Trassidule il est vrai, tes bras ont raffermi Mon pouvoir ébranlé par ce grand ennemi ! Ce triple Gérion qui rendait ma puissance, Dépendante en effet, maîtresse en apparence ; Doit reconnaître enfin, qu’il n’est jamais d’orgueil Qui ne puisse échouer contre un dernier écueil ; Et que l’ambition des plus illustres têtes, Ne peut jamais monter au dessus des tempêtes. Quelque élevé qu’on soit nos destins ennuyeux, Nous ont toujours soumis à la hauteur des cieux ; Et quelque grand dessein que nous puissions résoudre Nous demeurons toujours au dessous de la foudre ! Cet orgueilleux croyait après tant de combats, Qu’il serait à l’abri du sort et du trépas ! Et son ambition secondant son caprice, Ne lui laissait rien voir si haut que Pantonice. Sur cette passion qui flattant ses souhaits, Permettait à son coeur toute sorte d’excès ; Et qui le séduisant d’une fausse croyance, L’emportait tous les jours à braver ma puissance ; Il voulait me borner, jusqu’à ne souffrir pas Que ce qu’ordonnerait son caprice et ses bras ; Me réduisant ainsi moins en vassal qu’en maître, De n’avoir de cr2dit que pour le lui soumettre. Ce pouvoir insolent qu’il usurpait sur moi, Jusqu’à me maîtriser et me donner la loi, M’a fait enfin goûter qu’il était nécessaire, Que ma puissance fut maîtresse ou tributaire ; Et que pour cet effet il fallait hasarder, Le coup qui me ferait servir ou commander. Le succès a fait voir en perdant l’invincible Qu’il n’est point de grandeur qui soit inaccessible ; Et qu’ayant peu monter jusques au plus haut lieu, Pour y faire éclipser l’éclat d’un demi-dieu ! Il faut que tout pouvoir quelque grand qu’il puisse être Succombe désormais et me révère en maître. Je crains plutôt, Seigneur, que Pantonice à bas Ne vous mette bientôt tous les siens sur les bras ! Comme il n’a succombé que sur cette croyance, Qu’on n’oserait jamais attaquer sa puissance, Et qu’il était trop grand pour ployer sous les coups De quiconque en ferait l’objet de son courroux ; L’honneur de ce succès n’est du qu’au peu d’estime, Qu’il faisait du pouvoir dont il est la victime ! C’est en vous dédaignant qu’il vous a fait vainqueur, Comme il vous eut vaincu s’il eut eu moins de coeur. Ainsi vous ne pouvez inscrire cette gloire, Qu’au mépris qu’il a fait de gagner la Victoire ; Et l’éclat en revient moins à votre vertu, Qu’au dédain qu’il faisait d’en être combattu. De vrai si son esprit eût permis à sa crainte, De donner à son coeur quelque sorte d’atteinte, L’eussiez vous attaqué s’il eut seulement su, L’ambitieux dessein que vous aviez conçu ! Ou si de ses amis le conseil politique N’eut trouvé dans son âme un coeur trop héroïque. Cette réflexion qu’il ne nous est soumis ! Que parce qu’il n’a peu nous craindre en ennemis ; Me fait appréhender que l’État d’Andrigene ! Ne nous fasse pour lui les objets de sa haine ; Et qu’en nous assurant de son plus ferme appui, Nous n’ayons ébranlé tout le reste pour lui. Tu considères donc ce coup de ma poursuite, Comme l’heureux effet d’une aveugle conduite, Souviens-toi que j’ai su prudemment concerter L’affaire que tes bras viennent d’exécuter ; Et que ma passion n’a point été la guide, Du dessein résolu pour perdre cet Alcide ; Je sais que tout l’État eût frémi contre moi, Si je l’eusse entrepris sans en prendre la loi. Ainsi j’ai fait agir toute ma politique, Afin de prévenir cette haine publique. Pour me faciliter un si grand attentat, J’ai porté Pantonice à choquer tout l’État ! Je l’ai fait consentir à la gloire fatale, D’attaquer avec moi la ville capitale ; Et par cette action indigne de ses bras, J’ai flétri tout l’honneur de ses autres combats ! Réduisant son destin au malheur nécessaire, Ou de se hasarder, ou bien de me complaire, Puis que n’étant tombé dans la haine d’autrui Que pour me soutenir, en me servant d’appui, Il ne pouvait périr qu’en choquant ma puissance, Ni se mettre à l’abri qu’avec sa complaisance ! Tous les peuples choquez pour m’avoir soutenu, Ne le regardaient plus que comme un inconnu, Qui s’étant oublié de ce qu’il devait être, Ne les avait forcez, que pour me rendre maître, Et par même raison les avait dispensés De rendre leurs devoirs à ses bienfaits passés. Si le peuple ne hait Pantonice et ses frères Que pour avoir servi de base à vos misères ; Vous en êtes l’objet, et cette aversion, Ne retombe sur lui que par réflexion. Ainsi je me crains fort que cette injuste joie Qu’il témoigne à l’abord lors qu’il le voit en proie ; Ne reprenne les traits d’une juste pitié Par les ressentiments de sa vieille amitié ; Et qu’ayant relevé ce Prince de sa chute Il ne vous fasse enfin de tous ses traits la butte. Il sera bien ravi de le voir mal traité Et de le voir puni pour vous avoir porté ; Mais son affection réveillant ses tendresses, Au plus fort des douleurs qu’il soufre en ses détresses ; Vous verrez qu’a la fin il vous fera sentir Les rigoureux effets d’un juste repentir ; Et que redemandant l’heur de sa délivrance, Il s’y disposera par votre décadence, Prétextant même au soin de ravoir ce héros, Celui de vous chasser pour le commun repos. Pour obvier aux maux, dont ta peur me menace, Et pour me maintenir dans mon illustre place ; Je n’ai qu’a fomenter cette funeste erreur Qui fait de Pantonice un objet de terreur ; Le peuple qui le hait sous cette fausse image, Ne reprendra jamais les traits de son visage ; Et loin de réveiller sa première amitié Le croyant sans amour, le verra sans pitié. Enfin si le caprice à tout peuple ordinaire, Faisait que son retour lui semblât nécessaire ; Et que pour cet effet il me fallut fléchir, Sous l’ordre souverain de le faire affranchir ; Philtemide qui hait ce puissant adversaire, Par le motif qu’elle a qu’il voulait s’en défaire, Ne manquera jamais de me donner sa foi, Pour raffermir les siens en s’appuyant de moi. Enfin dois-je trembler pour toute sa furie Ayant de mon côté Protarque et Philarchie. Philthemide est pour vous, et vous êtes certain, Qu’elle vous doit servir et de coeur et de main ; Sachez que le respect qu’elle a pour Andrigene, Lui peut faire épouser son amour et sa haine ; Et qu’elle ne saurait se déclarer pour vous, Si le coeur d’Andrigene en peut être jaloux ! Andrigene étant donc pour son cher Pantonice, Philthemide ne peut être votre complice ; Par le grand soin qu’elle a, de ne branler jamais, Que par ses mouvements et selon ses souhaits ! Au reste le beau noeud qui liait Philthemide Avec tout le parti de ce second Alcide, N’ayant été défait que par la passion Que vous aviez toujours d’en rompre l’union ; Et la fourbe déjà commençant à paraître, Lors que de Pantonice on vous a rendu maître ; Je me crains, que l’horreur, que depuis tant de temps Philthemide avait eu pour tous vos partisans, Ne renaisse en son coeur d’autant plus dangereuse, Que plus elle croira se montrer généreuse ; Et qu’elle ne se doute en voyant d’un revers, Pantonice accablé sous le pois de vos fers Que votre ambition secondant sa manie, Lui fera ressentir la même tyrannie, Quand pour vous raffermir contre un autre malheur, Vous la ferez servir de base à votre honneur. Ne combattras tu point l’espérance certaine, Que j’attends de Protarque et de sa souveraine ? Je ne la combattrai que pour la rassurer ; Et vous dire, Seigneur, qu’il est bon d’espérer ! Mais qu’il est encor mieux, de voir sans assurance Ce qui peut avorter par quelque défiance, Si Protarque avait pris par inclination, Le dessein d’appuyer votre protection, Vous pourriez justement prétendre à l’impossible, De perdre sous son nom le titre d’invincible ! Mais les fausses couleurs dont vous avez dépeint, Le visage innocent, de ce Prince qu’on plaint, Pour faire regarder Pantonice en coupable, Ayant trompé les yeux de cet incomparable, Je me crains qu’à la fin vous n’ayez pour tout fruit Le mortel déplaisir de l’en avoir séduit ; Lors que la vérité faisant voir l’innocence, Viendra désabuser sa première croyance ; Et que lui repeignant Pantonice et ses traits, Avec la majesté de ses premiers attraits ; Il se verra réduit au besoin nécessaire De décharger sur vous l’effort de sa colère ; Pour se justifier en perdant l’imposteur, Qui de son procédé sera l’unique auteur, Voila ce que je crains de tous deux.         Monofthalme. Si c’est ce que tu crains, c’est ce qui peu m’alarme, Jouissons du présent, et laissons l’avenir. Lorsqu’on voit un danger, il faut le prévenir. Souvent, quand on le veut prévenir, on y tombe. Et lorsque l’on s’en rit, on voit qu’on y succombe. En matière d’État trop de précaution, Marque trop de faiblesse, ou trop d’ambition. Quiconque veut régner exempt de toute crainte, Doit savoir le moyen de régner sans contrainte ; Et l’assuré moyen d’acquérir cette paix, C’est d’espérer toujours, et ne craindre jamais. La peur n’est pas toujours lâche, et déraisonnable, Et souvent un grand coeur en peut être capable. La peur ne se nourrit que de divers avis, Qui demande conseil, semble en être surpris ! Ainsi n’en parlons plus ! Mais voila l’Intendante, Retirez-vous d’ici.         Je ne vis que d’attente, Ou plutôt mon esprit pour s’être abandonné, Au conseil malheureux que vous m’avez donné, Entretient mon humeur dans une impatience, Qui m’ôte le repos en m’ôtant l’espérance ! Le bien que j’ai reçu des illustres succès, Où Pantonice allait secondant mes projets, Reproche incessamment à mon âme oppressée Les généreux effets de sa vertu passée, Et ne me permet pas de regarder l’éclat, Dont ses gestes fameux ont fait briller l’État ; Sans croire qu’il n’était, ni foudre, ni tempête, Qui ne dût épargner une si grande tête. Aussi n’avais-je rien qui me fut tant à coeur ; Que de m’intéresser pour ce noble vainqueur ; Quand l’avis prétexté d’appuyer ma Couronne, Suggéra le dessein d’arrêter sa personne ! Et je puis assurer que contre mon désir On conclut le dessein de le faire saisir. Dans le dernier péril où son humeur hautaine Allait précipitant le trône d’Andrigene ; Il fallait ou quitter le timon de l’État, Ou prendre le dessein de ce noble attentat ! Si son ambition eût eu quelque limite, S’il eût laissé briguer pour lui, son seul mérite, S’il se fut contenté de monter en un rang Où devaient l’élever ses vertus et son sang ! Enfin s’il n’eut voulu pour placer sa personne, Qu’un lieu qu’on eût jugé plus bas que la Couronne ; Madame je consens qu’après ce qu’il a fait Il était important qu’il en fut satisfait Mais loin de contenter l’excès de son caprice De ce qu’ordonneraient les Lois et la Justice ; Ne prétendait-il pas, contre toute équité, Qu’on ne se règlerait que sur sa volonté ! S’il cessait de prétendre à l’Architalassie, Il étendait ses droits à la Polemarchie ; Encor