçavant en l’art de plaire ; Depuis six mois à peine à la Cour arrivé, Est déjà par la brigue aux employs élevé, Son credit vous irrite, & par vostre presence Vous venez balancer sa nouvelle puissance. Tu fais à ma foiblesse encore trop d’honneur, L’ambition n’est pas ce qui trouble mon cœur : Je suis, je l’avoüeray jaloux de cette gloire, Qui fait vivre à jamais les grands noms dans l’Histoire. Dés ma plus tendre enfance ennemy du repos, Je me suis proposé l’exemple des Heros, Pour la faveur des Roys qu’au gré de leurs caprices, Ils accordent souvent à de legers services ; J’en cede l’avantage aux moindres Courtisans, Qui sçavent mieux que moy prodiguer leurs encens : Je n’ay point crû flatté d’un espoir temeraire, Estre seul à l’Etat, & toujours necessaire Pour commander l’Armée, & dispenser ses Loix. Le Roy peut honorer Zulemar de son choix, On ne me verra point par de secretes brigues, De l’heureux Favory détruire les intrigues ; Son credit n’aura rien de chagrinant pour moy, Et ma seule vertu me tiendra lieu d’employ, Tels sont mes sentiments, telle est ma politique, Et je pense en effet ce que ma bouche explique. Cependant ce cœur plein de ces grands sentimens, A toutes les erreurs des plus foibles Amans ; Oüy, dans ces lieux, Gazul, c’est l’amour qui m’entraîne, Captif, trop glorieux pour une telle chaîne. Seigneur, que dites-vous ?         Non, je ne rougis pas D’avoir d’une Princesse adoré les appas : Il n’est point de vertu que l’amour ne surmonte, Fatime m’ecoutoit, j’ay pû l’aimer sans honte, Mais que l’amour sur moy prenne tant de pouvoir, Qu’une crainte, un soupçon m’arrache à mon devoir, C’est-là le seul moyen que je preste à l’envie, Pour ternir quelque jour tout l’éclat de ma vie. Seigneur, je voy Fatime, elle vient en ces lieux. Que voy-je, est-ce Alamir, en croiray-je mes yeux ? Sans suite, sans éclat, quel retour, quel silence ! Qu’est devenue enfin cette magnificence, Ces Lauriers, cette Cour, ce Peuple, ces Soldats, Dont la foule autrefois accompagnoit vos pas : Ah ! Seigneur, si c’est vous, apres vostre victoire ! Où sont tous ces témoins pour me le faire croire ? Quelque affreux changement qu’aporte mon retour, Vous me voyez, Madame, avec le mesme amour ; L’honneur de vous revoir est le seul où j’aspire Heureux, & plus heureux que je ne vous puis dire ; Si de ce prompt retour vous aprouvez l’ardeur, Et si je vous retrouve avec le mesme cœur. Moy, Seigneur ?         Jusqu’icy j’ay tout fait pour la gloire, Madame, aprés avoir asseuré ma memoire : Cherchant à respirer, ne pourray-je un moment Paroistre moins vainqueur, pour estre plus Amant. Mais du couroux du Roy, qui pourra vous défendre ? Sur son authorité vous semblez entreprendre, Sans son ordre il vous voit revenir en ces lieux, Lors que vous paroistrez tantost devant ses yeux, Qu’à vous interroger il descendra luy-mesme : Que luy répondrez-vous, Seigneur ?         Que je vous aime. L’Amour a fait mon crime, il me justifiera. Ne vous y fiez pas, cet amour vous perdra. Vous le diray-je enfin, quittez un lieu funeste ; De vostre vie, ailleurs allez porter le reste, Sous un Ciel plus serein, loin de vos envieux, Courez mettre à l’abry des jours si precieux. On ne voit plus regner icy que l’injustice, Fuyez, abandonnez une Cour où le vice N’expose à vos regards que des coeurs corrompus. Le vostre ne l’est point, que voudrois-je de plus ? Deussay-je en cette Cour trouver la mort certaine, D’eust m’accabler le Roy d’une implacable haine, Quand je verrois pour moy tous les coeurs sans pitié, Rien ne m’affligeroit que votre inimitié ; Certain de vos bontez sur qui je me repose, Quoy que fasse le Ciel contre moy, quoy qu’il ose, J’ay tant de confiance en vous, en vostre foy : Que dites-vous ? quelle est l’erreur où je vous voy ? C’est trop vous affermir dans cette confiance, Icy trop de malheurs ont suivy vostre absence, Et je ne me sens point assez de fermeté, Pour cacher à vos yeux la triste verité, Vous avez en ces lieux, Seigneur, qui l’eust pû croire, Des Rivaux pour l’amour, ainsi que pour la gloire. Par le trouble où je suis, jugez de ma douleur, Et pour ne point moy-mesme affliger votre coeur, Souffrez que je vous cache un ennuy qui m’accable. Ah! Gazul, mon soupçon n’est que trop veritable, Lors qu’un bruit incertain m’aprit qu’en cette Cour, Un Rival dangereux traversoit mon amour : De ses premiers transports mon ame revenuë, Zulemar fut le seul qui s’offrit à ma veuë ; Son credit prés du Roy, ses nouvelles grandeurs, Cette haine, Gazul, qui divise nos coeurs, Tout me le dit, percé d’une douleur trop vive, J’abandonne mon camp, ma gloire, tout, j’arrive, Ce soupçon par Fatime est enfin confirmé, N’en doutons point, il l’aime.         En seroit-t’il aimé ? Luy, Seigneur.         De l’amour la foiblesse est commune ; Les yeux les mieux fermez s’ouvrent à la fortune, D’un Favory naissant, l’éclat est seducteur, Mais je connois Fatime, & répons de son coeur, Son trouble, ses regards, ses discours, son silence, Tout m’apprend les combats rendus en mon absence, Pour me garder un cœur qu’elle sçait qui m’est dû, Mais allons cher Gazul, où je suis attendu : Quoy que de Zulemar le pouvoir soit extréme, Mes exploits prés du Roy parleront pour moy-méme, Il me rendra l’estime acquise à mon devoir. Entrons.         Seigneur, le Roy vous défent de le voir. A moy ?         Votre retour sans ordre est une offense, Qui soustrait à vos yeux son auguste presence. Zulemar est chargé de ses ordres secrets, Pour vous en avertir, je les devance exprés. Ce Prince de sa part vous les doit faire entendre, Il va se rendre icy, c’est à vous de l’attendre. A cette indignité, Dieux, me reserviez-vous ? Quand viendra-t’il ?     Seigneur, le voicy.         