Va d’un pas genereux pour suivre la victoire ; Adjouste à ta grandeur le lustre de ta gloire, Et monstre que ton bras t’eust le Sceptre donné Si le Ciel en naissant ne t’eust pas couronné. Desjà nos ennemis ont senty les tonnerres Que ton bras redoutable a lancé sur leurs terres, Desjà leurs champs deserts blanchissent d’ossemens, Le Soleil n’y reluit que sur des monuments , Et s’estonne de voir en faisant sa carriere, Où fut un grand Royaume un ample Cimetiere. Enfin de tous costez on respecte ton nom, Tu triomphes par tout où vole ton renom Et de tout ce Païs si grand et si fertile, Policandre son Roy n’a plus rien qu’une ville. Il voit avec horreur son estat limité Du perissable enclos des murs d’une Cité. Mais ce n’est pas assez que son estat succombe, Il faut suivre ce Roy jusques dedans la tombe, Et des restes affreux de son trosne esbranlé Luy faire en peu de temps un tombeau signalé. Donne donc à sa ville une derniere attainte, Entre victorieux où tu portes la crainte, Et tire du malheur d’un Monarque deffait Le superbe appareil d’un triomphe parfait. C’est peu pour m’animer d’employer le langage, Vous m’avez en naissant inspiré le courage, Et quelques beaux discours que vous m’ayez tracez, La gloire a des appas qui m’animent assez. C'est le plus riche prix qu’un grand cœur se propose. Mais estant né de vous puis-je aymer autre chose, Desjà de tous costez Policandre assiegé Vo id entre nous et lui son Sceptre partagé, La ville qui luy reste à nos soings est acquise, Et l’effroy seulement nous l’a desjà conquise. En vain elle se fie à ses superbes tours, Et d’un Cleomedon elle attend le secours. A nos puissants efforts elle est abandonnée, Nous tenons dans nos mains sa triste destinee, Et quoy que Policandre espere de nouveau, Il ne peut eviter nos fers ou le tombeau. Quel est ce deffenseur que l’ennemy souhaite, Et qui vient à ses faits adjouster sa desfaite, D'où sort à ton advis ce cœur audacieux ? Monte-il des enfers, ou descend il des Cieux ? Placide qui le sçait vous dira son histoire. Je n’en sçaurois parler sans parler à sa gloire. Parle, dy nous les biens dont il est revestu, Je hay mes ennemis, mais j’ayme leur vertu. Cleomedon esclave en son aage plus tendre Fut autrefois offert au Prince Policandre, La Nature, et le Ciel firent tous leurs efforts, L'un à former l’esprit, l’autre à former le corps. Il charmoit tout le monde, en tous ses exercices ; De l’œil le plus barbare il estoit les delices, Et fit assez juger qu’il estoit reservé Plustost à captiver, qu’à se voir captivé. Il fut donq achepté par ce malheureux Prince De qui vous renversez le Trosne et la Province, Et le premier objet dont il parust vainqueur Fut de ce mesme Prince et l’amour et le cœur. Enfin il devint grand, mais dans son esclavage Il crûst plus en vertus qu’il ne fit pas en âge ; Comparable au Soleil tousjours foible en naissant Il acquit plus d’eclat la journee s’avançant. Ne pût-il s’affranchir avecques tant de grace  ? Un jour que l’on prenoit les plaisirs de la chasse, Le plus grand des Lions qu’on tenoit resserrez, Rompit de sa prison les fers mal assurez, Se jette dans le bois, s’adresse à Policandre, Chasse ou renverse ceux qui pouvoient le deffendre ; Il rugit, il estonne, et par un mesme effort Il donne en mesme temps et la fuite et la mort. Chacun selon sa peur rend sa route diverse, Policandre est pressé, son cheval se renverse ; Mais pour le guarentir Cleomedon paroist, Plus le danger est grand, plus son courage croist. Il attend ce Lyon , il l’esquive, il le presse, Sa force en ce combat fait moins que son adresse, Il parust un Hercule en cette occasion, Et contre ce Lion il se monstra Lion. Quoy, Placide, il vainquit cette effroyable beste ? Enfin sa liberté suivit ceste conqueste, Son Prince degagé de crainte et de soucy, D'esclave le fit libre et Chevalier aussi. Depuis ce temps, Madame, où son noble courage, Dessus ce grand Lion fit son apprentissage, Il vid avec honneur les pays estrangers, Et vainquit tout autant qu’il tenta de dangers. Mais sçachant de son Roy le malheur sans remede Pour la seconde fois il paroist à son ayde, Et mene à son secours ceux qu’il a rencontrez, Qui faute d’un bon chef ne s’estoient point monstrez. Quoy qu’il ait fait de grand, sa deffaite est possible, Pour vaincre des Lions on n’est pas invincible, Alcide sceut calmer mille rebellions, Estouffa des Serpens et dompta des Lions, Il fut de cent Tyrans l’equitable homicide, Et pourtant une femme a triomphé d’Alcide . Fust-il environné de mille bataillons, Fust-il comme les Dieux armé de tourbillons, Il aura seulement cette bonne fortune, D'avoir avec son Prince une tombe commune, Et quelque grand succez qu’il se soit proposé Il aura le seul bien d’avoir beaucoup osé. Mais il est temps d’aller où la gloire m’appelle. Vis pour elle mon fils, et meurs aussi pour elle ; Enfin n’espargne rien si tu veux tout gaigner, Un Prince conquerant ne doit rien espargner, Presse, attaque pour luy, fay ce que je desire, Cours, et ne permets pas que l’ennemy respire, Souvent la moindre tresve est fatale au vainqueur, Et peut rendre aux vaincus leur premiere vigueur. Va donc accompagné de force et de courage Fondre comme un tonnerre, où la gloire t’eng age, Esteins jusqu’à la cendre un feu si violent, N'en laisse rien de vif, n’en laisse rien de lent, Souvent d’une estincelle un grand feu se rallume, Et par sa negligence un vainqueur se consume ; Monstre-toy sans frayeur aux plus rudes travaux Regarde d’un mesme œil et les biens et les maux, On ne doit redouter, ni peine, ni martire, Alors que pour son prix on attend un empire. Animé par la gloire, et par vostre discours, Je vaincrois des Demons armez à son secours. Vous suivez vostre Roy, certains d’une victoire, Dont vous partagerez et le gain et la gloire. Toy Placide demeure, et me dy nettement Ce qui tombe en cecy dessous ton sentiment , Enfin nostre ennemy nous cede sa couronne ? Mais apres tout, Madame, une chose m’estonne. Vous avez autrefois recherché son Amour, Et cherchez maintenant à le priver du jour. Ouy, Placide, il est vrai que depuis mon veusvage, J'ay long-temps en secret cherché son mariage, Tu ne l’ignores pas, puisque secrettement Je t’envoiay vers luy pour cela seulement. Ne croy pas toutesfois apres cette poursuite Qu'un appetit brutal à ce point m’ait reduite, Si j’ay sollicité ce miserable Roy, Je l’ay pû sans rougir puis que j’avois sa foy. Ainsi je le pressay d’accomplir ses promesses, Mais l’ingrat dédaigna mon Sceptre et mes caresses, Et crût qu’impunément on pouvoit negliger Une femme qui regne, et qui se peut vanger. Enfin de son dédain ma hayne prit naissance, Et contre cet ingrat sousleva ma puissance, Mille pretextes faux couvrent mes passions, Les grands n’en manquent point en ces occasions. J'ignoray jusqu’icy qu’au nom de l’hymenee La foy de ce grand Roy vous eust esté donnee, Et s’il m’estoit permis de vous interroger, Si le bien de l’Estat m’y pouvoit obliger, Ma curiosité me forceroit d’apprendre Quel sort vous engagea la foy de Policandre, Mais l’on ne doit jamais se monstrer curieux Des affaires des Rois, et des secrets des Dieux, Et l’on ne peut sans crime en vouloir plus cognoistre Que leur intention ne nous en fait paraistre. Tu peux tout demander, et tu dois tout sçavoir, Ce que je cache à tous à toy je le fais voir. Sçache que Celiante est fils de Policandre. Celiante est son fils !         Il te faut tout apprendre. Vous m’estonnez, Madame.         Escoute seulement, Et donne un peu de tresve à ton estonnement. Policandre fort jeune, et bien plus temeraire Se déroba jadis à la Cour de son pere, Et d’un seul escuyer ayant fait tout son train, Il s’expose aux dangers d’un voyage incertain. Il vid en incognu mainte terre estrangere, Fut reçeu comme tel où commandoit mon pere, Et comme un jeune cœur est bien-tost enflammé, Il me vid, il m’ayma, je le vis, je l’aimay. Il m’aborde, il me parle avec autant de charmes Qu'il receloit de feinte, et m’apprestoit de larmes. Mais il eut peu de peine à me gaigner le cœur, Puisque desjà son œil en estoit le vainqueur. Ma Nourrisse et son fils furent sa confidence, Par eux sa passion tenta mon innocence, Mais quoy qu’il employast, et qu’il m’offrist son sang, Il ne sceut son amour, que quand je sceus son rang Voiant donc que son Sceptre authorisoit la flame Que son premier regard alluma dans mon ame, Placide à mon malheur, le traistre apprit de moy Qu'il avoit pour subjette une fille de Roy. Il me donna sa foy, je lui donnay la mienne, Il feignit d’estre mien, en effet je fus sienne, Et ma facilité lui fit bien voir alors Que qui peut tout sur l’ame a beaucoup sur le corps. Helas comme l’Amour toute chose surmonte, (Diray-je sans rougir, ce que je fis sans honte,) Ma pudeur luy ceda, je contentay ses veux, Et le consentement nous maria tous deux. Placide en mesme temps la triste renommée De la mort de son Pere en tous lieux fut semée, Ce funeste accident l’esloigna de mes yeux, Et d’amant inconu le fit Roy glorieux. Il me fit en partant mille promesses vaines, Me dit qu’un prompt hymen abregeroit mes peines, Et qu’on verroit chez nous de ses Ambassadeurs Lors qu’il auroit attaint le sommet des grandeurs, Mais le traistre qu’il fut, indigne de ma flame, S'esloignant de mes yeux m’esloigna de son ame. Il crût insolemment au mespris de sa foy Que les vœux d’un Amant n’obligeoient pas un Roy. Et pour comble de mal, le croiras-tu Placide, Un autre mariage engagea le perfide. Cependant ma douleur, et mon ressentiment Avancerent le jour de mon accouchement, Et je vis naistre enfin le gage illegitime, Issu de mon amour ou plustost de son crime. Mais je n’eus pas en tout le destin rigoureux, Puisque je pûs cacher cet enfant malheureux. Ma nourrice et son fils par leurs soings le cacherent, Aussi fidellement que ces flancs le porterent. A peine fus je libre, et de crainte et d’effroy, Que le Roy des Santons jetta l’œil dessus moy, J'espousay ce Monarque, et son grand heritage Vid naistre un successeur de nostre mariage. N'est-ce pas Celiante ?         