Monsieur, on n’entre point : je vous l’avais bien dit, depuis deux jours, que je vous sers, je connais déjà cette maison, il n’y est jour que sur le soir. Madame Flaminia ne sera pas sitôt visible ; vraiment je suis sûr qu’à l’heure qu’il est son visage n’est pas à moitié fait. Je ne prétends pas lui causer d’incommodité ; mais Trivelin, un médecin a quelquefois des privilèges... II n’y a médecin qui tienne, on ne la voit point, vous dis-je, qu’elle n’ait mis du moins le premier appareil. N’a-t-elle pas raison ? On ne doit pas lever la toile que les décorations ne soient posées : encore avec toutes ces précautions votre Veuve aurait bon besoin de ne paraître que de loin et aux lumières comme les perspectives de théâtre. Il est vrai que ses appas ne sont pas tout-à-fait de la dernière édition, mais elle en sera plus mûre, et plus convenable pour être la femme d’un fameux médecin ; je sais bien qu’une femme ressemble à ces simples et à ces plantes inconnues dont on ne connaît la vertu que par expérience, et lorsqu’il n’est plus temps de guérir le mal qu’elles ont fait, mais tu sais aussi que le bien de Madame Flaminia est la pierre d’aimant dont la vertu attractive m’entraîne auprès d’elle : une veuve pécunieuse est un excellent préservatif contre les crudités de la fortune. Bon, un médecin a bien besoin de cela ! Et un médecin étranger encore : car il en est de ces Messieurs comme des étoffes, des porcelaines, et des curiosités, plus elles viennent de loin et plus cher on les paye. Mais pour revenir à votre veuve, croyez-vous qu’elle ne vous donne pas un peu de galbanon ? Et d’où te procède un tel soupçon ? Voyez-vous, Monsieur : une coquette et un médecin sont deux grands charlatans. L’une avec ses minauderies et son manège amuse plusieurs amants, dont chacun en particulier croit être le fortuné ; ET l’autre avec de grands mots que personne n’entend, et qu’il n’entend quelquefois pas lui-même, en impose aux ignorants... Oh il y a une grande conformité entre ces deux professions-là ! Mais dans cette occasion-ci le médecin pourrait bien être la dupe de la Coquette. Oh, finis tes beaux arguments, et songe seulement à t’insinuer comme je t’ai dit auprès de la suivante de ce logis pour connaître et anatomiser les dispositions du cœur de sa maîtresse à mon égard. Quelque affaire que j’ai ne me permet pas de l’attendre, je serai bientôt de retour. Anatomiser le cœur d’une femme ! Mon Maître n’y songe pas, toute la Faculté y perdrait son Latin... Mais je vois Spinette avec la fille de la Veuve, attendons qu’elle sois seule pour lui parler. Ah ! Ma chère Spinette, promenons un peu mes inquiétudes , je suis sur les épines. C’est aujourd’hui que Mario, de mon consentement, doit enfin parler à ma mère et me demander en mariage ; que je crains qu’elle ne refuse ses propositions, et qu’elle n’ait d’autres vues contraires à mes désirs ! Tout franc, votre crainte n’est pas sans fondement. Votre mère est une goulue qui ne veut, je crois, que pour elle des amants ou des maris, et qui prend pour son compte tous ceux qui viennent ici pour vous faire la cour. Quand l’amour que j’ai pour Mario ne me ferait pas souhaiter d’être unie avec lui, j’aurais bien des raisons d’aspirer au mariage : tu sais avec quelle sévérité je suis retenue, il semble que ma mère ne me puisse souffrir. Bon : est-ce que les mères coquettes peuvent aimer de grandes filles comme vous ? Oh bien, moi, je suis pourtant bien lasse de me voir toujours traitée comme une petite fille, je ne suis plus à la bavette... Je le vois bien vraiment, et l’affaire dont vous me parlez ne demande rien d’enfant. Mais Spinette , dis-moi, n’est-il