Laissez-nous, Seigneur, avant qu’icy ma bouche vous explique Tout ce que m’a du Roy prescrit la politique, Permetez qu’à vos yeux je montre avec respect Cette admiration qu’imprime votre aspect ; Et souffrez que mon coeur plein de vostre memoire, Vous rende les tributs qu’on doit à vostre gloire : L’aversion qui regne entre nos deux maisons, Jettant dans les esprits mille nouveaux soubçons, S’est fait de nous aigrir une loy souveraine : Mais, Seigneur, pour un temps suspendons nostre haine, Ou plûtost, & mon ame en fait tous ses souhaits ; Reünissons nos coeurs en une heureuse paix, De cette indigne haine humilions l’audace, Je veux bien le premier implorer cette grace, Et ne voit point de honte à briguer devant tous L’estime & l’amitié d’un Heros tel que vous. Pourray-je me flater d’un union si chere ? Le Roy de ses secrets m’a fait depositaire : Vostre retour sans ordre excite son couroux, J’ay son pouvoir en main : Ah ! qu’il me seroit doux D’arracher vostre teste au coup qui la menace, De vous rendre en ces lieux vostre premiere place, Et de vous inspirer de prester vostre coeur Aux sinceres avis d’un amy plein d’ardeur ; Auprés du Roy pour vous je puis tout entreprendre, Prés de vous pour moy-mesme, à quoy puis-je m’attendre. Zulemar, car enfin éloigné de ces lieux, Je n’ay point encor sceu tes titres glorieux. Le Roy pour mon retour prevenu de colere, De son pouvoir sur moy t’a fait depositaire : Tu le dis, mais enfin pour m’offrir ton secours. Pour te voir en effet l’arbitre de mes jours, Aprens moy quels explois t’ont rendu  remarquable ? Et qu’a fait jusqu’icy ton bras de memorable ? De cent jeunes beautez qui brillent à la Cour ; Frivole adorateur tu sçais faire l’amour ; Et c’est enfin sur quoy tout ton orgueil se fonde. Mais puis qu’à tes bontez il faut que je réponde : Ecoute & suis l’avis que je vais te donner, A m’offrir ton appuy cesse de t’obstiner, Ton indigne pitié me feroit trop d’outrage, Montre-toi vray Zegri, contre un Abincerrage ; L’honneur le plus certain & le plus grand pour toy, C’est d’estre l’ennemy d’un homme tel que moy. Si pour moy cette haine avoit quelque avantage, Rien ne m’empescheroit de le mettre en usage, Et mon ame si loin en porteroit l’excez, Que tel qui me dedaigne en craindroit les effets, Mais, Seigneur, je penetre, & voy vostre pensée : Vous croyez que paré d’une vertu forcée, Cherchant à profiter du trouble des esprits, Je pretens élever mon sort sur vos débris, Et que pour vous cacher cette lasche esperance, D’une fausse pitié j’emprunte l’apparence : Plust au Ciel que mon coeur vous pust estre connu, De vostre injuste erreur desormais revenu ; Loin de blâmer en luy cet excés de tendresse, Un secret mouvement vous apprendroit sans cesse, Que vous estes l’autheur du trouble où je me voy, Et que sans vous l’amour n’eust pas fait mon employ ; Mais le Roy veut sçavoir quel sujet vous amene, C’est son ordre, je dois, ou m’attirer sa haine En rendre un compte exact de tout notre entretien Hé bien, Seigneur, parlez que luy diray-je ?         Rien. Si sçavoir mes desseins est son ordre supréme : Me voila prest, il peut m’interroger luy-mesme ; Pourquoy m’évite-t’il ? Si le sort envieux M’avoit fait en vaincu retourner dans ces lieux ; Dy moy que ferait-t’on de plus pour me confondre ? Enfin ce n’est qu’au Roy que je pretens répondre, Et je verray couler sans regret tout mon sang, Plûtost que de rien faire indigne de mon rang. Adieu.         Vous le voyez ; une haine invincible A toutes vos bontez rend son coeur insensible : Hé bien pour vous marquer, qu’il dedaigne vos soins ; En peut-il faire plus ?         En doit-il faire moins ? Quoy que de la douceur j’emprunte le langage, D’un ennemy toûjours il croit voir le visage, S’il sçavoit qui je suis ; à cet aveu crois-tu Qu’il conservait encor la cruelle vertu ? Non, Abendax, il faut dévoiler ce mistere : Allons, il faut luy dire...         O Dieux ! qu’allez-vous faire ? Luy croyez-vous un coeur capable de pitié ? Pensez-vous triompher de son inimitié ; Enfin ignorez-vous qu’il adore Fatime, Il luy sacrifiera l’aveu de vostre estime. Quelle honte ! & le Roy pour comble de malheur, Apprenant vostre sort verra-t’il sans douleur, Qu’il a mis ses secrets dans le sein d’une fille, Vous estes tout l’espoir d’une illustre famille ; Songez, si vous parlez dans quel triste embarras... Mais Alamir se perd si je ne parle pas ; Sur son retour icy le Roy veut qu’il prononce. Si je vais raporter sa superbe réponse, Cét orgueilleux refus terminera ses jours. Que faire ? en ce moment le Ciel m’offre un secours ; Si Fatime avec moy vouloit d’intelligence, D’un Heros qu’elle outrage embrasser la défense... Elle seule, Abendax, peut calmer mon soucy : Viens, allons la trouver...Mais elle arrive icy. Du destin d’Alamir, Seigneur, daignez m’instruire ; Vous venez de le voir, que vous a-t’il pû dire, Aux volontez du Roy ? s’est-t’il enfin rendu ? Qu’en doit-t’on esperer ?         Madame, il est perdu. Et si dans ce moment vous n’obtenez sa grace, Rien ne peut arrester le coup qui le menace, Vous seule auprés du Roy vous pouvez tout pour luy : Parlez en sa faveur, prestez-luy vostre appuy ; Obtenez qu’il le voye, obtenez qu’il l’écoute, Privé de ce secours, il se perdra sans doute. Moy ? que pour Alamir j’aille parler au Roy ? Si le penchant secret que ce Prince a pour moy Luy fait tout accorder, si j’en obtiens ce gage, Songez-vous bien, Seigneur, où sa bonté m’engage ? Rien n’est à ménager pour sauver un vainqueur, Dont son aveugle amour a fait tout le malheur. Le Ciel vous offre enfin un moyen infaillible, Peut-estre que l’effort vous en sera penible ; Mais si vous sentiez assez de fermeté, Pour luy parler, Madame, avec sincerité, Si vous luy confirmiez de vostre propre bouche Que l’amour qu’il ressent n’a plus rien qui vous touche ; Honteux de son erreur, privé de tout espoir, Alamir rentreroit bien-tost dans son devoir. Ah ! que me dites vous ? Quoy ma bouche cruelle L’accableroit encor d’une douleur mortelle : J’irois luy reveler mon infidelité ; Que me demandez-vous, à quelle extremité ? Portez-vous de mon coeur l’innocence tendresse ? Ah ! de grace, Seigneur, épargnez ma foiblesse ! Moy luy dire son sort, ignorante du mien ? Helas ! suis-je en état de l’instruire du sien ? Non il vaut mieux suivant ma triste destinée, Aller traîner ailleurs ma vie infortunée : De souffrir mon départ, je vais presser le Roy, Venez, Seigneur, venez vous joindre avecque moy. Icy par mon exil tout changera de face ; Alamir obtiendra facilement sa grace : L’équitable raison éclairera le Roy, Chacun sera content, tout sera calme : Et moy Je fuiray des regards que ma presence gesne, Et qui sur moy, Seigneur, ne tombent qu’avec peine. Madame....         