On l’appelloit ainsi, Mais escoute maintenant la plus triste avanture Qui passera jamais chez la race future. Bien qu’un Royal hymen m’engageast soubs ses loix, J'avois tousjours au cœur le plus traistre des Rois ; Je bruslois en secret de ma premiere flame, Mon espoux eut mon corps, Policandre eut mon ame, Et lors qu’à l’en chasser j’employois ma raison, Ses charmes me touchoient plus que sa trahison. Comme j’aimay ce traistre, helas ! j’aimay le gage Qu'en ce malheureux corps il laissa pour ostage, N'eusse-je pas aymé cet enfant fortuné, Puisque c’estoit l’Amour qui me l’avoit donné ? Craignant donc que du sort la fatale puissance Rendist sa vie obscure ainsi que sa naissance, Que fis-je à ton advis, ou que ne fis-je pas, Pour garder prés de moy ses innocens appas  ? Je fis acroire au Roy qu’une Vierge sçavante Menaçoit de la mort le petit Celiante, Si durant trente mois mon idolatre amour Ne cachoit cet enfant aux regards de la Cour ; On se mocqua d’abord de ces menaces vaines : Mais enfin par mes pleurs, par mes cris, par mes peines, Et par tous les transports à un esprit empesché J'obtins mesme qu’au Roy l’enfant seroit caché. Or je ne pris ce temps qu’affin de pouvoir rendre, Au lieu du fils du Roy celuy de Policandre, Ma ruse reüssit avec le mesme sort Que si toute la Cour en eust esté d’accord, Ainsi dans ce dessein dont le succez m’estonne, Je fus mauvaise mere afin de l 'estre bonne. On vid croistre à la Cour cet enfant supposé, Et j’admirois en lui ce que j’avois osé. Enfin le Roy mourut, cet enfant lui succede, Il receut de sa mort le Sceptre qu’il possede, Et par son grand courage incapable d’effroy, D'injuste possesseur, il se fit digne Roi. Quelle triste fortune eut le vrai Celiante ? Je suis de son Destin tout à fait ignorante. Ma Nourrisse le prit, et dès le mesme jour Clorimante son fils l’esloigna de la Cour. Helas depuis ce temps j’ai vescu sans delices, Mille secrets remords ont esté mes supplices, Je vois à cent vautours mon cœur abandonné, Et je porte un enfer soubs un front couronné. Cet enfant fut perdu dans les guerres Civilles, Dont le flambeau fatal consomma tant de Villes, Et Clorimante mesme y fut aussi perdu, Au moins, je l’ai depuis vainement attendu. Voilà de mes ennuis l’histoire veritable, Dont l’estrange succeds approche de la fable, Mais apres tant de feinte, et de sermens faussez Juge si Policandre endure encor' assez. Je brusle de fureur lors que je considere Que j’ay donné mon Sceptre au fils d’un adversaire. O malheureux effet des desseins que je fis ! Je renverse le Pere, et j’esleve le fils. J'ay toutesfois ce bien dans ma juste colere Que je me sers du fils pour me vanger du Pere Et le Ciel n’a permis que pour me contenter Qu'il meure par le bras qui devoit l’assister. Vous exposez le fils en vous vengeant du Pere. Et pour mieux me vanger j’exposerois la Mere. C'est vouloir perdre tout que de le negliger. N'importe on gaigne assez, lors qu’on peut se vanger. Mais il est vostre sang.         Il l’est de Policandre, Ne t’estonne donc pas si je veus le repandre. Si le malheur du fils est au pere fatal, Que l’on verse son sang, je consens à son mal. Pour avoir sur ce traistre une insigne victoire, Je voudrois hazarder, et mon Sceptre et ma gloire, Je perdrois mon renom tout illustre qu’il est, On n’achepte point trop la vengeance qui plaist. Mais enfin monstre toy par un juste silence Digne de mon secret et de ma confidence. Quand vous me l’avez dit je l’ay si bien celé, Que vous-mesme doutiez de m’en avoir parlé. Hé Dieux ! de quels desseins n’est capable une femme Quand la haine ou l’amour tyrannise son ame ? A quoy me resoudray je en cette extremité, Verray-je par le fils le Pere mal traité, Et pouvant divertir cette horrible avanture, Verray-je renverser les loix de la Nature ? Souffriray-je qu’un Roy se rende criminel, Jusqu’à laver ses mains dans le sang paternel, Et que pour arriver au trosne qu’il espere Il se fasse un degré du tombeau de son pere ? Que je me sens gesné de pensers differents ! Et que c’est un grand faix que le secret des grands ! On ayme à s’en charger, on le reçoit à l’aise, Et lors qu’on s’en décharge on sent combien il pese. Mais ne consultons point, il le faut dire au Roy, La Nature, et le Ciel m’imposent cette loy. Descouvrir ce secret est un mal necessaire, Et le dire à propos vaut mieux que de le taire. ACTE I Mes filles, mon soucy, seules pour qui je crains, Seules pour qui j’endure, et pour qui je me plains, Vous jadis mes plaisirs, et maintenant mes peines Tarissez de vos yeux les ameres fontaines ; Bien qu’un sort rigoureux animé contre moy, M'oste avec le pouvoir, le nom mesme de Roy, Mes filles, mes tresors, je le trouve prospere, Puis qu’il me laisse encor la qualité de Pere. Et malgré mon desastre et mes adversitez Il me reste beaucoup puisque vous me restez. Faites voir desormais par un peu de constance Que vostre cœur est grand comme vostre naissance. Ne pouvoir constamment supporter la douleur, Dans les plus grands malheurs est un autre malheur. Quand d’un pere affligé nous pleurons l’avanture, Ne nous deffendez point ce qu’apprend la nature, Serions-nous vos enfans, si pour vos desplaisirs Nos yeux estoient sans pleurs, et nos cœurs sans soupirs ? Non, non, il faut pleurer, la plainte est legitime, En cette occasion la constance est un crime, Et vous croyriez vous mesme en ce cruel instant Que mon cœur seroit dur au lieu d’estre constant. Si nous estions sans pleurs, nous serions inhumaines, Et nostre dureté feroit croistre vos peines. Quand je vous apperçoy si proche du danger, La constance n’a rien qui me puisse alleger. Si c’est une vertu qui luit dans la misere, C'est un vice à l’enfant qui void perir son pere ; Souffrez donc que mes pleurs mouïllent ces tristes lieux, S'ils ne touchent la terre, ils toucheront les Cieux, La justice du Ciel nous donnera des armes Si celle de la terre en refuse à nos larmes. Cessez pour mon repos de plaindre mon malheur, Ces traits de vostre Amour, me sont traits de douleurs Quand vostre volonté me deffend de me plaindre, Vos maux sont des tyrans qui m’y viennent contraindre. Mais pour estre obey sans peine, et sans effort, Au lieu de la constance ordonnez-nous la mort, Il nous est plus facile, et bien plus honnorable De terminer nos jours qu’une plainte equitable. Dieux que de traits divers sont poussez de vos mains, Quand vous avez conclu la peine des humains ! Bien souvent d’un enfant la fatale malice, Aux peres affligez sert d’un rude supplice, Et par un sort contraire où je suis destiné, Par la bonté des miens je me trouve gesné, Mais quelqu’un vient icy. ACTE I         Quelle triste nouvelle Venez-vous adjouster à ma peine éternelle ? Void-on pendre sur nous un desastre nouveau ? Suis-je proche du trosne, ou proche du tombeau ? Et pour comble de maux, et d’un sort plus infame Me verray je vaincu par les mains d’une femme ? Commencez d’esperer et changez de discours. Enfin Cleomedon vient à vostre secours, Et desja de ses faits la seule renommee A chez les ennemis l’espouvante semee. A son premier aspect les nostres ont fait voir Ce qu’un peu d’esperance a sur nous de pouvoir, Et par une sortie aussi prompte qu’ardante Ils ont des ennemis augmenté l’espouvante. C’estoit-là l’ordre exprès que j’en avois donné, Mais qu’en peut esperer un peuple infortuné ? Quel succez a suivy cét effort necessaire, Que d’une et d’autre part a reçeu l’adverssaire ? Sire, dans ce combat vos gens victorieux Ont fait de cent captifs un butin glorieux. Que servent cent captifs à qui perd un Empire ? Mais on a pris entre eux un confident d’Argire, Qui de trois coups mortels a ressenty l’effort, Et qui veut vous parler auparavant sa mort. Il a, nous a-il dit, des secrets à vous dire, Qui vous rendront la paix, avecque vostre Empire, Et que mesme à son Prince il alloit faire voir Alors qu’il est tombé dessous nostre pouvoir. Qu’on le fasse venir ! Ô Ciel si tu ne m’aydes, Puis-je aux maux où je suis trouver quelques remedes ? Et du secours humain l’incertaine vertu Peut elle relever un Monarque abatu ? C'est où les homes seuls ne peuvent rien pretendre. Voicy le prisonnier.         Que voulez-vous m’apprendre. Il se meurt, mon amy, parle, et faits un effort. Grand Prince, Celiante.     Achevez.         Il est mort. Courage, Celiante, achevez,         Ha ! Birene. Je croy qu’il n’a paru que pour me mettre en peine, Et pour vanger sur moy son desastre apparant, Par les profonds soucis qu’il me laisse en mourant. Sire, Cleomedon est pour vous un Alcide, Il vous rendra la paix que promettoit Placide. Helas j’ai dans le Ciel de si grands ennemis Que l’espoir seulement ne m’en est pas permis. Faisons voir toutesfois proche de mon naufrage, Que si je perds l’espoir, je garde le courage. Mourons avec honneur si nous devons perir, On m’a veu vivre en Roy, l’on m’y verra mourir. Enfin de nos malheurs la course est arrestee, Le sort nous rend la paix qu’il nous avait ostee, Et de Cleomedon le bras victorieux Rend nostre gloire égalle à la gloire des Dieux. Enfin il est vainqueur, et sa poursuite ardante Fait nostre prisonnier du Prince Celiante, Ce superbe ennemy des peuples affligez Se void chargé des fers qu’il nous avoit forgez, Et par un coups du Ciel qui sauva cet Empire, Il prend de nous la loy qu’il nous vouloit prescrire. S'il battit nos rempars ce fut avec raison, Puis qu’il devoient un jour luy servir de prison. Ainsi, ma chere seur, quand le Ciel nous regarde Son aspect seulement nous assure et nous garde. Rien ne nous est cruel quand les Dieux nous sont doux, Et la terre flechit quand le Ciel est pour nous. J'ay senty de nos maux les efforts tyranniques, J'ay donné de mes pleurs aux miseres publiques, Et depuis que le Ciel accomplit nos desirs L'allegresse commune a fait tous mes plaisirs. Mais quoy que je vous dise, il faut