pas bien triste aussi à mon âge, dans un temps où tous les jours de ma vie devraient être marqués par autant de plaisirs, de me voir renfermée au logis comme une recluse, pendant que ma mère va au bal, aux spectacles ? Comment elle me fait un crime du moindre ajustement, lorsqu’il n’y a rien de trop beau pour elle ; elle me gronde dès qu’elle me voit seulement parler à quelqu’un, et veut toujours que j’aie un fichu noué jusques sous le menton, comme si... Comme s’il était défendu d’user de ses avantages. II vaudrait autant ne pas avoir... quelque chose, que de ne pas s’en faire honneur. Enfin n’est-ce pas le monde renversé de voir des femmes sur le retour prétendre avoir des amants, et défendre aux jeunes filles d’en avoir ? Et en bonne foi, une mère à certain âge ne devrait-elle pas songer à la retraite et abjurer la coquetterie ? Oui, et faire recevoir sa fille en survivance. Spinette tâche un peu, je te prie, de sonder adroitement ma mère sur mon chapitre. Préviens-là en faveur de Mario. Il me semble qu’il ne lui déplaît pas, et les soins qu’il a pris par mon avis, de lui dire des douceurs et de la cajoler sans cesse sur sa beauté a dû le mettre assez bien dans son esprit. Parle pour lui... Je suis portée d’inclination à vous rendre service, mais vous connaissez l’humeur entière de votre mère. Je ferai ce que je pourrai. Je croiq qu’elle m’appelle. Adieu. Qu’une mère sévère rend un amant aimable ! Et que la contrainte où l’on nous retient assaisonne bien l’idée agréable que nous nous formons naturellement du mariage ! Je voudrais voir Mario pour raisonner encore sur le tour que nous prendrons... Mais j’aperçois son valet. Arlequin que fait ton maître ? Mademoiselle, il est toujours amoureux comme un Diable, il pense à vous sans cesse, dès le matin, à déjeuner, à diner, à souper, et toute la nuit. Il faut que je le questionne un peu : comment sais-tu cela ? Il te l’a donc dit ? Vraiment, ne savez vous pas qu’un homme ne tait pas mieux son amour qu’une femme un secret ? Je n’entends autre chose à mes oreilles que... Arlequin n’est-il pas vrai que Silvia est la plus belle, la plus charmante, la plus adorable personne du monde ? Arlequin ne trouves-tu pas ses yeux les plus beaux... Arlequin ne trouves-tu pas sa bouche... la plus jolie... Arlequin ne trouves-tu pas sa taille... Enfin que sais-je moi. Que tu me fais de plaisir de me dire cela ! Tout ce qui sert à me prouver l’amour de Mario m’enchante toujours. Vous en parlez bien à votre aise. Depuis que mon Maître vous aime, à peine ai-je le temps de manger et de dormir ; la sotte chose qu’un Maître amoureux ! Tantôt emporté, tantôt tranquille, tantôt bien aise, tantôt fâché, tantôt.. Ah mon cher Arlequin je suis au désespoir. L’ingrate, la perfide, la changeuse Silvia me trompe, elle me préfère peut-être quelque rival. Comment donc Arlequin ? Il avait grand tort de s’imaginer cela. C’est ce que je lui disais quelquefois aussi... Ah mon cher Arlequin je suis au comble de la joie ! Silvia m’aime, je n’en puis plus doute... Oui charmante Silvia, je vous aimerai toujours... toujours... Doucement donc Arlequin, tu gesticules un peu trop. C’est pour mieux exprimer la chose. Oh tes expressions sont trop fortes, on dirait que tu serais amoureux toi-même. Hé ne le suis-je pas ? Cela se gagne apparemment ; car moi qui n’aimais que le bon vin, les bonbons, les macarons, et qui avais toujours tenu bon contre l’amour, j’ai laissé prendre mon cœur par votre traîtresse de Spinette qui me fait enrager. Elle a tort, et je parlerai pour toi. Mais je m’amuse ici et je ne voulais que savoir si ton maître est chez lui. Non, il est