Au nom des Dieux ne me resistez pas, Je sçay que ce dessein avance mon trépas ; Mais cette vie, helas ! que chacun tient si chere , Ne me plaisoit qu’autant qu’elle pouvoit vous plaire ; Et puis que rien en vous ne flatte mon espoir, Je vais priver mes yeux du plaisir de vous voir. Helas ! quelle est la fin que le sort me destine ! Le Ciel détruit toûjours tout ce que j’imagine ! Mais ne la quitons pas, profitons de l’erreur Qui me rend malgré moy maîtresse de son coeur ; Qu’en faveur d’Alamir elle agisse, elle presse, A ce prix, s’il le faut, écoutons sa tendresse, Trompons-là, tout est juste, & tout est glorieux, Pour sauver du trépas ce qu’on aime le mieux. Fin du second Acte. Oüy tu verras changer le destin qui m’accable; Fatime à mes desseins veut estre favorable, A flatter son amour j’ay long-temps balancé, Mais enfin, Abendax, mon scrupule a cessé ; Quand j’ay veu que l’erreur où son coeur s’abandonne, Sur la teste bien-tost attachoit la Couronne. Grace au penchant secret qui luy parle pour moy, Elle mesme a couru flechir l’esprit du Roy : Que te diray-je enfin, il n’a pû s’en défendre, Il doit voir Alamir en ces lieux et l’entendre, C’est ce qu’on vient déja de luy faire sçavoir ; Tu vois qu’avec raison je reprens quelque espoir, En daignant l’asseurer du pardon de son crime, Le Roy ne taira point qu’il brûle pour Fatime. Le Princesse elle-mesme aprés leur entretien, De son manque de foy ne luy cachera rien. Juge de sa douleur à ce revers funeste. Pense-tu qu’il m’evite, encor qu’il me deteste ; Lors qu’expliquant mon sort, implorant son apuy Ma bouche luy dira ce que je sens pour luy, Non, son grand coeur touché de ma perseverance, Ne mettra plus de borne à sa reconnoissance. Quelle gloire, Abendax, quel plaisir, quel bonheur D’occuper, de remplir, de posseder un coeur Fier, inflexible, exempt de honte, de bassesse, Et dont l’amour enfin est l’unique foiblesse : Mais j’entens Alamir : c’est luy, retire toy. Seigneur dans un moment vous allez voir le Roy, J’ay flechy son esprit, j’ay vaincu sa colere, Et s’il vous parle enfin ce n’est qu’à ma priere. Voyez, & daignez-en juger par les effets, Si d’un coeur ennemy ce sont-là les projets : Au reste quand pour vous tout s’unit, tout conspire, Vous-mesme en ce moment n’allez pas vous détruire, Ménagez avec soin un Monarque irrité ; Voyez-le sans chagrin, parlez luy sans fierté, Il a toûjours pour vous une sincere estime, Il ne peut soubçonner vostre vertu d’un crime, Et s’il veut qu’attachés toûjours à leur devoir, Les plus grands soient les plus soûmis à son pouvoir : Si pour vous étonner il montre en apparence Trop de ressentiment d’une legere offense, Cette severité ne tient rien des tirans, Ses desseins sont toûjours aussi justes que grands, Et soit que son pouvoir récompense ou punisse, La raison le conduit, & non pas le caprice : Mais les Princes, Seigneur, que l’équité soûtient, Veulent estre absolus, vous le sçavez. Il vient Je vous laisse.     Seigneur...         Observez le silence, Alamir ; vostre orgueil demande ma presence, Je l’accorde, je fais ce que vous souhaitez, Mais avant qu’expliquer vos raisons, écoutez. Vous estes grand, fameux, mille exploits pleins de gloire Affleurent de vos jours l’éclatante memoire. Vous avez crû peut-estre en violant les Loix ; Qu’elles devoient se taire au bruit de vos exploits : Mais non, plus les sujets sont prés des Diadémes Plus un devoir exact doit regner sur eux-mesmes. De l’Univers entier observez ; c’est sur eux Que les Roys pour donner des exemples fameux Avec plus de splendeur signalent leurs puissances, Par des punitions ou par des récompenses. Si j’avois voulu croire un trop juste couroux, Vostre retour m’offroit ce grand exemple en vous ; Mais vos rares vertus, & ma reconnoissance Avoient de mes transports calmé la violence, Sans examiner rien je vous faisois partir, Il ne vous en auroit cousté qu’un repentir : Vous n’avez pas daigné profiter de ma grace, Au contraire à cet offre augmentant vostre audace, Vous avez demandé fierement à me voir. Me voicy ; vostre sort n’est plus en mon pouvoir, Aux Loix de mon Etat il faut que j’obeïsse, Que je vous récompense, ou que je vous punisse. Voila ce qu’ont produit vos desirs imprudens, Il suffit ; à presant parlez, je vous entens. Seigneur, je ne veux point chercher pour ma défense Tout ce qui peut icy demander ma presence ; J’aurois mille raisons pour me justifier, Si sur de tels secours je voulois m’appuyer ; Je l’avouë, & ma gloire en ce moment blessée Ne me punit que trop d’une ardeur insensée... J’aime : si de l’amour les trop puissantes Loix, Dans toutes leur rigueur pressoient le coeur des Roys ; Si de son ascendant vous connoissiez l’empire, Pour paroistre innocent je n’aurois rien à dire. Oüy, Seigneur, entraîné par ce fatal pouvoir, J’ay violé les Loix, j’ai trahy mon devoir ; J’ay merité la mort, & perds toute esperance, Si la justice en vous ne cede à la clemence, Peut-estre aurois-je pû, fier d’un peu de bonheur Raconter mes exploits pour toucher vostre coeur ; Vous dire que mon bras, graces aux Dieux propices, A sceu rendre à l’Etat d’assez heureux services, Et que mon sang pour vous répandu mille fois Doit affranchir mon sort de la rigueur des Loix. Mais qu’ay-je fait, Seigneur, dont l’honneur de le faire Dans le mesme moment, n’ait esté le salaire. Vos ordres, il est vray, me pressoient de partir, Mais à ne vous point voir je n’ay pû consentir. Non, Seigneur, qu’obstiné dans ma coupable audace, J’aye approuvé mon crime, & refusé ma grace ; Vostre seul interest a pû dans vostre Cour Pour quelque temps encor prolonger mon sejour. Objet infortuné d’une haine trop juste, Mal-heureux & privé de vostre aspect auguste. Aurois-je osé, Seigneur, commander vos Soldats ? Auroient-ils desormais voulu suivre mes pas ? Lors qu’un Camp empressé nous sert & nous revere, C’est vous seul, c’est son Roy qu’en nous il considere, Et qui d’un Favory veut bien suivre les loix, D’un mal-heureux banny meconnoitroit la voix. De ces vaines couleurs je croy peu l’apparence ; Mais de tous vos desseins je connois l’innocence : Alamir mon esprit étouffe les soupçons, Et cede à la bonté plûtost qu’à vos raisons ; Je répandray sur vous tant de biens, tant de gloire Que de vostre disgrace on perdra la memoire : Mais suivy desormais du Peuple & des Soldats, Que vous verrez marcher en foule sur vos pas, Dés ce jour mesme, allez rejoindre mon Armée Et faites pour mon choix parler la renommée. Par une grace encor daignez combler mes vœux : La Princesse Fatime est l’objet de mes feux, Permettez qu’à jamais une foy mutuelle... Elle est digne de vous, vous estes digne d’elle Vous meritez sans doute un objet si charmant ; Alamir, mais le Ciel en dispose autrement, Et pour vous dire tout, une loy souveraine, Pour jamais vous separe, & la fait vostre Reine. Quoy, Seigneur…         Je l’épouse étouffant vostre espoir, Ce n’est plus qu’en sujet que vous la devez voir. Surpris, saisi, frapé de ce que j’entens dire, Dans mon étonnement à peine je respire : Vous mon Rival, c’est vous qui m’enlevez la foy… D’un cœur dont tous les vœux auroient été pour moi ; Avant que ma douleur ait franchy les limites, Des inhumaines Loix à mon