Enfin me voici donc dans l’Hôtel du Marais Et dessus un théâtre où je ne viens jamais. Et moi, mon cher Marquis, ici je te déclare Que le Palais-Royal me devient aussi rare ; Nul n’y saurait aller, sans se faire draper ! Ah qu’heureux est celui qui s’en peut échapper ! Pour moi, qui n’aime pas à souffrir qu’on me drape, Je veux être berné, si plus on m’y rattrape. Pourquoi donc ? Qui te peut causer un tel courroux ? Pourquoi ? C’est qu’on nous fait tous passer pour des fous. Comte, Duc, et Baron, et Marquis, et Marquise, Ne peuvent s’exempter qu’on ne les tympanise. Nous n’oserions parler, ni desserrer les dents, Qu’on ne nous traite pis que des extravagants. Dès que par notre bouche il passe un mot folâtre, Nous nous voyons d’abord jouer sur le théâtre. Comment ? Quand nous serions sûrement insensés, Nous ne pourrions jamais être mieux redressés. Mais de quoi te plains-tu ?         D’un diable de Molière, Dont l’esprit goguenard ne laisse rien derrière, Et réussit si bien dedans tout ce qu’il fait, Qu’il sait donner à tous chacun son petit fait. Nous sommes tous cocus, si nous l’en voulons croire, Appelez-vous cela des vers à notre gloire ? Mais s’il m’en croit, Marquis, loin de nous railler tous, Il se taira, s’il veut éviter mon courroux. Quoi si nous nous souffrons traiter de ces manières, Nous aurons de sa part bientôt les étrivières. Tu te moques, Baron, sache que cet esprit Ne cherche qu’à nous plaire en tout ce qu’il écrit, Et que tu passeras, si l’on te voit crédule Jusqu’à t’en offenser, pour homme ridicule; Comme il est approuvé de tous les gens d’honneur, Ton approbation doit se joindre à la leur. Moi je l’approuverais ? Qu’un sort le plus étrange M’accable, si plutôt de lui je ne me venge. Mais dis-moi donc comment tu prétends te venger? En n’allant plus chez lui, pour le faire enrager. Lorsque je n’irai plus, qu’est-ce qu’il pourra dire De moi ?         C’est le moyen d’attirer sa satire ; Et s’il vient à savoir le dessein que tu fais, Tu te feras jouer plus qu’on ne fut jamais. Évite, si tu peux, d’en faire la sorte, Si tu ne veux sur toi voir une Comédie : Je suis certain qu’après tu t’en repentirais. Sur moi, s’il l’avait fait, je le fustigerais. Quelqu’autre la ferait.         Poisson aussi s’amuse À s’ébaudir l’esprit parfois avec sa Muse, À ce que j’ai pu voir, et loin de nous priser, Il se mêle à son tour de nous satiriser : Mais qu’il sache sur moi si quelque chose il trace Qu’il n’aura pas affaire au Baron de la Crasse, Puisque je l’en ferais diablement repentir. Ce qu’ils en font n’est rien que pour nous divertit, Tu t’emportes à tort.         Vous aimez la méthode De vous souffrir railler toujours sur chaque mode: Qu’un Molière sans cesse en vos habillements Vous fasse les objets de tous ces bernements ; Et que quand nous avons quelques modes jolies, Il les fasse passer toutes pour des folies. Oui, vous aimez cela, car pour vous voir berner, Vous n’avez pas assez d’argent pour luy donner. Quand je vous dis : Allons à l’Hôtel de Bourgogne, Vous recevez ces mots ainsi qu’une vergogne Et me dites d’abord : Moi rarement je vais À l’Hôtel de Bourgogne, à l’Hôtel du Marais, Ma satisfaction n’est jamais plus entière Qu’alors que je me vois chez l’illustre Molière. Des divertissements c’est aussi le seul but. Hors Molière, pour vous il n’est point de salut, Tous les autres auteurs vous sont insupportables, Les Corneilles auprès sont auteurs détestables, Ce qu’ils mettent au jour est par trop sérieux, Et bien loin de vous plaire, ils vous sont ennuyeux Peut-on voir, dites-vous, une pièce parfaite, Comme celle où l’on voit Alain avec Georgette ? Mais raisonnant ainsi, messeigneurs les benêts, C’est passer pour autant d’Alains et de Georgets. Mais, Baron, tu te vas ériger en folâtre, Si l’on te voit blâmer ce foudre de théâtre, Cet auteur si fertile en ouvrages puissants, Qu’on le nomme en tous lieux la merveille du temps ; Et pour te faire voir sa valeur infinie, Il tire quatre parts dedans sa Compagnie : Enfin c’est un esprit au dessus de l’humain. Je sais qu’il fait venir l’eau dedans le moulin, Et même que sans craindre être au rang des profanes Il vous y fait passer joliment pour des ânes. Dieu me damne, Marquis, ce célèbre garçon Sait dauber le prochain de la bonne façon. Ton obstination, cher Baron, est extrême. Sais-tu que la satyre est la cause qu’on l’aime ? Comme il sait étaler nos défauts à nos yeux, Nous pouvons, les voyant, nous en corriger mieux. Ainsi quand ce savant prononce une parole, Ce doit être pour nous une éternelle école. Ce grand maître d’école a beaucoup d’écoliers Dont il sait, les raillant, attraper les deniers ; Et tandis que le monde est sa dupe et sa buse, En lui-même il se dit : prends-les, je les amuse. Pour moi, je vous promets qu’il ne m’y prendra pas ; Si l’on m’y peut trouver, qu’on m’y casse les bras. Pour moi, je suis ravi lorsque je vois paraître Un esprit qui s’efforce à se faire connaître. S’il nous raille, il nous sait railler si galamment, Que ce nous est à tous un divertissement. Mais je suis sûr qu’à tort on se le persuade, Que cette vision vient d’un esprit malade, Et que jamais Molière en traitant son sujet, Ne fit dessein d’avoir la Cour pour son objet ; Et tant que je pourrai je verrai ce grand homme. Moi, si je le vais voir, je veux bien qu’on m’assomme ; Vous aimez qu’on vous berne en donnant votre argent, Et moi je n’aime pas que l’on m’en fasse autant. Baron, sur ce sujet n’ayons point de querelle; Mais je crains qu’on ne voie une pièce nouvelle Sur ta façon d’agir, si l’on la peut savoir. Et moi je ne crains pas en ce lieu de la voir Et s’il faut par hasard que quelque auteur la fasse, Elle ne sera pas exposée à ma face, Puisque si nous n’allons, vous, ni moi, qu’en ces lieux, Nous ne nous verrons point taquiner à nos yeux. La comédie ici me paraît aussi bonne ; Ils la font aussi bien et ne raillent personne ; Si bien qu’on la peut voir sans se mortifier. On m’a parlé pourtant d’un certain Chevalier, Qui parfois dans ses vers.         