Du trouble où je vous voy, Seigneur, que puis-je croire ? Il n’est rien dont l’éclat ne cede à vostre gloire; Vostre sort est égal au sort des plus grands Rois, Tout l’Empire des Gots aime à suivre vos Lois, Et quoy qu’Amalasonte ait le titre de Reyne, Pour vous sa confiance est si forte & si pleine, Que vous laissant agir, pour tous droits reservez, C’est son nom qui paroist lors que vous resolvez. Il semble cependant que vostre ame inquiete De tout ce grand pouvoir ne soit pas satisfaite, Que la Fortune avare ait trop peu fait pour vous ? Elle répand sur moy ce qu’elle a de plus doux, Je m’en plaindrois à tort ; quelque faveur nouvelle Affermit chaque jour ce que j’ay reçeu d’elle ; Mon destin tu le vois, n’a rien que d’éclatant, Mais pour se croire heureux, il faut estre content. Non que je ne le sois du costé de la gloire, J’ay toûjours sur mes pas veu marcher la Victoire ; Et si l’ambition pouvoit m’inquieter, J’obtiens plus que jamais je n’osay souhaiter. Depuis que j’ay donné tous mes soins à la Reyne, C’est peu de partager la grandeur Souveraine ; Sa bonté va si loin, qu’elle me laisse voir Que je puis écouter un teméraire espoir, Et que pour voir bientost ma teste couronnée, Je n’ay qu’à m’enhardir, & parler d’hymenée. Voy par là si mon sort doit faire des Jalous. La Reyne vous estime, & fera tout pour vous, Son cœur à vostre amour ne chercher qu’à se rendre. Je n’en sçaurois douter, si je la veux entendre, Elle n’en dit que trop ; mais plus que ses discours, C’est de quoy ses regards m’instruisent tous les jours. Tant d’ardeur y paroist, que souvent je me blâme De n’aller pas assez au devant de sa flame, Et de chercher toûjours à me faire un secret D’un amour que je voy qu’elle étoufe à regret. Je ne conçois pas bien quel scrupule vous gesne, Quand vous n’osez répondre aux faveurs de la Reyne. Si parmy ses Sujets elle prend un Epoux, Son choix peut-il, Seigneur, mieux tomber que sur vous ? De mille exploits fameux le superbe avantage Du Peuple & des Soldats vous attire l’hommage. Déja de Roy par tout vous avez le pouvoir, Ce grand nom vient s’ofrir , il faut le recevoir. Il est doux, il est beau de porter la Couronne , La refuserez-vous, quand l’Amour vous la donne ? Vouloir que cet amour s’explique jusqu’au bout, C’est outrager la Reyne à qui vous devez tout. La Reyne a des bontez dont je ne suis point digne. Pour elle quelquefois ma gloire s’en indigne, Je m’en hay ; mais enfin je pourray tant sur moy, Que je meriteray les biens que j’en reçoy ; Un peu d’effort me rend la victoire certaine. C’est à vous d’y penser, vous connoissez la Reyne. Sur le plus foible outrage elle croit que son rang L’autorise à vanger sa gloire par le sang ; Et lors que vostre espoir sur ses bontez se fonde, Je craindrois…         Honoric voit souvent Ildegonde. Crois-tu qu’il reüssisse, & qu’il en soit aimé ? J’ignore entr’eux, Seigneur, quel amour s’est formé ; Il luy rend quelques soins; mais quoy qu’il en puisse estre, Si son feu vous déplaist, vous en estes le maistre. Par l’hymen de la Reyne il vous aura pour Roy, Et la Princesse en vain…         Moy ? la contraindre, moy ? Non, Euthar, elle peut, sans que j’y mette obstacle, Ordonner de son cœur, le temps fait ce miracle. Autrefois, je l’avouë, il m’eust esté fâcheux Qu’un Rival eut ainsi triomphé de mes feux, J’aurois péry plutost que d’en soufrir l’injure ; Mais enfin aujourd’hui je le vois sans murmure, Et ce qui de ma foy va devenir le prix, Me doit trop consoler de ses honteux mépris. S’il t’en souvient, Euthar, qu’ils ont eu d’injustice ! Ildegonde sans doute a trop crû son caprice ; Et ce tendre respect qui soûtenoit vos vœux, Meritoit aupres d’elle un succés plus heureux. Encor si dans le temps que mon ame charmée Luy marquoit tant d’amour, Honoric l’eust aimée, J’aurois de ses refus imputé la rigueur Au pouvoir que sa flâme auroit eu sur son cœur ; Et si dans mes malheurs je me fusse plaint d’elle, C’eust esté seulement de la voir trop fidelle : Mais, Euthar, n’aimer rien, & par haine pour moy Se faire une vertu de dédaigner ma foy ! C’est, quand je l’examine , un si cruel outrage … L’espérance du Trône est un grand avantage. Regnez, dans ce haut rang il vous sera bien doux De punir les mépris qu’Ildegonde eut pour vous. Oüy, sans me souvenir de l’avoir adorée, Quand la Reyne avec moy se sera declarée, J’iray pour la braver, d’un air impérieux, Etaler aussitost cette gloire à ses yeux. Je seray le premier à luy faire connoistre Que qui fut son Esclave est devenu son Maistre ; Et plus elle me hait, plus mon heureux destin Meslera d’amertume à son jaloux chagrin. Cent reproches sanglans pour confondre l’Ingrate … Quel triomphe !         L’image en est douce, & vous flate ; Mais quelque fier couroux qu’on pense mettre au jour, Les reproches souvent sont des restes d’amour. Qui se plaint, s’adoucit, & voudroit des excuses. Je l’aimerois encor ! Non, Euthar, tu t’abuses. Je ne le cele point ; avant que sa fierté M’eust fait de l’inconstance une necessité, Tout l’amour que jamais un cœur tendre & fidelle Prit pour un bel Objet , je l’avois pris pour elle. J’avois beau de ses yeux sentir trop le pouvoir, Point de plaisir pour moy, que celuy de la voir. La gloire de ses fers me sembloit sans seconde; Et si l’on m’eust offert tous les Trônes du Monde, Pour obtenir de moy de ne l’adorer pas, Tous les Trônes du Monde auroient manqué d’appas. Je te diray bien plus, admire ma foiblesse. Quand m’attachant à fuir cette fiere Princesse, Mon respect pour la Reyne étala tant d’ardeur, Le desir de regner ne toucha point mon cœur. Je voulois seulement qu’un peu de jalousie Tinst d’un dépit secret Ildegonde saisie, Et que la peur d’un choix que ma flame craignoit, Luy fist voir un peu mieux ce qu’elle dédaignoit. Quel fruit ay-je tiré de ce triste artifice ? L’Ingrate a joint pour moy l’outrage à l’injustice, Et loin de s’offencer que j’aye éteint mes feux, Honoric parle, s’ofre, elle accepte ses vœux. C’est ce qui doit, Seigneur, apres son arrogance Vous obliger pour elle à plus d’indifférence. Honoric, Trasimond, tout choix vous est égal. Mais, Euthar, c’est toûjours me donner un Rival. Au moins si ce mépris qui me fut si sensible Laissoit à d’autres feux son cœur inaccessible, Pour m’en cacher l’affront, je pourrois présumer Que le Ciel l’auroit fait incapapble d’aimer. Mais Honoric …         Seigneur, je croiray pour vous plaire, Que vous conserverez toute vostre colere ; Mais tant de mouvemens l’un à l’autre opposez, Ne marquent pas encor que vos fers soient brisez. Dans ce trouble d’une ame inquiete, incertaine, Comment vous assurer de l’amour de la Reyne ? Vous pourrez-vous contraindre à meriter son choix ? Il faut te l’avoüer, j’en tremble quelquefois ; Et s’il falloit si-tost disposer de moy-mesme, Je pourrois à ce prix haïr le Diadéme. C’est par là que je feins de n’oser m’appliquer Ce que la Reyne cherche à me faire expliquer. Ma raison sur mes sens reprendra son empire, Et le temps qui peut tout…         Seigneur, je me retire ; Quoy que peut-estre icy je fusse peu suspect, La Reyne qui paroist m’oblige à ce respect. Enfin Justinian n’a pû voir sans alarmes L’effroy qu’ont pris les Siens du succès de nos armes ; Et puis qu’il fait retraite apres tant de combats, Ce superbe Empereur redoute vostre bras. Belissaire, dit-on, éloigné de nos terres, Par son ordre a déjà commencé d’autres guerres, Et nos Peuples charmez de l’espoir de la Paix, Font pour vostre bonheur les plus ardens souhaits. Leur amour va pour vous jusqu’à l’Idolatrie, Ils vous nomment tout haut le Dieu de la Patrie ; Mais quand chacun vous doit son repos le plus doux, Sçavez-vous, Théodat, que je me plains de vous ? De moy , Madame ? En quoy, pour vous estre fidelle, Aurois-je pû manquer & d’ardeur & de zele ? Pour soûtenir par tout l’honneur de vostre rang, S’il a falu combattre, ay-je épargné mon sang ? M’a-t-on veu reculer, ou d’une ame contrainte Chercher dans le péril…         Ce n’est pas là ma plainte. Vostre sang m’est d’un prix à qui tout doit ceder, Et c’est me servir mal, que de le hazarder. Mais quand l’empressement de ma reconnoissance N’a mis de vous à moy qu’un degré de distance, Que d’honneurs en honneurs je vous ay fait monter Presque au rang le plus haut qui pouvoit vous flater, Comme l’ingratitude est un defaut extréme, Estes-vous envers moy satisfaits de vous-mesme, Et vous croyez vous estre assez bien acquité De tout ce que de vous mes soins ont merité ? Par quel aveuglement pourrois-je le pretendre ? Quoy que jamais pour vous ma foy puisse entreprendre, Vos bienfaits sur ma vie ont jetté tant d’éclat, Qu’il faudra malgré moy que je demeure ingrat. J’en rougis en secret, & le vois avec peine ; Mais, Madame, que peut un Sujet pour sa Reyne ? Il doit tout ce qu’il fait, & par là ne fait rien. Qui cherche à s’acquiter, en trouve le moyen ; Et quoy que les Sujets des Souverains reçoivent, Il ne faut que le cœur pour payer ce qu’ils doivent. Ah , si le cœur suffit, dans ce que je vous doy Vous n’avez pas sujet de vous plaindre de moy. Avec toute l’ardeur dont le mien est capable, Je sers & veux servir une Reyne adorable. Pour prix du sort pompeux que vos bontez m’ont fait, Qu’attendiez-vous de plus qu’un zele si parfait ? Qu’un zele à qui pour vous rien ne sçauroit suffire ? Je suis fiere, gardez de me le faire dire. Si j’avois expliqué ce qui m’a fait agir, Vous vous repentiriez de m’avoir fait rougir. J’en fais gloire, on le sçait, je hais les injustices ; Ainsi vos grands exploits, vos importans services, Sur ce qui vous est deû m’ont trop ouvert les yeux, Pour ne vous faire pas un destin glorieux. Mais lors que mes faveurs justement attenduës Avec profusion sur vous sont répanduës, Theodat, pense-t-il qu’au rang où je le mets, Sur son merite seul je regle mes bienfaits ? Moy, Madame, j’aurois un orgueil si coupable ? Jugez mieux de mon cœur, il n’en est point capable. Tous ces biens, ces honneurs l’un à l’autre adjoûtez, Je sçay que je les dois à vos seules bontez. D’un si brillant destin m’accordant l’avantage, Vous avez voulu faire admirer vostre Ouvrage, Et par l’éclat du rang que Theodat obtient, Apprendre à revérer la main qui le soûtient. C’est tout ce que j’en dois, tout ce que j’en veux croire ; Quelle autre cause eust pû m’attirer tant de gloire, Vous faire à mes conseils confier vos Estats ? Puis que vous l’ignorez, elle ne vous plaist pas. Tout autre pénétrant le chagrin qui m’emporte, Auroit déjà connu…J’en dis trop mais n’importe, Ma raison malgré moy commence à se troubler; Si ma gloire s’en plaint, c’est à vous de trembler. Je vous l’ay déjà dit, vous avez dû prétendre Tout l’éclat