respect prescrites : Permettez-moy d’aller dans de sauvages lieux Me plaindre en liberté de mon sort et des Dieux. J’ay preveu vos douleurs, j’en ay senty l’atteinte, Pour fermer contre moy vostre bouche à la plainte, Long-temps à mes désirs je me suis opposé : Mais j’aime, je suis Roy. Dieux ! qu’il est mal aisé, Lors que l’amour sur nous regne avec violence, De ne se pas servir de toute sa puissance ; Mais enfin pour m’oster le nom de Prince ingrat, Alamir disposez, de moy, de mon Etat, Souhaitez, demandez, épuisez ma puissance, Il n’est rien au dessus de vostre récompense. Qu’ay-je affaire, Seigneur, de rang, de dignitez ? Et quel bien peut payer le cœur que vous m’ostez ? Fatime est l’objet seul pour qui j’aimois la vie, C’estoit tout mon espoir, vous me l’avez ravie : Je n’écoute plus rien, promesse ny danger, Je n’ai plus rien à craindre, & rien à ménager. Ah ! quand de mes exploits vous perdez la memoire, Si je perdois aussi tout le soin de ma gloire, Chef de tant de Soldats, & tant de fois vainqueur, Qu’aisement je pourrois meriter mon malheur.  Je vous entens, je voy ce que vous pouvez faire. Je sçauray profiter de cet aveu sincere. Pensez-y.         Qu’ay-je à craindre en l’état où je suis : Est-il quelques malheurs plus grands que mes ennuys ? Mon maistre est mon Rival, il m’enleve Fatime : Roy barbare, crois-tu joüir de son estime ? Crois-tu toucher son cœur, non ne t’en flatte pas. Ton Thrône, ta grandeur, tes soins n’ont point d’appas. Qui puissent de son ame effacer la memoire, De tout ce qu’elle doit à ma flâme, à sa gloire, Je la connois ; certain que ses vœux sont pour moy. Je me tiens beaucoup moins infortuné que toy. Ah ! que viens-je de voir ? Seigneur, le Roy vous quitte. Le front triste, la veüe égarée, interdite, Ses regards menaçans où regne la fureur. Aux cœurs les plus hardis impriment la terreur, Que je crains pour vos jours, l’orage qui s’apreste De ces terribles coups détournez vostre teste, Encor un coup quittez ces détestables lieux. Non, Madame, il m’est doux de mourir à vos yeux, Pour rendre à mes regards, ce sejour formidable, Pour me faire quitter cette Cour détestable, Il faudroit qu’un Rival occupant vostre cœur, Eust contre moy changé vostre amour en horreur : J’irois cacher ailleurs ma honte & ma foiblesse, Mais tant que je seray seur de vostre tendresse, On ne me verra point inquieté, surpris, Fuir, craindre des malheurs, dont Fatime est le prix. Seigneur, de tous les soins que l’amour vous suggere, Le plus pressant pour vous, & le plus salutaire, C’est de partir.         Hé bien, Madame, je vous croy ; Vous l’ordonnez, je parts, mais partez avec moy. Venez suivant l’amour que l’honneur authorise, M’asseurer de la foy que vous m’avez promise. Allons en d’autres lieux cacher nostre malheur : Vous ne répondez rien, & changez de couleur, Que presage à mes yeux ce silence timide ? Croyez-vous qu’Alamir soit un lâche, un perfide, Qui…Non vous n’avez point ce doute injurieux, Vous suivrez un Epoux approuvé par les Dieux : Pourquoy craindre, pourquoy soubçonner ma conduite. Ma Princesse, parlez.         Où me vois-je reduite ? Grands Dieux ! que mon destin est affreux, est cruel ; Quand la honte m’impose un silence éternel, Le tyrannique honneur me défend de me taire, L’un & l’autre à mon cœur parle d’un ton severe ; Mais de mille malheurs dust le Ciel m’accabler, Le peril est trop grand, trop proche, il faut parler : Sortez, Seigneur, sortez de l’erreur où vous estes ; Apprenez qui je suis, voyez ce que vous faites : Cessez de fuir pour moy tant de prosperitez, Rebelle à vos desirs, ingrate à vos bontez ; Indigne pour jamais du feu qui vous anime ; Je ne merite plus vos vœux ny vostre estime. Les Dieux, les cruels Dieux jaloux de mon bonheur, Se sont fait un plaisir de verser dans mon cœur Un poison, dont soudain la funeste puissance A noircy de mes jours, a détruit l’innocence. L’état où je vous voy m’arrache cet aveu Oubliez tout de moy, jusqu’à mon nom : Adieu. Où suis-je, juste Ciel ! L’ay-je bien entenduë? Fatime se declare infidelle à ma veuë. Des malheurs que tâchoient de prevenir mes soins : Helas ! voila celuy que je craignois le moins ! Lors que je la croyois de moy seul occupée. La cruelle…         Seigneur, donnez moy vostre épée : C’est par l’ordre du Roy.     Mon épée ?         Oüy, Seigneur. A quel trouble honteux s’abandonne mon cœur ! Tenez.         C’est malgré moy qu’un ordre qui m’accable, Fait passer dans mes mains ce fer si redoutable. Il suffit, je rends grace, Osmar, à vos bontez. Marchez, conduisez-moy, je vous suis.         Arrestez. Osmar. Je viens, Seigneur, vous offrir vostre grace. Tu me braves encor : Poursuis dans cette audace. L’ordre de m’arrester est conduit prudemment. Si tu l’avois osé devancer d’un moment, Mon bras t’eust épargné les peines que te donne, Le soin qu’auprés du Roy tu prens de ma personne. Si j’estois libre enfin, ton insolente voix Ne m’insulteroit pas une seconde fois. Que vous estes injuste ! Hé ! que faut-t’il donc faire ? Pour vous prouver un zele, une amitié sincere : Mais contre moy, Seigneur, avant que d’éclater, Voyez ce que je fais, & daignez m’écouter. L’amour, vous le sçavez est vostre unique crime, Pour vous rendre innocent, renoncez à Fatime : Faites plus, pour calmer tous les soupçons du Roy, A quelque autre Princesse engagez vostre foy. Il en est de mon sang une qui vous adore, Une que l’Univers ne connoist point encore ; Qui sous un autre nom élevée en ces lieux, Cachée à tous, n’a pû se cacher à vos yeux. Vous avez dans son cœur fait naistre une tendresse, Qui dans tous vos malheurs malgré vous l’interesse. Elle vous voit souvent, & preste à vous parler, De crainte en vous voyant, elle se sent troubler. Son nom haï de vous, la glace, l’épouvante, Et retient son aveu sur sa levre tremblante : Mais ses yeux attachez à vous considerer, Son ame en ses discours facile à s’égarer, Son trouble, mille soins que l’on ne peut comprendre, Tout vous dit son amour si vous voulez l’entendre. Seigneur si vous sçaviez ce qu’elle sent pour vous… Qui moy ? d’une Zegri je deviendrois l’époux ? Eust-elle à me donner tout l’Empire du monde, En esprit, en beauté, fust-elle sans seconde ; Son cœur d’un tendre amour fust-il épris pour moy, C’est assez qu’elle soit du mesme sang que toy. Pour mettre dans mon cœur, pour allumer contre elle Une haine invincible, une horreur éternelle : Que dis-je, en écoutant l’offre que tu m’en fais, Je la déteste encor plus que je ne te hais. Ah ! Seigneur apprenez….         