Que de chagrins pour nos jeunes Amants ! Que les enfants sont misérables, Dont les pères déraisonnables Regardent tout à contresens, Et trouvent toujours condamnables Les plus simples amusements ! Je donne le bonjour à l’aimable Finette. Madame Brichonne, bonjour. Quoi ! Vous causez ici toute seule en cachette ? Vous vous entretenez apparemment d’amour ? D’amour ? Non, j’y suis peu sujette, Et c’est là mon moindre souci. Mais comment vous en va ? Qui vous amène ici ? Y ménageriez-vous quelque affaire secrète ? Hélas ! Me le demandez-vous ? Et de Monsieur Harpin, confidente ordinaire, Se pourrait-il qu’il vous eût fait mystère De ce qui se passe entre nous. Mystère ! À moi ? Vous savez bien Dans ses secrets quelle part il me donne ; Mais, faites, Madame Brichonne, Comme si je n’en savais rien. Il ne vous a pas dit…         Si fait : mais je soupçonne Qu’il ne s’en est pas bien expliqué tout à fait ; Il m’a tu quelque circonstance, Je voudrais bien savoir pour quel sujet ; Et si la chose est en effet Comme il m’en a fait confidence. Il vous a conté son projet ? Oui, qu’il prétend… Il vous l’a dit de même, Apparemment ?         Tout juste… Il veut se marier. Vous y voilà.         C’est moi qui dois négocier Ce mariage-là.     Comment, vous ?         Oui, moi-même. Ah, le petit dissimulé ! C’est de cela qu’il ne m’a point parlé. Il vous a dit quelle est la personne qu’il aime ? Belle demande ! Il fait un fort bon choix ; Et pourvu qu’à ses vœux cette fille réponde… C’est une veuve.         Ah, oui, d’accord je la connais : Mais fille ou veuve, quelquefois C’est même chose dans le monde ; On s’y trompe aisément. Cette veuve a du bien. Point, c’est Climène.         Ah, ah, Climène ! Elle n’a rien, Mais pour cacher qu’il fait une mauvaise affaire, Monsieur Harpin, à moi, m’a dit tout le contraire. Monsieur Harpin est riche et pour elle et pour lui ! On ne sait pas tout l’argent qu’il amasse : Si de continuer le Ciel lui fait la grâce, Il mesurera l’or au muid. Depuis un mois que j’ai l’honneur de le connaître, Nous avons fait l’un et l’autre en commun Quinze ou vingt affaires, peut-être, Au denier quatre, au denier un. Ah, le brave homme ! Il ne veut point paraître Dans ces vétilles-là, tout se fait en mon nom. Est-il dans son cabinet ?         Non ! Mais vous pouvez, si vous voulez l’attendre… Je reviendrai : dites-lui seulement Qu’outre une réponse à lui rendre, J’ai quelques diamants à vendre À très bon compte assurément. Des diamants ?     Voyez.         Ah ! Comme cela brille ! Quel éclat !         En voilà pour quatre mille écus. Un mien ami les a vendus, À certain enfant de famille Dix-huit mille livres et plus. À crédit ? C’est donner. Mais, Madame Brichonne, Ce marché-là s’est fait aussi sous votre nom ? Car vous avez l’âme bonne ; Vous le prêtez volontiers.         Bon ! J’aime à faire plaisir, c’est ma grande faiblesse, Je songe au profit du prêteur. On le voit bien.         Je fais plaisir à l’emprunteur ; Et puis après je m’intéresse À faire encor gagner un second acheteur. Le public vous doit trop, Madame.         Et voilà comme Tout le monde peut vivre, et chacun est content, Et de quelle façon j’oblige ce jeune homme, Que je ne connais pas pourtant. C’est avoir l’âme et charitable et tendre, Que d’obliger les jeunes gens ainsi. Adieu. Je reviendrai ; j’ai dans ce quartier-ci Quelque pareil service à rendre. Pour s’emparer du bien d’autrui La bonne Dame fait une admirable route ; En la suivant, Monsieur Harpin sans doute, Malgré l’exemple d’aujourd’hui, Aurait tort si jamais il faisait banqueroute. Que demandez-vous, Monsieur ?         Moi, Finette, ce que je demande ? C’est vous ? Que ma surprise est grande ! Vous n’appréhendez pas de paraître ici ?         Quoi ? Qu’est-ce qu’il faut que j’appréhende ? Le courroux de Monsieur Harpin, Moins pour vous, il est vrai, que pour votre maîtresse, Vous avez dû recevoir ce matin Certain billet, où de ma blanche main J’ai, de peur d’accident, moi-même mis l’adresse. Je le reçois dans ce moment ; Et plein de ma douleur extrême Je viens savoir d’Angélique elle-même, Par où j’ai mérité ce cruel traitement. A-t-elle bien pu se résoudre À me défendre ainsi de paraître à ses yeux ? Est-ce quelque rival qui me rend odieux ? Pour mon amour quel coup de foudre ? Ouais, vous le prenez-là d’un ton bien sérieux ! Hé de quel ton, dis-moi, veux-tu que je le prenne ? Je vais vous l’expliquer. Avez-vous pris la peine De lire le billet de l’un à l’autre bout ? Si je l’ai lu ?         Cela ne paraît point du tout : Car enfin en phrase très claire, Angélique vous fait savoir. Que c’est un ordre de son père Qui l’oblige à ne vous plus voir. Écrire ainsi, n’est-ce pas faire Entendre à son heureux Amant, Quand il a de l’entendement, Qu’on souffre autant que lui d’un ordre si sévère ? N’est-ce pas dire, attendons quelques jours, Prenons pour quelque temps le parti du mystère, Et puis sur nouveaux frais nous nous verrons toujours ? Ah ! Tu me redonnes la vie ! Mais, dis, Finette, je te prie, Par où Monsieur Harpin peut-il avoir appris… Avec juste raison vous en êtes surpris, Et comme vous j’en ai l’esprit malade : Car enfin, vous n’êtes venu Qu’en son absence ici ; nous ne vous avons vu Que les soirs à la promenade ; Il faut que votre nom lui soit même inconnu : Il l’est du moindre domestique, Et cependant…         Hélas, que je suis malheureux ! Quand je me promets tout des bontés d’Angélique, Son père met un obstacle à mes vœux, Il ne me connaît point, et me devient contraire. Savez-vous le nœud de l’affaire ? Le père sait que vous plaisez, Et c’est là de quoi lui déplaire. Oh dame, la fille et le père Ont des goûts fort opposés. Mais, de sa fille enfin, qu’est-ce qu’il prétend faire ? Je ne sais, son dessein n’est pas de la pourvoir : Il feint pourtant de le vouloir ; Et pour y réussir, c’est sa grande manière Que d’écarter, autant qu’il est en son pouvoir, Les partis les plus convenables, Et de prendre grand soin de ne lui faire voir Que des maris désagréables. Il ne craint point son désespoir ? Tout au contraire, il le souhaite. Heureux, s’il peut ainsi lui faire concevoir Un certain goût pour la retraite, Qu’il voudrait qu’elle pût avoir. Ce que tu me dis là me paraît incroyable. Quoi, cet homme si vénérable, Qu’à ses manières, à son air, Tout Paris croit si raisonnable ? Paris voit trouble, et je vois clair. Depuis longtemps je l’étudie ; Je vous le peindrais trait pour trait, Et je n’ai trouvé dans son fait Que grimace et que perfidie. Ah Finette !         Monsieur, c’est le plus faux mortel : Aussi, par un excès de fausse complaisance, J’ai su gagner sa confiance. J’ai le plus heureux naturel Pour fourber qui me fourbe ; il n’est ma foi rien tel. Et lorsque nous voulons nous en mêler, nous sommes, Nous autres femmes, grâce au Ciel, Plus fausses que les plus faux hommes. Je le crois.         À propos d’être fausse, attendez, Ne pourrions-nous pas ?     Quoi ?         Oui da, c’est une idée, Qui, pour peu que d’ailleurs elle fût secondée, Vous ferait obtenir ce que vous prétendez. Serait-il possible, Finette ? Si vous voulez, c’est une affaire faite. Seriez-vous d’humeur à quitter Votre air de Cour ?         Ah ! Qu’à cela ne tienne. Vous sentez-vous capable d’affecter Un air bourgeois, un air à la Parisienne ? Comment, un air évaporé ? Non, un air sage et modéré, Là, qui vous fasse méconnaître. Finette ?         Sans courroux : il faut vous habiller, Non pas comme un faux petit-maître, Mais en notable marguiller, Échevin postulant, apprentif Conseiller ; Et surtout tâcher de paraître, Non, comme ils sont, mais comme ils devraient être. Mais, pourquoi ce déguisement ? Vous le saurez ; allez le prendre, Et venez ici seulement, Ou me demander, ou m’attendre. Si vous me demandez, que ce soit, s’il vous plaît, De la part de quelqu’un de ces fameux Notaires, Distingués parmi leurs Confrères Pour prêter à gros intérêt. J’ai mes raisons.         Je m’abandonne À ta conduite ; et le flatteur espoir Que ta vivacité me donne De revenir ici, de voir, De posséder un jour la charmante personne Qui fait toute ma passion, M’engage sans réflexion Dans tout ce que ton zèle en ma faveur ordonne. Jusqu’au revoir. Je vais m’embarrasser Dans une affaire un peu scabreuse : Mais le seul plaisir de penser Qu’on peut mener à bien une intrigue amoureuse, Engage une âme généreuse ; Et quoique toute jeune, et novice en ceci, Je me tirerais, Dieu merci, D’entreprise plus épineuse. Ma chère Finette, je suis Dans le plus cruel des ennuis : Je sens une douleur mortelle. Je le crois bien vraiment, et l’épreuve est cruelle, De congédier un Amant Que l’on aime si tendrement. À tes conseils, il m’a fallu souscrire Avec précipitation, Malgré moi tu m’as fait mal à propos écrire. J’ai pris trop de précaution, Il est vrai ; vous pouviez fort aisément remettre À la première occasion, Tout le discours que vous avez pu mettre Dans ce billet ; la conversation Fait plus de plaisir qu’une lettre. Mais avec tout cela, je vous suis caution Que dans la situation Où maintenant est votre affaire, Vous ne sauriez assurément mieux faire, Malgré l’excès de votre passion, Que d’affecter beaucoup d’attention À marquer en toute manière Une prompte soumission Aux volontés de votre père. Ah, Finette ! Que je te hais, De me parler comme tu fais, Et que ta morale est ennuyeuse et sévère ! Il ne m’a point du tout paru Que mon père m’ait défendu Expressément de voir Valère ; Fort mal à propos tu l’as cru, Il ne l’a point nommé, je l’aurais entendu. Oui, j’ai tort, c’est une chimère ; Et comme il ne sait pas le nom de votre amant, Votre père n’a pu parler expressément. La pensée est fort délicate ! Mort de ma vie, il l’a si juste désigné, Qu’à son nom près, je crois qu’il a tout deviné. Hé, souffre un peu que je me flatte, C’est un simple conseil, crois-moi, qu’il m’a donné. Il ne m’a point témoigné de colère, Aucun chagrin, aucun emportement, Et nous avons pris cette affaire Un peu trop sérieusement. J’ai fort mal fait d’écrire assurément. Je sais, si vous voulez, un remède à la chose : Mais…         Ne crains rien, parle, je me propose De faire aveuglément tout ce que tu voudras : Dis vite. À quoi que je m’expose, Mon amant en sera la cause, Et je n’en murmurerai pas. La pauvre enfant ! En la voyant si tendre, Je sens mon cœur prêt à se fendre. Allez, vous le reverrez.         Quoi ! Je le reverrais ?         Oui, je prends cela sur moi. Ne te moques-tu point, Finette ? Et mon père…         Il l’approuvera. Tout de bon ?         