que je confesse Que de ce Roy captif je ressens la tristesse, Je tremble pour moy-mesme alors que j’apperçoy Que la rigueur du sort traite si mal un Roy. Belise le Destin lui paraistroit contraire, S'il avoit pour vainqueur un courage ordinaire : Mais dans ces desplaisirs son sort est glorieux, Puisque Cleomedon en est victorieux. Le plus triste vaincu n’est pas sans avantage, Lors qu’il a pour vainqueur un genereux courage. Vous parlez si souvent de cet heureux vainqueur, Qu'à la fin je croiray qu’il est dans vostre cœur. Que vostre servitude augmente icy sa gloire, Et que jusqu’à vostre ame il estend sa victoire. Vous plaignez si souvent un ennemy deffait, Il paroist à vos yeux si doux et si parfait, Vous partagez si bien la honte de sa prise, Que vous mesme ma sœur sembleriez estre prise. L’ on diroit que ses fers s’estendent jusqu’à vous, Et tout captif qu’il est, qu’il triomphe chez nous. La commune pitié que l’on doit aux miseres, Me fait pousser pour luy des plaintes si legeres. Et de Cleomedon l’invincible secours M'oblige à luy donner pour le moins mon discours. Je paraistrois ingrate, et plaine d’injustices, Si ma loüange au moins ne payoit ses services. Ma sœur, l’ingratitude arrive au dernier point, Lors qu’on reçoit des biens, et qu’on n’en parle point. Ne t’estonne donc pas si ma bouche est ouverte, Aux loüanges du bras qui destourne ma perte, Pour n’estre pas ingrate à ce noble vainqueur, Si ma voix ne suffit je donneray le cœur. Ne pense pas pourtant qu’un si juste langage Soit d’un feu dereglé le honteux tesmoignage. Quand mon esprit conçoit ce discours genereux, Il est reconnoissant, et non pas amoureux. Ne faites point si vite une excuse semblable, Qui s’excuse trop tost monstre qu’il est coupable. Celanire souvent.         He bien n’en parlons plus, Aussi bien ces discours me semblent superflus. Sortez-vous ?     Non ma sœur.         Adieu donc je vous laisse, Il faut que j’aille au temple, et desjà l’heure presse. Ouy Belise, il est vray que le mesme vainqueur Surmonte Celiante, et captive mon cœur, Il est vray que je l’ayme, et que dans nos histoires On pourra bien me mettre au rang de ses victoires, Ce grand feu que je sens n’est pas un feu d’un jour, Mais dans un jeune corps je cache un vieil Amour. J'aimay Cleomedon durant son esclavage, La douceur de ses yeux commença mon servage, Et maintenant ma sœur, ses exploicts glorieux Luy conservent ce cœur que gaignerent ses yeux. Si sa condition rend mon amour blasmable, La gloire de ses faits le peut rendre loüable. Enfin si mon amour nasquit honteusement, Il peut vivre sans honte, et croistre justement. J'ayme mon deffenseur, tout aime de la sorte, Et la nature enseigne une amitié si forte. A qui nos cœurs bruslans seroient-ils mieux rendus Qu'à l’invincible main qui les a deffendus. Mais voicy ce guerrier avec autant de grace, Qu'il fait voir aux combats de courage et d’audace. ACTE II Desja je vous pensois esloigné de ces lieux. Je ne m’esloigne point sans adorer mes Dieux, Je doy suivre, il est vray, cette cruelle Argire, Dont la seule fureur embrasa cet Empire, Je dois aller abatre un reste de mutins, Et par leur sang infame appaiser nos destins, Mais pour avoir sur eux un illustre avantage, Il faut que vos regards m’inspirent le courage, Et que j’apprene à vaincre aupres des plus beaux yeux, Dont jamais la nature ait enrichy ces lieux. Va donc, Cleomedon, assuré de la gloire, Si de mes bons regards dépend cette victoire. Par de nouveaux exploicts que ton bras fasse voir, Que qui conserve un Sceptre est digne de l’avoir. Donne un nouveau laurier à ton courage extreme, Et pour mieux t’animer, souviens-toy que je t’ayme. Si quelque heureux succez a suivy mes combats, Ce seul ressouvenir a plus fait que mon bras, Quand de nos ennemis j’ay fait voir un carnage, Vostre amour agissoit plustost que mon courage. Et si quelque victoire honnore mon retour, Je ne la veux devoir qu’à vostre seul Amour, Par luy j’ay triomphé d’un puissant aversaire, Mais par luy mesme aussi je semble temeraire, Et par le juste exceds de mon affection, Je change en verité la fable d’Ixion. Ainsi par un destin qu’à peine on pourroit croire, L'amour est tout ensemble, et mon vice et ma gloire. Quelques difficultez que tu sembles trouver, Si l’amour est ta gloire, il le faut conserver, Et si ce n’est qu’un vice alors qu’il te transporte, Je t’aymeray toujours vitieux de la sorte. Puisque je suis certain que mon vice vous plaist, Je le conserveray tout extreme qu’il est. Pour chasser de mon cœur un feu si legitime, Il faudroit en chasser celui-là qui m’anime, Vostre œil qui ne reluit qu’affin de triompher, Ne produit point d’amour que l’on puisse estouffer. Alors que dans les cœurs il jette quelque flame, Il fait prendre à l’Amour la nature de l’ame. Qui vous ayme une fois vous ayme incessamment, Et qui brusle pour vous brusle eternellement. Mais loing de dire j’ayme, alors que je soupire, Je doy dire en tremblant, j’adore Celanire. Si tu veux alleger les peines que je sens, Donne moy de l’amour et non pas de l’encens. Je ne veux point paraistre à tes yeux adorable, Ce me sera beaucoup si je leur suis aymable. Vous estes l’une et l’autre, à mon cœur, à mes yeux, Où je voy vos beautez, là je trouve mes Dieux ; Mais si j’ayme trop haut, et si ce m’est un vice, J'ayme sans esperance, et c’est là mon supplice. Alors qu’en vos liens mon cœur est arresté, N'appellez point ma flame une temerité : Je brusle sans espoir du beau feu qui m’esclaire, Et l’amour sans espoir n’est jamais temeraire ; Le sort qui me conduit me semblera bien doux, Si comme j’ay vescu, je meurs aussi pour vous. C'est la seule faveur comme la moins commune, Que sans temerité j’attends de ma fortune. Je t’ayme, c’est assez, et ce discours t’apprend Que tu dois regarder plus haut que tu n’es grand ; Pour aspirer enfin où j’aspire moy-mesme, Ne te regarde pas, mais regarde qui t’ayme, Et croy que ce destin qui te fit mon Amant, Sage en tous ses desseins ne fait rien vainement. Si du sort inconstant l’orgueilleuse puissance Nous cache injustement le lieu de ta naissance, Si tu n’es pas connu par un nombre d’ayeux, Qu'une erreur idolatre ait mis au rang des Dieux, C'est assez que tes faits te rendent adorable, Et que par ta vertu tu sois considerable. « Bien qu’on sorte d’un Dieu, bien qu’on sorte d’un Roy, « Qui vante ses ayeux ne vante rien de soy » ; Mais poursui ton dessein, va triompher d’Argire, Et comme ton Amour mérite Celanire, Fai voir que ton courage à vaincre si constant, Merite aussi sa part du Sceptre qu’elle attend. Ce n’est point là le prix, ny le bien que j’espere, Souffrez que je vous ayme, et j’auray mon salaire. En l’estat où le Ciel me voulut abaisser, Endurer mon amour c’est me recompenser. En l’estat glorieux où nous met ton courage, Ne te pas adorer, c’est te faire un outrage. Espere, je le veux, tu dois perseverer, Lors qu’on merite tout on peut tout esperer. Que doy -je à ces faveurs dont l’excez me transporte, Et que ne dompterois-je animé de la sorte ? ACTE II Puisque par les Destins il estoit arresté, Que je partagerois vostre captivité. Puisque le bras fatal de l’aveugle fortune Nous a fait rencontrer une prison commune,     Souffrez qu’à vos douleurs tous mes soins soient offerts, Et qu’enfin je vous ayde à supporter vos fers. Jusqu’icy vos souspirs ont rendu tesmoignage, Que l’averse fortune abat vostre courage, Jusqu’icy vos vertus, sans ame et sans vigueur, Ont fait trop peu d’efforts contre vostre langueur. Il est temps de monstrer qu’elles sçavent combattre, Alors que le malheur s’efforce à vous abatre. Qui se laisse dompter par quelque aversité. Semble indigne des biens de la prosperité. Vous pourra-on juger digne d’une couronne, Si le mal qui la suit vous trouble et vous estonne ? Que pourra-on penser qui ne soit contre vous, Si le Sort vous abat au premier de ses coups ? Mon discours est hardy, mais excusez mon zele, Ne point flatter les Rois c’est leur estre fidelle, Monstrez donc qu’un courage où regne la vertu Peut bien estre assailly, mais non pas abbatu. Vostre captivité n’est point si deplorable, Policandre vous ayme, il vous est favorable, Vous possedez enfin toute la liberté Que l’on peut souhaiter dans la captivité. Vous allez, vous venez, personne ne vous garde, Et vostre seule foy vous sert icy de garde. La perte de mon Sceptre et de ma liberté, N'est pas le plus grand coup dont je sois tourmenté. Lors qu’un mauvais destin me fit perdre les armes, Je preparay mon cœur à toutes ses allarmes, Je prevy tout le mal qui trouble mon party, Et l’ayant plus preveu je l’ay moins ressenty. Mais d’un trait plus aigu mon ame est traversee, Et soubs un autre joug ma gloire est abaissée, Si le Sort triompha de mon trosne abatu, Un ennemy plus fort surmonte ma vertu. Ainsi pour me gesner avecques plus d’outrage, Le Ciel ne m’ a laissé ny Sceptre, ny courage. Qui vous pourroit troubler en cette extremité, Si vous ne l’estes pas par vostre aversité  ? Helas ! de mille maux ma fortune est suivie, Un ennemy secret attente sur ma vie, Et desja de ses traits l’invincible rigueur, Malgré tous mes efforts m’a traversé le cœur. Sire, que dites vous ? Faites le moy cognoistre, Mon bras vous sauvera des outrages d’un traistre, Eust-il à son secours les forces de l’enfer, Tout captif que je suis j’en sçauray triompher. Ton secours est trop foible.         Hé bien pour s’en deffendre Il faut de son dessein avertir Policandre. Voi, mon fidelle Oronte, où je suis destiné, C'est lui qui l’a fait naistre, et qui me l’a donné. Ne le cognois-je point ?         