allé je crois vous préparer un petit régal. Car j’ai entendu parler de violons, de basses, de flûtes, de hautbois, de tambours, de trompettes marines... de... Oh tu m’étourdis avec tes instrument s: quand il sera revenu dis-lui qu’il tâche de me voir, et que j’ai à lui parler. Je n’y manquerai pas. Mais que vois je ! Ne me trompai-je pas ? Je crois que c’est... Je crois que je vois.... Eh parbleu c’est lui-même.. Arlequin. Trivelin ! Eh bonjour mon ami ; que je suis aise de te revoir après t’avoir perdu de vue si longtemps ! Je suis ravi de te rencontrer. Par quel hasard dans cette maison ? Je suis chez mon maître, qui loge ici et qui est amoureux d’une jeune personne qui demeure dans cet autre appartement ; mais toi que fais-tu ? Mes aventures seraient longues à te conter. Tu sais que j’ai toujours eu peine à me résoudre de me tenir dans le service et d’y enterrer les talents que j’ai pour la fourberie : j’ai essayé plus d’une fois de m’élever, mais le monde aujourd’hui a l’esprit si malfait que je me suis vu réduit à me mettre dans mon premier état. J’ai quitté depuis peu le service d’un petit maître qui ne me payait mes gages qu’en coups de canne, et je me suis mis d’hier dans la médecine. Dans la médecine ! Oui, je sers un médecin qui couche en joue une veuve qui demeure céans, mais je suis peu content de ma condition, il ne me nourrit que de diète, et j’y suffoque d’inanition. Mauvaise nourriture ! Eh comment se comme cette veuve ? Flaminia. Eh c’est la mère de la maîtresse de mon maître ! Une femme qui était jeune autrefois, n’est-ce pas ? Et qui a la rage d’être aimée... Et ton Maître l’aime-t-il ? Bon, un médecin se mêler d’aimer ! Il vise au matrimonium ; la veuve est riche, dit-on, et le pèlerin aime le bien avec concupiscence. Il m’a donné commission de m’informer à Spinette des espérances qu’il peut former... Ah ! Trivelin quel nom viens-tu de dire ? Comment donc ? Ah ! Trivelin... L’amour me transporte pour cette Spinette. Je crois que j’en deviendrai fou. C’est une cruelle, une tigresse qui... Mais je vois mon Maître. Ne vois-je pas un de mes anciens valets ? C’est Trivelin ! Oui, Monsieur, c’est un des plus habiles fripons... Ah Monsieur Arlequin vous me rendez confus. De plus c’est le valet de votre beau-père, ou peu s’en faut. Comment ? Oui Monsieur, je sers Monsieur Rhubarbini qui pourchasse cette veuve de vos voisines, Flaminia. Quoi, cette femme à son âge songerait à se remarier ! Vraiment elle n’aurait qu’à vous entendre tenir ce discours ? Je sais que je serais perdu. Amant de la fille, il faut que je cajole la mère : c’est une demi-vieille coquette qui semble seule vouloir ignorer les sentiments que j’ai pour sa fille. Il faut pourtant m’expliquer. Arlequin, n’a-t-elle point encore paru ? Bon, avant qu’elle ait achevé de s’atiffer, la nuit sera venue. Une demi-vieille à sa toilette ne finit point. C’est une mouche par-ci, une agaçante par-là, un peu de rouge encore, un arrangement de bouche, une tournure d’yeux... Ces sortes de femmes n’ont point de meilleur ami que leur miroir : c’est l’unique confident à qui elles se montrent telles qu’elles sont, pour en obtenir l’art de paraître ce qu’elles ne sont pas... Mais à propos j’ai vu sa fille qui veut vous parler, elle vous attend dans son appartement. Eh que ne le disais-tu donc ? Courons voir ma chère Silvia. Et moi, ma chère Spinette. Mais Trivelin, toi qui as tant d’esprit, apprends-moi comme il faut faire pour toucher une cruelle. C’est selon. Il faut prendre les femmes par leur faible... Elles aiment les airs évaporés, libres ; trop de sagesse les gêne... N’as-tu pas vu de ces jeunes débraillés, et