Alessandro magno, quel grand filosofo, aveva ragione di dire, che l’amore d’una dona est un sable mouvant, sur lequel on ne peut bâtir que des châteaux en Espagne. Lucrezia Romana, di castissima memoria, aveva costume di dire, ch’il cuore d’un uomo était bien trigaud, et qu’il ne s’y fallait non plus fier qu’à un almanach. La dona est une girouette d’inconstance ; un moulin à vent de légèreté ; une belle de nuit, qui n’est bonne que du soir au matin. L’amor d’un uomo est un petit brouillard d’été, qui se dissipe avec le soleil ; un coq sur un clocher, qui tourne au moindre petit zéphyr. Ecco la belle de nuit inconstante, qui me fait tant pester contre le genre féminin. Ecco le petit brouillard d’été, qui me fait haïr les hommes comme des mahométans. Mademoiselle, rangez-vous de mon chemin, s’il vous plaît. Avec votre permission, monsieur, n’embarrassez pas le passage. Une ingrate comme vous ne sera jamais un rémora capable d’arrêter un vaisseau comme le mien, qui cingle à pleines voiles sur l’océan des bonnes fortunes. Un perfide comme vous ne sera jamais une ornière capable de m’empêcher de rouler dans le grand chemin des prospérités. Quand une fille a quelque savoir-faire, elle ne manque pas d’adorateurs. Quand un homme est tourné d’une certaine manière, il ne manque point d’adoratrices. J’ai refusé d’être premier commis chez un commis de la douane, qui m’aurait fait bien des gracieusetés, et où j’aurais tenu la caisse. Il ne tient qu’à moi d’être gouverneur des filles d’honneur d’une honnête dame qui demeure dans la rue Froidmanteau. Je passe sous silence les avances que me fait un procureur moderne, qui me signifie tous les jours quelque avenir amoureux, et qui veut m’associer à sa pratique. Je ne fais point mention d’une ancienne procureuse qui me donne toujours quelque exploit galant, et qui m’a accordé la préférence sur quatre grands clercs. Peut-on savoir le nom de votre ancienne procureuse ? Peut-on apprendre comment s’appelle votre procureur moderne ? Si vous n’étiez pas un petit indiscret... Si vous n’étiez pas une grande babillarde... Io vi direi que c’est monsieur Jacquemard. Io vi direi que c’est madame Jacquemard. Madame Jacquemard ! E possibile ? Ah, caro Arlicchino ! Nous négocions l’un et l’autre dans la même boutique. Ah, carissima Colombina ! Embrassez-moi, Nous travaillons tous deux dans le même atelier. J’ai fait croire à Monsieur Jacquemard que je suis une fille de qualité de province, nommée Léonore, et que je suis à Paris pour solliciter un procès. Et moi je me suis introduit auprès de la procureuse, sous le nom de baron de Groupignac, e che sono venuto à Parigi per sollecitar un dono. Quel est-il ce don ? C’est de pouvoir seul avoir des haras de mulets dans les montagnes d’Auvergne. Il faut de cette affaire, faire notre fortune. Tu sais que notre mariage n’est retardé que par notre indigence : il faut que nous plumions ces oisons. J’assigne dès à présent ma dot sur les malversations du procureur. Et moi, ton douaire sur les malversations de la procureuse. L’Épine est dans mes intérêts. Il est aussi dans les miens, et son secours ne nous sera pas inutile. Mais le voici. Je vous trouve à propos : vos affaires sont en bon train. Votre procureur ne manquera pas de se trouver tantôt dans ma boutique, pour voir mes momies, où il vous prépare une collation magnifique. Et pour la procureuse, je l’attends ici, et je vais faire en sorte de la faire trouver aussi chez moi. Tant