As-tu veu Celanire ? C'est l’aymable ennemy qui fait que je souspire, Je l’ayme, et son bel œil triomphant à son tour D'un prisonnier de guerre en a fait un d’amour. Je voy de deux façons ma liberté ravie, De mesme que mon corps mon ame est asservie : Et pour mieux m’arrester chez ce peuple vainqueur, Le pere tient mon corps, et la fille a mon cœur. Regarde maintenant si le mal qui me presse Fait voir dessus mon front une juste tristesse ; Que pourrois-je esperer d’un Roy victorieux, A qui mes actions me rendent odieux ? Que pourrois-je esperer d’une fille en colere, De qui j’ay tant de fois fait souspirer le pere ? Helas ! Quand mon esprit regarde le passé, Quand je voy par mes mains Policandre abaissé, Quand je voy chez les siens tant de villes desertes, De carnage, de cendre, et de tombes couvertes, J'apprends que c’est en vain parmy tant de travaux, Que j’attends quelques biens où j’ay tant mis de maux. Je trouve qu’en ce poinct ma raison est perdue, De demander l’amour où la haine m’est deuë. Aussi mon cher, Oronte, en l’estat où je suis, Esperer de mourir est tout ce que je puis. Puisque c’est de l’amour d’où vostre mal procede, Quelque grand qu’il puise estre, il n’est pas sans remede : Et bien que vos douleurs se cognoissent assez, Vous n’estes pas malade au point que vous pensez. Alors que vous croyez vos blessures mortelles, La seule opinion vous les rend si cruelles ; Pour moy j’ay cet espoir qui sans beaucoup d’efforts Ce servage de l’ame affranchira le corps, Et qu’apres les assauts d’une vaine tristesse L'Amour relevera ce que le sort abaisse. Crois-tu me secourir quand tu flattes mes maux ? Le discours qui nous flatte est un remede faux. Permettez seulement qu’on vous soit secourable, Souvent par nostre faute un mal est incurable. Que pourrois-tu trouver qui fust à mon secours ? Penses–tu m’alleger avecques le discours ? Ne me diras–tu point qu’une flame amoureuse Est un indigne object d’une ame genereuse ? Ne me diras–tu point qu’un vertueux effort Est maistre de l’Amour de mesme que du Sort ; Que ce jeune Tyran ne peut rien sur nos ames, Si nous ne consentons qu’il y jette les flames, Et qu’enfin ses tourments si cruels et si longs Ne s’arrestent chez nous que tant que nous voulons. Tiendras–tu ce discours pour me donner de l’aide ? Mon mal sera bien long si c’est là mon remede. Ne t’efforce donc point de rompre mes prisons, Mon amour est plus fort que ne sont tes raisons. Croirois-tu resister à ce feu qui me brusle, Et vaincre un ennemi qui triompha d’Hercule ? Non, non, Sire.         Hé quoy donc ?         Escoutez seulement. Que pourrois-je escouter pour mon soulagement ? Pour me tirer des maux où mon ame souspire, Il faut à mon secours la Mort ou Celanire. Vous l’aurez.     Quoy la Mort ?         Vous aurez du secours Si l’oreille et le cœur s’ouvrent à mon discours. Il te faut escouter, mais que peux–tu m’apprendre. Bien qu’un destin plus doux regarde Policandre, Bien que ce Roy vainqueur grave par tout ses loix, Et qu’il soit aussi craint qu’il craignoit autrefois, Bien qu’enfin son malheur ait fait place à sa gloire, Ses maux sont toutesfois restez dans sa memoire, Il sçait combien d’ennuis suivent les Potentats, Qu'il tonne incessament à l’entour des Estats, Et que de ce grand trosne où le Ciel le veut rendre, Il peut avec horreur une autrefois descendre. Il sçait qu’un Sceptre tremble, et qu’il est un grand faix, Lors qu’une longue guerre en esloigne la paix. Jugez donc si ce Prince instruit par sa misere, Dedaigneroit pour luy cet appuy necessaire ; Et de quelle façon l’arresteroit–il mieux Que par les nœuds sacrez d’un hymen glorieux ? Peut estre que le Ciel a permis vostre prise, Pour en faciliter l’agreable entreprise. Si le Sort de la guerre eust suivy vos souhaits, Vostre courage seul eût retardé la paix : Mais par un coup du Ciel, moins funeste qu’utile, Maintenant vostre amour vous la rendra facile, Et vous applanira tant de difficultez, Qui d’une longue paix precedent les traitez. Amy, cela se peut : mais que j’y voy d’obstacles. Le Dieu que vous servez sçait faire des miracles, Mais sans plus consulter sur un si beau dessein, Permettez seulement que j’y preste la main. Va, je te le permets. Helas ! Reviens Oronte, Mais sur tout ne fais rien qui retourne à ma honte Et songe en ce dessein d’où dépend mon bon–heur, Que j’ayme esgallement Celanire et l’honneur. En vain sur ce sujet vostre esprit se travaille, Je conduiray l’affaire où vous voulez qu’elle aille. Va, ne differe plus : Amour, sois mon secours, Et si mes maux sont grands, faits au moins qu’ils soient courts. Mais escoute, reviens ; Il m’importe, Oronte, Que cette paix me comble ou de gloire, ou de honte Quoy que l’honneur demande, et s’oppose à ce coup Contente mon amour et tu feras beaucoup. Donne sans resister, Sceptre, Couronne, Empire, Je gaigneray bien plus si j’obtiens Celanire. Accepte librement toutes sortes de loix, Hercule pour l’Amour sçeut filer autrefois. Qu'on ait le Sort contraire, ou qu’on l’ait favorable, Ce qu’on fait pour l’Amour est tousjours honorable. Laissez-moy travailler à cette heureuse Paix : Et l’Honneur, et l’Amour en seront satisfaits. ACTE II Devant que ton courage acheve une victoire, Qui nous va couronner d’une immortelle gloire  : Tu dois voir par un prix qui soit digne de toy, Que je merite au moins qu’on travaille pour moy. Si ton bras genereux paru à ma deffense, Voy tu bien Celanire ? elle est ta recompense. Ha ! Sire, je croirois qu’on se riroit de moy, Si je n’avois oüy les paroles d’un Roy : Quel Dieu n’estimeroit sa fortune contente De la possession du bien qu’on me presente ? Et qui ne jugeroit qu’un honneur si parfait, Ne soit un prix plus grand que tout ce que j’ay fait. Je sçay bien que Madame est sous vostre puissance, Et qu’entre ses vertus on void l’obeissance ; Mais me voyant si bas, je voy trop clairement Qu'elle vous peut icy resister justement. J'ay sondé là dessus l’esprit de Celanire : Ce que j’ay resolu c’est ce qu’elle desire. Mais ma fille parlez, ne vous contraignez pas. Elle a le cœur trop haut pour l’arrester si bas. Parlez moy librement, cette affaire vous touche. Mon cœur ne dément point ce qu’avance ma bouche. Ne vous contraignez point, soyez libre une fois. C'est à moy d’obeïr quand vous faites des loix, Et vous nous les donnez si douces et si saintes, Que les plus endurcis les suivroient sans contraintes. Ha ! ce bien est si haut par dessus mon espoir Que mesme en l’obtenant je doute de l’avoir. Ainsi lors que pour moy vos bontez sans limites Destinent tant de gloire à si peu de merites, Vous monstrez que les Rois qui veulent nostre bien, Sçavent comme les Dieux faire beaucoup de rien. Va donc, Cleomedon, achever des conquestes, Qui doivent de nos jours esloigner les tempestes, Et si jadis ton bras a combattu pour moy, Asseuré de ton prix va combattre pour toy. O dessein plus honteux et bien plus redoutable, Que nostre aversité ne fut espouventable ! Faut-il qu’un estranger, nostre esclave autrefois, Remplisse avec orgueil le throsne de nos Rois ? Souffrirons-nous en fin qu’un inconnu nous brave, Et qu’il commande à ceux dont il estoit l’esclave ? Eslever ce superbe à ce bien nompareil, C'est mettre un Phaëton dans le char du Soleil. Il faut rompre ce coup par force, ou par adresse, Gaigner subtilement le cœur de la Princesse ; Et luy rendre suspect ce jeune audacieux, Qui dédaigne la terre, et regarde les Cieux. Croyez-vous que son cœur parle comme sa bouche, Qu'elle puisse approuver ce dessein qui la touche, Et que de sa naissance oubliant la grandeur Elle veüille obscurcir sa Royale splendeur ? Non, non, cette Princesse a l’ame mieux placée, Une haute naissance esleve la pensée, Et sert d’enseignement aux esprits genereux, Pour ne rien concevoir qui soit indigne d’eux. Mettons le throsne à bas, et mesme à nostre honte, Plustost que de souffrir que cét esclave y monte. Prendre la loy de ceux qui la prenoient de nous, Est le plus grand des maux dont l’on sente les coups. Entretenons plustost des guerres eternelles. ACTE II Mais Oronte s’avance : hé bien ! quelles nouvelles ? Que peut dire un captif qui ne void rien que soy ? Au moins nous direz vous l’estat de vostre Roy. Vous le comblez icy de tant de bons offices, Qu'il y met sa prison au rang de ses delices. Et loing de vouloir mal à celuy qui l’a pris, Il pense luy devoir un legitime prix. Il est prest d’en avoir un salaire assez ample. Peut-on donner assez aux vertus sans exemple ? Mais que luy donne-on ?         Celanire est son prix. Celanire ?     Elle mesme.         Ha ! vous m’avez surpris. Et je n’eusse pas crû qu’en l’estat où nous sommes Ce que merite un Dieu l’on le donnast aux hommes, Mais chacun y consent.         J'en doute justement, Et pour moy j’en craindrois un triste evenement. Mais je sçay que le peuple estime son courage ; Et la faveur du peuple est un grand advantage. Bien souvent pour esgaux l’on en a bien receus, Que l’on detesteroit s’ils tenoient le dessus. Pour vivre sans revolte, un peuple qui murmure, Veut des Rois de naissance, et non pas d’avanture. Tant que le char du jour fut conduit du Soleil Il remplit l’univers d’un lustre nompareil. De ce char lumineux les chevaux sans audace Ne quitterent jamais leur route ny leur trace : Mais lors qu’un Phaëton les tint dessous sa main, Devenus orgueilleux ils rompirent leur frein. Dans le monde troublé leurs flames s’espandirent, Et perdant le cocher, eux-mesmes se perdirent. Le peuple en est de mesme, il s’esmeut aysément, Lors qu’un Maistre incognu prend son gouvernement : Mais sans peine et sans force il adore des Maistres, Dont il a respecté les Illustres Ancestres. Ce discours me promet de bons evenements ; Et je doy profiter de leurs ressentiments. Il le faut confesser, un hymen de la sorte A beaucoup de mal-heurs pourroit ouvrir la porte. Ce qui peut dans l’Estat faire des mécontens, Peut renverser aussi les thrônes plus constans : Mais comme il est certain qu’une paix bien heureuse Finiroit de nos maux la course rigoureuse, Je songeois l’autre nuict qu’apres beaucoup de vœux, Celanire et mon Prince estouffoient de grands feux : Et je crûs en sortant d’un si plaisant mensonge Qu'ils pouvoient en effet ce qu’ils faisoient en songe  : Mais depuis.     Quoy depuis ?         