brusquement polis, qui voltigent sur les théâtres autour des actrices ? Oh vraiment oui. Imite bien leurs façons... Le chapeau sur l’un des yeux, la main dans la ceinture, une épaule plus haute que l’autre... Je me donne au Diable ma chère, vous êtes d’un brillant à éblouir. Voulez-vous me faire languir longtemps ? Dieu me damne je vous adore, je vous idolâtre... Hé donc à qui tient-il que vous ne m’accordiez quelque légère faveur... beaucoup gesticuler surtout, les Dames aiment les amants pantomimes. Mais, vous n’y songez pas, Chevalier, arrêtez vous donc. Spinette vient, songe à jouer ton rôle. Je viens de la part de Monsieur Rhubarbini savoir l’état de la santé de Madame Flaminia, et lui dire qu’il aura l’honneur de la voir aujourd’hui. Mais Mademoiselle Spinette, à parler franchement, mon maître ne se flatte-t-il point dans ses espérances, et croyez-vous que votre Dame réponde à son amour ? Je ne puis vous rien dire de positif là-dessus. Le cœur d’une coquette est un labyrinthe où l’on se perd, et dont elle ignore souvent elle même les détours : qu’il fasse toujours de son coté ce qu’il pourra, il viendra peut-être quelque bon moment. Je vous remercie, je vais retrouver mon Maître. Où vas-tu donc si vite Spinette ? Que veux-tu ? Eh la regarde-moi. Hé bien je te regarde. Que tu es rude ! N’entends-tu pas ce que je te veux dire ? Non vraiment. Arlequin que veux-tu donc dire avec tous tes gestes ? Ah ma chère, de par tous les diables, vous êtes belle comme un petit démon... les beaux yeux que... votre ardeur... a fait naître dans le cœur... de mon amour... tout cela est cause que... vos appas... et vos charmes... Enfin il vous aime à la folie. Quel diantre de galimatias me fais-tu donc là ? Je n’y entends rien. Que diable aussi pourquoi chercher tant de grands mots ? Tiens, je ne saurais sortir de mon naturel. Faut-il tant de façons pour te dire que je t’aime de tout mon cœur, et que... Tais-toi. J’entends ma Maîtresse. Je serais perdue si elle te voyait. Elle veut qu’on ne cajole qu’elle dans la maison. Spinette, seulement un baiser, en rabattant sur les droits du mari... Eh va, va, on dit que les maris en rabattent toujours assez. Adieu donc barbare Spinette. Adieu amoureux Arlequin. Quoi, Spinette, il n’est venu personne ?... Personne... En vérité voilà qui me confond. Quel dérangement ! Quel relâchement de visites ! Je n’ai jamais vu une telle disette d’hommes ! Ne pas voir un chapeau à la toilette d’une femme comme moi ! Cela est choquant ! Le dépit que j’en avais sera cause que je serai coiffée tout de travers. Vous vous moquez, Madame, jamais vous n’avez été si bien. Vous embellissez chaque jour, ET votre jeunesse croît avec le temps. Cette fille a du goût. Tout de bon me trouves-tu... On ne peut pas mieux. Il ne me manque que de l’embonpoint mais Monsieur Rhubarbini m’a promis qu’il m’engraisserait. À propos, il est venu ici Monsieur Rhubarbini, et il reviendra... Mais le voici Madame. Ah Monsieur Rhubarbini nous parlions de vous, et voila Spinette qui soutenait vos intérêts. Elle ne sert pas un ingrat, Madame, et je voudrais qu’elle eut besoin de mon ministère pour lui en marquer ma gratitude. Oh je vous suis bien obligée, je n’ai que faire de médecin... ni d’embonpoint. Mais vous, Madame, jusqu’à quand voulez-vous différer de mettre un baume spécifique aux vives blessures que m’ont fait vos appas ? L’amour qui circule dans mes veines enflamme tellement mes poumons, qu’il n’y a que l’émétique de vos faveurs qui puisse guérir la fièvre dont brûle mon cœur. Voilà une déclaration d’amour purgative, sur ma parole. Mon Dieu, Monsieur Rhubarbini, que vous êtes