Je ne veux rien apprendre. Assez, & trop long-temps j’ay souffert à t’entendre. Gardes delivrez-moy d’un objet odieux. Tu seras satisfait : Qu’on l’oste de ces lieux, Je ne vous retiens plus. Gardes qu’on le saisisse ; Vous avez l’ordre, Osmar, faites qu’on obeïsse. Va, cours, marche au devant d’un trépas asseuré Prince indigne du sort qui t’estoit preparé : Mal-heureuse, j’allois pleine de ma tendresse, Luy découvrir mon sexe, avoüer ma foiblesse. Que dis-je, tout mon sort est déjà revelé, Il a veu mon desordre, & mes yeux ont parlé. Mais enfin, Abendax, à moy-mesme renduë, Et d’un juste dépit desormais soûtenuë : J’aspire à me venger de ces cruels mépris, D’un mal-heureux amour seul & funeste prix : Je vais presser du Roy l’implacable colere, L’irriter, l’animer contre ce temeraire, Sacrifier l’ingrat à ma juste fureur : Dussay-je après sa mort expirer de douleur. Fin du troisième Acte. Ouy, Madame, avec soin les portes sont gardées D’armes & de Soldats, les places sont bordées, Les Courtisans confus, les Ministres troublez, Les Princes interdits, les Juges assemblez. Le Roy mesme inquiet fuyant l’aspect du monde, Jette dans les esprits une terreur profonde. Il marche environné de chefs & de Soldats. Un gros de Senateurs accompagne ses pas, Tristes, épouvantez, leurs visages severes N’ont point de leur vertu les marques ordinaires. Ces mortels redoutez qui tiennent dans leurs mains, La puissance des Roys, & le sort des humains, Semblent craindre aujourd’huy l’ordre qui les assemble : Tout garde le silence, autour du Roy tout tremble. Au milieu de la place un échafault dressé, Attire les regards d’un grand Peuple amassé, Qui paslit, & qui craint de voir tomber la teste, Que menace aujourd’huy cette horrible tempeste. De ses propres employs abandonnant le soin, Chacun de ce grand jour veut estre le témoin. Tout fremit : Cependant parmi cette tristesse On voit encor briller des marques d’allegresse. Les Temples sont ouverts, les Autels sont ornez : Les Prestres revêtus, & de fleurs couronnez, Etallent l’appareil des plus celebres Festes ; L’encens fume par tout, les victimes sont prestes. D’un juste étonnement les esprits occupez, Sur tant d’objets divers dont les yeux sont frappez, En discours superflus se lassent & s’épuisent, Inventent des raisons qu’aussi-tost ils detruisent, Et plus à s’éclaircir ils veulent s’éforcer, Plus ils trouvent d’horreurs qu’ils ne sçauroient percer. Pour quel dessein fait-on des apprests si contraires, Et qui m’expliquera ces funestes misteres : Qui livrent mon esprit à de cruels soupçons ? Seul de tous ses projets le Roy sçait les raisons, Le secret fut toûjours sa grande politique ; Mais il vient : Avec vous, faites qu’il s’en explique. Tandis que mes Sujets sont dans l’étonnement, Et d’un jour si pompeux craignent l’évenement : Souffrez que sans témoins je vous parle, Madame, Et vous découvre icy les secrets de mon ame. Je vous aime : Mes soins, mes regards, mes soûpirs, Ont malgré moy sans doute expliqué mes desirs ; Mais jusqu’icy ma bouche auprés de vous muete, D’aujourd’huy seulement en devient l’interprete. Non qu’une crainte indigne, & de vous & de moy, Ait pû vous disputer l’amour de vostre Roy : Mais comme l’Etat doit regler nos hymenées, Les passions des Roys sont toûjours soupçonnées : Lors qu’aucun interest n’apuyant leurs projets, On les voit adorer le sang de leurs Sujets. J’ay craint qu’on n’imputast mes plus tendres hommages, Au fol empressement de ces ardeurs volages, Qui ne font naistre en nous que d’injustes desirs, Et qui n’ont pour objet que de foibles plaisirs. Madame à vostre Roy vostre gloire estoit chere, Je me suis fait pour elle une loy de me taire. Je parle maintenant, & veux que ce grand jour Par un heureux hymen, vous prouve mon amour. Seigneur de vos projets, étonnée, interdite, Je ne puis vous cacher le trouble qui m’agite, Tant de soins, tant d’honneurs que je n’attandois pas… Je penetre aisement d’où naist vostre embaras : Pour le sort d’Alamir dont le cœur vous adore, Une juste pitié vous sollicite encore. Vos regards attendris n’envisagent mon rang, Que comme un triste honneur cimenté de mon sang. Vous avez pû sçavoir que sa coupable audace, Desormais devant moy ne trouve plus de grace. Que la mort va l’oster du nombre des humains : Mais n’apprehendez rien, sa grace est en vos mains : Oüy, lors qu’à mon destin vous allez estre unie, Je veux qu’en vous perdant il vous doive la vie, Et qu’ainsi le pardon d’un fameux criminel, Attache à vostre regne un honneur éternel. Je vous ay reservé cette grace éclatante : Connoissez le bonheur que le sort vous presente. Combien est-il de Roys comblez d’ans & d’honneurs, Qui par mille bontez ont charmé tous les cœurs, Et n’ont pû sur le Thrône élevez dés l’enfance, Sur d’aussi grands sujets signaler leur clemence. Venez donc à l’Autel en me donnant la foy, Vous assurer….         Seigneur, qu’exigez-vous de moy ? Quand vous allez regner, lors qu’un Roy qui vous aime, Remet entre vos mains avec son Diadéme, Le sort d’un orgueilleux qu’il a droit de punir, Quand tout doit vous presser, qui vous peut retenir ? Si vous perdez pour moi le soin de vostre gloire ; Seigneur, dois-je pour vous en perdre la memoire. Quel est vostre dessein, lors que de toutes parts, Vostre hymen souhaité suspend tous les regards ; Quand l’Afrique vous offre avecque ses Princesses. Le secours de ses Roys, ses ports & ses richesses. De ce pompeux hymen vous voulez m’honorer, Moy qui de tout l’éclat dont je puis me parer, Ne compte que l’honneur d’estre vostre sujete, Pour vos seuls interests, pour vous-mesme inquiete, Souffrez que je m’oppose à cet aveugle amour : Que croiroient vos sujets, que diroit vostre Cour ? Ne vous informez point de ce qu’on pourra croire, C’est à moy d’avoir soin de mon rang, de ma gloire ; Et c’est à mes Sujets sans s’en inquieter, De voir mes passions, & de les respecter. A ce supréme honneur que je pretens vous faire, Madame, j’avois crû vous trouver moins contraire ; Si c’est trop m’abaisser, que d’estre vostre Epoux, Je ne m’attandois pas d’en estre instruit par vous. Ce conseil genereux part d’un cœur magnanime, Mais ce cœur, est-ce enfin la gloire qui l’anime. Des interests plus chers n’y sont-ils point mêlez ? N’envelope-t’il point d’autres secrets…Parlez, Madame, & sans détour que vostre cœur s’explique. Vous me le commandez, j’obeïs sans replique, On ne peut rien cacher aux Roys, non plus qu’aux Dieux. Si le Ciel sur le thrône avoit mis mes ayeux, J’aurois fait mes plaisirs, j’aurois fait mon envie, D’assurer le bon-heur de vostre illustre vie : J’aurois tout employé pour meriter le choix, Seigneur, du plus parfait, & du plus grand des Roys. Mais dans un rang plus bas, reduite dés l’enfance, Mon cœur s’est fait un choix conforme à ma naissance, Pour un de vos Sujets. L’amour l’a sceu toucher, C’est en vain qu’à vos yeux je voudrois le cacher : Si malgré cet aveu vostre amour persevere, Si le don de ma main peut encore vous plaire, Vous n’avez qu’à parler, elle est à vous, Seigneur : Mais quand je ne vous puis répondre de mon cœur, Pourriez-vous…         Oüy je puis perdre le temeraire, Qui m’ose disputer le bonheur de vous plaire. Le succez de mes feux decide de son sort ; Cet aveu, vos refus precipitent sa mort. Songez-y ; sur ce point c’est à vous de resoudre, Vous n’avez qu’un moment pour retenir la foudre. Gardes à moy.     