Il se mêle d’écrire, Mais on ne le voit point mêler de la satire ; Il ne drape personne en tout ce qu’il écrit. C’est donc assurément qu’il n’en a pas l’esprit; Car sois certain, Baron, que s’il le pouvait faire, Il le ferait, sachant que c’est ce qui sait plaire. Une chaise, l’ami ; commence-t-on bientôt ? Sans chaise vous pouvez vous placer comme il faut ; Vous avez là des bancs où l’on est à son aise. Et moi je n’en veux point, qu’on me donne une chaise. L’on y va. De l’argent, Monsieur, car je m’en vais. Tu te railles, mon cher, je ne paye jamais ; Apprends à me connaître.         Hé bien, avant qu’on sorte~ Si vous ne me payez, que le diable m’emporte. Ah ! Marquis, te voilà.         C’est donc toi, Chevalier ; Et que faisais-tu là ?         Ce faquin de portier Qui se met en courroux, qui tempête et qui peste, De ce que j’ai voulu sur l’heure avoir mon reste : Hé, n’est-ce pas assez lorsque l’on paye bien ? Rend-on le reste ici lorsqu’on ne donne rien ? Quoi, rien! il est content.         Je crois qu’il le peut être, Si c’est payer, que dire : Apprends à me connaître. Ah ! C’est toi, cher Baron, hé qui te croyait là ? Moi, je m’y crois sans doute, et puisque m’y voilà, Bonjour.     Que fis-tu hier ?         Sombre et mélancolique, Pour me déchagriner, je fus voir la critique, Où je trouvai moyen de chasser mon ennui. Ce diable de Molière entraîne tout chez lui, Tout y crevait de peuple, et fort peu, je t’assure, Se purent exempter des traits de sa censure ; Il critiqua tous ceux qui l’avaient critiqué, Et se moqua de qui de lui s’était moqué. Ceux qui s’étaient raillé de l’Ecole des femmes, Se voyaient là chanter fort joliment leurs gammes. Quelqu’un de l’assemblée en paraissait content, Mais bien d’autres aussi riaient en enrageant ; Et tel criait tout haut que c’était des merveilles, Qui s’entendait dauber de façons sans pareilles. Moi qui n’en avais dit jamais ni bien, ni mal, J’envisageais cela d’un plaisir sans égal, Voyant que les objets d’une telle satire Ne savaient s’ils devaient ou se fâcher, ou rire. Ce qui plus me charma, c’est qu’en ces entretiens Il berna les auteurs, et les comédiens, Et je les voyais là faire fort bon visage, Quoi qu’au fond de leur âme ils fussent pleins de rage. Admirez cependant comme quoi cet esprit Sait nous amadouer alors qu’il nous aigrit : Pour nous montrer combien son adresse est extrême, Nous donnèrent en suivant dans le tarte à la crème ; Afin que si quelqu’un s’en était mutiné, On vit que le berneur lui-même était berné : De sorte que chacun voyant son industrie, Tourna, quoique fâché, tout en galanterie, Et demeura d’accord, que pour plaire aujourd’hui, Il faut être Molière, ou faire comme lui. Ah ! Comte, je te vois.         Ici je me transporte Pour te voir, ayant vu ta calèche à la porte, Si bien que je pourrai, contentant mon désir, Du divertissement prendre encor le plaisir. Mais avant qu’on commence ici la comédie, Il faut que je te conte une histoire jolie, Dont Molière à causé la conversation, Et digne assurément de ton attention. Dernièrement étant à la contre-critique, Je reçus là, Marquis, un plaisir angélique. Comme de notre peintre on faisait le Portrait, Et que l’on le croyait tirer là trait pour trait, Tu sauras que lui-même en cette conjoncture Était présent alors que l’on fit sa peinture ; De sorte que ce fut un charme sans égal, De voir et la copie, et son original. On prit par tous endroits son École des femmes, Où pour la critiquer, quelqu’une de ces dames Alla dans ce moment appliquer tout son choix À l’endroit de la soupe où l’on trempe les doigts ; Puis de là ces Messieurs, d’une satire extrême, Donnèrent en suivant dans la Tarte à la crème ; Et le plus enjoué qu’ils drapèrent après, Ce fut celui du Le, ce charmant Le d’Agnès. Quoi n’est-ce pas malice à nulle autre seconde, D’oser blâmer ce Le, ce délice du monde ? Ce n’est pas encor tout, ils blâmèrent l’auteur Des pièces dont il a réveillé l’auditeur, Et de cette façon dont Alain et Georgette S’appellent l’un et l’autre, et que drapa le poète. Ce qui fut plus plaisant, c’est qu’un certain d’entre eux Dit que la pièce était un poème sérieux ; Que bien loin que ce fut une pièce comique, Qu’il ne s’en pouvait voir aucune plus tragique : Les autres de ce point ne restant pas d’accord, Il leur dit là-dessus: Le petit chat est mort, Et soutient hautement que c’était tragédie, Puisque le petit chat avait perdu la vie. Ayant de notre peintre attaqué la vertu, Quelqu’un lui demanda : Molière, qu’en dis-tu Lui répondit d’abord, de son ton agréable : Admirable, morbleu ! du dernier admirable ; Et je me trouve là tellement bien tiré, Qu’avant qu’il soit huit jours, certes, j’y répondrai. Mais l’on m’a dit à moi, qu’il fit à quelques dames La réponse qu’il fait à l’École des femmes, Lorsqu’il n’en riait pas assez à leur avis, Il leur dit : Moi j’en ris tout autant que je puis. Tu sauras que depuis cet illustre Molière Les a tous ajustés de la bonne manière, Et cet esprit en soi qui n’a rien que de haut, A su tailler beaucoup de besogne à Boursault. Moi, je sais bien où tend toute cette satire, Ces Messieurs n’ont dessein que de nous faire rire, Et quand vous les voyez se faire à qui pis pis, Ce n’est que pour avoir notre demi-louis. Monsieur, un gentilhomme est là qui vous demande. Marquis, pour lui parier il faut que je descende : Si je ne pouvais pas revenir en ce lieu, Je prends congé de toi jusqu’à ce soir.         Adieu. Puisque quand il vous joue, il fait tant de merveilles, Sans doute il vous plairait, vous coupant les oreilles. Ah ! Pauvres abusés.         