Non, n’espérez jamais de m’y voir consentir. Est-ce ainsi qu’à son père, un fils doit répartir ? Si vous ne répondez bientôt à mon envie, Si d’un « oui » que j’attends je ne la vois suivie, Avant qu’il soit deux jours je vous ferai savoir Combien sur ses enfants un père a de pouvoir. Si pour moi vous gardez encor quelque tendresse, Ah ! daignez m’empêcher de mourir de tristesse, Veuillez ne point forcer mon inclination, Me donnant à l’objet de mon aversion. Je ne demande rien qui n’ait de la justice, Puisque enfin il n’est point de plus rude supplice Et que c’est attacher des vivants à des morts Que vouloir sans amour joindre ensemble deux corps. Être joint à l’objet le plus beau de la Ville, Le supplice à souffrir n’est pas fort difficile. Puisque Hippolyte est belle, elle ne me plaît pas. Elle a, vous le savez, par ses puissants appas Acquis beaucoup d’amants, et peut-être son âme Conservera pour eux quelque reste de flamme. Allez, dessus ce point c’est à tort s’alarmer, Puisqu’on tient qu’il n’est pas possible d’exprimer L’amour qu’à son mari porte une jeune femme Quand une fois il a pu surprendre son âme, Et lui faire goûter les secrètes douceurs Dont amour sait toujours faire jouir deux coeurs. Quand elle m’aimerait et me serait fidèle, Mon coeur ne peut avoir de tendresse pour elle. Si c’est là le sujet qui vous fait rejeter L’hymen, où chaque jour je tâche à vous porter, Épousez, épousez, dès demain Hippolyte, Et vous verrez mon fils, qu’un glorieux mérite Joint aux puissants attraits d’un objet si charmant, Vous contraindra dans peu de l’aimer tendrement. Quoi, ne savez-vous pas, ce que peut une femme, L’empire qu’elle prend malgré nous sur notre âme ? Ah ! si vous l’ignorez, vous pourrez bientôt voir Et quelle est son adresse et quel est son pouvoir ; Quand la belle Hippolyte après son mariage, Avec des traits de feu marqués sur son visage ; D’elle-même viendra vous appelant son coeur Vous donner un baiser ; mais si plein de douceur, Qu’extasié soudain par des transports de flamme, Vous sentirez l’amour se glisser dans votre âme, Et vous confesserez en goûtant ces douceurs Que quand ce sexe veut il sait gagner des coeurs. Celles qui près de nous font ainsi les flatteuses, Ont des motifs cachés et sont fort dangereuses, Et lorsque leur amour nous fait voir tant d’ardeur Notre bourse est leur but, plutôt que notre coeur. Ne condamnez pas tant ce qu’il faut qu’on estime, D’une belle vertu ne faites pas un crime, Et ressouvenez-vous que je veux que demain Malgré vous Hippolyte obtienne votre main. Hélas ! Souvenez-vous que j’adore Céphise, Et qu’ayant su l’ardeur dont mon âme est éprise, Sa mère en eut de vous un plein consentement. Dans ce siècle la foi se trouve rarement. J’ai promis, il est vrai, mais le bien d’Hippolyte Me fait trouver en elle un peu plus de mérite. Je vous laisse, songez que vous devez ce soir Venir avecque moi chez elle pour la voir. Puissante Déité que l’on adore en terre, Amour, faut-il, que l’or, te fasse ainsi la guerre ? À quoi songez-vous donc Monsieur, de rebuter Ce que d’autres que vous prendraient sans hésiter. Que ne veut-on aussi me donner une femme, Ma foi je la prendrais et de toute mon âme Sans hésiter du tout. Dieu veuille avoir l’esprit De ma pauvre Gillette. Ah ! que j’ai de dépit Quand je songe à sa mort. J’avais pendant sa vie Un teint à qui Bacchus eût porté même envie, Un visage rougeaud, et si plein de santé, Que j’ose vous jurer en saine vérité, Moi qui ne jure point si la chose n’est claire Que tous les marmousets des enseignes à bière Étaient auprès de moi pâles et décharnés, Et n’avaient point du tout de rubis sur le nez. Je ne