Il n’y faut plus songer. L'avis n’est pas de ceux que l’on doit negliger. Croyez-vous aux erreurs où le somme nous plonge ? Celanire est promise, et ce songe est un songe. Quelquesfois le sommeil ne nous ferme les yeux Que pour nous avertir des volontez des Dieux. Il est vray quelquesfois.         Il le peut estre encore. Mais que dit vostre Roy de ce songe ?         Il l’ignore. Y voudroit-il penser ?         Celanire et la Paix, Pour donner de l’amour ne manquent point d’attraits. Oronte, croyez-nous que s’il y veut entendre, Nous ferons plus pour luy qu’il ne sçauroit pretendre. Si vous estes pour luy, je veux tout esperer. De ce que nous pouvons, vous pouvez l’asseurer. Que m’aydera la paix qu’espere cette terre, Si des troubles nouveaux me gesnent chaque jour ? Que me sert d’eviter les flames de la guerre Si je meurs dans celle d’Amour ? Il est vray que le Ciel a chassé les tempestes, Dont nos peuples troublez redoutoient la rigueur, Mais s’il chasse les maux qui pendoient sur nos testes, C'est pour les cacher dans mon cœur. Je suis dedans les fers, je suis dedans la flame, L'un et l’autre à son tour tasche de m’estouffer, Et j’ignore aujourd’huy si je porte dans l’ame, Un Amour, ou bien un Enfer. J'y porte des Enfers puisque ma plainte est vaine, Et qu’un mal infiny me presse incessamment, Mais j’y porte l’Amour puisque j’ayme ma peine, Et que je cheris mon tourment. Celiante captif me vainquit par ses charmes, Il combattit mon cœur, et mon cœur fut son prix, Et ce triomphe heureux qu’il n’eust pas sur nos armes, Il l’obtint dessus mes esprits. Mais dedans ce triomphe où j’ay si peu de gloire, Je ne rencontre rien qui me blesse en effet, Sinon que Celiante ignore sa victoire, Et ne sçait pas ce qu’il a fait. Douce gesne des cœurs, petit Demon de flame, Amour toujours puissant, et toujours glorieux, Comme ton feu divin brusle dedans mon ame, Fay qu’il reluise dans mes yeux. Mais en vain de l’Amour j’implore cette grace, Il tient toujours du sexe où s’adressent ses coups, Dedans l’esprit d’un homme, il monstre de l’audace Et se rend honteux dedans nous. Ainsi d’un trait mortel, mon ame est traversee ; Mais quelqu’un interromp cette triste pensee. ACTE III Ha ! Ma sœur qu’avez–vous ? Cette pasle couleur Est le triste tesmoing d’une vive douleur. Cleomedon revient.         Est–ce un sujet de larmes ? Quelque triste accident a–il suivy ses armes ? Il revient pour se voir mesprisé desormais, Et pour trouver la guerre, où son bras mit la paix. Que dites–vous, ma Sœur ? Vous m’avez estonnee. Tu sçais qu’à son départ ma foy lui fut donnee. Il me fut commandé d’en faire mon Amant, Et mon amour nasquit de ce commandement. Cependant aujourd’huy le Roy moins equitable Donne à d’autres le prix dont il le crût capable. Cleomedon sçait–il la volonté du Roy ? On le mande, ma sœur, mais sans dire pourquoy Et sans doute de peur que sur cette nouvelle Un genereux despit ne le rende rebelle, Et que pour se vanger ayant la force en main Il n’excite l’orage où le temps est serain : Ainsi le Roy le traite, et me rend criminelle, Puisque les passions me rendent infidelle. Il est pere, ma Sœur, il est Roy dessus nous, Et ces deux qualitez sont excuses pour vous. Il est pere, il est vray ; mais helas comme pere Me doit-il obliger d’embrasser la misere ? Et s’il est Roy, ma Soeur, les paroles des Rois Sont-elles pas pour eux d’inviolables loix ? Mais apres tout, ma Soeur, peut on trouver estrange Que le vouloir du Roy vous porte à quelque change ? Celuy que vous plaignez est–il de vostre sang ? Pourriez-vous sans rougir le voir en vostre rang ? Pourriez-vous sans horreur apres tant de miseres Partager avec lui le throsne de vos peres ?     Considerez de prés ce que vous pretendez, Vous y gaignez beaucoup lors que vous le perdez. Que sçait–on quel il est ? Sa naissance est secrette, Et peut–estre son pere a porté la houlette. Soit que ce fust mon bien, soit que ce fust mon mal, La volonté du Roy me le rendoit esgal. Il est vray que le Sort nous cacha sa naissance, Et qu’il en cache encor l’heureuse cognoissance Mais si par la vertu l’on paraist des Dieux, Cleomedon sans doute est descendu des Cieux. Mais que je scache enfin celuy qu’on vous destine ? L'auteur de nos ennuis et de nostre ruyne, Le cruel Celiante.         Hé Dieux ! Que dites–vous ? Que mon cœur en secret reçoit de rudes coups  ! Juge ainsi des douleurs où je suis destinee. Vous pourriez vous resoudre à ce lâche hymenee ? Pourriez–vous conserver un courage si franc, Et donner vostre cœur à qui veut vostre sang ? Quoy que je considere, et qu’on me puisse dire, Je le pourray, ma soeur, si le Roy le desire. Vous le pourrez, ma Sœur ?         Suivre sa volonté, C'est tout ce que je puis en cette extremité. O Dieux ! qui l’exposez à cette Tyrannie, Quel crime a-elle fait pour estre ainsi punie ? Quoy vous obeyrez, aveugle à vostre bien. Un coeur obeyssant ne considere rien. J'auray d’assez grands biens mesme dans mon martire Si d’un si triste accord vient la paix de l’Empire, Et je croiray mon Sort d’autant moins rigoureux, Si par mes déplaisirs un grand peuple est heureux. Que vous proffitera qu’à l’abry du tonnerre, Un peuple vive en paix si vous vivez en guerre ? Ce nombre de subjects dessus qui nous vivons, Ne doit avoir la paix qu’en tant que nous l’avons ; Et si quelque repos s’estend sur les Provinces, Ce doit estre un effet de celuy qu’ont les Princes. Voir par ses déplaisirs les autres bien–heureux Lasse en fort peu de temps les cœurs plus genereux. Il n’importe, ma Soeur.         Ouvrez les yeux de l’ame, Et si ce mal est peu, craignez au moins le blasme, Apprehendez au moins qu’un infame renom T ache honteuseument l’honneur de vostre nom. N'est ce pas ce Tyran dont l’ardante colere Le rendit alteré du sang de vostre pere ? Cependant vos faveurs, plustost que vos mespris De l’assasin d’un pere auront esté le prix ? Vous ne pouvez l’aymer sans estre criminelle, La nature deffend une amour si cruelle. Quoy qu’un pere commande, et monstre ce qu’il peut, On doit des-obeïr quand Nature le veut. Suivez, suivez ses loix, elles sont honnorables, Et si le Ciel les fit, elles sont equitables. Faites enfin paraistre un courage indompté, Où trop d’obeyssance est une impieté. Et pour vous delivrer d’une honte eternelle, Ne feignez point, ma Soeur, d’estre une fois rebelle. Que n’ay–je vostre Sort ? Que n’ay-je vos ennuis ? C'est icy que ce coeur feroit voir qui je suis. Mais je veux que ce Roy soit dedans vostre estime, Et qu’Amour en ait fait vostre espoux legitime. Croyez-vous que le peuple encore plein d’effroy, L'ayant eu pour bourreau le reçoive pour Roy ? Qu'il puisse voir le Sceptre en des mains detestees, Et de son propre sang encor ensanglantees ? Penserez–vous enfin qu’un Royaume irité Respecte le pouvoir qui l’a persecuté ? Dequoy qu’on flatte un peuple à qui l’on fit outrage, Rarement les bien-faits lui changent le courage. Aymez Cleomedon bien plustost que ce Roy, Gardez–luy vostre coeur, gardez–luy vostre foy, Fust–il d’un rang plus bas qu’on esleve le nostre, Sa bassesse vaut mieux que la grandeur de l’autre. Pour moy qui n’ayme rien que ma soeur et l’Estat, Qui croirois autrement commettre un attentat, Je croirois consentir mesme à vostre martyre, Si du moins mon discours : Mais elle se retire, Et laisse dans mon coeur trop vivement atteint Beaucoup plus de tourment que je n’en ay dépeint. Que mon Sort est estrange et bien peu desirable, Je veux rendre odieux tout ce qui m’est aymable, Et croirois avoir fait un coup plus glorieux Si je pouvois le rendre à moy–mesme odieux. Mais en vain contre luy j’use de ce langage, Plus je veux en parler, moins mon mal se soulage, Et pour me chastier des discours que je tiens, Il semble que l’Amour renforce mes liens. Je voy mes maux presens, je descouvre mes gesnes, Je resiste souvent, et veux rompre mes chaisnes : Mais, helas ! En ce point mes veux sont superflus, A peine ay-je voulu que je ne le veux plus. Je cognoy cependant que mes plaintes sont vaines, Et que le desespoir couronnera mes peines ; Que pourroit esperer ce coeur infortuné, S'il court apres un bien qu’on a des-jà donné ? ACTE III. Par quel injuste effet de fureur ou d’envie, Trouveray-je la Mort où j’attendois la vie ? Apres tant de perils à ma constance offers, J'ay crû monter aux Cieux, et je tombe aux Enfers. Est-il donc arresté par vos loix inhumaines, Qu'un autre aura mon prix, et que j’auray ses peines ? Quelle injustice ordonne un si lache attenttat ? Il n’en faut point chercher dans les raisons d’Estat. Je viens de voir le Roy, dont l’accueil favorable Me peut faire douter d’un sort si deplorable. Ne vous a il rien dit ?         Rien, sinon que ce soir Pour un point important j’allasse le revoir. Helas !     Que dites-vous ?         Helas ! il faut me taire, Et dire seulement, c’est mon Roy, c’est mon Pere. Qu'avez-vous resolu ?         