Seigneur.         Encor un coup parlez. Les Juges au Senat par mon ordre assemblez, Sur le sort d’Alamir attendent ma réponse, Quel Arrest voulez-vous que ma bouche prononce C’est de vous que dépent ou sa vie ou se mort. Le Ciel qui vous a fait le maistre de son sort, Daigne de ce Heros vous prouver l’innocence, Mais n’attendez de moy qu’un mal-heureux silence : Le don de nostre cœur ne dépend point de nous. C’est trop par vos refus exciter mon couroux. Allez porter mon ordre au Senat tout à l’heure. Zulemar. Alamir est coupable, qu’il meure. Qu’il meure ?         En sa faveur elle ose rejetter Le Sceptre que ma main vient de luy presenter. Un sujet insolent accablé de ma haine, Dont l’univers sans moy se souviendroit à peine : A mon Sceptre, à mon rang se verra preferé ; Ils pourront me braver, & je le souffriray ? D’une ingrate, d’un traistre il faut que je me venge ; Qu’il expire à ses yeux, je l’ordonne.         Qu’entens-je ? Les Dieux m’en sont témoins, plus animé que vous Je venois en ces lieux presser vostre couroux, Accuser Alamir, demander son supplice, J’en ay trop de raisons ; mais s’il faut qu’il perisse, Qu’il soit mieux convaincu de ses propres forfaits, Ne le punissez point de ceux qu’il n’a pas faits : Si Fatime s’oppose à vostre ordre supréme, Il en est innocent, ce n’est point luy qu’elle aime ; Ce n’est point luy, Seigneur, qui l’enleve à son Roy. Connoissez le coupable, & l’accablez : C’est moy. Oüy, Seigneur, c’est pour moy qu’à vos desirs rebelle… N’en croyez pas, Seigneur, un sujet trop fidelle, Qui voulant à l’Etat conserver un appuy, Se rend auprés de vous coupable au lieu de luy. Vous vous chargez trop tost du soin de le défendre, Pour me faire douter de ce qu’il veut m’apprendre. Vos yeux épouvantez, vostre front interdit, Ne confirment que trop ce que sa bouche a dit. Vous l’aimez, je le voy, Princesse trop ingrate, Et plus vous le niés, plus vostre amour éclate. Pour toy que mes bienfaits prodiguez chaque jour, Ingrat avoient rendu le premier de ma Cour ; Pour toy qui de mon cœur trahis la confidence, N’espere pas que rien t’arrache à ma vangeance. Tu periras.         Seigneur, je n’en suis point troublé, Des malheurs inconnus je suis trop accablé : Pour voir avec frayeur une mort necessaire, Qui peut seule finir ma honte & ma misere, Je ne vous diray point que sans rendre de soins, On est aimé souvent lors qu’on le veut le moins, Qu’on aime quelquefois ce qu’il faut qu’on haïsse, Et que rien de l’amour ne regle le caprice : Je ne m’excuse point, j’ay traversé vos feux, J’ay fait vostre malheur sans pouvoir estre heureux. Seigneur, punissez-moy, perdez un miserable, Dans le fonds de mon cœur je suis assez coupable : Si vous sçaviez quel est mon destin, mon amour Vous avoüeriez…Seigneur, vous le sçaurez un jour. Je mourray de l’amour deplorable victime, Trop content si ma mort peut effacer mon crime, Calmer tous vos soupçons, enfin rendre à son Roy, Un Heros à l’Etat plus utile que moy. Grands Dieux ! tout me dedaigne ainsi, tout m’abandonne ! Le plus affreux trépas n’a rien qui les étonne : Quel est donc mon malheur ? Quel destin envieux Me rend quoy que je fasse à ce point odieux, Un ingrat que mon cœur de ses bontez honore, Une cruelle, enfin que j’aime, que j’adore, Conspirent l’un & l’autre à me percer le cœur : Mais qui vient en ces lieux ? que me veux-t’on ?         Seigneur, Les Juges d’Alamir ont suivant nos maximes, Ecouté sa défence, examiné ses crimes ; On n’attend plus de vous qu’un mot pour le punir Et je viens…         Il suffit, qu’on le fasse venir. Pensez-vous que cedant à vos lâches envies, Je vous laisse joüir de tant de perfidies ? Vous n’insulterez point au malheur de mes feux. Qu’en leurs appartements on les garde tous deux. Rendez graces au Ciel, dont la bonté m’éclaire, Alamir, & dissipe une injuste colère. Vous n’estes point coupable, on nous trahit tous deux : Zulemar est le seul qui s’oppose à mes vœux ; Mais enfin oublions tous les sujets de plainte, Rentrez dans ma faveur sans retour & sans feinte : Amant abandonné mal-heureux comme moy. Excusez mes transports, & plaignez vostre Roy. Soyez plus que jamais l’appuy de ma Couronne. Vivez pour mon état, pour moy, je vous l’ordonne. Je reçoy le pardon que vous me presentez, Et je veux bien devoir ma grace à vos bontez ; Seigneur ; non qu’en l’état où ma vie est reduite, La mort soit desormais un malheur que j’évite : Heureux si prevenant mon funeste retour, Elle m’eust épargné la honte de ce jour. Je ne le cele point, contraint à vous déplaire, Sans en estre étonné j’ay veu vostre colere. Ce n’est point aux mortels nourris dans les combats A demander au Ciel d’éloigner leur trépas. Quand les bras affoiblis gemissent sous les armes, Pour un Heros, Seigneur, la vie a peu de charmes, L’exemple en est comun, des plus fameux Guerriers, Un long âge a souvent fletri tous les lauriers, Sous un chef chargé d’ans la fortune se lasse, Et quitte un General que la vieillesse glace. Avecque trop d’éclat jusqu’icy j’ay vécu, En mille lieux divers sous vos loix j’ay vaincu, Dans le mesme bonheur incertain de poursuivre, Je puis mourir trop tard, & je crains de trop vivre. Prest à souffrir des Loix les dernieres rigueurs, A quitter une vie assez pleine d’honneurs, Par ces raisons, Seigneur, je rasseurois mon ame. Je mourois il est vray par une main infame ; Mais dans tous les esprits le crime d’un Amant N’est pas crime, ou du moins se pardonne aisement, Et d’un indigne sort quelque soit le caprice, La honte est dans le crime, & non dans le supplice. Vous vivrez Alamir, & toûjours triomphant, Vous rendrez par vos soins mon regne florissant : Cependant je veux bien dans un aveu sincere, Exposer à vos yeux mon ame toute entiere. Zulemar plus que vous