voyais jamais passer aucun Dimanche, Qu’elle ne me vînt mettre une chemise blanche, À mes habits jamais on ne voyait de trous, Tant le soin était grand de tout boucher chez nous. Quand j’avais bu souvent avec quelque compère, Comme cela pouvait m’arriver d’ordinaire, Et qu’au logis le soir, de crainte de manger, Je faisais le malade, afin de m’obliger À prendre, disait-elle, un peu de nourriture, Mange, mange, mon fils, mange, je t’en conjure, Me disait la pauvrette avec la larme à l’oeil, Si tu ne veux bientôt me voir mettre au cercueil. L’hiver même les draps étant plus froids que glace, Elle s’allait coucher pour échauffer ma place, Et me criait après de la venir trouver. Il vous faudrait enfin, Monsieur, pour éprouver Les plaisirs les plus doux qu’on goûte dans la vie Prendre vite une femme, et je vous en convie. Ah ! ne me parle point de cette lâcheté, Ne me conseille point une infidélité, J’ai promis à Céphise, et je...         Votre Céphise, D’un violent amour ne paraît pas éprise. Depuis quinze ou vingt jours elle passe son temps À se bien divertir en sa maison des Champs, Et quoi que sur sa mère, elle ait beaucoup d’empire, Elle ne prendrait pas la peine de lui dire De faire un tour ici, ce qui fait que je crois Qu’envers vous cette belle, a pu manquer de foi. Non, non, elle me garde une flamme éternelle ; Mais peut-être ayant su la funeste nouvelle Du mépris que mon père a fait de ses appas, Elle est dessus le point... te le dirai-je ? Hélas ! Sur le point d’expirer.         La cause est raisonnable D’un tel retardement.         Que je suis misérable ; Mais cependant qu’elle est absente de ces lieux Dans son portrait du moins admirons ses beaux yeux. Dieux ! qu’ils font rejaillir d’éclat sur sa peinture, Ils mettent de nouveau mon coeur à la torture, Ah ! faut-il... je me meurs.         Qui peut causer en vous... Mais il s’évanouit. Vite ? Quelqu’un ? À nous ? Quel bruit viens-je d’entendre auprès de ma fenêtre ? Aidez-moi je vous prie à soutenir mon Maître ; Ce mal lui vient de prendre ici subitement. Il faut le secourir si l’on peut promptement. Que vois-je, juste Ciel ! je crois que c’est ma femme, Qui tient dedans ses bras... elle mourra l’infâme Et je vais s’il se peut la prendre sur le fait. Hélas ! mon pauvre maître, ah ! bon Dieu, c’en est fait, Ciel !         Il respire encore, et je sens son haleine. Si vous vouliez un peu prendre avec moi la peine De l’emporter chez lui.         Oui, j’y vais de bon coeur. Que son visage encore conserve de douceur. Cette infidèle a fui, et sans oser m’attendre Jugeant bien qu’en ce lieu, je la viendrais surprendre. Avec le scélérat, le traître suborneur Qui vient impunément de lui ravir l’honneur. Je ne m’étonne plus pourquoi cette maligne Sans sujet tous les jours me fait mauvaise mine, Elle cherche à crier, sans doute, et voudrait bien M’obliger à la battre, afin d’avoir son bien. Les femmes maintenant sont tout à fait volages, Et souvent quinze jours après leurs mariages, Elles ont de la peine à souffrir leurs maris : Leur inconstance va jusqu’à leurs favoris, Et voulant tous les jours faire de nouveaux dupes, Elles changent autant de galants que de jupes : Les nouveautés enfin charment si fort leurs sens, Elles ont à leurs yeux des attraits si puissants, Que s’il pouvait encor venir en cette ville Un Roi d’Éthiopie, il serait difficile, Qu’il les pût contenter ; mais qu’est-ce que je vois ? Ouvrons, c’est un portrait qui n’est pas sot ma foi. Son mal n’était qu’amour qui troublait trop son âme ; Mais j’aperçois mon homme.         