A peine ayant quitté les portes d’Orient Le soleil nous fait voir son visage riant ; Quel sujet donc, Madame, aujourd’huy vous invite A vous lever si tost? où courez vous si viste? Quels puissans mouvemens de crainte & de desir De vostre ame à la fois se sont venus saisir? Car, Madame, je lis sur vostre front emprainte La moindre passion dont vostre ame est attainte. Moy qui suis vostre mere, & d’aage, & de devoir, Que le sort a fait vostre, & bien plus mon vouloir, Ne connoitray-je point le fonds de vos pensees? Comment, & de quels traits sont-elles donc blessees? Non, non, ne feignez point de me rien découvrir, A qui plustot qu’à moy vous pourriez vous ouvrir? Oüy, ma chere Nourrice, il est bien raisonnable Que tu sçaches l’estat d’un coeur si miserable, Et qu’icy je commette à ta fidelité Les secrets mouvemens dont il est agité : La crainte, & le desir, Nourrice, je l’avoüe, Mettent, comme Tyrans, mon esprit à la roüe ; Mais ce qui plus me gesne, & dont plus je me plains, Je sçay ce que veux, & non ce que je crains ; Une Ombre, un Songe noir, m’espouvante & m’afflige, Quelque nouveau Fantosme, un ancien Prodige ; En fin je ne sçay quoy me remplit de terreur, Et confond mes pensers de tristesse & d’horreur : A peine pour dormir mes paupieres sont closes, Que je commence à voir mille effroyables choses : On arrache tantost Torrismon de mon flanc, Tantost un marbre suë, & la terre est de sang ; Quelquefois seule errante au milieu des tenebres, J’entends à chaque pas gemir des cris funebres, Ou je vois d’un sepulcre un grand Geant sortir Qui le foüet en la main me presse de partir, Si bien que dans les maux que le sommeil me livre Alors que du travail tout le monde il delivre ; Si tu me vois si tost mon lit abandonner, Nourrice, tu n’as pas sujet de t’estonner ; Dans ce fascheux estat, helas je suis semblable A celle qui languit d’une fievre incurable, Et qui durant la nuict transissant de froideur Brule sur le matin d’une mortelle ardeur : Car la peur dont la nuict mon ame est occupee, Par les rayons du jour à peine est dissipée, Qu’un desir amoureux s’allume dans mon coeur, Qui petit à petit consomme ma vigueur. Nourrice, tu le sçays que dés l’heure premiere Qu’à mes yeux Torrismon s’offrit plein de lumiere, On me dit qu’il venoit pour estre mon espoux, Et de là me pleut tant son maintien grave & doux, Que de ce que j’estois ne faisant plus de conte J’oubliay peu s’en faut, ma promesse & ma honte ; Car j’avois fait serment entre les mains du Roy, De n’accepter jamais de conjugale foy, Que l’on ne nous promit cette juste allegeance, Que de mon frere mort on tireroit vengeance. Ah! combien de sermens, Amour le plus souvent, Comme un foible jouet vas-tu jettant au vent? Je suis tellement prise à sa premiere veuë, Et de tout jugement restay si despourveuë, Que sans quelque pudeur qui lors me retenoit Mon desir à l’instant au sien s’abandonnoit ; Mais si tost qu’en parlant & découvrant sa flame, Il tenta de se faire une place en mon ame : Aussi-tost que je creus qu’il souspiroit pour moy, Et qu’il m’eût asseuré la vengeance & sa foy, Ne pouvant plus tenir mon ardeur violente Je fus en meme temps & l’Espouse & l’Amante. Or comme apres cela de son Royaume entier, Le Roy le reconnût legitime heritier ; Comme en signe d’un chaste & fidelle hymenée, Devant toute la Cour, sa main me fut donnée. Comme il remit la nopce à celebrer icy, Et nous dit, que leurs Loix en ordonnoient ainsi. Qu’entre les Roys des Goths l’hymen estoit profane, Qui ne se faisoit pas dans leur ville d’Arane. Tout cela tu le sçais, ou je me trompe fort : Et qu’avant d’assembler ses navires au port, Estant encor sur mer & pres d’un bord sauvage Bien moins Espoux qu’Amant, il fit le mariage, Qui fut si bien caché sous l’ombre de la nuict Et si secret qu’aucun n’en entendit le bruit. Toy seule tu le sceus, & le peus reconnestre Aux signes que la honte en mon front faisoit naistre. Nous voicy maintenant venus en ceste Cour, Où se devoient cueïllir les fruits de nostre amour : Cependant je ne scay pourquoy tant l’on differe, Le jour heureux qui doit accomplir ce mystere. Une nuict auroit-elle amorty tout son feu? Certes s’il est ainsi, Torrismon en eût peu : Des-jà cét horizon a veu vingt fois l’Aurore, Depuis nostre arrivée, & l’on retarde encore ; Tandis, te le diray-je? En l’ardeur où j’attends, Je fonds comme la neige au Soleil du Printemps. Comme je trouve vain ce qui vous espouvante, Je trouve juste aussi le feu qui vous tourmente. Quelle femme jamais monstra tant de froideur Que pour un jeune espoux elle n’eust cette ardeur : Mais il est à propos qu’une honesteté sainte Restraigne nostre amour d’une chaste contrainte, Afin que nos amans ne s’apperçoivent pas, Combien nous souspirons apres leurs doux appas : Toutesfois à vos maux je vois un prompt remede, On attend tous les jours le Prince de Suede. On l’attend, je le scay, mais ce retardement Parce que c’est pour luy, m’afflige doublement : C’est donc de la façon que l’on vange mon frere? Ainsi que l’on console & satisfait mon pere? Est-ce là mon pouvoir & ce que j’ay voulu? C’est ce que Torrismon avoit donc resolu, De ne point recevoir Alvide dans sa couche, Qu’elle n’eût veu devant ce monstre, ce farouche, Ce Germon ennemy de toute ma maison? Torrismon le cherit, & c’est bien la raison, Que dans ses mouvemens une femme bien saine Suive ce qu’un Espoux a d’amour ou de hayne. Soit comme tu voudras, je t’accorde ce point, Je puis pour luy complaire, aymer, ou n’aymer point ; Que ne puis-je aussi bien allentir cette flame Qui consomme mon coeur & me devore l’ame ; Ou luy tant agréer qu’il pensast plus en moy, Et me fit recevoir des preuves de sa foy. Las! Je l’espere en vain, en vain je le desire, Mon aspect, que je croy, le gesne & le martyre ; Je luy suis à dégoust, & depuis ce moment, Il n’est ny mon mary, ny mesme mon amant. Nourrice, je le dy, quoy qu’une pudeur sainte Deust dans ma propre bouche étouffer cette plainte, Je prends souvent sa main, & m’approche de luy, Et l’entends souspirer de regret & d’ennuy. Je le vois tout tremblant, sa face devient blesme, Et me paroist, helas! celle de la Mort mesme. Et comme s’il cherchoit quelques objets meilleurs, Il la panche vers terre, ou la détourne ailleurs : Que s’il daigne à la fin dire quelque parole, C’est avec une voix interrompuë & molle, Et qui finit tousjours en quelque autre souspir. Ma fille, tout cecy marque un ardent desir. Trembler, paslir, jetter une timide oeillade, Ce sont tous accidens d’un coeur d’amour malade. Entrecoupper sa voix, souspirer en parlant ; Certes tout cela montre un feu bien violent. Et s’il tient maintenant ses flames plus couvertes, Qu’il ne le faisoit pas dans ces rives desertes ; Tu sçauras que la nuict, & ce desert sejour Estoient des esperons pour réveiller l’amour. Au lieu que le Soleil, le bruit, & le grand Monde, Dont un Palais Royal incessament abonde, Jette souvent la honte au milieu du desir, Et nous contraint d’attendre un jour avec plaisir, Où nous en ressentons de plus vives delices, Plus l’attente a donné d’agreables supplices. Si bien que sur ces bords s’il fut Amant hardy, Excuse s’il paroist icy plus refroidy. Plaise au Ciel que cecy se trouve veritable, Tandis je me repais de sa veuë agreable ; Et venois tout exprés en ce champ spacieux, Où souvent ses Coursiers s’exercent à ses yeux. Madame, la maison vous est bien plus seante, Vous pouvez sans sortir vous rendre aussi contente, Et de vostre Palais, assise en un balcon, Le contempler à l’aise accompagnée ou non. Nulle condition n’est si douce sur terre Que toujours quelque soin ne luy fasse la guerre : Ny rien de grand, si fort, que le sort inconstant Ne le menace, esbranle, ou ne l’aille abbattant. Cette jeune Princesse autresfois fortunée, D’autant plus que Princesse elle croit estre née, Et que presque aussi-tost qu’elle vit la clarté Son destin l’éleva dans cette dignité : Lors que le Ciel devoit la rendre plus contente, C’est lors qu’elle craint plus, s’irrite, s’épouvante ; Mais où regne l’Amour, tout courroux est banny, Dans nous, tout reconnoist son pouvoir infiny, Et si par son ardeur la hayne s’est esteinte, Qu’elle dissipe aussi son soubçon & sa crainte ; Et puis qu’elle a si bien fait choix de ses amours, Que rien de son bon-heur n’interrompe le cours ; Mais j’apprehende fort que le contraire avienne, Et ma crainte provient d’une cause ancienne, Qui peur tirer des pleurs de sa nouvelle peur, Si l’Amour ne resoud cette nuë en vapeur. Quel fleuve, ou quelle mer si vaste & si profonde Suffiroit pour laver mon crime dans son onde? J’en ay l’ame & le corps entierement tachez, Et les rayons du jour ne me sont pas cachez! Je vis doncques encore! Encore je respire! Je suis encor Seigneur d’un si puissant Empire J’ai l’espée au costé, le Sceptre dans le poing, La couronne en la teste, & je ne rougis point! Il se trouve quelqu’un qui m’estime & m’honore, Et peut-estre quelqu’un qui me cherit encore! Las c’est asseurément cét amy si parfait Qui de son amitié reçoit un tel effet, Mais que sert tout cela, si j’abhorre la vie, Si je me voudrois voir la lumiere ravie? Que me sert de me voir de tant d’honneur pourveu Si je me crois moy-mesme indigne d’estre veu? Dequoy m’importe-il de sçavoir que l’on m’ayme, Si je me suis moy-mesme en horreur à moy-mesme? Je m’irois bien cacher dans quelque antre écarté, Où mesme de la Nuit, je fuyrois la clarté : Mais qui m’asseureroit qu’une honte secrette Ne me vint pas troubler dans ma sombre retraitte ; Toute fuitte est bien vaine, en l’estat où je suis Je suis celuy qui fuit, & celuy que je fuis : Ny sages, ny le bruit d’un peuple temeraire Par leurs propos mordans ne me sçauroient pis faire, Je me suis à moy-mesme un plus pesant fardeau, Moy-mesme mon tesmoin, mon juge, mon bourreau. Si ma fidelité, Sire, vous est connuë, De grace, monstrez-moy vostre ame toute nuë, Ce qui fait vostre plainte, & qui vous trouble tant, Lors qu’un mal se découvre, il s’allege d’autant. S’il faloit que quelqu’un ignorast ce mystere, C’estoit devant toy seul que je m’en devois taire, Toy de qui mon enfance eut de si bons avis, Que j’ay si bien reçeus, que j’ay si mal suivis : Mais ta fidelité, ta prudence & ton aage, De te declarer tout me donnent le courage ; C’est pourquoy tout exprés je t’ay conduit icy Pour t’ouvrir sans tesmoin ma peine & mon soucy. Tu te ressouviens bien comme sortant d’enfance, Et de dessous le joug de ta douce puissance, Affamé d’acquerir du bruit par les dangers Je me mis à courir les Païs estrangers : En ce temps-là je fis une amitié si sainte, Que rien que le trépas n’en peut rompre l’estrainte. Le Prince qui commande aux peuples Suedois Est celuy que je crus digne d’un si beau choix, Jeune, comme j’estois, ardent apres la gloire, Et d’un pareil desir d’eternelle memoire : Avecques luy je vis cent peuples differans, Avec luy je dontais de superbes Tyrans, Nous fusmes compagnons, & sur mer & sur terre, Nous fusmes compagnons en la paix, en la guerre, Souvent dans les perils je luy servis d’écu, De mesme que souvent sans luy j’estois vaincu Et depuis que tous deux par la mort des deux Princes Nous fusmes rappellez à regir nos Provinces, Quoy qu’esloignez de lieux, nos coeurs plus que jamais Gousterent les douceurs d’une agreable paix : Tousjours mille devoirs entre nous