que sur vous j’ay tâché de répandre ; Mais quoy que bien souvent il soit de l’équité D’aller jusqu’à l’excés pour qui l’a merité, Il est des mouvemens où le cœur se dispense Plus obligeans, plus doux que la reconnaissance, Des mouvemens dont rien ne borne le pouvoir, Qui donnent sans reserve, & je les puis avoir. Ce sont eux que tout autre…         Ah, j’en connois, Madame, Que je voudrois oser découvrir dans vostre ame ; Mais prest à les chercher, je m’arreste, & je crains, Mon respect qui s’étonne…         Et c’est dont je me plains. Oüy, je prens pour affront ce respect trop timide, Qui balance à vous faire une gloire solide, Et n’ose à mes bontez prester assez de foy Pour voir que je vous ay rendu digne de moy. Ah, ne me dites point qu’il craint de me déplaire, S’il cherche les motifs de ce qu’il m’a plû faire. Non, non, quiconque aspire au bonheur d’estre aimé, Quel que soit son respect n’en est point alarmé. Il le ménage, en croit l’interest de sa flame ; Mais la fiere Ildegonde a trop touché vostre ame, Le temps pour vous guerir est un foible secours, Et malgré ses mépris, vous l’adorez toûjours. Ah, ne le pensez point ; d’abord, je le confesse, Je sentis quelque peine à vaincre ma foiblesse, A ses indignes fers mon cœur accoustumé N’oublioit qu’à regret ce qui l’avoit charmé. Mais j’ay de cette honte enfin sauvé ma gloire, Et son nom est si bien sorty de ma memoire, Que depuis que j’ay fait serment de l’en bannir, Honoric seul aimé m’en a fait souvenir. Non que je porte envie au bonheur qu’il espere, Mais il est outrageant qu’elle me le préfere, Et montre par ce choix qu’elle fait vanité De m’avoir jugé seul digne de sa fierté. L’éclat en fut injuste, & je l’en ay blâmée ; Mais puis que cet amour vous tient l’ame alarmée, Pour vanger vostre gloire, allez, je vous promets Qu’Honoric, quoy qu’aimé, ne l’obtiendra jamais. Non, Madame, il ne faut repousser cette offence Que par le froid mépris qui suit l’indifférence. L’obstacle qu’à son feu vous auriez apporté, S’imputant à ma haine, enfleroit sa fierté. Consentez-y de grace, & dés aujourd’hui mesme Résolvant son hymen, donnez-luy ce qu’elle aime. Confus d’un sentiment écouté malgré moy, Par ce prompt desaveu j’en veux purger ma foy, Et jurer mille fois à mon auguste Reyne, Qu’adorant ses bontez, je m’en sens l’ame pleine, Que pour les meriter il n’est ny vœux ny soins… Le cœur contre soy-mesme a de secrets témoins, Vous les consulterez, & me ferez connoistre De quels devoirs pour moy vous pourrez estre maistre. Un hommage contraint n’est point ce que je veux ; Mais quelque liberté que je laisse à vos vœux, Songez que dans le rang où le Ciel m’a placée, M’expliquant avec vous, je me suis abaissée ; Et qu’il est dangereux, quand j’ay fait ce faux pas, D’embarrasser ma gloire, & n’en profiter pas. Laissez-moy seule.         Enfin vous le voyez, Madame ; Mieux que vous ne pensiez j’avois leu dans son ame, Et vous avois bien dit que ses vœux les plus doux N’aspiroient qu’à pouvoir se déclarer pour vous. Que de charmes pour luy dans ce surcroist de gloire ! Il m’aime ! Ah, comme toy que ne le puis-je croire ! La peur d’estre exposée aux plus mortels ennuis, Ne me jetteroit pas dans le trouble où je suis. Un pur zele pour vous est tout ce qu’il écoute, Et vous voulez douter que son cœur…         Oüy, j’en doute. En vain ma passion cherche à me décevoir, Gepilde, j’ay plus veu que je ne voulois voir. Je sçay que Theodat accepte ma Couronne, Mais ce n’est point son cœur qui s’ofre, qui se donne, C’est moy qui le mandie, & dont l’abaissement Peut-estre malgré luy me l’acquiert pour Amant. Blâmez-en vostre rang, dont l’orgueil tyrannique Empesche qu’en aimant un Sujet ne s’explique, Et qui par son éclat luy rendant tout suspect, Dés qu’il cherche à parler, l’immole à son respect. Ah, le respect n’est point un tyran si severe, Ou si l’on en reçoit quelque ordre de se taire, On l’observe d’un air si chagrin, si contraint, Qu’en montrant ce qu’on soufre on fait voir ce qu’on craint. La raison par l’amour est bientost affoiblie, Auprés de ce qu’on aime, on s’égare, on s’oublie, Au defaut de la bouche une tendre langueur Fait lire dans les yeux le desordre du cœur, Et l’on ne peut penser, quand un beau feu l’anime, Qu’un soûpir indiscret passe pour un grand crime. Mais jamais jusque-là Theodat n’est venu ; Point d’oubly, point de trouble, il s’est toûjours connu, J’avois beau l’enhardir sur le feu qui me touche, Tout se taisoit en luy, le cœur, les yeux, la bouche, Comme si mes bontez eussent peu merité Qu’il daignast se permettre une temerité Et tâcher, en perçant le secret de mon ame, De m’épargner l’affront de prévenir sa flame. Mesme en la prévenant, quelle honte pour moy, Et jusqu’où j’ay trahy l’orgueil que je me doy ! N’as-tu pas remarqué qu’il n’a voulu m’entendre, Que quand je l’ay contraint à ne s’en plus défendre, Que s’il eust pû le faire, il auroit crû plus tard ? Ah, pour les vrais Amans il ne faut qu’un regard. A voir quand il s’échape attachez sans relâche, Ils arrachent du cœur ce que ce cœur leur cache, Et pour y penétrer, prennent avidement Les plus foibles clartez du moindre égarement. Mais enfin, ç’en est fait, je ne m’en puis dédire, J’ay parlé, l’Ingrat sçait que pour luy je soûpire Voy par là quels malheurs j’auray sçeu m’attirer, Si je voy qu’à ma honte il m’ait fait déclarer. Je l’aime, & plus l’amour que j’ay trop osé croire M’a fait en sa faveur relâcher de ma gloire, Plus de moy contre luy, s’il me la faut vanger, Cette gloire offencée aura lieu d’exiger. Où l’outrage demande une juste colere, La rigueur à punir est toûjours necessaire. J’en ay donné l’exemple, & l’honneur de mon rang, D’abord que j’ay regné, m’a cousté quelque sang. Theudis s’en plaint encor, Trasimond en murmure, Et Theodat sçait trop que sensible à l’injure … Mais, Madame, sur quoy soupçonner Theodat De pouvoir se résoudre à devenir ingrat ? Autrefois Ildegonde eut sur luy quelque empire ; Mais depuis que vers vous un plus beau feu l’attire, N’a-t-il pas hautement, en cessant de la voir, Desavoüé par tout cet injuste pouvoir ? Il fait plus , Honoric a de l’amour pour elle ; Et loin qu’en l’apprenant le sien se renouvelle, Qu’il tâche d’empescher son Rival d’estre heureux, Il vous porte luy-mesme à couronner ses vœux, Pour vous marquer sa foy que pouvoit-il plus faire ? L’indifférence est forte, & n’a pû me déplaire, Elle offre quelque calme à mon espoir flotant ; Je le voy , mais enfin mon cœur n’est point content. Un je ne sçay quel trouble incessamment l’agite, Ma raison qui s’alarme en demeure interdite. Revoyons Theodat, & dés ce mesme jour Sçachons s’il faut éteindre, ou croire mon amour. Ce pouvoir absolu que la Reyne luy donne, Permet peu de douter qu’elle ne le couronne, Et que bientost sa main, pour honorer sa foy, N’adjoûte à ce qu’il est, le grand titre de Roy. Chacun pour Theodat, remply d’impatience, Par des vœux pleins de zele en prévient l’espérance ; Il est aimé du Peuple, & tous à haute voix Semblent briguer pour luy la gloire de ce choix. Theodat est heureux, d’avoir tant de suffrages. La valeur confirmée a de grands avantages ; Et le Trône n’est pas un prix trop haut pour luy, Quand relevant sa chute, il s’en montre l’appuy. Et sur ce grand Hymen dont chacun est en peine, Dit-on que Theodat ait fort pressé la Reyne ? Qu’il trouve en sa beauté de si puissans appas ? Il luy rend trop de soins, pour ne le croire pas. Il en est donc charmé ?         Du moins il le doit estre. Mais quelle inquietude en faites-vous paroistre ? Croyez-vous qu’à la Reyne un tel choix soit honteux ? Pourquoy ? N’est-elle pas maistresse de ses vœux ? Il semble cependant que vostre cœur soûpire ? Apprenez-m’en la cause.         Et comment te la dire, Puis que loin qu’avec toy j’ose me déclarer, Moy-mesme, s’il se peut, je la veux ignorer ? Quoy que vous vous taisiez, je voy ce qui vous gesne ; Jamais pour Theodat vous n’avez eu que haine, Et cette aversion vous fait voir à regret L’éclat brillant du rang où ce grand choix le met. Un pareil sentiment te paroist condamnable ? Plût au Ciel cependant que j’en fusse capable ! Je sentirois bien moins la rigueur de ce choix, Si je le haïssois autant que tu le crois. Du moins c’est par mépris que d’une ame jalouse Vous voyez aujourd’huy que la Reyne l’épouse, Puis que de son amour la plus soûmise ardeur N’eut jamais le pouvoir de toucher vostre cœur. Si dans ses vœux offerts, la fierté qui me dompte… Mais comment me résoudre à t’expliquer ma honte ? Et que penseras-tu, si l’ennuy qui m’abat Vient, de me voir réduite à ceder Theodat ? Theodat vous plairoit luy qui sous vostre empire S’est veu cent & cent fois…         Etonne-t-en, Valmire. Quoy qu’ait ce changement d’incroyable pour toy, Tu n’en seras jamais si surprise que moy. Je suis née en un rang où l’orgueil qui m’anime Peut-estre en le réglant eust esté légitime ; Mais à ses seuls conseils voulant avoir égard, Je l’ay porté trop loin, & le connois trop tard. Aux despens de mon cœur c’est luy qui me fit croire Que je me devois toute au soucy de la gloire, Et que de tous les maux qui pouvoient m’alarmer, Rien n’estoit plus à fuir que la honte d’aimer. Il me la dépeignoit avec toute l’adresse Qui peut y faire voir une indigne foiblesse, Un mol amusement dont les lâches appas N’estoient flateurs & doux que pour les Esprits bas ; Et dans ces mouvemens qui possedoient mon ame, Theodat vint s’offrir, je dédaignay sa flame . Non que je visse en luy rien qui pût mériter L’injurieux dédain qui le fit rejetter ; Je suivois seulement la fierté naturelle Qui me montrant la gloire, immoloit tout pour elle ; Et tout autre venant se livrer à mes fers, Eust reçeu mesme prix des vœux qu’il m’eust offerts. Theodat se lassa de cette humeur altiere, Il cessa de me voir, je n’en fus pas moins fiere ; D’aucun chagrin par là n’ayant l’esprit frapé, Je crûs voir sans regret qu’il m’estoit échapé : Mais quand je m’apperçeus qu’ayant brisé ma chaîne, Ce Fugitif portoit tous ses vœux à la Reyne, J’eux beau, pour étoufer le dépit que j’en eus, Consulter cet orgueil qui ne me parloit plus, Mon cœur ne pût d’abord renoncer au murmure, C’est là qu’estoit le mal, je sentis la blessure ; Et soit que d’un Amant à me quitter trop prompt L’inconstance eust pour moy l’image d’un affront, Soit qu’en mon cœur l’amour n’ayant osé paroistre, Voulust pour se vanger agir alors en Maistre, Ce cœur, pour Theodat que la Reyne m’ostoit, Devint dés ce moment tout autre qu’il n’estoit ; Et si pour n’en donner aucune connoissance, D’un paisible dehors j’affectay l’apparence, De cent troubles secrets le dedans combatu Me fit payer bien cher cette