occupoit ma faveur, Il sçavoit mes secrets, il regnoit dans mon cœur, Il ne vous y laissoit qu’une sterile estime ; Qui l’eust crû ? Cependant il adoroit Fatime, Il s’en faisoit aimer, & mes feux offensez Alloient seul vous punir des maux qu’il a causez. Vengez-vous, vengez-moy d’une erreur si funeste, Il est sorti d’un sang que le vostre deteste, Vous auriez triomphé déjà sans ma pitié ; Le party des Zegris estoit humilié, Et j’ay craint que le sort en éteignant leur race A celle des vainqueurs n’inspirast trop d’audace ; Mais enfin, c’en est fait, je n’écoute plus rien, Je prens vostre party, j’abandonne le sien. Ordonnez qu’à vos yeux nos haines s’assouvissent, Et qu’en un seul combat nos demélez finissent, Je sçauroy me venger : & si pour moy , Seigneur, Un reste de bonté touche encor vostre cœur, Permettez qu’aussi-tost, las de tant d’infortune, J’acheve loin de vous une vie importune, Et que de tous costez, trahi, desesperé, Je cache les ennuys dont je suis dechiré. Non ne me quittez pas : du destin d’un perfide. Je veux à vostre tour que vostre avis decide, Venez donc en resoudre, & contre cet ingrat, Faisons de nostre haine un interest d’Etat. Fin du quatrième Acte Venez. Auprés de vous le Roy mesme m’envoye, Sans témoins en ces lieux il veut que je vous voye, Et je puis vous parler sur l’affreux changement, Que dans vostre fortune a fait un seul moment. Tu le vois, Abendax, tout se détruit, tout passe, Il n’est point de grandeur qu’un seul revers n’efface, Qui t’eust dit que si-tost du comble des honneurs, Zulemar dût tomber dans ce gouffre d’horreurs, Tu ne l’aurois pas crû.         J’ai peine encor à croire, Qu’un seul instant ait pû détruire tant de gloire, Le mesme jour vous voit dans un rang glorieux, Sur vous seule attirer tous les cœurs, tous les yeux, Et bien-tost du destin éprouvant l’injustice, Pour vos jours innocens craindre un cruel suplice. Helas ! de tant d’amis qui tenoient tout de moy, Ma disgrace aujourd’huy ne me laisse que toy. Tout rit au favory, tout brille dans sa vie, Tant que sa faveur dure il fait taire l’envie ; Mais d’abord que la main qui luy servoit d’appuy, Retire les honneurs qu’elle versoit sur luy, Sa chute ouvre aussi-tost un chemin à l’audace, Pour attaquer sa vie, & disputer sa place. Mes honneurs, mes employs sont des biens superflus, Je meurs, & dans deux jours on n’y songera plus. Ah Dieux ! quelle raison, quelle bonté funeste, Pour sauver un ingrat qui toûjours vous deteste, Vous fait d’un Roy severe affronter le couroux, Et découvrir l’amour que Fatime a pour vous ; Je croyois Alamir au bord du precipice, Vous alliez disiez-vous avancer son supplice ; Vous vouliez vous venger, & le perdre aujourd’huy : Quelle vengeance, helas ! vous vous perdez pour luy. Ne me demande point raison de ma conduite ; Que sçay-je dans l’état où les Dieux m’ont reduite ? J’aime, je voy perir ce que j’aime, il suffit, Je ne me repens point de tout ce que j’ay dit. Il n’est plus d’interest, ny de raisons secretes, Il est temps de parler, d’avouer qui vous estes. Et je vais….         Garde-toy de découvrir mon sort Abendax ne mets point d’obstacles à ma mort Veux-tu que de ma main moy-mesme miserable… Non laisse-moy mourir sans que j’en sois coupable. Hé quoy, pourrois-tu voir mon nom deshonoré, Par un indigne amour qui seroit averé : S’il te souvient encor des bontez de mon pere, Songe que son honneur t’ordonne de te taire ; Si tu m’aimes, enfin, il faut me le prouver En ne t’obstinant point à vouloir me sauver, Souffre que le tombeau cache une mal-heureuse, Qui ne peut étouffer une flâme honteuse. Puissay-je ne laisser aucun nom après moy, Et puisse mon secret mourir avecque toy. Mais, qu’est-ce qu’on nous veut ?         Si vous voulez sa grace, Le Roy vous la promet, il est rien qu’il ne fasse, Pourveu que vostre cœur propice à ses souhaits, Soit par un doux hymen le prix de ses bienfaits ; Zulemar par son ordre icy vient de se rendre. Le voicy, vous pouvez luy parler & l’entendre : Madame en joüissant d’un entretien si doux, Songez bien que son sort ne dépend que de vous. Qu’on se retire.         He, bien pour m’avoir trop sceu plaire, Seigneur, pour avoir fait un aveu trop sincere Des sentiments d’un cœur qui n’eust pû le trahir, On vous fait donc coupable, & vous allez mourir. La mort, l’affreuse mort par qui tout se fait craindre, Est si douce pour moy que je ne puis m’en plaindre. Madame elle finit des jours infortunez, Qu’à d’éternels ennuis, les Dieux ont condamnez Aux volontez du Roy cessez d’estre rebelle, Il vous offre sa main, son thrône vous appelle, Sans plaindre un mal-heureux qu’on ne peut secourir : Allez prendre le sceptre, & laissez-moy mourir. Moy qu’à l’ambition j’abandonne mon ame ? Que je vous laisse en proye aux fureurs…         Oüy, Madame, Ce trépas justement prononcé par le Roy, Je vous l’ay déjà dit n’a rien d’affreux pour moy : Si de quelque douleur mon ame est attendrie, Si je verse des pleurs, ce n’est point pour ma vie : Helas ! c’est de me voir dans un obscur tombeau ; Sous une cendre froide éteindre un feu si beau. De mourir sans avoir exprimé la tendresse… Pardonnez-moy, Madame, encor cette foiblesse ; Au moment où je doy me taire pour jamais, Ma confiance n’est point au dessus des souhaits. Mais c’est en ma faveur obscurcir trop de charmes ; Je ne merite point vos precieuses larmes : Perdez d’un malheureux le triste souvenir ; Allez prendre le Sceptre, & laissez moy mourir. Non, vous ne mourrez point, quittez cette pensée, Ma vie à vous sauver est trop interressée, Vostre grace, dit-on, dépend encor de moy, Je n’ay pour l’obtenir qu’à feindre auprés du Roy, Qu’à demander du temps pour l’hymen qu’il souhaite ; Nous choisirons après quelque seure retraite. Pour nous venger de luy tout nous sera permis, J’ay du pouvoir icy, vous avez des amis, Assistez d’eux sans bruit, quittant ce lieu funeste… C’est assez m’expliquer, vous entendez le reste. J’envisage en tremblant une telle action, Et vos yeux sont témoins de ma confusion ; Mais enfin pour sauver une teste si chere Je ne ménage rien. J’y cours.         