s’exercerent, Ny lettres, ny presens, aucun temps ne cesserent ; Helas! voicy le point qui me tourmente tant : Ce Prince genereux, & cet Amant constant, Devant que l’amitié nous liast de ses charmes, Au tournois de Norvegue avoit porté ses armes. Là sur mille luy seul il remporta le prix, Et là des yeux d’Alvide, il fut aussi-tost pris, Et bien qu’il n’osast pas luy declarer sa flame, Il la garda pourtant si vive dans son ame, Que ny longueur du temps, ny guerres, ny dangers, Ny l’agreable aspect des païs estrangers, Ny travail du chemin, ou quelque autre mes-aise N’amortirent en rien son amoureuse braise ; Ainsi durant ce temps entre Amour, & nous deux, De ses pensers secrets il nourrissoit ses feux ; Mais depuis qu’heritant le Sceptre & la Couronne, Il se chargea des soins qu’un Empire nous donne, Tousjours l’ame tenduë à son premier dessein, Et tousjours ce brasier brulant dedans son sein, Il tenta tout moyen, pratiqua toute voye, Afin de parvenir au comble de sa joye : Tantost priant en Prince, & tantost en Amant, Exposant sa puissance, ou monstrant son tourment. Mais jamais du vieux Roy l’ame implacable & fiere Ne voulût accorder Alvide à sa priere, Apres tant de fureurs, & de meurtres commis Il refusa la paix avec ses ennemis, Et la mort de ce fils qui fut son esperance, Excitoit encor plus son ire, & sa vengeance ; Cette mort dont Germon fut estimé l’autheur, Et certes en cecy le bruit n’est pas menteur. Cét amy voyant donc rejetter sa demande, Quoy qu’il ne peust bruler d’une flame plus grande, Sentit que ce refus, & cette inimitié Croissant sa rage, accreût son amour de moitié, Il resoud de l’avoir en depit de son pere. Pour cét effet voicy comment il delibere ; Il m’escrit de l’aller demander au vieux Roy ; Que je luy cederois quand je l’aurois à moy : Quoyque je sçeusse bien qu’une telle entreprise M’irritoit la Norvegue, & blessoit ma franchise, Je pensay toutesfois que tout estoit permis Alors qu’il s’agissoit de servir ses amis, J’eus ma tranquillité moins chere que la sienne, Et preferay sa paix aux douceurs de la mienne, En un mot, devenu traistre par trop de foy, Moy-mesme Ambassadeur je vay treuver le Roy ; Je suis le bien-venu, je parle d’hymenée, Ma recherche luy plaist, la fille m’est donnée, Je remonte sur mer, ayant mon congé pris, Et l’emmene avec moy comme un butin de prix. Nous mettons voile au vent, esloignons le rivage, Alvide ayant tousjours les yeux sur mon visage, Et comme m’invitant par des regards transis A vouloir seconder ses amoureux soucis. Je fis comme celuy qui se recueille & serre Contre les ennemis qui l’assiegent en guerre, Mais en fin le long-temps, & le destroit des lieux, Les traits de son amour, l’embusche de ses yeux, Ce pourparler müet, mais si plein d’eloquence, Forcerent malgré moy ma trop foible deffence : Qu’il est bien vray qu’Amour lors qu’il est combattu Nous en attaque après avec plus de vertu, Et que c’est un arrest infallible & supréme, Qu’on n’évite jamais d’aymer ce qui nous ayme ; Toutesfois la raison maistresse de mes sens Gouvernoit jusques-là mes desirs innocens, Quand du milieu de l’air vindrent à l’impourveuë, Mille esclairs redoublez esblouyr nostre veuë, Le Sort, le Ciel, l’Amour contre moy conjurez Poussent les Aquilons sur les flots azurez, Cent nuages espais desrobant la lumiere, Ramenent du Chaos l’obscurité premiere, Sinon qu’en cette nuit tousjours brille un esclair, Mais qui semble espaissir les tenebres de l’air ; Jusqu’aux cercles du Ciel la tempeste s’esleve, Et jusques aux Enfers la mesme apres se creve Enfin l’orage fond : Tandis que nos vaisseaux Tristement dispersez errent parmy les eaux ; Le nostre fut porté dedans un bord sauvage : Là tandis que chacun descend sur le rivage Que l’un allume un bois tout fumant & mouïllé, L’autre essuye un habit de limon tout souïllé, Je reste avec Alvide au fonds de nostre tante, Qui me serroit encor de peur toute tremblante, Et desjà la nuit propre aux doux larcins d’Amour, A ses sombres flambeaux faisoit ceder le jour ; Ce fut en ce moment que je rendis les armes Et que je fus vaincu par de si puissans charmes ; Une rage d’amour tout mon corps vint saisir, Qui lors me contraignit d’assouvir mon desir, Alors je violay par un enorme crime L’honneur, la foy, les loix d’une amour legitime, D’amy je devins traistre, & ma lasche action Me rendit en aymant digne d’aversion : Depuis mille pensers incessament m’assaillent Mille pressans remords nuict & jour me travaillent, Quelque part que je tourne & les yeux & l’esprit, Ma faute que la nuit de ses ombres couvrit, Me semble d’un chacun en plein jour apperceuë, Voire qu’en la faisant tout le monde l’a sceuë ; Ce mien amy trahy, s’offre à tous coups à moy, Il m’accuse, se plaint, me reproche sa foy ; Mais las! ce n’est pas tout à ces remords de l’ame, L’Amour adjouste encore ses tourmens & sa flame, Et de croire jamais que je puisse laisser Alvide sans mourir, je n’y sçaurois penser, Aussi certes la mort est la plus courte voye, Pour sortir des ennuis où mon coeur est en proye : Et puisque d’un tel noeud je suis enveloppé Qu’il ne se peut dissoudre, il faut qu’il soit couppé : Car au moins en mourant j’auray cette allegeance, Que d’un si cher amy je feray la vengeance, Lavant dedans mon sang ma honte & mon forfait Si rien peut effacer le crime que j’ay fait. Sire, plus la personne est eminente & haute, La honte en est plus grande, & plus grande la faute, Un coup dessus le bras blesse legerement, Mais receu dans la teste il porte au monument : De mesme cette erreur qui mise à la balance Seroit peu dans quelqu’un de petite importance, Dans des coeurs genereux, & parmy de grands Roys, Est certes, je l’avoüe une erreur de grand pois : Mais ce n’est qu’une erreur, & nullement un crime, Erreur où l’Amour sert d’excuse legitime, Comme on ne se doibt point donner d’eloge faux, On ne doibt point à tort imputer de defaux. Sire, vous n’estes point ny scelerat, ny traistre, Celuy seul est meschant qui prend plaisir de l’estre. Mais qui sans consentir par force est emporté, Peche peu, puis qu’il peche estant sans liberté : Les grandes passions troüblent les grands courages, Comme les grandes mers ont les plus grands orages. Et partant recevez dans ce triste mal-heur, Le frein que la raison offre à vostre douleur. Je veux laisser à part tant de fameux exemples De Herôs à qui mesme on erigea des temples, Qui se monstrant d’ailleurs invincibles guerriers, Aux myrthes de l’Amour, soubsmirent leurs lauriers, Une jeune beauté fut en vostre puissance, Long-temps à ses attraits vous fistes resistance, Il vous fallut enfin respondre à ses amours, Mais moderant vos feux, vos regards, vos discours : Depuis l’Amour, le lieu, le Temps & la Fortune, Se pleurent à destruire une foy non commune : Vous faillistes de vray, mais d’un peché d’amour, Qui ne merite pas que l’on se prive du jour ; Et celuy qui se cause une fin violente, N’amoindrit pas sa faute, au contraire il l’augmente. Si la mort ne sçauroit amoindrir mon peché, Par elle au moins mon deuil se verra retranché. Mais plutost s’accroistra d’une gesne nouvelle. Vivray-je avec Alvide, ou bien separé d’elle? Je ne la puis garder sans une trahison, Et ne puis sans mourir l’oster de ma maison : Ainsi c’est vainement que tu m’enjoins de vivre, Il faudra bien qu’en-fin la douleur m’en delivre. Non, non, cela n’est pas eschapper à la mort, Mais plutost pour mourir choisir le pire sort. Le Temps, grand Medecin, obtient ce privilege, Qu’il n’est point de douleur qu’à la fin il n’allege ; Mais sans vouloir attendre un si lasche appareil, Appelez au secours vostre propre conseil. Mon mal sera bien long s’il faut que le Temps m’ayde Et si c’est ma raison, bien foible est mon remede. La raison a tousjours de quoi nous consoler, Et le Temps est si prompt qu’il nous semble voler. Il vole en apportant ce qui trouble & tourmente, Mais s’il apporte un bien, lors sa demarche est lente. Son vol est neantmoins tousjours precipité, Et nostre esprit fait seul son inegalité. Mais quand (comme tu dis) pour rendre ce mal moindre, La Raison & le Temps leurs forces viendroient joindre, Alvide pourra-t’elle estant à Torrismon, Estre tout à la fois la femme de Germon? L’effect qui confirma ma foy devant donnée, Fait qu’Alvide est à moy par un juste hymenée : Verray-je donc ma femme entre les bras d’autruy? Non, non, la seule mort finira mon ennuy. Moy mort, Germon l’aura comme une honneste femme, Et vivant, il ne peut l’avoir que comme infame. Sire, il est bien certain que Germon ne doit pas La posseder à femme, avant vostre trespas : Mais il ne s’ensuit point que d’une main sanglante, Vous deviez vous causez une mort violente. L’ame ne doit jamais par d’injustes efforts, Sans le vouloir des Dieux abandonner son corps ; S’il est besoin pourtant que l’un ou l’autre arrive : Que Germon perde Alvide, & que Torrismon vive. Luy privé de sa Dame, & moy d’un tel amy, Ah! Vivre en cest estat n’est pas vivre à demy. Il faut bien supporter d’une ame resoluë, Des arrests du Destin la puissance absoluë. Fasse donc ce Destin ma perte ou mon bon-heur. J’ay pourtant un moyen qui sauve vostre honneur : Car s’il est vray qu’Alvide a pour vous tant de flame Que vous soyez son coeur, son esprit & son ame, Pourra-t’elle souffrir d’avoir pour son espoux Cét Amant odieux, l’object de son courroux? Qui fut un peu devant aux siens si fort contraire, Et qui semble encor teint du sang de son cher frere. Sa hayne & son refus vous pourront trop fournir, De subjects specieux de quoy la retenir. Ce n’est pas, direz-vous, le faict d’un bon courage De vouloir jamais faire aux Dames nul outrage, Nous la prirons ensemble, & ne laisserons rien De ce que nous verrons, estre pour vostre bien : Tandis si de Germon l’ame est si genereuse, Les froideurs esteindront son ardeur amoureuse : Par là vous obtiendrez ce sensible bonheur De conserver l’amy, l’espouse & vostre honneur. L’honneur suit & s’attache à l’action louable De mesme que du corps l’ombre est inseparable. L’honneur qui vient du monde est un bien qui souvent Gist en l’opinion, & se repaist de vent, Un mal caché ne peut ternir nostre memoire Non plus qu’un bien secret accroistre nostre gloire, Mais afin que l’honneste avec l’honneur soit joint, Et que vostre amitié ne se demente point ; Donnez-luy vostre soeur ; On ne perd rien au change, Alors que l’on reçoit un Ange pour un Ange. L’Amour ne souffre point un eschange pareil. De la Raison, l’Amour suit souvent le conseil. Helas! Rosmonde fuit d’une hayne obstinée, La Pompe, la Grandeur, l’Amour, & l’Hymenée. Elle est & sage & douce, un advis sage & doux, La fera consentir à prendre cét Espoux. Seul & dernier refuge au malheur qui me presse, Je suivray ce conseil qui vient de ta sagesse : Et s’il se trouve vain, mon recours est la mort, Qui presente à tous maux un favorable port. Fin du premier Acte. Grand Roy dont la valeur à nulle autre ne cede, J’arrive de la part du Prince de Suede. Il souhaitte tout heur à vostre Majesté, Et m’a donné ce mot pour vous estre porté. La lettre est de creance : Or tout ce qui vous reste C’est que vous me rendiez son desir manifeste. Sire, sans vous tenir plus long-temps en soucy, Le Roy Germon mon maistre, est si proche d’icy, Qu’avant que du Soleil la brillante lumiere Estincelle à nos yeux du haut de sa carriere Il aura dans ce lieu le bonheur de vous voir. Je suis venu devant vous le faire sçavoir, Et qu’on ne peut luy faire une faveur plus grande Qu’en l’accueillant ainsi que l’amitié demande Sans qu’on se mette en peine afin de l’honorer, C’est ce dont par ma bouche il vous vient conjurer : Comme ayant à desdain toutes ces vaines marques Dont se laissent flatter la pluspart des Monarques : Il se ressouvient bien de cét aage plus doux Où toute chose estoit si commune entre vous, Les voyages, les prix, les combats & la gloire, Sur tout vostre amitié demeure en sa memoire : Peut-estre toutesfois j’en parle sans besoin A qui la garde aussi dans son coeur avec soin. O Souvenir! ô temps! ô la douce nouvelle Que j’apprens maintenant d’un amy si fidelle! Je le reverray donc, & dans si peu de temps! Ah! j’en souspire d’aise, & mes esprits contents Ne pouvant plus tenir un tel excez de joye Ont pour se descharger recours à cette voye. Sire, si vous aymez nostre invincible Roy D’une si pure ardeur, & d’une telle foy, Je vous puis bien jurer qu’il vous rend la pareille Et qu’il est icy bas des amis la merveille. Ie le sçay par espreuve.         