fausse vertu. Theodat eut pour vous l’ame d’amour si pleine… Mais cependant tu vois qu’il brule pour la Reyne, Ma douleur s’en réveille, & je n’y puis penser, Sans voir combien ma gloire a lieu de s’offencer, Et me faire aussitost, en songeant qu’il me quitte, Un reproche honteux de mon peu de merite. S’il l’eust veu tel, helas ! que l’a crû ma fierté, Le dépit contre moy ne l’eust point revolté, Il eust crû son amour plutost que sa colere. Que vouliez-vous qu’il fist ? Il ne pouvoit vous plaire. Que l’ardeur de ses soins combatist mes froideurs, Qu’il soufrist, ou du moins qu’il n’aimast point ailleurs ; Son cœur pour d’autres yeux devoit estre invincible. Mais vous seriez toûjours demeurée insensible. Je l’avouë, & sans doute encor mesme aujourd’huy, S’il n’avoit rien aimé, je la serois pour luy ; Ce n’est que le chagrin de cette préference Qui m’inspire un amour dont mon orgueil s’offence. Ah, si tu connoissois à quels sensibles coups Nous expose un Amant revolté malgré nous, Et ce que fait soufrir la disgrace fatale De voir passer son bien aux mains d’une Rivale ! Si ce suplice est tel, je l’aurois prévenu, Le cœur de Theodat vous estoit trop connu ; Et lors que par ses soins redoublez pour la Reyne Il vous fit soupçonner cet amour qui vous gesne, Vos regards adoucis n’auroient pas eu d’abord, Pour vous le ramener, besoin de grand effort. Moy, pour tout le repos qu’il faudra qu’il m’en couste, J’aurois de mon orgueil laissé le moindre doute ! A cet abaissement j’aurois pû me forcer ? Ah, tu me connois mal, si tu l’as pû penser. Je pers en Theodat l’objet de mon estime, Ma gloire l’a voulu, j’en seray la victime, Et je m’immoleray d’un cœur ferme & constant A tout ce que de moy son injustice attend. Quoy que vous résolviez, si negligeant la Reyne, Theodat vous pressoit…         Il y perdroit sa peine ; Je l’aime, je le sens, mais malgré est cet amour, Pour peu qu’à me vanger je pûsse trouver jour, Il m’a manqué de foy, je luy ferois connoistre … Mais pourquoy me flater de ce qui ne peut estre ? Puis qu’à l’aimer la Reyne a voulu l’engager ; C’est un mal sans remede, il n’y faut plus songer. Je vous plains des malheurs qu’un scrupule vous cause, Mais ce qui me surprend plus que tout autre chose, C’est qu’aimant Theodat, vous puissiez endurer Qu’Honoric pour sa flame ose tout esperer. Pourquoy si hautement permettre qu’il vous aime ? Par gloire, par chagrin, par haine pour moy-mesme. L’Amour, de ma fierté n’a pû rien obtenir ; J’ay voulu par ce choix le vanger, me punir, Ou plutost j’ay voulu qu’en me le voyant faire, Theodat outragé fist agir sa colere, Qu’il me vist, se plaignist, & par son desespoir Me marquast sur son ame un reste de pouvoir. Eust-il jamais esté gloire plus achevée ? La secrete douceur de n’estre point bravée, De joüir de sa peine, & pouvoir insulter Aux ennuis d’un Amant qui m’auroit pû quitter, D’un plaisir si sensible eust chatoüillé mon ame, Que d’Honoric alors récompensant la flame, Fiere de mes dédains soûtenus jusqu’au bout, Quoy que j’eusse immolé, j’aurois crû gagner tout. Mais avec Honoric j’ay beau m’estre engagée, Ce suplice est perdu, je ne suis point vangée, Et d’un Amant fâcheux l’importun embarras… Madame, je le voy, ne vous emportez pas. Enfin de Theodat la gloire est assurée, La Reyne en sa faveur s’est tout haut déclarée, Madame, & deja mesme on parle d’ordonner La pompe de l’Hymen qui le doit couronner. Elle l’avoit mandé sur quelque incertitude Qui sembloit luy causer un peu d’inquietude ; Et l’heureux Theodat a si bien répondu A ce que de sa flame elle avoit attendu, Qu’elle s’est résoluë à faire enfin connoistre Que son choix à l’Estat le destine pour Maistre. Toute la Cour s’empresse à l’en féliciter. L’éclat d’une Couronne a de quoy le flater. Sa joye est grande à voir le glorieux partage… L’amour qui le charmoit acheve son ouvrage, Et vous pouvez juger quels doux ravissemens Ont suivy son transport dans ces premiers momens. Mais quand je le voy prest à pouvoir toute chose, Permettez qu’à vos yeux mon scrupule s’expose ; Theodat autrefois eut de l’amour pour vous, Du bonheur de ma flame il peut estre jaloux ; Et lors qu’il sera Roy, j’ay peur qu’il se souvienne Qu’un dédain trop cruel fut le prix de la sienne. Avant qu’il ait ce titre, accordez à mon feu, L’entiere liberté d’en obtenir l’aveu. La Reyne à cet amour n’a point esté contraire, Et je puis me flater du bonheur que j’espere, Si tandis qu’elle seule encor donne des loix, J’engage ses bontez à suivre vostre choix. Balancez-vous, Madame, & ce parfait hommage Dont mes soins à vous plaire ont cherché l’avantage, N’a-t-il pû meriter que pour prix de ma foy J’ose…         Oüy, voyez la Reyne, & répondez de moy. Ah, puis que vostre flame est propice à la mienne… Prévenez Theodat, de peur qu’il vous prévienne. Allez, si mon hymen est un bonheur si doux, Le temps doit estre cher à qui craint comme vous. Qu’avez-vous dit, Madame, & par quelle injustice Faire de vostre cœur un si dur sacrifice ? Il est dur, je l’avouë, & promettant ma main, Ce n’est pas sans trembler que j’en prends le dessein ; Mais lors que je vois tout à craindre pour ma gloire, Valmire, je me doibs cette grande victoire. Le Destin l’a voulu, Theodat est heureux, Son feu récompensé m’est un objet affreux, J’en sens des mouvemens de haine, de colere, Et voudrois me vanger, si je le pouvois faire : Mais quand de son bonheur je vois venir le jour, M’en fâcher, le haïr, c’est avoir de l’amour ; Et si ce Theodat qu’on me donne pour Maistre, M’estoit indifférent autant qu’il devroit l’estre, Avec plus de repos je verrois aujourd’huy Ce qu’une Reyne Amante a résolu pour luy. Je l’aime donc, Valmire, & ce m’est une honte Qui ne peut s’effacer par une ardeur trop prompte. Cet amour qui me livre au trouble où je me voy, Mon cœur se le permet, parce qu’il est à moy, Et je veux que ce cœur, afin qu’il se l’arrache, Aux seuls vœux d’Honoric par le devoir s’attache. Ne balançons donc point ce que j’ay projetté. Mettons en l’épousant ma gloire en seûreté. Si ce tendre panchant qui peut tout sur son ame N’a point de part aux nœuds qui me rendront sa Femme, Un cœur qui pour la gloire a toûjours combatu, N’a pas besoin d’amour, ayant de la vertu. Mais de ce que je voy que faut-il que je pense ? Est-ce pour me braver que Theodat s’avance ? Luy me chercher ! Valmire, éloignons-nous d’icy. Quoy, Madame, il vous plaist de m’éviter ainsi ? M’estant si rarement forcée à vous entendre, Ma retraite n’a rien qui vous doive surprendre. Eh, Madame, de grace, un peu moins de fierté. Sans trahir vos mépris je puis estre écouté, Je n’en viens point blâmer l’injurieuse audace, Au contraire, je viens pour vous en rendre grace. Ils m’ont fait un destin, si grand, si beau, si doux, Que je n’ay plus sujet à me plaindre de vous. J’apprens avec plaisir cette haute fortune, Puis qu’elle me défait d’une plainte importune. C’est un malheur qu’en vain j’ay voulu détourner ; Mon feu n’a jamais fait que vous importuner, J’ay souffert, j’ay languy, sans qu’un si long suplice Ait de vos duretez arresté l’injustice. Une autre sans regret n’auroit pû m’immoler, Vous en avez fait gloire, il faut s’en consoler. Au moins, ce qui me doit rendre l’ame un peu vaine, Vos rebuts ne sont pas indignes d’une Reyne, Et je puis effacer, en recevant sa main, La honte des soûpirs que j’ay poussez en vain. Les voyant rejettez, il vous estoit facile De ne leur pas soufrir un éclat inutile. J’avois de la foiblesse, il faut le confesser. Qui l’a si bien connu, pouvoit y renoncer. J’eus tort, & vos dédains ont trop terny ma gloire. Ils s’expliquoient assez, vous n’aviez qu’à les croire. L’outrage est réparé par tant d’heureux effets… Il suffit que tous deux nous soyons satisfaits. J’ay tout sujet de l’estre ; Une Reyne qui m’aime, Joint au don de son cœur celuy du Diadéme. Pourtant, pourtant, Madame, il n’a tenu qu’à vous Qu’on ne m’ait encor veu joüir d’un sort plus doux. Qu’à moy ?         Jamais amour ne m’ofrit tant de charmes. J’en appelle à témoins mes soûpirs & mes larmes, Ces larmes qu’à vos pieds, sans mouvement, sans voix, Mon désespoir m’a fait répandre tant de fois. De mes vives douleurs la triste image offerte N’a pû vous empescher de résoudre ma perte. Vous avez au mépris adjoûté le couroux, Vostre ingrate rigueur…         De quoy vous plaignez-vous ? N’estes-vous pas content qu’elle vous ait fait naistre La noble ambition …         Non, je ne le puis estre, Et ce Trône où m’appelle un hymen glorieux, Il me couste trop cher pour m’estre prétieux. J’y consens, joüissez de mon inquiétude, Cruelle ; elle doit plaire à vostre ingratitude, Joüissez des ennuis d’un Amant outragé Qui de vos fiers mépris sur luy seul s’est vangé, Qui se donnant ailleurs, tremble du sacrifice … Et qui vous a forcé de choisir ce suplice ? Vous me le demandez, vous qui m’avez causé Toute l’horreur des maux où je suis exposé ? Hé bien, je vais encor …         Non, cela doit suffire, Je ne veux rien sçavoir, vous n’avez rien à dire. Craignez-vous que ces maux trop vivement dépeints, Ne vous reprochent trop vos injustes dédains ; Que malgré vous touchée, à voir un feu si tendre … Moy touchée ? Et comment le pourriez-vous prétendre ? Par quel constant effort avez-vous merité Que j’eusse pour vos feux tant de crédulité ? La Reyne, dont si-tost vostre ame fut charmée… Non, Theodat, jamais vous ne m’avez aimée. Ah, si vostre injustice a pû le présumer, Dites-moy donc comment il vous falloit aimer, Est-il vœux, soins, devoirs, complaisances, services Dont vous n’avez reçeu les tendres sacrifices ? Plutost que me résoudre à voir mes feux éteints… Vous en estes le maistre, est-ce que je m’en plains ? Ne vous repentez point, s’il se peut, de le faire, Et m’accordez de grace, un moment de colere. C’est ce que j’attendois, quand mon cœur étonné Pour la Reyne à vos yeux s’est feint passionné. Mais de ce faux amour j’ay cherché l’apparence, Sans que vous ayez pû vous en faire une offence. Vous ne m’avez montré ny chagrin, ny dépit, Marqué rien qui parust…         Je vous en ay trop dit. Vous m’en avez trop dit ! Vous ?         