Je ne puis plus souffrir les rigueurs dont Grisette Paye mes soins et mon tourment ; Pour Cochon, tu le sais, l’ingrate me maltraite. Ciel ! Quel dérèglement ! Une chatte choisit un chien pour son amant ! Conçois-tu bien, mon cher Marmuse L’excès des peines que je sens ? Depuis deux ans Un vilain chien possède un coeur qu’on me refuse. À votre désespoir, Mimy, Je ne puis exprimer combien je suis sensible ; J’ai vers la belle gloire une pente terrible ; Et de plus, je suis votre ami. Croyez-moi, quittez une Chatte Assez peu délicate Pour préférer un chien au plus parfait des chats. Je ne saurais cesser d’adorer ses appas. Mais il faut aujourd’hui que ma vengeance éclate. Ami, ne m’abandonne pas ; Viens m’aider à punir une maîtresse ingrate. Quand il faut vous servir, pour moi rien n’est sacré. Allons, je vous offre ma patte, Disposez-en à votre gré. Apprenez, beaux Matous, une grande nouvelle. Cochon vient de perdre le jour ; Une rage affreuse et cruelle À Grisette a ravi l’objet de son amour. Le coeur de Grisette Est donc à louer, Avec la coquette Qui veut se jouer ? Pour moi, qui me pense Un Chat d’importance, Je ne ferai rien Qui vous fasse dire Que mon coeur aspire Aux restes d’un Chien. Quelle main favorable a lavé notre injure Dans le sang de ce Chien maudit : Cafar, faites-nous le récit De cette agréable aventure. Ne vas pas imiter le style triomphant D’un genre de Mortels que Beaux-Esprits on nomme. La mouche entre leurs mains devient un éléphant ; Et l’on pourrait aller de Paris jusqu’à Rome, Avant qu’ils eussent dit le chagrin d’un enfant À qui l’on dérobe une pomme. Je n’ai garde d’être si sot. Un village ici près, qu’on appelle Chaillot, Agréable, abondant, vaste, peuplé tout comme. Justement, t’y voilà. Nous pouvons faire une somme Avant que nous soyons à la mort de Cochon. Harangueur fastueux, dont l’éloquence assomme? Puisse-t-on de ta peau bientôt faire un manchon ! Ce fou vous est-il nécessaire ? Ne vous amusez pas à ses emportements. Sachez donc que depuis un temps, Chaillot est devenu le séjour ordinaire D’un Maréchal vaillant comme défunt César, Sage comme un sCaton, savant comme un Homère. Halte-là, mon ami Cafar ; L’éloge n’est pas ton affaire. Nous connaissons ce Maréchal, Ce qu’il a fait, ce qu’il peut faire : Et nous l’aimons, foi d’animal. Ne voulez-vous pas faire taire Ce petit fripon de Matou ? Ah ! Marmuse, écoutez, si vous voulez me plaire. Qu’il me soit donc permis, de bâiller tout mon soûl. Cochon trop orgueilleux des faveurs de son maître, De tous les autres Chiens attirant le courroux, C’en est trop, dirent-ils, vengeons-nous, vengeons-nous. Il faut nous défaire d’un traître. La rage à cet instant vient s’offrir devant eux : Qu’un de vous aujourd’hui, dit-elle, me reçoive ; Sans qu’on s’en aperçoive, Je punirai cet orgueilleux. Cirron, sans tarder davantage, Ouvre toute son âme à la cruelle rage. D’abord ce Chien adroit Parcourut le village, Puis vint prendre Cochon par un vilain endroit, Et l’envoya là-bas tout droit. La fortune pour nous devient donc favorable. Ce Chien, ce rival redoutable, Pour qui nos tendres soins ont été négligés, A subi des destins l’arrêt irrévocable ; Mais peut-être les maux dont l’Amour nous accable N’en seront pas plus soulagés. Grisette pleurera ses plaisirs dérangés. Quand on aime, est-ce un avantage De voir du fier objet à qui l’on rend hommage Les beaux yeux toujours affligés ? Miaou, miaou, nous sommes tous vengés. Au lieu de vous répandre en de belles paroles, Nous ferions mieux d’aller à pas bien ménagés, Dérober là-bas quelques soles, Ou de certains chapons de graisse tous chargés, Que je sais qu’on n’a pas mangés. Marmuse, un autre soin m’occupe. En héros de roman, comme une franche dupe, Cher Ami, vous vous érigez. Miaou, miaou, nous sommes tous vengés. Cruels Matous, qu’osez-vous dire ? Songez-vous que vous m’outragez ? Miaou, miaou, nous sommes tous vengés. À mes cruels ennuis je ne saurais suffire. Mon juste désespoir va finir mes malheurs ; Miaou, miaou, coulez, coulez mes pleurs. Malgré la haine naturelle Que le Ciel, en naissant, imprima dans nos coeurs, Cochon désarma mes rigueurs, Et je perdis pour lui le beau nom de cruelle. Miaou, miaou, coulez, coulez mes pleurs. Grisette, rougissez de vos folles douleurs. Grisette, rougissez de vos folles douleurs. Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime, Son trépas demande le mien. Mourons pour cet illustre Chien ; À ses mânes errants immolons-nous nous-même. Non, ce n’est point assez de pleurer ce que j’aime, Son trépas demande le mien. Ce n’est donc pas assez, Chatte injuste et barbare, D’avoir trahi votre gloire Par une passion bizarre ? Quand la mort d’un rival rallume mon espoir, Il faut encor me faire voir Tout ce qu’à mon amour votre douleur prépare ? Craignez que cette patte... Ah ! ma raison s’égare. Je frissonne... Je meurs...         Bonsoir. C’est un diable quand on l’irrite ; Ne vous exposez pas à son ardent courroux : A contenter ses feux tout en lui vous invite. Cochon n’avait d’autre mérite Que celui d’être aimé d’un héros et de vous. Son choix autorisait ma fatale faiblesse. On sait pour mon amant la douleur qui le presse. Mon cher Cochon était le plus beau des Toutous. Miaou, miaou. Peste de Miaous ! Beauté capricieuse, Soyez un peu moins précieuse ; Le ridicule suit de bien près les grands goûts. Cet assemblage de merveilles, Ce Cochon, ce Chien tant aimé, Était sans queue et sans oreilles. Il fut, dit-on, sauvé de l’égout de Marseille ; Et Cochon fut nommé, Tant il avait de l’air de cette bête immonde. Il sortait de sa gueule une certaine odeur Qui se faisait sentir de cent pas à la ronde. Il ne lui restait plus qu’un oeil distillateur. C’était, à cela près, le plus beau Chien du monde. Non, Cochon était fait Pour enflammer un coeur. Pour faire mal au coeur. Durant tout le cour de sa vie Il ne se passa jour, je n’en excepte aucun, Qu’il ne lui prit une sincère envie De dévorer toujours quelqu’un : Chapons, Perdrix, entraient dans sa panse profonde, Sans qu’il prit soin de les mâcher. Caresses ni bienfaits ne pouvaient le toucher ; C’était, à cela près, le meilleur Chien du monde. Ose-t-on à mon coeur porter de pareils coups ! Ah ! Que d’horreurs, et quel blasphème, Redoutez, médisants Matous, Redoutez ma fureur extrême ; Tremblez, tremblez tous. Toi, divine Vénus, dont je suis descendue, Viens ici défendre mes droits. Ne laisse pas pour moi ta tendresse inconnue ; Punis des habitants des toits La brutale et dure insolence. C’est en moi ton sang qu’on offense. Nous redoutons peu sa vengeance ; Un Chat au bord du Nil fut jadis son époux, Et nous avons fait connaissance Tandis qu’elle était parmi nous. Cessez donc d’invoquer la charmante Déesse ; Redonnez-vous à votre espèce, Votre destin sera plus doux. Redonnez-vous à votre espèce, Votre destin sera plus doux. Je dois à Cochon ma tendresse. Dussiez-vous être encor mille fois plus jaloux. Vous verrez à quel point pour lui je m’intéresse. Redonnez-vous à votre espèce, Votre destin sera plus doux. Il faut n’être pas mal folle Pour aimer un amant mort. Les Humains en sont d’accord : On apprend à leur école Que l’absent a toujours tort. L’ingrate a déjà fait retraite, Elle fuit mes feux irrités. Ah ! cruelle Chatte, arrêtez, Grisette, Grisette, Grisette. Grisette, Grisette, Grisette. Ah ! Cruelle chatte, arrêtez. Tendre Matou, laissez-la faire : Votre infortune finira ; J’en jure par mon arc, j’en jure par ma mère. La constance est une chimère, Dont Grisette se lassera. Croyons, croyons l’Amour ; ce Dieu nous vengera.