Il est si satisfait De voir que vostre hymen aujourd’hui se parfait, Qu’en guise d’un torrent qui franchit son rivage Vostre contentement desborde en son visage ; Il est ravy d’ouyr quelqu’un luy raconter Ces grandes actions qui vous font redouter, Tant de rares vertus, & de paix, & de guerre, Et ces longues erreurs, & sur mer, & sur terre, Le prix de vostre espouse, & d’un hymen si doux, Enfin il ne se plaist qu’à s’enquerir de vous. Aussi fais-je de luy ; Mais lassé du voyage Ne vous travaillez pas par un plus long langage, Je recevray le Prince, ainsi qu’il l’a voulu, Icy comme en Suede il est maistre absolu. Cependant la fatigue au repos vous invite, Allez, & luy rendez tout l’honneur qu’il merite. A la fin se retire, & s’oste de mes yeux, Un qui me reprochoit mon forfait odieux. Chaque mot qu’il disoit m’estoit comme une fléche Qui faisoit dans mon coeur une mortelle bréche. O sale conscience! o pôvre Torrismon! Que vas-tu devenir à la voix de Germon? La pierre sur Sysiphe incessament pendante, Ne le presse pas tant que me fait son attente, Ah Dieux! Que son aspect m’est un fardeau pesant, De quel front, de quels yeux le verray-je present? Ciel, qui n’as plus pour moy que des objets funebres, Que n’enveloppes tu l’univers de tenebres? Et toy Soleil pourquoy retournant sur tes pas Afin de me cacher, ne te caches tu pas? Je devois, je devois faire cette priere A l’heure que si mal j’usay de ta lumiere, Et que je tins mes yeux attachez à l’objet Qui de tous mes malheurs est le triste subjet ; Alors ils en tiroyent un bien illegitime Qui depuis a fourny de matiere à mon crime, C’est pourquoy maintenant ils s’ouvrent justement A la douleur, aux pleurs, à la honte, au tourment : Afin que cette main constante & genereuse Mette une prompte fin à ma peine amoureuse ; Mais desjà l’heure approche, & le moment fatal Où je veux, mais en vain, eschapper à mon mal : Si par la volonté d’une mere absoluë Ma soeur aux loix d’hymen ne se void resoluë. Pour Alvide elle est preste à faire mon vouloir, Sur elle, son amour me donne tout pouvoir ; Mais qui dit que Germon oublie ainsi sa Dame Et reçoive aisement une nouvelle flame? Ah! Si je treuve vain ce fidelle conseil, La mort seule à mes maux servira d’appareil. Heureuse celle-là, soit maistresse ou suivante Qui sçait tousjours garder une vertu constante, Et qui dans la douceur des plaisirs innocens Conserve en pureté l’usage de ses sens : Mais qui peut vivre icy sans soüilleure ny tache, Si l’honneur & les biens où nostre ame s’attache, Eux mesmes ne sont rien qu’un bourbier où souvent Nous sommes empeschez de passer plus avant ; Moy qu’un vent de fortune en ces lieux a portée, Qui comme soeur de Roy par tout suis respectée, Je fuyrois ces grandeurs, pour suivre en liberté Les doux contentemens d’une humble pauvreté : Au lieu que maintenant les festins & la dance Demandent jour & nuit mon temps & ma presence, D’où vient qu’aucunefois un repentir secret Me trouble & me remplit de honte & de regret : Qu’une fille voüée aux Dieux dés sa naissance Pour les choses du monde ait tant de complaisance! Mais qui peut se deffendre & s’empescher d’aymer? Qui proche d’un beau feu ne pourroit s’enflamer? Helas malgré moy, j’ayme , & brûle pour mon maistre, Je le cherche & le fuis quand je le voy parestre ; Ainsi, je me deplais & de ma passion Et mesme bien souvent de son affection ; Me le faut-il aymer comme soeur ou servante? Mais s’il hayt d’une soeur l’ardeur trop violente : Soyons donc sa servante, & dessous un tel nom Essayons de gaigner le coeur de Torrismon . Hé quoy! n’aurois-tu peu, ma fille, encore apprendre, Qu’icy le Roy Germon dedans peu se doit rendre? Madame, je le sçay.         Tu ne le fais pas voir. En cette occasion quel est donc mon devoir? Tu le dois recevoir avec la jeune Reine. Je m’y prepare aussi.         Que ne mets tu donc peine A croistre ta beauté par de plus beaux habis, A te faire briller de perles, de rubis? Seroit-ce pas pecher contre la bien-seance, De recevoir un Prince en cette negligence? Encore un en tel jour, où chacun à l’envy Tesmoigne le plaisir dont son coeur est ravy : Joint qu’en un simple habit la beauté perd sa grace, Comme le diamant qui dans le plomb s’enchasse. La beauté dont la femme à tort fait tant de cas Nuit autant à qui l’a qu’à ceux qui ne l’ont pas ; Et je tiendray, Madame, une fille bien sage Qui ne fera jamais montre de son visage. Cette beauté, ma fille, est nostre propre bien, Comme à l’homme, le cœur, & la force est le sien. La Nature voulut qu’en nous elle tint place, D’eloquence, d’esprit, de prudence & d’audace, Et fust en ce seul don plus prodigue envers nous, Qu’elle n’avoit esté liberale envers tous. Par elle, le Sçavoir, le Conseil, le Courage, Abbaissez à nos pieds nous viennent rendre hommage. Par elle, la Victoire & les sanglants Lauriers Appartiennent à nous & non pas aux guerriers ; Nos combats sont plus beaux, plus grand nostre trophée Que ceux dont l’ennemy void sa rage estouffée ; Car celuy-cy vaincu deteste dans son coeur Sa honteuse deffaite, & maudit son vainqueur : Où ceux de qui nos yeux remportent la victoire, En benissent les coups & les tiennent à gloire : Ils deviennent amans, aussitost que soubmis, Et n’ont plus rien de cher comme leurs ennemis ; Or si l’on ne croit pas que celuy-là soit sage Qui refuse l’honneur d’estre homme de courage, Quelle estime fais-tu d’une jeune beauté, Qui mesprise ce titre, & cette qualité? Je croyois qu’il falust faire bien plus de conte D’une honeste pudeur, d’une modeste honte : Qu’un coeur chaste ou brûlant d’un feu religieux, Fust dedans nous un don qui valoit beaucoup mieux ; Et me persuadois qu’en nous un beau silence Recompensoit le prix d’une heureuse eloquence : Ou bien que la beauté n’avoit rien de charmant Qu’entant que des vertus elle estoit l’ornement. Si c’est un ornement la femme est obligée A ne la pas laisser sottement negligée. Si c’est un ornement, elle est belle de soy : Mais quoique je ne sçache aucuns attraits en moy, Et que vous me voiyez d’un regard favorable, Pour vous sembler pourtant encor plus agreable, Je veux bien m’enrichir de plus beaux ornemens. Tu commences d’avoir de meilleurs sentimens, Et je veux esperer que ce Prince invincible Sera comme je suis, à tes graces sensible, Et qu’il dira souvent en souspirant tout bas : Celles de mon païs n’ont point de ces appas. Ne permette le Ciel qu’aucun pour moy souspire. Non pas mesme le Roy d’un si puissant Empire? Quoy! tu ne voudrois pas qu’épris d’un chaste amour, Des peuples Suedois il te fist Reyne un jour? Madame puis qu’icy je ne puis plus me taire, Mon dessein est de vivre, & libre, & solitaire ; Et j’estime le prix de ma virginité, Plus que tous les honneurs d’une Principauté. Je ne m’estonne pas qu’une jeune personne Ignore que la vie en mille maux foisonne : Qu’elle est comme un dur joug au dire des plus sains, Que Nature & le Ciel imposent aux humains, Soubs qui dans peu de temps on se lasse & s’ennuye, Si reciproquement l’hymen ne nous appuye : Alors l’homme & la femme ayant un seul vouloir, Vont partageant entr’eux leur charge & leur devoir : Lors chacun d’eux reçoit une nouvelle vie, Au milieu des plaisirs où l’amour les convie, Et le faix qui devant leur sembloit importun, Est facile & leger estant rendu commun. Qui vit jamais Taureau tirer à la campagne, Sans qu’un autre à ses flancs son labeur accompagne? C’est encor un subjet de plus d’estonnement, De voir vivre une Dame, & seule, & sans amant. Et ce que je te dis, je le dis par science, Et comme en ayant fait moy-mesme experience : Car durant que vesquit le Roy mon cher espoux, Il m’ayda tellement que tout mal me fut doux : Mais depuis que la Mort m’eût de luy separée, Ah Mort! tousjours amere, & tousjours honorée! Je languis à toute heure, & mes membres pesans, Succombent plus d’ennuy que du fait de mes ans ; Las! je ne viens jamais à fouler cette couche, Où j’ay tant recueilly de douceurs sur sa bouche, Tant donné de baisers, & tant receu des siens, Où nous avons meslé de si doux entretiens, Et gousté d’un repos remply de tant de charmes, Qu’au mesme instant mes yeux ne la baignent de larmes : Mais où m’emportes-tu, fâcheux ressouvenir? Que je retourne au poinct où je voulois venir. S’il a comblé mes jours d’honneur & d’allegresse, J’ay souvent adoucy l’aigreur de sa tristesse. Et d’autant qu’il m’aydoit avec son bon conseil Il recevoit de moy quelque secours pareil ; Enfin durant le temps d’un si cher hymenée, Autant qu’il est en nous je vesquis fortunée, Malheureuse en ce point que le mesme tombeau N’esteignit pas mes jours, esteigant son flambeau. Ma fille, plaise aux Dieux qu’un tel hymen t’arrive! Donc si Germon t’aymoit, ne fais point la retive : Voudrois tu refuser ce Prince pour amant Qui te pourroit combler d’un tel contentement? Encore qu’il soit vray qu’en celles de nostre àge, Plus sage est celle-là qui croit estre moins sage, Et qui sans controller ce qu’une Mere dit Donne à ses sentimens un absolu credit. Je diray toutesfois, sans pourtant me deffendre, Ce qu’en communs discours j’ay peu souvent entendre : Qu’encore qu’un espoux allege quelques maux, Aux ennuis qu’il nous cause, ils ne sont pas egaux ; Hé! N’est-il pas fascheux qu’il faille qu’on revere Son seul commandement, ou facile, ou severe? Un grand nombre d’enfans n’est-ce pas un grand soin? Leurs courses, leurs perils, leurs voiages au loin ; Leur mort, leur maladie, & tant de maux semblables Que font-ils qu’affliger les meres pitoyables? Et si l’on me dit vray la grossesse est aussi Un long fardeau qui doit donner bien du soucy. Ainsi, l’enfant d’hymen, la chose la plus chere, Est pour le Pere un fruit, mais un fais pour la Mere, Qui comme s’il estoit à son mal destiné, Luy pese avant que naistre, en naissant, estant né : Or vous m’accorderez qu’une fille est exente De toutes ces douleurs que l’hymen nous presente : Que s’il arrive aussi que la femme & l’espoux Entretiennent entr’eux la hayne & le courroux : Est-il quelque malheur plus estrange sur terre, Que d’estre ensemble joints pour se faire la guerre? Ou si la femme encor trouve un sot, un brutal ; Quel sort si detestable au sien peut estre egal? Se