loin de borner ses dangereux projets, Au soin extravagant d’avoir eu ces souhaits, Pour comble des excès où l’emportait son zèle, Il voulait, pour régner, subjuguer Choratele ; Afin qu’établissant un pouvoir souverain, Sur les droits affranchis de ce peuple hautain, Il se mit en état d’avoir une puissance Où son ambition fut dans l’indépendance, Et format le dessein de bâtir sous sa loi Une grandeur qui fit ombre à celle du Roi. Je devais pour le moins un peu de complaisance Non moins à sa valeur qu’à ma reconnaissance Ses services passés avaient bien mérité Ou qu’on lui pardonnât quelque témérité Ou qu’on le secondât dans les justes poursuites ; Qu’il faisait pour avoir le prix de ses mérites. Si ce Prince a bien fait il a fait son devoir, Ses progrès n’ont servi qu’à former son pouvoir A le rendre plus fort et d’autant plus à craindre, Qu’il était en état de pouvoir tout enfreindre. J’approuve les raisons qui suspendent les mains, Et qui font balancer les bras des souverains, Avant que leur rigueur secondant leur caprice, Ne leur ait fait porter des arrêts sans Justice ! Mais lors qu’un généreux prétend que ses souhaits, Ne saurait plus passer du devoir à l’excès ; Qu’il peut tout demander, et qu’il peut faire un crime Ou d’un simple refus ou d’un défaut d’estime, Si cet ambitieux avoisine le sang, On doit appréhender qu’il n’en brigue le rang ; Et c’est ne savoir pas régner en assurance Que d’attendre l’effet voyant son apparence. Pour agir de la sorte il serait de besoin, Qu’on eut beaucoup de force, et qu’on eut peu de soin. Les bras entreprenants ont beaucoup d’imprudence, Si leur ambition surpasse leur puissance, Et nous voyons souvent au milieu des succès, Avorter les desseins tombez dans cet excès ! Si j’occupe aujourd’hui le trône en Souveraine Je m’y sieds presque plus en vassale qu’en Reine ; Et la crainte que j’ai de le faire trembler En brassant des desseins qui pourraient l’ébranler, M’empêche d’attenter à ces coups redoutables, Que je tiens ses écueils les plus inévitables. Le Sceptre est impuissant dans les mains de Mineurs, La Couronne sur eux branle à tous les malheurs, Et les temps ont fait voir que ces Illustres têtes, Ont trouvé des écueils dans de moindres tempêtes. Ainsi loin d’exciter quelque grand mouvement Par le dessein hardi d’un emprisonnement, Je crois qu’il était mieux de couler avec feinte, Que de se voir réduit de régner avec crainte. Madame votre peur n’a d’autre fondement Que celui qu’elle prend de votre étonnement ! En faisant arrêter Pantonice et ses frères Vous avez affermi l’État de vos affaires ! Tout branlait, rien ne branle, et le trône et l’État Reprennent à ce coup leur paix et leur éclat. Triomphez en repos, jouissez avec joie Du bonheur éclatant que le Ciel vous envoie ; Et tenez pour certain après ce coup fatal, Qu’on règne en Souverain quand on est sans rival. Vous promettez beaucoup mais je crains le contraire ! Cet illustre Captif m’était trop nécessaire ; Je reconnais déjà qu’une absence d’un jour, Porte la solitude et déserte ma Cour ! Arctodeme, Allomice et ses autres Princesses, Dont presqu’à tous moments je prenais les caresses, Ne se présentent plus, et j’appréhende fort, Que ce coup ne les porte à faire quelque effort ! Mais que veut Disangel.         Arctodeme, Madame Jointe avec Allomice.         Ah je tremble dans l’âme, Ne le disais-je pas ? Qu’est-ce ?         Sont sur le point Avec tout le parti du Prince qui s’est joint, De faire bande à part ! Mais sur tout Allomice, Cherche tous les moyens d’élargir Pantonice. Quel funeste rapport,         L’affaire est en état Si vous ne l’empêchez, de faire grand éclat ; Et déjà les complots faits pour cette cabale, Ont divisé les grands de la maison royale ! Andrigene qui va courant de toutes parts Pour les faire enrôler dessous ses étendards, Proteste qu’on n’en veut qu’à sa seule personne, Puis qu’on a renversé l’appui de sa Couronne ; Ainsi pour obvier à quelque grand affront, Je crois qu’il est besoin d’un remède bien prompt ; Et de n’attendre pas qu’un succès plus notable, Fasse empirer le mal pour le rendre incurable. N’ai-je pas deviné ?         Madame, ces beaux coups Comme ils sont glorieux, font toujours des jaloux, L’orage n’est pas grand, et toute la tempête, Si vous le désirez, crèvera sur leur tête, Tout ce parti se fait plus par raison d’État, Que par aucune horreur qu’on ait de l’attentat ! Et tel s’est engagé peut être dans l’affaire, Qui veut s’en dégager afin de vous complaire, Ainsi tous leurs complots ne tendent qu’à ce point, De servir Pantonice, et ne vous choquer point ! Il est vrai que je crois que l’esprit d’Andrigene Pour le désabuser, donnera plus de peine, Mais laissez m’en le soin !         C’est aussi par vos bras Que je veux démêler tout ce grand embarras. Je te crois bon esprit, Pamphage, mais je pense Que tu verras ici l’écueil de ta puissance, Et que de tes destins, l’admirable dessein N’ayant pu par autrui, te perdra par ta main ! Les vapeurs de ta bille ont grossi la tempête, Que je vois sur le point de crever sur ta tête ; Et j’espère qu’enfin par tes propres complots, Tu nous rendras toi-même en t’ôtant le repos ! Il fallait attenter à ce coup redoutable, Pour te rendre plus grand, plus libre, et plus coupable ; Et nous faire pencher par ce triple motif, De te voir plus méchant, plus grand et moins captif, A prendre le dessein de courre à force ouverte, Pour hâter promptement le besoin de ta perte, Puis qu’étant plus méchant, et plus grand que jamais, Tu n’appuies que trop nos bras et nos souhaits ; Ceux là par la raison, qu’après cette entreprise, T’étant plus agrandi, tu donne plus de prise, Ceux-ci par le motif que nous pouvons avoir, De perdre un malheureux qui sort de son devoir ; Ainsi de tous côtés pour ce grand sacrifice, Nos bras et nos souhaits n’ont que trop de justice ! Oui je te le promets, fallut-il me risquer, À subir les périls qu’on trouve à te choquer, Semnandre le hardi sera le Capitaine, Sous lequel je m’en vais te déclarer ma haine. Vous savez à quel point de fureur et d’excès Peut monter un esprit enflé de ses succès ! Comme l’ambition éblouit son courage, En lui pochant les yeux, elle augmente sa rage ; Et lui fait aspirer à tout ce qu’elle veut, Sans même le borner à vouloir ce qu’il peut ; Le transportant ainsi jusqu’au malheur extrême, De ne vouloir jamais obéir qu’à soi-même, Et de traiter tout joug, même le souverain, Ou de séditieux, ou d’injuste, ou de vain ! C’est cette opinion à laquelle un caprice, Avait fait aheurter l’esprit de Pantonice ; Lorsque lui dépeignant tant d’Illustres combats, Où l’Europe avait vu triompher ses deux bras, Ce mauvais conseiller lui suggérait dans l’âme, Que vivre en dépendant était vivre en infâme ; Que s’il était sujet apparemment, ou non, Il fallait en effet n’en avoir que le nom, Et disposer si bien de la toute-puissance, Qu’il n’eût, de serviteur, que la seule apparence ! Ce principe insolent où son ambition Allait tout soumettant à sa discrétion, Lui faisait regarder le rang de Philarchie, Comme un faîte éclatant sujet à sa furie, Dont le moindre dédain de s’y savoir soumis La pourrait débusquer aussi bien que son fils ! Si les raisons d’État fatales à sa brigue, L’obligeaient quelquefois d’en choquer les intrigues, Et de vrai le mépris qu’il faisait d’obéir, À moins qu’on ne permît qu’il pût tout envahir, Réduisait le pouvoir de notre souveraine, À suivre pour régner son amour et sa haine, Et ne branler jamais que selon ses souhaits, Pour conserver sans bruit et le sceptre et la paix. Ces faîtes de grandeur dont sa maison éclate, Ce pouvoir infini dont son parti le flatte ; Ses charges, ses emplois ne sont que des faveurs, Qu’il doit à l’équité bien moins qu’à ses fureurs ; Et qu’on pourrait nommer les éclatantes marques, Du manque de respect qu’il a pour ses monarques. La rigueur de l’État qui ne va lentement, Que pour frapper, et mieux, et plus assurément, A suspendu longtemps le coup dont sa justice, Menaçait d’abaisser l’orgueil de Pantonice, Jusqu’à ce qu’abusant de son autorité, Qu’il augmentait toujours par son impunité, Il a forcé son bras de ne plus le suspendre, Puisqu’il croyait toujours avoir droit de prétendre. Tecnatine et Proterme ayant su les complots, Que leur frère brassait contre notre repos, Ont été condamnés comme étant ses complices, À subir les rigueurs de ses mêmes supplices. Voilà ce qu’on a crû qu’il fallait que par moi, Vous sussiez aujourd’hui des volontés du Roi. Disposez-vous aussi d’en instruire Andrigene. Que ce coup me surprend, qu’il me donne de peine ? Mon esprit divisé d’un double sentiment, Condamne Pantonice et l’absout promptement ! Sa valeur paraissant aimable et redoutable, Le montre à même temps innocent et coupable ; Elle me le fait voir sous des traits si divers, Que je le juge digne et du trône et des fers ; Et ne pouvant souffrir qu’on blâme sa conduite, Je ne puis endurer qu’on vante son mérite. Ainsi de quelque part que je jette mes yeux, Ou sur ses partisans, ou sur ses envieux, Je trouve également de l’excès et du crime, Et sur ce qu’on le blâme, et sur ce qu’on l’estime. Pamphage qui le peint avec mille couleurs, Qu’il emprunte du droit moins que de ses malheurs, Ne peut en déguiser assez bien le visage Pour l’ôter à mon coeur, et laisser à ma rage. Et ces deux sentiments ainsi si partagés, Par les divers motifs qui les ont engagés, Rendent également ce prince sous la chaîne, L’objet de mon amour et l’objet de ma haine. Voilà tout ce que peut en cet état mon coeur, Pour obliger les deux, le pris et le preneur ! Cependant que le temps éventant mon intrigue, Me fera déclarer pour l’une ou l’autre brigue. Madame !         Rendez-moi celui qui de mon nom, N’a pas moins étendu le bruit que le renom. Rendez-moi ce grand coeur dont la seule vaillance, A raffermi mes droits et porté ma puissance ; Rendez-moi le vainqueur de tous mes ennemis ; Rendez-moi le César de ceux que j’ai soumis ! Oui rendez-le, et s’il faut que ma maison périsse, Risques-là je le veux, pour ravoir Pantonice. Madame, le pouvoir qui tient sa liberté, Sous les droits souverains de son autorité, A cru que la douceur n’étant plus qu’impuissante, Pour tâcher de borner son âme entreprenante, Il fallait hasarder cet illustre attentat, Afin de redonner la paix à votre État ! Et vivre désormais sans crainte des alarmes, Où l’on était toujours par la peur de ses armes. Voilà ce qu’on a cru qu’il fallait que par moi Vous sussiez aujourd’hui des volontés du Roi. Des volontés du Roi ? Quoi les jugez-vous telles ? Je dis ce qu’on m’a dit.         