Tout de bon, même il vous en priera. Votre félicité pour lors sera parfaite. Mais je ne comprends pas comment : Nous le tromperons donc, Finette, apparemment ? Oui, c’est ainsi que je le pense. Voyez, y sentez-vous la moindre répugnance ? Moi ? Point du tout, au contraire vraiment : Mais trompons-le si finement, Employons-y tant d’artifice, Que désormais sans trouble je jouisse Du plaisir de voir mon amant, Et que jamais ce plaisir ne finisse. Laissez faire, malgré l’amour Qui vous tient aujourd’hui si fortement liée, Vous le verrez tant quelque jour Que vous en serez ennuyée. Peut-on s’en ennuyer jamais ? On le dit, je n’en sais rien. Mais Pour réussir ici, ce que je vous demande, Et c’est cela que j’exige sur tout, Quoi que ce soit que vous commande Monsieur Harpin, approuvez tout : La complaisance n’est pas grande. Tu sais, Finette, que souvent… Oui, c’est sa fureur dominante De vous mettre dans un Couvent ; Il faut en paraître contente, Feignez d’y consentir avec tranquillité. Et s’il va prendre cette feinte Pour un consentement, pour une vérité ? Qu’il m’y mette…         De ce côté N’ayez, de grâce, aucune crainte, Tout ira bien.         Voici, je crois, Merlin, le valet de mon frère. Il vient à propos, laissez-moi. Mais, Finette, dépêche-toi. Tout ira bien, vous dis-je, allez et laissez faire. Tout mon bonheur est en ta main. Que de discours ! Adieu.         Bonjour, Monsieur Merlin. Serviteur, charmante Finette. Comment gouvernez-vous le vin ? Fort négligemment, je fais diète, Et je n’ai déjeuné que deux fois ce matin. Votre maître ? On ne le voit guères : Qui l’occupe ?         L’Amour, le jeu, la bonne chère, Nos exercices d’ordinaire. Tous les jours assez tard il s’éveille en jurant, D’avoir, dit-il, le sort à ses vœux fort contraire. Il sort du lit, s’habille en murmurant Le plus souvent contre Monsieur son père ; Puis par le petit escalier, Fort discrètement il détale, Pour éviter maint créancier, Que j’amuse, moi, dans la salle. Il arrive fort échauffé Vers le Palais Royal, il prend une chaise Sans besoin, pour courir Paris plus à son aise. Nous nous rejoignons au Café ; Et le reste de la journée, C’est-à-dire, l’après-midi, Qui quelquefois pour lui n’est pas l’après-dînée, Toujours avec la chaise il court en étourdi, Tantôt au lansquenet, tantôt chez sa maîtresse, Qu’en tout honneur pourtant il aime avec tendresse. Parfois nous visitons de fort honnêtes gens, Des Usuriers, de gros Marchands Des Sous-fermiers, ou d’obligeants Notaires, Qui dans les pressantes affaires, Ont un merveilleux entregent, Pour faire trouver de l’argent Aux jeunes gens qui n’en ont guères ; Nous partageons avec eux comme frères, Moitié par moitié, oui, c’est là le prix courant, Cela se fait sans bruit ; et comme Mon maître est fort généreux, il se rend Par bon contrat toujours garant, De payer seul toute la somme. Certes, ton maître a le cœur grand, Et c’est un fort joli jeune homme. N’est-il pas vrai ? C’est le train du jour. Pour l’emploi Du soir, c’est le jeu qui décide, Et nous soupons, comme le sort nous guide, Fort bien au cabaret, quand nous avons de quoi, Fort mal à la maison, quand notre bourse est vide. Depuis un temps on vous y voit si peu, Qu’on doit juger qu’apparemment la bourse… Cela va bien aller, nous avons fait ressource Chez l’Usurier ; et sans le jeu, Nous serions bien plus à notre aise. Mais toi, dis-moi, par parenthèse, Es-tu bien, es-tu mal, avec Monsieur Harpin ? Là, là : pourquoi ?         Pour un certain dessein, Dont la suite pourrait ne pas être mauvaise. Mon maître m’a chargé de tâcher aujourd’hui, Par quelque adroite tentative, À t’engager à faire avec nous, contre lui, Ligue offensive et défensive. Contre Monsieur Harpin ? Touche, cela vaut fait ; Et pour te mieux marquer mon zèle Pour le parti, je vais t’apprendre une nouvelle. Mais, sais-tu garder un secret ? Moi ? C’est en cela que j’excelle, Je suis l’homme le plus discret. De mille grands secrets je suis dépositaire, Et j’ai presque toujours été Chez des femmes de qualité ; Dans ces postes, tu sais, qu’il faut se savoir taire. Sans doute.         Cette main tous les jours apprêtait Le blanc que met Madame l’Intendante, Et je n’ai jamais dit pourtant qu’elle en mettait. Fort bien.         Et de Madame Argante J’ai gouverné tout à la fois Pendant près de dix-huit mois, Hanche, épaule, et gorge postiche. Hé bien, je me ferais plutôt hacher cent fois Que d’en parler : eh, faut-il qu’on affiche Les défauts des gens qu’on sert ?         Non. C’est fort bien fait.         Voilà Madame Bouvillon, Que tout Paris croit des plus sages ; Quand je la servais elle avait Deux ou trois amants à ses gages, Je n’en parle à qui que ce soit ; Il faut avoir certaines retenues… Fort bien : mais si tu continues, Merlin, de ta discrétion, Tu t’en vas me donner mauvaise opinion. Au contraire, vraiment, je veux te faire entendre, Qu’on peut en sûreté se confier à moi. Je ne dis jamais mot.     On le voit.         Çà de quoi S’agit-il ? Que veux-tu m’apprendre ? Le voici. De Monsieur Harpin Connais-tu bien à fond le parfait caractère ? Pour cela oui, c’est le plus mauvais père, Le plus ladre, le plus vilain Que l’on ait encore vu paraître. Tu le connais. Et de ton maître Parle-moi franchement, que m’en diras-tu ?         Rien. Pour celui-là, j’ai fait vœu de m’en taire, Je suis discret. Je n’en sais point de bien. C’est ce qui fait que je n’en parle guère. C’est le garçon le plus déterminé, Qui peut-être soit jamais né, Pur bien faire enrager son père : Encor s’il savait ménager Avec art Madame sa tante ! Elle a deux mille écus de rente, Qu’elle pourrait fort bien avec nous partager : Mais le Monsieur Harpin, attentif à la proie, Qui se les veut approprier. Dans son esprit, comme fausse monnaie, Prend grand soin de nous décrier. Nous te démasquerons, vainement tu te caches, Vieux ladre. Voilà donc, Merlin, ce que tu sais ? Oui, mon enfant.         Oh bien, ce n’en est pas assez. Voici ce qu’il faut que tu saches. Monsieur Harpin est amoureux. Quel conte !         Il l’est à la sourdine. Amoureux, lui ?         Oui, lui. Devine Quelle heureuse mortelle est l’objet de ses vœux ? Voyons un peu.         C’est toi, peut-être ? Qui ? Moi ?         Toi-même ; pourquoi non ? Tu me parais encore assez jeune pour être La maîtresse d’un vieux barbon. Oui da.         Confesse ingénument la dette ; Serait-ce toi ?     Non c’est Climène.         Tout de bon ? Tu te moques de moi, Finette. Climène ? Tu sais bien que mon maître en est fou. Son père aussi.         Le vieux Hibou ? Mais cela ne se peut absolument. Climène Nous en eût fait quelque petit narré. À ton maître elle a craint de faire de la peine ; Il faut qu’apparemment cette peur la retienne, Ou que dans ses ardeurs, le vieillard modéré, Ne se soit pas encor tout à fait déclaré. Quoi qu’il en soit, Climène a bien fait de s’en taire, Et je trouve à propos que cet amour du père, Soit par le fils encor quelque temps ignoré. C’est un petit évaporé, Qui dans sa fureur pourrait faire Quelque coup de désespéré. Motus, au moins.         Oui, va, je me tairai. Pour moi, j’aurai soin de conduire Ses affaires à bien, ou je ne le pourrai. Toi, prends garde de ne rien dire, Que lorsque je t’en avertirai. Voici Monsieur Harpin.         Ah, ah, je suis bien aise De rencontrer ici ce maroufle fieffé. Et moi, Monsieur, je me crois né coiffé, Que ma présence ainsi vous plaise. De mon fripon de fils je viens, D’apprendre encor d’agréables nouvelles ! Tant pis.         Et s’il vous plaît, Monsieur, quelles sont-elles ? Ne vous a-t-on pas dit qu’il se porte fort bien ? Je voudrais qu’il fût mort, le débauché, l’infâme ; Le perdu. Devenir amoureux d’une femme ! Amoureux ! Lui ? Fy donc, vous vous moquez de nous. Monsieur votre fils est amoureux comme vous. Comme moi ? S’entêter pour une libertine ! Cela n’est pas, Monsieur.         Qui le ruine ! Point du tout.         Qui le perd d’honneur ! Il n’en n’est rien, vous dis-je, ou je me donne au diable, Et mon maître est trop raisonnable. Et son valet trop raisonneur. Tais-toi.     Très volontiers.         On n’a pas pu sur l’heure M’apprendre en quel quartier la coquine demeure, Ni son nom : mais je le saurai De ta bouche, pendard, ou je te rosserai. Par vos ordres, Monsieur, j’ai trop de déférence : Vous m’avez imposé silence, Je me tais, et je me tairai. Ah, bourreau, je t’étranglerai. Parleras-tu ?         Ce sont de mauvais bruits qu’on sème, Mon maître n’aime rien, et quand il aimerait, Je vais gager que pour vous-même Vous feriez le choix qu’il ferait. Je vous connais l’un et l’autre à merveilles Et vous qui nous sermonnez tant, Vous ne haïssez pas le beau sexe pourtant. Tais-toi, tu me romps les oreilles ; Ôte-toi de mes yeux, coquin, Je démêlerai bien sans toi toute l’affaire, Et tu seras un jour chagrin De m’en avoir fait un mystère. Sans rancune, Monsieur, de près comme de loin, Tout à vous ; et dans le besoin, Si par hasard je vous suis nécessaire, N’épargnez pas mon petit ministère. Vous voyez que je me sais taire, Et je travaille avec grand soin. Qu’est-ce que ce maraud veut dire ? Dans le fonds, c’est un bon garçon : Mais quelquefois il aime à rire. Si je m’y mets, je saurai le réduire À rire d’une autre façon. Votre Dame Brichonne est venue ici.         Bon. Je sais ce qu’elle veut. Hé bien reviendra-t-elle ? Dans une heure, je crois, Monsieur. Mademoiselle Votre fille est fort chagrine d’avoir Ordre de vous, de ne plus voir Ce jeune adolescent que nous croyons qu’elle aime ; Et si l’on pouvait plus avant Faire aller son dépit, quoiqu’il paraisse extrême, Je gagerais que d’elle-même Elle prendrait bientôt le parti du Couvent. Tout de bon ?     À coup sûr, Monsieur.         Et comment faire Pour augmenter ce dépit-là ? Laissez-moi rêver à cela. Je me charge de cette affaire. Toi ?         Moi-même, et vraiment… attendez… m’y voilà. Je vous la garantis dès aujourd’hui Novice : Mais y donnerez-vous votre consentement ? Moi ?     Vous.         De tout mon cœur. Il serait beau, vraiment, Qu’elle eût de bons desseins sans que j’y répondisse ? Mais pour l’acheminer à cet heureux moment, Qu’est-ce qu’il faudrait que je fisse ? Le voici. Son chagrin vient naturellement De ce qu’il faut qu’elle bannisse Ce jeune Cavalier qu’elle aime éperdument ? Et je voudrais qu’en ce moment, Pour irriter son amoureux caprice, Vous parussiez vouloir lui faire absolument Épouser… là… quelque autre Amant, Mais quelque Amant qu’elle haïsse. C’est bien dit, je connais un Président Normand, Dont le nom seul est pour elle un supplice, Je vais lui commander de l’épouser.         