Je ne te puis hayr, Je t’ayme, je te plains, mais je dois obeyr. Donc on m’aura donné l’esperance si belle, Pour rendre en me l’ostant ma peine plus cruelle ? Si j’avois de l’Estat choqué le fondement, Me pourroit-on punir d’un plus rude tourment ? Faits à tes déplaisirs un peu de resistance, Pour mon soulagement faits voir de la constance : Et vainquant la douleur qui te va surmonter, Monstre à tes ennemis que tu sçais tout dompter. Ha ! Madame, pour vous rien ne m’est impossible, Je puis vaincre pour vous ce qui fut invincible ; D'un throsne tresbuchant je puis porter le faix, Aux Empires troublez je puis rendre la paix : Bref par tout où le Ciel environne la terre, Je puis pour vous esteindre ou r'allumer la guerre : Mais vaincre mon amour, estouffer mes ennuis, Et vivre enfin sans vous, c’est ce que je ne puis. J'ay nourry sans espoir une amour legitime, Tant que mon esperance eust passé pour un crime ; Mais depuis que le Roy me permit cét espoir, Je ne sçaurois sans luy, ny vivre, ny vous voir. Je sçay que vostre plainte a beaucoup de justice, Mais il est juste aussi qu’une fille obeïsse. Et j’ayme mieux enfin que ce cœur soit blasmé, D'avoir trop obey, que d’avoir trop aymé. Hé bien ! obeyssez ; j’estois un temeraire Quand je vous contemplois ainsi que mon salaire. Et vostre obeyssance est la punition Que le Ciel preparoit à mon ambition. Vous avez triomphé de mon ame asservie, Tenez voilà dequoy, triomphez de ma vie, Punissez justement ce cœur audacieux, D'avoir crû que la Terre estoit digne des Cieux. Ou si vous pardonnez une si belle offense Donnez-moy le trespas pour une recompence, Je receuvray la Mort qui me viendra de vous, Non comme un chastiment, mais comme un prix bien doux. Achevez aujourd’huy les jours d’un miserable, La mort qui nous soulage est toujours desirable, Pour le prix des travaux qu’on me vid endurer Je ne veux que le mal dont j’ay sçeu vous tirer. Faites donc de ma mort, mon prix ou mon supplice, Et si l’œil m’a blessé, que la main me guerisse. Adieu ; va voir le Roy ; voicy la fin du jour, Monstre lui du respect, et cache mon amour. Resiste prudemment à ce malheur extreme, Et lors que tu me perds ne te perds pas toy-mesme. Tout le soulagement que j’espere en mes fers, C'est de pouvoir me perdre alors que je vous perds. Hà ! Princesse arrestez, non pour vouloir m’entendre, Mais pour brusler ce cœur jusqu’à le mettre en cendre ; Et puisque pour jamais je vous perds en aymant, Soyez encore à moy pour le moins un moment. Mais je demande en vain cette grace legere, On me refuse tout si ce n’est la misere : Je n’ay chassé les maux de cét Estat troublé Que pour en voir mon cœur incessamment comblé. Mon sort en tout estrange est doux à tout le monde, Et pour moy seulement en malheurs il abonde. Je me suis preparé les maux dont je me plains, J'ay mis dedans mon bien l’ennemy que je crains. J'ay fait un Roy captif, j’en attends de la gloire, Il jouyt cependant du prix de ma victoire ; Et par l’injuste effet d’une ingrate rigueur, La gloire est au vaincu, la honte est au vainqueur. Hà ! ma douleur se rend si vive et si certaine, Que s’il est un Enfer on y souffre ma peine. ACTE III A la fin vos conseils l’emportent de dessus moy, Je cede à vos raisons, et m’en faits une loy. Par cét heureux hymen deux couronnes unies, De nos mauvais destins vaincront les tyrannies. Par lui dans nos Estats on verra desormais Renaistre heureusement l’abondance et la paix. Bien qu’à Cleomedon ma promesse m’engage, Bien qu’il en ait receu ma parole pour gage, Je sçay bien neantmoins que ses affections Se regleront tousjours par mes intentions : Qu'il a bien plus d’amour pour le bien de l’Empire, Qu'il n’en a pas receu des yeux de Celanire ; Et que pour voir l’Estat d’inquietude franc Avecques Celanire il donneroit son sang. Un cœur vrayment guerrier ne veut rien que la gloire, Que l’on peut recueillir d’une illustre victoire. L'honneur est le seul bien qui le peut rendre heureux, Et s’il demande plus il n’est pas genereux. Si de Cleomedon vous prisez le courage, Sire, ne croyez pas qu’il veüille davantage. Mais le voicy qui vient. ACTE III         Il est temps desormais De te communiquer le dessein de la paix. La guerre a trop fait voir de maux et de carnages, Il est temps que la paix dissipe tant d’orages. Sans elle un Sceptre d’or, est un Sceptre de fer, Sans elle un grand Royaume est au monde un enfer : Bref l’Estat est un corps d’une grandeur enorme, A qui la seule paix donne une belle forme. Or sans attendre un jour que le victorieux Nous en fasse à son gré des traitez odieux, Sçachant que nos sujetsl’ont toujours souhaitee, Pour le commun repos nous l’avons arrestee; D'autant plus librement que pour nostre interest, Nous lui pouvons donner telle loy qu’il nous plaist. Il est vray qu’un grand Roy doit calmer les tempestes, Et borner par la paix le cours de ses conquestes. Alors qu’elle se donne on la doit accepter, Et qui ne la prend pas ne la peut meriter. Mais bien que par sa force un peuple ressuscite, Il ne faut pas pourtant que l’on la precipite. Il faut pour l’asseurer un ferme fondement, Et qui se haste trop le trouve rarement ; Alors que sa naissance est trop precipitee, D'abord elle est plaisante, à la fin detestee, Comparable aux fruits verts que l’œil a souhaitez, Et qu’on jette aussi tost que l’on les a goustez. Sire, dedans l’Estat où le Ciel vous asseure, La paix dont vous parlez est de cette nature. Pour la precipiter, qu’aura-elle de doux ? Ne courrez point apres puis qu’elle vient à vous, Et que dans peu de temps une entiere victoire Vous la doit emmener avecques plus de gloire. Nos plus forts ennemis confus et divisez Entrent dans les tombeaux qu’ils nous avoient creusez. Vostre soing glorieux sçeut si bien les destruire Qu'il ne leur reste pas la volonté de nuire. Ils endurent les maux que vous avez soufferts, Ils sont dans vos prisons, ou dedans les enfers, Ou s’il en reste encore, ils vivent dans les larmes, Ils font mieux le rebut que le but de nos armes. Devant que de nous voir ils ressentent nos coups, Et la peur qui les tuë en triomphe avec nous. Qui pourra donc juger une paix necessaire, Qui se fait moins pour nous, que pour nostre aversaire ? Vos exploits genereux sont de justes tesmoings, Que le bien de l’Empire est le but de vos soings. Il est vray que le Ciel vous prodigue la gloire, Et que chaque dessein vous est une victoire : Mais tandis que par tout vostre nom sans pareil, Fait craindre autant de Rois qu’en peut voir le Soleil ; Tandis que l’ennemy trouve ses funerailles, Où vous trouvez la gloire, et le gain des batailles, Le peuple ruyné languit sous les imposts, Qui nourrissent sa peine, et troublent son repos : Et vous ne sçavez pas ce qu’endure un bon Prince, Et combien il patit des maux de sa Province. Le moyen qu’espuisé des thresors anciens Il fournisse à la guerre et soulage les siens. Peut-il entretenir une si longue guerre, Si des tributs nouveaux ne foulent cette terre ? Et sans faire tomber ses peuples au tombeau, Les pourra-il charger d’un subside nouveau ? Que sert qu’il gaigne ailleurs un Sceptre et de l’estime, S'il void perir chez soy son peuple legitime ? Ce n’est pas profiter, ny se conduire en Roy, Que de gaigner ailleurs, et de perdre chez soy. Ces raisons ont touché nostre juste Monarque, La paix qu’il a concluë en doit estre la marque, Son peuple la demande, il la donne à ses pleurs, Et veut qu’elle succede à ces longues douleurs. Mais parce qu’on fait peu pour un Sceptre adorable, Si comme on fait la paix on ne la rend durable, Sa Majesté choisit les plus heureux liens Qui puissent desormais l’arrester chez les siens. Ainsi pour nous la rendre, et parfaite et constante Il donne Celanire au Prince Celiante. Ha ! Sire souffrez vous qu’on couvre un attentat Soubs ce nom specieux de maxime d’Estat ? Qu'un traistre vous conseille une paix plus cruelle Que les longues rigueurs d’une guerre eternelle, Et que pour vous priver de vostre liberté On se serve aujourd’huy de vostre authorité ? Grand Prince, pardonnez à l’ardeur de mon zèle, Je serois moins hardy, si j’estois moins fidelle. On vous creuse un abysme, et vous vous y jettez, On vend vostre Couronne, et vous y consentez ; Sire, que faites-vous en donnant Celanire ? N'abandonnez-vous pas, Sceptre, Couronne, Empire ? L'ennemy n’aspira qu’à ces biens pretieux, Qu'à vous chasser du throsne où regnoient vos ayeux, Et pour mieux l’eslever en ce degré supresme Vos propres volontez vous en chassent vous mesme. Il voulut vostre Sceptre, et vous l’abandonnez, Il voulut vostre perte et vous vous ruynez, Vous le mettez au but où l’on le vid pretendre, Vous donnez au voleur le bien qu’il ne pût prendre, Et lors qu’il est trop foible, et qu’il est sans vigueur, Vous lui prestez vos mains pour vous percer le cœur. Quoy qu’on veuille opposer au cours de cét affaire, Sert à la ruyner bien moins qu’à me déplaire ; Je ne t’ay pas mandé pour suivre tes avis : Mais pour te faire part de ceux que j’ay suivis. Si ce conseil est lasche, et trahit ma Couronne, Tu peux cognoistre en moy le traistre qui le donne. Mais bien que cette paix occupe mes esprits, Il me souvient encor de te devoir un prix : De tes hautes Vertus ma memoire ravie, Me presente par tout un tableau de ta vie ; Enfin pour m’aquitter des biens que je te doy, Sçache, Cleomedon, que ma fille est à toy. Ha ! Sire, un si beau prix surpasse mes services, Vous me comblez d’honneur autant que de delices ; Et monstrez par le bien dont vous me faites part, Qu'il vaut mieux vous servir que regner autre-part. Mais bien qu’à mon malheur on vienne icy de dire, Que pour avoir la paix vous donnez Celanire, Je veux croire pourtant que j’ay mal entendu, Puisque par vous enfin mon espoir m’est rendu. Je puis suivre aysément l’une et l’autre entreprise, L'un aura Celanire, et vous aurez Belise. Ha ! Sire, ce n’est pas ce que l’on m’a promis, Si je demande trop, vous me l’avez permis ; Et si d’un temeraire on m’impute le crime, Vostre promesse en est l’excuse legitime. N'oppose point d’obstacle à mes intentions, Que je donne pour regle à tes pretentions. Donc pour recompenser tant d’illustres services, Vous me prefererez l’autheur de vos supplices. Il ne vous souvient plus qu’il fut vostre bourreau, Qu'il fut de cét Estat le tragique flambeau, Et que de tous costez mille horreurs manifestes Sont de ses passions les repliques funestes. Là des tombeaux affreux touchent les yeux troublez, Icy les ossemens, pesle-mesle assemblez. Là parmy le debris des Palais plus superbes, L'on void avec effroy de la cendre et des herbes : Bref de tant d’ornemens l’Empire est dépourveu, Qu'on croid avoir songé ce que l’on en a veu. C'est de lui toutesfois d’où ce mal prit naissance, C'est un cruel effet de sa seule puissance ; C'est luy qui vous perdit, et c’est luy desormais Que vous recompensez des maux qu’il vous a faits. N'apprehende-t’on point que cette terre s’ouvre, Qu'elle redonne au jour tant de morts qu’elle couvre, Et que leur noble sang qui fut versé pour nous, Justement