Volontés criminelles, Puisqu’en voulant ôter l’auteur de mon éclat, Elles choquent le Roi, ma maison et l’État ! Volontés qui ne sont que les effets sinistres, Et du plus insolent et plus fier des ministres ! Volontés que je prends pour les avant-coureurs, De mille événements, et de mille malheurs ; Volontés qui seront (si le ciel m’abandonne) Pour ébranler bientôt mon trône et ma couronne ! Volontés, où l’Enfer pour braver mes desseins, A porté le conseil de mes mauvais destins ! Et puis vous me direz pour accabler ma joie, Qui sera désormais à tous les maux en proie, Voilà ce qu’on a crû qu’il fallait que par moi Vous sussiez aujourd’hui des volontés du Roi. Dites, dites plutôt sans déguiser leur rage, Voilà les volontés du malheureux Pamphage. Je dis ce qu’on m’a dit.         Mais ne savez-vous pas, Quel est votre pouvoir ? Quel celui de ses bras ? S’il ajuste le sien aux lois de la justice, Vous devez procurer que l’on m’en avertisse ! Et puisque vous savez que vous n’êtes chez moi, Que pour vérifier les volontés du Roi, Pourquoi m’annoncez-vous des volontés injustes Sous le titre innocent des volontés augustes ? Madame, mon pouvoir est à présent réduit, À dire aveuglement tout ce qu’on me prescrit ; Depuis que dans l’État cet insolent corsaire, A pu par sa faveur se rendre nécessaire, Depuis qu’on ne dépend que de sa seule loi, On ne me porte plus les volontés du Roi, Pour les vérifier, mais pour vous les déduire ; Pour dire ce qu’il faut, mais ce qu’on me fait dire ! Si je parle autrement on dit que d’Albion, J’imite et l’insolence et son ambition ; Et qu’insensiblement on voit mon arrogance, Attenter sur les droits de la toute-Puissance. Ah ! ne permettez point qu’un coquin travesti, Fasse si noblement triompher son parti, Faites de ses desseins avorter les intrigues, Par la désunion de ses funestes ligues ; Et remettant ainsi votre droit ébranlé, Dans le premier état dont il s’est ravalé, Pour un premier essai de ce coup de justice, En vous rétablissant remettez Pantonice. Je le répète encor ! Mon pouvoir est réduit À taire ce qu’on fait, et faire ce qu’on dit ! Si je fais trébucher les poids de mes balances, C’est moins selon le droit qu’en faveur des puissances ! Ce cyclope étranger dont l’esprit intrigueur, Dispose de vos lois au gré de sa rigueur ; S’est rendu si puissant, même dedans moi-même, Que je ne puis du tout aimer que ce qu’il aime ; Et de mes sentiments qu’il a tous partagés, Ceux qui sont pour autrui sont les moins engagés. S’il s’en trouve quelqu’un qui dans ce grand divorce, Ait pour vos intérêts encor assez de force ; Mille autres corrompus le rangent à leur voix, Ou rendent son suffrage inutile, et sans poids ! Et je me vois réduite à ce malheur extrême, Qu’un crime malgré moi s’élevant dans moi-même ; Sous l’injuste rigueur de deux divers combats, Je veux à même temps ce que je ne veux pas ! Et ne puis consentir même à ce que j’estime Que l’équité du droit me fait voir légitime. Ainsi voyant l’état où mon bras est réduit, De ne décider rien que ce qu’on lui lui prescrit, Si vous voulez par moi rétablir Pantonice, Rendez-moi le pouvoir de rendre la justice. On ne juge donc plus qu’au gré de ses souhaits, Ses seules volontés président au Palais ! Il est donc l’intendant de toute ma justice, Il règle mon État, il règle ma police ; Il est le Souverain, et ne laisse à mon Roi, Que le titre apparent d’arbitre de la loi ! Tout relève de lui, tout est dans son servage, Les grands et les petits lui rendent leur hommage ! Tout tremble sous sa main et moi-même je crains, La rigueur de ses lois lorsque je les enfreins ! Ah ! C’est trop endurer, c’est trop être captive, Et c’est trop se passer du bien dont il me prive ! Justes Cieux qui pouvez nous rendre triomphants, Armez-moi de fureur, armez-en mes enfants ; Secondez le dessein que m’inspire ma rage, Pour secouer le joug du malheureux Pamphage ! Et ne permettez point qu’Andrigene et les siens, Succombent sous le poids de ses honteux liens ! Puisque pour élargir mon brave Pantonice, Je dois premièrement affranchir ma Justice ; Est-il de généreux qui ne soit point ravi, D’affaiblir un pouvoir qui le tient asservi, Et de se redimer du honteux esclavage, Qui captive les bras de ce grand Personnage ! Non, non, je reconnais l’humeur de mes enfants, Je sais qu’ils ne sont pas moins libres que vaillants ; Et qu’au premier éclat que la voix de leur mère Fera pour les porter au soin de cet affaire ; On les verra d’abord courir de toutes parts Pour venir s’enrôler dessous mes étendards, Enfin Pamphage, il faut ou bien que je périsse, Ou bien toi, pour ravoir mon brave Pantonice ! Mais n’aperçois-je pas mes plus fermes appuis, Et les consolateurs de mes plus grands ennuis ? Il faut les éprouver.         Nous fuyez-vous Madame. Allez, allez vous-en courtiser un infâme, Allez prostituer ce respect suborneur, À celui qui trahit ma gloire et mon bonheur, Je ne vous connais plus que comme des rebelles, Que le seul intérêt jette dans les querelles, Et qui loin de régler vos projets et vos voeux, Sur les lois d’un principe, et grand et généreux ; N’avez pour tout motif que cette ardeur commune, D’asseoir les fondements d’une haute fortune. Madame, entrez donc mieux dedans nos sentiments ; Reconnaissez nos coeurs et tous leurs mouvements ; Et ne nous blâmez pas du moins sans nous entendre. Qu’espérez-vous de moi, que pouvez-vous prétendre ? Je ne me repais plus de ces éclats trompeurs, Qui sous un beau semblant cachent de mauvais coeurs ! Vos effets m’ont instruite à régler ma croyance, Sur tout ce qui serait contraire à l’apparence ; Et je vois maintenant que pour en juger bien, Il faut écouter tout et n’en attendre rien. Madame, vous savez par les effets contraires ! En poussant mes desseins vous faisiez vos affaires ; Ne me reprochez plus que dans cet attentat, Que Pamphage entreprit pour braver mon État, Vous fîtes avorter par un succès sinistre, Le dessein insolent de ce mauvais Ministre ! Je sais que l’un et l’autre également jaloux, De choquer un pouvoir qui s’en prenait à tous, Fit paraître pour lors une éclatante marque, Du zèle qu’il avait pour servir son monarque ! Mais le temps a fait voir que la nécessité, D’affranchir tout l’éclat de votre liberté, Était le seul motif qui vous fit entreprendre, L’honneur de vous venger, non pas de me défendre ! Et que mes intérêts n’entraient dans vos esprits, Qu’afin d’y colorer ceux que vous aviez pris. Ce discours nous surprend autant qu’il nous étonne. Si par le seul motif d’appuyer ma Couronne, Votre zèle vainqueur eût entrepris le soin ; De venir m’assister à ce pressant besoin, N’eussiez vous point frémi lorsque pour vous remettre Avec cet assassin, ce voleur et ce traître, Vous avez conspiré lâchement au dessein De venir m’arracher Pantonice du sein. Madame.     Je le sais.         Voulez-vous sans défense, Irriter votre esprit contre notre innocence. Parlez ! Mais gardez-vous de me déguiser rien, Dites sincèrement et le mal et le bien. Madame la raison qui fonde en apparence L’infidèle soupçon de cette défiance, Et qui nous fait passer dans votre sentiment Pour les auteurs secrets de l’emprisonnement, N’est rien qu’un pur effet tiré par conjecture, Des désordres du temps et de leur conjoncture, Après que par nos soins Pamphage surmonté, Ne vit plus de ressource à son espoir dompté, Et que sa passion à son honneur fatale, Eût enfin échoué contre la Capitale ; Ces troubles intestins heureusement conclus Au gré des triomphants comme au gré des vaincus, Donnèrent le dessein après tant de divorces, De conspirer pour vous avec toutes leurs forces ! Et de se réunir pour vivre désormais Dans la tranquillité d’une profonde paix ! Pamphage se doutant que sa haute fortune, Serait pour s’écrouler dans cette paix commune ; Et que cette union qui régnait parmi nous, Ne pourrait subsister sans faire des jaloux ; S’imagina dès lors que sa grandeur troublée Étant et la plus haute et la plus ébranlée, Serait et pour servir de butte à tous leurs traits, Et pour les diriger par ses charmants attraits, S’il ne préoccupait par quelque coup d’intrigue, Les dangereux effets qu’il craignait de leur ligue ! Vous savez le dessein que ce lâche intrigueur, Entreprit pour vous perdre et nous perdre d’honneur Lorsque prévoyant bien que notre intelligence, Serait assurément l’écueil de sa puissance, Il nous divisa tous pour nous rendre moins forts, Et nous faire périr par nos propres efforts, En effet les couleurs dont l’effet de sa rage Déguisait tous les jours notre innocent visage, Les crimes supposés dont ce maître imposteur, Chargeait secrètement nos mains et notre coeur ; Causèrent le soupçon que du moins Pantonice, Pouvait apparemment fonder sur la justice, Lors qu’ayant renvoyé son carrosse chez soi, Pour en éprouver mieux la créance et la foi ; Il sut le lendemain que des gens de carnage, Qu’on avait aposté pour l’attendre au passage ; Avaient effrontément sur un de ses valets, Fait décharger les feux de quelques pistolets ; Ayant cru que c’était du sang de cet Alcide Qu’ils allaient assouvir la soif de Philthemide ! Pantonice à ces mots saisi d’étonnement Croyant et l’imposture et le crime évident, Ne laisse plus douter à son âme ravie, Qu’on n’ait eu le dessein d’attenter à sa vie. Il s’emporte, il attaque, il nous oblige tous, De nous mettre en défense en repoussant ses coups ; Quoiqu’avec le dessein de lui faire connaître Les succès triomphants des complots de ce traître, Après quelques chaleurs que les premiers transports, Avaient fait exhaler en mille vains efforts ; Comme la trahison commençait à paraître, Au travers des clartés que nous y faisions naître ; Pantonice éclairé reconnaissant l’erreur, Où l’avait fait tomber cet esprit suborneur ; Était presqu’en état voyant notre innocence De rentrer avec nous en bonne intelligence ; Lorsque ce scélérat prévoyant le danger, Où la réunion le devait engager, Préoccupe ce coup fatal à ses affaires, En faisant arrêter Pantonice et ses frères. Madame sur cela faites notre procès. Je consens avec vous que ce fatal succès, Ne vous est imputé que par la conjecture, Qu’on croit pouvoir tirer de cette conjoncture. Mais enfin pouvez vous démentir ce qu’on dit. Quoi ?     Vous vous en doutez.         Si c’est encor un bruit, C’est un bruit, mais fondé sur quelque vraisemblance, Et qui du moins n’est pas contraire à l’apparence. Ce discours nous surprend.         N’êtes-vous point remis, En bonne intelligence avec mes ennemis ? Estes-vous en dessein de nier que Pamphage, N’ait triomphé de vous, et de votre courage ? Enfin vous l’avez vu.         