Comment ? Il paraîtrait trop d’injustice À la vouloir ainsi pourvoir bizarrement ; Il a quatre-vingt ans, Monsieur. Plus finement Cachons de vos desseins l’innocent artifice. Proposons-lui ce Banquier Suisse, Elle le hait encore assez passablement. Ce Banquier Suisse est laid terriblement, Ce serait exiger un trop grand sacrifice. Et c’est pour cela justement ; Car je ne prétends nullement Qu’en tout ceci ma fille m’obéisse. C’est prétendre très sagement : Mais il faut ménager la chose adroitement, Si l’on veut qu’elle réussisse. Que faire ?         Voulez-vous vous en fier à moi ? Vous le pouvez en assurance. Hé bien…         Proposez-lui quelque homme de finance, Ou de Palais, je vous donne ma foi, Quelque joli qu’il soit, qu’il n’en est point en France Qu’elle acceptât, fût-il riche comme le Roi ; C’est une aversion qui n’est pas concevable. Tout de bon ?         J’en sais un dont j’ai parfois pitié, Il est de Robe, il a pour elle une amitié… Hé bien ?         Elle le hait, cela n’est pas croyable, C’est là ce qu’il faudrait, Monsieur, lui proposer, Le parti paraîtrait sortable ; Et comme pour le refuser Elle n’aurait point de raison valable, Vous auriez droit de la tyranniser ; Et du Couvent le retraite honorable, Lui paraîtrait à coup sûr préférable Au désespoir de l’épouser. Mais si par un cas fortuit (car enfin tout peut être) Son goût allait changer ?         Beau sujet d’embarras ? Il ne changera point, Monsieur ; mais en tout cas Du dénouement n’êtes-vous pas le maître ? Il est vrai, c’est bien dit. Ça fais-moi donc connaître Ce soupirant de Robe, et songe à te hâter. C’est une affaire toute prête. Bon, tant mieux, il me tarde aussi d’exécuter Certains projets qui me roulent en tête. Si cette femme vient, qu’on la fasse monter. Vous voyez, Madame Brichonne, Avec combien peu de réflexion Sans hésiter je m’abandonne Tout à votre discrétion. Hélas ! Avec moi, qu’est-ce que l’on hasarde ? Un secret est là-dedans enterré : Moi, parler de rien ! Dieu m’en garde. Hé, fi donc, si j’étais tant soit peu babillarde, Un bon tiers de Paris serait déshonoré. Il faut tâcher pour les six mille livres Que je vous ai donnés dessus vos diamants, Qu’ils me demeurent.         Oui, c’est comme je l’entends, Laissez-moi faire, allez, j’y brûlerai mes livres. Puis cela vient de jeunes gens, Qui volontiers ne sont pas retirants. Bon, tant mieux. Vous savez à quoi je les destine. Mais, parlons naturellement, Prévoyez-vous qu’heureusement Le dessein que j’ai se termine ? Vous avez vu tantôt Climène ?         Assurément. Çà, Madame Brichonne, allons, dis franchement De quel air, avec quelle mine Elle a reçu ton compliment ? Je vous l’ai déjà dit, fort agréablement ; Et sans vouloir flatter, ce que j’en imagine, C’est qu’elle l’a trouvé charmant. La friponne !         Elle est jeune, elle est aimable et belle : Mais avec tout cela, l’ardeur Qui vous fait soupirer pour elle, Doit lui paraître un grand bonheur ; Elle ne sera point à vos désirs rebelle. Bon, je l’aime de cette humeur, Et ne voudrais pour rien d’une fière femelle Qui fît traîner mon amour en langueur. Vous ne l’aimez qu’en tout honneur ? Elle aurait tort de vous être cruelle. À propos d’honneur, tu sais bien Que je dois ménager le mien. Peut-être on gloserait de voir un assemblage De cette veuve un peu coquette et qui n’a rien, Avec un homme de mon âge. Si nous trouvions quelque moyen, Dans ces commencements, de rendre Notre intrigue secrète, et de lui faire entendre Que c’est que mon honneur veut prendre soin du sien. C’est raisonner fort juste.         Écoute, il faut que j’aie Avec ma belle-sœur quelque ménagement. Depuis assez longtemps j’essaie De faire en ma faveur régler son testament : Et par hasard, si de ce mariage Quelque soupçon venait à contretemps, Son bien serait pour mes enfants, Et je me verrais, moi, frustré de l’héritage. Cela retient un peu mon amour en suspens. Hé bien, mariez-vous en secret, je m’engage À faire consentir Climène à ce dessein ; Il me paraît que vous êtes en âge De contracter sans trouble un hymen clandestin. Ce n’est pas là ce qui me met en peine : Mais si je pouvais, moi, n’aller point chez Climène. Et qu’elle-même vint céans. Cela serait commode. Hé bien, nul de vos gens Ne la connaît. Allez, tantôt je vous l’amène, Laissez-moi faire.         Attends. Sous un nom emprunté Il faudrait qu’à ma fille elle fût présentée. Je n’y vois pas d’impossibilité. Quel nom choisir ? Voyons.         Madame Dorothée. Fort bien : ce nom promet, sans paraître affecté, Certaine régularité… C’est cela. Je voudrais aussi que sans parure Pour quelques jours d’abord…         Pourquoi non ? Sa beauté Ne tient rien que de la nature. Elle quittât un peu ces airs de vanité ; Qu’elle parût en tout une femme rangée, Et tout au moins, du monde à demi dégagée. On ne peut concevoir rien de mieux concerté. Que vous avez d’esprit !         Pas mal. De mon côté Je vais vanter l’excès de son mérite À ma fille, à ma belle-sœur, Et faire à toutes deux souhaitez sa visite. Jusqu’au revoir.         Bientôt nous aurons cet honneur : Pour fort peu de temps je vous quitte. Cela prend, ce me semble, un assez bon chemin Que je serais heureux le reste de ma vie, Si je pouvais au gré de mon envie, Régler moi-même mon destin ! Faire enfermer mon fils, cloîtrer ma fille, M’assurer la succession, Et m’acquérir ainsi la réputation De brave père de famille. Voici, Monsieur, cet Amant langoureux, Qui devant vous a trouvé grâce. Venez, Monsieur le Boniface. Ah, Monsieur, que je suis heureux Si vous approuvez mon audace ! Votre charmante fille a rebuté mes vœux. Pour me rendre aimable à ses yeux, Il n’est rien dès longtemps que mon amour ne fasse. Je suis partout ses pas, je la cherche en tous lieux, Et ma présence en tous lieux l’embarrasse : Plus je fais éclater mes feux, Plus son cœur est pour moi de glace. Vraiment, Monsieur, ma fille a tort De vous traiter si mal ; et je doute très fort Qu’elle puisse jamais mieux rencontrer. Finette ? Monsieur ?         Il me paraît que ce jeune homme-là Est d’aimable tournure et de bonne défaite : Ma fille, assurément s’en accommodera. Prenons garde…         Hé, fi donc, ne dites pas cela Il faut voir comme elle le traite. Je te garantis, moi, que cela changera. Hé non, Monsieur, c’est sa planète… Planète tant qu’il te plaira, Je ne veux m’y fier que de la bonne sorte. Vous allez voir comment elle le recevra. Je ne m’y fierai point, ou le diable m’emporte. Finette, Monsieur, m’a flatté Que vous aviez pour moi quelque bonté ; Qu’un peu sensible au feu qui me dévore, Vous m’unirez à l’objet que j’adore. En ma faveur déterminez son choix, Par un ordre absolu forcez sa résistance. Le Couvent à coup sûr aura la préférence. Tu me le dis, et je le crois ; Mais tu me répondras des suites. Si ma fille vous hait autant que vous le dites, Pour l’épouser, Monsieur, je vous donne ma voix ; C’est un mauvais esprit que je prétends réduire. Quel transport ! Quelle joie ! Hé, que puis-je vous dire ? Je vous remets le compliment. Si vous voulez je vais conduire Monsieur à son appartement, Et je prendrai soin de l’instruire De vos desseins.         Non, doucement. À tantôt, s’il vous plaît, remettons la partie, Il vous suffit d’avoir à présent mon aveu : Je veux sonder ma fille, et m’ajuster un peu De cet excès d’antipathie. Votre Notaire est là qui vous demande.         Adieu, Dans une heure d’ici je vous attends.         Finette. Monsieur ?         Il me paraît que ce monsieur Harpin Est homme soupçonneux et fin ; Et si de ses discours je suis bon interprète, Assurément notre dessein N’aura pas une bonne fin. Vous êtes un mauvais Prophète ; Quelque chose que je projette, Jamais je ne travaille en vain. Pour m’en convaincre, au moins, fais-moi voir Angélique. La peste ! Gardons-nous-en bien, Ce serait justement un secret spécifique Pour tout gâter.         Un moment d’entretien. Non, Monsieur, il n’en sera rien, Vous perdez votre rhétorique. Est-elle instruite du moyen Dont nous nous servons ?         Non. La belle politique ! Monsieur Harpin lui parlera de vous Sous le beau nom de Monsieur Boniface, Et je prétends que ce nom l’embarrasse Assez pour la mettre en courroux : Qu’attentif à sa contenance Comme un Lieutenant Criminel, Monsieur Harpin ne prenne aucune défiance D’un mouvement qui, comme je le pense, Lui semblera fort naturel. Quoi, sans l’avoir entretenue, Sans même avoir joui du plaisir de sa vue, Deux fois ici je serai donc venu, Et je n’aurai pas obtenu ? Vous obtiendrez à la troisième Tout ce que vous souhaiterez. Tu me fais un chagrin extrême. Je le crois bien : mais vous vous en irez. Mais, permettez-moi…         Néant. Allons, tirez, tirez. Cela tournera bien ; et je suis, je vous jure, Pour bien conduire un projet amoureux, Une admirable créature. Ce n’est pas tout encor, je veux À la fois en conduire deux, Tromper Monsieur Harpin dans plus d’une aventure, Et malgré qu’il en ait, rendre son fils heureux. Intéressons-la, Madame Brichonne, J’ai sur elle assez de crédit. Voyons Climène, et mettons à profit Les talents que le Ciel nous donne. Allons… Mais voici justement L’heureux mortel pour qui je m’intéresse. Pour quelque temps encor cachons-lui prudemment Que son père aime sa maîtresse. Où trouverai-je ce faquin ? Il est rêveur.         Ah ! Te voilà, Finette. Bonjour, ma chère enfant. N’as-tu point vu Merlin ? Pardonnez-moi, Monsieur : mais il a fait retraite, Pour n’essuyer pas le chagrin D’avoir du bruit avec Monsieur Harpin. Ce maraud-là me met dans une peine… Il n’est point de valet, je crois, plus négligent. Je l’ai chargé de trouver de l’argent, Et de m’en apporter au jeu chez Dorimène ; J’en dois considérablement À des gens qui me persécutent… Les ordres d’en trouver se donnent aisément, Mal aisément ils s’exécutent. Mais je l’entends, c’est lui, ne vous chagrinez pas. Adieu, Monsieur.         Est-ce ainsi qu’on me quitte ? Que je sache au moins où tu vas. Rendre une petite visite, Et je reviendrai sur mes pas. Tu n’iras point à pied, j’ai ma chaise là-bas. Ah ! Je crains trop la médisance. Jusqu’au revoir, Monsieur. Au moins, Merlin, silence. Va, ne crains rien, je suis discret. Hé bien, maître faquin, d’où venez-vous ? Un autre Vous donnerait cent coups. Suis-je votre valet, Pour vous chercher ?         Et moi, Monsieur, qui suis le vôtre, Dois-je courir en vain tout le jour après vous ? Monsieur me donne un rendez-vous Chez Dorimène. Il y vient plus d’une heure Avant le temps qu’il m’a marqué, Je ne m’y trouve point, et le voilà piqué. Un seul instant à peine il y demeure, Il peste, il jure, il court fort irrité ; Je cours après de mon côté, Je le rejoins à la malheure ? Et je suis un faquin, dit-il, j’ai mérité D’avoir mille coup d’étrivières. Oh bien, Monsieur, en vérité, Si vous ne réformez ces mauvaises manières… Oh, finis, je te prie. Avons-nous de l’argent ? Oui, je suis le meilleur agent… Et combien ?         