r'animé s’esleve contre vous ? Je pense desjà voir leur troupe infortunee, Qui vous vient reprocher ce cruel hymenee, Et que par le dessein de cét injuste accord Elle souffre aux Enfers une seconde mort. N'eslevez pas plus haut ce superbe langage, Qui vous nuit aujourd’huy tout autant qu’il m’outrage, Vous l’opposez en vain au dessein que j’ay fait, Ce que j’ay resolu doit avoir son effet ; Je vous donne Belise, et le bien de l’Empire Veut qu’enfin Celiante obtienne Celanire. Adieu, soyez content, ne vous plaignez de rien, Puis qu’estant offençé je vous traite si bien. Peut-estre qu’en ce point on me croira peu sage, De donner un salaire à qui me fait outrage. Bien que l’heureux succez qui suivit mes combats, Vous esleve plus haut que vous ne fustes bas, Que malgré la fortune à vos vœux endormie, Je captive en vos fers la puissance ennemie, Je confesse pourtant que ma fidelité Est au dessous du prix que l’on m’a presenté, Et de peur que l’Estat vous estime peu sage De donner un salaire à qui vous fait outrage, Comme indigne de biens et de prosperitez, Je refuse l’honneur que vous me presentez Soit que je vive encor, soit enfin que je meure, Si je vous ay servy la gloire m’en demeure : Et pour le prix qu’on doit au secours de ce bras, Je me veux contenter d’avoir fait des ingrats. J'auray d’assez grands biens, tant que j’auray l’espee, Qui remit dessùs vous la Couronne usurpee. Si je veux des Estats où le monde en aura, Vous en ayant sceu rendre elle m’en donnera. Achevez cét hymen pour le bien de l’Empire, Au repos du Pays consacrez Celanire : Mais je veux bien qu’on sçache apres tant de rigueur, Qu'on ne l’aura jamais tant que j’auray ce cœur, Et que pour obtenir cette illustre conqueste, Il faut qu’en mariage on luy donne ma teste. Osez-vous insolent, indigne de mon soing, D'un semblable discours me rendre le tesmoing ? A mes justes fureurs desrobe ta preference. Te laisser impuni c’est une recompence : Et pour vaincre l’orgueil, où je te voy monté, Esclave, souviens-toi que je t’ay rachepté. Quand je le voy reduict à ce point de disgrace, Je plains son infortune, et blasme son audace. Je l’ayme toutesfois, bien que victorieux, Puis qu’il est cause enfin que j’adore vos yeux. Quiconque est animé d’une ame genereuse, Sçaura plaindre par tout la vertu mal-heureuse. Je ne sçay si l’amour, ou bien l’ambition Lui firent souhaiter vostre possession. Je n’en sçay rien aussi.         Mais sa raison perduë Est à l’un comme à l’autre une peine bien deuë. Que dites-vous, Monsieur ?         N'avez-vous pas appris Qu'Amour ou sa disgrace a troublé ses esprits ? Et que par les effets de la melancolie A son ambition succede la folie ? Helas !         Cleomedon devenu furieux Choque indifferement les hommes et les Dieux. Mais comme on ne void rien qui ne cede à vos charmes, Vostre nom seulement luy fait quitter les armes, Lors qu’on veut r'appeller ses esprits esgarez On n’a qu’à luy crier que vous l’en blasmerez ; Quelquesfois tout d’un coup sa longue resverie Excite sa colere et se change en furie, Et tout d’un coup aussi qu’on luy parle de vous, Il devient plus tranquille et se monstre plus doux. Laissons ce malheureux.         N'en parlons plus, ma Reine : Mais parlons d’un captif qui n’ayme que sa chayne. Adorable Captif, que l’Amour fait mon Roy, Puis-je t’ouyr parler que ce ne soit à moy ? Que le Ciel m’estoit doux lors qu’il sembloit me nuire ! Il eslevoit mon Sort et sembloit le destruire ; Loin d’offrir des plaisirs, et de donner des pleurs, Il me monstra l’espine, et me donne les fleurs. S'il ne m’eust pas rendu la fortune ad versaire, Je trouve en vous voyant qu’il m’eust estè contraire. Il falloit qu’une fois il me fust rigoureux, Pour rendre mon destin parfaitement heureux. J'entre par les prisons au sejour des delices, Mes biens ont commencè par mes propres supplices, Et j’esprouve aujourd’huy que la captivité Ne me fut qu’un chemin à la felicitè. Que de Princes puissans souhaiteroient les chaynes, Si le mesme bon-heur devoit finir leurs peynes ! Et qu’on verroit bien tost, affin de vous gaigner, Autant de Rois captifs que l’on en void regner ! Icy de tant de biens ma fortune est suivie, Que je pardonne à ceux qui me portent envie ; Et je fay plus d’estat d’un rayon de vos yeux, Que le Sceptre ne plaist aux cœurs ambitieux. Que ma captivité dure autant que moy-mesme, Il ne m’importe pas si Celanire m’ayme. Que je sois dèpoüillé du haut titre de Roy, Il ne m’importe pas si vous estes à moy. Le Ciel en mesme temps vous est deux fois contraire, Vous faisant mon captif, et celuy de mon pere : Mais il vous est plus rude en ce point seulement, Qu'il vous fait trop aimer un objet peu charmant. Ne faites point d’injure à de si hauts merites, On croid ce qu’on en void, non ce que vous en dites, Et ma captivité m’apprend bien que les Dieux Captivent comme moy ceux qu’ils ayment le mieux. Gardez que vos discours ne me rendent trop vaine, Et que ma vanité ne vous soit une peine. A la fin je croiray que je suis sans deffaut, Et qu’un captif a tort de pretendre si haut. Il est vray que j’ay tort, et j’ose vous le dire, Mais qui peut justement esperer Celanire ? Entre nous neantmoins est cette esgalité, Que je suis en amour ce qu’elle est en beauté. Enfin je vous adore, enfin belle Princesse, Je ne cognoy que vous de Reine et de Deesse, Et je souhaiterois d’estre au nombre des Dieux, A dessein seulement de vous meriter mieux. Mais lors que je vous dis, je brusle, je vous ayme, Pour me mettre en leur rang, respondez-moy de mesme. S'il pouvoit m’adresser un discours si charmant, Que ce cœur amoureux respondroit librement ! Dites qu’en me donnant une si belle flame, Il en est pour mon bien demeuré dans vostre ame. Que je dise que j’ayme, ha ! Monsieur nullement, Lors que j’en croy rougir je parle rarement. Et je ne pense pas qu’une fille modeste Le puisse avec honneur dire mesme du geste. S'il estoit mon captif, comme il est mon vainqueur, Que ce foible respect toucheroit peu mon cœur ! Belise, approuvez-vous cette injuste maxime ? S'il est permis d’aymer, nous le dire est-il un crime ? Il est vray que sans crime on peut nourrir l’Amour, Et mettre sans pecher ce bel enfant au jour : On le peut, on le veut : toutesfois on ne l’ose ; La honte seulement tient nostre bouche close ; Pour moy je le dirois, vous sçauriez mon ardeur, Si je pouvois dompter cette vaine pudeur. Faites-moy donc sçavoir ce qu’il faut que je sçache, Que nous sert d’estre aymez alors qu’on nous le cache ? L'Amour est dans les cœurs un thresor attaché Qui ne proffite point durant qu’il est caché. Si vous estes Amant, je suis opiniastre, Je ne vous diray point que je vous idolastre : Mais si dans mes froideurs j’ay nourry de l’amour, Esperez pour tout bien de le sçavoir un jour. Bien que vostre rigueur choque un peu ma constance, Je ne suis pas sans bien ayant cette esperance : Mais j’ay troublé sans doute un entretien si doux, Qu'avant que de me voir vous receviez de vous. Adieu, ma Reyne, adieu, parlez pour moy Belise, Faites lui ressentir le beau feu qu’elle attise : Et monstrez-luy qu’hymen est si proche de nous, Qu'elle peut dire enfin qu’elle ayme son espoux. Ne voulant pas rèpondre à mon amour extréme, Mon ame pour le moins songez à qui vous ayme. J'y pense plus souvent que vous ne croyez pas. Que ce nouveau discours m’est un puissant appas ! Et que j’ay de mes vœux une ample recempense, En ce point seulement que Celanire y pense. Qu'en dites-vous, ma Sœur ?         Qu'il est tousjours celuy Qui causa nos malheurs, et qui fit mon ennuy. Qu'il m’ayme, qu’il souspire, et qu’il verse des larmes, Son amitié me plaist comme firent ses armes. S'il parut odieux à mon cœur affligé, La qualité d’Amant ne me l’a pas changè, Ou bien elle change en ce point detestable, Qu'elle me l’a rendu beaucoup plus redoutable : Vous parlez cependant pour ce Roy detesté, Vous voulez qu’il triomphe en sa captivité, Qu'il reçoive le prix où l’on lui doit la peine, Qu'on lui donne l’Amour, où l’on lui doit la haine. Et vous voulez enfin par une injuste loy, Que de nostre captif je fasse nostre Roy.     Mais d’où ce changement a il pris sa naissance ? Et quel charme trompeur vous tient sous sa puissance ? Hier tous vos conseils, et toutes vos raisons Me peignoient ses amours comme des trahisons. Aujourd’huy toutesfois à vos yeux plus aymable, Il perd à vostre advis ce qu’il eut de blasmable. Vous voulez m’obliger par des soings odieux A donner aux Demons ce qui n’est deu qu’aux Dieux. Lors que je veux répondre à l’amour qui le touche, La honte, dites vous, ferme seule ma bouche : Mais sçachez que ma hayne aveugle à sa langueur, Luy ferme toute seule et ma bouche et mon cœur. Que j’ayme ce cruel ! Que mesme je le dise ! Et qu’enfin ce conseil me vienne de Belise ! Grands juges de nos maux, ô Dieux qu’ay-je commis, Pour voir mesme ma Sœur entre mes ennemis ? Croyez, ma chere Sœur, qu’à sa seule presence J'ay donné malgré moy ce trait de complaisance : Et que dedans mon cœur vous verrez aysément Que je n’ay pas dessein d’en faire vostre Amant ; Si je vous conseillois cette amour mutuelle, Ce conseil me rendroit à moy-mesme cruelle, Et si dans son amour vous trouviez des appas, J'aurois peine, ma Sœur, à ne vous hayr pas. Si j’aymois ce Tyran, j’en serois detestee, Et j’aurois justement la haine meritee. Quoy que de mon discours on puisse presumer, Je vous ayme, ma Sœur, et je vous veux aymer, Et pour vous en donner une preuve evidente, Je demande au Destin le mal qu’il vous presente ; Qu'il me donne au Tyran qu’il captive chez nous, Si je puis vous l’oster, mes maux me seront doux. Si l’avoir pour espoux, vous est un mal extréme, Pour vous en delivrer je le prendray moy-mesme. Mon repos me seroit une autre aversité, Si par tes déplaisirs il m’estoit achepté : Cesse de souhaiter ce que nous devons craindre, C'est à toy d’estre bien, c’est à moy de me plaindre, Et le Ciel veut qu’un Sceptre à nos yeux si charmant, Soit un fardeau pour moy, plustost qu’un ornemen. Je ne puis estre heureuse, où vous aurez des peines. Où vos maux sont certains, mes douleurs sont certaines ; Enfin ce que le Ciel vous donne à redouter, Mon amour seulement le fait souhaiter. Mais, helas ! quelle Amour ?         