Que demandez-vous, vieux Soldat ? Monsieur, enseignez-nous, de grâce, Quelque habilissime Avocat À la Bazoche du Parnasse. Mes enfants, votre fort heureux Vous offre en moi le plus fameux. Quel Bonheur, de rencontrer tout d’un coup ce que nous cherchons ! Voulez-vous bien, Monsieur, vous charger d’une affaire que nous avons à votre Tribunal. Très volontiers. Qui êtes-vous l’un et l’autre. Nous sommes de vieux Vaudevilles, À la Critique fort utiles, Et qui sont en très grand renom Depuis fort longtemps à la Foire. Moi, je suis le Couplet Flon-Flon. Moi, je suis la Comère Voire. Je ne vous connaissais que de nom ; je suis ravi de vous connaître personnellement. Hé bien qu’y a-t-il gour votre service ? De quoi s’agit-il ? Il s’agit de nous maintenir , nous, et tous les autres anciens airs du Pont-Neuf ; nos confrères, dans la possession immémoriale où je sommes, de débiter notre marchandise à l’Opéra Comique. Cela me paraît juste. Et qui veut vous troubler dans cette possession ? C’est toute la maudite Engeance Des Airs Nouveaux : C’est le Menuet, la Contre-danse , Quelques Rondeaux, Le Tambourin, le Rigaudon, La Musette, et le Cotillon. V’la, nos parties adverses. Oui, ce sont ces Coquins-là, Monsieur, qui veulent nous chasser d’une boutique que j’occupons depuis vingt ans. Vous chasser dà ! Oh ! Nous verrons cela ! Ils nous ont fait assigner à la Bazoche du Parnasse, pour voir dire que dès aujourd’hui je vuiderons le camp, avec défenses à nous de paraître jamais à la Foire. Comment Diable ! Ça me met en colère. Que ne nous laisse-t-on Terminer cette affaire À bons coups de bâton ? Hé flon, flon !... Doucement, mon Ami ! Point de voie de fait ! Vous avez de bons juges et un excellent avocat. Je m’appelle Maître Grossel. Depuis longtemps je m’applique Au grand art des orateurs. J’ai le geste magnifique, Mes poumons sont des meilleurs ; Et je me pique De bien employer les fleurs De rhétorique. Tant mieux. Bon droit a besoin d’aide. Je consens que l’on me traite d’âne, Si tantôt, contre les nouveaux airs, Je n’obtiens un arrêt, qui vous les condamne À rester dans les bals et dans les concerts. Je vous serons bien obligés, Monsieur Grossel. Mais à qui en veulent tous ces gens-ci ? C’est une partie de nos camarades qui viennent nous joindre. Eh, comment nommez-vous ce Couplet ? Monsieur, c’est le Mitron de Gonesse. Ce Manant ?         C’est Pierre Bagnolet. Et voilà, sans doute, sa Maîtresse. Oui, c’est Diguedon, si chantée à Paris. La belle Diguedon, si chantée à Paris. Et cette mitronne. Marotte. Mignonne. Et ces deux couplets à cheveux gris ? C’est le Traquenard avec Griselidis. Comptez sur moi, mes chers enfants, Je prends votre défense. Venez, ne perdons point de temps Venez à l’audience, Et vous serez, vous serez tous contents De ma rare éloquence. Serpedié ! Monsieur Grossel, vous nous remettez le coeur au ventre. Chut ! V’la deux de nos Parties, adverses avec leur avocat. Ils ne feront Que de l’eau toute claire, Grossel répond Du succès de l’affaire. Nous les étrillerons : Allons, allons, Allons à l’audience, allons. Allons, allons, Allons à l’audience, allons. Cela suffit, Seigneur Menuet : Vous m’avez fort bien mis au fait. Je remplirai tous vos souhaits ; Et je vous réponds du succès De ce procès. Oue, je pense Que bientôt, par votre éloquence ; Nous serons triomphants De nos surannés concurrents. La balance Penchera du côté De la Nouveauté, De notre beauté, De notre gaîté, Et légèreté. Qu’en dit l’aimable Musette. Fi donc ! Fi donc ! Sur notre Scène Pourquoi souffrir des airs si vieux ? Le Public les trouve ennuyeux, Ils donnent la migraine. Renvoyez les, au nom des Dieux, À la Samaritaine. C’est à quoi je conclurai, je vous assure... Mais quelles personnes s’avancent ? Je juge qu’elles sont de votre compagnie. Vous ne vous trompez point. Vous voyez la folle Contre-danse, La Loure et le Cotillon badin. Voici le Mignon de la Provence, Le gentil, le joli Tambourin : Tous Couplets gaillards, dispos, Qui savent faire à propos