La récolte est bonne. Je vous apporte ici deux mille écus tournois, À deux cents francs près, toutefois. Deux cents francs ?         Oui, que Madame Brichonne A retenus par ses mains pour ses droits. Mais deux cents francs, Merlin ?         C’est la première fois Que nous négocions de la sorte avec elle. Faut-il pour une bagatelle Manquer d’établir son crédit ? Tenez, voilà comme je vous ai dit, Trois cents louis en deux cents pièces, Et le reste en d’autres espèces. Donne-moi l’or, et retourne porter Cet autre argent chez Dorimène, Je le dois à la bourse, et je veux m’acquitter. S’il est ainsi, ce n’était pas la peine… Ah ! Le vilain qui s’amuse à compter ! Pourquoi, donc ? Il n’est pas nouveau qu’on se méprenne. Oui da, oui da. Je crois qu’il manque six louis ; Je ne suis pas fripon, je vous en avertis. Comment ?         Comptez toujours, et qu’il vous en souvienne. Il manque six louis ? Pourquoi ? Dis donc.         C’est pour mes droits à moi. Maître fripon, l’affaire en était faite. Si je n’avais compté mon argent.         Oui, ma foi. M’en aurais-tu parlé ?         Non, Monsieur ; car Finette M’a commandé d’être discret. Si vous voulez pourtant savoir certain secret. Quel secret ?         C’est une nouvelle Qu’elle m’a fort prié de ne pas dire.         Hé, quelle ? Monsieur votre père…         Ah ! Je n’en veux rien savoir, De cette part que me peut-on apprendre Qui ne me mette au désespoir ? Monsieur, si vous vouliez l’entendre, D’un grand fardeau, je serais soulagé ; Je suis de ce secret terriblement chargé. Tais-toi, te dis-je, et cours chez Dorimène. La résistance sera vaine, Je ne saurais garder un secret tout un jour, Vous le saurez à mon retour. Que puis-je apprendre de mon père Qui ne révolte tous mes sens ? De quelle cruelle manière Il en use avec ses enfants ! Il retient le bien de ma mère Depuis près de cinq ou six ans : Son avarice insupportable Le fait en tout s’opposer à mes vœux ; Il cherche à me perdre en tous lieux : Sous le nom d’homme irréprochable, Il représente à tous les yeux Ma conduite si condamnable, Qu’à mes meilleurs amis je deviens odieux. Son humeur me rend malheureux, Et sa fausse vertu me fait trouver coupable. Encore si je pouvais…         Comment donc, mon neveu, Apparemment ta cervelle s’évente ? Tu parles seul, es-tu fou ?         Non, ma tante, Mais vous me voyez dans l’attente De l’être devant qu’il soit peu. Mon père…         Tais-toi, misérable, Je t’avertis que contre toi Il est d’un courroux effroyable. Lui, ma tante ?         Oui, vraiment, et j’y suis aussi moi ? Car il m’a dit qu’il fallait que j’y fuse. Je ne voulais pas me fâcher : Mais il m’a si bien su prêcher, Qu’il a fallu qu’enfin je le voulusse. Çà, je viens donc te quereller. Hé bien, ma tante, soit, vous n’avez qu’à parler. Mais de quoi, s’il vous plaît ?         De quoi ? Tu n’es pas sage, Tu te jettes, dit-il, dans un fort mauvais train. Moi, ma tante ?         Oui, toi. Comment, petit vilain, Aimer déjà les femmes à ton âge ! C’est donc là tout mon crime ? Hé bien, qu’y trouvez-vous De si condamnable ?         Entre nous, Je n’y vois pas moi grand dommage, Et ton père en devrait être moins étonné ; Car enfin autrefois lui-même il a donné Tout comme toi dans le libertinage ; À vingt ans le bon personnage N’était pas mieux morigéné. C’est un étrange homme, ma tante, Et si je vous disais…         Taisez-vous, effronté. Il vous siérait bien, moi présente, D’oser dire de lui la moindre vérité ? C’est un homme que chacun vante, Et qui doit être fort vanté. Vous prenez son parti, c’est à moi de me rendre. Çà, votre sœur est-elle ici ? Je ne sais pas, ma tante.         Voyez-y, Et qu’on me la fasse descendre, Il faut que je la gronde aussi, Je l’ai promis ; et l’on m’a fait entendre… Je suis bien irritée, et je vais…         La voici. Bonjour, ma chère enfant ; viens çà que je t’embrasse : Je l’aime toujours, quoi qu’on fasse, Et mon courroux pour elle est d’abord adouci. Que je sens de plaisir quand je vous vois, ma tante ! Et moi donc ? Je ne suis parfaitement contente Que lorsque je me trouve entre vous deux ainsi. Hé bien, mes chers enfants, qu’est-ce que tout ceci ? Quoi, ma tante ?         Je viens de chapitrer ton frère, Et contre toi je suis bien en colère. Contre moi ! Ce discours me trouble et m’interdit. Et pourquoi donc ?         Pourquoi ? Ton père me l’a dit. Vous vous mêlez d’être amoureuse, Petite folle ?     Moi ?         C’est une chose affreuse. Vous cherchez à m’embarrasser, Ou vous raillez.         Non pas, l’affaire est sérieuse, Et je sais bien ce que j’en dois penser. Je m’y connais, ce sont des penchants de famille, On ne saurait résister à cela ; Et moi-même, quand j’étais fille, De temps en temps, par-ci, par-là, J’avais aussi ces penchants-là. À présent, Dieu merci, j’en suis bien corrigée, L’expérience m’a changée. Et dans le fond, il n’est ni bon, ni beau, Dès qu’on voit un godelureau, Sans consulter le choix d’un père, De s’en amouracher.         Mais ce n’est point vraiment Un Godelureau que Valère. Valère. Ah ! C’est donc là le nom de votre amant ? Est-il joli, ma nièce ?         Assurément, Ma tante, il a tout ce qu’il faut pour plaire. Tant mieux. Et ta maîtresse à toi ? Je l’adore ma tante, et vous donne ma foi Qu’elle est charmante, autant qu’elle m’est chère. Ces pauvres enfants ! Çà je veux les voir chez moi. Ma tante ?         Je le veux, que rien ne vous alarme. À vous rendre contents j’emploierai tous mes soins. Voici mon père.         Paix, dites-lui bien au moins Que j’ai fait un fort grand vacarme. Je suis ravi que le hasard Tous quatre en ce lieu nous rassemble. Au bien de ma famille il semble Que vous devez, ma sœur, comme moi prendre part. Aussi fais-je, et je viens de leur laver la tête À tous les deux de belle façon. Demandez, demandez.         Pour moi, je leur apprête Devant vous seule, et presque tête à tête, Une plus modeste leçon. Avec cette douce manière, Quels chagrins nous prépare-t-on ? Je vous fais, mes enfants, dans cette occasion, Aux yeux de votre tante, avec douleur amère, La petite confusion. Que je sui forcé de vous faire. Quelle confusion, mon père ? Vous savez bien le fait dont il est question. Jusqu’à présent encor votre faute est légère : Fort à temps, Dieu merci, j’ai pour votre bonheur Congédié le Séducteur. Comment, un Séducteur, ma nièce ? Là, là. Reprenons-les, de grâce avec douceur. Se laisser séduire !         Hé, ma sœur ; C’est une faute de jeunesse Qu’elle peut réparer, et même avec honneur. Pour fuir des passions la voix enchanteresse, Il est un sûr moyen.         J’entends, mais rien ne presse. Quand le Ciel versera ce dessein dans mon cœur, Mon père…         Il parle avec justesse, Et ce qu’il vous dit là se pratique souvent ; Pour mieux faire oublier sa petite faiblesse, Il n’est rien tel que le Couvent, Il n’est rien que cela n’efface : Allez, j’en connais un où je vous mènerai. Je compte fort, quand je vous en prierai, Que vous me ferez cette grâce. Oui, mon enfant.         Pour vous, Monsieur mon fils, Votre conduite en tout est très fort condamnable ; Mes remontrances, mes avis, Mon exemple enfin, rien ne vous rend raisonnable. Oui, voilà ce que je lui dis ; C’est un petit insupportable. On m’a dit que vous fréquentez Une certaine libertine. Mon père, de grâce, arrêtez : Votre discours m’outrage, m’assassine. Ce n’est pas tout encore, et vous vous promettez D’épouser un jour la coquine. Ah, Monsieur, supprimez.         Oui, c’est une Héroïne. Pour elle vous vous endettez Chez les Marchands de tous côtés. Pour soutenir son faste et sa cuisine Votre Merlin chaque jour imagine De ruineuses nouveautés. L’un l’autre vous vous excitez À faire agir machine sur machine, Vous jouez, vous vendez, vous troquez, empruntez. Plus on vous contredit, plus votre cœur s‘obstine, Chez vous le vice prend racine : Et satisfait d’être dupé, Pourvu que vous trompiez un père, Ce bien que vous deviez avoir de votre mère, Avant que d’en jouir vous l’aurez dissipé. Vraiment vous prêchez bien, mon frère. Avec respect, Monsieur, j’ai dû vous écouter ; Je l’ai fait, j’ai paru peut-être me confondre : Mais si vous permettez que je puisse répondre, Je suis prêt à le faire, et sans vous irriter. Je n’en crois rien.         Laissez-le dire. Voyons.         Premièrement, Monsieur, je ne désire Rien tant que de pouvoir un jour vous imiter : J’y trouverai pour moi beaucoup à profiter ; Et vous n’avez qu’à me prescrire Un revenu pour subsister, Quelque petit qu’il soit, je saurai m’y réduire. C’est bien dit, faisons-lui quelque donation. Allons.         Pour éviter la dissipation Que je fais, dites-vous, du bien de feue ma mère, Donnez-nous-en la jouissance entière, Je saurai m’en servir avec discrétion. Oui.         Ce n’est pas cela dont il est question. Ce coquin cherche à me déplaire, À me donner la mort au cœur. Je ne sais qui me tient…         Hé, de grâce, mon frère. Vous ne connaissez pas sa malice, ma sœur. Reprenons-les avec douceur. Hé, le moyen ? Écoutez sans réplique : Je prétends tout résolument Qu’à m’obéir l’un et l’autre s’applique : Songez-y sérieusement. Je vous fais à tous deux défense très expresse, À toi, d’aller chez ta maîtresse, À toi, de revoir ton Amant. Chez moi, chez moi.     Plaît-il ?         J’adoucis la rudesse Qui me paraît dans votre compliment. Tout, je veux bien, de peur qu’il vous ennuie, Que vous voyiez parfois certaine compagnie. Dès aujourd’hui doivent ici venir Madame Dorothée, et Monsieur Boniface, Vous aurez du plaisir à les entretenir. Quels noms ?         Je vois pourquoi vous faites la grimace. Moi ?         Oui, vous. Le Monsieur vous déplaît, et je sais À quel point vous le haïssez. Mais quelque chagrin qu’il vous fasse, Recevez-le de bonne grâce, Ou… suffit, nous verrons.         Mais, Monsieur, s’il vous plaît, Ne nous direz-vous point qu’elle est Madame Dorothée ?         Une personne aimable ; Et c’est, puisqu’il vous faut éclaircir sur ce point, Une personne raisonnable : Comme vous n’en connaissez point : Vous les verrez souvent l’un et l’autre à ma table. De vous en faire aimer faites-vous un devoir, Chacun de vous ne peut m’être agréable, Qu’en prenant soin de les bien recevoir. Songez-y bien. Allons, ma sœur.         J’y vais, mon frère. Vous entendez sa résolution, Si vous ne cherchez à lui plaire, Je vous promets ma malédiction. Adieu, mes chers enfants, c’est pour lui faire accroire. Hé bien, ma sœur, quelle est cette nouvelle histoire ? Je ne sais.         