Nous l’avons vu, de fait ; Mais nous ne l’avons vu que pour notre intérêt ! Et c’est par ce motif que je me justifie De l’amour prétendu, duquel on se défie. Pendant qu’après le coup de cet assassinat, On nous allait traiter en criminels d’État, Et que de tous côtés on voyait Pantonice Intéresser pour lui les bras de la Justice ; Nous avons aussi crû qu’il était à propos, De nous mettre à l’abri des traits de ce héros. Que même avec honneur pendant ce grand orage, Nous pouvions nous couvrir du pouvoir de Pamphage. Je sais que les faveurs de ce tyran jaloux, Portaient également et Pantonice et nous ; Qu’il ne favorisait ses desseins et les nôtres, Que pour nous désunir les uns d’avec les autres ; Et qu’il ne voulait point, nous voyant en danger, Ni nous en garantir, ni nous y voir plonger, Afin d’avoir loisir pendant notre défense, De se fortifier avec plus d’assurance ! Et de se raffermir dans son superbe rang, En nous faisant choquer par les Princes du Sang Pendant que, balançant son amour et sa haine, Il en rendrait toujours la poursuite incertaine. Mais quoi que sa faveur ne nous ait jamais mis, Ni parmi les vainqueurs, ni parmi les soumis, Il était toutefois de notre politique De ne rejeter point ce pouvoir tyrannique, Qui nous mettait du moins à l’abri du danger, Quoi qu’il fut sans dessein de nous en dégager. Si vous n’avez donc vu le malheureux Pamphage, Que par le seul motif d’en tirer avantage, Et de l’intéresser, pour vous couvrir des coups, Que vous appréhendiez d’un illustre courroux ! Étant hors de danger vous n’avez plus d’attache, Qui vous puisse engager au parti de ce lâche, Secondez donc mes voeux.         Madame, commandez. Je suis au désespoir si vous ne le perdez, Et si pour élargir mon brave Pantonice, Vous ne sacrifiez ce Monstre à ma Justice ! Madame, le motif que vous nous en donnez, Par le simple désir que vous en témoignez, Nous fera rechercher le repos et la joie Dans le juste dessein de vous le mettre en proie. Mais pour ce grand succès, permettez qu’à son tour, Nous fassions contre lui combattre notre amour. Et sans vous étonner de voir la complaisance, Que nous témoignerons encor à sa puissance ! Tenez pour tout certain que notre affection, En viendra mieux à bout que notre aversion, Et qu’en étudiant les soins de lui complaire, Nous saurons bien trouver l’heur de vous en défaire. C’est le fortifier que d’aller contre lui, Pendant qu’il se soutient sur un si ferme appui, Et que l’autorité de notre souveraine, Peut en le défendant, condamner notre haine ! Mais si nous l’attaquons avec ce beau semblant, De vouloir affermir son pouvoir chancelant, Loin d’en appréhender la secrète entreprise, Il donnera plutôt lui-même plus de prise, Et nous le ferons choir sans crainte d’encourir Les disgrâces du bras, qui peut le secourir. Votre dessein me plaît, j’en juge la conduite, Et digne de vos bras, et de votre poursuite, Poussez-le jusqu’au bout, et c’est à ce succès, Que je me règlerai pour faire son procès. Tout est entre nos mains et c’est par notre haine Qu’on peut perdre Pamphage et sauver Andrigene. Le dessein est hardi ! Mais il est à propos Que nous le poursuivions pour le commun repos ! Et que nos intérêts soumis à notre gloire, Ne nous empêchent point d’en presser la victoire. Ne précipitons rien, il sera toujours temps De perdre à notre gré Pamphage et ses agents ! Observons à loisir, pour juger sans méprise, La pante que l’État prendra dans cette crise. Et nous établirons puis après nos avis, Sur les réflexions que nous en aurons pris. Vous savez qu’Arctodeme et la noble Alomice, Soutiennent le parti du vaillant Pantonice, Et qu’on dit constamment que Pamphage et les siens, Seront enfin contraints de briser ses liens, S’ils ne font triompher leur force et leur adresses De l’esprit mutiné de ces grandes Princesses, Attendons en la fin et sur l’événement Nous jugerons, et mieux, et plus assurément. Oui sachez que ces feux que vous venez d’éteindre, Loin de me rassurer me font encor plus craindre, On m’a toujours appris qu’un calme si soudain Ne peut comme il est prompt qu’il ne soit incertain ! Les choses qui se font avec tant de vitesse, Ont moins de fermeté qu’elles n’ont de faiblesse ! Ainsi ne croyez pas que ce trouble arrêté Me rende le repos que vous m’avez ôté. Il est toutefois vrai que sans beaucoup de peine L’une et l’autre a ployé sous notre souveraine, Et que sans point d’effort ses ordres triomphants, Ont été respectez parmi tous leurs enfants. Je croyais bien d’abord qu’Arctodeme affranchie, Ne succomberait point au gré de Philarchie ; Et qu’il faudrait enfin que son autorité, En vint, pour la ranger à quelque extrémité ; Mais elle a témoigné, résistant avec feinte ; Et ployant sous nos lois sans beaucoup de contrainte ; Que son dessein n’était que de nous faire voir, Le peu que de ses bras exigeait son devoir ! Et qu’afin de montrer en faisant un peu ferme, Comme elle était sensible au malheur de Proterme, Il fallait opposer un effort sans danger, Afin de le servir sans nous désobliger. Allomice, il est vrai, nous a fait plus attendre, Avant qu’elle ait conclu le dessein de se rendre ! Et les premiers défis qu’elle a fait à l’abord, Nous faisaient soupçonner un vigoureux effort ; Mais enfin nous l’avions entièrement fléchie, N’eut été le conseil de son Euphilachie ; Laquelle s’obstinant à ne consentir pas, Qu’elle nous reconnût avant quelque combats, A porter sa raison, avec son artifice, A choquer tout l’État pour servir Pantonice ! Mais nous avons rompu cet impuissant effort, Et nous l’avons soumise.         Oui, mais c’est par accord, Et n’ayant jamais peu par force la soumettre ; Il a fallu traiter pour vous en rendre maître. C’est ce que vous taisiez.         Et que j’ai toujours cru, Indigne d’être dit bien plus que d’être tu ! Puis que de quelque part que vienne la victoire, Elle traîne toujours à sa suite la gloire, Et le laurier cueilli sans épandre du sang, Mérite à son vainqueur un plus superbe rang ; Ne me déguisez pas d’une belle apparence, La gloire d’un succès honteux à ma puissance, Qui traite avec autrui le traite de rival, Et monstre en composant qu’il le croit son égal. Et si par vos complots l’autorité royale, Est réduite à traiter sa sujette d’égale, Jugez si ce succès quoi que victorieux Procédant d’un traité peut m’être glorieux ; Mais ne rengregeons pas la douleur qui m’en reste, Par le triste récit de son succès funeste, Terminons tous nos soins à prévoir le malheur ; Qui pourra désormais traverser mon bonheur. Votre calme est remis avec tant d’avantage, Qu’il n’est seulement pas capable d’un orage ; Ces esprits mutinez que la rébellion, Avait fait révolter contre votre union ; Sont maintenant réduits après tant de corvées De soumettre à vos lois leurs têtes soulevées ! Tellement qu’après eux je vois que désormais, Le reste est impuissant pour troubler votre paix ! Ainsi reposez-vous sur ma seule conduite, Comme de ces succès je réponds de leur suite. Cependant permettez que parmi ces revers Nous goûtions le plaisir de voir vaincre vos fers, Et ne dédaignez pas qu’après tous ces orages, Je vienne le premier vous rendre mes hommages. Insolent, effronté, c’est donc la le dessein Que tu dissimulais sans l’éclore du sein, Tu prétends malheureux qu’après tous ces orages Tu viendras le premier me rendre tes hommages ! Et que je te verrai sous un masque trompeur, Apparemment vassal, en effet mon Seigneur. Ah s’il faut que la paix me coûte tant de honte, S’il faut pour t’affermir que les mutins je dompte, Je n’aime désormais que mes seuls ennemis, Et je hais le repos qui doit être à ce prix, Oui oui détrompe toi, les désordres les ligues Les troubles, les malheurs, les complots, les intrigues, Seront mes passe-temps, pourvu qu’en m’ébranlant, Ils puissent ébranler ton pouvoir chancelant, Me faisant espérer que pour hâter ta chute, Ils ne prendront que toi pour leur servir de bute ! Si je m’imaginais qu’a faute de mutins, Tu pourrais apaiser les troubles intestins, J’allumerais les feux pour en tirer les flammes, Qui pourraient réchauffer la froideur de leurs âmes ; J’irais sonnant par tout un horrible beffroi, Pour tâcher d’irriter tous les coeurs contre toi. Et je ne croirais pas qu’il peut être de crime, Qu’on ne peut expier en t’offrant pour victime ; Mais je ne sais que trop que les plus gens de bien, S’ils ne te haïssaient ne haïraient plus rien ; Et que je ne puis voir la fin de cet orage, Qu’après l’heureux succès de ton fatal naufrage ! Ainsi tourne tes soins et tes meilleurs projets Au malheureux dessein de me rendre la paix ; Sache que mes enfants auront trop de justice, Pour l’accepter jamais sans ravoir Pantonice, Et que ce conquérant étant remis par moi Ne manquera jamais de m’affranchir de toi. Et bien n’est-il pas vrai que l’esprit d’Andrigene, Ne peut point se résoudre à suivre notre haine ! Et que loin de tourner à gloire vos succès Elle les croit honteux à ses autres progrès ! C’est ce qui me surprend et ce qui me fait croire Qu’elle ne connaît pas, ou qu’elle hait sa gloire, Je pense toutefois que ce n’est qu’au de hors, Qu’elle s’obstine encor pour ses premiers transports ; Et lors qu’apparemment sa passion me blâme, Elle fait mon éloge au milieu de son âme ! Un esprit généreux lors qu’il craint sans sujet, Ne peut le confesser puis après qu’a regret ; Et ne peut accuser qu’après un peu de feinte, Les premiers jugements d’où provenait sa crainte. Andrigene avait cru que Pantonice pris, Causerait désormais toute sorte de bruits, Et sur ce sentiment appuyant ses ombrages, Elle fondait la peur de mille grands orages ! Mais enfin le succès a fait voir que son coeur, Avait été saisi d’une trop prompte peur, Et honteuse de voir dans un succès contraire, Que s’il faut avoir peur il faut savoir la taire, Elle n’a peu d’abord, et malgré sa raison, Confesser que sa peur était hors de saison. Jugez en autrement, je sais ce qu’elle en pense, Elle croit ce succès fatal à sa puissance Et réglant le futur sur cet événement Elle appréhende encor quelque soulèvement Si c’est ce qu’elle craint, elle en est bien a plaindre, Si c’est ce qu’elle craint c’est ce qu’elle doit craindre Pourquoi ?         Vous ignorés ce qui me fait trembler Ou de peur de m’aigrir, vous le voulez celer. Madame !         Savez-vous que les pleurs d’Herogene, De tous ses ennemis ont apaisé la haine, Que Protarque est fléchi, Philideme remis Qu’à ses tristes accents Mistarque s’est soumis Et qui pis est encor ! Le croirez vous ! Themide Quitte votre parti pour joindre Philthemide. Prévenez ces malheurs.         