Quoi ! Ne fait-il pas bien ? Dessus cet obstiné tu ne gagneras rien ; Car en tout et partout Molière il désapprouve, Et périra plutôt que chez lui l’on le trouve. D’où vient que tu te veux ce plaisir dérober ? C’est que je n’aime pas à m’entendre dauber. Entendez-vous, Messieurs ? Finissons ce langage. Nous n’en parlerons pas, cher Baron, davantage; Suffit que nous sachions que cela te déplaît. La pièce d’aujourd’hui sais-tu point quelle elle est, Et quel en est l’auteur ?     Chevalier.         Sans scandale, Je crois que cet auteur est un auteur de balle. Si ton opinion te le fait croire ainsi, Dis-moi, que prétends-tu venir chercher ici ? Ayant vu dans l’affiche une pièce nouvelle, Je viens voir ce que c’est.         Elle peut être belle, Et nous bien divertir.         Je n’en crois rien ; ma foi. Pour une comédie, hors Molière, crois-moy. Voilà de nos Messieurs dont l’âme prévenue Blâme une comédie avant que l’avoir vue. Si d’une de Molière on vous donnait l’espoir, Vous la croiriez fort belle, avant que de la voir. On le peut, ayant vu de lui des coups de maître. Mais ne blâmez donc rien sans l’avoir vu paraître. Cet auteur n’a-t-il pas un esprit comme lui ? Et ne vous peut-il pas faire voir aujourd’hui, Quand sans sujet sur lui votre blâme se porte, Que vous ôtes des fous de parler de la sorte ? Comme il n’a pas encor de réputation, Ne peut-on pas errer dedans l’opinion ? N’allez donc pas si vite où votre sens abonde. Mais je crois qu’ils auront aujourd’hui quelque monde, Voyant que l’on se fait plusieurs places garder. Mais pour qui pourrait-ce être ?         Il le faut demander. Laquais, dis-nous pour qui tu gardes cette place ? Messieurs, c’est pour Monsieur le Baron de la Crasse. Quoi celui qui se sut si bien tondre à la Cour ? Lui-même.         Chevalier, nous rirons en ce jour. Et celle-la, pour qui ?         Pour Monsieur de la Souche. Pour rire tout ton saoul, prépare-toi, ma bouche. Et ces deux autres là ? Nous allons voir beau jeu. C’est pour Madame la Comtesse de Beaulieu, Et puis pour Monsieur le Marquis de Mascarille, Qui l’amène en ces lieux à cause de sa fille. Villeneuve, quelqu’un ?         Holà ! L’ami Clément ? Ouvre-nous notre loge.         Oui, tout présentement. Dis-moi, la comédie est-elle commencée ? Non pas encor, Monsieur.         Vous vous estes pressée; Madame, de venir, mais quoi, nous y voici. Si l’on nous fait languir, que ferons-nous ici ? Justes Dieux quel chagrin.         Cessez d’être alarmées, Les chandelles déjà sont toutes aHumées, Et l’on va commencer dans un petit moment. Nous vous attendions tous fort impatiemment, Madame la Comtesse.         Ah ! Baron de la Crasse. Marquis de Mascarille, il faut que je t’embrasse. Mais qui te croyait voir en ce lieu de retour, Après tous les serments qu’on te vis faire un jour ; Qu’on ne te reverrait à la Cour de ta vie ? Je ne viens en ces lieux que pour la comédie ; Pour la Cour, serviteur.         Mais je suis étonné Que Molière chez lui ne t’ait pas entraîné, Ou bien que tu ne sois à l’Hôtel de Bourgogne. Molière drape trop.         Il donne sur la trogne. Poisson m’ayant joué comme il le fit un jour, On me verra chez eux aussi peu qu’à la Cour, Et le Marais tout seul est mon lieu de plaisance. Jouez vite, Messieurs, afin que l’on commence. Page, commence-t-on bientôt la comédie ? Nous l’allons commencer.         La plaisante saillie ! Je crois que nous allons être bien satisfaits. Écoutons, s’il vous plaît, ce page et ce laquais. Je veux que l’on me tonde en Baron de la Crasse, Si dessous cet habit vous n’avez bonne grâce. Comment, à nous dauber on commence déjà ? Ouvreur de loge, à moi ! Holà ! Quelqu’un, holà ! Si je demeure ici, je veux bien qu’on m’étrille. Je m’imagine ouïr Monsieur de Mascarille, Alors que dans sa chaise il faisait tant de bruit. Comment diable, en tous lieux la satire nous suit; Nous n’osons nous montrer, ni même ouvrir la bouche. Ils caquettent autant que Monsieur de la Souche. Quoi donc ! À notre barbe on nous maltraite ainsi ? Ouvre-nous promptement, que nous sortions d’ici. Je suis à vous, Messieurs.         Peste soit la canaille ! Auteurs, comédiens, sont des vrais rien qui vaille. Tout est calme, voyons si nous commencerons. Ce sont là que je crois quelqu’uns de nos Barons, De ces fous que l’on voit qui haïssent Molière, Et ne le peuvent voir en aucune manière. Qu’en dis-tu, cher Baron ? Cela s’adresse à toi. Ce que j’en dis ? Je dis que je m’en vais, ma foi. Demeure.         Demeurez, qu’on vous y chante pouille ; Moi, si j’y reste plus, je veux qu’on m’y dépouille. II faut être bien fou, pour s’en aller ainsi. Ma foi, je suis d’avis de m’en aller aussi. Pour éloigner de nous l’humeur mélancolique Allons voir l’Impromptu, ou la Contre-critique. Rosette, nous avons trouvé l’invention De sortir à la fin de la religion. Mais, Climène, sachez que c’est bien entreprendre, Que d’avoir fait ce tour, pour aller voir Tersandre, Et qu’on vous blâmera sûrement sur ce point. Alors qu’on aime bien, qu’est-ce qu’on ne fait point ? Mais qu’est-il de besoin d’être en cet équipage ? Vous vêtue en laquais, et moi vêtue en page ? Comme Tersandre m’aime, et que je l’aime aussi, J’ai voulu, pour le voir, nous travestir ainsi, Afin qu’en son logis où nous allons paraître, Lui, ni qui que ce soit, ne nous puisse connaître ; Car mon père sachant quelle est ma passion, Et ne nous trouvant plus dans la religion, Viendra, sans consulter, nous chercher chez Tersandre, Croyant nous y trouver, afin de nous y prendre : Mais ne nous y voyant qu’en ce déguisement, Il ne nous connaîtra jamais assurément. Quel est votre dessein par cette brusquerie ? D’empêcher, s’il se peut, qu’un père le marie; Et comme il le prétend marier malgré lui, Pour détourner ce coup, je m’employe aujourd’hui. Mais pour nous introduire, est-il quelque artifice ? Il ne nous faut qu’aller offrir à son service, Et comme il a besoin d’un page et d’un laquais, Il nous acceptera, nous voyants si bien faits. Et qui nous servira de parent, ou de père, Pour nous offrir ?         