peut-on figurer un si cruel servage Que celuy qu’elle souffre au joug du mariage? Mais posons que tous deux d’ame & de coeur unis Goustent dans leur accord des plaisirs infinis : Pourrons nous esperer qu’une semblable vie De mille soins cuisants ne sera pas suivie? Alors plus la femme aime, & plus on l’ayme aussi, Et moins vous la verrez exente de soucy. Si son espoux a peur, elle est dans les alarmes, Son deüil cause le sien, & ses pleurs font ses larmes, Et quoyque renfermée en quelque Chasteau fort Elle craint tous les maux de la guerre & du sort ; Je ne veux point icy chercher d’autres exemples, J’en ay Madame en vous des preuves assez amples, En vous qui quelquefois me prestez du secours Que je puis opposer à vos propres discours : Car si par un arrest de la mere Nature Son espoux bien aimé tombe en la sepulture, Tous ses contentemens entrent lors au cercüeil, Elle est autant que morte, & ne vit plus qu’au deüil ; Ainsi le mariage ou fecond, ou sterile, En mille desplaisirs sera tousjours fertile, Et la Hayne, & l’Amour causent egalement Ses dégousts, ses soucys, sa peine, & son tourment : Ce n’est pas toutesfois pourquoy je le mesprise, D’un plus noble desir je me sens l’ame éprise ; Un zele, & saint amour de la virginité, Fait que je l’ay tousjours jusqu’icy rejetté ; J’aymerois beaucoup mieux le coeur enflé d’audace Presser avec ardeur un sanglier à la chasse, Lancer le javelot, & dans le fort d’un bois Le voir tout écumant, & reduit aux abbois ; Et puisque je ne puis me couvrir d’un heaume Comme faisoient jadis celles de ce Royaume, Au moins à la façon d’un genereux guerrier Porter sa hure en main, en guise de laurier ; Mais puisque je me voy loin de toute apparence De parvenir au but d’une telle esperance, Du moins j’imiteray vivant en liberté La biche solitaire en un bois écarté, Plustost que le Taureau qui tire à la campagne Sans qu’un autre à ses flancs son labeur accompagne. Rien n’est en l’univers si fort exempt de pleurs, Qu’on n’y trouve tousjours des subjets de douleurs. Mais sans plus comparer une vie avec l’autre, Sçaches que tu nasquis pour ton bien, & le nostre, Tu nasquis pour le bien de moy, qui t’enfantay, Pour le bien de celuy qu’en ces flancs je portay, Tu nasquis pour le bien de cette grande ville, Et pour la maintenir en un estat tranquille, Pourquoy doncques ma fille (ah! perds ce vain desir) Voudrois-tu tousjours vivre & seule, & sans plaisir? Le bien de ce Royaume, & celuy de ton frere, Demandent qu’à l’hymen tu ne sois pas contraire. Pourras tu donc priver d’un si juste secours, Ton frere, ton païs, ta mere en ses vieux jours? Ah! prends pitié de moy, songe que mes années, Par ma prochaine fin vont estre terminées ; Pourquoy donc m’envier ce reste de plaisir Avant qu’un prompt trepas me le vienne saisir : Ne veux-tu pas souffrir qu’avant ma mort je voye D’autres portraits vivants renouveler ma joye? Et que pour accomplir le comble de mes voeux, De l’un & l’autre fils, me naissent des neveux? Madame, j’y consens, & qu’à cela ne tienne Qu’un si noble souhait bientost ne vous avienne : Une fille a sa mere obeyt justement. Va donc pour te parer d’un plus riche ornement. Une veuve ne peut se dire infortunée Qui flatte en ses enfans sa douleur obstinée, Et qui trouvant en eux comme un puissant appuy, Y laisse reposer tout ce qu’elle a d’ennuy. Jamais il ne luy faut vivre plus retirée, Ils font que sa vieillesse est tousjours honorée. Quoy qu’un nombre d’enfans soit sans doute un grand don, Il suffit d’une fille avec un seul garçon. Dans ce nombre aujourd’huy ma fortune amoureuse Entreprend de me rendre entierement heureuse : Jour pour moy glorieux, où j’apperçoy les miens Au comble de beauté, de valeur, & de biens : Mais voicy Torrismon en habits magnifiques, Et tel qu’il se fait voir en nos festes publiques ; Cependant que sa sœur, autre astre de mes yeux, S’en va pour se parer de ce qu’elle a de mieux. Apres s’estre long-temps contre moy deffenduë, Enfin à mon vouloir Rosmonde s’est renduë ; Mais, non sans tesmoigner un secret desplaisir ; Et sans quitter la place en jettant un soupir ; O! s’il plaisoit aux Dieux qu’une mesme journée, Estraignist les saints noeuds de ce double hymenée, Et que comme j’espere, elle se trouvast bien D’avoir suivy l’advis de son frere, & le mien! Je crois que ce n’est pas faire en homme bien sage De joindre avec ce Prince, un coeur ainsi sauvage, Et que c’est tout ainsi que qui voudroit forcer Quelque limier farouche à courir & chasser. Mais soit ce qui pourra, s’il la veut qu’on luy donne. A la bonne heure soit.         Ou malheureuse, ou bonne. Cependant que la Cour soit superbe en habis, Que tout y brille d’or, de perles, & de rubis : Que ma soeur soit suivie ainsi qu’elle merite : Qu’Alvide à ses costez ait cent filles d’elite ; Qu’elle fasse esclater un appareil Royal Et porte dessus soy le manteau nuptial, Que les jeux, les festins, les balets, & la dance Tesmoignent à l’envy nostre rejouïssance. De moy, puisque le Prince est si prés d’arriver, Avec mille chevaux je m’en vay le treuver. On void peu d’amitiés qui ne fassent naufrage, Tousjours la passion sousleve quelque orage  : Toutesfois l’amitié dont s’est lié mon Roy, Par les noeuds mutuels d’une esternelle foy , Quoy que du vent d’amour cruellement poussée, Demeure encore ferme, & n’est point renversée  : Ainsi, tel qu’un Nocher qui conduit le timon, Je suis prest de voguer où m’enjoint Torrismon. Je doibs tantost parler au Prince de Suede, Pour luy tirer du coeur l’amour qui le possede  ; Je trouve cependant les Ministres des Roys Certes absujettis à de fascheuses lois  : Que tout ce qu’un Royaume a de dures affaires Ce soit là seulement leurs emplois ordinaires, Et que nous prononcions de rudes jugemens, Et condamnions souvent aux derniers chastimens, Tandis que nos Seigneurs se gardent la puissance D’octroyer les faveurs, les dons, la recompense. Ce n’est pas toutesfois que la difficulté M’empesche de tenter ce qu’on m’a consulté, Je cheris tellement mon Prince, & son merite, Que j’estime pour luy ma peine trop petite  ; Mais je crains bien souvent de travailler en vain S’il ne daigne luy mesme aussi prester la main. Que la fortune donc soit icy favorable, Et donne à mon conseil un succez souhaitable  : Qu’au grand Prince des Goths, celuy des Suedois Quitte ce mariage, & cet amoureux chois  : Car encor que des deux pareille soit la gloire, Des vieux Goths toutesfois plus noble est la memoire. Apres qu’en si haut lieu tu m’as daigné porter, Fortune veux tu donc encore me flatter ? M’eleves tu tousjours afin que j’apprehende De plus sensibles coups d’une cheute plus grande ? Je ne voy desormais que des subjets de peur, Ton éclat me paroist mensonger & pipeur  ; Il est temps, il est temps que je quitte tes pompes Et la fausse lueur des biens dont tu nous trompes  : Qu’attends-je pour laisser ce qui n’est pas à moy ? Ne suffisoit-il pas qu’on me creût soeur de Roy , Sans qu’il me faille encore usurper effrontée La couche qu’une Reyne a seule meritée ? Donc ma mere aura fait des veux qui seront vains ? Sur qui j’ai tant jetté de fleurs à pleines mains, Dont la tombe souvent de mes pleurs arrosée, Sçait quel zele pour elle a mon ame embrasée  ; Non, il n’en sera rien  : Je remets à la fin Tout ce que m’a presté le Sort & le Destin, Je n’en ay que par trop gardé la jouyssance, J’ay vescu fille heureuse, & dedans la puissance. Maintenant je vivray dans ma condition, Loin du grand bruit du monde, & sans ambition. La hayne des mortels devroit estre mortelle, Comme leur amitié demeurer eternelle  : Qu’à present tous courroux soient pour jamais esteints Avec ce noble sang dont nos champs furent teints  : Et qu’en ce lieu, la paix du vouloir des deux Princes, Commence à s’establir dans toutes nos Provinces . Si devant, par l’effect d’une sainte amitié Vous fustes Torrismon ma plus chere moitié  : A cette heure je suis tout à vous sans reserve, Hormis tousjours la part que l’Amour se conserve  ; C’est par vostre moyen qu’Alvide dans ce jour Va rendre fortunez ma vie & mon amour . C’est par vous que je vis, par vous que j’ayme encore, Et que je puis jouïr de celle que j’adore, Et s’il arrive aussi que par vostre moyen Alvide soit ma femme, & me veuille du bien, Recueillir pour sa hayne, une amour conjugale, Est-il quelque faveur a vos faveurs égale ? Aussi suis-je tout vostre, & me donnant à vous Avec elle qui croit que je suis son espoux, J’accomplis mon devoir, mais sans vaincre sa hayne  : Que ne puis-je aussi bien fléchir cette inhumaine, Amollir sa rigueur, & vous gagner sa foy, Comme vous pourrés voir qu’il ne tient pas à moy  : Qu’aujourd’hui donc par moy vostre espoir reüssisse, Qu’Alvide aime Germon, & Germon me cherisse  ; C’est en vain qu’on attend des vangeances de nous, Je n’ay ny coeur ny bras à trancher contre vous. Aussi n’en ay-je moy que pour vostre defense  ; Plustost rebrousseront les eaux vers leur naissance, Et plustost le Soleil doit prendre un autre cours Que mon amitié cede à de nouveaux amours  ; Mais adieu, je vous laisse avec la belle Alvide. Ah ! si tu connaissois combien je suis perfide . Madame, ce Seigneur est venu tout expres Pour honorer l’hymen dont on fait les apprets  : C’est un grand Cavalier, & d’une haute estime, Et ce qui passe tout, nostre amy plus intime  ; Et quoy que la Norvegue ait par luy tant souffert, Son bras à vous servir vous est pourtant offert  ; Donc pour gage asseuré de paix & d’alliance, Donnez luy vostre main & vostre bienveillance. Faites-le, car il m’ayme, & vous cherit aussi. Rien que vostre amitié ne m’oblige à cecy  : Une femme ne doit avoir pour agreables Que ceux que son espoux luy rend considerables  : Sa valeur ne me plaist, ny son affection, Que pour avoir gagné vostre inclination. De vostre sage amour j’avois cette asseurance, Et les effets n’ont point trompé mon esperance  ; Donc qu’un ressouvenir amer & soucieux, Ne trouble point ce jour, ny l’éclat de vos yeux. Mon cœur n’aura jamais d’ennuy ny d’allegresse, Que ce que vous aurez de joye ou de tristesse, Sur moy vous possedez un absolu pouvoir. En me donnant à vous, j’y donnay mon vouloir  : Je pourray me hayr si Torrismon ne m’ayme  : Et s’il aime Germon, je puis l’aymer de mesme. Toute hayme s’esteigne en ce bienheureux jour, Et la hayne jamais n’esteigne nostre amour. Grande Reyne, ces dons viennent du Roy mon maistre, L’un de vos serviteurs qui prise plus de l’estre, Et qui fait plus de cas d’un si sensible honneur, Que si du monde entier on le disoit Seigneur. Voila certes des dons d’une main liberale, Et vostre courtoisie est aussi sans égale . Rien ne peut égaler ce que vous meritez  : Que ces dons toutesfois ne soient pas rejettez  ; Recevez en faveur de celuy qui les donne, Ce manteau, ce portrait, avec cette couronne. Mon oeil à leur aspect demeure tout ravy, Et la richesse & l’art combattent à l’envy ; Et j’adjouste bien-tost le nom de magnifique, Au bruit de sa valeur en ce lieu si publique ! Tant s’en faut que ces dons soient au dessous de moy, Que je ne sçay comment remercier le Roy. Vous luy rendez, Madame, une grace assez grande, Agréez ses presens, c’est tout ce qu’il demande. Quels presens voy-je icy! Quels discours ay-je ouys! Quel riche portrait s’offre à mes yeux éblouys! A qui ressemble-t’il? c’est là ma propre image! Je reconnois icy