Mais je ne les crains pas, Il ne m’est point nouveau d’en voir tant sur mes bras Protarque est généreux et si je l’ose dire Par sa propre bonté je le pourrai séduire. Je saurai déguiser avec tant de couleurs, Le besoin de choquer ces disertes douleurs, Que sans me tourmenter, sans me donner de peine, Je lui ferai quitter le parti d’Herogene. Outre que cette Dame a par un ordre exprès Reçu commandement de nous laisser en paix, Et de ne troubler point le repos qui nous reste ! Par quelque autre attentat à nos desseins funeste ! Au reste vous savez qu’il ne tiendra qu’à vous, D’intéresser bientôt Philthemide pour nous, La raison qui l’attache au parti d’Herogene N’est qu’un simple motif de sa première haine, Que je ferai changer au gré de mon souhait, Si je montre à ses yeux icelui de l’intérêt, Mystarque attend beaucoup, et notre diadème Peut beaucoup agrandir l’éclat de Philideme ; Ainsi ne craignez pas qu’ils ne soient tous pour moi. S’ils en espèrent plus que de quelque autre emploi, Themide est au plus fort, et je n’ai rien à craindre Pourvu qu’elle ait du moins un prétexte de feindre. Si tout vous réussit comme vous espérez, Il ne faut point douter que vous triompherez, Mais on voit bien souvent que celui qui se trompe S’élève avec excès, pour périr avec pompe ! Qui se flatte par trop ne se reconnaît pas, Et qui se connait bien s’alarme à chaque pas. Je m’en rapporte à vous, ménagés cet affaire, Il n’est pas trop aisé de s’en pouvoir défaire, Mais voila les écueils de votre autorité. Je vous laisse avec eux.         Enfin sa Majesté Sur les grands sentiments qu’elle a de votre zèle À n’épouser jamais que sa seule querelle Penche à vous reconnaître et payer à nos soins Ce qu’elle en a reçu dans ses plus grands besoins C’est bien tard à mon gré que sa bonté trop lente Se résout à remplir une si vieille attente. Mais on reçoit aussi le bien-fait attendu Avec plus de plaisir, parce qu’il est mieux dû. Quelque longueur de temps qu’elle nous fasse attendre, Les faveurs que par vous elle nous fait prétendre, Elle prévient nos voeux et paye par bonté, Bien plus qu’en la servant nous n’avons mérité. Il est de nos devoirs de n’avoir que pour elle Ni dessein, ni désir, ni passion, ni zèle, Et lors que sa bonté nous en rend quelque honneur, Ce n’est pas par devoir, mais par pure faveur. Jugez à votre gré des desseins magnifiques, Qu’elle a pour honorer vos vertus héroïques ! Qu’importe du motif si tout le monde voit, Qu’enfin pour son honneur c’est ce qu’elle vous doit Elle a jeté les yeux sur l’Architalassie, Et sur les premiers rangs qui sont dans l’hiérarchie, Et c’est pour y monter les deux que dans l’État Elle croit les plus forts pour en porter l’éclat. Il est vrai qu’un rapport fondé sur l’apparence Que vous aviez fléchi sous une autre puissance Était pour l’empêcher quoi qu’elle l’eut promis De vous en renforcer vous croyant ennemis ! Mais convaincue enfin que les pleurs d’Herogene N’avaient que pour un temps apaisé votre haine, Et que certains soupirs échappez par pitié, Avaient fait le soupçon d’une fausse amitié, Loin de vous condamner dans cette conjoncture, Elle a justifié toute la procédure. Pouvions nous refuser quelque ressentiment, Ou le juste transport de quelque mouvement, Lors que presqu’à nos pieds une Princesse en larmes, Avait plus de pouvoir, que n’eussent eu ses armes ! Les respects qu’à ses yeux les nôtres ont porté, Ne dérogent en rien à son autorité, Et nous n’avons fléchi sous les pleurs d’Herogene Que pour la consoler en partageant sa peine. Il est trop mal-aisé de résister aux pleurs, Et ne se peut qu’on soit insensible aux douleurs. L’esprit le plus brutal, l’esprit le plus farouche Succombe à la pitié quand la douleur le touche. Et pour dire en un mot il n’est point de grand coeur, Dont ce beau sentiment ne se rende vainqueur ! Mais aussi la raison ayant cédé la place Aux sentiments conçus après quelque disgrâce, Demande puis après reprenant son pouvoir, Qu’avec elle le coeur rentre dans son devoir, Et que les pleurs séchez laissent un beau visage, Pour rendre à la Justice un plus sincère hommage. Je confesse pour moi que c’est avec regret Qu’à ses justes douleurs j’ai donné le sujet, Et que si j’eusse su quelque autre Politique Pour raffermir l’honneur de l’État Monarchique. Loin d’attenter au coup qui fait cet embarras, J’eusse pour m’opposer intéressé mes bras ! Mais aux raisons d’État ma puissance soumise N’a peu se dispenser d’en brasser l’entreprise ! Et j’ai cru que l’honneur obligeait son pouvoir, De procurer la Paix en faisant mon devoir ; Vous le savez trop bien. Mais que me veut ce Page. Seigneur je viens vous faire un importun message, Qu’est ce ?     Un nouveau complot...         Quelqu’un des mécontents Qui veut se prévaloir des désordres du temps, Je me doute qui c’est. Mais poursuis.         Polemandre Que vous aviez déjà résolu de surprendre Philhymene, Andrion, retranchez fortement, Résolus de périr dans leur appartement, Se sont fortifiez avecque Demotrace. C’est ce que je craignais...         Qui plus est leur audace S’emporte jusqu’au point de ne vouloir jamais Entendre à recevoir aucun traité de paix, Jusqu’à ce que suivant leur rage et leur caprice, On leur ait malgré vous élargi Pantonice ! Accourez au plutôt pour guérir promptement Un mal qui se rendrait mortel en empirant ; Philarchie en état !         Voilà toutes mes craintes ! Je triompherai bien du reste avec mes feintes, Et si vôtre valeur ne s’intéresse pas, A roidir contre moi, vos forces et vos bras, Je n’appréhende rien. Cependant Philarchie Avant que de se voir de ces maux affranchie, N’attend que vôtre aveu, pour vous charger de biens. Adieu.         Cet insensé, nous met parmi les siens ! Il croit que ces brillants qu’à nos yeux il fait luire, Pouvant les éblouir, les pourront bien séduire ! Et qu’il captivera nos âmes et nos coeurs Par les allèchements de leurs attraits vainqueurs. Comme c’est par ses veux qu’il regarde en nos âmes, Se réglant sur lui même, il nous estime infâmes, Et pense qu’en jugeant de nous comme de lui Il fonde sa raison sur un trop ferme appui. Tout rang m’est odieux, où je dois avec honte Confesser que c’est lui, dont la faveur m’y monte ; Si les destins l’ont fait le Dieu de mon bonheur, Je déteste ce Dieu, j’adore mon malheur, Et par ce sentiment je trouve plus de peine, D’être dans son amour, que d’être dans sa haine. Ce sentiment est beau, mais pour notre dessein, Vous devez empêcher qu’il ne sorte du sein. Pamphage est en état de se perdre lui-même, Si nous lui permettons seulement qu’il nous aime, Quelque dessein qu’il ait, il nous aime à présent, Parce que pour nous nuire il se voit impuissant ! Et que de peur d’avoir une haine stérile, Il fait qu’à nous servir son coeur se rend facile ! Mais malgré cet amour il prétend nous trahir, Et nous perdre dés lors qu’il pourra nous haïr ! Préoccupons le coup, auquel il nous destine, Et prenons ses moyens pour hâter sa ruine. Il déguise sa haine, et prétexte l’amour, Pour faire triompher l’une et l’autre à son tour ! Prétextons notre amour, déguisons notre haine, Et faisons triompher l’une et l’autre sans peine. Je ne puis me résoudre à prendre sa faveur. Prenons la pour le perdre et sauver notre honneur, S’il veut nous agrandir pour trouver plus de prise, Au dessein de nous perdre en quelqu’autre entreprise. Mettons nous en état de le mieux ébranler, Et rendons nous plus forts afin de l’accabler. Mais sans nous en servir nous pouvons le défaire. Mais s’il s’en doute, il peut faire avorter l’affaire, Et si de ses bien-faits nous refusons le don, Nous lui donnons sujet d’en entrer en soupçon. Ainsi laissons le faire, et souffrons qu’il nous aime, Et qu’en nous trahissant, il se perde lui-même. J’y consens !         Cependant en voici les moyens, Protarque est adoré de tous nos Citoyens, Megalople est pour lui, Themide le révère, Tout l’État le respecte, et le traite de père, Il n’a qu’à commander, et ses seuls sentiments Sont pour donner le branle à tous leurs mouvements, Protarque néanmoins n’aime que du visage, Et ne tient qu’à demi le parti de Pamphage, Depuis que par un oui, que sa grande bonté Accorda moins au droit qu’à l’importunité ! Cet adroit imposteur forçant sa complaisance, A le favoriser du moins en apparence, Abusa de son nom même jusqu’à l’excès, D’attenter à l’auteur de nos plus grands succès, Et de porter ainsi l’effort de sa malice, Au dessein insolent d’arrêter Pantonice. Ce secret déplaisir réveillant sa bonté, Afin de conspirer avec son équité, Ne manquera jamais d’irriter son courage, Pour ravoir Pantonice, et pour sauver Pamphage ! Pourvu que ménageant l’affaire jusqu’au bout, Nous prenions le loisir de l’instruire de tout. Vous jugez comme il faut, et dans cette disgrâce, Où Pamphage est après, pour fléchir Demotrace, Et que Semnandre joint aux Megafroniens, Met Pamphage en danger de périr par les siens. Je crois qu’il sera bon de presser sans relâche, Le succès important du malheur de ce lâche, Pour trouver puis après un assuré repos, Dans l’élargissement de ce fameux héros, Et dire en secondant les desseins de Protarque, Que nous ne travaillons que pour notre Monarque. Je vois bien maintenant, et mon esprit comprend, Qu’on ne peut sans éclat faire tomber un Grand ! Lors qu’on détruit les rangs d’une grandeur commune, Et qu’on ne s’en prend point aux droits de la fortune. Les Dieux indifférents regardant ces débris, En ont moins de pitié, qu’ils n’en ont de mépris ! Mais alors qu’un pouvoir prétend que son caprice, Ne doit point relever des lois de la Justice, Et que sa passion réglant tous ses projets, Peut attenter à tout au gré de ses souhaits ! Les Dieux intéressez à borner sa puissance, S’ils ne font avorter choquent son arrogance ! Et traversant leurs soins, font voir qu’ils sont jaloux, Que les Grands soient sujets à d’autres qu’à leurs coups ! Ce dernier attentat, où l’injuste Pamphage A moins fait triompher, son conseil que sa rage, Ne me convainc que trop, que ces desseins hardis, De mille autres malheurs sont constamment suivis. Puis que pour affranchir cet Illustre coupable, Dont le plus grand forfait est d’être redoutable, Je prévois que l’État partagé de complots, Ne rentrera jamais dans son premier repos. Les Dieux qui sont jaloux de voir que votre gloire, Entre dans le soupçon d’une action si noire, Ne permettront jamais, qu’après cet attentat, La paix et le repos reviennent dans l’État, Jusqu’à ce que forçant ce malheureux complice A rompre les liens qui chargent Pantonice ; Vous aurez convaincu les esprits abusez, Que ces indignes fers que vous aurez brisez, N’avaient été forgez que par la main injuste, De celui qui trompant votre pouvoir auguste, Pour se mettre à l’abri de ce lâche soupçon, Se servit non des