Je sais les moyens de le faire. Nous entreprenons là des projets bien puissants, Et ce ne sont pas là, comme on dit, jeux d’enfants Mais avant que chez lui je fisse mon entrée, Me deviez-vous vêtir ainsi de sa livrée ? Les Pages, la plupart se présentent ainsi. Et vous, comment entrer ?         Laissez-m’en le souci. Mais vous mettre Laquais, quelle étrange disgrâce Il n’est point en amour d’action qui soit basse. Si pour être Laquais j’applique tous mes soins, C’est que dans cet état on me connaîtra moins; Et la condition passant pour la dernière, Aucun ne me croira mise en cette manière. Je trouve ce dessein tellement surprenant, Que je m’imagine être à Carême-prenant, Nous déguisant ainsi.         J’avouerai qu’étant fille, Je ne croyais pas être un jour porte-mandille, Et que l’on me verrait dans un habillement Où la méchanceté loge ordinairement. Oui, car qui dit laquais, c’est à dire une graine Plus maligne cent fois que la fièvre quartaine : Mais un page, Madame, est d’une autre valeur. Pour moi je ne sais pas qui des deux est meilleur. Mais ne craignez-vous point que notre ami Molière Ne nous chapitre un jour dessus cette matière ? Et s’il vient à savoir nos petits incidents, Qu’il ne nous mette pas en de fort beaux draps blancs ? S’il apprend les emplois dont le destin nous charge, Il nous en donnera tout du long et du large. Rosette, ne crains rien, quand même il saurait tout, Je ne le crois pas homme à nous pousser à bout : Et puis ne nommant point, sait-on qui ce peut être ? Il nous dépeint si bien, qu’il nous fait bien connaître, Et le madré qu’il est, fait tant par son esprit, Que souvent le rieur est celui dont on rit. Qu’importe. Mais ici l’on nous pourrait surprendre. Allons tout de ce pas nous offrir à Tersandre. Ragotin, est-il rien d’égal à mon malheur ? Je n’y saurais songer, sans mourir de douleur. Vous seriez assez fou, d’abandonner la vie. Pourquoi donc, s’il vous plaît ?         Tu connais bien Julie, Et sais que cet objet qui fait ma passion, Parut toujours sensible à mon affection. Oui, Monsieur, qu’en est-il ?         Apprends donc que son père, Loin de m’être propice, est à mes voux contraire : Le père de Tersandre, et lui, sont bons amis ; De sorte qu’en secret tous deux se sont promis De marier un jour Julie avec Tersandre. Que faire là-dessus ?         Il faut vous aller pendre. Est-il temps de railler en l’état où je suis ? Je ne vois que cela pour finir vos ennuis ; Car si dans un moment tout ne vous est prospère, La mort est justement en qui mon maître espère. Qui ne la chercherait au point où me voilà ? Aidons-nous, comme on dit, le Ciel nous aidera. Je sais de bonne part que ce rival Tersandre N’eut jamais pour Julie en son âme aucun tendre, Et je vous puis de même assurer aujourd’hui Que Julie en son cour n’en a non plus pour lui ; Que bien loin qu’elle soit le sujet de sa peine, Que ce Tersandre en tient pour certaine Climène, Dont le père aussitôt qu’il apprit leur amour, La fit dans un couvent mettre par un beau jour, Pour l’ôter promptement des yeux de ce Tersandre. De crainte qu’il ne fit à son honneur esclandre. Tersandre de cela se sentant enragé, Fut contraint malgré lui de prendre son congé, Et de s’en revenir au logis de son père, Qui veut avec Julie achever leur affaire. Mais Tersandre coiffé de ses autres amours, Au lieu de se hâter, veut reculer toujours, Attendant que le Ciel inspire dans son âme Un moyen pour revoir le sujet de sa flamme. Donc puisque contre vous il ne s’avance rien, Vous devez cependant avancer votre bien. Voilà ce que je puis là-dessus vous apprendre. De qui sais-tu cela ?         Du valet de Tersandre, De Guillot, en buvant chopine avecque lui, Il m’a tout découvert de son maître l’ennui ; La maison de Julie, et la sienne, et la nôtre, Étant vison visu, nous nous voyons l’un l’autre; Ses suivantes, Guillot, nous nous divertissons. En ce lieu bien souvent nous disons des chansons; Et comme nous savons assez bien la musique, Nous fîmes hier un air où notre amour s’explique, Que nous devons chanter ici dans un moment. Ainsi je saurai tout indubitablement. Je saurai de tes soins aussi te satisfaire. Laissons les compliments, songeons à votre affaire; Tersandre se voyant par son père presser, Pourrait bien contre vous quelque chose avancer. Il vient ici, sortons.         Hé bien, Monsieur mon maître, Par votre seule faute on nous envoie paître; Vous avez tant fait voir votre teste à l’évent, Qu’enfin votre Climène est au fond d’un couvent. Ah ! Si vous eussiez fait votre amour en cachette, Comme faisait Guillot...         Mais quoi, la chose est faite. Ce que je trouve encor de fâcheux en cela, C’est que votre pater vous déshéritera, S’il apprend une fois que votre amour vous lie Avec un autre objet que la belle Julie. C’est là ce qui me force à me rendre chez lui. Hélas que dois-je faire en ce pressant ennui ? À Julie il vous faut feindre fort bonne mine, De peur que le vieillard contre vous se mutine, Entretenant si bien votre autre amour sous main, Qu’il ne vous puisse pas sevrer de son douzain. Mais, Guillot, quand revoir mon aimable Climene? Si vous eussiez voulu nous serions moins en peine, Votre Climène encor serait auprès de vous, Au lieu qu’elle se voit dans la boîte aux cailloux ; Joint qu’il est difficile, où son sort l’a su mettre, De lui faire tenir le moindre mot de lettre; Car si l’on aperçoit en ce lieu vos couleurs, On renvoiera vos gens avecque vos douceurs. Je dois prendre un laquais vêtu tel qu’il puisse être, Je saurai m’en servir.         