Ô Dieux ! c’est d’une femme Dont je tiens la peinture. Ô Ciel ! qu’elle a d’appas ! Il regarde un portrait, que dois-je croire hélas ? Certes cette beauté n’a rien qui ne m’attire, Déjà sans y penser je suis sous son empire. Ah ! si ma femme avait des charmes aussi doux... Nous t’y surprenons traître, en parlant mal de nous, Pouvais-tu, dis-le moi, rencontrer une femme, Qui dût plus justement régner dessus ton âme ; Et puisque tant de gens te disent chaque jour Que j’ai plus de beautés que la mère d’amour ; En peux-tu bien douter après leur témoignage. Je devrais les voir seul, et c’est de quoi j’enrage. Et cependant encor tu parais peu content D’une femme si rare et qu’on estime tant ; Et qui peut se vanter enfin d’être si belle, Que toujours mille amants soupirent autour d’elle Sans pouvoir toutefois jamais rien obtenir. Tout ce discours n’est fait qu’afin de retenir Mon portrait, mais aga, rends-le moi je te prie. De nouveau ce discours excite ma furie, Ce portrait me fait trop savoir ta lâcheté ; Je connais maintenant ton infidélité. Ah ! que si je pouvais attraper cette femme Ainsi que son portrait, elle verrait l’infâme. Que verrait-elle ? Hé bien ?         L’invincible fureur Que ton crime et le sien allume dans mon coeur. Pour vous faire à tous deux une guerre immortelle, Spadarille fait mine de ne se pas soucier de ce qu’elle dit. N’ai-je pas tort encor, de crier contre celle Qui m’ôte tous les jours ce qui n’est dû qu’à moi. Je ne te comprends point, de grâce explique-toi. C’est que tu ne veux point malheureux me comprendre, Et si c’était un autre on pourrait bien l’entendre. Que faire maintenant, chacun va désormais Ne plus trouver en moi que de faibles attraits. Son mari (dira-t-on) ne peut être infidèle Que parce qu’à présent Paquette n’est plus belle. Tu ne me tiendrais point de semblables discours Si je ne savais pas tes infâmes amours Perfide ; mais dans peu je pourrai bien te dire Quel est le Jouvenceau pour qui ton coeur soupire. Il lui arrache le portrait de Céphise, et s’enfuit. Mais rends moi mon portrait.         Ah ! Je me vengerai Traître, et dès aujourd’hui malgré toi je l’aurai. Nous voici dans Paris, souvenez-vous Madame, Que vous devez enfin m’ouvrir toute votre âme, Et que vous m’avez dit que je saurais aussi Qui vous a fait presser votre retour ici. Oui je m’en ressouviens et je tiens ma promesse, Apprends donc le sujet de l’ennui qui me presse. Tu sais depuis longtemps qu’Alcippe est sous mes lois, Que mon coeur a toujours applaudi à son choix. Mais tu ne peux savoir que depuis peu son père Était de notre hymen d’accord avec ma mère ; Cependant aujourd’hui par une dure loi, Il le veut empêcher de me donner sa foi, Et le veut marier à certaine Hippolyte, Que je ne connais point, non pour son grand mérite, Ni même à ce qu’on dit pour son esprit charmant, Mais à cause qu’elle a de l’or abondamment. Toi qui vois le chagrin qui toujours m’accompagne, Voilà, voilà, pourquoi j’ai quitté la campagne, Et je m’en vais savoir, s’il se peut aujourd’hui, Si je verrai finir ou croître mon ennui. Je ressens tous vos maux ; mais encore, Madame, Quelque âpre déplaisir que vous sentiez dans l’âme Devriez-vous pas songer que depuis hier au soir Vous avez peu mangé.         Lorsque le désespoir Accompagne l’amour, les peines qu’on endure Nous empêchent de prendre aucune nourriture ; Mais retourne au logis Béatrix, promptement, Je sais bien le moyen de trouver mon amant Sans avoir besoin d’aide, et si tantôt ma mère, Te demande où je suis, dis lui, qu’ayant affaire De coiffes, de rubans, j’en achète au Palais. Vous verrez sur ce point vos désirs satisfaits. Je m’alarme peut-être avec trop d’imprudence ; L’affaire assurément n’en est pas où je pense : Alcippe m’a fait voir jusqu’au fond de son coeur, Et je ne puis penser qu’il ait manqué d’ardeur. Enfin de ce portrait je me puis voir maîtresse Et malgré lui j’ai su lui prendre par adresse. Je ne me souviens point d’avoir vu cet objet. Mais qu’aperçois-je, ô Dieux ! Elle tient mon portrait. Dorénavant hélas ! je vais faire abstinence Plus que je ne voudrais.         