Notre père a-t-il perdu l’esprit Avec son Boniface, avec sa Dorothée ? Monsieur Boniface est quelque vieux décrépit. L’autre quelque vieille édentée. Qu’il veut nous faire épouser par dépit. De leurs noms seuls mon âme est irritée, Je frémis d’y penser.         Je vous en offre autant. Mais, que faire ?         Il faudrait pourtant Voir quel biais on pourrait prendre… Votre Finette heureusement… Est d’humeur à tout entreprendre. Sans doute.         Elle doit être ici dans un moment : Dans votre appartement, ma sœur, allons l’attendre. Oui, Madame Brichonne, et vous pouvez jugez Qu’outre le plaisir d’obliger De jeunes gens pleins de reconnaissance, Et celui de faire enrager Un vieux fou qui vient déranger Leur amoureuse intelligence, Ce qui m’a fait à ceci m’engager, C’est l’espoir d’une récompense, Qu’avecque vous en conscience Je vous jure de partager. Hé ! Fi donc, croyez-vous que l’argent me domine ? Mais enfin, dans le monde, on ne fait rien pour rien. Il faut que par l’objet l’âme se détermine, Et tous mes vœux tendent au bien. Vous aurez lieu d’être contente, Et c’est moi qui vous le promets. Je suis une pauvre innocente, Peu sensible à mes intérêts. Cela se voit, la chose est claire. Nous allons en faveur d’un fils, Que je n’ai jamais vu, que je ne connais guère, Faire un fort mauvais tour au père, Avec qui, grâce au Ciel, vous savez que je suis Comme un poisson dans la rivière ; Et chaque chose vaut son prix. Je vous réponds de cent louis. Cent louis ?         Et cela seulement pour vous taire : Vous n’aurez qu’à me laisser faire. Cent louis sont bons à gagner. Ce n’est pas avec vous que je veux barguigner : Touchez-là, charmante Finette : Vous le voulez, suffit, c’est une affaire faite, Et pour mieux berner le vieux fou, Je vais m’y mettre, jusqu’au cou. Çà, voyons.         Les bonnes personnes Que sont ces Madames Brichonnes ! Premièrement, vous devez aujourd’hui Faire venir Climène au logis.         Oui, ma fille. Monsieur Harpin croira qu’elle y viendra pour lui. S’il le croira !         C’est lui qui veut qu’elle s’habille, Comme j’ai vu, très modestement.         Oui. À déguisement elle s’est résolue Avec assez de peine, et vous êtes venue Fort à propos : j’y perdais mon latin ; Et cependant je l’avais vue, En l’entretenant ce matin, Au seul nom de Monsieur Harpin, De certaine manière émue, Qui semblait flatter mon dessein, Et marquer moins de retenue, Mais je ne me serais jamais imaginé, Qu’elle eût pour le fils le cœur passionné. Vous jugez bien que c’est ce qui l’engage À jouer sans scrupule un pareil personnage. C’est un hasard dont vous profiterez. Et vous pouvez le faire à notre vieux Satyre. Valoir tout ce que vous voudrez. Il est ici, marchez, courez Avec empressement lui dire… Je reviens avec vous tout exprès pour cela : Il faut, autant qu’on peut, profiter…         Le voilà. Dès que vous aurez fait, hâtez-vous d’aller prendre Climène, et l’amener. Moi, je vais vous attendre. Monsieur, voulez-vous bien ?         Attendez un moment : Vous voulez bien vous-même ?         Ah ! Volontiers, vraiment. Vous avez quelque chose à faire, Demeurez.         Soit. Je vais, comme je vous ai dit, Dresser moi-même cet Écrit, Et nous le ferons mettre au net chez le Notaire. Oui, je m’y rends incessamment. Adieu, mon frère.         Adieu, ma sœur, sans compliment. Hé bien, ma chère enfant, comment va notre affaire ? Le mieux du monde, et je me trompe fort, Ou ce succès vous surprendra vous-même ; Je ne comprends pas que d’abord On puisse aimer autant que Climène vous aime. Tout de bon ?         Tout de bon. C’est une passion Qui passe assurément l’imagination. Elle a topé sans peine au projet du mystère ? À ce petit déguisement ? Belle demande ! Assurément. Elle viendrait chez vous en masque pour vous plaire. Que je sens de ravissement. Mais, comment diantre est-il possible Que l’on puisse en si peu de temps Rendre à l’amour une âme si sensible ? La chose est incompréhensible, N’est-il pas vrai ?         Si tous nos jeunes gens Avaient de semblables talents, Ils en feraient je pense, un agréable usage. Pour imposer, d’abord, il faut un certain âge. Des airs mûrs.         Il est vrai, cinquante ou soixante ans, Ce sont des airs fort engageants. Plus de vingt fois sous sa fenêtre, Climène a dû me remarquer. Voilà le fait. Pourquoi ne vous pas expliquer ? J’aurais gagé que cela devait être. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle me peut connaître. Je lui faisais parfois un sourire flatteur. D’agréables minauderies, Mille petites singeries ; Elle en riait de tout son cœur : Et dans le fonds, quelquefois j’avais peur Qu’elle n’en fît des railleries : Mais je vois bien que j’étais dans l’erreur. Assurément.         Quand viendra-t-elle ? Dans un moment, je m’en vais la chercher. Un moment ! Plus je sens mon bonheur s’approcher, Plus ma flamme se renouvelle. Dépêche-toi, va, cours. Pour moi je vais dresser Certain écrit dont j’ai la tête pleine ; Afin que lorsque je verrai Climène, Rien ne puisse m’embarrasser. Que le bonhomme a l’âme émue, Et qu’un vieillard est sot quand il est amoureux ! Celui-ci compte peu sur la mauvaise issue Que nous préparons à ses feux. Allons.         Comme un secret me pèse, et me fait peine ! Ah, ah !         J’en ai l’esprit tout sens dessus dessous. Quoi ! Madame Brichonne ici ? Qui vous amène ? Mais, vous-même, qu’y faites-vous ? Qui, moi ! Parbleu, je suis chez nous. Chez vous ?         C’est le logis du père de mon maître. Ne viendriez-vous pas ici nous déceler ? Les femmes d’ordinaire aiment à babiller. Écoutez, donc, cela serait bien traître. Quoi, le fils de Monsieur Harpin ? C’est mon maître, vous dis-je.         Adieu, Monsieur Merlin. Que faisait-elle ici ? Que diantre pourrait-ce être ? Foin. Je ne devais pas la laisser en aller, Il fallait la faire parler, Et tâcher finement d’apprendre… Bonjour, Finette.         Hé bien, Merlin, notre secret ? Je le garde. Oh ! Je suis discret. Tu brûles de l’aller répandre. N’en as-tu point déjà parlé ?         Non, par ma foi, Et mon maître est encor bien plus discret que moi, Il n’a jamais voulu l’entendre. Fort bien.         J’en ai souffert, mais pourtant sans douleur, Une certaine pesanteur Que je ressentais là… Ma foi, c’est un martyre ; Et quand on aime un maître… Il ne faut point tant rire. Il est là-haut avec sa sœur, Je te permets d’aller lui dire, Et je t’ai réservé ce plaisir.         Grand merci. Il est temps à présent qu’il en soit éclairci. Ah ! C’est vous, Madame Brichonne. J’ai rencontré Madame à trente pas d’ici. Voilà ce qui s’appelle une belle personne ! Dans un si simple ajustement, Sans les secours que la parure donne, Briller avec tant d’agrément ! À vous aimer un cœur qui s’abandonne Se fait par qui vous voit excuser aisément. Je ne mérite pas un pareil compliment : Mais, Finette est galante et bonne. Le compliment doit vous lasser, Vous vous en ennuyez à force de l’entendre : Mais un moment ici, vous voulez bien attendre ? À votre vieux amant je vais vous annoncer. Envoyez-nous d’abord le jeune.         Doucement. Dans cet habit vous avez l’air charmant. Il n’est personne, assurément, Qui soit faite comme vous l’êtes. Vingt prudes comme vous, à Paris, seulement, Ruineraient bien des coquettes. Vous me faites ici jouer un personnage Qui ne me convient nullement : Mais le plaisir de voir tranquillement, Et sans qu’un père en ait ombrage, Même en sa présence, un amant Que je chéris, qui m’aime tendrement, À ce que vous voulez m’engage. J’en sortirai pourtant, je crois, mal aisément ? On ne fait pas bien la prude à mon âge. Vous moquez-vous ? Nous vivons dans un temps Où la mode en devient fréquente. Dans les saisons parmi les gens Tout se dérègle et se transplante. On voit des prudes de vingt ans, Et des coquettes de soixante. Il est vrai, j’en conviens.         Voici votre amoureux. Madame enfin… Finette est de sa connaissance ? Point, et c’est le hasard, selon toute apparence, Qui les a fait rencontrer toutes deux. Faites-moi descendre Angélique. J’y vais, Monsieur.         Est-ce vous que je vois, Madame ? Quel mortel est plus heureux que moi ? J’ai cru, Monsieur, ne pouvoir mieux me rendre Digne de toutes vos bontés, Qu’en venant en ces lieux moi-même les apprendre, Comme on m’a dit que vous le souhaitez. Ce sont mes sentiments qu’on vous a fait entendre ; Et si mes vœux sont par vous écoutés, Je puis offrir à vos beautés, Avec un cœur sincère et tendre, Un hommage des mieux rentés. Un pareil compliment me rend toute interdite ; Croyez, Monsieur, que ce n’est pas le bien Qui rend sensible un cœur comme le mien, Je le donne tout au mérite. Il est à moi sur mon honneur, Et je n’ai là-dessus aucune défiance. Je regarde votre alliance Comme le plus parfait bonheur… Ouf, n’en dites pas trop, mignonne, D’un excès de plaisir vous me gonflez le cœur, Je palpite, je meurs. Ah, Madame Brichonne, Des discours de cette friponne Sens-tu bien toute la douceur ? Elle me lance un regard louche. Dame, écoutez, Monsieur, il est joli D’entendre d’une belle bouche Un discours obligeant, poli… Amoureux ? C’est là ce qui touche, Ç’a de tous temps été mon faible que l’amour. C’est un faible bien excusable. Oui, quand on aime une personne aimable, Et qui ressent pour nous même ardeur à son tour : J’ai là-dessus une délicatesse, Un goût si raffiné, j’y prime, j’y suis Grec. Tant mieux. Madame sent pour vous une tendresse Qu’accompagne un certain respect… Bon, c’est le moyen de me plaire, Et de vivre longtemps ensemble sans chagrin. J’envisage Monsieur Harpin, Moins comme époux que comme père. Cette distinction n’est pas fort nécessaire. Madame m’a fait espérer L’honneur de saluer votre charmante fille, Je souffre à le voir différer. Vous verrez toute la famille. On dit que Monsieur a le plus joli garçon… Monsieur aurait un fils ?         Oui : mais c’est un fripon. Dont je me déferai, pour peu qu’il vous chagrine. Lui ; Monsieur ? Au contraire. Hélas ! Sans l’avoir vu, Déjà pour lui mon cœur se détermine. Nous nous en déferons, car je l’ai résolu. Il est heureusement depuis peu devenu Amoureux d’une libertine. Madame ?     Une perdue.     Ah, juste Ciel !         Tout doux. Il en est fou.         La fureur me domine. Hé, paix.     Clitandre en aime une autre.         Hé, non, c’est vous. C’est moi ?     Que dites-vous, Madame ?         Elle vous trouve Bien à plaindre d’avoir un fils si libertin. Quel désordre ?         Oh, je veux que tout le monde approuve Ce que je vais tenter pour y mettre une fin. Je prends de si bonnes mesures… Je tremble.     Hé, paix.     Quel père !         Encor ? Paix, vous dit-on. Elles vont lentement : mais elles sont bien sûres. Il perdra ce pauvre garçon. Quel est le trouble où je vous vois paraître ? On prend part à votre souci. Quelle bonté !         