Oüy, trop ; mais qu’importe ? Il est beau, Theodat, que le Trône l’emporte, Que vous n’ayez rien veu…         Non, Madame, jamais Le moindre ennuy de vous n’a flaté mes souhaits. Toûjours du mesme esprit à ma perte animée … Et n’ay-je pas souffert qu’Honoric m’ait aimée ? Quoy ? Vouloir préferer un Rival à ma foy, M’outrager, m’accabler, c’est se plaindre de moy ? Oüy, ce choix d’un Rival n’auroit pû vous déplaire, Si vous aviez aimé comme vous deviez faire. L’orgueil qui dans mon cœur a fait taire l’amour, Pour voir le vray merite, y laisse quelque jour ; Je puis le discerner où je le voy paroistre ; Et si vous m’estimez, vous avez dû connoistre Que qui de Theodat n’acceptoit pas les vœux, Deviendroit encor moins sensible à d’autres feux. C’estoit donc pour le vostre un motif favorable Qui paroissoit me rendre Honoric préferable ; Mais ce relâchement honteux à ma fierté, Vous a laissé tranquille, & n’a rien mérité. Au moindre emportement il n’a pû vous contraindre, Vous avez dédaigné de me voir, de vous plaindre, Et n’avez pas jugé mon cœur d’assez haut prix Pour vous inquiéter de ce dernier mépris. C’est vous en dire trop ; mais quoy que j’en rougisse, Je ne m’oublie au moins que pour vostre suplice, Et je m’épargnerois l’affront de me trahir, Si vous estiez encor en pouvoir d’en joüir. Ah, je le puis encor ; plus d’Etast, plus de Reyne. Je ne veux, ne connois que vous pour Souveraine, La Couronne à mes yeux n’offre plus rien de doux, Et je renonce à tout pour vivre tout à vous. Non , n’appréhendez point que jamais je consente A vous couster les biens qui flatent vostre attente ; Vous avez à la Reyne engagé vostre foy, Juré que vostre cœur …         Il n’estoit pas à moy ; Asservy sous vos loix, pouvois-je le promettre ? Ma gloire là-dessus n’a rien à me permettre. J’ay souffert qu’Honoric fist éclater son feu, Qu’il tâchast de la Reyne à meriter l’aveu ; S’il l’obtient, & qu’il faille aujourd’huy…         Quoy, Madame, L’amour a donc si peu de pouvoir sur vostre ame… Moy, de l’amour ! Gardez de l’oser présumer. Non, ç’en est fait, jamais je ne vous veux aimer. Et moy, Madame, & moy qui n’ay point d’autre envie Que de vous adorer le reste de ma vie, Je feray tant qu’enfin j’obtiendray quelque jour … Ah, craignez d’écouter ce dangereux amour, Il vous perdroit. Suivons nos fieres destinées. On ne se moque point des Testes couronnées. La Reyne a crû pour vous ne pouvoir trop oser, Elle s’est déclarée, il la faut épouser, Le Trône rend pour vous cet hymen necessaire. Le Trône ! En vous perdant, a-t-il de quoy me plaire ? En vain à m’y placer la Reyne se résout, Ne me l’opposez point, j’en viendray bien à bout. Non que j’aye à douter qu’une pareille offence N’arme contre mes jours sa plus fiere vangeance ; Mais s’il faut éclater, j’en essuyeray les coups, Plutost que de trahir l’amour que j’ay pour vous. Dites-moy seulement que quoy qu’Honoric fasse, Jamais de son espoir vous n’avoüerez l’audace, Que toûjours vos refus par d’obstinez combats … Ma gloire en soufriroit, ne le demandez pas. Si la Reyne consent que je sois sa conqueste, J’ay promis d’estre à luy, ma main est toute preste. Tout ce que je puis faire est de vous assurer Que si vous empeschez ce qu’il peut esperer, Jamais, quoy que le Ciel de vostre sort ordonne, Vous n’aurez la douleur de me voir à personne. Et si je vous disois que me croyant hay, Moy-mesme je me suis imprudemment trahy ? Qu’en faveur d’Honoric j’ay déjà veu la Reyne ? Soufrez donc un hymen qui vous blesse & me gesne, Car ne prétendez point qu’après ce que j’ay fait, Ma gloire ose laisser son ouvrage imparfait, Et qu’il m’échape rien dont on puisse à ma honte Présumer que l’amour malgré moy me surmonte Ma jalouse vertu n’en croira pas mon cœur. De sa severité voyez mieux la rigueur. Quoy, vous épouseriez Honoric ? Ah, Madame, Ne desesperez point une si belle flame. Par ces tendres soûpirs si longtemps dédaignez, Par tout ce qu’ont d’amer les maux que vous craignez, Si du plus pur amour le pouvoir invincible A la pitié pour moy vous peut rendre sensible, Si ce que vostre cœur a fait soufrir au mien, Si mes larmes …         Adieu, je n’écoute plus rien, En l’état où je suis vous m’en pourriez trop dire, Et je vous haïrois, si lors que j’en soûpire Vous m’aviez sçeu contraindre à force de douleurs A démentir l’orgueil qui cause mes malheurs. Qu’oseray-je penser ? La Princesse vous quitte, Seigneur, & je vous voy l’ame toute interdite ? Enfin, Euthar, enfin la victoire est à moy, Je triomphe, Ildegonde a reconnu ma foy, Elle m’aime.         Ah, Seigneur, quelle triste victoire ! Ildegonde vous hait, & vous la voulez croire ! Pour vous oster un Trône…         Ah, non, jusqu’à ce jour, J’ay trop pour m’y tromper, étudié l’amour. Elle m’aime, te dis-je, & ma gloire est certaine. Viens, suy-moy.         Mais, Seigneur, que deviendra la Reyne ? Ne préviens point les maux que j’en doit redouter. Seigneur, pardonne-t-elle à qui l’ose irriter ? Le sang qu’elle a versé vous doit faire connoistre Quels périls…         Ils sont grands, j’y périray peut-estre ; Mais, Euthar, quand on a le cœur bien enflamé, C’est mourir satisfait, que de mourir aimé. Il vous estoit permis d’en croire cette estime, Par elle je rendois vostre espoir legitime ; Et vous voir, sans m’en plaindre, aspirer à la foy, C’estoit sur cet Hymen vous répondre de moy. Ainsi dans ces devoirs que tant d’amour seconde, Vous n’aviez contre vous que le cœur d’Ildegonde ; Il est fier, orgueilleux, difficile à toucher ; Et quand vers vous enfin vos soins l’ont fait pancher, Prest à faire éclater cette noble victoire, Vous devez d’autant plus en estimer la gloire, Que personne avant vous par ses plus tendres vœux N’avoit pû mériter ce qui vous rend heureux. Je sçay qu’en ma faveur rien ne la sollicite ; Mais l’amour aux Amans tient lieu de vray merite, Madame, il persuade, & c’est un seûr appuy, Pour confondre un Rival, que d’aimer plus que luy. La Princesse à ma flame a deû quelque justice ; Et quand à son succés je vous trouve propice, Mes vœux dont vos bontez autorisent l’ardeur, N’ont plus pour le haster qu’à ménager son cœur. Soufrez-le moy, Madame, & qu’à tant d’espérance De mes brûlans desirs joignant l’impatience, J’engage la Princesse à ne point retarder Le glorieux moment …         Je viens de la mander, Et n’auray pas de peine à résoudre avec elle Ce qui doit couronner une flame si belle. Rien n’empeschant l’hymen qui comble vos souhaits, Soyez seûr dés demain de les voir satisfaits. Sçavez-vous cependant qui pour vous s’intéresse A briguer prés de moy l’hymen de la Princesse ? Theodat.     Theodat ? Quoy …         Vous estes surpris Que par luy de vos vœux cet hymen soit le prix ? J’avois quelque sujet de craindre le contraire. Je sçay qu’à la Princesse il a tâché de plaire. Mais si son cœur en vain se soûmit à ses loix, Il sçait combien l’amour est libre dans son choix, Et ne veut se vanger de son ingratitude Qu’en ostant à vos feux tout lieu d’inquiétude. C’est luy qui me convie à les favoriser. Ce genéreux effort ne peut trop se priser, Madame ; & quand je voy que mon amour extrême Trouve en luy …         Vous pouvez l’apprendre de luy-mesme, Le voicy.         J’assurois Honoric, que son feu Avoit déjà par vous obtenu mon aveu, Et que s’il voit demain un heureux Hyménée D’Ildegonde à son sort joindre la destinée, C’est à vous seul qu’il doit, en touchant ce grand jour, Le prompt consentement qui charme son amour. La Princesse, Madame, a deû chérir son zele, Et luy donnant la main, fait un choix digne d’elle ; Mais quoy que cet hymen vous semble à souhaiter, Le résoudre à demain, c’est le précipiter ; De tels engagemens valent bien qu’on y pense. Oû l’amour doit choisir, je hay la violence ; Et si d’un pareil ordre Ildegonde se plaint, Je ne veux rien d’un cœur que le respect contraint. Est-ce qu’on vous a dit que toûjours insensible Aux soûpirs d’Honoric le sien soit infléxible ; Que c’est sans son aveu qu’il cherche mon appuy ? Theodat me hait trop, pour n’en croire que luy, Madame, & vous voyez par l’avis qu’il vous donne, Ce que de cette haine il faut que je soupçonne. Un sincere conseil est toujoûrs écouté. J’admire, à dire vray cette sincérité, Elle est prompte, & ce m’est une surprise extréme De vous trouver si-tost différent de vous-mesme. Quoy, vous qui d’Honoric favorisant l’espoir, Me demandiez tantost…         Je croyois le devoir ; Mais j’ay songé depuis que la paix desirée Pour vos Peuples encor n’est pas bien assurée, Et que si Belissaire est ailleurs arresté, Pour n’avoir rien à craindre il nous faut un Traité. L’Empereur peut l’offrir, & dans ces occurrences Vous sçavez que l’Estat a besoin d’alliances. Ildegonde a l’honneur d’estre de vostre sang, Son destin l’asservit aux devoirs de son rang, Et peut-estre ce n’est que par son hyménée Qu’on verra pleinement la guerre terminée. Justinian honteux de nous combatre en vain, Pour un nouveau César peut demander sa main. Sans doute, j’aime à voir que Theodat se pique D’une si salutaire & noble Politique. L’empereur, il est vray, s’il se porte à la paix, Nous peut sur quelque hymen expliquer ses souhaits ; Mais ma main, quelque rang que la Princesse tienne, Est encor à donner, & vaudra bien la sienne. Si je vous ay permis, preste à vous nommer Roy, L’audace d’élever vos regards jusqu’à moy, L’ardeur que pour l’Estat vostre soïn fait paroistre Soufrira sans chagrin le choix d’un autre Maistre. Madame, à tant d’orgueil pourrois-je m’emporter, Que…         Je vois Ildegonde, il la faut écouter . Approchez-vous, Princesse, & nous venez apprendre Ce que de son amour Honoric doit attendre. Il le fait éclater, & c’est sous vostre aveu ; Mais pour n’en douter pas, son raport est trop peu Parlez, expliquez-vous, c’est vous que j’en veux croire. Honoric à m’aimer a trouvé quelque gloire, Madame, & j’avoüeray que ses vœux écoutez Doivent estre reçeus, si vous y consentez. Je ne m’en dédis point, j’en ay donné parole. N’auriez-vous eu pour moy qu’une bonté frivole, Madame, & voudrez-vous soufrir que Theodat Immole la Princesse à ses raisons d’Estat ? Estant sans interest, je dis ce que je pense. Je le croy, j’ay toûjours connu vostre prudence ; Et comme vos avis sont à considérer, Selon l’occasion, j’y pourray deférer . Cependant sur l’aveu qu’a donné la Princesse, Je consens que sa foy dégage sa promesse, Que prenant des demain Honoric pour Epoux… Son destin, je le sçay, doit dépendre de vous ; Mais ce retardement que je croy nécessaire, Suspendant son hymen, n’y devient pas contraire, Et le rang qu’elle tient semble assez meriter Qu’elle prenne le temps de se mieux consulter. Vouloir que dés demain sa foy…         C’est la contraindre, Il est vray, mais elle est en pouvoir de s’en plaindre ; Et quand elle se taist, j’admire par quel soin Vos prévoyans soucis veulent aller si loin. Blâmez-vous un avis qui part d’un cœur fidelle ? Il n’est pas toûjours bon de montrer tant de zele. Si je deviens suspect quand je croy que le temps Doit seul…         Vous m’entendez, Prince, & je vous entens. La Princesse…         A parlé, cela me doit suffire. Jugez-vous de son cœur sur ce qu’elle a pû dire ? Honoric pour sa flame en veut trop présumer, C’est un cœur orgueilleux qui ne peut rien aimer, Un cœur qui s’alarmant d’un scrupule de gloire… D’où vient que Theodat …         Je ne sçay plus qu’en croire. De l’air dont il répond du secret de ce cœur, Vous n’auriez eu pour luy qu’une fausse rigueur. Rien n’est à déguiser, l’aimez-vous ?         