Quoi ! Sérieusement vous allez vous marier , après l’oppositionque je vous ai vue à ce lien fatal, dans lequel on se repent si souvent de s’être mis ? Oui, mon ami, très sérieusement je me marie, et c’est avec une confiance parfaite et une joie insensible. Celle que j’épouse est belle, jeune, spirituelle ; sage ; je serai trop heureux de la posséder. Voilà bien des qualités souhaitables ; mais vous avez un grand désintéressement, car vous ne parlez point de son bien ; et j’ai toujours entendu dire que c’était le point essentiel de l’affaire. Ma foi, mon ami, c’est justement à quoi je ne me suis point arrêté : je crois même qu’elle n’a pour dot que son mérite et ses appas. Vous êtes donc amoureux comme un fou ? Je suis amoureux autant qu’on le peut être d’une personne qu’à peine l’on connaît, mais, mon ami, ne savez-vous pas qu’on se marie souvent pour les autres, et que dans cette occasion comme dans toutes celles de la vie, on cherche l’approbation universelle ? J’ai contentement en épousant Élise ; les hommes la respectent, les femmes l’aiment, le public lui donne mille louanges ; enfin, mon cher, les échos répètent son nom avec des épithètes capables de flatter ma vanité. Ah ! Pour aux échos, je ne m’y attendais pas ; vous êtes devenu grand exagérateur : il est vrai que j’ai entendu parler d’Élise comme d’une fille approchante de la perfection ; mais fans vouloir faire le donneur d’avis, songez que ce qu’on voit tous les moments ne fait plus tant de plaisir : il faut un certain point de vue, pour voir le mérite dans son jour : votre amour passera, les enfants viendront ; votre bien est assez considérable pour vous seul, mais vous serez bien embarrassé d’une foule d’héritiers, et ce sera alors que vous vous repentirez de vous être repu, d’une fumée de réputation qui n’ajoutera pas un sou à votre revenu. Je ne suis pas tout-à-fait fou, Licidor ; si je n’attendais des successions considérables, je ne m’embarquerais pas à faire un choix honorable qui pourrait me devenir onéreux ; mais envisageant dans l’avenir une opulence considérable, avec qui puis-je mieux la partager qu’avec une personne qui fait les désirs de tout le monde, et qui ne peut manquer de faire ma félicité ? Enfin, mon cher, je vous amène pour voir ma maîtresse : elle va bientôt venir dans cet appartement avec une de ses amies ; et pour vous faire la confidence entière, cette amie qui a des biens immenses, n’aurait pas refusé mon cour et ma main, si je lui avais offert l’un et l’autre ; mais sa réputation n’étant pas du tout si pure que celle d’Élise, quoi qu’elle soit bien aussi belle, je n’ai pas hésité à faire le choix le plus glorieux, et j’aurai pour moi la voix publique. Je me rends, mon cher Philinte ; je vois que vous avez raisonné ; et que ce n’est point une folle passion qui vous fait agir : c’est en effet une satisfaction bien entière que des applaudissements généraux : mais voici apparemment les deux amies. Les grâces, divine Élise, suivent vos pas dans tous les lieux où vous allez : on prodigue pour vous les louanges les plus outrées ; on ne peut cependant jamais passer au-delà de ce que vous en méritez, et les poètes même ne pourraient trouver dans leurs expressions des termes assez forts pour peindre les charmes de votre personne, la grandeur de votre esprit, la générosité de votre âme : ne vous en prenez, adorable Élise, qu’à la stérilité de la langue ; car il n’y a personne qui n’en épuise toutes les richesses, pour tâcher d’exprimer ce qu’on pense de vous. Vous devenez vous-même poète, Philinte ; les exagérations ne vous coûtent plus rien : prenez garde que vous ne vous laissiez séduire par l’amour propre, et que m’ayant choisi pour compagne, vous ne croyiez voir en moi, par cette raison, un mérite au-dessus de celui que j’ai. Non, ma chère Élise, je réponds pour Philinte du désintéressement de ses paroles : il y a trop longtemps que je vous connais, pour me pouvoir méprendre dans le jugement que tout le monde fait de vous : ce n’est que d’après ce grand juge que nous vous encensons, et votre approbation particulière n’ajoute que très peu au panégyrique universel. Il est vrai, charmante Élise, que j’avais entendu dire des merveilles de vous ; mais j’avoue que toute ma prévention n’approchait pas de ce que j’ai connu par moi-même : je m’imagine toujours que chacun a ses vues plus ou moins étendues, et je me flatte d’avoir fait des découvertes dans vos perfections, qui avaient échappé aux plus éclairés : d’autres me surpasseront peut-être encore, et je n’en suis point jaloux ; vous avez un fond inépuisable de qualités divines, et vous ferez toujours par delà l’admiration, quelque loin qu’on la puisse pousser. Pour moi, mon cher Philinte, je ne suis plus ce sévère censeur qui cherchait à trouver de la faiblesse dans votre choix. Me voilà convaincu par la seule vue de votre adorable maîtresse : vous ne pouvez jamais être heureux qu’avec elle ; sa seule modestie, cette rougeur aimable qui couvre ses jours quand ses oreilles sont frappées de l’admiration qu’elle nous cause, la rend à mon avis inimitable : jouissez, heureux Philinte, du sort le plus doux, avec une épouse charmante approuvée généralement, sans que son âme en soit plus enorgueillie. Indigne que je suis des honneurs qu’on m’adresse, Je veux bien les recevoir, pour que la gloire en rejaillisse sur un homme avec qui je dois tout partager. Souffrez que je baise votre belle main, et que je vous prie d’avancer mon bonheur.Surprenant effet des merveilles que je découvre en vous ! Je n’étais presque que votre admirateur lorsque je suis arrivé, et je suis à présent le plus amoureux de tous les hommes ! Ne refusez pas, ma chère Élise, la prière d’un amant qui vous a préféré à tout ce que l’univers préfère à tout : je suis riche, je ne suis pas laide, il pouvait espérer de réussir auprès de moi ; votre réputation seule l’a déterminé, et votre personne l’enchante. Je joins mes prières à celles de votre belle amie, Madame ; prononcez un arrêt si doux. Je vous le demande à genoux ; trop modeste Élise , ne me refusez pas d’avancer le plus beau de mes jours. Je me rends à mon amie, à votre ami, et à vous, Philinte, plus qu’à personne ; je ne dois plus souhaiter que de vous être agréable.