mieux. Si les parties sont assemblées, nous plaiderons contradictoirement. Dès qu’ils seront tous dans ma boutique, je vous dirai ce qu’il faudra que vous fassiez. En attendant, Colombine, il faut que tu te déguises en Égyptienne : je te cacherai dans ma boutique, et... Mais allez-vous-en ; voici madame Jacquemard qui vient. Serviteur à madame Jacquemard. Que vous êtes brillamment et élégamment mise ! Quel bel habit ! Vous voyez, monsieur de l’Épine ; c’est un petit déshabillé à bonnes fortunes, que je me suis donné exprès pour venir à la Foire. Ah, madame ! Vous êtes si belle que vous n’avez pas besoin de toutes ces parures-là pour plaire. On a beau être jeune, mignonne, pouponne, ces fripons d’hommes sont si intéressés, qu’à moins qu’ils ne voient briller l’or dessus et dessous, ils s’imaginent qu’une femme est un garde-magasin, et ils veulent l’avoir pour moitié de ce qu’elle vaut. Il est vrai qu’on aime assez l’étalage ; et dans les boutiques bien parées, on y vend une fois plus cher qu’ailleurs. On attrape assez l’air de qualité, comme vous voyez. Mon mari ne sait pas que j’ai ce petit déshabillé-ci. C’est le surtout des menus plaisirs : il est déjà tout fripé. Mais si votre mari vous trouve avec cet ajustement, il pourra bien jeter l’habit par les fenêtres, sans songer que vous seriez dedans. Oh ! Je ne crains rien. Il faudra, madame, que vous veniez voir mes momies d’Égypte. Elles sont très rares ; et monsieur le baron de Groupignac m’a promis qu’il s’y trouverait : je sais qu’il ne vous est pas indifférent. Je n’ai rien de caché pour monsieur de l’Épine ; je connais sa discrétion, et je lui avouerai que je me sens si frappée de ce monsieur de Groupignac, que si mon bâtier de mari était mort, je n’en ferais pas, à deux fois ; et je l’épouserais d’abord en lui donnant tout mon bien. Vous ne sauriez mieux faire ; c’est un homme d’un vrai mérite. J’ai une Égyptienne dans ma boutique, qui pourrait bien deviner le temps que vous l’épouserez. Mais je crois que je l’entends. Madame, je vous laisse pour me rendre chez moi. Si l’Égyptienne vous tente, venez-y, et je vous promets que je vous ferai parler à elle en toute sûreté. Serviteur. Je vous réponds que j’irai dans un moment chez vous. Holà quelqu’un ! Basque, Champagne, la Fleur, Poitevin, Coupejarret ! Laquais major, autrement mon secrétaire, j’ai laissé sur mon bureau vingt ou trente billets doux ; allez les ouvrir, et y faites réponse ; mais d’un style tigre et cruel : j’ai d’autres amours en tête. Laquais minor, allez dire à cette veuve que je n’irai point la voir qu’elle n’ait reçu ce remboursement. Laquais minimus, vous irez chez la vieille baronne de Trancot, savoir si son visage est pleinement rentré des crevasses de la petite vérole. Mon suisse, venez ci : vous dont le bras est aguerri à soutenir l’assaut des créanciers, redoublez de force aujourd’hui, et repoussez vigoureusement toutes les femmes qui viendront m’assiéger. Ah, madame ! Vous voilà ? Que de beautés ! Que d’appas ! Quelle fourmilière de charmes ! Que ces yeux, ce nez, ces dents, ce teint, que tout cela est bien travaillé ! Avez-vous acheté cela tout fait ? Ah, monsieur ! Je n’achète point de charmes ; la nature y a assez pourvu : je suis toute naturelle, moi. Que cela est artistement élabouré ! Je me donne au diable, si je n’aimerais pas mieux avoir fait ce visage-là que la machine de Marly. On serait bien heureuse, monsieur le baron, si l’on pouvait, auprès de vous, mettre