Sans votre beau bissêtre Vous verriez votre objet, et moi le mien aussi, Et nous ne serions pas, Monsieur, où nous voici. Quoi ! Tu faisais l’amour, serait-il bien possible ? Pour n’être qu’un valet, en suis-je moins sensible ? Et ne savez vous pas, aussi bien comme moi, Qu’un berger n’est non plus exempt d’amour qu’un Roi ? Si cette passion en vous s’est fait paraître, Ne puis-je pas aimer aussi bien que mon maître ? L’amour fut et sera ; donc n’ayant point de bout, Et ne voyant pas clair, il se fourre partout. Or comme il est aveugle, et qu’il lance sa flamme, Un valet, comme un maître, en peut avoir dans l’âme : Si bien qu’étant tous deux pleins d’un brûlant transport. Il est indubitable. Oui, nous aimons bien fort. Quand je souffre, Guillot, laisse l’extravagance. Si vous souffrez, Monsieur, chacun a sa souffrance. Me tiendras-tu toujours des discours d’insensés ? Hé ! Ne nous moquons pas, Monsieur, des oppressés : Dans toute ma folie au moins j’ai l’avantage, Si l’amour me rend fou, de vous voir bien peu sage. Que vois-je ?     Le voilà.         J’allais chez vous, Monsieur, Avecque le dessein de me donner l’honneur D’aller vous saluer, et vous rendant hommage, Vous prier d’accepter mon fils pour votre page. Monsieur, je le reçois, et vous suis obligé. Ne vous, voilà pas mal de vous voir enpagé. Sans l’heur d’être connu de Monsieur votre père, Je n’eusse osé jamais un tel présent vous faire : Mais comme il eut toujours pour moi grande bonté, Ce présent dès longtemps vous fut prémédité. De peur que dans ce lieu je ne vous embarrasse, J’irai de vos bontés chez vous vous rendre grâce : Monsieur, je crains ici de vous importuner. Adieu, Monsieur.         Enfin on vient de vous donner. Oui, Monsieur, et de plus moi-même je me donne. Page, n’avez-vous point l’humeur un peu friponne ? Car ordinairement Messieurs les Culs d’oignons, Tant qu’ils ont cet habit, sont de bons compagnons. Si tu raisonnes plus, je jouerai de la canne. Soufflez-vous bien des pois avec la sarbacane ? Je ne sais ce que c’est.         Vous tairez-vous, Guillot ? Ne vous plaisez-vous point à prendre du piot ? Mais qui vient m’aborder ?         Monsieur, daignez m’apprendre, S’il vous plaît, le logis où demeure Tersandre. Le voilà devant vous en propre original Vous lui pouvez parler, il est doux animal ; Moi, son homme de chambre, et vous voyez son page, C’est tout ce que j’en sais, cherchez-en davantage. Monsieur, ayant appris qu’il vous faut un laquais, Et que de vous servir je fais tous mes souhaits, Je viens vous supplier d’accepter mon service. Qu’il est joli ! Guillot.         Il n’est pas sans malice. Vois-tu qu’il a de l’air de qui sait me ravir ? Ce sujet là tout seul m’oblige à m’en servir. Si c’était la beauté qui vous tient en cervelle, À ce que je puis voir, vous vous serviriez d’elle. Avez-vous répondant ?         Oui-dà, Monsieur, fort bon. N’as-tu pas demeuré dans quelque autre maison ? Oui, Monsieur, j’ai déjà servi chez une dame. C’est un commencement pour être bonne lame ; Et cette dame était quelqu’une de nos soeurs, Qui pour gagner sa vie, accordait des douceurs ? Je suis laquais d’honneur, Monsieur, je vous proteste, Et vous lui faites tort.         Bonne petite peste, Que vous a-t-elle fait pour la quitter enfin ? C’est que j’avais du mal comme un petit lutin À frotter tous les jours les planchers de nos chambres : Si bien qu’on exerçait en ce lieu tous mes membres ; Et ce qui me faisait encore plus pester, J’avais incessamment une queue à porter, D’abord qu’elle sortait. Si jamais je sers dame... Vous aimez mieux servir un homme qu’une femme ? Un homme assurément sera bien mieux mon fait. Je vous crois très subtil à porter un poulet ; Car vous avez la mine, ou je veux qu’on me berce, D’être fort bien stylé dans l’amoureux commerce. Laisse-le là, Guillot, tu fais trop le badin. Comment t’appelle-t-on ?         Monsieur, c’est Calotin Pour vous servir.     Demeure.         Ah ! Petite Calotte, Si vous ne servez bien, je sais bien comme on frotte. De quel pays es-tu ?         Je suis Périgourdin. Tu marches donc fort bien ?         Je fais bien du chemin; Lorsqu’il en est besoin, je vais comme un tonnerre. Mais peut-être avez-vous du diable un caractère. Je suis un éveillé qui va bien sans cela. Il a ta mine d’être un petit Maxima. Chanteras-tu toujours à tout le monde injure ? Est-ce l’injurier, que l’appeler Mercure ? Et pour lui n’est-ce pas un titre glorieux, Que le nommer du nom du Messager des Dieux ? Page, et vous, Calotin, il le faut laisser dire, C’est un humeur gaillarde.         Il est vrai, j’aime à rire. Calotin, sais-tu bien le faubourg Saint-Germain ? Oui, Monsieur.         Viens donc prendre un billet de ma main, Et puis tu t’en iras aux Filles de Lorraine, Où tu demanderas à parler à Climène, Et si quelqu’un de là, par de fins entretiens, Te venait demander de quelle part tu viens, Tu lui diras que c’est de la part de son père. Je suis assez instruit, Monsieur, laissez-moi faire, D’abord que vous m’aurez donné votre billet, Dites, Climene l’a, car c’est autant de fait. Mais il faut, s’il se peut, en avoir la réponse. Si je ne l’ai, Monsieur, à servir je renonce. À ce que je puis voir, ce n’est pas le premier. Ah ! Que le petit traître est grec en ce métier ! Viens prendre ce billet, Calotin, et vous, Page, Suivez-moi pour aller autre part en message. Pour Guillot, il n’aura qu’à m’attendre en ce lieu. Vous me faites plaisir, et de bon coeur adieu. Depuis que je me trouve éloigné de Rosette, Je commence déjà d’en tenir pour Lisette ; Et puisque cet objet à mes yeux est présent, Je le veux par ma foi préférer à l’absent. Aussi bien voici l’heure à peu près, ce me semble, Que nous devons ici nous rencontrer ensemble, Pour chanter la chanson composée entre nous. Ah ! bon, bon, les voici, je les vois venir tous. Ragotin, Beatrix, et toi, belle Lisette, Ça, tâchons d’exceller dans notre chansonnette. Mais si vous m’en croyez, pour mieux nous accorder, Avant que commencer, il nous faut préluder. Guillot dit vrai, car