les traits de mon visage! Cét habit tient pourtant mes esprits esbahis, Il n’est point de Norvegue, & moins de ce païs, Pourquoy mettre à mes pieds ces couronnes brisées? Pourquoy dedans mes mains ces fléches embrasées? Que veut dire d’ailleurs ce Lion couronné Et dessous un dur joug richement enchaisné? Ce beau manteau Royal est tout semé de fleches! De noeuds entretissus! & de mille flamméches! Ouvrage tout parfait d’un ouvrier sans pareil ; Mais que cette couronne est d’un émail vermeil! Ah! Je m’en ressouviens : C’est là, c’est d’asseurance, Cet agreable prix d’une douce vengeance, Considere la bien, Nourrice, & reconnois Cette couronne offerte en ce fameux tournois, A qui remporteroit l’honneur de la victoire, Pour gages d’un combat bien plus remply de gloire : Ce prix, mais vainement, par mes mains fut donné, Car ainsi le voulut ce pere infortuné. Je connois la couronne, & j’ay bien souvenance Du jour où cent guerriers preuverent leur vaillance ; Mais de ce qu’en passant vous avez dit icy, Mon esprit n’en est pas encor trop esclaircy  : A peine touchiez vous à la cinquiesme année, Lors que par le vieux Roy vous me fustes donnée : Je te laisse dit-il, & commets à ta foy Ce qui me doit vanger & mon Royaume & moy, Des tributs, des affronts, des embusches souffertes, D'une secrette fraude, & de toutes mes pertes ; C'est tout ce qu’il me dit, & sans plus m’enquérir J'emploiay tous mes soins depuis à vous nourrir : J'appris pourtant d’ailleurs de certaine science Qu'on predisoit au Prince une haute vengeance. Une injure nouvelle augmenta ses douleurs, Et plus que tous ses maux luy fit verser des pleurs ; La guerre en Dannemarch estant fort allumée, Son fils unique y fut conducteur d’une armée ; Là pour ses ennemis il eut les Suedois, Que Germon animoit, fameux de mille exploits ; Ce fils encor novice au metier de la guerre, Dés le premier assaut se vid porter par terre ; Superbe en ses habits, le diademe au front, Que ce puissant guerrier arrache & puis luy rompt, Fait tomber son cheval, jette au vent sa depoüille, Et dans des flots de sang le renverse & le soüille : Ainsi mourut mon frere en la fleur de ses ans, Laissant à tous les siens des regrets bien cuisans. Ce malheur fut suivy de mille autres batailles, De mille autre affronts, de mille funerailles, Et depuis dans les cœurs ne s’establit jamais Un repos asseuré, ny de fidelle paix : Quand voicy que le Roy convoque à la barriere Ceux qui se vantoient plus d’une valeur guerriere, Il propose au vainqueur ce noble & riche prix, Et la gloire & le gain attirent les esprits : Maint fameux Cavalier à cette voix publique, Accourt de tous costez, superbe & magnifique ; Dans la ville partout le fer resplendissoit : Et le champ d’alentour au bruit retentissoit : Le Roy hors de l’enclos de l’ample Nicosie, Pres des Juges du camp sa place avoit choisie : Moy j’estois vis à vis, & de l’autre costé, Avec ce que la Cour eut de rare en beauté ; En mille & mille choqs mainte lance est brisée, Et de coups flamboyans mainte espée embrasée ; Le champ est tout jonché de guerriers renversez, La victoire & le prix, demeurent balancez : Lors que vient à paroistre ( un armet noir en teste ) Un Cavalier sans nom, fier de mainte conqueste ; A sa premiere course il ressemble un éclair, Qui bien-tost est suivy de l’orage de l’air : Apres qu’il eut rompu jusqu’à l’onziesme lance, Et de l’espée encor monstré mieux sa vaillance, Au son de la trompette, il se vit couronné. Et de ma propre main le prix luy fut donné : J’eusse bien desiré connoistre son visage ; Mais il requit de nous comme un grand avantage, De pouvoir demeurer tout à fait inconnu, Et depuis nul ne sçait ce qu’il est devenu : De sçavoir qui c’estoit chacun fut fort en peine, Et chacun en disoit sa pensée incertaine : De moy ce que j’appris par un moyen secret : C’est que ce Cavalier s’en alloit à regret, Estant mon serviteur, quoy que le sort contraire En eut fait de tout temps mon plus fier adversaire : Maintenant je connois la couronne & ce pris, C’estoit Germon! Germon avoit donc entrepris, Contre ses ennemis, en ce peril extresme, De combattre au milieu de la Norvegue mesme! Comment si grande audace en un si vain dessein! Puis avec tant d’amour, tant de secret au sein! S’il fut comme on me dit amant si veritable, Hé comment fut sa foy si foible & si muable! Que si ce n’estoit luy qui fut lors couronné, D’où luy vient donc ce prix? Qui peut l’avoir donné? Et pourquoy maintenant faut-il qu’il me l’envoye? A quoy bon ce manteau brodé d’or & de soye? Qu’est ce que signifie un si riche portrait? Que veulent les discours & les dons qu’on me fait? Madame je ne sçay, le temps couvre des choses Qui par luy mesme en fin au jour seront ecloses. Sont-ce des dons d’amour ou d’amy seulement? Qui me tente? Germon, ou bien mon cher amant? Sont-ce presens d’honneur, ou marques d’infamie? Me prend-on pour espouse, ou si c’est pour amie? Les dois-je renvoyer, ou bien les recevoir? Les tiendray-je cachez, ou les lairray-je voir? Quel vaut mieux que je parle ou garde le silence? Quelle est à mon espoux plus grande ou moindre offense? Qui luy déplaira plus l’audace ou le mespris? De rejetter ses dons, ou de les avoir pris Montreray-je que j’ayme afin qu’il me cherisse? Ou bien dois-je hayr de peur qu’il me haysse? Madame, quels soupçons vous allez vous formant? Je crains la peur d’autruy, non ma peur seulement : L’esprit jaloux d’autruy cause ma jalousie, Et ses soubçons trop clairs troublent ma fantaisie : Ah! s’il est abusé pour avoir trop de foy, Qu’en luy cette foy manque, ou qu’elle augmente en moy ; Qu’il n’en ait que pour moy, qui la receus en gage ; Qui me l’oste, ou quel autre avec moy la partage? Mais peut-estre en Germon n’a-t’il pas trop de foy, Et dessous ce pretexte il est jaloux de moy : Las! quel autre subjet peuvent avoir mes plaintes Sinon, ces vains soubçons & ces frivoles craintes ; S’il n’apprehendoit pas, me fuyroit-il ainsi? Qui craint, fuit, ou du moins qui fuit, doit craindre aussi. Madame, vostre peur vous figure la sienne. Quel amant ne craint pas une amour ancienne? Si par ces riches dons il ne peut rien sur vous, Vostre espoux ne peut pas en devenir jaloux : Madame, croyez-moy, perdez tous ces ombrages ; Tantost vous redoutiez d’un songe les presages, Maintenant en plein jour vous vous imaginez Des fantosmes nouveaux dont vous vous estonnez ; Vous craignez vos amis, vostre espoux qui vous ayme, Et vous n’avez pourtant à craindre que vous mesme. A quoy donc desormais me reserve le sort? Que me faut-il vanger ? quelle embusche? quel sort? Où donc est le trompeur, & la fraude qu’on cache? Qu’on la sçache bien tost ou jamais ne se sçache : Je crains Nourrice, helas! je crains je ne sçay quoy, Et puisque je ne dois craindre que moy, c’est moy. Rien ne peut rasseurer mon coeur triste & malade Que mon cher Torrismon par une douce œillade ; Qu’il me console donc, & qu’il rende à mes yeux Agreables ces dons, ou s’il veut, odieux. Sire, vostre arrivée en cette grande ville, Asseure à tous les Goths un estat fort tranquille, Elle accroist nostre joye, & chasse loin de nous La guerre, la terreur, la rage & le courroux  : D’une ferme amitié nos nations unies, S’en vont gouster en paix des douceurs infinies  ; Vostre gloire à tous deux s’éleve jusqu’aux Cieux, Et là vous donne un rang parmy les autres Dieux  ; Cette insigne valeur à l’univers fatale, Et le bruit de vos noms à vos grandeurs s’égale  ; Sans vous deux tous nos forts seroient mal deffendus, Et leurs peuples bien tost aux ennemis rendus  : Il est donc asseuré qu’une heureuse alliance Serviroit à tous deux d’une ferme deffence, Sauveroit vostre honneur du peril de tous maux, D’une embusche secrette, & des plus fiers assauts  : Lors nous ne craindrions pas que des bouts de la terre Un monde conjuré nous vinst porter la guerre, Puisque nous sçavons bien que pour vostre vertu Des-ja tout l’univers s’est veu presque abbattu  ; Ainsi que deux torrents enflez, & gros d’écume Vous portastes l’effroy jusqu’où le jour s’allume  : Mais par là vous avez excité contre vous, Mille Roys dont le coeur ronge un secret courroux  ; Et sans aller plus loin, que pense l’Allemagne De mettre maintenant tant de gens en campagne ? C’est à quoy seul souvent je m’occupe à réver, Et tout l’expedient que j’y puisse trouver, C’est qu’un noeud fort liast ces trois païs ensemble Que le grand Ocean soubs ses ondes assemble  ; Desjà deux sont unis  ; & dans le mesme jour Qu’Alvide & Torrismon se joingnent par amour, Il ne resteroit plus que ce bon-heur supresme, Que Rosmonde avec vous se vid jointe de mesme  ; Quoy qu’unis d’amitié, ne veuillez oublier Rien de ce qui vous doit davantage lier  : Maintenant que du Ciel la paix daigne descendre, Faites tout ce qui peut plus ferme nous la rendre  ; Par vostre affection, & par cette bonté Qui de vous en parler m’ouvre la liberté, Par la priere aussi de cette noble terre De tous temps si fameuse en tant d’exploits de guerre, Et qui requiert de vous cette grace aujourd’huy, Ne nous refusez pas ce favorable appuy. J’approuve vostre zele, & vostre bienveillance, Et ce que vous monstrez de sage prevoiance, Mais Torrismon & moy sommes si bien d’accord, Qu’aucun noeud ne sçauroit nous estraindre plus fort. Jamais un second noeud ne rend l’autre plus làche  : L’amour à l’amitié sert d’une forte attache . L’amitié, de l’amour produit en nous l’effet. L’hymen est dangereux que l’amitié ne fait. Quand le peril est grand, la gloire en est plus grande. Sans honte, le peril pour autruy s’apprehende. Nos esprits sans raison se montrent refroidis Quand l’audace d’un seul rend les autres hardis. L’audace a sa saison, & le conseil la sienne, On prevoit dans la paix que le trouble ne vienne  ; Ce temps clair & serain semble exiger de vous D’eviter promptement la tempeste & les coups  ; Le Roy de la Norvegue a par la foy donnée Joint au Prince des Goths sa fille en hymenée, Et puisque nous voyons le port nous estre ouvert, Que vostre Majesté nous y mette à couvert  : Qu’un double mariage en mesme jour se fasse, Et parmy tant d’amour ne soiez pas de glace. J’ayme avant Torrismon, il ne le peut nier, Le premier en valeur il m’ayma le dernier, Et je le dois aymer tant qu’une humeur guerriere Nourrira dans ce corps une ame noble & fiere  ; Je me ressouviens bien que nous avons juré Un serment par nous deux cent fois reiteré, Que nous serions tousjours prests à prendre vengeance De ce que l’un ou l’autre auroit receu d’offence  ; Ainsi qu’est-il besoin qu’un pacte tout nouveau Vienne rompre ou troubler cét ancien plus beau ? Et s’il est si content qu’un heureux mariage Rasseure son païs & l’exempte d’orage, J’en suis content aussi  ; son destin fait le mien, Et je trouve en sa paix mon bien avec le sien. Qu’une vraye amitié fasse donc sur ma teste Gronder à son plaisir ou cesser la tempeste  ; M’empesche d’estre amant ou me fasse estre époux, Tout ce qu’elle fera tousjours me sera doux  : Allez, ne manquez pas de dire à vostre maistre Que tout ce qu’il voudra, je suis tout prest de l’estre. Il se faut bien garder qu’un mauvais jugement Ne nous pousse trop tost à quelque changement  : La perte de la vie est beaucoup moins cruelle Que celle d’un amy qui nous estoit fidelle  ; Si depuis tant de jours, & si par tant d’effets Torrismon est au rang des