Non, Madame, C’est toûjours un dédain, une dureté d’ame Qui ne luy permet pas seulement de penser Qu’aux plus foibles devoirs l’amour m’ait pû forcer. A sa haine pour moy de plus en plus fidelle … Vous vous empressez fort à répondre pour elle ? Hé bien, puis qu’en mon cœur vous lisez malgré moy, Je tremble, je l’avouë, à voir donner sa foy. On le sçait, autrefois j’en eus l’ame charmée, Je luy voüay mes soins, & je l’ay trop aimée, Pour ne pas m’emporter contre ce choix fatal Qui la met tout-à-coup dans les bras d’un Rival. S’il me faut quelque jour essuyer l’amertume, Soufrez qu’à ce suplice au moins je m’accoustume, Qu’à la raison le temps m’aide enfin à ceder, C’est ce qu’à ma douleur vous pouvez accorder. Toute injuste qu’elle est, daignez luy faire grace. J’ay laissé le cours libre à sa premiere audace ; Mais à l’examiner, pour estre sans espoir, Cette douleur sur vous a beaucoup de pouvoir. Madame, je l’ay dit, je ne contrains personne, Vostre cœur est à vous, voyez ce qu’il ordonne ; Et quelques sentimens qui luy soient inspirez, Suivez les, j’en croiray ce que vous me direz. Mais ne me dites rien dont vostre ame incertaine Trouve à se repentir, ou se fasse une peine, Répondez mieux de vous que n’a fait Theodat. De ses emportemens je condamne l’éclat ; Et quoy qu’ils soient pour moy, ma gloire m’a dû mettre Au dessus des soupçons qu’on s’en pourroit permettre. J’ay promis (& veux bien l’avoüer devant tous) D’accepter Honoric, s’il m’obtenoit de vous. Ainsi, Madame, en vain Theodat s’autorise A croire que mon cœur avec moy se déguise. S’il faut aller au Temple, allons-y de ce pas, J’en vais attendre l’ordre.         Ah, ne l’en croyez pas, Madame, & si jamais mes devoirs, mes services, Ont rendu vos bontez à mon destin propices, Pour soulager l’ennuy dont je me sens presser … Cette obstination commence à me lasser, C’est trop, & par pitié, vous avez veu, je pense, Que je me suis forcée à quelque patience. Je ne pénetre point quel intérest secret Vous fait voir cet hymen avec tant de regret ? Il suffit que je sçay qu’il plaist à la Princesse ; Et si ma main pour vous s’ouvrit avec largesse, Je n’ay pas prétendu vous combler de faveurs Pour vous donner le droit de contraindre les cœurs. Plaignez-vous, murmurez ; quand le mal est extréme, Il faut pour le guerir un remede de mesme; Et ce coup si terrible à vos sens égarez, Plus je le hasteray, moins vous en soufrirez. Donnez l’ordre qu’il faut, Honoric.         Non, de grace, Qu’il demeure, autrement …         Quoy, jusqu’à la menace ! Allez m’attendre au Temple, & sans plus différer, Pour ce mesme moment faites tout préparer. Enfin, Madame, enfin, ma gloire vous offense, Vous ne me voulez plus permettre d’innocence ; J’ay beau, vous le voyez, par les plus doux efforts Asservir mon respect à craindre mes transports, Vous voulez qu’il s’échape, & tant d’ennuy m’accable, Qu’il faut que malgré moy je devienne coupable. De ma triste raison vous m’ostez le soûtien, Et perdant son secours, je ne connois plus rien. Si vos égarements meritoient ma colere, Je vous demanderois ce qui vous reste à faire, Et quels crimes nouveaux vous pouriez adjouster Aux nobles sentimens qui viennent d’éclater ; Mais il ne vous faut point chercher d’autre suplice Que mon indifférence à voir vostre injustice. Elle punit assez l’oubly honteux & bas Où s’emporte un Sujet qui ne se connoist pas. Blâmez de cet oubly le transport teméraire Qui cherche, veut, poursuit tout ce qui m’est contraire ; Criminel envers moy, qu’ay-je fait contre vous ? De mon cœur inquiet les peines les plus grandes, Qu’ont-elles qui noircisse …         Ingrat, tu le demandes ? Consultez-en ce cœur d’Ildegonde charmé, Ce cœur au desespoir qu’un autre soit aimé, Ce cœur qui m’a trompée, & dont l’audace extréme Sans scrupule à mes yeux …         Il m’a trompé moy-mesme, Et vous le consacrant, je ne craignois rien moins Que sa prompte revolte à démentir mes soins. Vous l’avez veu, Madame, avec quelle ame ouverte D’Ildegonde tantost j’ay dédaigné la perte. Elle aimoit, vous vouliez mettre obstacle à son feu, Moy-mesme contre vous j’en ay pressé l’aveu ; Mais (& je m’en feray sans cesse un dur reproche) J’envisageois de loin ce que je vois trop proche, Le jour pris pour donner & sa main & son cœur ; Rendre heureux mon Rival, m’a fait trembler d’horreur. Serez-vous insensible à de si rudes peines ? Je ne demande point que vous brisiez leurs chaînes, Différez seulement un sort pour eux trop doux, Et me donnez le temps d’estre digne de vous. D’estre digne de moy ? Tu ne peux jamais l’estre, C’en est fait ; quand enfin tu me ferois paroistre Tout ce qu’a de touchant le plus ardent amour, Je te doibs mes dédains, n’attens point de retour. J’en soufriray sans doute, & ma haine étonnée, Te prenant pour objet, se trouvera gesnée, Je n’en disposeray qu’à force de combats, Ils seront durs pour moy, mais tu m’en répondras ; Et plus j’auray de peine à m’arracher de l’ame Les tendres sentimens qu’y fit naistre ma flame, A rompre ces liens qui m’ont trop sçeu charmer, Plus tu seras puny de t’estre fait aimer. Depuis que j’ay connu ce panchant favorable, Qu’ay-je à me reprocher qui me rende coupable ? Tout ; & puis que ton cœur à d’autres loix soûmis Ne voyoit à ma flame aucun espoir permis, Tu devois, pour sauver le mien de ma foiblesse, Me cacher tes vertus que j’admirois sans cesse, Ces flateuses vertus, dont l’engageant appas T’assuroit un triomphe où tu n’aspirois pas. Mais je t’accuse à tort ; on a souvent beau faire, L’Amour, le fort Amour n’a rien de volontaire, Et quand on doit gouster ce dangereux poison, Le Destin est toûjours plus fort que la raison. Je ne me prens qu’à luy du feu dont je soûpire, Il m’a falu t’aimer ; mais tu me l’as fait dire, Et m’avoir jusque-là forcée à m’abaisser, C’est un crime pour toy qui ne peut s’effacer. Pourquoy l’as-tu commis ? sans ma flame indiscrete Tu serois innocent, & je te le souhaite. Oüy, comme je ne puis te perdre sans regret, Je te pardonne tout, & rens-moy mon secret. Empesche que ma bouche à s’expliquer trop prompte, Ne t’ait mis en pouvoir de joüir de ma honte. Si mes yeux t’ont jetté quelques regards flateurs, Ce sont d’obscurs témoins qu’on traite d’imposteurs, Des témoins subornez que la gloire récuse ; Mais, ingrat, j’ay parlé, ton crime est sans excuse, Et si sur mon amour rien ne t’est imputé, Tu te repentiras d’avoir trop écouté. Il est vray, cet amour m’assuroit trop de gloire, Et gardant d’une Ingrate encor quelque memoire, Mon cœur, quoy qu’il se crût dégagé pleinement, Devoit peu se promettre un aveu si charmant. Aussi, Madame, aussi je vous rendrois justice, Je voyois vostre rang, & quoy que j’entendisse, Mon scrupuleux respect m’empeschoit d’accepter Ce que par de longs soins je voulois meriter. Vos bontez avoient beau préparer ma victoire ; Pour vous plus que pour moy je tremblois à vous croire, En rencontrant vos yeux les miens embarassez Refusoient d’expliquer …         Ce n’estoit pas assez, Pour m’oster du péril que tu voyois à craindre, Il faloit me parler d’Ildegonde, s’en plaindre, Et murmurer toûjours de l’indigne rigueur Qu’opposoient ses mépris à l’offre de ton cœur. Du secret de ce cœur par tes plaintes instruite, J’aurois mieux combatu ce qui m’a trop séduite ; Mais rien n’a repoussé des charmes si pressans, Tu m’as abandonnée à l’erreur de mes sens, Et ne viens au secours que me devoit ton zele, Qu’aprés que par le temps la blessure est mortelle. Je me résous à tout, & si j’en puis guerir, Je vois sans m’effrayer ce qu’il faudra soufrir. Du moins, le desespoir qui déjà te possède, Me prépare avec joye à l’aigreur du remede, Et ton cœur déchiré par l’hymen que tu crains … Quoy, Madame, avec vous mes efforts seront vains, Et je n’obtiendray point, soit pitié, soit justice, Qu’un ordre moins pressant recule mon suplice ? Accordez quelques jours à mon cœur alarmé ; J’ay déjà tant souffert à n’estre point aimé, A voir que tous mes soins demeurez sans merite Ne m’ont…         Et plus que tout, c’est là ce qui m’irrite. Si tes vœux acceptez justifioient ta foy, J’écouterois l’amour qui parleroit pour toy ; Mais le cœur d’une Reyne où regne la tendresse, Ne vaut pas les fiertez d’une ingrate Princesse ; Et tout l’éclat du Trône… Ah c’est trop m’outrager, Plus d’amour. Je differe encor à me vanger ? Viens, viens me voir au Temple, en depit de ta flame, Donner à ton Rival ce qui charme ton ame ; Viens sentir les ennuis qui t’y sont préparez. Madame, songez-y, vous me desesperez, D’un criminel éclat épargnez-moy l’audace, Pour la dernière fois je vous demande grace. Si vous voulez ma mort, frapez à vostre gré, Tout mon sang est à vous, je vous l’ay consacré, Et je puis à vos pieds le voir couler sans peine, Si le triste spectacle en doit plaire à ma Reyne ; Mais ne m’exposez point par cet hymen affreux A tout ce que peut craindre un Amant malheureux ; Je frémis de l’idée, & sens qu’elle m’accable, Le suplice est trop grand, je ne suis point capable, Et pour me retenir, à moy-mesme suspect, Je vois que ce n’est point assez que mon respect. Acheve, acheve, Ingrat, de te montrer sensible, Le coup que je t’apreste en sera plus terrible. Que n’a pû ta Princesse aujourd’huy s’enflâmer, T’avoir dit qu’elle peut, qu’elle songe à t’aimer ! Le plaisir de t’oster par ce triste hymenée Une main qui sans moy t’aurois esté donnée, D’un transport si charmant tiendroit mon cœur frapé, Qu’il se croiroit heureux d’avoir esté trompé. Mais n’importe, Ildegonde a charmé ta confiance, Tu l’aimes, c’est assez pour gouster ma vangeance, Elle ne peut par là manquer pour moy d’appas, Je voy qu’elle te tüe, & j’y cours de ce pas. Et moy, puis que mes maux touchent si peu vostre ame, Je jure par le Ciel … Vous m’y forcez, Madame, Quelque éclat où m’emporte un desespoir jaloux, Je m’échape à regret, n’en accusez que vous. Quand je ferme les yeux sur ce que je hazarde, Honoric en triomphe, il peut y prendre garde. Oüy, s’il faut qu’Honoric … Madame, sauvez-moy Du péril de manquer à ce que je vous doy ; Ma raison dont le trouble étonne mon courage, Ne peut plus …         Viens au Temple en recouvrer l’usage ; Viens-y voir d’Ildegonde Honoric s’approcher, Luy presenter la main …         Je pourray l’empescher ; Et s’il me desespere, en m’ostant ce que j’aime, Il doit craindre mon bras jusque sur l’Autel mesme. Qu’il y pense, Madame.         