c’est l’ordinaire habitude De débuter toujours par quelque beau prélude. Je n’aime rien tant que Lisette, Ni moi, rien tant que Béatrix ; Ragot est ce que je souhaite, Et Guillot rend mon coeur épris. Puisque l’amour tous quatre ensemble Nous rend l’un pour l’autre de feu : Si jamais l’hymen nous assemble, Je crois que nous verrons beau jeu. Le bonheur ne sera pas moindre Que celui des Dieux et des Rois, Alors que nous pourrons nous joindre De nos corps comme de nos voix. Ah ! Quel plaisir ! Ah ! Quel delice ! Quel extrême contentement ! Si le sort quelque jour propice Nous joint copulativement. Hé bien, que dites-vous d’une telle musique ? Pathétique, morbleu ! Du dernier pathétique. Il est vrai que cet air est tout à fait touchant. Lisette, que pour toi je me sens de penchant ! Adieu, séparons-nous, de peur qu’on ne nous crie. Béatrix, feras-tu venir ici Julie ? Oui, je te le promets.         Bon, cependant, Guillot, Allons au cabaret prendre un doigt de piot. C’est fort bien avisé.         Chacun d’eux se retire, Voyons ce que Tersandre ici daigne m’écrire. Adorable Climène, depuis que mon malheureux destin m’a séparé de votree charmante personne, il faut que je vous avoue que je suis tellement accablé de tristesse, que rien au monde ne m’en saurait tirer que votre aimable présence. Et en vérité si je m’avais une espérance tout à fait grande de vous revoir bientôt, il n’est point de moment que je ne m’abandonnasse au désespoir. Mais ce qui me console un peu dans mon affliction, c’est que je suis certain d’être aimé parfaitement, et que vous ne changerez jamais. Aussi, belle Climène, vous pouvez vous assurer que si vous êtes toute de constance pour moi que je suis tout de fidélité pour vous. Adieu, je vous prie que ma lettre vous serve de consolation, et de me daigner faire la grâce de m’en envoyer la réponse par le même petit laquais. C’est ce qu’attend avec impatience celui qui ne sera jamais qu’à vous, TERSANDRE. Après l’extrême amour qu’il me prouve aujourd’hui Je n’ai point de sujet de me plaindre de lui : Allons à son billet faire notre réponse; Pour Monsieur le Couvent, à jamais j’y renonce. Bonjour, sieur Gorgibus, j’allais chez vous me rendre, Pour nous entretenir de Julie et Tersandre, Ainsi que nous l’avions tantôt prémédité. Policarpe, je rends grâce à votre bonté, De ce que je vous vois zélé dans cette affaire; Et ce m’est un honneur tout extraordinaire, De voir dans peu de temps votre fille et mon fils, Par le doux noeud d’hymen ensemble bien unis. Je sais que Clarimond, de valeur infinie, En mariage aussi voudrait avoir Julie, Mais vous voyant à lui Tersandre préférer, Nous ne pouvons tous deux trop vous considérer, Clarimond y pourrait assurément prétendre; Mais, Gorgibus, ma fille est promise à Tersandre, Et nous n’aurons jamais nulle difficulté En cette affaire ci que de votre côté. Pour moi, je ne crois pas que rien y mette obstacle, Si le ciel ne l’y met par un soudain miracle. Mais entrons pour un peu nous en entretenir, Puis après nous viendrons ici nous divertir. Quelques gens de chez moi, par certaine saillie, Doivent ici danser une galanterie ; Et comme ils m’ont prié d’en être spectateur, Vous les obligerez d’en être aussi, Monsieur. Je le veux bien, entrons.         Après, si bon vous semble, Vous me ferez l’honneur que nous soupions ensemble. Julie assurément doit venir en ce lieu. Oui, vous allez l’y voir, et devant qu’il soit peu, Béatrix me l’a dit comme une chose sûre. Mais la voici déjà.         La charmante aventure ! Quoi je vous vois, Julie ? Ah ! Que je suis heureux ! Pourquoi ne la pas voir, si vous avez des yeux, Puisque cette beauté se montre à votre vue ? Si vous ne la voyiez, vous auriez la berlue. Cesse de bouffonner. Ah que mon sort est doux, De me pouvoir trouver un moment près de vous!. Car de tous les plaisirs) s’il en est un suprême, C’est celui de se voir auprès de ce qu’on aime. Mon maître, Beatrix, a raison, par ma foi ; Mon plaisir le plus grand est d’être auprès de toi ; Et dès que je ne puis envisager ta face, Le pauvre Ragotin tout aussitôt trépasse. Vous voir assurément fait mon unique bien: Mais, Clarimond, que faire où nous ne pouvons rien? Et quand mon pere veut que j’épouse Tersandre, Je ne voy pas comment je pourray m’en defendre. Si j’apprens cet hymen je mourray de regret. Pour finir vostre mal, c’est un fort beau secret: Mais vous aimant tous deux d’une amitié parfaite, Que ne l’enlevez-vous? Ce seroit chose faite. Dans un si grand malheur, he!as! que ferons-nous? Que ne m’est-il permis de me donner à vous ? Mais comme mon devoir m’empêche de le faire, Et que je ne le puis, sans déplaire à mon père, Apprenez, Clarimond, que tant que je pourrai Éloigner ce malheur, qu’enfin je le ferai ; Et qu’il ne sera point au monde d’artifice, Que je n’emploie, afin de vous être propice. Après un tel aveu, je m’en vais trop heureux: Mais vous pourrai-je voir encore dans ces lieux ? Oui, je vous le promets. Adieu, voici Tersandre. Tâchons, sans être vu, de les pouvoir entendre. Si mon père savait que j’eusse un autre amant Que Tersandre, il ferait la chose en ce moment: Feignons donc de l’aimer, pour reculer l’affaire ; Peut-être que le ciel me deviendra prospère. Feignons.         Belle Julie, est-il rien de si doux Que les brillants attraits qu’on aperçoit en vous? Le traître !         Le moyen de se pouvoir dédire, Aussitôt qu’on vous voit, d’être sous votre empire ? Qu’entends-je ? L’infidèle !         Alors que je vous vis, De vos rares appas mes sens furent ravis : J’eus pour vous dans mon coeur d’amoureuses alarme. Et ne pus résister à vos merveilleux charmes. Oui, vous fûtes d’abord mon adoration. Je pense, par ma foi, qu’il l’aime tout de bon ; Et pour peu que la dame en paraisse amoureuse, Il oubliera bientôt notre religieuse. Daignerez-vous m’aimer ?         