amis plus parfaits, Je ne veux point quitter ny changer ma creance, Et je bouche mon cœur à toute deffiance  : Plaise aux Dieux seulement qu’une semblable foy Puisse tousjours rester aussi ferme dans moy  ; Et que le roy des Goths, & son Germon fidelle, D’une vraye amitié soient un jour le modelle  ; Toutesfois cét accueil, ce regard moins serain, Ce maintien qui ressent je ne sçay quel dédain, Ce peu de mots suivis d’un si morne silence, Cette courte entreveuë apres si longue absence, Et d’une & d’autre part de tels evenemens , Jette dans mon esprit de grands estonnemens  : Mais c’est un lourd fardeau qu’un nouveau diadéme, Il trouble nostre front, nous fait la face blesme, Et remplissans nos cœurs de mille soins cuisans, Nous rend graves & frois en l’ardeur de nos ans  ; L’amour, l’amour luy seul conserve sa jeunesse, Ou n’arrive du moins que tard à la vieillesse  ; Ny sceptre, ny dangers, ny perte, ou desplaisirs, N’ont jamais de mon cœur tiré tant de souspirs, Que l’amour qui sans cesse agite mon courage, N’en tire de ce cœur mille fois davantage  : O bien-heureux tournois ! ô glorieux esbas ! O victoires ! ô prix ! ô travaux ! ô combas ! Vostre ressouvenir n’est point doux à mon ame S’il n’apporte avec soy l’image de ma Dame. De ce sage vieillard j’approuve les conseils, Touchant la paix, l’hymen, & ses advis pareils  : Mais pour tomber d’accord de ce qu’il me propose Je n’ay manque de biens, ny d’aucune autre chose ; Que Torrismon pourtant en fasse à son plaisir, Je ne me conduiray que selon son desir. Je suis à tes propos le plus confus du monde, Tu n’es donc pas ma sœur ! tu n’es donc pas Rosmonde ! Toute une autre Rosmonde, & toute une autre sœur. Dieux ! l’estat d’une vierge a-t’il tant de douceur Qu’il te puisse obliger à tenir ces paroles ! Les tiltres mal acquis sont des tiltres frivoles. Declare moy comment ils te sont mal acquis, Qui fit la tromperie, & de qui tu nasquis. Desja vostre Nourrice avoit quitté la pompe Dont la Cour des grands Roys nous attire & nous trompe, Et deux de ses enfans estoient morts en naissant, Quand je fus à son ventre un fais plus menaçant  : Si bien que dans les maux d’une longue grossesse, Et parmy les perils qui l’assiegeoient sans cesse  ; Son fruit par elle mesme aux Dieux fut consacré, Qui receurent son offre & son saint zele en gré  ; Ainsi donc je nasquis sans que comme un vipere J’acheptasse le jour, du trespas de ma mere. Tu veux donc accomplir ses veux & non les tiens ? Ma mere fit ses veux  : Depuis ils furent miens  : Cette triste journée, ou pasle & langoureuse, Elle rendit au Ciel son ame bien-heureuse, Comme je l’embrassois assise sur son lit, Voicy ce qu’en pleurant alors elle me dit  : Ma fille, c’est vraiment un acte charitable De ne pas rejetter sa mere veritable  ; Ce fut moy qui neuf mois dans ces flancs te portay, Moy qui dans les douleurs au jour te presentay, Mais qui t’offris aux Dieux, autheurs de la lumiere, Qui daignerent ouyr mes veux & ma priere  ; Toy cependant ma fille, accomplis si tu peux, Te consacrant aux Dieux, ma promesse & mes veux. Ta pieté vraiment est digne de loüange  : Mais qui fit de ma sœur, avec toy, cet échange ? Ma mere, mais plustost vostre pere le fit. Quelle raison l’y mût, quel dessein, quel profit ? Il avoit peur.     De quoy ?         Qu’une haute vengeance Ne soubmist cét estat à quelqu’autre puissance. D’où luy pouvoient venir ces apprehensions ? D’une Nymphe fameuse en ses predictions. Il eut donc tant de peur de ces contes illustres Qui n’ont point eu d’effet en trois ou quatre lustres ? Ouy vraiment, & de plus afin de s’en guerir, A la Nymphe il donna vostre sœur à nourrir. La Reyne ne sceut rien de ce mystere estrange ? Non, car elle eut sans doute empesché cét échange  : Loin d’adjouster creance à ces predictions, Elle les reputoit de sottes fictions  ; Ainsi pour vostre sœur, dans ma plus tendre enfance Je fus mise & nourrie en un lieu de plaisance ; Dont l’ait pur & serain, & les ombrages frais, Pour nous maintenir sain semblent formez expres  ; Et quelque temps apres on m’offrit à la Reyne Qui me prit pour sa fille, & me receut sans peine . Ma sœur habite-t’elle encore dans ces bois ? A peine avec la Nymphe elle y fut quatre mois, Que les predictions de quelques autres sages Redoublerent au Roy sa peur & ses ombrages  ; De sorte que pour vivre en toute seureté Il la fit emmener en païs écarté. Celuy qui l’emmena, sçais-tu comme il se nomme ? Fauston, ou je me trompe, est le nom de cet homme . Et la Reyne jamais n’en apprit rien du Roy ? Il n’en avoit encor rien commis à sa foy, Lors qu’avec les Danois continuant la guerre, Un coup prompt & mortel luy fit mordre la terre  ; Voilà ce que ma mere alors me declara Et puis entre mes mains toute froide expira. Certes un tel secret meritoit le silence, Et qu’un peuple indiscret n’en eut pas connoissance  : Cependant qu’on me cherche & me fasse venir Fauston, & le vieillard qui predit l’avenir. Fut-il jamais douleur comparable à la nostre? Las ! d’un costé l’Amour, la Fortune, de l’autre, Me tirent à l’envy mille traits inhumains, Sans que de pas un d’eux les coups soient jamais vains  : Mes pensers sont leurs traits, mon cœur est leur visée, Et ma vie est le prix de leur victoire aisée  ; Ny l’un ny l’autre Archer n’a point encor cessé, Et je languis pourtant mortellement blessé  : Malheureux que je suis ! une sœur m’est ostée, Et par une autre sœur sa place est rejettée  : Le moyen de changer manque où manqua la foy, Je ne puis rien offrir qui soit digne d’un Roy  ; Le conseil que j’ay pris se trouvera frivole, Et n’aura point d’effet non plus que ma parole  : O Sort ! injuste Sort ! ton caprice nouveau Supposa pour une autre, une sœur au berceau, Et sans que maintenant le trespas me l’arrache, Tu m’en viens ravir une, & l’autre encor se cache  : O Nymphe, ô lieux secrets qui l’eustes autrefois, O du Septemtrion, montagnes, vallons, bois, Où la pui-je trouver, & dessous quelle plage ? En quelle Isle ? en quel bord solitaire & sauvage ? J’iray par tout cherchant, j’iray dessus les mers, Malgré l’effort des vens, & ceux des flots amers, J’iray dis-je cherchant, non point ma foy perduë, Hé ! par qui pourroit-elle helas ! m’estre renduë ? Mais du moins le moien de couvrir mon peché  : Mais voicy le vieillard à qui rien n’est caché. Toy qui sçais les secrets que l’univers enserre, Apprens moy si ma sœur n’est point en cette terre. O Dieux ! que le sçavoir qui ne nous sert de rien Qu’à faire qu’on nous blasme, est un nuisible bien. Pourquoy te troubles-tu ?         Je ne repons qu’à peine, Ma sagesse aussi bien te sera sotte & vaine. Rends de ce doute seul mon esprit éclaircy, Et me dis si ma sœur est en ce païs cy . Elle fait maintenant sa demeure dernière Au pais qui premier luy donna la lumiere . Est-elle en terre ?         Non, mais je croy que ses os Reposeront bien-tost au lieu de ton repos. Je n’entends point du tout, tes paroles confuses, Ny de quel artifice à present tu m’abuses  : Apprends moy seulement si ma sœur est icy . Tu te trompes toy-mesme, & nous trompes aussi. Si tout ce que tu sçais n’est qu’une réverie, Decouvre moy ma sœur, avec la tromperie . Ta sœur est parmy nous.         En quels lieux, & comment ? Est-ce celle qu’on croit, ou s’il est autrement ? Et si ce ne l’est pas, où donc ma sœur est-elle ? Autre qu’elle est ta sœur, donc l’avanture est telle, Qu’on ne la connoist pas, où l’on la void pourtant, Et que tu la pourras trouver en la quittant. Tu persistes tousjours à nous conter des songes Pour accroistre le prix & l’art de tes mensonges  : Il faut que nos discours dans la simplicité, Monstrent naïvement la pure verité. Ton Destin est certain, ta creance incertaine  ; Mais quand tu m’offrirois pour le prix de ma peine Ce que la Terre enclost de plus riches butins, C’est tout ce que je puis t’apprendre des Destins  : Le reste par dessus nostre humaine foiblesse Demeure ensevely dans une Nuit espaisse  ; Mais je voy le Centaure armé dedans les Cieux, Qui tire & court apres un Monstre furieux, Mais luy mesme en a peur, & prend en main sa lance. Je voy choir la Couronne, & trembler la Balance  ; Tous les astres entr'eux ont un mauvais aspect  : Je voy chasser du Ciel des Dieux sans nul respect J’en voy d’autres armez d’éclairs & du tonnerre Qui jurent aux mortels une immortelle guerre. Va, va-t’en mon amy retrouver tes desers, Où tu puisses tout seul parler avec les airs  ; Là tandis que la Nuit estend ses sombres toiles, Travaille à mesurer & conter les estoiles. Devant que ce grand Astre ait achevé son tour, Et que la Nuit succede à la place du jour  ; O Cour qui me bannis comme un homme profane, Que d’estranges effets tu verras dans Arane. Apres avoir gousté d’une si longue paix, Qui me rappelle au bruit d’un superbe Palais ? Bien-heureux est celuy qui peut cacher sa vie Exempt d’ambition, d’avarice, & d’envie  : Mais où le Sort puissant ne jette-t’il les yeux, Puisque de mon repos il me tire en ces lieux ? Que pour le moins le vent qui souffle en mon vieil aage Ne me menace point de trouble ny d’orage ! Grand Roy, je viens ouyr vostre commandement. Tu viens pour me tirer de peine & de tourment  : Sois donc en tes discours veritable & fidelle, Celle que je croyois estre ma soeur l’est-elle ? Non, Sire.         Et jusqu’icy la Reyne n’en sceut rien ? Vostre pere & le Sort l’ont voulu pour un bien. Pour quel bien ?         Vostre soeur estoit à peine née, Que le Roy la craignit pour quelque Destinée. Quelle peur, nonobstant les menaces du Sort, Eut d’une jeune fille un Roy prudent & fort ? L’Oracle l’estonnoit d’une Nymphe fort sage, Qui dit qu’elle croissant & de beautez & d’âge, D’un funeste trespas vous nous seriez ravy, Et sous un estranger ce païs asservy, Si bien que pour frustrer sa fiere destinée Dans l’antre de la Nymphe elle fut destournée. Qui de cét antre obscur l’emmena plus loin ? Vostre pere & le Ciel me commirent ce soin. Où fut-elle ?         Où voulut la fortune contraire, Où je ne voulois pas ny le feu Roy son pere, Qui l’envoyoit bien loin des provinces du Nort, Afin de la pouvoir cacher mesme à son Sort  : Mais bien-tost nostre nef errante & vagabonde Tantost au gré des vents, tantost au gré de l’onde, Fit sans nous abismer naufrage sur les eaux  ; Et vogua par malheur devers quatre vaisseaux, Où des gens de Norvegue alloient d’un cours rapide Picorant le butin dessus la plaine humide  ; Nous leur fusmes livrez par ce triste hazard, Ils nous mirent chacun dans un esquif à part  ; Moy parmy les captifs, la fille avec les femmes, Elle libre, mais moy chargé de fers infames ! Or comme leurs vaisseaux en Norvegue abordoient  ; Dans un certain destroit des Goths les attendoient Qui pratiquant sur mer le mesme brigandage, Fondirent dessus eux pour les mettre au pillage  ; L’esquif prompt & leger où vostre soeur estoit, Fuit devant eux aidé du vent qui l’emportoit  ; Pour le mien, il fut pris, & le Chef mis au chaisnes En ma place souffrit plus justement mes peines. Sçais-tu point quel azyle, ou quel heureux chemin Prit l’esquif qui portoit un si noble butin ? Si le captif fut vray qui l’eut en sa conduite, Au païs de Norvegue il terminoit sa fuitte. Ce Chef que devint-il ?         Cecy ne sçay-je pas  ; Lors le Roy fut ravy par un sanglant trespas, Apres quoy d’autres morts, & d’autres tristes guerres De Norvegue & des Goths vindrent troubler les terres. Mais le connois-tu point ?         