Il l’ose menacer ! Ah, Ciel ! quelle insolence, & qui l’eust pû penser ? Ay-je, en l’élevant trop, cessé d’estre sa Reyne ? Madame, redoutez la fureur qui l’entraîne. L’Amour au desespoir est capable de tout. Il est de seurs moyens pour en venir à bout ; Et je luy feray voir, puis qu’il m’y veut contraindre, Qu’en s’osant emporter, c’est à luy seul de craindre, Hola, Gardes, à moy .     Madame,         Allez, courez, Surprenez Theodat, & vous en assurez. Quoy que vous vous mettiez au dessus des alarmes, Si le Peuple murmure, il peut courir aux armes, Madame, & je crains bien qu’en secret revolté Il n’ait peine à soufrir Theodat arresté. Il l’estime, & son zele a toûjours fait paroistre Qu’il aimoit sous vos loix à l’accepter pour Maistre ; Sans doute à sa disgrace il voudra prendre part. C’est de quoy j’ay voulu prévenir le hazard ; Honoric est allé de cette populace Etoufer le murmure, & reprimer l’audace, Et sçaura d’autant mieux calmer les Mécontens, Que de son hymenée il peut choisir le temps ; Par ce desordre seul son bonheur se recule. Mais la Princesse enfin peut aimer sans scrupule. Cet obstacle impréveu ne l’étonne-t-il point ? Son cœur se veut en vain déguiser sur ce point, Je la trouve inquiete; & soit qu’elle appréhende Que plus loin qu’on ne croit l’obstacle ne s’étende, Soit que pour son hymen l’augure soit fâcheux, On voit dans son chagrin l’embarras de ses vœux. Ils n’auront pas longtemps l’importune contrainte Qui trouble son espoir, & fait naistre sa crainte ; Et puis que mon pouvoir à Theodat commis De mes lâches Sujets me fait des Ennemis, Je le mettray si bas, que jamais, quoy qu’il ose, D’un semblable tumulte il ne sera la cause ; Son haut rang aux Mutins peut donner trop d’appuy. Quoy, Madame, l’amour ne dira rien pour luy ? Je l’ay sans doute aimé , je l’aime encor peut-estre, Mais en trompant ma flame il a deû me connoistre, Et sçavoir qu’une Reyne abusée en son choix Ne fait point de bassesse une seconde fois. Oüy, dûst la violence où l’honneur me convie M’arracher à moy-mesme, & me couster la vie, Il n’aura jamais lieu de penser que mon coeur De ce honteux amour écoute encor l’ardeur. A ma gloire par là ce cœur rendra justice ; Et s’il luy falloit mesme un plus grand sacrifice, L’interest seul du Trône estant digne de moy, J’abandonnerois tout à ce que je lui doy. He bien, des Factieux a-t-on calmé l’audace ? Madame, du murmure ils vont à la menace, Et semblent s’apprester au plus funeste éclat, Si vostre ordre changé ne leur rend Theodat. Accourus vers le Fort, c’est là qu’il font entendre Qu’il n’est rien qu’ils ne soient résolus d’entrependre. Theodat ne peut moins attendre de leur foy, Ils le veulent pour Maistre, ils le nomment leur Roy. Ils doivent à ses soins le repos qui les flate ; Et dans leurs cris confus tant de fureur éclate, Qu’on voit trop qu’Honoric, par tout ce qu’il leur dit, Les irrite plutost qu’il ne les adoucit. Madame, resolvez ; le péril, le temps presse ; Luy ceder, quelquefois n’est pas une foiblesse, Dans les maux violens trop de rigueur perd tout. Theodat est coupable, & le Peuple l’absout ? Si je puis l’endurer, je ne suis donc plus Reyne ? Non, pour ce nouveau crime il faut nouvelle peine. A d’insolens Mutins faisons tout redouter, C’est luy, c’est Theodat qui les fait revolter, Ils adorent son nom pour forcer la tempeste, Allez, menacez les de leur porter sa teste, Puis qu’il est leur Idole, ils craindront pour ses jours. Le mal que je prévoy veut un autre secours ; Et quoy que vostre gloire…         Il faut qu’elle en décide ; Faisons trembler le Peuple, il est lâche & timide, Ne perdez point de temps, Ataulphe.         Je crains bien, Madame …         Allez, vous dis-je, & ne repliquez rien. Par ce fatal amour dont je suis abusée, Tu vois, Gepilde, à quoy je me suis exposée. J’ay trop laissé d’un Lâche affermir le pouvoir, Pour me chasser du Trône il n’a plus qu’à vouloir. Déjà, sans respecter le sang qui m’a fait naistre, Mes perfides Sujets le demandent pour Maistre. Aux honneurs de mon rang j’osois le destiner, Il est vray, mais l’Amour le devoit couronner, Et de ce Trône offert, quand ma gloire est arbitre, Pour y pouvoir prétendre il n’a plus aucun titre. Ne considérons point ce qu’il m’en peut couster, Mettons-nous hors d’état de le plus redouter, Ostons aux Factieux l’appuy qu’ils s’en promettent. Voyez mieux les périls où ces tranports vous jettent, Madame, & quels malheurs suivirent autrefois Ce sang donné par vous à la rigueur des Loix. Pour vouloir prévenir de legeres tempestes, Vostre crainte à l’Estat immola quelques testes, Et le feu qu’alluma cette séverité Ne soufrit plus d’obstacle à sa rapidité. Ce vaste embrasement s’éteignit avec peine. J’ay joüy de l’exemple, on vit que j’estois Reyne, Et depuis ces rigueurs que je crûs me devoir, Mes seules volontez ont reglé mon pouvoir. Theodat trop longtemps en fut dépositaire, Il peut en abuser, sa mort est nécessaire. Si de mes feux trompez le jaloux interest N’ose contre l’Ingrat en prononcer l’Arrest, L’entiere violence où le Peuple s’appreste Est un crime pour luy qui demande sa teste. Vangeons l’honneur du Trône, & ses droits violez, Son sang me doit payer les cœurs qu’il m’a volez. C’est par là… Mais pourquoy m’y résoudre avec peine ? Quel est ce trouble ? Quoy, lâche & et peu fiere Reyne, Ta gloire par ta flame ayant pû s’affoiblir, Tu trembles au moment qu’il la faut rétablir ? Ah, quand sur toy l’amour a pris ce dur empire, Que tu t’es lâchement résoluë à le dire, Preste à sentir le coup qui devoit t’accabler, C’estoit lors que l’honneur t’obligeoit à trembler. Mais de ton cœur séduit les mouvemens rebelles … Je viens vous apportez de fâcheuses nouvelles, Madame, Theodat échapé malgré nous, Est maistre de la Ville, & s’il le veut, de vous. Sa prison est forcée ?         Oüy, tout cede à l’orage. Les Mutins par le fer s’y sont ouvert passage ; Trasimond à leur teste, & l’insolent Theudis, Ont appuyé ce crime, & s’en sont applaudis. Vostre Trône affermy par le sang de leurs Peres, Leur laisse un souvenir qui les rend teméraires. Résolus de périr, ou de vanger leur mort, Ils osent décider tout haut de vostre sort, Et tâchent d’obtenir, pour voir l’Estat tranquille, Qu’en se faisant leur Roy, Theodat vous exile. Voilà jusqu’où leur haine a poussé l’attentat. Ah, pourquoy n’avoir pas immolé Theodat ? La revolte à ma gloire eust esté moins funeste, Vous eussiez par sa mort épouvanté le reste ; Le nombre est peu de chose, où le Chef a manqué. Au milieu des Mutins qui l’auroit attaqué ? Ils ne permettent point que ses jours se hazardent ; L’ayant choisy pour Roy, ce sont eux qui le gardent. J’aurois péry pourtant ; aussi-bien ces cœurs bas N’ayant pû me gagner, ne m’épargneront pas, Ils ont soif de mon sang, & l’ont trop fait entendre ; Mais j’ay crû qu’à vos yeux je devois le répandre, Et marquer à ma Reyne, en renonçant au jour, Combien je sens les maux qu’a causez mon amour. Il n’en faut point douter, le Trône a ses amorces, J’ay trop à Theodat fait connoistre ses forces. Seûr de l’appuy du Peuple, il a veu que sans moy, Sans me donner la main, il pouvait estre Roy, Et ne pouvant douter qu’avec le Diadéme Il ne parust aimable aux yeux de ce qu’il aime, Quoy que pour vostre hymen il m’ait pû demander, Prest à perdre Ildegonde, il n’a pû la ceder. L’Arrest de mon exil n’a plus rien qui m’étonne ; Pour la faire regner, c’est l’amour qui le donne. Theudis & Trasimond auroient-ils aujourd’huy Osé parler si haut, s’ils n’estoient seûrs de luy ? De ses complots par là je vois la certitude. Mais quand le Ciel me livre à son ingratitude, Assemblant ce que j’ay de fidelles Sujets, Faites leur pénetrer ses coupables projets. Parlez, essayez tout. Souvent un foible obstacle Fait ce qu’on auroit crû ne pouvoir sans miracles ; Du moins, forcés à voir mon Ennemy regner, Si j’obtiens quelque temps, je croiray tout gagner. Est-il une infortune à ma disgrace égale, Gepilde ? Il faudra voir triompher ma Rivale. En vain contre ce cœur que je crûs obtenir, La fierté d’Ildegonde aura voulu tenir. Un Trône adoucit tout, & le titre de Reyne, Si-tost qu’il est offert, ne soufre plus de haine. L’orgueil le plus farouche est par luy desarmé, Theodat peut l’offrir, Theodat est aimé. Il est aimé ? Non, non, avant qu’il puisse l’estre, Il ne m’a pas connuë, il pourra me connoistre, Je regne encor, qu’il tremble. Oüy, loin d’épargner rien, S’il faut percer mon cœur pour aller jusqu’au sien, Sans pitié de moy-mesme, & toute à ma vangeance… Cachez ce mouvement, le voicy qui s’avance. Je ne viens point, Madame, en insolent vainqueur, Braver vostre colere, ou blâmer sa rigueur. Plus irrité que vous de tout ce qui se passe, Je viens en criminel vous demander ma grace. Sans moy, sans mon aveu quoy que l’on ait osé, Tout le crime est à moy, puis que je l’ay causé. Mais si de son succès ma passion abuse, De ma coupable audace Ildegonde est l’excuse, Et ce n’est qu’à genoux que je veux obtenir Qu’au moins vous suspendiez l’ordre de m’en punir. Levez-vous, Theodat. Il faut que je l’avouë, Le Ciel veut que de vous malgré moy je me louë. D’abord, en vous voyant, j’avois crû contre vous Devoir faire éclater le plus ardent couroux. Mais vous le séduisez, & l’art de vous soûmettre, Quand un Peuple animé vous semble tout permettre, Est un art si puissant dessus mes volontez, Qu’il force ma colere, & vous rend mes bontez. Que de gloire pour moy ! Je le connoy, Madame, Mes indiscrets transports ont dû toucher vostre ame, Et contre mon Rival trop d’aigreur a suivy La perte de l’espoir que son feu m’a ravy. Ce reste mal éteint d’une aveugle tendresse Est un crime …         Gepilde, amenez la Princesse. Quoy ? la mander si-tost ! Laissez-moy respirer, Madame, c’est assez de ne rien desirer. Après le premier crime où m’a forcé ma flame, A de nouveaux combats ne livrez point mon ame, Et m’accordez le temps de pouvoir meriter Le retour des bontez qui semblent me flater. S’il s’agit de sa main, quelque effort que je presse, Ma vertu se défie encor de ma foiblesse ; Ménagez-la, de grace, & ne l’exposez pas. Pour moy, comme pour vous, la gloire a des appas ; Et quand vous refusez d’user des avantages Qui vous ont contre moy donné tant de suffrages… Ah, Madame, daignez ne vous plus souvenir D’un crime qu’il vous plaist negliger de punir ; Et si trop de chaleur a de quelques Complices Contre vos interests marqué les injustices, Ignorez les assez, pour soufrir que ma foy En repare l’injure & pour eux, & pour moy Theodat n’a jamais remporté tant de gloire, Qu’en gagnant sur soy-mesme une illustre victoire. Quand il peut tout oser, il veut ne pouvoir rien ; Maistre de mon destin, il me soûmet le sien ; Et quel que soit le prix qu’une vertu si rare Demande qu’à l’envy la mienne luy prépare, J’ay besoin que vos vœux avec les miens d’accord, D’un éclat achevé fassent briller son sort. Le seul titre de Roy pour luy me peut suffire, Ainsi je l’associe aux honneurs de l’Empire, Mon Regne partagé n’en sera pas moins doux. Dans ce haut rang, Princesse, il est digne de vous. Je sçay que vostre cœur à son amour contraire Aura pour se dompter quelques efforts à faire ; Mais ce que je luy dois peut-estre a merité Que vous n’en croyiez pas toute vostre fierté.     