Je tremble quand j’y pense ; Et ce portrait ne peut se trouver dans ses mains, Sans qu’Alcippe ait souscrit à l’hymen que je crains. Faut-il que désormais ton mari te méprise ? Que pour d’autres objets son âme soit éprise ? Et qu’avec eux peut-être il se moque de toi, Sans se ressouvenir qu’il t’a donné sa foi. Encor si...     Me trompai-je ?         Encor si cet infâme Se contentait d’avoir une impudique flamme ; Et ne leur fourrait pas le meilleur du logis. Je sens que malgré moi je tremble je rougis. C’est mon portrait sans doute et ma crainte redouble. Vous êtes curieuse ?         Ah ! tirez-moi du trouble Où vient de me jeter...         Qu’est-ce donc qu’elle veut ? De grâce, dites-moi, Madame, s’il se peut ? D’où vous vient ce portrait ?         D’où lui vient cette envie. Mais je n’en doute plus et j’en suis fort ravie, C’est ma femme ou plutôt celle de mon mari. Ce portrait vient des mains de votre favori : Et je ne sais que trop la flamme criminelle, Dont se sent consumer pour vous cet infidèle, Mais il verra dans peu tous ses feux traversés : Je ne sais pas encor si vous me connaissez. Mais vous m’obligerez de cesser une flamme Qui ne peut désormais qu’irriter une femme. Quoi celui dites-vous de qui vient ce portrait... De vos lâches amours est le coupable objet, Et mon mari de plus, et moi je suis sa femme. Ce discours imprévu met le trouble en mon âme. Sa femme...         Oui sa femme, et sa femme en courroux, Vous pouvez aller voir mon déplaisir jaloux, Vous en savez la cause et je vais en instruire De ce pas ses parents.         Que vient-elle de dire, Je n’aurais jamais cru qu’il dût manquer d’amour, Mais l’on m’avait bien dit las devant mon retour Que la personne à qui le destinait son père, Malgré tous ses attraits paraissait fort sévère. Ah ! traître, fallait-il, après tant de serments, Après m’avoir fait voir tous les emportements D’un violent amour, te montrer infidèle Et trahir un objet qui... mais Dieux, je chancelle. L’amour, le désespoir, la fatigue, l’ennui, Et le peu d’aliment que j’ai pris aujourd’hui Font céder tout à coup mon coeur à la faiblesse. Mon infidèle enfin a surpris par adresse... Mais allons secourir... Madame qu’avez-vous. Ce mal me vient de prendre.         Entrez, entrez chez nous, Peut-être y pourrez-vous trouver quelque allégeance. Mon mal avait besoin d’une telle assistance, Vous m’obligez beaucoup.         Ce n’est pas sans raison, Que là dessus votre âme a conçu du soupçon ; Mais quelque fort qu’il soit, jamais la jalousie, Ne vous devait ainsi troubler la fantaisie. Avant que d’imputer un semblable forfait ; Vous devriez les...         J’entends les prendre sur le fait. Ce n’est point tout cela ; mais sachez en amie Qu’un homme sur ce point est exempt d’infamie, Et qu’une femme enfin pût-elle tout savoir, Doit se boucher les yeux et ne jamais rien voir. Moi je ne prétends pas être jamais de celles Qui souffrent lâchement des maris infidèles, Et puisqu’aux yeux de tous il m’a donné sa foi, Il me la doit garder aussi bien comme moi. Bien que par ce discours vous paraissez peu sage, Je prétends empêcher votre mauvais ménage, Tâchez donc à savoir au long la vérité, Et vous verrez après qu’avec dextérité, Je saurai lui montrer que sans crime son âme Pour d’autres que pour vous ne peut nourrir