Ils estoient deux amis, Envoiez en exil pour un meurtre commis, Celuy qui fut captif se nommoit Clitorompe, Et celuy qui s’enfuit, Aralde, ou je me trompe. Cette soudaine mort d’un Roy si généreux Ne fera que haster cét hymen bien-heureux  ; Avant que de mourir il assembla les Princes, Les pria qu’à sa fille on gardast ses Provinces  : Mais j’apperçoy le Roy. Grand Prince que pour vous, Le Sort tousjours se monstre & favorable & dous. Toy mesme sois heureux  : Mais quel subjet t’ameine ? J’estois icy venu devers la jeune Reyne. Conte moy librement tout ce que tu luy veux, Entre nous il suffit qu’on parle à l’un des deux. Desormais la Norvegue est dessous sa puissance, Et s’appreste à vous rendre une humble obeïssance. Galealte est donc mort !         Ouy ce grand Prince est mort. La Parque dessus luy fit donc un prompt effort ! Le mal abbat bien-tost un corps usé d’années. Aussi faut-il ceder aux loix des destinées, Qui du plus vertueux dans un si petit cours Bornent injustement & le regne & les jours. Apres avoir vescu si redoutable en guerre, Il vous laisse son Sceptre, & son corps à la terre. Sire, à voir son visage, à sa voix, à son port, C’est Aralde luy-mesme, ou je m’abuse fort. Il ne pouvoit icy plus à propos parestre  : Mais si tu le connois, te doit-il pas connestre ? Ne te souvient-il point de m’avoir jamais veu ? Non, ou je suis d’esprit tout à fait depourveu. Souviens toy qu’autresfois Chef de quelques Pirates, Tu pris, accompagné de trois autres fregates, Une esquif qui laissant le Royaume des Goths Cingloit vers Dannemarch, agité sur les flots  : J’estois dans cét esquif, me peux-tu méconnestre ? La Fortune & le Temps font assez souvent naistre La triste occasion qui nous porte aux forfaits, Comme ils causerent seuls les crimes que j’ay faits. Mais encor, que fis-tu de cette jeune fille ? Je fis qu’un Roy daigna la prendre en sa famille. Las ! je n’en sçay que trop, & crains d’en trop sçavoir  : Mais pour le moins mon mal se doit connoistre & voir, Doncques declare moy la verité sans feinte. Voyant l’ame du Roy sensiblement attainte Du malheur qui luy mit une fille au cercueil, Je pensay que cette autre allegeroit son deuil  ; Aussi la receut-il le plus joyeux du monde, La nommant comme l’autre, Alvide, pour Rosmonde  : L’histoire est jusqu’icy demeurée en secret. Las ! elle est maintenant trop claire à mon regret. Faut-il tousjours qu’un tiers entre nous s’interpose, Et que tousjours pour moy vostre bouche soit close ? Je voudois que Germon de l’amy mesme apprit Ce que le Roy des Goths roule dans son esprit. Tousjours le Roy des Goths & son Royaume est vostre, Mais l’obstination des volontez d’une autre, Vostre amour si constante, & mes propres malheurs, Certes causent en moy de bien vives douleurs. Je ne suis pas venu troubler par ma presence Ny cét heureux hymen, ny sa resjouyssance  ; Si mon aspect vous nuit, il me faut retirer, Par là se peut mon crime aisément reparer. Tout le crime est du Sort, qui dans nostre allegresse Mesle inopinement des subjets de tristesse  : Car si le Messager n’est indigne de foy, Alvide perd un pere, & la Norvegue un Roy : Mais si le mal vous trouble aussi-tost qu’il se montre, Si d’abord vous fuyez sa funeste rencontre, Il est en vostre choix ou de vous en aller Ou bien de tenir ferme, & de nous consoler. Méconnoissez-vous donc vostre amy de la sorte ? Ah ! vrayment je voy bien que le deuil vous transporte  : Pourrois-je d’un oeil sec vous voir verser des pleurs, Et ne pas prendre part à toutes vos douleurs ? Je répandray des pleurs, s’ils font vostre allegeance, Et du sang, si vos maux veulent quelque vengeance. Je ne suis pas tombé dans un si grand malheur Que d’avoir oublié vostre insigne valeur  ; Comment serois-je aveugle aupres tant de lumiere, Et ne verrois-je plus vostre vertu premiere ? Je sçay vostre merite, & connois mon devoir, Non, je ne change point d’advis, ny de vouloir, Je l’ai dit une fois, & le redis encore, Cette jeune beauté que vostre coeur adore, Alvide, & ses Estats sont à vous si je puis, Encore est-ce trop peu, veu ce que je vous suis. Fin du quatriesme Acte. En quelles regions, Alvide infortunée, Et parmy quelles gens le Sort t’a-t’il menée O Dieux imploreray-je en vain vostre secours ! Tousjours vous vous plaignez, & vous craignez tousjours. Je n’ay plus desormais aucun subjet de crainte, Mon mal est trop certain, trop certaine ma plainte  : Ma honte est asseurée, on me manque de foy  ; Torrismon la perdit, quand je perdis le Roy  ; D’une part il deffend que personne m’appréne Le triste evenement d’une mort si soudaine  ; Et de l’autre il me vient publier hautement Qu’il est temps que je songe à prendre un autre amant  : Il m’appelle sa soeur, se lamente, m’embrasse, Et dessous ce faux nom l’infidelle me chasse  : O mer ! ô port des Goths ! ô Palais glorieux Qui receustes jadis les Reynes de ces lieux, Où puis-je desormais trouver une retraite Qui tienne ma misere & ma honte secrette ? Iray-je en mon païs pour voir ce desloyal Injustement assis sur mon thrône Royal ? Iray-je me ranger dessous sa servitude Et le voir jouyssant de son ingratitude ? Ou si je dois aller en quelqu’autre Dont je rende à mes maux les peuples esbahis ? Que Torrismon peust faire une action si noire ! Madame excusez moy, je ne le sçaurois croire. Il l’a faicte, Nourrice, il est trop asseuré, Son crime, & ce trespas n’est que trop averé  : Je sçay trop son dessein, sa violence est claire  ; Mais je sçay bien aussi ce qu’Alvide doit faire. Peut-estre tenez vous pour une verité Ce qui ne sera pas, & qui n’a point esté  : Mais a-t’on jamais veu qu’avec tant d’insolence, De deux Amants le Sort troublast la jouyssance ? Et vous figurez-vous que dans la mort du Roy Amis, subjets, parens, tout ait perdu sa foy ? Qu’on n’escoutera plus ny raison ny justice ? Qu’on lairra desormais toute licence au vice ? Que la honte soit morte avec l’honnesteté ? Et qu’icy la vertu n’ait plus de seureté ? Certes si vostre peur se trouvoit veritable, Nostre perte, autant vaut, seroit inévitable. Ce bon vieillard mourant, la Justice mourut, Ou remontant au Ciel, avec luy disparut  : Et la force & la fraude occuperent la terre, Et prirent place aux coeurs pour nous livrer la guerre  ; La Foy n’oseroit plus avoir levé la main, L’Honneur baisse le front, & nous est à dédain, La Raison est muette, ou pour le moins ne flatte Que les vaines grandeurs dont la Fortune éclatte  ; Le sage & bon advis cede aux rigueurs du Sort, La majesté des Loix succombe sous l’effort, Cependant que le fer en guise d’un tonnerre, D’un effroyable bruit va menaçant la terre  : Le plus puissant est Roy  ; la peur de son courroux Nous fait servilement embrasser ses genoux  ; Cela seul qui luy plaist est juste & raisonnable  ; Je trouble ses desirs, luy suis desagreable, Pour Princesse des Goths, je luy suis à mespris, Mais quant à mon païs, ce brave Roy l’a pris. Vous croyez trop peut-estre à quelques apparences, Un grand amour troublé vit dans les deffiances. Soit du reste, Nourrice, ainsi qu’il plaist au Sort, De mon traistre pays, du bruit de cette mort, Ne me suffit-il pas de voir qu’on me refuse ? J’ay moy mesme entendu le refus dont il use, Mon coeur n’est en cecy défiant ny jaloux, Alvide, m’a-t’il dit, Germon est vostre espoux, Ne dédaignez de prendre un Prince pour un autre, Et que vostre vouloir s’accorde avec le nostre  ; Ainsi doncques bien loin de ce qu’il m’a promis Il me met dans les mains d’un de mes ennemis. Ainsi doncques il veut que d’un coeur impudique Je consente aux desirs d’un amant tyrannique  : Ainsi donc l’un me quitte, & l’autre me reprend, Ainsi m’accepte un Prince, ainsi l’autre me vend, Et dans un tel mespris, & tant de convoitise, A leur sale trafic je sers de marchandise, A-t’on jamais parlé d’un échange pareil ? Peut-estre n’est-il pas sans quelque grand conseil. La raison qu’il en donne, est vaine & mensongere, Et ne fait qu’augmenter ma honte & ma colere, Cependant qu’il me chasse & me manque de foy, Le barbare me joüe, & se mocque de moy  ; Chere Alvide, m’a dit cette ame si legere, Germon est vostre espoux, moi je suis vostre frere  ; Il me va figurant un faux enlevement, Une Nymphe, une grotte, un bois, un vray Romant  ; Et tous ces discours feints, & ressentans la fable Sont l’injuste subjet d’un refus veritable  ; Et c’est mon Torrismon qui m’abandonne ainsi. Luy qui me repudie, & qui me tuë aussi  : Celuy qui remporta ma dépouïlle premiere Et qui joieux attend maintenant la derniere  : Aujourd’huy que je suis fille d’un Prince mort, Je me vois refusée  ; ô Ciel ! ô terre ! ô sort ! Pourray-je vivre encor me voyant mesprisée ? Vivray-je n’estant plus qu’un objet de risée ? Survivray-je à ma gloire ? hé ! qu’est-ce que j’attends ? Que crains-je ? le trépas, ou qu’il ne vienne à temps ? Et quoy non seulement encore je respire, Mais j’ayme & pleure encore, encore je souspire ! Alvide n’es-tu point honteuse de pleurer ? Hé de quoy maintenant te sert de souspirer ? Foible main, lâche coeur qui fait que tu differes Le genereux dessein de finir tes miseres, Ay-je quelque besoin d’une arme en mon courroux ? Ou si mes mouvemens sont trop lents & trop doux ? Helas ! si mon amour abhorre la vengeance, Un seul coup à mes maux peut fournir d’allegeance  ; Je ne veux que mourir, & mourir en aymant  ; Mais si la mort n’esteint un amoureux tourment, Qu’elle fasse plustost mourir aussi mon ame Afin qu’il ne luy reste aucun trait de sa flame. Hé de grace perdez cette vaine terreur, Et bannissez de vous ses pensers pleins d’horreur  : Personne ne vous force, & ne vous chasse encore, Au contraire chacun pour Reyne vous honore. A la fin la fortune apres un si long-temps, Me ramene un beau jour & rend mes voeux contents  ; Là dedans toute chose est richement ornée, Un double hymen se fait dedans cette journée  ; Je suis preste de voir deux Reynes, & deux Roys, Mais plustost quatre enfants vivre dessous mes loix. Mon sang Royal se mesle à la race Royale, Leur beauté, leur valeur, leur gloire est sans égale  ; Aujourd’hui les festins, les jeux, & les balets, Joindront trois nations en un mesme Palais  : Ah ! si rien du Destin ne change l’ordonnance, Mon coeur, que ne pers-tu ta dure souvenance ? Que ny ce front ridé, ny ces pas tremblottans N’amoindrissent en rien le plaisir que j’attents  ; Et toy mon cher espoux manquant à cette feste, Si tu daignes du Ciel tourner icy la teste, Si tu viens quand je dors consoler mes tourmens, Assistes si tu peux à nos contentemens  ; Et prends part aux grandeurs dont ton fils & ta fille S’en vont heureusement accroistre ta famille. Quoy l’estat de ma vie est encore incertain! J'apprehende & nourris encore un espoir vain ! Je me repens d’avoir monstré trop d’asseurance, Et puis je me repens de cette repentance ! J’ignore où tout cecy doit enfin reüssir  ; Le vouloir seul des Dieux nous en peut éclaicir  : Je m’en vay cependant leur faire mes offrandes, Et parer leurs autels de ces belles guirlandes  : En ce jour solemnel, la meilleure action C’est de leur tesmoigner nostre devotion  ; Daigne donc le grand Dieu qui lance le tonnerre, D’un oeil doux & benin regarder cette Terre . Enfin je sçauray bien moy-mesme me guerir Sans qu’aucun desormais