à profit ses petits appas. Petits appas, madame ! Ah, ciel ! Quelle hérésie ! Voilà les plus gros que j’aie vus de ma vie. Vous me charmez, vous m’enchantez, vous m’enlevez, vous m’enthousiasmez. Non, je n’y saurais tenir ; il faut que je vous embrasse. Ah, petit séducteur ! Vous ne cherchez qu’à me jeter de la poudre aux yeux ! Ah, ah ! L’éclat de vos charmes m’éblouit bien davantage, Beau soleil de mon âme ! Plus je vous vois, plus je vous trouve adorable. M’aimez-vous ? Ah ! Fi donc, aimer ! Je m’évanouis quand j’entends seulement prononcer le mot d’amour ; mais on aurait quelques bontés pour vous, si vous n’étiez pas si dissipé. Il faut bien qu’un homme de qualité remplisse ses devoirs. On se lève tard. Avant qu’on ait écarté les créanciers, fait quelques affaires avec les usuriers, qu’on se soit montré dans les lansquenets, on est tout étonné que la nuit est bien avancée, et qu’il faut aller rosser le guet. Vous êtes, à ce qu’il me paraît, fort régulier à vos exercices. Pour me rendre plus assidu auprès de vous, je me suis un peu relâché cette semaine ; et voilà déjà cinq hommes qu’on a tués, où je n’ai aucune part. Mais que ne fait-on pas pour vous ? Que vous êtes ensorcelante ! Fi donc, fi donc, monsieur le baron ! Où est donc ce diamant que vous mettez d’ordinaire à votre petit doigt, et qui me va si bien au pouce ? Je vous l’apporterai tantôt. N’y manquez donc pas. Que vous parlez élégamment, ma princesse ! En vérité, je ne vois personne qui ait une tournure d’esprit aussi arrondie. Le diable m’emporte, vous l’avez comme le corps. Tout de bon ? Me trouvez-vous de votre goût ? Mon tailleur dit qu’il y a de l’honneur à m’habiller. Je ne suis pas des plus menues ; mais, si vous y prenez garde, je suis assez bien prise dans ma taille. Vous êtes à charmer. Fi ! Je n’aime pas ces grandes tailles de fuseau, qui sont toujours prêtes à rompre. Je veux, morbleu ! Des tailles épaisses et renforcées, comme la vôtre. J’ai eu autrefois un roussin breton, qui était le meilleur animal qui fut jamais : il avait la côte tournée comme vous. Je crois que vous avez la jambe d’un beau volume ! Souffrez que j’en voie un échantillon. Fi donc ! Arrêtez-vous, petit entreprenant. Sans vanité, je ne l’ai pas mal tournée. Le joli petit balustre ! Ah, madame ! Votre beauté durera longtemps ; elle est bâtie sur pilotis. Tout beau, tout beau, monsieur ! Un peu de modestie. Oh ! Plus que vous ne voudrez. Vos jambes sont les colonnes d’Hercule : c’est pour moi le non plus ultra. Je vous laisse, et vais de ce pas aux momies, consulter une Égyptienne sur la mort de mon mari, et notre futur mariage. Adieu, petit Hercule. Adieu, charmante colonne qui soutient l’architrave de mon amour. Il me semble que la procureuse ne donne pas mal dans le panneau. Allons nous déguiser, pour l’attraper elle et son mari, et la faire venir à nos fins. Sous ces beaux monuments d’éternelle mémoire, Je ranime la cendre, et trouble le repos De ces rois et de ces héros Qui jadis, dans l’Égypte, ont signalé leur gloire. Je garde aussi, sous ces tombeaux fameux, Les mânes précieux De ces femmes charmantes, Qui firent, jusque dans les cieux, Élever ces masses pesantes, Et, par des histoires brillantes, Signalèrent leur nom dans l’empire amoureux. Si, dans ces lieux, toutes les belles Qui ne sont pas cruelles, Pour immortaliser leur sort, Laissaient de quoi bâtir, après leur mort, Des monuments aussi solides, On verrait bien des pyramides. Monsieur, n’est-ce