de flamme, Et qu’il doit désormais vous aimer constamment. Voilà, voilà parler avecque jugement, Et si je pouvais voir l’effet de la promesse, On verrait pour jamais sur mon front l’allégresse. Tâchons donc pour cela de savoir... Justes Dieux ! Quoi dans ma chambre même ils ont osé tous deux... Mais je n’y puis songer et la douleur m’accable. Je dois être à jamais à vos soins redevable, Et je me souviendrai de vos civilités. Ne sortez pas sitôt Madame, ou permettez Que je sorte avec vous, et que je vous remène. Je veux vous dispenser de prendre cette peine. Elle me reconnaît, voyons, voyons un peu Ce qu’elle me dira pour déguiser son feu. Mais ce fâcheux objet m’inquiète et me trouble. Fuyons, fuyons, de peur que mon mal ne redouble. Envions-lui pourtant un bonheur si parfait. Ô ! Heureuse d’avoir un mari si bien fait. Il n’est pas de besoin de lui donner la gêne Pour confesser son crime, elle le dit sans peine. Allez, infâme, allez, c’est fort mal fait à vous Que de me débaucher lâchement mon époux. Oui, je la viens de voir, ma surprise est extrême, Je n’en puis plus douter, c’est Céphise elle-même, De ce retour secret je suis peu satisfait. Ô ! heureuse d’avoir un mari si bien fait. Ah ! discours trop piquants, paroles indiscrètes, Je l’eusse fait fourrer dans les Magdelonnettes Si j’eusse sur le champ pu trouver des témoins, Mais puisque j’en manquais, je devais tout du moins. Arracher ses cheveux et pour saouler ma rage De la bonne façon souffleter son visage. Malheureuse, pourquoi ne l’as-tu donc pas fait, Puisqu’elle a devant toi publié son forfait ? Celle qui maintenant devers vous est venue, Dites-moi, s’il vous plaît, vous est-elle connue ? Hélas ! ce n’est pas moi qui la connais Monsieur, C’est mon mari.         Quel trouble agite votre coeur ? Au mal que je ressens, aucun n’est comparable. Vous voyez devant vous un objet misérable ; Celle dont vous parlez a commis un forfait, Mais si noir...         Achevez, dites, qu’a-t-elle fait ? Elle a...     Quoi donc elle a.         Souffrez que je soupire. Et de grâce achevez ?         Je n’ose vous le dire. Pourquoi tant façonner ?         Apprenez donc Monsieur, Qu’elle a pour mon époux une impudique ardeur. Qu’ai-je entendu !         De plus... (quand j’y songe je meure) Ils viennent de chez nous de sortir tout à l’heure, Et j’ai peur...     De quoi donc ?         Puisque vous connaissez Leur mutuelle ardeur, vous m’entendez assez. Perfide, déloyale, âme double et traîtresse, Aurait-on pu prévoir une telle bassesse, De cette lâcheté je demeure interdit, Mais dois-je croire aussi ce que vous m’avez dit ? Ce que je vous ai dit est la vérité même, Je les viens maintenant de surprendre moi-même. Tu t’es donc pu noircir de cette lâcheté Après avoir cent fois vu ma fidélité. Ah ! pour te bien punir de ton ingratitude, Il n’est point ici bas de supplice plus rude. Qu’il est bon.         Je vous rends mille grâces Monsieur, De prendre ma défense avec tant de chaleur, Croyez-moi tout chacun n’en ferait pas de même, Et plusieurs qui m’ont vu dans ma douleur extrême Bien loin de prendre part à mes afflictions, M’ont voulu faire croire à force de raisons, Que mon coeur s’affligeait avec peu de justice, Et que de mon mari d’autres feraient l’office, Et moi je ne veux pas faire une lâcheté, Et je l’aime malgré son infidélité. Oui mon coeur y consent, n’espère pas infâme, Qu’aucune ardeur pour toi jamais rentre en mon âme, Que j’adore jamais tes coupables appas, Mais je dois m’en venger et j’y cours de ce pas. L’on ne le peut nier, cet homme a l’âme bonne, Et plus je songe à lui, plus sa bonté m’étonne. Quoi, prendre ainsi le soin de courir