Quoy, Madame, un coupable auroit droit de prétendre… Il suffit, là-dessus je ne veux rien entendre ; Obtenez seulement que par de prompts effets La Princesse pour vous seconde mes projets. Le Trône vaut beaucoup, je le sçais ; mais, Madame, Son plus pompeux éclat n’ébloüit point mon ame. Quoy qu’aux vœux d’Honoric elle ait trouvé d’appas, J’y veux bien renoncer, s’ils ne vous plaisent pas ; C’est un choix dont toûjours vous serez la maistresse, Par vous autorisé, par vous cet amour cesse, Mais si vous m’ordonnez de reprendre ma foy, Ne me contraignez point à disposer de moy. Theodat connoist trop l’interest de sa gloire, Pour écouter un feu qu’en vain il voudroit croire ; Un choix plus relevé doit flater son espoir. Le temps sur ce mépris aura quelque pouvoir, Tâchez de la fléchir, je vous laisse avec elle. Montrez-luy les honneurs où vostre amour l’appelle, L’appas est sensible, & qui sçait bien aimer, Avec un Sceptre en main, est en droit de charmer. Donc à me rendre heureux lors que tout se dispose, Ma Princesse elle seule à mon bonheur s’oppose ? Dites, dites plutost que je veux détourner L’orage menaçant qui peut vous entraîner. La Reyne avecque vous partage sa Couronne, Vous demandez mon cœur, son aveu vous le donne ; Voilà bien des bontez, & jamais on n’a veu Faire un effort sur soy plus grand, plus impréveu, Mais l’amorce est trop foible à séduire mon ame, La Reyne est outragée, elle soufre, elle est Femme, Et le jaloux chagrin qui vous fit arrester S’évanoüit trop tost pour n’en rien redouter. Croyez-moy, Theodat, on cherche à vous surprendre ; Plus elle vous promet, moins s’il en faut attendre, Nostre Sexe pour vaincre a l’art de reculer, Et sa plus grande force est à dissimuler… D’un changement si prompt quel que soit le mistere, Qu’en apprehendez-vous, & que peut-elle faire ? Theudis s’est declaré ; Trasimond comme luy, Quoy que je veüille oser, me servira d’appuy. Non que jamais je puisse avoir l’ame assez basse Pour offencer la Reyne, ou soufrir sa disgrace ; Tous deux sur son exil auront beau me presser, Le Ciel l’a mise au Trône, & je l’y veux laisser ; Mais pour leur seûreté je ne sçaurois moins faire, Que garder un pouvoir qui rompe sa colere, Un pouvoir qui plus fort que son ressentiment Les dérobe aux fureurs de son emportement. Tout le Peuple est pour moy ; les Soldats & l’Armée … Ils aiment vostre gloire & vostre renommée, A l’envy tout le monde appuyera vostre sort, Mais contre une surprise est-il rien d’assez fort ? Pour vous en garantir je ne sçay qu’une voye. Tant de faveurs sur vous que la Reyne déploye, Doivent trop vous toucher, pour soufrir que jamais Son exil soit par vous le prix de ses bienfaits. Vous devez partager la Puissance supréme ? Demandez que sa main suive le Diadéme, Par là vous évitez la honte d’estre ingrat, Conservez vos Amis, satisfaites l’Estat, Et maistre de son cœur ainsi que de l’Empire, Etoufez la vangeance où sans doute elle aspire. Quel conseil, ou plutost quelle injure à ma foy ? Je vous voyois tantost plus de bonté pour moy. Vous ne déguisiez point que l’hymen de la Reyne Résolu tout-à-coup, vous donnoit quelque peine. Pourquoy changer si-tost des sentimens si doux ? Aimez-vous Honoric, ou me haïssez-vous ? C’est trop, dispensez-moy de voir à quoy m’expose Ce qu’un noble interest veut que je vous propose. Si je m’en consultois, peut-estre pour mon cœur Ce triste hymen encor auroit mesme rigueur ; Mais pour ne point soufrir que je l’en ose croire, Il suffit qu’il n’est pas le mesme pour ma gloire. Quand de vos feux tantost la Reyne estoit le prix, Cette gloire outragée essuyoit vos mépris, Et lors qu’à l’épouser c’est moy qui vous convie, J’immole à ma vertu le bonheur de ma vie. L’effort m’en couste assez, pour meriter de vous Sur ce cruel triomphe un reproche plus doux. L’effort est grand sans doute, & marque un cœur sublime Qu’en tout ce qu’il résout la gloire seule anime, Un cœur qui sous les sens n’est jamais abatu ; Mais, Madame, est-ce aimer qu’avoir tant de vertu ? Oüy, puis que devant tout à vostre amour extréme, Je ne puis moins pour vous que m’immoler moy-mesme. Par un hymen auguste assuré d’estre Roy, Vous avez dédaigné la Couronne pour moy. Cet amour vous a fait, par un plein sacrifice, D’une indigne prison endurer l’injustice, Et vous voulez encor pour mes seuls interests Exposer vostre sang à des complots secrets. Pour assurer vos jours, dont le péril m’étonne, Il le faut, je vous rends cette mesme Couronne. Si la condition tient vos sens soûlevez, Songez que c’est de moy que vous la recevez, Que c’est moy…         Non, Madame, assemblez pour ma gloire Les plus brillans honneurs qui suivent la victoire, Mettez sous ma puissance & mille & mille Estats, Vous ne me donnez rien en ne vous donnant pas. C’est pour vous que je vis, pour vous que je veux vivre, Je n’ay point d’autre bien, d’autre gloire à poursuivre, Et de tout ce qui fait le vray bonheur d’un Roy, Rien ne me peut manquer, si vous estes à moy. Ne vous en croyez pas, vostre raison séduite … Seigneur, d’un nouveau trouble appréhendez la suite. Theudis avec les Siens dans le Palais entré, Epiant Honoric, l’a d’abord rencontré. Et le nommant tout haut l’autheur de la disgrace Qui du Peuple pour vous a fait naistre l’audace, Il le pousse, il le presse, & sans un prompt secours, Quoy qu’il ait quelque appuy, je crains tout pour ses jours. Allez-y, Theodat & dérobant sa vie… Vous le voulez, Madame, & l’honneur m’y convie ; Tout mon Rival qu’il est, je cours à son costé Combatre la fureur d’un Party revolté ; Et tant qu’un calme entier acheve de l’éteindre, A moins que je périsse, il n’aura rien à craindre. Prenez soin de vous-mesme, & quoy qu’aimé de tous, Songez qu’un bras caché pourroit tout contre vous. Si ma vie à sauver vous tient en défiance, Dites que vous m’aimez, elle est en assurance. Vous avez là-dessus tout lieu d’estre content ; Si j’estois sans amour, je ne craindrois par tant. L’amour, pour vostre cœur doit avoir bien des charmes, Si d’un songe confus vous prenez tant d’alarmes. Quelque trouble par là qui vous ait pû fraper, Au moins vostre réveil a deû le dissiper. A de vaines frayeurs vous soufrez trop d’empire, Madame, & quand le jour …         Le jour paroist, Valmire, Et nous va faire voir si mon esprit séduit S’est trop laissé surprendre aux erreurs de la nuit ; Mais déjà comme moy tu vois tout lieu de craindre. On se plaint sans sçavoir de quoy l’on se doit plaindre, De Theodat par tout le nom est entendu, On parle d’entreprise & de sang répandu. Puis-je sur ce murmure estre moins inquiete ? Mais dans ce trouble enfin Theodat seul vous jette ; Et je vous y croyois l’esprit moins disposé En faveur d’un Amant si longtemps méprisé. L’Amour de vos dédains punit bien l’injustice. Ne me reproche point un bizarre caprice. Avant qu’avecque toy j’eusse osé m’en ouvrir, J’avois déjà souffert tout ce qu’on peut soufrir. Cependant je ne sçay si lors que je m’enflame, amour de Theodat ébloüit trop mon ame ; Mais le Trône oublié, si-tost qu’il a pû voir Apres tant de refus quelque rayon d’espoir, Son chagrin, ses transports, sa vie abandonnée, Pour me débarasser d’un fâcheux hymenée, Tout cela dans mon cœur luy donne tant d’appuy Qu’il seroit malaisé qu’il osast moins pour luy. Voy d’ailleurs avec moy cette vertu sublime Qui soûmet son destin à la main qui l’opprime. Le Peuple hait la Reyne, & la veut exiler, Il résiste, & contre elle on ne peut l’ébranler. Il fait plus, il apprend qu’une Troupe ennemie Surprenant Honoric, attente sur sa vie ; Soudain, quoy que Rival, il vole à son secours, L’arrache de ses mains, & prend soin de ses jours. Veux-tu que sans rien voir de tout…         Enfin, Princesse, Les destins sont pour nous, que vostre crainte cesse. Hier si je témoignay pour le bien de l’Estat Vouloir vous asservir aux vœux de Theodat, Je viens pour reparer cette honteuse feinte, Oster à vos desirs toute ombre de contrainte. Ah Valmire !         Honoric estant aimé de vous, Peut déjà s’applaudir du nom de vostre Epoux, Il n’aura plus d’obstacle à ce grand hyménée. Se pourroit-il…         J’en ay l’ame encor étonnée. J’aimois, & ce n’est pas sans trouble, sans horreur, Que l’amour indigné se porte à la fureur ; Mais il y va du Trône, on m’avoit outragée, Ma gloire en murmuroit, & je me suis vangée ; Trouble, desordre, horreur, tout est doux à ce prix. Sans doute Theodat…         Vous l’auroit-on appris ? Oüy, Princesse, à la joye abandonnez vostre ame, Theodat ne vit plus.         Theodat…Quoy, Madame… Deux des Siens dés longtemps m’avoit vendu leur foy, Comblez de mes bienfaits ils estoient tout à moy, Et par eux cette nuit ma vangeance assouvie M’a de ce nouveau Roy sacrifié la vie. Sans bruit & sans lumiere ils ont pris le moment De se pouvoir couler dans son Apartement, Et tandis qu’à la mort le sommeil l’abandonne, Ils suivent à l’envy l’ordre que je leur donne. Percé des premiers coups, Theodat, mais trop tard, Tâche de l’un des deux à saisir le poignard. Soudain chacun redouble, il se debat, s’élance, Et puis qu’il faut périr, fait tout pour sa vangeance ; Mais dans cet instant mesme, après un cry confus, Sans force, sans parole, il tombe, & ne vit plus. Le jour dont la clarté découvre l’entreprise, Fait déjà succeder la plainte à la surprise, On me soupçonnera, mais contre les Mutins Une rigueur si prompte assure nos destins. Plus de chef, plus d’audace ; il est quelques Complices Dont je puis à loisir ordonner les suplices. Mais quelle émotion agite vostre cœur ? Un peu de sang versé vous fait-il tant de peur ? Pour gouster pleinement le fruit de ma vangeance, Voyez de vostre amour qu’elle fait l’assurance, Et libre à disposer de vos vœux les plus doux, Joüissez d’un plaisir qu’elle n’offre qu’à vous. Qu’un bien si précieux vous la doit rendre chere ! Vous la connoissez mal, goustez-la toute entiere, Et puis que vostre rage en chérit tant l’appas, Voyez-y des douceurs que vous n’attendiez pas. Ne vous imputez point un crime détestable ; Si Theodat est mort, j’en suis seule coupable, Vostre haine à sa perte a peu contribué, Par vous, par vos fureurs, c’est moy qui l’ay tué. C’est moy qui vous immole une teste si chere. Ciel ! que me dites-vous ?         