point vous qui montrez les momies ? Je suis Osiris, le dieu de l’Égypte. Puisque vous êtes le dieu de l’Égypte, ne pourriez-vous point me faire parler à quelqu’une de vos Égyptiennes, pour lui demander son avis sur une petite affaire ? Volontiers. Je veux, en votre faveur, rappeler à la lumière une des plus illustres. On m’a dit, madame, que vous étiez une Bohémienne fort habile dans votre métier, et que vous deviniez à merveille. On vous a dit vrai : il y a plus de six mille ans que nous devinons dans notre famille, de père en fils. Je suis la première femme du monde pour crocheter les cadenas de l’avenir. En voyant votre taille et votre moustache, je devine que vous êtes menacée d’une longue stérilité. Monsieur Jacquemard, mon mari, ne se plaint point de moi. Je l’ai fait père de dix-huit Jacquemardeaux, tous portant barbe. J’ai deviné qu’au printemps prochain plusieurs femmes paieraient aux officiers leur quote-part des frais de la campagne, pour éviter les exécutions militaires. Je le crois bien ; mais... J’ai deviné qu’au renouveau le sang des procureuses serait terriblement pétillant, et que, si elles jouaient au lansquenet, leurs maris seraient les premiers pris. Madame, je suis procureuse, et... En voyant une sultane d’opéra troquer ses diamants bâtards contre des légitimes, j’ai deviné qu’elle avait fait de furieuses exactions sur quelque gros bacha sous-fermier. D’accord ; mais vous saurez... En voyant deux Gascons entrer au cabaret, j’ai deviné que ce serait le cabaretier qui paierait l’écot. J’ai deviné qu’à la Saint-Martin, tout homme de robe et tout abbé feraient suspension d’armes ; mais qu’au départ des officiers on verrait écrit, en lettres d’or, sur la porte des coquettes : Cedant arma togoe. Il n’est pas question de cela. J’ai deviné que les bals de cette année seraient dangereux, et que les hommes seraient si bien masqués, que mainte femme y prendrait quelque aventurier pour son mari. J’ai deviné que beaucoup de mères coquettes, voyant chaque jour leur visage menacer ruine, tâcheraient de faire recevoir leurs filles en survivance. Je n’ai que deux mots. J’ai deviné qu’il y aurait cet été, aux Tuileries, plus de nymphes bocagères que de faunes et de chèvre-pieds, et que les Apollons de ce pays-là ne trouveraient point de Daphné assez cruelle pour se laisser métamorphoser en laurier. En voyant tant de galanteries mercenaires, j’ai deviné que l’amour était devenu courtier de change, et que les coeurs se négociaient à présent de place en place. Mais laissez-moi donc parler. J’ai deviné, en voyant un milord de la rue des Bourdonnais, qui avait perdu son argent contre une jolie femme, qu’il ne serait pas longtemps à se racquitter. J’ai deviné que les carrosses de deux bourgeoises de qualité se rencontreraient tête à tête dans une petite rue, et qu’après avoir fait repaître leurs personnes et leurs chevaux, on en ferait une scène lucrative à l’hôtel de Bourgogne. Vous avez deviné juste ; mais... J’ai deviné qu’il y aurait cette année bien des filous qui voudraient changer d’état ; Bien des maris qui voudraient porter le deuil de leurs femmes, et encore plus de femmes qui postuleraient des emplois de veuve. Ah ! Voilà la question, madame. Comment ! Est-ce que vous voudriez que votre mari fût mort ? Non, pas tout à fait ; mais je voudrais savoir si je serai mariée en secondes noces. Donnez-moi votre main. Diantre ! Voilà une main bien nuptiale. Vous avez bien des soupirants ; entre