Vous voyant tout de feu, Si je n’aime, du moins, je crois qu’il s’en faut peu. D’un et d’autre côté le feu prend à la mècbe Et sans doute l’amour dans leur cour a fait brèche. Le perfide l’ingrat ! Qu’ai-je fait ? Juste ciel ! Il vous faut avaler cela doux comme miel. Mais vous avez acquis un nouvel héritage ? Oui, je me suis chargé d’un laquais et d’un page. Mon Dieu, qu’ils sont jolis ! Qu’ils me plaisent tous deux ! Madame, assurément nous sommes trop heureux D’avoir acquis si tôt le bonheur de vous plaire. Que je te plaise, ou non, mais tu ne me plais guère. Nous sommes obligés par trop à vos bontés. Voyez qu’ils sont tous deux pleins de civilités. On vante les vertus du laquais et du page, Mais pour l’homme de chambre ou n’en dit rien, j’enrage. Calotin, as-tu fait ce que je t’avais dit ? Oui, Monsieur, je l’ai fait avec beaucoup d’esprit, Et j’ai sur moi de quoi vous faire bien connaître Que très fidèlement je sais servir mon maître. Voyez qu’il est adroit, qu’il répond à propos ! Je suis, quoique petit, des laquais le héros, Et je puis me vanter qu’il n’en est point en France De plus discret que moi, plus rempli de prudence : Je sais écrire et lire à la perfection, Je suis vaillant, adroit, et plus fier qu’un lion ; Si je portais l’épée, on m’en verrait défendre Avec autant d’adresse et de coeur qu’Alexandre. Dans les salles aussi l’on me voit triompher, Le fleuret à la main, et je bats bien le fer ; J’en donne, j’en reçois mais en faisant retraite, Je ne manque jamais à la botte secrète ; Quoiqu’on ait défendu les armes aux laquais, En cachette j’ai fait de bons coups au Marais. C’est Roland le cadet.         Je l’aime, étant si drôle. Il est aimable aussi.         Par ma foi, j’en suis folle. Vous l’aimez, bonne pièce, et par quelle raison ? C’est qu’il a de l’esprit, et qu’il est beau garçon. Et vous, n’aimez-vous point aussi Monsieur le Page ? Pourquoi ne l’aimer pas ? Il est bien fait, bien sage. Carogne !         Puisque d’eux vous faites vos mignons, Et Ragotin, et moi, nous les ajusterons : Sachez que votre amour leur deviendra funeste. Ils n’ont que trop de quoi vous donner votre reste, Demeurez bons amis.         Soyez sage, Guillot. Qu’elles le soient aussi, car je ne suis pas sot. Maigre moi, cher Tersandre, il faut que je vous quitte ; Adieu jusqu’à tantôt.         Adieu, rare mérite. Allons vite chez moi pour lire mon billet. Détalons promptement, Monsieur, c’est fort bien fait. Est-ce là cet amour, est-ce là la tendresse, Ingrate, dont tantôt vous m’aviez fait promesse ? Apprenez que promettre et que tenir sont deux : Comment le pourrait-elle, ayant tant d’amoureux ? Je vous en dois aussi, vous aimez donc le page ? D’où vous vient ce chagrin, Clarimond ?         Ah volage, Après ce que j’ai vu.         Qu’avez-vous donc pu voir ? Que vous aimez Tersandre, et c’est mon désespoir. Moi j’aimerais Tersandre ! Ô Dieux ! L’injuste blâme. Ah ! Que vous savez bien déguiser votre flamme ! Mais puisque toutes deux elles nous font faux-bon, Plantons-les là, Monsieur, sans aucune façon. Hé bien ! Puisqu’il vous plaît que je sois inconstante, Votre âme sur ce point se trouvera contente Je vous aimais, cruel, mais vous voyant jaloux, Vous serez désormais l’objet de mon courroux. Si mon amour pour vous s’était moins fait paraître, Je demeure d’accord que vous le pourriez être Mais, ingrat, vous étiez trop certain de mon coeur, Pour m’oser soupçonner d’une telle rigueur : Apprenez que jamais je ne fus infidèle. Adieu, perfide amant.         Ah ! charmante cruelle, Demeurez un moment.         Que vous avez de soin ! Monsieur, sur ma parole, elle n’ira pas loin. Votre âme d’un seul mot se trouverait confuse : Mais vous ne valez pas que je vous désabuse. L’ai-je dit?         C’est un crime, aimant, d’être jaloux, Mais nous ne sommes pas toujours maîtres de nous ; Et s’il m’était permis d’en croire l’apparence, Je vous pourrais blâmer d’avoir de l’inconstance. Daignez donc m’excuser, si je suis alarmé, On craint toujours de perdre un objet bien aimé : Et ne savez-vous pas, trop aimable Julie, Que l’amour rarement se voit sans jalousie ? Cessez donc de Tersandre enfin d’être jaloux; Si je reçois ses voeux c’est pour mieux être à vous. EUe vous fera voir, étant si bien disante, Que vous avez grand tort de la croire inconstante. Mais tu n’en seras pas quitte à si bon marché. Ah ! Que de mon soupçon je me trouve fâché ; Je voudrais être mort !         Cessez votre martyre ; Je vais songer à vous. Adieu, je me retire, Je crains qu’on ne me voie avec vous en ce lieu. Que je vous voie au moins dans peu de temps ; adieu. Ragotin, reste ici pour voir ce qui se passe. Demeurez un moment, que l’on vous voie en face : Pouvez-vous sans rougir me regarder au front, Lorsque vous m’avez fait un si sensible affront ? Hé ! Qu’ai-je donc tant fait ?         Rien, bonne bête bleue, Il vous faut donc toujours un page à votre queue ? Qui, moi, je l’aimerais ? J’aurais l’esprit bien fou. C’est donc ne l’aimer pas, que lui sauter au cou ? Allez, allez chercher votre chausse-troussée, Et n’espérez jamais d’être dans ma pensée. Pour nous galantiser, est-ce avoir mal vécu ? Non, il fallait me faire à ma barbe cocu : Et ne savez-vous pas, ô trop méchante peste, Que ces approches là font venir tout le reste, Et que si ce n’était la fréquentation, Que l’on serait exempt de la tentation ? Que sais-je ?         Béatrix, Madame te demande, Il faut que ta personne auprès d’elle se rende. Adieu, beau contrôleur.         Ne vois-je pas Guillot ? Oui, oui, vous le voyez, visage de Magot, Qui vous viens reprocher, Madame la marmotte, Que votre amour n’est plus que pour une calotte. Ah ! Que vous deviez bien maudire votre destin, Lorsqu’il vous sut venger de Monsieur Calotin Tous ceux qui vous verront vont prendre la routine De ne vous nommer plus que dame Calotine. Voyez, fais-je du mal en tout ce que je fais ? N’oserait-on causer ?         