pressant ! Je ne suis point en état d’entendre de pareils discours ; ils renouvellent les chagrins de mon veuvage. Quand j’entends seulement parler d’engagement, il me prend des vapeurs... Une prise d’un second mariage guérira ces vapeurs de veuvage. Mais tous vos discours ne dénotent que trop que votre empressement n’est pas égal au mien. Pour vous je néglige mon Art, tous mes malades se plaignent de moi, à l’heure que je vous parle, un malade de qualité m’attend, j’oublie en vous voyant que le mal presse. C’est peut-être tant mieux pour le malade. Ah Monsieur Rhubarbini, c’en est trop , allez voir votre malade de qualité ; je serais fâchée que mes appas coûtassent la vie à quelqu’un. Si ce sacrifice vous étAit agréable... Non vraiment, je ne veux point de tels sacrifices, et si ce n’est assez de vous prier d’y aller, je vous l’ordonne. Puisque telle est votre ordonnance, j’y vais donc : mais je reviens aussitôt, et ne vous quitte plus qu’au préalable vous n’ayez dûment éclairci mon fort et vos intentions. Cet homme-là est pressant, oui ! Il faut ménager tout le monde, Spinette, ne fut-ce que pour faire nombre. Le nombre des amants sied bien : cela sert toujours à tenir en respect celui qu’on favorise. C’est l’entendre. Mais ce n’est donc pas celui-ci qui... Monsieur Rhubarbini m’aime beaucoup , et je l’estime surtout à cause du soin qu’il prend d’entretenir ma beauté par ses secrets : mais si je me résous à reprendre un second mari, c’est des mains de l’amour même que je veux le tenir. Quel sera cet heureux mortel ? Effectivement dans le grand nombre de soupirants qu’attirent ici mes attraits, il est difficile de démêler. Quoi ! Tous ceux qui viennent ici soupirent pour vous ? Et pour qui donc ? Je crois que votre fille... Ma fille ! Ma fille ! Y a-t-il de la comparaison d’elle à moi ? Une petite mijaurée ! Il faut un certain art pour conquérir un cœur qu’on n’acquiert que par l’usage. Enfin donc tu n’as pu pénétrer quel est mon vainqueur ? Non vraiment. Devrais-tu avoir tant de peine à te l’imaginer ? Mario... Voici bien autre chose ! Je rougis. Ah Spinette ! Ce qui me plaît surtout de lui, c’est son respect et sa timidité : croirais-tu bien que depuis qu’il vient ici, ses regards seuls m’ont parlé de sa passion, et que sa bouche ne m’en a rien dit ? Mais si cet amour était imaginaire... En tout cas je ne serais pas embarrassée où trouver un époux, et je pourrais rabattre sur le médecin, mais je suis sûre que Mario m’aime. Je te dirai même que depuis quelques jours, il semble qu’en me regardant avec des yeux pleins d’amour, il ait quelque chose à me dire qu’il n’ose pourtant me déclarer ; mais c’est être trop timide , et je veux aujourd’hui, par un air plus désarmé de rigueurs, l’enhardir à m’expliquer des désirs que je brûle de contenter : le voici... Laisse-nous, je veux le faire parler. Je vois ma mère, Mario, parlez, puissiez-vous en obtenir ce que vous demandez ! Qu’est-ce donc Mademoiselle, qui vous fait prendre la liberté de vous mettre ainsi de la Compagnie, et de venir ici sans qu’on vous demande ? Ne vous l’ai-je pas défendu? rentrez ... Rentrez-vous dis-je. Ah, Madame, que vous m’intimidez encore par votre colère ! Et que cette mauvaise humeur est d’un fâcheux augure pour mes espérances. Approchez, Monsieur, approchez ; cette mauvaise humeur ne vous regarde pas, et elle aurait peine à tenir contre votre présence. Pourquoi tant de timidité ? Des hommes comme vous ne sont pas faits pour former des espérances vaines auprès des Dames qui sont connaisseuses en mérite... Parlez, on est peut-être disposée plus que vous ne pensez à vous accorder ce que vous pourriez