Ce qu’il ne faut plus taire. Malgré tout mon orgueil Theodat fut mon choix, Hier je m’en expliquay pour la premiere fois, Il sçeut que je l’aimois, & cette connoissance Rendant à son amour toute sa violence, Ny vostre cœur offert, ny le titre de Roy, Ne pûrent obtenir qu’il renonçast à moy. Il suivit de son feu l’emportement funeste, Combatit mon hymen. Vous avez fait le reste, Et son sang répandu, lors qu’il ne craignoit rien, En vangeant vostre amour, desespere le mien. Pardonne, Theodat, à ma jalouse envie. Ma fierté fit toûjours le malheur de ta vie, Et par un surprenant & déplorable sort, Pour s’estre démentie, elle cause ta mort. Oüy, par son changement c’est elle qui te tüe. Pourquoy ne l’avoir plus, ou pourquoy l’avoir euë ? Mais après tant d’ennuis, puis qu’elle t’a jetté Dans l’abysme où pour moy tu t’es précipité, De mon cœur pour jamais mon desespoir l’arrache, Il te la sacrifie, & je veux bien qu’on sçache Que jusques au tombeau mes soûpirs & mes pleurs Ne se lasseront point de vanger tes malheurs. Enfin, graces au Ciel, rien ne manque à ma joye ; A pleines mains sur moy sa faveur se déploye. Dans mon cœur agité je ne sçay quels combats De la mort d’un Amant corrompoient les appas. Je tremblois d’une gloire à mon amour fatale ; Mais quand je puis joüir des pleurs de ma Rivale, Ses ennuis à mes yeux si vivement offerts, Consolent cet amour de tout ce que je pers. Qui l’eust crû qu’Ildegonde, elle qui fut si fiere ; Allant pour Theodat jusques à la priere, Avec tant de bassesse eust mandié sa foy Pour me voler un cœur qui se donnoit à moy ? C’est donc ce qui le fit à soy-mesme infidelle ; L’Ingrat si-tost changé, ne changea que pour elle, Et leur intelligence à braver mon amour, De ses feux mals éteints produisit le retour. Ah si j’avois connu… Mais qu’eust pû ma vangeance, Qui de mes vœux trahis reparast mieux l’offense ? De deux Amans ensemble ordonner le trépas, Quelque cruel qu’il soit, c’est ne les punir pas. Lors que l’un perd le jour sous le fer qui l’en prive, Pour en sentir l’atteinte, il faut que l’autre vive : Oüy, perfide Rivale, après l’indigne éclat De l’outrageant amour qui m’oste Theodat, Si pour voir ma vangeance heureusement remplie, J’eus besoin de sa mort, j’ay besoin de ta vie. J’eus besoin qu’à toute heure, examinant sa foy, Tu songes, s’il est mort, qu’il n’est mort que par toy ; Que ton bras a versé le sang que tu regrettes. J’élevois son destin à des grandeurs parfaites, Ton amour malgré moy s’est rendu son bourreau, Je le mettois au Trône, il le met au tombeau. Peins-toy bien cette Image, & toute déchirée Par l’afreuse douleur de t’en voir séparée, Toûjours preste à mourir sous l’horreur du remords, Chaque jour, s’il se peut, endure mille morts. Insultez aux ennuis dont la rigueur funeste Accable d’un Amant le déplorable reste. Faites sous leur excés gémir ce cœur ingrat, Je vivray pour pleurer le sort de Theodat, Et ces morts que pour moy vostre vangeance amasse, De vos lâches fureurs rempliront la menace. Mais craignez que mes jours malgré moy conservez, Ne troublent les douceurs que vous vous reservez. Dés longtemps sur le Trône au sang accoûtumée, Vous le voyez couler sans en estre alarmée. Sur le foible soupçon d’un douteux attentat, Vous avez répandu le plus pur de l’Estat. Contre vous, quoyque tard, c’est un crime à poursuivre, Je ne m’en tairay pas, si vous me laissez vivre. Il est des cœurs aigris, qui pour vanger ce sang, Vous détestant pour Reyne attaquent vostre rang. Theudis & Trasimond n’ont pas quitté les armes, J’iray les animer par mes cris, par mes larmes, Leur montrer Theodat tout percé de vos coups, Ce Theodat qui dût attendre tout de vous, Ce Theodat…Mais, Dieux, faut-il que je m’en croye ? On m’a trompée ! Ah Ciel !         Vous vivez ? quelle joie ! Mes reproches, Madame, ont esté trop avant, N’en redoutez plus rien, Theodat est vivant. Pour me justifier, j’ay besoin de ma gloire, Elle est mon seul recours, mais l’en voudrez vous croire, Madame ? tout m’accuse, & pour noircir ma foy, Du plus honteux forfait l’indice est contre moy. Hier sçachant qu’Honoric par un nouveau tumulte De quelques Factieux soufroit icy l’insulte, Confus de ce desordre, afin de l’empescher, De leurs mains aussitost je courus l’arracher. A ma voix, à mes cris ne deférant qu’à peine, Ils juroient que son sang satisferoit leur haine ; Et Theudis à regret différant son trépas, Executoit des yeux ce que n’osoit son bras. Il croit que ses conseils ont fait périr son Pere, Et tant d’aveuglement se mesle à sa colere, Que s’estant declaré, rien n’est plus assez fort Pour luy faire oublier cette honteuse mort. Je crûs pour Honoric devoir craindre l’orage ; Et touché des périls que pour luy j’envisage, L’approche de la nuit redoublant mon effroy, Pour l’en mettre à couvert, je l’enleve chez moy. Un des Miens seulement instruit de sa retraite, Seconde le secours que ma pitié luy preste ; Mais ce lieu qui devoit faire sa seûreté, N’a pû le garantir de l’infidélité. Comme en ce lieu funeste il occupoit ma place, Je ne sçay si par luy le Destin me menace, Mais enfin (je m’en sents le cœur tout interdit) Le jour me l’a fait voir poignardé dans mon lit. C’est là qu’il a péry ; j’avois seul connoissance De l’azile où ses jours cherchoient leur assurance ; La vertu par l’amour se peut laisser trahir, Il estoit mon Rival, je le devois haïr ; Et si vous ne tenez l’apparence croyable, Le crime est averé, vous voyez le coupable. Cependant je me pers à force d’y penser, Madame ; & quelque sang qu’on ait voulu verser. J’ignore quelle main oferte à les répandre… Tu l’ignores ? Hé bien, il te le faut apprendre. Ces coups qui d’Honoric ont terminé le sort, Par mes ordres portez, m’assuroient de ta mort. Ton sang, au lieu du sien qu’a versé l’imprudence, Estoit secretement promis à ma vangeance, Et devoit reparer l’affront d’avoir en vain Relâché mon orgueil jusqu’à t’ofrir ma main. Si le honteux ennuy de n’estre point aimée, Contre toy jusque-là tint ma haine animée Que n’oseras-t-il point cet ennuis, quand je voy Que ton amour content me dérobe ta foy ? Ildegonde a changé, tu l’aimes, elle t’aime, Je le connoy ; crains tout de ma fureur extrême. Les crimes les plus noirs qui t’auroient diffamé, Seroient moindres pour toy que celuy d’estre aimé. Je pourrois déguiser, afin de te surprendre, Ce que pour t’en punir je brule d’entreprendre ; Mais ma feinte auroit beau te tendre un faux appas, Apres Honoric mort, tu ne l’en croirois pas. Ainsi tu vois à quoy ta seüreté t’engage, Préviens-moy, si tu veux te sauver de ma rage ; Autrement, si la voye encor s’en peut trouver, J’ay commencé trop bien, pour ne pas achever. Quelle fureur, Madame, & d’un projet semblable Qui croiroit qu’une Reyne auroit esté capable ? Je vous l’avois bien dit, que son calme apparent Dissipant trop l’orage, en marquoit un plus grand. L’amour qui se reproche une secrete honte, Ne croit point de vangeance assez forte, assez prompte, Il veut tout, ose tout pour s’en faire raison, Et ce que le fer manque, il l’obtient du poison. Je ne connoy que trop ce qu’il faut que j’en craigne ; Mais voulez-vous de moy que ma vertu se plaigne, Et que contre ma gloire un indigne interest De l’exil de la Reyne autorise l’Arrest ? Si ses jaloux transports en veulent à ma vie, C’est un amour trompé qui s’emporte, s’oublie, Et dont l’égarement n’affoiblit pas ma foy Jusques à me cacher ce qu’elle a fait pour moy. Hé bien, de ses fureurs demeurez la victime. J’ay par mon imprudence achevé vostre crime, Et la part que j’y prens en faisant la noirceur, Je deviens sa complice à vous percer le cœur. Helas ! que je tiendrois mon sort digne d’envie, Si j’avois seulement à craindre pour ma vie ! Mais, Madame, elle sçait que vostre cœur touché A ses rigueurs pour moy s’est enfin arraché ; Qu’à mon timide espoir cessant d’estre contraire, Vous soufrez que ma foy …         Coment l’avoir pû taire ? J’apprenois vostre mort, & de pareils malheurs Demandoient mon secret aussi-bien que mes pleurs. Heureux, & doux abus ! que j’y trouve de charmes ! Ah, puis que mon amour a merité vos larmes, Cessez d’avoir l’esprit de mon sort effrayé, Laissez verser mon sang, ce sang est trop payé. Mais ce qui me confond, je tremble que la Reyne Me connoissant aimé, ne partage sa haine, Et que pour me porter de plus terribles coups, Sa jalouse fureur ne s’étende sur vous. Sauvez-moy de l’abyme où ce soupçon me jette, Il est des Rois voisins chez qui trouver retraite, Des Rois de quy l’appuy par un heureux secours… Moy, fuir, Prince ?         Il le faut ou c’est fait de vos jours. Songez pour un Amant quel sort épouvantable De voir sacrifier tout ce qu’il trouve aimable ; Le seul pressentiment m’en fait pâlir d’effroy. Madame, s’il est vray…         Seigneur, vous estes Roy, Le bruit de vostre mort a redoublé la haine Que le Peuple avoit fait éclater pour la Reyne. Chacun faisant oüir le nom de Theodat, A juré hautement d’en punir l’attentat ; Et dans tout le Palais une fiere menace De la rebellion a fait croistre l’audace. Theudis plus que tout autre ardent à vous vanger, A fait voir vostre vie à toute heure en danger, Et qu’à moins qu’on osast en prévenir le crime, La Reyne tost ou tard vous prendroit pour victime. Ses cris tumultueux que le Peuple soûtient, Vont jusques à la Reyne, on la voit elle vient, Et d’un vif desespoir mortellement frapée, De l’un des Siens en haste ayant saisi l’épée, Elle court à Theudis, & de sa propre main, Sans rien examiner, luy veut percer le sein. Là, soit que sa fureur un peu trop violente La livre d’elle-mesme au fer qu’on luy presente, Soit que contre ses jours de vangeance animé Theudis qui luy resiste exprès se fust armé, A ses pieds tout-à-coup elle tombe, elle expire. Chacun s’unit alors pour vous ceder l’Empire, Et cette mort par tout faisant un prompt éclat, On n’entend plus crier que vive Theodat. Ainsi pour vous, Seigneur, l’ordre du Ciel s’exprime, Vous appellant au Trône, il vous y veut sans crime, Et qu’on puisse au hasard seulement imputer L’Arrest que sa justice a fait executer. L’infortune me touche, & quelque violence Que la Reyne ait voulu permettre à sa vangeance, Je ne puis m’empescher de me plaindre du Sort Qui me rend malgré moy coupable de sa mort ; Mais pour ne pas laisser vostre gloire incertaine, Madame, allons au Peuple ofrir une autre Reyne, Et par tout ce qui peut luy répondre de vous, L’assurer sous vos loix du Regne le plus doux.