me venger, Voilà ce qu’aujourd’hui l’on appelle obliger, Tout à fait galamment, de la belle manière ; Mais quoi de mon côté, serai-je sans rien faire ? Mon coeur à se venger ne sera-t-il pas prompt ? Pourrai-je bien souffrir un si sensible affront ? Et n’aurai-je recours qu’aux soupirs et qu’aux larmes Qui de mon sexe sont les plus fréquentes armes ? Non, non, dorénavant il ne sera pas dit, Que Paquette voie tout sans montrer de dépit, Et que de son mari l’on partage la couche, Sans que pour s’en venger elle ose ouvrir la bouche ; Courrons donc la chercher cette lâche beauté Qui pousse notre époux à l’infidélité ; Mais je devrais avant que de pousser l’affaire, Songer sur qui je veux décharger ma colère. Cette femme sans doute est plus jeune que moi, Et par cette raison plus robuste je crois, Et si je l’attaquais, quelque ardeur qui m’emporte Je pourrais sûrement n’être pas la plus forte ; Puis donc qu’il est ainsi je ne m’y fourre pas, J’aime par trop mon teint, mes jambes, et mes bras, L’on me reprocherait outre le cocuage, D’avoir été battue, et ce sensible outrage Joint avec le premier me ferait enrager : Aille donc qui voudra maintenant me venger, Pour moi je n’y vais pas et crois sagement faire Quand de peur d’accident je cache ma colère. Mais voyons si j’ai lieu d’être fort en courroux Et de faire éclater ce déplaisir jaloux. Non puisque par bonheur nous n’avons aucun blâme, Quand nos maris sans nous ont un commerce infâme ; Et que quand notre coeur brûle d’indignes feux Tout le blâme aussitôt rejaillit dessus eux. Qu’ils goûtent donc le fruit du feu qui les possède, Je n’en serai jamais plus maigre ni plus laide, Plus maigre ni plus laide sic. Ah! je me trompe enfin, Et je n’ai pas besoin d’un jugement bien fin Pour savoir que le jeûne apporte du dommage À l’esprit, et surtout, qu’il change le visage. C’est pourquoi maintenant je m’aperçois si bien, Que mon mari ne peut sans y mêler du mien Se divertir ailleurs, puisque outre l’abstinence Que je fais tous les jours, le traître a l’insolence D’emporter du logis tout ce qu’il peut trouver Mais ne pourrai-je point à force de rêver... Oui, je tiens un remède assez facile à faire Et qui n’a rien du tout qui ne me doive plaire, Puisqu’il me donne lieu de finir mon ennui Et que par lui je puis recouvrer aujourd’hui Tous les plaisirs perdus et tout le bien encore. Je n’ai qu’à consentir que tout chacun m’adore, Qu’à souffrir qu’on me die en secret les douceurs, Qu’à souffrir des hélas, qu’à souffrir des je meurs, Et je serai vêtue après comme une Reine, De me bien divertir chacun prendra la peine, Je ne manquerai point à trouver tous les jours Un carrosse à ma porte afin d’aller au Cours, Et chassant loin de moi toute crainte funeste, J’aurai bien du plaisir et de l’argent de reste. Oui je veux obéir à vos commandements, Je veux dorénavant suivre vos sentiments Je ne résiste plus et je ferai mon père Tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner de faire, Et quelque objet pour moi dont vous ayez fait choix, Mon coeur dès à présent est soumis à ses lois, Et fût-il et moins riche et moins beau qu’Hippolyte Votre choix lui suffit pour prouver son mérite, Et si vous le voulez je suis prêt dès demain De lui donner mon coeur ensemble avec ma main. C’est ainsi qu’un enfant doit répondre à son père Il doit n’avoir de but que celui de lui plaire, Afin que dans ce monde il fasse un long séjour. Après mille combats j’ai vaincu mon amour, Et le vaincrais encore si c’était à refaire, Afin de vous montrer combien je vous révère. Mais plutôt pour punir le criminel objet Qui se vient de souiller d’un infâme forfait. On ne se repend point de rendre obéissance À ceux à qui nous doit soumettre la naissance, Puisque le temps enfin souvent nous fait bien voir Qu’ils n’usent dessus nous d’un absolu pouvoir Que pour notre intérêt et notre propre gloire. Oui, mais l’on est contraint avant que de le croire De soupirer longtemps.         