autres, un certain baron de Grou... Groupignac, n’est-ce pas ? Groupignac, oui ; un échappé des montagnes de l’Auvergne. Il vous a terriblement égratigné le cour. Cela est vrai. Comme elle devine cela ! Il m’a promis de m’épouser aussitôt que la place serait vacante. Mais, vous le savez, les barons d’aujourd’hui sont si inconstants ! Et les madames Jacquemard si laides ! Dites-moi un peu ce qu’il faudrait faire pour le fixer dans le goût de me tenir un jour sa parole. Avez-vous des bijoux, des diamants, de l’argent comptant ? Oh ! Oui : je suis très bien nippée et très riche. Hé bien, écoutez la Sibylle : elle va vous dire ce qu’il faudra faire. Quand on a passé sa jeunesse, On achète bien cher les fruits de la tendresse. Il ne faut pas qu’une vieille prétende Faire l’amour a communs frais ; Et trop heureuse encor que son argent lui rende Ce que l’âge sur elle a moissonné d’attraits ! Que faites-vous donc ici, madame ? Qu’y faites-vous, vous ? Que je suis malheureuse ! Est-ce que je rencontrerai toujours ce petit brutal-là en mon chemin ? Est-ce que vous venez à la Foire pour y donner la comédie ? Quel habit de folle avez-vous donc là ? Est-ce l’habit d’une procureuse ? Procureuse, moi ? Apprenez, mon ami, que je suis la femme d’un procureur, mais que je ne suis point procureuse, et que je puis porter l’or et l’argent à meilleur titre que de vieilles comtesses qui doivent encore leur habit de noce. Il n’y a pas un de ces diamants-là qui ne m’ait coûté un procès, et peut-être une fausseté. Je serais bien malheureuse d’être lardée de faussetés depuis les pieds jusqu’à la tête ! Mais, monsieur, consolez-vous, ces diamants-là ne vous coûtent rien. Ils ne vous coûtent pas grand’chose non plus. Comment ! Que voulez-vous dire ? Ils ne me coûtent pas grand’chose ! Je veux bien que vous sachiez que je n’ai jamais rien fait pour de l’argent. Tant pis, madame : il y a de certains métiers où il vaut mieux recevoir que donner. Plutôt que de censurer ma conduite, vous feriez mieux de réformer la vôtre, et de ne pas faire tous les jours le petit libertin. Je n’ai rien à réformer à ma conduite, et je souhaiterais que la vôtre fût aussi régulière dans le fond et dans la forme. Cela est étrange ! Ces gens de pratique ont toujours quelque petit ménage par apostille, et ils ne regardent leur femme que comme un inventaire de production. Doucement. Il n’est pas question de se disputer ici. Vous êtes venus pour voir les momies, et non pour quereller. Faites donc silence, et regardez ; vous allez voir Marc-Antoine et Cléopâtre. Je crois que voilà Léonore ma maîtresse ! Je crois que voilà mon baron de Groupignac ! Quel éclat vient frapper ma débile paupière ? Quel dieu cruel me force à revoir la lumière, Moi qui, me dérobant aux rigueurs de mon sort, Trouvai tant de douceur à me donner la mort ? J’ai triomphé du coup dont vous vouliez m’abattre, Grands dieux ! Que voulez-vous encor de Cléopâtre ? Mais que vois-je en ces lieux ? L’ombre de mon époux ! Marc-Antoine, est-ce vous ? Ah ! Que j’ai bien dormi ! Bonjour, Cléopâtrine. Quelle heure est-il ? J’ai soif et faim. Va vite me tirer chopine ; Mais ne la bois pas en chemin. Cet indigne discours rend ma douleur plus vive. Ne te souvient-il plus que tu fus roi des rois, Un héros ?         