Non, cela ne peut être, Merlin.     Vous en serez aisément éclairci.     Quoi, mon père…         Paix le voici. C’est ce beau fils. Venez, l’homme à bonne fortune. Que vois-je ? Ô Ciel !         Climène ici ? Approchez, et comptez que pour vous c’en est une De saluer cette personne-là. Mon père !         Qu’est-ce ? Hé bien, mon père ! Vous voilà Une contenance agitée. Chose étrange ! De voir contre les gens d’honneur Comme d’abord son âme est révoltée ! Allons donc, saluez Madame Dorothée. Madame Dorothée !         Il se moque, Monsieur, C’est Climène, vous dis-je, ou je me donne au diable. À quel dessein…     Ce l’est.         Paix, tais-toi, misérable. Voyez comme il résiste à tout ce que je veux ; Quel chagrin ! Quelle répugnance ! Sans savoir à qui dans ces lieux On doit votre aimable présence, Madame, d’en jouir on se tient fort heureux. Ah, que mal aisément son dépit se déguise ! Monsieur, je ne suis point surprise Du trouble qui vous a si longtemps retenu, Il n’est rien qui ne l’autorise : Trouver dans ce logis un visage inconnu… Non, c’est un insolent, je l’avais prévenu, Un mauvais cœur.         Monsieur peut-être a dans l’idée Que vous pourriez quelque matin… Oui, c’est cela.     Tais-toi.         La crainte est mal fondée, Monsieur, ce n’est pas mon dessein De rien faire qui pût vous donner du chagrin, De tout autre désir mon âme est possédée ; Et dans mes vœux, si je suis secondée, Vous pouvez être sûr du plus heureux destin. Madame !         Entendez-vous ? Ne soyez pas si bête Que de vous mettre dans la tête Des choses qui ne seront point. Elles seront bientôt, mignonne.         C’est un point Déjà réglé : mais on m’a fait entendre Qu’il fallait quelque temps tenir nos feux cachés. Ils seront vifs, quoiqu’ils soient sous la cendre. Voici Mademoiselle Angélique.         Approchez. Voilà, ma sœur, Madame Dorothée, Dont mon père tantôt nous a dit tant de bien. Nul mérite, je crois, n’est comparable au sien, Mon père ne l’a point flattée. Je dois un si doux compliment À notre première entrevue : Je crains, quand vous m’aurez connue, Que vous ne jugiez pas si favorablement ; Et je vais m’attacher, Madame, uniquement À mériter qu’un pareil sentiment, Tant que je vivrai, continue. Je suis ravi de mon côté De tant de cordialité : Allons, mes enfants, qu’on s’embrasse, Et qu’on s’apprête à recevoir Avec même agrément ce Monsieur Boniface, Qui doit aussi nous venir voir. Lui, mon père ?     Oui.     Fort bien.         Vous voyez qu’elle enrage. Nous verrons.         C’est sans doute, un joli personnage. Qu’est-ce ?         Un grand Monsieur noir qui demande à parler À Mademoiselle Finette. C’est notre homme.         Qu’il entre, il le faut installer. Ah, Ciel !         Tenez, Monsieur, son petit cœur projette En secret de se rebeller. Nous allons voir.         Au moins, suivez sans vous troubler, La leçon que je vous ai faite. À vos ordres, Monsieur, je me rends en ces lieux, Et j’attendais avec impatience L’heureux moment d’y paraître à vos yeux. On y souhaite aussi beaucoup votre présence. Préparez-vous.         Comme le voilà fait ! Vous n’y songez donc pas ?         Allons, Mademoiselle, Saluez Monsieur.         Qu’il est laid Dans cet habit, Finette !     Hé, paix.         Quoi ? Que dit-elle ? Rien, mon père.         Hem, plaît-il ? Quels airs impertinents, Devant moi rire au nez des gens ? Pardon, Monsieur. Mille excuses, ma belle ! De cet accueil, Monsieur, je ne suis point surpris, Et je connais qu’en vain je m’efforce de plaire ; Mademoiselle croit pouvoir par ses mépris Me rebuter mieux que par sa colère : Mais l’ardeur dont je suis épris, N’est point une flamme vulgaire. On se lasse d’être soumis Lorsque l’on a l’aveu d’un père, Et vous m’avez tantôt promis Que de mes feux j’obtiendrais le salaire. Oui, je prétends…         Hé bien, d’un espoir décevant Puisque votre ardeur s’est flattée, Soyez sûr que pour vous ma haine est augmentée. Je vous méprise plus cent fois qu’auparavant : Contre vous je suis irritée À tel excès, que ne pouvant Suivre en tout la fureur dont je suis agitée, Je ferai bien connaître qu’assez souvent Une fille persécutée… Bon, la voilà qui prend le parti du Couvent. Hé, ma sœur ?         Laissez-moi, mon frère, Je suis dans un tel désespoir… Hé bien, c’est ce qu’il faudra voir. J’ai tort de m’emporter devant vous. Mais, mon père… Madame votre belle-sœur Vous attend chez votre Notaire. J’y vais. Une pressante affaire Me fait quitter la charmante douceur D’être avec vous : mais, Madame, j’espère Recouvrer bientôt ce bonheur. Pour moi, Monsieur, j’ai le sort si contraire Que je vais…         Demeurez, Monsieur, sur mon honneur Nous la réduirons, laissez faire. J’aime assez ces airs de hauteur ! Que l’on songe à me satisfaire. Il n’est rien que je ne préfère Au cruel sort…         Vous serez son époux : Point d’autre choix, ou le Couvent, ou vous. Adieu, mes enfants.         Le bon père ! Est-il parti ?         Oui, fort heureusement. Ma sœur, voilà l’objet charmant Qui m’inspire une ardeur si pure et si sincère. Mon frère voilà cet Amant Qu’on me défend de voir, Valère. Comment donc, quel est ce mystère ? Pourquoi ce faux emportement ? Vous saurez le nœud de l’affaire : Mais travaillons au dénouement. Ma chère sœur, tu n’es pas maladroite ? Je suis les conseils de Finette. Il faut les suivre jusqu’au bout, Et moyennant cela, je vous réponds de tout. Approchez, Madame Brichonne. Premièrement, Monsieur, je vous ordonne À cette femme-là, d’assurer cent louis. Cent louis ?         Je les ai promis. C’est par notre commune adresse Que vous voyez ici votre Maîtresse ; Et par nos soins réitérés Aujourd’hui vous l’épouserez. J’exécuterai ta promesse Avec plaisir, et je prétends… Allons, ne perdons point de temps. Tu peux, Finette, à ma reconnaissance Prescrire telle récompense… J’agis désintéressement. Madame, quel étonnement ! Quel bonheur !         Faites trêve à toutes vos surprises. Allons ensemble au jardin faire un tour ; Et là, vous vous direz les plus tendres sottises Que pourra vous fournir l’amour. A-t-on rendu notre billet À la tante chez le Notaire. Oui, mon enfant, bientôt nous en verrons l’effet. Mais l’a-t-on donné de manière… Je vois le souci qui te tient ; Tranquillise-toi. Je t’assure Qu’on ne peut deviner de quelle part il vient. Le moyen ? Outre l’écriture Difficile à connaître, il est sans signature. Je suis persuadé de ta précaution : Pour ton âge déjà tu n’es pas maladroite. Mais trouves-tu que je promette… Oui, beaucoup de malice.     Hem !         Sans prévention. Nos projets sont réglés. Adieu. Que chez sa tante Ton maître avec Valère ait soin de se trouver ; Je veux qu’à leurs désirs elle-même consente, Et qu’elle contribue à nous faire achever Tout ce qu’en leur faveur je tente. Ils s’y rendront. Adieu.         Oh çà, Finette, avant Que de témoigner à mon père Ce dessein d’aller au Couvent, Instruis-moi bien de tout ce qu’il faut faire. Je suis si timide à parler, Surtout quand il faut que je mente, Si novice à dissimuler. En peu de temps l’amour rend bien savante. Dis-moi comment ?         C’est pour vous divertir : Être fille amoureuse, et demander à d’autres Des instructions pour mentir ! Hé, fi donc, j’en prendrais des vôtres. Tu crois, Finette…         Allez dans votre appartement Un seul moment rêver à cette affaire, Et cela vous viendra tout naturellement. Laissez-moi, voici justement Votre tante avec votre père. Il n’était pas fort nécessaire De m’accompagner jusqu’ici. Taisez-vous, ou cessez de me parler ainsi. Non, jour de Dieu, je ne veux pas me taire. Bon ! Serait-ce déjà que le billet opère ? Pour vous de mon estime et de mon amitié Je rabats plus de la moitié. Oui, j’ai grand tort !         Cette aventure Sur quelque autre incident déssllera mes yeux ; Et je mettrai soin, je vous jure, À vous connaître encore dans la suite un peu mieux. Pour cela quels soins faut-il prendre ? Je suis uniquement sensible à l’intérêt, Un chicaneur qui voulait vous surprendre, Un fourbe, un scélérat.         C’est ce qui me paraît. Ce début n’est pas mal. Bon. Qu’avez-vous, Madame ? Il paraît entre vous quelque altercation, Qui de tous deux agite l’âme. Oui, d’accord, je ressens un peu d’émotion. Que serait-ce, Monsieur ?         Rien. C’est Madame Argante Qui me dit poliment que je suis un fripon. Un fripon ! Madame est assez pénétrante Pour… Je vous demande pardon, Se pourrait-il, Madame…         Je n’ai garde De me servir ainsi de termes offensants. Vous auriez tort.         Mais, si je me hasarde À signer jamais rien avec certaines gens. Comment ?         Monsieur me voulait faire, Et tout cela, dit-il, à bonne intention, Aveuglément signer chez son Notaire, Au lieu d’un testament, une donation. Ah, Monsieur !         La chose est cruelle, Ma belle-sœur, en vérité, En me cherchant ainsi querelle, Vous me réduisez à la nécessité De défendre l’intégrité D’une conduite en tout tout à fait naturelle, Que le seul changement de votre volonté Vous fait paraître criminelle. S’il est ainsi vous avez tort ; Pourquoi ne vouloir pas toujours la même chose ? Je ne veux point donner mon bien avant ma mort, Monsieur avait dans l’acte inséré cette clause. C’est un vice de Clerc dont je ne suis pas cause, Et ce n’est pas de quoi vous gendarmer si fort. S’emparer de mon bien ! Vraiment je vous admire. Vous en ai-je jamais parlé ? Vous le faisiez sans m’en rien dire. De mon vivant c’était un fait réglé. La bonté de Monsieur ne vous est pas connue, Toues les fois qu’il m’a de vous entretenue, Il n’a jamais parlé que de succession ; En conscience, il n’a point d’autre vue. C’est son unique passion. Il n’en jouira pas encor sitôt, je pense. Je fais des vœux, ma sœur, pour n’en jouir jamais. Ces vœux-là seront satisfaits. Nous vous en donnerons fort volontiers quittance. Monsieur a-t-il besoin de tant de bien ? Voilà Mademoiselle Angélique déjà Qui prétend renoncer au monde. Ma nièce ! Que nous dis-tu là ? Je vous dis le dessein qu’elle a, Sur l’espoir du Couvent tout son bonheur se fonde. Est-elle bien, dis-moi, résolue à cela ? À ses projets pour peu que la suite réponde, Nous ne la verrons plus désormais qu’au Parloir. Ma pauvre nièce ! Oh bien moi de tout mon pouvoir, À ce dessein-là je m’oppose. Ah, ma sœur, selon son vouloir, Souffrons que le Ciel en dispose, N’y mettez point d’obstacle.         Il faudra voir. Quand je devrais en être au désespoir. C’est moi, Monsieur, qui vais être la cause Des déplaisirs que vous allez avoir, J’en ai l’âme si tourmentée… Est-elle encore avec Madame Dorothée ? Non pas, Monsieur, tout le monde est sorti : Et contre ce Monsieur Boniface animée, Du Couvent tout d’abord elle a pris le parti, Puis seule dans sa chambre elle s’est enfermée. Allez la voir, ma sœur.         