mains, mais de votre seul nom. Je le crois bien méchant, mais toutefois j’estime Qu’il ne l’est pas assez pour m’imputer ce crime. Bien loin d’y consentir, lorsque ce scélérat Méditait le dessein de cet assassinat, J’opposai fortement à son injuste haine, Les intérêts du sang, et l’honneur d’Andrigene ! Et ne voulus jamais qu’avecque mon aveu, On dit que dans l’État il avait mis le feu. Peut-être bien qu’après, comme suivant sa rage, Il allait déguisant cet illustre visage ; Et que lassé de voir son importunité, Qui ne cessait jamais d’irriter ma bonté, Moins pour y consentir, qu’afin de m’en défaire, Je déchargeai sur lui tout le poids de l’affaire. Il dit, que par faveur je l’avais appuyé, Parce qu’en m’indignant je l’avais renvoyé, Il l’explique autrement, et dit que Pantonice, N’est pris que par l’arrêt dont vous êtes complice. Il va bien plus avant, et déguisant son fait, Il vous dit seul auteur de ce lâche forfait, Protestant qu’à ce coup de votre indépendance, Il n’a contribué que son obéissance, Ainsi se prévalant d’un si ferme soutien, Prodiguant votre honneur, il épargne le sien, Et sur votre débris fondant son avantage, Il hasarde Protarque et garantit Pamphage. Il a beau me tenir pour son plus ferme appui, Si sans m’intéresser on n’attaque que lui ; Andrigene sait bien que si j’étais complice Du dessein attenté contre son Pantonice, Loin d’espérer de moi son élargissement, Elle en craindrait plutôt quelque retardement. C’est pour cette raison que Pamphage fait croire Qu’on attaque par lui l’éclat de votre gloire, Et que les traits lancez contre sa passion Vous touchent le premier, lui par réflexion ! Et l’État convaincu que cette délivrance Dépend moins de son choix, que de votre puissance, Croit avec fondement qu’étant entre vos bras, Ne la procurant point, vous ne la voulez pas, Ainsi cet insolent ménageant sa conduite, Vous fait l’objet du mal, qu’on veut à sa poursuite, Et dans tous ses desseins prétextant vos bontés, On dit avec raison que vous le supportez ! Puis que sans le choquer par de contraires ligues Vous le favorisez dans toutes ses intrigues. Je l’ai favorisé, parce que ma bonté N’a point peu condescendre à quelque extrémité ! Mais enfin nous verrons à son désavantage, Qui des deux est coupable, ou Protarque, ou Pamphage. Le dessein en est pris, et dans l’événement On connaîtra l’auteur de l’emprisonnement ! Oui... Mais retirez vous, j’aperçois Andrigene. Madame gouvernez mon amour et ma haine, Donnez leur des objets au gré de votre coeur, Et rendez-le du mien absolument vainqueur, En état de me voir sans force et sans puissance, Je ne puis que de vous espérer assistance, Si vous me délaissez, je n’ai plus de pouvoir, Que celui que j’attends d’un dernier désespoir. Et réduite à ce point par mon dernier orage, Où de me hasarder, où de sauver Pamphage. Je doute dans l’État de ce double transport, Qui je dois préférer, où ma vie, où ma mort. Le repos qui jadis dans un an de service, Fit verser tant de sang au brave Pantonice ; Cette adorable Paix qu’il fit fleurir chez moi, Ayant servi longtemps Andrigene et son Roi, Est troublée aujourd’hui malgré son grand courage. Mais ! Ô honte, pour qui ? Pour rassurer Pamphage ! Celui dont mes destins se sont toujours servis, Pour me mettre à couvert de tous mes ennemis, Est réduit à languir dans un rude servage, Pour laisser le repos ! À qui ? Cet à Pamphage ! Celui dont la valeur produisant la vertu, A même sous vos lois plusieurs fois combattu, Qui secondant nos soins pour calmer mes disgrâces, A toujours en manquant=vainquant marché dessus vos traces ! Celui-là toutefois par un triste revers, Après m’avoir ôté, succombé sous les fers, Réduit à confesser, malgré votre suffrage, Qu’on le rend malheureux, pour rendre heureux Pamphage, On trouble mon repos, on renverse ma loi, On me fait respirer, et vivre dans l’effroi, Je n’entends que parler de sang et de carnage, O ciel ! et tout cela pour assouvir Pamphage. On croit que ses complots, si je ne les préviens, Seront pour accabler, et moi-même et les miens ; Que la fatalité de ces mortels divorces, Divisant mes partis, et divisant mes forces ; Me rangeront enfin à cet État fatal, Que je ne pourrai pas me plaindre de mon mal ! Et que même voyant l’effet de cette rage, On ne permettra pas d’en accuser Pamphage, Pamphage qui me perd, Pamphage que je haïs, Comme l’écueil fatal de mes plus beaux souhaits ; Pamphage dont le nom outrageux à ma gloire, Me doit faire rougir au temple de mémoire, Pamphage ! Mais c’est trop, je conclus par ces mots, Et vous demande enfin sa perte et mon repos ! Sauvez-vous, sauvez-moi.         Vos intérêts, Madame, Sont les plus chers sujets des plaisirs de mon âme ; Oui je veux vous sauver, et quelque grand danger Où Pamphage et les siens cherchent de me plonger, Si vous ne branlés pas mon repos est trop ferme ; Et mon ambition se borne à ce seul terme. Pamphage vous repaît d’un apparent espoir, Que jamais que pour vous il n’aura de pouvoir, Et d’un respect trompeur déguisant sa malice ; Il vous fait consentir aux fers de Pantonice ! Il sait bien que sans vous son pouvoir ébranlé, Sans trembler si long-temps se serait écroulé ! Et que pour subsister sur cet illustre faîte, Il dépend de vos mains comme de votre tête. Ainsi ce scélérat soumet votre faveur, Pour la faire servir de marche à la grandeur. Et sur ce marche-pied fondant son avantage, Il fait servir Protarque aux desseins de Pamphage. Je vous aime et le hais avecque trop d’excès, Pour souffrir sans parler ses infâmes succès. Encor si je savais que l’esprit de ce traître Ne voulut s’élever que pour vous reconnaître ! Je voudrais conspirer à son rehaussement, Pour vous faire un sujet plus illustre et plus grand, Et soumettre à vos lois celui qui de son faîte, Ne vous regarderait que comme sa tempête ! Mais je ne sais que trop que cet esprit hautain, Brigue l’illustre éclat d’un pouvoir souverain ! Et qu’il affecte un rang où de sa tyrannie, L’autorité sans pair règne sans compagnie. Prévoyez-le au plutôt.         Madame s’en est fait, Vous aurez par mes mains votre esprit satisfait. Je perdrai ce tyran dont le pouvoir vous brave, Je perdrai ce tyran qui veut vous faire esclave ! Mais quelque intéressé que mon honneur y soit, Je l’y veux engager, parce qu’il vous le doit. Dans le dessein qu’il a de ranger Demotrace, Quelque puissant qu’il soit, et quelque effort qu’il fasse ; Je sais que cet esprit ne fléchira jamais Pour l’accommodement d’aucun traité de paix ; A moins que secondant ses voeux et sa Justice, Pamphage ne consente à rendre Pantonice ! Voila ce qu’elle a dit dés le premier abord, Et qu’elle soutiendra jusqu’au dernier effort ! Le succès fera voir en me faisant résoudre, Que c’est d’elle ou de moi qu’il doit craindre la foudre, Ou peut-être des deux ! Je m’en vais de ce pas Savoir ce qu’on en dit.         Ne vous attristez pas, Madame, le bruit court que déjà Selinople, Enchérissant beaucoup par dessus Megalople, Réduit votre tyran à rendre malgré lui, Le soutien de l’État et votre seul appui. Themide au désespoir de voir chez Demotrace, De sa petite soeur la généreuse audace, N’a plus d’ambition que de se signaler, En fulminant Pamphage afin de l’accabler ! Enfin tout est pour vous, tout est pour Pantonice, Après le beau succès de ce noble service. De grâce n’est-ce pas quelque bruit imposteur, Dont vous m’entretenez pour charmer ma douleur ! Ah ! Ne me flattez plus, dites sans me complaire, Qu’il est temps à la fin que je me désespère ! Je me doute déjà que Pamphage a soumis, L’esprit de Demotrace et de tous mes amis ! Et qu’il faut désormais que mon pouvoir subisse, Le joug dont ce tyran accable Pantonice. Si ce n’est qu’un faux bruit, ce n’est pas sans raison Qu’il court avec éclat dedans votre maison ! Puis-que Themide enfin heureusement changée, A tant de sentiments n’est plus si partagée ; Et que de ce beau bruit l’incomparable éclat, La fait presque résoudre à venger votre État ; Quelque dessein qu’elle eut du moins en apparence, De ne vouloir agir que dans l’indifférence. Enfin quoi qu’il en soit Protarque a résolu, De montrer à ce coup qu’il veut être absolu ! Mais absolu toujours avec cette réserve, Qu’il veut perdre Pamphage afin qu’il vous conserve ! Et que s’entremettant pour votre éclat flétri, En rendant Pantonice il vous mette à l’abri. Il est vrai que j’ai vu, lisant dedans son âme, Qu’il est autant pour moi que contre cet infâme ! Et c’est cette raison qui me fait espérer, Que si de vos bontés vous voulez m’assurer, Je ferai sans faillir avec plus d’avantage Avorter les succès des desseins de Pamphage ! Quelque appui triomphant qui malgré l’équité, Soutienne son pouvoir contre ma volonté ; Mais n’aperçois-je pas Protarque avec Themide ? Lui-même.         Ah que leur port me choque et m’intimide ? Je ne puis me résoudre à les attendre ici. Adieu, soutenez-moi.         Soutenez-nous aussi. Ce sinistre succès balance mon suffrage, Je penche à même temps pour et contre Pamphage. Madame, il n’est plus temps de vous dissimuler, Après vous être tue il faut enfin parler. Si par nos jugements comme il n’est que trop juste, Pamphage disposait de notre jeune Auguste, Si nous donnions le branle à tous ses mouvements Qu’il suit sans nos avis et sans nos sentiments, Quelque succès fatal qu’il eut dans ses poursuites, Il faudrait l’appuyer, ou blâmer nos conduites ! Mais puis qu’il entreprend et conduit sans appui, Nous pouvons le blâmer et nous en prendre à lui. Quoi ? ce dernier succès fatal à notre gloire, Sans sa punition entrerait dans l’histoire ! Et nos enfants sauraient que nous avons permis, Qu’un Roi soit le jouet de ses vrais ennemis. Pamphage est donc soumis         Ou du moins sa victoire Imprime sur nos fronts une tache bien noire, Demotrace a cédé ! mais en le surmontant, Et Basilon soumis plutôt que triomphant De son appartement ne s’est rendu le maître. Que depuis qu’à ses lois il s’est voulu soumettre. Que l’affront est mortel à nostre Royauté. De ce honteux succès mon esprit irrité Ne peut qu’il ne s’emporte à vomir sur Pamphage, Injure sur injure, outrage sur outrage. Ah ! Madame, c’est trop ! laissez vos intérêts, Et fulminez sur lui mille sanglants arrêts. N’aura-on pas raison de vous croire complice, Du dessein entrepris pour perdre Pantonice ! Et de vous accuser des injustes complots, Qu’en suite de ses fers on fait sur nos repos, Si pendant qu’il s’en va renversant la couronne, Par les mauvais conseils qu’à Basilon il donne, Vous ne vous déclarez contre ses mouvements Pour éteindre les feux de tant d’embrasements. Il est vrai qu’à ce coup mon âme chancelante... Ah ! C’est trop chancelé, qu’elle prenne sa pente, Il n’est que trop certain, Pamphage n’entreprend Que pour se rehausser et se rendre plus grand ! Quelque honteux succès qu’obtienne sa conduite, Il est avantageux pourvu qu’il en profite, Et sans considérer si l’honneur s’en ensuit, Il est assez content lorsqu’il en a le fruit, Le prétexte charmant de raidir sa personne, Afin de maintenir l’éclat de la couronne, N’est qu’un masque apparent dont cet entrepreneur Déguise le dessein d’augmenter son bonheur ! Mais puis que nous voyons où butte son intrigue, Contreminons la sienne avec une autre ligue, Et rassurant l’État contre ses mouvement, Montrons qu’il en sapait les meilleurs fondements ! Ce transport des captifs dont le dessein m’attriste, Fait à Topodesmon, depuis Philacariste, Même de ce premier et contre mon dessein Ce transport réitéré jusques à Charlymin, Fait voir évidemment qu’il craint notre justice, Et que nous ne brisions les fers de Pantonice Puis que pour le soustraire à nos esprits jaloux, Il le met en des lieux indépendants de nous. Mais il l’a beau changer, quelque part qu’il puisse être, Pamphage doit savoir qu’il doit m’y reconnaître ! Et que je saurai bien rencontrer les moyens, D’en sauver Pantonice en rompant ses liens. Je penche au sentiment que votre ardeur témoigne, Et suis presque d’avis que Pamphage on éloigne ! Mais pour exécuter ce coup d’autorité, Je prétends consulter toute mon équité ! Et n’entreprendre rien qu’après que ma Justice, Condamnera Pamphage, et rendra Pantonice. Mais qu’est-ce que je vois ?         