Un saut, deux sauts, trois sauts. Suivez-moi tous. Je vous promets De vous renvoyer satisfaits Sur votre Scène pour jamais Vous régnerez en paix. Plus de Lampons, de Triolets i De Zon-zons, de Branles de Metz. Amis, enfin je vais Banir les vieux Couplets ; Et vous n’aurez plus désormais Rien à craindre que les sifflets. Vivat, Monsieur Gouffin ! Il nous débarrassera, Tourelourirette, ò lironfa ! De tous ces Polissons-là : Toure , toure , tourelourirette. Soyons témoins de cela, Tourelourirette, ô lironfa ! Appelez les placets. Entre la Dame Éléonor la Tragédie en vers, et Guillemette la Tragédie en prose. Appellez-en un autre. L’auteur de Calisthène contre le Parterre. Mais cela a été décidé. Le Parterre a porté son jugement. Oui, Messieurs ; mais le poète a pris ses juges à partie. Des bons Auteurs ce grand Modèle , Trouve qu’on l’a jugé fort mal ; C’est ce qui fait qu’il en appelle A votre illustre Tribunal. Du bon goût du parterre ayant Une parfaire connaissance, Nous mettons l’appel au néant, Et nous confirmons la sentence. Entre les nouveaux et les anciens couplets de l’Opéra-Comique. Maître Gouffin ? Maître Grossel ? Me voici. Me voilà. Messieurs. Je parle pour la Compagnie Des Nouveaux Couplets, dont Paris Chérit la forme et l’harmonie, Et qui sont ses airs favoris : Contre tous les Couplets antiques , Qui, dans les Opéra-Comiques, Causent l’ennui du Spectateur, Et sont l’effroi de la pudeur. Oh ! S’il vous plaît, Maître Gouffin, Ménagez le prochain : Là-dessus soyez délicat. Je suis un Avocat. Messieurs, voici le fait en deux mots. Les Vieux Couplets de l’Opéra-Comique, après plusieurs années de service, étaient sur les dents ; et déjà le Public, se plaignant de leur caducité, commençait à les abandonner : lorsque les nouveaux airs, mes parties, dont ils implorèrent l’assistance, rétablirent leurs affaires de désespérées. Cela est faux. Ce n’est pas comme cela que... Oh ! Taisez-vous, de grâce ! Maître Grossel, laissez-moi Plaider, je vous en conjure. Je suis de très bonne foi. Turelure ! Je dis la vérité pure. Robin, turelure lure. Maître Grossel, n’interrompez pas maître Gouffin. Je disais donc, Messieurs, que les Nouveaux Couplets remirent le spectacle sur pied, et lui donnèrent une face toute nouvelle. J’ose dire même qu’ils ont depuis eu le bonheur de le rendre tel qu’il devient de Foire en Foire plus agréable au Public : Vires acquirit eundo. Orsus, Messieurs. Comme il faut présumer que l’Opéra Comique Serait encor meilleur, s’il n’avait rien d’antique ; Si tous ses vieux couplets de fa Scène écartés, Y laissaient-les nouveaux étaler leurs beautés : C’est à quoi je conclus, pour la satisfaction du Public, et pour la gloire d’un Spectacle, qui a l’honneur de porter le titre respectable d’Opéra. À moi le dé. Maître Gouffin vous vient, Messieurs, D’étaler bien des fleurs, Pour servir les Demandeurs. Hoçà, voici les Défendeurs : C’est le Reguingué, Le Luron-luré, Gué, gué, Lariré, Avec l’Allons-gai : C’est le Ziste-zeste, Malepeste, Lonlanla, Ramonez-ci, Ramonez-là, Et tout le relie Des gaillards Couplets, Faits Pour rendre les coeurs gais. Ils ne font en effet que trop gaillards. Ne m’interrompez point. Il est inouï, Messieurs, qu’on ose à la barbe de la Bazoche du Parnasse, avancer des faussetés. On dit que mes parties ont été implorer le secours des airs nouveaux ! Cela n’est pas vrai, c’est tout le contraire. C’est vous qui êtes venus mendier un asile dans notre atelier. Oh ! Je vous ferai bien voir que... Me m’interrompez donc point. Je vous ai laissé parler, taisez-vous à votre tour. Paix-là ! Paix-là ! Préparez-vous, Messieurs, à voir l’ingratitude en chausses et en pourpoint. Les Airs Nouveaux, presque tout nus, Chez nous furent les bienvenus ; Mais, en les recevant en frères, Nous réchauffâmes des vipères, Qui maintenant dans notre sein. Veulent répandre leur venin. Ces Ingrats, Messieurs, ont perdu le souvenir de nos bontés. Quelques légères louanges qu’on a données à leur nouveauté, leur ont tourné