souhaiter. Votre accueil me rassure un peu : il y a longtemps que je balance à vous parler de la chose du monde qui importe le plus au bonheur de ma vie : j’aime, et si l’amour rompt mon silence, il portera l’excuse de mon audace. Madame c’est de vous que dépend mon destin, c’est à vous seule que je dois avoir recours, et c’est à vous aussi que je m’adresse pour soulager le feu violent qui m’enflamme. Eh croyez-vous que l’on soit à s’en apercevoir ? Votre discrétion ne m’a pas empêché de pénétrer votre secret, j’en suis instruite comme vous, l’amour a d’autres expressions que le langage ordinaire, et souvent les yeux lui servent de truchements, votre respect m’a touché, et je vous en estime davantage... Ah, Madame, puisque vous avez pénétré, et que vous voyez sans courroux cet ardent amour, me permettrez-vous d’étendre mes vues jusqu’à l’honneur de vous appartenir de plus près par les nœuds d’un hymen où tendent tous mes vœux ? Que vos bontés ne se lassent pas, je sens que je ne pourrais survivre à vos refus... On s’intéresse trop à vos jours, et l’on vous aurait moins fait languir si vous aviez parlé plutôt. Quelque répugnance qu’on m’ait vu jusqu’ici pour une telle affaire, je consens peur l’amour de vous à l’engagement dont vous me voulez parler... Ah Madame, je suis le plus heureux des humains, souffrez qu’à vos genoux... Arrêtez... Arrêtez, vos transports sont trop violents... Agréez que je presse mon bonheur, et que je vous donne ce soir un petit divertissement qui puisse servir de prélude à la signature du Contrat. Qui pourrait vous rien refuser ? Vous ne me parlez point des conventions du mariage ? Madame, c’est m’offenser que de me croire capable de penser à ces sortes de choses. Quelle générosité, quelle noblesse de sentiments ! C’est donc à moi de songer à vos intérêts puisque vous les négligez. Eh de quoi voudriez-vous qu’un amant transporté de la joie de posséder ce qu’il aime allât s’embarrasser ? Vous êtes équitable, puis-je mieux faire que de m’en rapporter à vous ? Vous ne vous mettez pas en mauvaises mains, et l’on ne més-usera pas de votre déférence, je ne ferai pas les choses à demi, et pour vous le prouver, à la réserve de cent mille francs... C’est le bien de ma fille que je ne puis engager. Je vous donne tout mon bien qui se monte à trois fois autant. Ah, Madame, modérez l’excès de vos libéralités, c’est me rendre confus, et mon amour en aura moins de mérite. Plus vous résistez à recevoir mes offres, et plus vous méritez qu’on vous force de les accepter : je ne vous demande pour prix de ce que je fais pour vous que de presser la conclusion de cet hymen : passez vous-même chez mon notaire que vous connaissez, et faites dresser le Contrat selon mes intentions. Agréable commandement ! J’en ai plus d’impatience que vous : que je suis heureux ! Non je n’aurais jamais pensé que vous eussiez été si favorable à mes désirs ! J’y cours. Allez, et que l’amour vous prête ses ailes pour revenir plus promptement. Non, je ne puis mieux faire que de m’attacher cet aimable homme, à quelque prix que ce soit, il le mérite bien comme il m’aime ! Je m’en étais bien doutée, oh ce n’est pas à moi qu’un amant en fait accroire... Après la nouvelle que Mario vient de m’apprendre, quoiqu’il ne m’en ait dit qu’un mot en courant, Madame, je croirais manquer à ce que je vous dois, si je ne venais pas d’abord vous témoigner le plaisir que je ressens de... C’est prendre le bon parti : je suis bien aise de vous voir ainsi regarder la chose du bon côté : vous vous en trouverez bien, Mario est galant homme... Quelle joie pour moi de vous entendre ainsi vanter un homme qui... Mais