Moi, héros ! Dame ! J’ai quelquefois La mémoire un peu laxative. Étions-nous morts tous deux ? Par ma foi, je croyais Qu’en bons et francs époux bourgeois, Tous deux, nu même lit, le ragoût d’hyménée Nous avait fait dormir la grasse matinée. De son esprit troublé que puis-je soupçonner ? Déchausse le cothurne, et songe au déjeuner. Ton oil me met en goût, et me sert d’échalote. Cette anguille est dodue, et vaut bien un poulet. Au lieu d’en faire un bracelet, Va m’en faire une matelote. J’ai toujours conservé, sur mon bras étendu, Ce sûr témoin de ma vertu. Quand ta mort eut brisé nos conjugales chaînes, Cet aspic fit glisser son venin dans mes veines. On a fait courir ce bruit-là ; Mais tu connais la médisance : L’un le crut, l’autre s’en moqua ; Dis-moi la chose en conscience. Fut-ce un aspic qui te piqua, Ou bien si tu mourus de rage De n’avoir pu chanter un bis de mariage ? Tout l’univers a su mon trépas éclatant. Je le tiens apocryphe. Euh ! Petit charlatan, À quelque autre que moi va vendre ta vipère Pour faire de l’orviétan, Ou pour pendre au plancher de quelque apothicaire. Si de cette vipère on faisait, à Paris, De la poudre à guérir les coquettes fieffées, On en vendrait moins, prix pour prix, Pour les estomacs affaiblis, Que pour les vertus débiffées. Pour sauver ma vertu, j’employai le poison. Ouiche, tarare, pompon ! Auguste est mon garant ; je méprisai sa couche. Malheureuse ! Quel nom est sorti de ta bouche ! À ce nom, de courroux je me sens embrasé, Et je suis à présent dé-Marc-Antonisé. Tu veux m’en imposer par ton récit tragique. Mon bichon, mon Antonichon, Je prendrai, si tu veux, le ton tragi-comique. Les femmes de certain renom Savent chanter sur chaque ton ; Même sur celui de flonflon. Telle qu’une coquette, en superbe ordonnance, Vient étaler au Cours le plus fin de son art, Pour ranger sous son étendard Quelque colonel de finance ; Telle, et plus belle encore, on vous vit dans un char, Aller pompeusement au-devant de César. Là, vous mîtes en batterie Soupirs, roulement d’yeux, mines, minauderies, Pour faire encore échec et mat Les débris du Triumvirat. Mais avec tout l’effort de votre artillerie, Croyant prendre un héros, vous ne prîtes qu’un rat. Quand je voudrai mettre un amant en cage, J’y réussirai, sur ma foi : Princesse aussi riche que moi Perd rarement son étalage. Ingrat ! Pour tes beaux yeux, j’ai, contre le Romain, Mis cent fois l’épée à la main. Fi ! Vous n’êtes qu’une bretteuse. Coeur de caillou, sang de macreuse ! Par une marotte amoureuse, Pour toi j’ai trotté sur les mers ; J’ai rôdé par tout l’univers ; J’ai galopé l’Europe, et l’Asie, et l’Afrique. On n’avait point encor découvert l’Amérique. Ce fut pour toi le plus grand des bonheurs ; Car, ma foi, pour te rendre sage, On t’eût fait commander, dans ce chétif voyage, L’arrière-ban des Noseurs. Venons au fait : veux-tu me reprendre pour femme ? Nenni, ventre-saint-gris ! Madame. Petit mouton d’amour, doux objet de mes voeux ! Je sens que je m’en vais retomber amoureux. Marc-Antoine, point de faiblesse. Cléopâtre, plus de tendresse. Rentrons dans nos tombeaux. Adieu, perfide, adieu. Venez çà, petit boutefeu. Qu’on m’aille chercher un notaire ; La femme est un mal nécessaire. Et l’homme est un faible animal. Nouons à double noud le lien conjugal. Donne-moi la main, scélérate. Mon cher Toinon, mets là ta patte. Tout beau, s’il vous plaît ; je mets empêchement à ce mariage-là, et j’ai hypothèque sur Marc-Antoine. Comment donc, mademoiselle ! Ne m’avez-vous pas promis de m’épouser, quand ma femme serait crevée ? Comment, merci de ma vie ! Quand je serai crevée ? Je veux vivre cent ans pour te faire