la tête. Ils s’imaginent pouvoir suffire à tout ; Et qu’étant seuls aux Foires , Ils feront de grands Clercs ; Qu’ils vaudront nos Ouïstanvoires, Qu’ils vaudront nos Tires Lira lires, Qu’ils vaudront nos Airs. Cependant, Messieurs, pour bien apprécier les Airs Nouveaux, ils ne sont bons à l’Opéra-Comique qu’à délasser l’esprit de l’attention qu’il a donnée aux vieux couplets, qui sont chargés de l’essentiel ; je veux dire, du soin important d’exprimer les passions. Hoc opus, hic labor est, comme dit l’autre, Les passions ! Ho-ho ! Nous les exprimerons aussi bien que vous, quand il nous plaira. Je vous en défie, Maître Gouffin, je vous en défie. Est-ce avec un Menuet, est-ce avec une Contredanse que vous ferez l’exposition d’un sujet ? Lequel de vos nouveaux couplets est aussi propre à faire un Récit que le "Cap de Bonne Espérance", et le vieux "Joconde" ? Pour bien marquer la joie, avez-vous l’équivalent d’un "Allons-gai", "Toujours-gai", "D’un-air gai" ? Comment peindrez-vous la désolation, si vous n’avez pas "l’Air de Lapalisse" ? Et fic de coeteris. Bon. Nous avons cent Couplets, Pour marquer l’allégressE ; Nous avons cent Couplets, Gracieux, galanTs et follets : Pour des Airs de tristesse, Lorsque dans une pièce Il nous en faudra, Le grand Opéra Nous en fournira. Ah ! Messieurs, pesez-bien les dernières paroles de Maître Gouffin, et voyez en la conséquence. Nous avons déjà toute la "Petite-oie" de l’Opéra : Venienti occurrite morbo ! Si vous n’y mettez ordre, son Récitatif va venir planter le piquet chez nous. Concluez, Maître Grossel. Je conclus donc à ce qu’il plaise à la Bazoche du Parnasse, de débouter les Parties de Maître Gouffin de leur injuste, prétention, et de les bannir des Foires à perpétuité. Par Apollon, devenez-nous propices ! Depuis longtemps nous ayons le bonheur De divertir, en combattant les Vices : Ah ! Laissez-nous mourir au lit d’honneur ! Songez, Messieurs, que l’Opéra Comique nous doit sa naissance. Nous en sommes les Fondateurs. Nous en sommes les Restaurateurs. Paix-là ! Paix-là ! Nous allons voir, nous allons voir si la Bazoche favorisera des traîtres. Des Traîtres ! Messieurs ; une petite observation. J’ai oublié de dire que les vieux couplets sont de faux frères qui vont servir les Italiens dans leurs parodies. Beau reproche à nous faire ! Est-ce que les couplets italiens ne viennent pas quelquefois nous rendre le même service ? Ne confondons point la reconnaissance avec la trahison. Vous avez beau dire, Maître Grossel. Tous vos Couplets à barbe grise À présent ne sont plus de mise, Hé, bon, bon, bon ! Je t’en répond ! Je conviens qu’ils ne font pas rire , lorsqu’ils n’ont rien qui vaille à dire ; Mais un Zon-zon, Un Ha-voyez-donc, Qui chante une pensée Bien sensée, Bien troussée, Est toujours de saison. Paix-Là ! Prêtez silence. À bien vivre avec leurs rivaux Nous condamnons les airs nouveaux. Les couplets, tant jeunes qu’antiques, Les grands ainsi que les petits, Tendres, gaillards ou flegmatiques , Chacun bien placé vaut son prix. Vous devez être contents. Mais, Messieurs, considérez donc que ce mélange... Tout vieux couplet continuera D’entrer dans un ouvrage : Mais un Auteur se gardera, S’il est prudent et sage, De faire de ces couplets-là-; Un trop fréquent usage. Ah ! Qu’il fera beau voir en scène une Musette avec un Ramonez,la ! Hé bien. N’y a pas d’mal à ça. Sans doute. Devant d’honnêtes gens, je crois, Sans que cela les blesse, Qu’on peut ; avec délicatesse D’un Flon-flon même faire emploi : En rhabillant d’un je-ne-sai-qu’est-ce, En le couvrant d’un je ne-sais-quoi. Vous voyez, Maître Goussin, que mes couplets ne sont pas si diables qu’ils sont noirs. Couplets de nous elle fabrique, Qui vouliez chasser vos Papas ; S’ils vous abandonnaient, hélas ! Vous, fermeriez bientôt boutique. Allez, mes Amis, je vous mets, Tous hors de cour et de procès. Q’ici chacun danse, Puisque tout couplet. Doit de la Semence Doit être satisfait : Toque le Tambourin, toque, Toque le Tambourinet. Toque etc.