Non, Monsieur, allez-y, Je saurai de ma part fort bien lui faire entendre… Chut.         Laissez-là, je vais par mes raisons Diminuer les faux soupçons, Qui contre vous elle a pu prendre. Oui, c’est bien dit, prend soin d’adoucir son chagrin, Elle n’est pas difficile à se rendre. Adieu, ma sœur.         Adieu, Monsieur Harpin. Mais sérieusement, vous me semblez fâchée. Qui ne le serait pas ? On ne peut concevoir À quel excès je suis touchée. Quoi donc, Madame ?         Il faut savoir. Soupçonnez-vous quelque autre chose encore ? Je veux tout éclaircir avant que d’en parler : Mais pour toi je ne puis te rien dissimuler, Cet homme-là nous déshonore. Lui, Madame ?     Oui, lui.         Vous me faites trembler, Et comment donc ?         Tiens, lis, voilà, ma fille, Un billet qu’on me vient de rendre en ce moment. Un billet ?         Lis, te dis-je. Il vient apparemment De quelque ami de la famille. Avec Monsieur votre beau-frère, Madame, gardez-vous de vous trop engager, Vous le devez envisager Comme un ennemi de la famille entière. Son but est d’enfermer son fils, De mettre incessamment sa fille dans un Cloître, De s’emparer, à quelque prix Qu’il en coûte, du bien qu’il pourra vous connaître. Je ne sais point s’il n’a pas épousé Une fort aimable personne, Qui va chez lui sous un nom supposé. Profitez des avis que mon zèle vous donne. Vous saurez qui je suis, Madame, en temps et lieu. Je vous baise les mains de tout mon cœur. Adieu Que dis-tu de cela, Finette ?         Dans le monde Il est ma foi de bien méchantes gens. Au contraire, vraiment.         Que la malice abonde, Et que je trouve moi, de noirceur là-dedans ! J’y vois beaucoup de vraisemblance, Il ne m’a jamais bien parlé de ses enfants. Pour la donation je manquerais de sens, Si je n’en sentais pas toute la conséquence. Avec cela pourtant j’étais sans défiance, Et ce billet, Finette, est venu fort à temps. Quel bonheur !     Bouche close, au moins.         Je me sais taire. Cet avis-là me vient de gens de probité. Oui, dans le fond c’est un bon caractère : Mais avant tout cela j’ai bien meilleur esprit, En cent ans moi, je n’en aurais rien dit. Tu sais bien la chose, Finette. Oui. Ce billet contient un fidèle récit, Tout est fort vrai : mais je regrette Que l’on vous l’ait imprudemment écrit. Imprudemment ? Ce billet est fort sage. D’accord : mais mettre ainsi de la division ? Voilà dans votre esprit, je gage, Monsieur Harpin perdu de réputation. Assurément.         Pauvre homme ! Il le mérite bien. À compter d’aujourd’hui, Vous ne prendrez jamais de confiance en lui ? Non, jamais.         Vous avez raison, et voilà comme Si j’étais vous j’en userais, Mais avec cela je voudrais Approfondir encor l’affaire davantage : Par exemple, voilà votre nièce ; elle enrage, Entre nous, d’aller au Couvent. C’est un petit esprit qui tourne au moindre vent, Et je n’irais pas moi, si j’étais à sa place. Voulez-vous qu’elle épouse un Monsieur Boniface ? J’en ai ouï parler.         Un vilain, Dont le mauvais Monsieur Harpin, À chaque moment la menace ? Fort bien, j’entends. De son dessein La crainte d’épouser ce Boniface est cause. Voilà le fait.         Oh bien, je suis ferme en ce point, Dans le Couvent ma nièce n’ira point. Si vous vouliez nous ferions une chose ; Elle feindrait toujours qu’elle y voudrait aller, Vous, vous vous chargeriez du soin de la conduire ; Monsieur Harpin, sans reculer Ne manquera pas de souscrire, Et vous la conduirez chez vous dans ce moment, Où pendant quelques jours…         Très volontiers, vraiment, Ce projet est fort bon, c’est le Ciel qui t’inspire. Je ne perds pas le jugement. Et par même moyen, Finette, on pourrait faire Venir aussi chez moi cet autre Amant. Qui ?         Certain grand garçon qu’elle appelle Valère. Vous le savez ?     Un peu.         Hé bien, oui, justement. Je veux en tout faire enrager mon frère. Il verra…         Paix, le voici, taisons-nous. Mais es-tu bien déterminée, Ma fille ? N’est-ce point un transport de courroux, Un désespoir, un mouvement jaloux ? Pour le Couvent sens-tu que tu sois née ? Oui, mon père.         Quoi, c’est un ferme sentiment ? À me quitter tu n’auras point de peine ? Elle a pris tout le monde en haine. Et sans retour, sans nul espoir de changement ? Allez, vous faites bien ma nièce. Ma chère sœur que je suis malheureux ! Mes enfants n’ont pour moi pas la moindre tendresse. Ils ont tort ; car au fond vous en avez pour eux. Ah, si j’en ai ! Je les adore. Quel désespoir quand il faudra Nous séparer !     Il en mourra. Ah ! Madame, Monsieur ne sent pas bien encore Tous les chagrins que cela lui fera. Vous verrez.         Vous m’avez fait espérer, ma tante… J’ai proposé la chose, et vous serez contente. Oui, j’ai pour vous, ma nièce, un Couvent tout trouvé, Dont la directrice est d’un mérite éprouvé ? Je vous y mènerai moi-même. Dès aujourd’hui, ma sœur, elle y prétend aller. Hé bien, dès aujourd’hui ; vous n’avez qu’à parler. Cela me fait une douleur extrême. On tâchera de vous en consoler. C’est une bonne enfant que j’aime, Et quand je sens, ma sœur, approcher le moment… Le bon naturel !         Oui, vraiment. Vous ne l’auriez pas cru, Madame ? Je sens par tout le corps certain frissonnement, Je n’en puis plus.         Ni moi, cela me perce l’âme. Ma chère fille !         Ah, ah ! Qu’est-ce que tout ceci ? Voilà Monsieur Harpin bien affligé, Finette ! Ah, mon pauvre garçon ! L’amour de la retraite Va causer bien du trouble ici. Ouais !         Courage, Monsieur, que le cœur se débonde. Que je sache donc ce que c’est. Ne le vois-tu pas ? Dans le monde Mademoiselle se déplaît, Au Couvent pour toujours elle veut s’aller mettre. Tout de bon !     Oui, tout de bon.         Diablezot, Je n’en crois rien, je ne suis pas si sot. Quoi ! Monsieur pourrait le permettre ? Ne me fais point penser à tout cela, Merlin. Et vous pourriez, Mademoiselle, À votre père ainsi mettre la mort au sein ? La réflexion est fort belle. Allons, suspendez-en tout au moins le dessein. À la dissuader nous travaillons en vain, Et mon trouble se renouvelle. Ne faites donc pas voir, Monsieur, tant de chagrin. À vos douleurs, mon père, imposez le silence, Elles ébranlent ma constance. Ne t’en étonne point, crois-moi, ma chère enfant. Mon cœur avec regret contre elles se défend. Ah ! Ne te démens point, je succombe. Hé, de grâce ! Je ne puis plus longtemps soutenir tout cela. Ma chère sœur, emmenez-la ; Et pour m’aider à porter ma disgrâce Venez me dire…         Oui, je ne tarderai pas, Et je reviendrai sur mes pas Tout aussitôt que je l’aurai conduite. Çà, ma nièce, embrassez votre père au plus vite. Cruel moment ! Quoi ! Faut-il la quitter ? Je pleure, au moins.         Leur constance m’étonne. Ce qui pour toi me reste à souhaiter, Mon enfant, que le Ciel te donne Le courage de persister. Je ne sais comme il faut l’entendre : Mais enfin je vous jure moi, Que je pleure de bonne foi. Ce garçon-là, Monsieur, a le cœur tendre. La laisser partir sans…         Oh, Monsieur est trop bon. Ses enfants font toujours ce qu’ils veulent faire. Oui, je ne les contrains en rien.         Pour cela, non Vous êtes bien le meilleur père… Moi-même, je ne puis m’en taire, Et mon maître ?         C’est un fripon. Il est vrai, vous avez raison. J’avais tantôt peine à vous croire, Je prenais son parti : mais il m’a fait faux bond. À toi, Merlin ?         À moi : fi, c’est un vagabond, Un débauché, l’on doit m’apprendre son histoire. Son histoire ?     Oui, Monsieur.         Comment ce n’est pas toi Qui conduis avec lui cette intrigue ?         Qui ? Moi ? Oh, non, Monsieur en conscience. Vous n’êtes pas tous deux d’intelligence. Vous me faites tort, par ma foi. À de pareilles entreprises Je n’ai jamais donné mes soins, ni mon aveu, Et s’il me consultait un peu, Il ferait bien moins de sottises. Pour m’en persuader il faut que tu me dises… Laissez-moi faire, allez, nous allons voir beau jeu. Premièrement…     Hé bien ?         Avec cette coquette Votre fils va se marier. Se marier avec elle, Finette ? On ne peut trop se récrier. En es-tu sûr ?         L’affaire est presque faite. Se marier sans mon consentement ? Et sans le mien, Monsieur ; c’est un dérèglement, Une perversité qui comble la mesure. Menace, remontrance, avis, Rien ne peut réformer sa perverse nature ; C’est un garçon perdu.         Çà, dis-moi le logis, Le nom de cette créature. Ce que j’en sais encor n’est que par conjecture. Non !         Mais heureusement à leurs trousses j’ai mis Trois ou quatre de mes amis Dont ils ne prendront point d’ombrage. C’est par ces Messieurs-là que j’ai su le projet De ce bizarre mariage. Ils nous avertiront sitôt qu’il sera fait. Je ne prétends point qu’il se fasse. Oh, vous prétendez mal, Monsieur, il se fera. Je sais bien qui l’empêchera. Qui ? Vous ?     Moi-même.         Non, il faut que cela passe. C’est pour votre intérêt, une nécessité. Pour mon intérêt ?         Oui, ne voulez-vous pas mettre La raison de votre côté ? Sans doute.         Pour cela, pouvez-vous vous promettre Rien de mieux qu’un hymen en secret contracté ? Il est vrai, c’est bien dit.         Monsieur, sans vanité, Je suis un garçon qui peut-être Ai le plus de sincérité. Elle se fait assez paraître, Et je crois, moi, qu’on peut en toute sûreté Confier cette affaire à sa fidélité. Je m’instruirai du jour et du lieu de la noce, Et sans qu’on nous ait priés Nous irons ensemble en carrosse Complimenter les nouveaux mariés. Le compliment sera bizarre. Où les mèneront-nous d’abord ?         À Saint-Lazare. Oui, mon maître ? Que j’en rirai ! Il faut en avertir ma belle-sœur, Finette. Oui, Monsieur, je l’avertirai Que bientôt, Dieu merci, nous ferons maison nette. Je vais de mon côté suivre aussi d’un peu loin, Sans affectation, le courant de l’affaire ; Et je prendrai pour guide et pour témoin, Mon gros cousin le Commissaire, Que je ferai tenir prêt, en cas de besoin. Par cette fausse confidence Que prétends-tu ?         