Tu soupireras peu, Puisque pour te payer d’avoir éteint ton feu, Et te faire passer ta vie en galant homme, Trente mille Ducats font une belle somme ; Mais je vais maintenant avertir de ceci La mère d’Hippolyte, et je retourne ici. Monsieur, quoi qu’Hippolyte en effet soit fort belle, J’aurais gagé cent fois que vous seriez fidèle : C’est pourquoi vous voyez que je ne cèle point Qu’un pareil changement m’étonne au dernier point. Quand tu sauras pourquoi j’ai su vaincre ma flamme, Tu cesseras bientôt de me couvrir de blâme. Et de grâce, Monsieur, dépêchez promptement Car je vous crois souillé d’un vilain changement. Apprends donc qu’en ces lieux l’ingrate, l’infidèle... Où vous fourrerez-vous ? J’aperçois cette belle ! De colère déjà son visage rougit Et l’on voit bien qu’elle a le coeur gros de dépit. Que ses attraits sont doux, quoi qu’elle soit coupable ; Pour me faire souffrir elle est toujours aimable. Puisque j’ai résolu de ne vous voir jamais, Avant que d’en venir Scélérat aux effets, Il faut du moins qu’ici par de justes reproches... Hé ! Monsieur, s’il vous plaît, évitez ces approches, Vous savez ce que peut une femme en fureur. De grâce laisse-moi lui montrer que l’ardeur Qui brûle dans son âme...         Hé bien donc, parle traître ! Et condamne l’objet qui sut la faire naître ; Mais j’ai tort, et ton âme a fait un si beau choix Que l’on me blâmerait peut-être si j’osais Te reprocher... Mais non, vis malgré ton offense Avec le digne objet qui fait voir ta constance. Je vivrai seulement pour vous faire enrager. Mais pourrait-on savoir qui te peut obliger À montrer ce courroux.         Vous avez bonne grâce À faire la surprise.         Oui dans peu son audace, Saura bien recevoir un juste châtiment, Mon coeur a tout à coup changé de sentiment, Et je veux quoi qu’enfin je ne sois qu’une femme, Sans tarder plus longtemps, me venger de l’infâme Qui m’ose lâchement débaucher mon époux. Ah ! Sans que je m’emporte et montre mon courroux, Tournez ici les yeux et vous pourrez apprendre... Je ne vois...         Cet objet a droit de vous surprendre. Mais il doit t’obliger à rougir bien plutôt. Je sens, je sens mon coeur animé comme il faut, Et prêt à seconder mon bras dans cette affaire. Sus donc, satisfaisons notre juste colère, Et pour en assouvir la pressante fureur, Portons lui ce poignard jusqu’au milieu du coeur. Qu’entends-je ?         Voulez-vous que j’aille voir Madame ; Ce bruit ainsi qu’à vous me vient d’alarmer l’âme. Cet Objet vous émeut sans doute et vous fait voir... Que tu t’es pu noircir du crime le plus noir... Finissez un discours si rempli d’insolence. Puisque cet homme encor veut prendre ta défense, Prends courage mon coeur, sois un peu généreux, Et lave dans son sang ses impudiques feux : Peut-être qu’il pourra seconder notre fuite. Puisque avecque raison un tel discours t’irrite, Bien loin de t’accuser de ton lâche forfait, Je dois louer un choix si rare et si parfait. On ne peut dans mon choix trouver rien à redire. Pourquoi le défends-tu puisque enfin je l’admire. Ce discours me déplaît, ne raillons point ici. Il agit prudemment de me défendre ainsi, Et vous n’ignorez pas le tort que vous me faites. D’où vient l’emportement où je vois que vous êtes. Ah ! Que vous feignez bien.         