C’est Andrigene en deuil. Allégés ses douleurs.         Proche de mon cercueil, Et de trois coups mortels indignement atteinte, Si je ne dois mourir, j’en dois bien avoir crainte. Madame, suspendez l’effort de vos douleurs, Pour voir avec plaisir la fin de vos malheurs ! Le dessein d’affranchir votre bonheur esclave, Du pouvoir insolent du Tyran qui vous brave, Réussira bientôt au gré de vos désirs. Oui ! Mais tarirez-vous la source des soupirs, Ôterez-vous la cause où ma raison plongée, Ne pouvant désormais par vous être vengée ; Pense que son Tyran vient de lui faire voir, L’heure et moment fatal d’un dernier désespoir. Quelque puissant que soit le bras qui vous outrage, Je suis toujours, Madame, au dessus de Pamphage. Oui ! Mais ravirez-vous à l’injure du sort, Celle dont ce tyran vient de hâter la mort ! Rendrez-vous à ses yeux cet éclat admirable, Qui jadis dans ma Cour la rendait adorable ! Pourrez-vous ranimer ces vivantes couleurs, Où j’allais tous les jours amusant mes douleurs ! Enfin pour apaiser le regret qui me gêne, En soulageant mes maux ! Rendrez-vous Herogene. Repeindrez-vous l’éclat de mes royales fleurs, Terni par le succès du plus grand des malheurs ! Pourrez-vous arracher au char de Demotrace, L’honneur d’avoir causé ma plus grande disgrâce ! Ferez-vous ignorer à la postérité, Que par un rude échec de mon autorité, J’ai vu de Basilon la puissance réduite, A succomber aux siens par faute de conduite. Romprez-vous les liens qui dedans Charlymin, En liant Pantonice ont lié mon destin ! Et font désespérer mon âme inconsolable, De pouvoir élargir cet innocent coupable. Voila les coups mortels qui me feront languir, S’ils ne sont assez forts pour me faire mourir. Madame, le dessein de sauver votre gloire, D’arracher votre honneur au mépris de l’histoire, M’empêche de vous dire avec quels sentiments J’ai reçu les succès de ces événements. Mais je vous ferai voir en vengeant ces outrages, Fallut-il rembarrer plus de mille Pamphages ; Qu’il n’est point de motif qui me possède tant, Que celui d’assouvir vostre esprit mécontent ! Et s’il n’est pas assés pour ravoir Pantonice, D’intéresser pour lui les bras de la Justice ! J’armerai tout l’État, et ferai consentir Tout le monde au dessein de l’aller affranchir. Et cet héros remis vengera bien sans peine, L’honneur de Basilon, et la mort d’Herogene. Entretenons ce feu qu’avec tant de chaleur, Nous voyons exhaler de son illustre coeur ! Pamphage se doutant que c’est par nos intrigues, Que Protarque en voudrait à ses funestes brigues, Afin de divertir son esprit ébranlé, Des justes sentiments dont nous l’avons comblé ! Fera tous ses efforts pour lui mettre dans l’âme, Le probable défi de quelque coup infâme ! Qu’il nous imputera pour couvrir son bonheur, Et pour se garantir en perdant notre honneur. Allez sans relâcher de cette illustre haine, Pour détrôner Pamphage et remettre Andrigene. Je n’ai donc agrandi ces deux fiers ennemis Par les nobles emplois que je leur ai soumis, Que pour donner moyen à leur méconnaissance, De venir m’accabler avec plus de puissance, Et signaler l’effort de leur pouvoir ingrat, Par l’exécution d’un plus noir attentat. Vous pouviez bien juger que si vos récompenses, Suspendaient pour un temps l’effet de leurs vengeances, Ces esprits irrités ne manqueraient jamais, De lever à la fin ce faux masque de Paix ! Et de vous faire voir en déguisant leur haine, Du dessein spécieux de servir Andrigene ! Qu’ils ne s’étaient soumis à prendre vos présents, Qu’afin de s’en servir pour mieux prendre leur temps, Et de surseoir un peu le dessein de vous nuire, Jusqu’à ce qu’à loisir ils le pourraient produire. Lors que pour m’affermir ma haine a consenti Au dessein d’engager Mystarque à mon parti, Et que par ce moyen j’ai crû que Philideme, Suivrait les mouvements de cet autre lui-même ! Tu sais que mes malheurs me réduisaient pour lors, A la nécessité de craindre leurs efforts ; Et qu’afin d’empêcher que par quelque entreprise, Ils ne vinssent choquer mon pouvoir en sa crise ! Mille raisons d’État que tu n’ignorais pas, M’ont fait rendre prodigue à ces Esprits ingrats ; Et que pour n’avoir pu forcer leur arrogance, Je me suis vu contraint d’agrandir leur puissance ! Mais puis que leur humeur fatale à mes projets, Fait malgré ce moyen avorter mes succès ; Et que je ne puis point en déguisant ma haine, Gouverner sans rival les États d’Andrigene ! Il faut se déclarer ouvertement contre eux, Et les faire passer pour des séditieux ! Nous n’avons qu’à donner un soupçon à Protarque, Pour perdre à notre gré Philideme et Mystarque. Avant votre malheur ce dessein était bon, Mais je crois qu’à présent il est hors de saison ! Vous voulez décrier Mystarque et Philideme, Dans l’esprit de celui qui les porte et les aime ; Et qui pour tout motif de cette affection, N’en a point de plus grand que votre aversion ! Jugez si vous pourriez fonder un imposture, Sur le temps incertain de cette conjoncture ; Et si c’est à propos que pour les décrier, Vous preniez le dessein de les calomnier. Si Protarque ignorait la passion extrême, Que vous avez montré pour perdre Philideme, Vous pourriez espérer qu’un crime déguisé, Que contre son honneur vous auriez supposé. Ayant de vérité du moins quelque apparence, Pourrait avec succès noircir son innocence ! Mais étant convaincu que sa haine vous nuit, Qu’encor outre cela Mystarque vous poursuit ; Loin de les hasarder en les faisant coupables, Vous lui témoignerez qu’ils vous sont redoutables. Est-ce, ce que tu crains ?         Je le crains en effet, Mais je ne crains aussi que pour votre intérêt ! Outre que ce succès où contre Demotrace, Vous avez échoué par un coup de disgrâce, A tellement détruit le peu qu’auparavant Vous aviez de crédit chez cet indépendant ! Qu’il n’est plus en état de régler son estime, Sur le rapport trompeur de quelque illustre crime ! J’en ai déjà parlé.         Je le sais bien, Seigneur, Mais je sais bien aussi que c’est avec malheur, Et que Protarque a dit que jamais votre haine, N’a cessé d’ébranler ces appuis d’Andrigene ! Jugés sur ce rapport.         L’imposture d’abord Surprend bien en effet, mais c’est sans faire effort ! Tu sais que cet esprit !         Joint avec Philthemide, Pourra vous renverser s’il peut gagner Themide, Et Themide ébranlée a déjà consenti, Au dessein d’affaiblir votre injuste parti, Après que par les pleurs de sa chère Andrigene, Elle a su le trépas de la noble Herogene. C’est un faible motif.         Je me crains bien, Seigneur, Qu’il ne soit assez fort pour vous perdre d’honneur, En tout cas hasardés ; voilà Protarque arrive. Il est temps d’affranchir Andrigene captive, Je ne puis plus souffrir que vos injustes fers, Après la cruauté des maux qu’elle a soufferts, Engagent plus long-temps sa liberté contrainte ; À gémir constamment de douleur ou de crainte. Il faut la soulager, et n’y reculés pas, Ou bien résolvez-vous à m’avoir sur les bras. Parmi tous mes désirs celui qui plus me gêne, C’est de mettre à l’abri le repos d’Andrigene ! De calmer son État malgré ses ennemis, Et de fonder sa paix sur mes propres débris. Voila la passion qui chez moi prédomine. Montrez-là dans l’effet comme dans votre mine ; Ne trompés plus l’État d’un bel extérieur ! Mais agissez bientôt et des mains et du coeur, Ou ! vous m’entendez bien.         Seigneur, je conjecture Qu’en effet contre moi quelque forte imposture, Prévenant vos bontés de quelque faux récit, M’aura voulu noircir pour s’y mettre en crédit. Mes ennemis !         