m’empesche de mourir  ; Voicy de tous mes maux la medecine pronte, Et qui peut m’exemter de refus & de honte  : Sus doncques tesmoignons par un dernier effort Qu’on nous peut bien oster la vie, & non la mort ALVIDE qu’est-ce cy ? quel penser ? quelle rage T’ont poussée à te faire un si cruel outrage ? Cette sanglante playe est-elle de ta main ? Pouvois-je donc survivre à ce honteux dédain ? Helas ! si vostre amour estoit toute ma vie, Qui me l’auroit sinon vostre hayne ravie ? Ouy mon cher Torrismon, le trépas m’est plus doux, Que de souffrir jamais d’estre à d’autres qu’à vous. Et moy puis-je souffrir une douleur si forte ? Pourray-je vivre encor voyant Alvide morte ? Ah non ! trop justes Cieux ne le permettez pas, Que j’abandonne ainsi mon Alvide au trépas  : Alvide par ce coup le coeur tu me transperces, Et je puis dire mien tout le sang que tu verses  : Alvide chere soeur, ha que ce nom m’est cher, Puis qu’il m’oste aujourd’hui ce que j’ay de plus cher  ; J’atteste des grands Dieux la puissance supréme, Que tout ce que j’ay dit est la verité mesme. Torrismon, je vous crois mon feu fut indiscret ; Et je quitte à present la lumiere à regret  : Mais dedans mon malheur, cecy me reconforte, Que je meurs estant vostre en mourant de la sorte, Et ce penser tout seul a pour moy tant d’appas, Que je trouve une vie au milieu de trépas  : Tout ce qui me déplaist & croist mon mal au double, C’est de voir que ma mort vous afflige & vous trouble. Desormais comme frere, & non plus comme amant, Que d’un chaste baiser j’allege mon tourment  ; Et garde à ton espoux le reste à ma priere  ; Tu ne peux pour ce coup perdre encor la lumiere. O frere plus que frere, & plus que bien-aymé, Ce coup est plus mortel que tu n’as estimé. Ta derniere demande est bien vaine & frivole  ; La mort me clost les yeux, & mon esprit s’envole. Alvide es-tu donc morte ! ô sort plein de rigueur ! Se peut-il que je vive ayant perdu mon coeur ? Faloit-il que si tost tu cessasses de vivre ? Mais si je fus trop lent, au moins te dois-je suivre  : Je rougis qu’une femme icy m’ait devancé, Et de voir que son sang m’ait le chemin tracé  ; Mais pourquoy s’estonner qu’un coeur lâche & perfide Marche encor en la mort apres les pas d’Alvide ? Et toutesfois je suis exempt de lâcheté, Puisqu’avant ton trespas le mien fut arresté  ; Car ces lignes font foy que ma rage estoit preste D’immoler à mon sort cette coupable teste. Amy tiens cette lettre, & la rends à Germon, Il apprendra par là ce qu’a fait Torrismon. Sire, que faites vous !         Accomplis ton message, Et me laisses finir en homme de courage  : Sçaches que c’est icy la plus douce des morts Que m’ont fait ressentir l’amour & mes remords  : Dis luy que je trahis nostre amitié si pure, Et que j’ay mesme enfraint les loix de la nature  ; Enfin peins luy mon crime & si lâche & si noir, Qu’il n’ait point de regret de ne me plus revoir  :  A Dieu, sers ce Seigneur avecques plus de gloire, Et conserves tousjours mon nom dans ta memoire. O Miserables Goths ! tout vostre heur, vostre appuy, Et toute vostre gloire est perdue aujourd’huy  : O deplorable Reyne ! ô Cour infortunée ! O cruelle avanture ! ô funeste journée! Quelle dolente voix, & quels cris redoublez En ce jour d’allegresse ont mes esprits troublez ? Sont- ce des cris de peur, ou si ce sont des plaintes ? L’ennemy pourroit-il causer icy des craintes Tandis qu’un Torrismon a Germon pres de soy ? Las il n’eut d’ennemis que soy-mesme, & sa foy. Dequoy me parles-tu ?         Voyez-le en cette lettre, Qu’en mes mains, pour vous rendre, il a voulu remettre  : Et je crois qu’apprenant sa resolution, Vous serez trop certain de l’execution. Las entends comme il parle  ;         O mon amy fidelle Si je pûs violer une amitié si belle , C’estoit bien la raison que mon sang espanché Me fist du moins fuyr l’horreur de mon péché  ; Mon peché qui tousjours pesant à ma memoire Ne me quittera pas dans la nuit la plus noire  : Celle dont tu devois estre seul possesseur, Alvide fut ma femme, & la mesme ma soeur  ; Je te la recommande, & plus encor Rusille, L’amour te doit assez recommander la fille  ; Sois de tout mon païs general heritier  : C’est ce que ton amy te peut offrir d’entier  ; Souffres que pour le moins cecy me reconforte, Que je puisse en mourant m’appeler de la sorte ; Vis, & console toy. C'est ce que de Germon Pour derniere faveur demande Torrismon. O lettre tristement commencée & suivie ! Mais en quels lieux est-il ? n’est-il donc plus en vie ? Non, il suivit Alvide.         Alvide morte aussi ! Elle mourut depuis qu’il eut escrit cecy, Et luy suivit sa soeur.         Je ne puis rien connestre A ce que tu me dis, à ce que m’escrit ton maistre. Alvide estoit sa soeur !         Elle l’estoit vrayment Elevée en Norvegue, & vous sçaurez comment  ; Et Torrismon l’ayant pour sa soeur reconnuë, A cet extreme point sa fureur est venuë, Qu’il s’est tué luy mesme, afin comme je croy, De vous vanger du tort commis contre sa foy. Il se defia trop de son amy fidelle, Et condamna ma foy par cette mort cruelle  : Las quel crime est si fort indigne de pitié, Qu’il n’obtienne pardon d’une vraye amitié ? Il m’auroit fait sans doute un moins sensible outrage, Si contre mon sein propre il eust tourné sa rage  : Je devois seul subir les rigueurs d’un tel sort, Seul je suis le subjet de sa tragique mort  : S’il commit quelque mal, je fus l’autheur du crime, Et ma mort pour la sienne eût esté legitime  ; Ah fortune, ah promesse, ah foy, nuisible foy ! Est-ce ainsi qu’il te garde, ainsi qu’il me fait Roy ? Tout ce qu’il pût donner, son trépas vous le donne. Mais dit qu’il m’oste tout, en m’ostant sa personne  ; Amour, cruel amour, c’est toy qui me reduis Au pitoyable estat où maintenant je suis  ; Tu m’ostes un amy, tu m’ostes une Dame, Et de deux coups mortels tu me transperces l’ame  : Je perds tout, le perdant  : ah gain trop malheureux, Triste acquest où se perd un Roy si valeureux, Où le fils perd sa mere, une espouse, soy mesme, Un amy, son amy  ; mais celle aussi qu’il aime  : Où la milice perd sa gloire & son honneur, L’Univers, un grand Prince, & les Goths, leur Seigneur  ; Où je perds mes plaisirs, toute mon esperance, Et de tant de perils la douce recompense, Dedans cét accident à nul autre pareil  ; Certes le Ciel devroit perdre aussi son Soleil, Le Soleil, ses rayons, & le jour, sa lumiere, Et la Nuit, ramener, l’obscurité premiere, Pour cacher à jamais d’un manteau tenebreux Les funestes effets de ce crime amoureux ; Les fleuves, & les mers, par d’horribles ravages, Devroient perdre la Terre en perdant leurs rivages  ; Elle qui peut souffrir d’estre ingrate à ce point , Qu’elle connoist sa perte, & ne s’en ressent point  ; Que sur ses fondemens demeurant immobile, Elle n’esbranle pas ses tours, ny cette ville, Et ne revomit point du ventre du cercueil, Des fantosmes hurlans pour tesmoigner son deuil, Et pour mieux celebrer cette triste avanture, Qui fera mesme horreur à la race future. SIRE, voicy la Reyne.         Hé que me cache-t’on ? De qui suis-je enfin mere ? ou suis- je mere, ou non ? La verité long-temps de nous tous ignorée, Nous est, grande Princesse, aujourd’huy declarée Mais que sa Majesté montre en cét accident, Combien est son esprit courageux & prudent. Si celle-cy ne l’est, quelle autre est donc ma fille ? Celle que Galealte eut dedans sa famille. Mais il doit y avoir quelque autre mal caché, Plus grand que le regret d’un hymen empesché  ; Pourquoy s’affliger tant d’une soeur retrouvée ? Et du recouvrement d’une fille enlevée ? Donc où ma fille est elle ?         Où pas un ne voudroit. Et mon fils Torrismon ?         Il est au mesme endroit. Desja vostre constance à nulle autre commune, Vous a fait supporter d’autres traits de fortune  ; Il vous faut, grande Reyne, encor souffrir ceux-cy, Et tesmoigner un coeur à ces coups endurcy  : Si vous fustes jadis heureuse en vostre race, Ne me dedaignez pas, ils m’ont quitté leur place. Si vous fustes, dit-il, ah mes enfans sont morts. Hé prestez du secours à son debile corps  ; D’un costé Torrismon, & d’autre-part Alvide, De chacun de mes yeux font une source humide, Et dans les sentimens d’amour & d’amitié, Elle m’arrache encor des larmes de pitié  : Pôvre Reyne, le jour qu’elle avoit plus d’attente D’estre dans ses enfans parfaitement contente  ; C’est lors qu’elle se void par leur funeste mort, L’exemple mal-heureux d’un deplorable sort. Je veux mesler mes pleurs, & ma plainte à la sienne, Madame permettez qu’aussi je vous soustienne. Que ne suis-je bons Dieux, morte dans le berceau, Ou du moins ce jour mesme, alors qu’il estoit beau ! La mort estoit pour moy bien douce & fortunée, Lors que je n’avois pas troublé cette journée  : Maudite que je suis, à present ma fureur Remplit toute la Cour d’espouvante & d’horreur  ; Je fus de cette erreur l’occasion premiere, Et j’ay fait maintenant perdre au Roy la lumiere  : Oseray-je pour fille à la Reyne m’offrir ? Moy qui n’ay pas voulu pour mere la souffrir ? Chétive que je suis, pour complaire à moy mesme, J’ay refusé l’amour, l’honneur, le diadéme  ; Qu’il eut bien mieux valu, qu’au lieu de mon berceau, J’eusse innocente encor rencontré mon tombeau. Qui me retient en vie ? ah vieillesse importune, Dois-je encor respirer apres cette infortune ? A quoy doresnavant me reserve le Sort Qu’à pleurer mes enfans ? qu’à les voir en leur mort ? Donc, que pasles & froids je les voye & les touche  ; Et qu’un dernier adieu me colle sur leur bouche. Ils ne vous causeroient que des pleurs superflus, Hé que vous serviroit de voir ce qui n’est plus ? Prenez doncques pitié d’une mere affligée, Par vous, soit dans ce sein vostre lame plongee, Afin qu’abandonnant le fardeau de ce corps, J’aille avec mes enfans errer parmy les morts. Madame, si ma mort leur rachetoit la vie, Leur mort seroit bien-tost, de la mienne, suivie  ; Mais puisque c’est l’arrest d’un severe Destin, Que la Parque jamais ne rende son butin  ; Je vivray dans les pleurs, & dedans la complainte Pour alleger le deuïl dont vostre ame est attainte  ; Tandis qu’avec honneur vos enfans bien aimez, Seront dessous un marbre ensemble renfermez, Ce sont là les devoirs, & la gloire derniere Qu’on sçauroit rendre à ceux qui perdent la lumiere  ; Bien qu’aux Roys valeureux, par un Destin plus beau, Le Ciel soit leur demeure, & la Terre un tombeau  : Pour vous donc seulement je reste encor en vie, Et pour la voir sous vous desormais asservie  ; Si l’offre que je fais n’est de vous rejetté, Pour vous je porte encore une espée au costé  ; Seule vous empeschez que je ne foule à terre Ma Couronne, & ce fer, jadis heureux en guerre, Et que devant vos yeux, mon ame avec mon sang, D’un coup de desespoir ne sortent de ce flanc  ; Mais tant que dureront ma vie & ma puissance, Grande Reyne, elles sont soubs vostre obeissance. Mon esprit desja prest à rompre ses liens, N’attend pour me quitter qu’à voir la mort des miens, Afin que s’animant par ce triste spectacle, Rien ne luy puisse plus servir d’aucun obstacle. Helas mes chers enfants !         L’excez de sa douleur Luy fait perdre à la fois, la force & la couleur  ; Portons la là dedans, & tous ayons la veuë, A ce que la douleur, ou le fer ne la tuë  : O ma vie, ô mes jours, non jours, mais tristes nuits, Que vous me reservez de regrets & d’ennuis. FIN.