De quoi m’accuse-t-on ? Je pourrais bien Madame avec quelque raison Vous faire voir ici ce que peut ma colère, Et débaucher ainsi l’objet qui m’a su plaire, C’est fort mal fait à vous.         Sa déclaration Ne fait que trop hélas, voir votre passion. Que veut dire ceci ?         Tu ne viens infidèle Que de peur qu’on maltraite ici ta Demoiselle. Déjà depuis longtemps je tâche à concevoir Ce galimatias, et je ne puis savoir, Quel sujet peut entre eux causer un si grand trouble, Mais je m’en veux mêler de peur qu’il ne redouble. Et que de leur querelle il n’arrive malheur. Répondez-moi par ordre, et c’est un coup bien sûr Que je vous tirerai des peines où vous êtes, Et qu’on verra dans peu vos âmes satisfaites. Vous parlez s’il vous plaît, d’où vient votre courroux ? Que mon maître a-t-il fait, de quoi l’accusez-vous ? Qu’après m’avoir promis une éternelle flamme Le traître en mon absence a pu prendre une femme. Une femme.         Une femme et présente en ces lieux. Nommez-nous donc encor cet objet glorieux ? Le voilà.         Que me conte-t-on, moi J’ai dit qu’à mon mari j’avais donné ma foi, Et que j’étais sa femme.         Une heureuse aventure M’ayant fait reconnaître en vos mains ma peinture, Ne m’avez vous pas dit aussitôt que l’objet Des mains dont vous veniez de prendre mon portrait Était votre mari.         Cela pourrait bien être ; Car je l’avais surpris dans les mains de ce traître, Et n’eusse pas sans lui fait savoir son forfait. Que me viens-tu conter avecque ton portrait C’est à tort là-dessus que le courroux t’emporte, Je l’avais par bonheur trouvé près notre porte, Et même quand après ton grand emportement Ayant pris à Madame un mal subitement Je l’ai jusques chez nous conduit à la même heure : Et dedans ce moment, je n’ai pas où je meure Remarqué que c’était la Dame du portrait. Voyez comme il sait bien déguiser son forfait. C’est à tort sur ce point que votre coeur murmure, Et j’ai de ce portrait fait naître l’aventure, Puisque pour mon malheur tantôt sans le savoir, Dans le mal qui m’a pris je l’avais laissé choir. Les choses que je dis doivent passer pour sûres, Et ne suis-je pas un grand dénoueur d’aventures. Dois-je à de tels discours ajouter quelque foi ? Oui, puisque enfin notre homme est bonhomme ma foi, Touche-là.         Tu sais que quoi que tu puisses faire, Je ne puis contre toi retenir ma colère. Oui, oui, jusqu’à ce point j’ai bien pu me trahir, Vous croyant sans honneur j’ai promis d’obéir. Mais mon père paraît.         Ah ! Funeste aventure, Tu mets pour tout jamais mon âme à la torture. Quoi, Céphise en ces lieux ?         Oui je suis de retour, Et le dépit m’amène ici plus que l’amour. Je viens vous reprocher...         Soyez moins en colère. Le Ciel prend votre cause et veut vous satisfaire, Puisque depuis longtemps sans qu’on le sût chez eux, Hippolyte et Cléon sont mariés tous deux ; C’est pourquoi je vous tiens ma parole donnée, Et veux voir achever dans peu votre hyménée, Si votre coeur encor y veut bien consentir Et veut me pardonner après mon repentir. Que ne ferait-on point, hélas, lorsque l’on aime ! Que ne vous dois-je point pour ce plaisir extrême. Si de l’autre mon maître eût épousé la peau, Il eût été chargé de la vache et du veau. Il est bien des cocus dans le Siècle où nous sommes, C’est un mal à présent commun à tous les hommes, Il prend également le laid et le bien fait, Aucuns le sont en songe, et d’autres en effet, D’autres le sont aussi qui ne croient pas l’être, D’autres qui ne font pas semblant de le connaître, D’autres qui voudraient bien aussi ne l’être pas, D’autres qui font par là venir de bons Ducats ; Et d’autres qui toujours se forment des chimères, Dont le nombre est plus grand, ne sont qu’imaginaires.