Nommés Mystarque et Philideme, Ces mortels ennemis de la grandeur suprême, Ces fameux imposteurs, ces compagnons des Rois, Ces bâtards d’Albion, ces infracteurs des lois, Et tout ce qu’un humeur hardie et débordée, Vous pourra suggérer pour m’en changer l’idée ! Mais ne m’en parlez plus, je suis trop bien instruit, Et de tous leurs desseins et de tout leur esprit ; Conspirons avec eux et secondons leur peine, Pour calmer au plutôt les troubles d’Andrigene. Loin de les apaiser nous les réchaufferons. Loin de les réchauffer nous les apaiserons ! Je sais que leurs projets et toutes leurs intrigues, Ne tendent qu’au dessein de réunir les ligues Qu’ils en veulent aux fers qu’en troublant le repos, Vous avez imposé sur nos plus grands héros, Et qu’ils n’ont protesté contre votre injustice, Qu’afin de rappeler la paix et Pantonice. Si Pantonice est pris c’est après votre aveu. S’il est à Charlymin c’est à mon désaveu. N’en suis-je pas l’auteur, n’est-ce pas par mes ordres Qu’on vient de rallumer par ce coup les désordres ? N’ajouterez-vous pas à vos prétentions, Que c’est pour assouvir encor mes passions ? Et qu’afin de parer aux coups de Philthemide, Je l’ai voulu soustraire au pouvoir de Themide ? Si c’est par mon aveu que Pantonice est pris, Bientôt par mon aveu je veux qu’il soit remis ! Et que sa liberté cruellement esclave, Après sa délivrance, ou me choque, ou me brave, Le succès fera voir qui de vous ou de moi Choque, en y résistant, la personne du Roi. Pour moi malgré l’avis que la fureur vous donne, Sachez que je le tiens l’appui de la Couronne, Et que pour rassurer et le trône et l’État, Je veux le rétablir dans son premier éclat. Si vous y résistez vous êtes le coupable, De l’injuste sujet dont la rigueur l’accable. D’autres raisons d’État s’opposent fortement, Et ne permettent pas son élargissement, Les troubles survenus ont fait changer de face, Aux raisons qu’on avait d’adoucir sa disgrâce ! Et je crois qu’on ne peut qu’avec un attentat, Qui serait désormais pour troubler tout l’État, Résoudre le dessein d’élargir Pantonice, Ce n’est pas d’aujourd’hui que de votre injustice, Vous déguisez l’horreur de ce trompeur éclat Que vous tirez toujours des prétextes d’État ! Si comme vous parlez l’État et ses affaires S’opposent au dessein d’élargir ces trois frères. Pourquoi poursuivent ils si généreusement, L’honneur de procurer leur élargissement. Formez-vous tout l’État de deux ou trois rebelles, Que le seul intérêt jette dans les querelles; Je compose l’État des vrais sujets du Roi, De tous vos ennemis, d’Andrigene et de moi ! Quiconque vous poursuit c’est celui que j’estime, De tous les bons sujets le moins illégitime, Et qui vous fait la cour, passe dans mon esprit Pour un mauvais sujet qui doit être proscrit, Ainsi résolvez-vous à lâcher votre prise. L’État est à présent dans une telle crise, Qu’un lion déchaîné serait pour déchirer La paix qu’avec nos soins nous allons rassurer ; Ne vous obstinez pas contre ma résistance, A vous intéresser pour cette délivrance, Le repos de l’État contraire à vos souhaits Vous la refuserait pour le bien de la paix, Et son calme remis par ce coup de Justice, Ne peut plus consentir à rendre Pantonice. Le repos de l’État contraire à mes souhaits, Me la refuserait pour le bien de la paix ! C’est donc contre l’État que je te sollicite, C’est donc contre l’État que j’en fais la poursuite, Effronté... Tu sauras que c’est d’un scélérat Que je veux en effet désemparer l’État, Et que pour son repos malgré ton arrogance Je prétends rétablir l’écueil de ta puissance. Oui, mais souvenez-vous qu’il est dans Charlymin. Eut-on sous mille fers captivé son destin, Je saurai les briser, fut-il dans l’enfer même, Et rétablir par là l’autorité suprême ; Oui, quelques vains efforts qu’oppose ta fureur Au dessein d’affranchir cet illustre vainqueur, Quelque grande que soit la fureur qui t’anime, Je saurai le ravoir, fut-il dedans l’abîme, Et poussant ces beaux soins jusqu’au dessein parfait, De le voir élargir, et de te voir défait. Je veux faire servir de marche à ma victoire, Tout le reste impuissant du débris de ta gloire, Afin de regarder le trône sans effroi, Lorsque j’aurai chassé l’ennemi de mon Roi. Il ne faut plus douter du dessein de Pamphage Puis que cet insolent en vient jusqu’à l’outrage. Et qu’une juste peur d’être enfin obligé À rompre les liens dont ce Prince est chargé, A fourni le conseil de chercher un asile, Où l’élargissement parut plus difficile Et d’où sa passion malgré tous vos arrêts, Peut faire triompher ses malheureux projets, Il a trop redouté qu’après cette disgrâce, Nous serions obligés de borner son audace ! Et de calmer l’État, qu’il a tout partagé ! Non plus par des longueurs ! Mais par un abrégé. C’est pour ce seul dessein que suivant son caprice, Il a dans Charlymin renfermé Pantonice ! Afin que si l’État jaloux de le ravoir, Intéressait pour lui son droit et son pouvoir Ce fameux boulevard méprisant nos divorces, Peut mettre son pouvoir à l’abri de nos forces, Et divertir les coups que nos desseins unis Feraient pour affranchir ses trois grands ennemis, Nous voyons ses complots nous voyons ses intrigues, Sans les faire avorter par de contraires brigues ! Et la postérité saura que de nos temps, Andrigene a ployé sous les lois des tyrans, Ah Madame c’est trop il est temps de résoudre, Le dessein d’accabler Pamphage sous la foudre, Et de n’attendre point que cet extravagant Renverse tout l’État en se désespérant. Je suis presqu’en état pour mon cher Pantonice, De ne balancer point ce coup de ma justice. La bonté de mes bras qui l’ont tant attendu Et que pour mieux frapper j’ai longtemps suspendu, Et sur le point fatal de borner cet affaire Par l’exécution de ce coup exemplaire Et de n’attendre point que de nouveaux progrès, Redoublent mes rigueurs pour punir ses excès. Après ce rude échec ou contre sa rivale Il a fait échouer l’autorité Royale ; Après que sans Conseil il a dans Charlimin De nos pauvres Captifs transporté le destin Et qu’en suite égorgeant par des douleurs amères Le miracle du temps et l’ornement des mères, Son inhumanité se poussant jusqu’au bout, M’a fait voir qu’il était pour attenter à tout. Je ne vois plus de jour pour différer sa perte ; Puis qu’il m’y fait courir lui même à force ouverte. Mais qui survient,     Madame !         Ô dieux que dans mon coeur, De quelque doux rapport je pressens la douceur. Quelque grande rigueur qu’on tienne à Pantonice, Jusqu’à ne souffrir pas qu’il demande justice, Il a toutefois su si bien prendre son temps Pour vous déduire en bref ses plus purs sentiments Que malgré la fureur et la rage des gardes, Ce billet a forcé toutes leurs hallebardes. De tous trois ? Justes Cieux Que ce coup est fatal à cet ambitieux. Et que je ressens bien que mon esprit s’anime Au dessein d’affranchir ces coupables sans crime. Enfin votre ennemi fait triompher la crainte Qu’il avait que bientôt vous briseriez nos fers, Et qu’a borner nos maux soufferts, Sa puissance serait contrainte. C’est donc après ce coup qu’avec son artifice, Il s’assure des lieux où nous devons mourir Puis que pour nous faire périr Il nous ôte à votre justice. Ah ne permettez pas qu’ainsi de sa manie L’injuste autorité vous puisse faire voir Qu’en ébranlant votre pouvoir Elle affermit sa tyrannie. Quelque semblant trompeur que son visage fasse Il vous aime à présent pour vous perdre à son tour Comme il se sert de votre amour Pour assurer notre disgrâce Ainsi résolvez vous à calmer cet orage Et tenez pour certain qu’il ne nous fait souffrir Qu’afin de vous faire périr En suite de notre naufrage. Oui généreux captifs je conçois avec vous Que vous ayant perdus il nous veut perdre tous ! Mais je le préviendrai quelque grand qu’il puisse être, Et bientôt mon pouvoir se comportant en maître ! Madame il n’est plus temps de suspendre la main, Qui doit mettre en effet son pouvoir souverain. Ce bientôt est venu la trame est découverte, Si vous la différez vous empêchez sa perte. Et je me crains qu’enfin s’élevant plus que vous, Il ne mette sa tête à l’abri de vos coups. Ainsi n’attendez plus.         Il est de ma justice De suspendre le coup avant qu’il en périsse. Je sais bien qu’il le faut ! Mais ses faits convaincus, Dispensent votre main de le suspendre plus. Son crime est évident autant que Pantonice Ne semble criminel que par son artifice ; Et puis que ce dernier vous paraît innocent, Parce que le premier s’est rendu trop puissant ; Pour faire triompher d’un coup votre justice, En abaissant Pamphage, élevez Pantonice. Mais différons un peu.         Madame il ne se peut Puis que cet insolent ne fait que ce qu’il veut Et que de son pouvoir on voit la tyrannie Aller en empirant, comme elle est impunie. Ah que vous me pressez.         C’est pour vous arracher Le foudre que cent fois vous avez dû lâcher. J’y consens puis qu’enfin la force et la justice, En condamnant Pamphage absolument Pantonice. Que ce séditieux désempare l’État, Que ses trois ennemis reprenant leur éclat Et qu’Andrigene enfin rétablie en puissance Par le juste succès de cette décadence, Rentre en un même temps dans son premier repos En suite du retour de trois de ses héros. Après ce coup fatal nous verrons la posture, Que Pamphage tiendra dans cette conjoncture. Si suivant son conseil pour quelque autre dessein Il veut nous obliger de forcer Charlymin Résolu de périr ou d’éventer la mine Que nous faisons jouer pour hâter sa ruine, Il faut qu’il se résolue avec cet attentat, De se voir sur les bras les forces de l’État, Et de contrecarrer par cette résistance Tout ce qu’Andrigene a dessous sa dépendance. Si jusqu’à ce dessein son bonheur chancelant Pouvait faire pencher son esprit insolent Et que pour soutenir sa chute inévitable, Il voulut s’opposer par ce coup redoutable ! Je penserais pour lors qu’il serait abattu Puis que le désespoir réglerait sa vertu. Quoi qu’il consulte enfin, et quoi qu’il délibère, Il faut ou qu’il s’enfuie ou qu’il se désespère ! Sa fortune est réduite à ce dernier malheur, Qu’il ne peut se sauver sans perdre son honneur. Et pour se garantir du coup qui le menace Il faut ou qu’il périsse ou qu’il vive en disgrâce. Peut-être que suivant son esprit intrigueur Malgré ses cruautés et malgré sa rigueur, La créance qu’il a que flattant Pantonice, Et lui faisant goûter qu’à ses désirs propice, Contre tous les desseins dont il peut nous noircir, Il aura résolu de l’aller affranchir. Il préviendra l’arrêt que malgré sa puissance, Themide a fulminé contre sa résistance. Et protestant que c’est de son autorité Qu’il viendra l’élargir de sa captivité, Il nous accusera pour un coup de partie De nous être opposez longtemps à sa sortie. Il a beau déguiser ses fourbes et sa rage Pantonice est instruit de l’humeur de Pamphage ! Mais qu’est-ce qu’on me veut.         Seigneur Pamphage enfin Prévenant vos desseins vient d’ouvrir Charlymin. Charlymin ?         Oui, Seigneur, en espérant peut-être Qu’en le faisant ouvrir il s’en rendrait le maître, Et qu’en rétablissant ces Princes élargis, Il se rétablirait ainsi dans leurs esprits ; Ou qu’il ferait du moins en déguisant sa haine, Du dessein spécieux de choquer Andrigene, Qu’ils croiraient que malgré tout l’État conspiré, Pour les faire sortir il aurait conjuré ! Mais tous nos bons destins ont éventé sa mine, Pour nous donner moyen d’achever sa ruine, Et de nos trois héros, ce fourbe n’a gagné Que le simple bonheur de se voir épargné, Pendant qu’on espérait du vaillant Pantonice Qu’il le sacrifierait d’abord à sa justice. Ô le lâche imposteur ! Mais enfin nos héros ; Ont secoué les fers pour goûter le repos Et pour cet heureux temps que le Ciel nous renvoie, Andrigene a voulu qu’on fit des feux de joie ; Cependant qu’avec eux desséchant tous ses pleurs, Elle les entretient de toutes ses douleurs. Et confond ses plaisirs dans la douceur des larmes, Qu’elle verse en riant sur le Dieu de ses armes. Allons en partager les plus purs sentiments, Et finir avec eux nos mécontentements Cependant apprenons qu’une main vengeresse, Pour abattre l’orgueil tôt ou tard s’intéresse, Et que Pamphage enfin à nos pieds abattu nous instruit, en servant de marche à la vertu.