Ah reste de laquais, Ma réputation va devenir bien sotte, Si vous continuez d’aimer votre calotte : Mais je saurai si bien.         Guillot est un grand fou. Allez calotiner tout votre chien de sou. Adieu, maître badin, le plus grand des ivrognes. Ah ! Voici ces messieurs qui causent nos vergognes. Dieu vous gard, les beaux fils qu’on doit considérer, Et qui de nos objets nous prétendez sevrer : Ah petit laqueton, avez-vous bien l’audace, Après m’avoir déplu, de m’oser voir en face ? Et vous, Page effronté, dites par votre foi, Osez-vous bien aussi vous montrer devant moi, Après avoir voulu suborner ma maîtresse ? Et ne craignez-vous pas que ma main ne vous fesse ? Et lorsque vous m’osez faire votre jouet, N’appréhendez-vous point d’avoir aussi le fouet ? Qu’en bonne compagnie, ô trop maligne bête, Je ne vous fasse voir le derrière nu tête ? Apprenez, s’il vous plaît, Monseigneur Ragotin, Qui m’osez menacer du fouet de votre main, Que si de vous frotter je me mets en posture, Que je vous donnerai bien de la tablature. Sachez que si j’avais une épée au côté, Vous rengaineriez bien votre témérité ; Car qui dit Calotin, dit garçon de courage. S’il avait son épée, il ferait du carnage. Oui, oui, j’en pourrais faire ; et si dans ce lieu-ci Vous voulez vous trouver, vous m’y verrez aussi. Si j’avais ce qu’il faut, sans prendre un plus long terme, Vous verriez que je sais me battre de pied ferme. La peste ! Le rude homme, ah ! Qu’il est dangereux. Je ne suis guère grand, mais je suis vigoureux ; Étant au lieu d’honneur, je suis toujours alerte Et si Guillot y vient, il est sûr de sa perte. N’Ëtes-vous point le fils de Mars ou de Samson ? Je suis ce que je suis, mais fort joli garçon, Demandez à Picard, Champagne, la Violette, Si je sais allonger une estocade nette : Ainsi vous ferez mieux de ne raisonner plus. Apprenez-moi, de grâce, où loge Gorgibus ? Mon père ? Ici.         Voilà le lieu de sa demeure ; Mais n’allez pas plus loin il vient à la bonne heure. Quoique je ne sois pas connu de vous, Monsieur, Je me viens plaindre à vous du plus pressant malheur Qui se soit jamais vu dedans une famille. Quel malheur?         Votre fils a suborné ma fille ; Il a, malgré mes soins, trouvé l’invention De la tirer dehors d’une religion, Où pour fuir ce malheur j’avais su la réduire. Pour avoir fait ce trait, il est assez bon sire, C’est un rusé manoeuvre en matière d’amour. Monsieur, soyez certain que s’il a fait ce tour, Ou que de sa sortie il puisse être la cause, Que pour vos intérêts je ferai toute chose. Hélas ! Pour mon malheur il n’est que trop certain. Tout est perdu.         Cherchez Tersandre, Calotin. Il n’en est pas besoin, il vient ici se rendre. Le père de Climène ici ! D’où vient...         Tersandre, Connaissez-vous Monsieur ?         Oui, je le connais bien, Monsieur.         Ma foi, pour vous tout cela ne vaut rien. De la religion où sa fille était mise, Traître, la deviez-vous enlever par surprise ? Moi ? Monsieur, apprenez qu’alors qu’on vous l’a dit, On a voulu sans doute alarmer votre esprit ; Et je puis vous jurer....         Arrête, arrête, infâme. Faut-il que mon honneur en tous lieux se diffame ? Cessez sur ce sujet de prendre aucun ennui, Vous serez pleinement satisfait aujourd’hui ; Si pour lui du couvent votre fille est sortie, Je consens qu’à présent tous deux on les marie. On ne peut rien de plus.         Cela ne va pas mal. Ce n’est pas encor là l’endroit le plus fatal. Mais Policarpe à qui j’ai donné ma parole. Dans un tel contretemps la parole est frivole : Vous ne vous devez pas contraindre sur ce point, Puisqu’enfin Clarimond ne me manquera point. Que de bonté !         Daignez ne m’être pas contraire, Montrez pour votre fils encor un coeur de père. Oui, cruel, je le montre, et j’y suis obligé. De Policarpe enfin vous voyant dégagé, Et Boniface étant d’une égale famille, Permettez que j’épouse une si digne fille. Monsieur, le voulez-vous ?         Je suis trop satisfait. Mais de Climène enfin, dites, qu’avez-vous fait ? Où peut-elle à présent par votre ordre être mise ? Vous avez, ce me semble, un peu l’âme surprise. Monsieur, assurément c’est une vision, De croire qu’elle soit hors de religion, Voyant que Calotin en ses mains a su mettre Aujourd’hui de ma part encor un mot de lettre. Comment prétendez-vous accorder tout ceci ? S’il n’était vrai, Monsieur, me verrait-on ici ? Monsieur, répondez donc ?         Ciel ! Que je suis en peine ! Quoi vous ne savez pas où peut être Climene ? S’en serait-elle allée ? Approchez, Calotin, N’avez-vous pas donné mon billet ce matin En main propre à Climène ?         Oui, Monsieur, que je pense. Je crains bien en ceci beaucoup de manigance. Comment, que vous pensez, qui vous fait hésiter ? Damnez la pardonner, je vais tout vous conter. Oui, oui, je lui pardonne, ôte-nous donc de peine. Sachez que Calotin n’est autre que Climène : Je sais que vous pourrez me blâmer en ce jour ; Mais que ne fait-on point quand on a de l’amour ? La crainte que j’avais qu’on marie Tersandre, M’a fait, pour t’empêcher, toute chose entreprendre. Ainsi...         C’est vous, Climène ! Ah ! Que je suis heureux ! Il nous faut dès demain les marier tous deux. Ragotin, fais venir et Julie, et ton maître. Tout à l’heure, Monsieur, vous les verrez paraître. Mais, Madame Climène, ou Monsieur Calotin, Rosette...     Elle est en page.         Ah ! Page féminin, Tous ceux qui sont ici, te voyant en parade, Te voudraient bien avoir je crois pour camarade ; Mais, Rosette, t’aimant, tu dois être le mien. Oui, Guillot, sois certain que mon coeur est tout tien. Monsieur, voilà déjà Clarimond et Julie. Monsieur, que de bonté !         Demain l’hymen vous lie. Mais avant que d’aller l’un l’autre les unir, Si les danseurs sont prêts, qu’on les fasse venir.