j’aperçoìs Monsieur Rhubarbini. Ah l’insuportable homme ! N’en serai-je jamais défaite ? Madame, dussent crever tous mes malades, je me dérobe enfin à mes visites afin de cultiver une si belle plante médicinale pour mon amour. Oh Monsieur Rhubarbini, si vous prétendez encore m’étourdir de vos douceurs médecinales, vous ferez mieux d’aller voir chez vous si l’on vous demande. Trivelin, qu’est-ce ceci ? Je ne m’attendais pas à cet accès-là. Elle vous traite déjà en mari. Madame, d’où vous vient donc cette humeur mordicante ? Tantôt quand je vous ai fait l’exposition de mon amour, vous avez par des mots plus dulcifiants flatté mes espérances ; après m’avoir fait languir si longtemps, pourriez vous... Ah, ah, ah ! Il faut que vous soyez bien dupe mon pauvre Monsieur Rhubarbini de croire qu’une femme comme moi puisse jeter les yeux sur une figure comme la vôtre ! Elle ne vous flatte point. Vous seriez bon tout au plus à être le pis aller de quelque femme qui n’aurait pas à choisir. Monsieur le Médecin n’a pas une trop bonne réception. Comment on traite ici un fameux Médecin ! Ô tempora ô mores ! Eh que pourriez vous trouver de mieux à votre âge ? À mon âge ! À mon âge ! On est fort déchirée, à votre avis ? Et l’on ne doit plus prétendre à la conquête d’un homme jeune, aimable... Eh non on n’a pas de certains agréments... Il faut que quelque vapeur lui ait monté dans la région supérieure... Demeurez, demeurez seulement pour être confondu, vous verrez des apprêts de noces... Ah,ah, pour la rareté du fait, il faut que vous ouvriez le bal. C’est de ma noce apparemment que ma mère veut parler. Je crois que Monsieur Rhubarbini s’en tirera bien, il a l’air à la danse. Ces discours à la fin me gonflent la rate. Je vois Mario avec le notaire. Que je suis contente ! Approchez Monsieur. Avez-vous fait mettre sur le contrat les clauses que je vous ai dit ? Oui Madame, ah pourrai-je jamais reconnaître tant de bienfaits ? Si vous souhaitez, on vous fera la lecture des articles. Il n’en est pas besoin, dès que vous en êtes content, je signe aveuglement. Ne signez-vous pas Mademoiselle ? Le devoir d’une fille est l’obéissance. Monsieur c’en est fait, et vous n’avez qu’à emporter ce contrat, je vois nos musiciens et nos danseurs qui viennent tout à propos. Ce n’est pas tout ma mère, et voilà encore un mariage à faire : Arlequin et Spinette s’aiment, si vous vouliez... J’y donne mon consentement, allons qu’on ne parle plus que de joie, et que les mariés commencent le bal. La joie le trouble. Eh quoi que faites vous Mario ? Ce que vous m’ordonnez, Madame. Nous ne faisons, ma mère, que ce que vous nous avez dit. Mais vraiment vous vous méprenez. Et vous je vous apprendrai... N’avez-vous pas dit que les mariés commencent le bal ? Eh bien ? Eh bien ma mère, c’est donc moi qui dois le commencer avec Monsieur. Elle est folle, ne dirAit-on pas que c’est elle qu’on marie, et dont on vient de signer le contrat ? Eh de qui donc ma mère ? La demande est comique, il faut que la tête lui ait tournée. Que veut donc dire ma mère ? Non la tête ne m’a point tournée, et c’est vous qui vous trompez assurément. Oh je ne puis plus tenir... Retirez-vous petite fille... Je ne la suis plus, et je veux que Mario développe cette énigme. Faites-là donc taire, et lui dites que c’est moi. Ma foi, Madame, vous me voyez si interdit que je ne sais que vous dire. II n’y a pas tant à rêver, ouvrez le bal avec celle que vous regardez comme votre épouse. Puisque vous me permettez de m’expliquer. Je n’en aurai jamais d’autre que l’aimable Silvia. Silvia, Ciel qu’entends-je ! Et le contrat... Le contrat est rempli de son nom et du