enrager, et pour t’empêcher d’épouser ta demoisillon. À la bonne heure ; mais vous n’épouserez pas non plus votre baron. Je ne l’épouserai pas ; mais je lui donnerai tout mon bien. Tenez, monsieur le Baron, voilà déjà un diamant que je vous donne. Je n’épouserai pas Léonore, mais je lui donnerai tout ce que j’ai. Tenez, mademoiselle, voilà une bourse de cent louis. Tenez, voilà un collier de mille écus. Voilà un petit contrat de cinq cents livres de rente. Et moi je vous donne ma maison de la rue de la Huchette. Et moi, ma terre de la Pissotte, la maison de Paris, l’étude, les trois grands clercs... Ah ! J’étouffe. Et nous, nous vous donnons le bonsoir. Présentement que nous tenons de quoi faire la noce, il est bon de vous dire que la prétendue Léonore s’appelle Colombine ; qu’elle est une friponne de sa profession, et que le baron de Groupignac, autrement dit Marc-Antoine, est Arlequin, autre fourbe de son métier. Quoi !... N’importe, je suis contente, pourvu que mon benêt de mari n’épouse pas sa grisette. Et moi aussi, pourvu que vous n’épousiez pas votre Baron. Puisque tout le monde est content, divertissons-nous, et faisons la noce de Marc-Antoine. Comment, ventrebleu ! Mon petit praticien français, vous êtes bien hardi de vous mettre à table devant Marc-Antoine romain ! Ce n’est point aux procureurs À donner des cadeaux aux filles., Prenez votre sac et vos quilles : Faites Gille, faites Gille ; Allez chercher fortune ailleurs. Monsieur Jacquemard est bénin, Docile et débonnaire : Il nous fait boire de bon vin ; Mais il n’en boira guère. Il nous fait boire de bon vin ; Mais il n’en boira guère. Il plaide comme un Cicéron ; En procès c’est un diable ; Mais quand il voit un mousqueton, Il plaide sous la table. Mais quand il voit un mousqueton, Il plaide sous la table. Aux frais du plaideur indiscret, Il boit à la buvette ; Mais il défraye au cabaret Et plumet et grisette. Mais il défraye au cabaret Et plumet et grisette. Messieurs, voilà des liqueurs que vous avez demandées. Vin muscat, vin de Saint-Laurent ; les eaux de cannelle, des eaux de Forges, des eaux de Bourbon. Mets tout cela sur le buffet, mon ami. Les rois d’Égypte et de Syrie Voulaient qu’on embaumât leurs corps, Pour durer plus longtemps morts. Quelle folie ! Avant que de nos corps notre âme soit partie, Avec du vin embaumons-nous : Que ce baume est doux ! Embaumons-nous, embaumons-nous, Pour rester plus longtemps en vie. Messieurs, il faut que je m’en aille ; mais avant que de partir, dites-moi, s’il vous plaît, qui me paiera ? Cela est juste. Monsieur Jacquemard paiera. Va : il répond de tout. Moi ? Je ne réponds de rien : je n’en paierai pas un sou. Vous ne paierez pas ! Mousquetaires, remettez-vous ; tirez. Ne tirez pas ; j’aime mieux payer : mais qu’on me laisse donc sortir. Volontiers, laissez-le aller ; après qu’il aura payé, s’entend. Verse du vin dans mon verre. Choquons, faisons un bruit de guerre Qui puisse durer toujours. Répondez-moi, trompettes et tambours. Et tandis que Mars, sur la terre, Ne fait point gronder son tonnerre, Chantons le vin et nos amours. Répondez-moi, trompettes et tambours. Si notre pièce a su vous plaire, Quoique en carême encor, nous ferons bonne chère ; Le carnaval pour nous va reprendre son cours. Répondez-moi, trompettes et tambours. À la santé du Parterre : Le ciel veuille allonger ses jours ! Et que, dans notre gibecière, Son argent foisonne toujours. Répondez-moi, trompettes et tambours.