Je te le dirai. Viens. Ne va pas nous jeter dans quelque impertinence. Non, tu rendras bientôt justice à ma prudence, Et mon projet n’est qu’un moyen Pour hâter le succès du tien. Vous êtes, grâce à votre heureux destin, Un fort honnête Commissaire, Le parrain de ma fille, et partant mon compère, Et par-dessus tout cela mon cousin : Aussi, mon cher Monsieur Vilain, Je ne crois pas me tromper quand j’espère Que vous seconderez comme il faut mon dessein. Vous faites en très brave père, De ranger un fils libertin ; De ses vie et mœurs il faut faire, D’abord quelque information, Et c’est une précaution, Qu’en pareil cas nous prenons d’ordinaire ; Pourrions-nous là-dessus avoir quelque lumière… J’en attends : mais en attendant Vous pouvez informer toujours à la rencontre, Imaginer quelque incident. Comment, je n’entends pas…         Quoi ? Faut-il qu’on vous montre À votre âge, ancien de quartier, Les dépendances du métier ? D’un nouveau débarqué vous avez l’innocence. N’attendez rien de moi contre ma conscience. Mais recevez toujours ma plainte à cela près. Pour rendre de mon fils la conduite bien noire, Par-ci, par-là de quelques traits Il faut assaisonner l’histoire, Embarrasser d’un long grimoire Ses nobles gestes, ses beaux faits : Quoi que vous écriviez, j’ai des gens qu’on peut croire, Qui les certifieront très vrais. Ce n’est pas tout, il faut les prouver dans la suite. Prenez bien garde.         Oui, nous verrons Selon l’occasion quel tour nous donnerons À notre affaire, et je médite… Monsieur, je viens vous rendre une triste visite : Mais je croirais faire un faux pas Si je vous taisais…         Parle bas, Serais-je mal dans l’esprit de Climène ? Non. Là-dessus ne soyez pas en peine : Elle vous aime, allez… Bonjour, Monsieur Vilain. Bonjour, Madame.         Ah ! Ah ! Tu connais mon cousin ? N’avons-nous pas toujours affaire De quelque honnête Commissaire ? Nous payons ces Messieurs fort grassement aussi. Je voudrais bien, Monsieur, qu’il ne fût point ici. Vous avez quelque affaire, adieu, je me retire. Non, mon cousin ; dans mon grand cabinet Vous pouvez aisément écrire : Il est ouvert, allez-y dresser un projet De notre affaire, en guise de prélude… Je serai là-haut en effet Aussi bien que dans mon Étude. Soit, sans adieu.         Je suis fort inquiet De ce que tu me viens si tristement apprendre. Et moi, Monsieur, je viens vous le dire à regret : Mais je vous aime trop pour pouvoir m’en défendre. Monsieur votre fils est dans un fort mauvais train. Bon. En rendras-tu témoignage ? De ton zèle pour moi je veux avoir ce gage. Vous devez en être certain : Mais, Monsieur…     Je le veux, te dis-je.         Ce langage M’apprend que contre lui vous avez du chagrin. J’en crève.         Il ne faut pas l’augmenter davantage. Il est dans un excès qui ne peut s’augmenter. Oh, pour cela, Monsieur, vous êtes bien à plaindre ? Oui, je n’y puis plus résister : Mais, dis vite.         Je vais encor vous irriter. Non, cela ne se peut, et tu n’as rien à craindre. Qu’a-t-il fait ? Parle.         Enfin, vous le voulez… On parle de bijoux volés. Comment volés ? Le misérable ! Deux ou trois jeunes gens là-dedans sont mêlés, On le nomme, et je crois qu’il est très peu capable, Comme il est votre fils, de faire un mauvais coup. Très peu capable ? Il l’est beaucoup. Je suis si mécontent de toute ma famille. Déjà le Couvent par bonheur M’a débarrassé d’une fille ; Et je mettrai le fils, sur mon honneur, En lieu plus déplaisant et plus sûr qu’une grille. Si vous saviez tous les mauvais discours Qu’il a tenus tantôt en votre absence. À Climène ?     À qui donc ?         Mais voyez l’insolence ! Il la raillait sur vos amours. En soupçonne-t-il quelque chose ? Non. Mais un jeune fou, qui cause Sans savoir ce qu’il dit, parle à tort, à travers. Il en faisait aussi l’amoureux.         Le pervers ! Malgré qu’elle en ait eu, chez elle il l’a conduite/ Mais moi je suis toujours demeurée avec eux. Bon, fort bien.         Il a fait une longue visite. Le sot !         Il a tenu des propos ennuyeux. Enfin, il est sorti, je suis aussi sortie, Et j’ai rencontré par hasard Deux messieurs qui m’ont avertie Du bruit de ces bijoux, dont je vous ai fait part. Songez-y bien, Monsieur, l’affaire est d’importance. Oui, va.         Moi, je retourne avecque diligence Chez Climène.         Tu peux lui dire que ce soir Je risquerai d’aller chez elle pour la voir. Oui, Monsieur.         Adieu. Tout conspire À justifier mon dessein ; Et pour me mettre en droit d’enfermer le coquin, L’article seul des bijoux peut suffire. Qu’est-ce ?         Merlin, Monsieur, vient de m’envoyer dire Qu’il savait à peu près l’endroit Où cette galante personne, Qu’aime Monsieur votre fils, demeurait. Fort bien. J’irai tantôt relancer la friponne. Il m’a fait avertir de vous instruire aussi Qu’elle-même aujourd’hui viendrait peut-être ici. Chez moi ?         Pour vous sauver la peine D’aller chez elle, elle voudrait, Et sous tel nom qu’il vous plairait, Venir chez vous comme Climène. Quoi ?         C’est votre maîtresse, à ce que chacun croit ; Et Monsieur votre fils prétend qu’il est en droit De faire à la maison venir aussi la sienne. Hé bien, nous verrons ; qu’elle y vienne, On la recevra comme on doit. S’il faut prendre parti, Monsieur, je suis du vôtre ; Et lorsque je m’en veux mêler, Sans trop de vanité, je vaux autant qu’un autre, Comptez sur moi, vous n’avez qu’à parler. Je te suis obligé, Finette. Enfin voilà l’affaire faite, Je viens d’exécuter votre commission. Que cette pauvre fille a de vocation ! Qu’elle se plaît dans la retraite ! Ah ! Ma sœur, nulle joie ici-bas n’est parfaite ; Et quand j’ai d’un côté la consolation De voir ma fille au Couvent satisfaite, La conduite d’un fils me jette Dans une grande affliction. Tenez, voyons, Monsieur Harpin, de grâce, Si ce projet vous conviendra. Qu’est-ce, mon frère ?         On vous en instruira. C’est tout ce que l’honneur peut souffrir que je fasse. Fort bien. Vous avez mis…         Que c’est un ébauché. À la tendresse paternelle Un esprit tout à fait rebelle, Que d’amitié cent fois vous avez recherché : Un insulteur du guet, un coureur de tavernes, Toujours à quelque gueuse en secret attaché, Batteur de Fiacre, et briseur de lanternes. Pas mal.         Ce sont les faits desquels vous vous plaignez ? C’est mon neveu qu’ainsi vous désignez ? Oui, ma sœur.         À présent je vois ce que vous faites, Et je l’ai reconnu d’abord aux épithètes ; Ce sera fort bien fait de le morigéner. Dans le dérèglement puisqu’on voit qu’il persiste, Qu’à mes conseils, aux vôtres il résiste, A la vertu par force il faut le ramener. C’est un dessein qu’on ne peut condamner. Vous ne croiriez jamais ce que je viens d’apprendre. Quoi ?         Qu’ailleurs qu’entre nous, il n’en soit point parlé. Non, non.         L’on est à demi consolé Lorsque entre amis le cœur peut se répandre. Oui, c’est bien dit.         Le fait va vous surprendre : Dans un vol de bijoux on dit qu’il est mêlé. Lui, mon frère ?         Oui, lui-même, on me l’a fait entendre. Avecque des voleurs mon neveu faufilé ! Ceux qui l’ont dit sont gens à pendre, Et pour les croire il faut avoir l’esprit troublé. Voici Merlin qu’en hâte ici je vous amène Pour vous dire, Monsieur…         Qu’il vienne, Peut-être saura-t-il le fait dont il s’agit ; Nous allons voir.         J’accours, comme je vous ai dit, Et sans m’être en chemin permis la moindre pause, Vous avertir…         Fort bien. Mais avant toute chose, N’as-tu point ouï parler de certains diamants ? Fi donc, Monsieur.     Non, parle.         Bouche close. Il faut avoir certains ménagements… C’est un vilain endroit, souffrez que je le cache. Vous voyez bien… mais, dis, je veux qu’on sache De mon fripon de fils tous les égarements. À vous les déguiser vous savez si je tâche : Mais je crains que ceci vous fâche. Il sait la chose.         Oui, je la sais très fort. Est-ce vol, dis ?         Un vol ? On le dirait à tort, Et très mal à propos vous seriez alarmée : Mais comme enfin le feu ne va point sans fumée… Au fait, au fait.         J’y vais. Mais sur ces diamants J’obéis à regret à vos commandements. De son Usurier ordinaire Mon maître les a pris pour six fois mille écus, Et le bourreau ne les a revendus Que deux mille à Monsieur son père. À vous, mon frère ?     À moi ?         Nous le nierions en vain, Vous en avez la preuve en main. Je ne sais.         Vous avez la mémoire trop bonne, Et tantôt Madame Brichonne… Je suis trahi.         Monsieur Harpin ! Ciel !         Écrivez, monsieur Vilain. Vous faites-là, Monsieur, un fort joli négoce. Si vous voulez, Monsieur, nous irons à la noce. Tout se dispose pour cela, Et mon maître s’apprête incessamment…         Voilà Avec Monsieur votre fils, une Dame. Qu’on les fasse entrer.         Le fripon ! Au bout du compte, il a quelque raison. Avant la noce, au moins, vous devez voir sa femme. Je vais la recevoir d’une belle façon. Comment, pendard, dans ma maison Oses-tu bien venir avec cette effrontée Étaler à mes yeux tes indignes amours ? Tu reconnais par tes beaux tours L’amitié que je t’ai portée ! De vos bontés pour moi je connais la portée, Et je m’en souviendrai toujours, Modérez les transports de votre âme irritée. Vous changerez, Monsieur, d’idée et de discours, Quand vous verrez Madame Dorothée Elle-même à vos yeux me prêter son secours, Pour vous faire souscrire au bonheur de mes jours. De cet espoir mon ardeur s’est flattée. Et de cet espoir, moi, je vais rompre le cours. Non, Monsieur, je m’en suis trop hautement vantée, Et je n’y ferai pas un inutile effort. Que vois-je ? Ah ! Tout le monde est contre moi.         D’accord. J’adore Madame, elle m’aime. Pour notre hymen donnez-nous votre voix, Vous ne pouvez pour moi désapprouver un choix Que vous aviez fait pour vous-même. Ah, ah ! Mon frère.         Mon cousin ? Ouf.         Écrivez, Monsieur Vilain. Dans les derniers excès on pousse ma colère : Mais vous n’aurez jamais un seul sou de mon bien. Le grand mal ! Ils auront le mien. Rendez-nous seulement celui de feue leur mère, Et nous ne vous demandons rien. Vous êtes de concert avec eux.         Oui, mon frère. Nous allons voir comment tout ceci tournera. Je vais de ce pas à la grille Malgré vous en tirer ma fille, Lui donner un époux tout comme elle voudra, Et me faire une autre famille. Vous n’irez pas bien loin, Monsieur, car la voilà. Comment donc ? Qu’est-ce encor ? Que veut dire cela ? Mon retour ne doit point vous causer de surprises, Vous revoyez une fille soumise À suivre aveuglément vos lois. Entre Monsieur et le Couvent, mon père, Vous m’avez commandé tantôt de faire un choix, Et c’est Monsieur que je préfère. De sa haine, Monsieur, enfin, j’ai triomphé. Le Monsieur Boniface est un fourbe fieffé. Non, Monsieur, mais je suis Valère. Je suis trompé partout, et tout me désespère, Contre tous tant qu’ils sont mon courroux va s’armer. Monsieur Harpin, c’est vous qu’il faut faire enfermer. À Dieu.         Jusqu’au revoir, mon frère. Grâces au Ciel, mes enfants, l’injuste traitement Qu’il avait dessein de vous faire Tombe sur lui très justement. De cet exemple-ci faites un bon usage, Profitez de sa honte, et de son châtiment. Quiconque veut prêcher aux autres d’être sage, Doit commencer par vivre sagement.