mien, vous le devez savoir. Me serais-je en effet abusée à ce point ! Perfide ! Quoi ces transports d’amour n’étaient pas... Je vois que nous nous sommes mal entendus, mais j’étais dans la bonne foi, et vous interprétiez pour vous ce que je n’adressais qu’à votre fille... Vous êtes un fat, et je ne souffrirai pas... L’équivoque est fâcheuse pour vous, mais trouvez bon que j’use de mes avantages, vous avez signé. Madame, croyez-moi, il faut avaler la pilule. Je crève de dépit... Hon... Je me fuis liée moi-même, j’ai signé, et pour comble de malheur je me suis dépouillée des trois quarts de mon bien. Des trois quarts de son bien ! Allons nous-en Monsieur, il n’y a plus rien à épouser ici. Mais je suis bien sotte de m’affliger ainsi de la perte d’un extravagant, elle est aisée à réparer, et Monsieur le Médecin voudra bien. Madame, par pari refertur, vous m’avez maltraité, chacun a son tour, et la saignée que vous avez fait à votre bien, m’a guéri de mon inflammation amoureuse, je vous baise les mains. Quoi tout me trahit ! À quelle honte suis-je exposée ! Ouf... J’ai le cœur si serré... que je ne puis parler... Je suis... Je suis désespérée. L’équivoque était plaisante. Ah Mario ! Notre union me coûtera l’amitié de ma mère, elle ne me le pardonnera jamais. Nous l’apaiserons avec le temps, belle Silvia ; oublions les sujets de tristesse, et voyons notre petit divertissement que Monsieur le médecin honorera s’il veut de sa présence. Arlequin dis-moi un peu, n’y a-t-il point aussi de quiproquo entre nous ? Oh pour cela non, je t’aime, tu m’aimes, je me marie avec toi, tu te maries avec moi, il n’y a point là de quiproquo comme tu vois. Chantons, célébrons en ce jour, Le manège rusé d’une veuve Coquette, Qui de plusieurs amants fait l’essai tour à tour Et d’un nouvel époux cherche à faire l’emplette. Chantons, célébrons en ce jour, Le manège rusé d’une veuve Coquette, Telle qu’on croit novice aux mystères d’amour , Veuve en herbe ; souvent passe encore pour fillette Chantons, célébrons en ce jour, Le manège rusé d’une veuve Coquette. Ce docteur à mine profonde De prendre femme a quitté le dessein : Il a raison, ma foi peupler le monde, N’est pas le fait d’un Médecin. Malgré nos fautes imprévues En pleure-t-il moins dans notre coffre-fort ? Lorsque la terre a couvert nos bévues, Ceux qui font morts ont toujours tort. Quoiqu’on dise du mariage, Il faut qu’il soit d’un doux usage , On a beau nous épouvanter, Rien ne nous en détourne. La jeune fille en veut tâter, Et la veuve y retourne. La plus fière douleur s’apaise : Comme la Matrone d’Ephèse, Une veuve est elle aux abois ? Un vivant de joyeux minois À la ragaillardir est prête, Et fait si bien du premier coup, zeste, Qu’à l’hymen elle reprend goût. Un amant avant l’hyménée, Enchanté de sa destinée, Croit que ses feux seront sans fin. L’hymen souhaité vient enfin, La première nuit l’amour reste, Mais souvent le petit malin zeste. S’envole dès le lendemain. En vain dans son humeur jalouse, Un époux croit de son épouse, Écarter toujours les galants ; Que servent ses soins vigilants, Il ne faut qu’un moment funeste Un jeune gaillard qui plaira, zeste, À sa barbe lui croquera. Les mères qui font les jeunettes, Ne veulent pas que leurs fillettes Fréquentent les jeunes garçons, Mais pour éluder leurs leçons, Nous en saurons toujours de reste. Quand on le garde trop longtemps, zeste, Notre honneur prend la clef des champs. Quoique friand de ma nature, J’aime macaron, confiture, Et bon fromage de Milan ; De vos suffrages plus friand, Je les préfère à tout le reste, Je dis des mets les plus musqués, zeste, Messieurs si vous ne me claquez.