Qu’allez-vous faire ? Elle me quitte & va reculant mon trépas, M’exposer par la feinte à de nouveaux combats. Grands Dieux ! sur mes malheurs plus je jette la veuë, Plus je n’y voy pour moy qu’une funeste issuë ; Et tel est de mes jours l’astre pernicieux… Mais que vois-je ? Alamir se presente à mes yeux, Quel sujet le conduit, quel mouvement le presse : O Dieux, dans ce moment soûtenez ma foiblesse. Alamir, quel dessein porte vers moy tes pas, Viens-tu comme ennemy joüir de mon trépas, Etaller à mes yeux ton triomphe, & ta joye ? Non, j’obeïs au Roy qui veut que je te voye, Quoy qu’il doive punir ton amour indiscret, Il condamne au trépas ta jeunesse à regret, A ta grace sans peine, on le verra souscrire, Mille autres de sa part auroient pû te le dire, Mais voulant par mes soins m’acquitter envers toy, Moy-mesme auprés de luy j’ay brigué cet employ. Pour garantir tes jours d’un indigne supplice : Croy moy, de ton amour fais luy le sacrifice, Dans une folle ardeur cesse de t’obstiner, C’est le sincere avis que je viens te donner. Je ne connois que trop où mon amour m’engage, Je cherche à m’en guerir, je mets tout en usage ; Mais pour vaincre un amour aussi fort que le mien, Les Dieux ne m’ont pas fait un cœur comme le tien. Hé me crois-tu le cœur si remply de rudesse, Quelque fier qu’il paroisse, il n’est pas sans foiblesse. Ce beau feu dont Fatime avoit sceu l’animer, N’est pas un de ces feux prompts à se consommer, Qu’un revers diminuë, & qu’estein une absence ; J’en rougis, mais enfin malgré son inconstance, Je ne puis de Fatime oublier les attraits, Et je sens que je l’aime encor plus que jamais. Helas !         Je le veux bien avoüer à ma honte. Non, que si le retour d’une tendresse prompte, Forçoit en ma faveur son ame au repentir, A l’épouser jamais je pusse consentir. Il suffit qu’une fois elle soit infidelle, Malgré tout cet amour dont je brûle pour elle, Le nom de son Epoux est indigne de moy, Et mon cœur l’abandonne à son manque de foy. Les Dieux m’en vengeront, son illustre conqueste, Ces brillants ornements qui pareront sa teste, Ne mettront point son ame à l’abry des remords ; J’espere que renduë à ses premiers transports, Nous la verrons en proye à ses propres foiblesses, A des retours vengeurs, des perfides tendresses, Elle te quittera toy-mesme pour regner, Ne t’en afflige point, vy pour la dedaigner, Je t’offre mes conseils, & mon exemple à suivre. Sçay-tu ce que tu fais en me pressant de vivre ? Je vivrois pour servir d’obstacle à tes plaisirs, Pour contraindre ton cœur, pour forcer tes desirs, Pour suivre les transports qu’en mon cœur tu fais naistre, Pour te persecuter, pour te haïr peut-estre. Tu feras bien : Le sang dont nous sommes formez Ne doit jamais verser dans nos cœurs animez, Que des transports d’horreur, que des desseins d’outrages. C’est le sort des Zegris, & des Abencerrages. Puis que nous sommes nés chefs de ces deux partis, Croy moy n’en rendons point les destins démentis, Nous ne devons avoir qu’une pareille audace ; Toy d’éteindre mon nom, moy d’étouffer ta race, Ce doit estre entre nous un devoir mutuel. Vy donc pour me haïr.         Hé ! le puis-je cruel ; Pour m’opposer sans cesse une fierté barbare, En laisse-tu moins voir la vertu qui te pare : En es-tu moins aimable, & mon coeur mal-heureux S’abandonne-t’il moins à l’ardeur de ses feux : Car enfin ce Rival, ce chef d’une famille Que tu poursuis ; aprens que ce n’est qu’une fille. Seul reste infortuné des mal-heureux Zegris, Qui s’offre à tes regards sous ces tristes habits. Qu’entens-je juste Ciel !         En vain dés ma naissance, Instruite des raisons d’une juste vangeance, L’esprit plein contre-toy de projets ennemis. Je partis pour ces lieux, j’arrivay, je te vis, Tu revenois vainqueur & tout couvert de gloire : Ma haine en ce moment sortit de ma memoire ; Mon cœur sourd aux raisons qui devoient l’animer, Ne sceut plus en trouver, helas ! que pour t’aimer ! Plus que tu ne me hais, ce cœur t’aime, t’adore ; Je ne m’en repens point, je te le dis encore : Une fois pour toûjours laisse moy m’enyvrer, Du funeste plaisir de te le declarer. Car enfin ne croy pas que par toy méprisée, Je veüille d’une Cour devenir la risée, Après que si long-temps cet habit mal-heureux, M’en a veu recevoir & l’encens & les vœux, Je ne souffriray point la douleur qui me tuë, Tu seras pour jamais délivré de ma veuë. Oüy, ma mort est certaine, & j’y cours sans effroy : Heureuse, puis qu’au moins tu sçais que c’est pour toy. Muet d’étonnement, parmy tant de traverses, J’ay peine à concevoir nos fortunes diverses, Je voy que du destin que l’on ne peut tromper… Ah ! barbare est-ce là ce qui doit t’occuper, Au moment qu’à tes yeux étonnée & tremblante, Je ne puis retenir une ardeur violente : Quand pour te garantir je m’expose au trepas, Quand je t’offre mon cœur, tu ne m’écoutes pas : Me fais-tu voir au moins que mon malheur te touche ; En laisse-tu sortir un soûpir de ta bouche ? Tes superbes regards qui me glacent d’effroy, Daignent-ils par pitié s’abaisser jusqu’à moy ? Daigne-tu voir mes pleurs, hélas ! infortunée… Mais que vois-je ? déja m’auroit-on condamnée. Qu’est-ce, Osmar.         Vostre sort vient d’estre revelé : Le Roy sçait votre sexe, Abendax a parlé. Il paroist tout en pleurs, il demande audiance ; A ses cris douloureux chacun preste licence ; Il dit en peu de mot vostre déguisement, Il ajouste aux raisons de ce grand changement, Combien pour Alamir vostre flamme est constante. Le Roy par ces discours vous voyant innocente, Admire avec plaisir quelle estoit son erreur, Et fait à son couroux succeder la douceur. Fatime en ce moment de tous les siens suivie, Vient offrir son hymen pour vous sauver la vie ; A ses bontez pour vous le Roy mesme applaudit, Et luy raconte enfin ce qu’Abendax a dit. Surprise à ce recit d’une douleur profonde, Elle veut dérober sa honte aux yeux du monde, Mais avec tant de soins, mais avec tant d’ardeur : Le Roy sçait rasseurer sa craintive pudeur, Qu’à sa gloire, à l’éclat de la grandeur suprême, Ouvrant enfin les yeux… mais le Roy vient luy-mesme. Seigneur, après l’abus commis aux yeux de tous ; De quel front puis-je icy paroistre ?         Levez-vous. De l’amour à mon cœur la foiblesse est trop chere, Pour ne pas pardonner les fautes qu’il fait faire, Alamir à ses vœux cesse de resister ; Voy par où sa tendresse a sceu te meriter : Qu’entre vos deux partis la haine soit bannie, Accepte son hymen, c’est ton Roy qui t’en prie. Interdit, étonné de tout ce que je voy ; Seigneur, pour vous répondre à peine suis-je à moy. Madame, cependant à vos desirs rebelle, Mon cœur n’opose plus une fierté cruelle : Et si l’amour déjà ne s’y fait pas sentir, L’injuste haine au moins commence d’en sortir. Ne perdons point de temps, viens, suis-moy dans le Temple, Les Dieux t’inspireront sans doute, & mon exemple. Vous, Madame, quittez ce vain déguisement, Donnez à vostre sexe un plus digne ornement : Etouffez desormais une honte timide, Et vivez dans ma Cour sous le nom de Zaïde. FIN