Je sçay qu’elle est divine. Elle est autre, ma Sœur, que l’on ne l’imagine : Mais adieu, je vous laisse. Un moment de sejour Eust sans doute fait voir ma peine et mon amour. Ainsi de mon bon-heur la fortune envieuse Me rend cruelle à tous, à moy-mesme ennuyeuse. Une sœur trop sensible a partagè mes maux, Et la part qu’elle y prend augmente mes travaux. Un Roy jette à mes pieds sa Couronne abatuë : Ma hayne le tourmente, et son amour me tuë. Mais je trouve en ce poinct mon sort plus rigoureux, Que mon Liberateur est le plus malheureux ; Il nous combla de biens, on le comble de geines : Il nous tira des fers, on le met dans les chaines : Et pour dire en un mot sa peine, et mon ennuy, Le mal dont il nous prive est retombé sur luy. Mais bien que la fortune en outrages feconde, L'exposast comme infame aux yeux de tout le monde, Et quoy qu’elle dérobe à ce noble vainqueur, On ne luy peut oster ny ma foy, ny mon cœur. Ce sont pour luy des biens que garde Celanire, Et sur qui le destin n’exerce point d’Empire. J'iray les luy porter jusque dans les enfers : Si malgré mon secours il perit dans ses fers, Il sçaura qu’en un temps où l’injustice esclate Le Ciel pust m’affliger, non pas me rendre ingrate. S'il est d’un sang plus bas que mon extraction, Son merite l’esgalle à ma condition. Si d’un Sceptre fameux sa fortune n’herite, Il suffit, c’est assez que son bras le merite. Meriter la Couronne et sçavoir commander, Est autant à mon grè que de la posseder. S'il parust nostre esclave en ses jeunes annees, C'est un injuste effet des fieres Destinees. Mais s’il a relevé cèt Empire abatu, C'est un illustre effet de sa seule vertu. Enfin quoy que le Ciel en menace ma teste, Je suis Cleomedon, ton prix et ta conqueste ; Ny respect, ny devoir ne peuvent rien sur moy, L' Amour est mon conseil, et l’Amour est ma loy. Je dédaigne sans toy le plus superbe Empire, Cleomedon est seul le bien de Celanire, Le throsne n’est pour moy sans luy qui l’a sauvé, Qu'aux yeux de tout le monde un enfer eslevé. Si mon mal est le sien, sa douleur est la mienne, Il aura ma fortune, ou bien j’auray la sienne. Je brusleray pour lui jusqu’à me consommer, Ou je sçauray mourir sy je ne say l’aymer. Mais quelqu’un vient icy. ACTE IV         Que me voulez-vous dire ? Je viens vous annoncer le naufrage d’Argire. Elle est morte !         Elle l’est ! La Cour est en pleurs, Et d’un si prompt trespas chacun sent les douleurs. Si j’en pleure aujourd’huy, si je m’en desespere, C'est de voir que le fils n’a pas suivy la Mere. Mais pour vous consoler de cette aversité, C'est assez de sçavoir que le fils est resté. O sensible mal-heur !         Il est grand, mais Madame, Monstrez aux accidens les forces de vostre ame. Mais rendez-moy contente, et dites-moy comment, Et depuis quand on sçait ce triste evenement. Venant icy par mer pour vostre mariage, Pour le dire en un mot, Argire a fait naufrage, Tous les vens deschainez sur ses tristes vaisseaux, Pour elle et pour les siens en ont fait des tombeaux. Mais dedans un esquif quelques Dames sauvees, Depuis une heure ou deux sont au port arrivee, Elle vous diront tout : elle vous viennnent voir. En autre lieu qu’icy je les veux recevoir. ACTE IV Tenez-vous au repos qui vous est necessaire, Et ne vous rendez point à vous mesme contraire. Cependant pour le prix de ma fidelité, Souviens-toy, me dit-on, que je t’ay rachepté. Il ne peut oublier ce discours qui le touche, Il l’a toujours au cœur, et toujours dans la bouche. Cependant pour le prix de ma fidelité, Souviens-toy, me dit-on, que je t’ay rachepté. Faut-il qu’une parole abatte ce courage, Qu'un Lyon ne pût vaincre avec toute sa rage ? Faut-il que quatre mots triomphent de ce cœur, Dont le pouvoir d’un Roy ne pût estre vainqueur ? N'ay-je pas relevé ce Monarque perfide ? N'ay je pas fait douter si j’estois un Alcide ? J'ay paru sans frayeur, et sans estre troublé, Où Mars, tout grand qu’il est, eust sans doute tremblé. J'ay chassé de l’Estat les ombres plus funebres, J'ay ramené le jour où regnoient les tenebres, Et j’ay fait d’un Empire où je doy triompher, Pour tout le monde un Ciel, pour moy seul un Enfer. Enfin de mon travail le repos prend naissance, Un Roy me doit sa vie ainsi que sa puissance. Cependant pour le prix de sa felicité, Souviens-toy, me dit-on, que je t’ay rachepté. Il est vray que le Sort captiva mon jeune age, Tandis que mon enfance offusqua mon courage. Mais si la servitude est odieuse à tous, C'est un vice du Sort bien plustost que de nous. Au point de sa naissance un Roy sans avantage Pourroit-il empescher sa honte et son servage, Et qu’un tour de fortune aveugle et sans raison, De son berceau Royal luy fist une prison ? Hé bien ! je fus esclave en mon aage plus tendre : Mais ce fut pour ton bien, infame Policandre, Tu dois ton Diasdesme à ma captivité, Et tu serois captif si je ne l’eusse esté. Lors que rien ne s’esgalle à ton bon-heur extréme, Tu ne peux m’oublier sans t’oublier toy-mesme. Songe à cét ornement qui brille sur ton front, Regarde en tes prisons, tes ennemis y sont. Eux-mesmes te diront que j’asseuray ta gloire, Et que tout ton Estat m’est un champ de victoire. Cependant pour le prix de ta felicité, Souviens-toy, me dis tu, que je t’ay rachepté. O rage ! ô desespoir ! ô douleur sans pareille ! Reveille à ce grand coup ta fureur qui sommeille, Ne laissons rien debout, où l’on veut m’abaisser : Si j’ay tout relevé, je puis tout renverser. Monsieur, parlez plus bas songez à Celanire. Si vous ne vous taisez, pour moy je le vay dire. Arreste-toy, Birene : ainsi chere beauté Par ton nom seulement ce grand cœur est dompté. Ce bras aussi puissant que le Dieu de la guerre, Ce bras plus redouté que le feu du tonnerre, Ce bras dont l’Univers a receu tant d’effroy, Ayant vaincu pour toy, n’est vaincu que par toy. Pardonne, ma Princesse, à mon inquietude, Je veux ce que tu veux, te plaire est mon estude, Et si du seul penser j’y manquois seulement Ta perte me feroit un juste chastiment. Mais faut-il qu’à mes maux la fortune inhumaine Me derobe aujourd’huy ce beau prix de ma peine ? Verray-je sans fureur, verray-je sans transports, Enlever à mes yeux mes plus riches thresors ? Non, non, je ne le puis, aydes-moy si tu m’aimes, Sauvons de si grands biens, ou nous perdons nous-mesmes : Permettons toute chose à mon juste couroux, Celanire, ou la Mort seront des biens pour nous. Vous qui rendiez hommage à mon Destin prospere, Vrais amis, monstrez vous, où paroist ma misere, Et faites-moy cognoistre en mon aversité Que vous m’avez aymé dans la prosperité. Je doy voir en l’estat où le Ciel m’abandonne, Si vous avez aymé mon Sort, ou ma personne : Nous tirons ce bon-heur de l’exceds de nos maux, Qu'ils font voir les amis, veritables, ou faux. Mais de tant de flatteurs la troupe criminelle Vint avec ma fortune, et s’enfuit avec elle ; Ce sont de ces oyseaux , qu’amene le Printemps, Et que loing de nos yeux chasse le mauvais temps. Enfin tout m’abandonne, et tout me desespere. Enfin je reste seul, et rien ne m’est prospere. Mais, que dis-je, insensé par ma propre langueur ? Celui-là n’est point seul à qui reste un bon cœur. Osons tout, perdons tout, desjà la terre s’ouvre, Et pour me secourir tout l’enfer se descouvre, De leurs fers eternels les Titans detachez, Paroissent sur les monts qu’ils avoient arrachez. Regarde, cher amy, leur troupe qui s’assemble, Dessous de si grands corps desjà la terre tremble. Le Soleil s’en estonne, et semble dire aux Dieux, Qu'une seconde guerre a menacé les Cieux. Geans par qui les Cieux autrefois se troublerent, Vos efforts sont si grands que les Dieux en tremblerent, Alons dons asseurez de vaincre cette fois, Qui fit trembler des Dieux, peut bien vaincre des Rois. Ce violent transport déplaist à Celanire. Ne bougez donc Geans, ma Reine le desire ; Mon Sort est rigoureux, mon malheur apparent, Mais déplaire à ses yeux m’est un mal bien plus grand. Voi-tu qu’à ce beau nom, ces Geans obeïssent, Birene, voi tu pas comme ils s’esvanoüissent, Et que par le pouvoir de ce nom reveré, La terre est en repos, et le Ciel asseuré. Mais, helas, cher Amy, ne voi-tu pas ma Reine, Qu'un possesseur indigne horriblement entraine ? Je la voy toute en pleurs, elle me tend les bras, Et les miens paresseux ne la sauveroient pas ? Une lance, un espieu, depesche, il ne m’importe. Celanire deffend que l’on ne vous l’apporte. Je pasme, soutiens-moy, termine mes erreurs, Et fay de mon trespas la fin de mes fureurs : Oste à mes ennemis le plaisir, et la gloire D'obtenir sur ma vie une pleine victoire. Je seray satisfait de mon Sort rigoureux, Si je meurs dans mon mal autrement que par eux. Monsieur, esperez mieux, les Dieux sont esquitables. Ha ! pour moy seulement les Dieux sont redoutables. Mais le somme ou la Mort appesantit mon œil, Porte-moy dans le Ciel, ou bien dans le cercueil. Oronte, à mon advis ce funeste naufrage Retardera sans doute un si beau mariage, Et l’on dérobera quelque temps à l’Amour, Affin de le donner au deuil de cette cour. Il n’en faut point douter, mais dy moy je te prie Comment Cleomedon en est de sa furie ? En quel estat l’as-tu si longuement laissé ? Assez-bon, grace aux Dieux, son transport est passé, Ses esprits sont remis, et son ame arrestée Dompte les passions qui l’avoient surmontee. Il se blasme lui-mesme, il reçoit nos conseils, Et fait de ses douleurs les meilleurs appareils, Et ne s’en faut enfin que l’Amour de son Maistre, Qu'il ne soit aujourd’huy ce qu’on l’ a veu paraistre. Mais le Palais du Prince est tousjours sa prison ? Il n’en est point sorty depuis sa guerison, Il va dans les jardins, ainsi on le hazarde, Et si je le quittois il n’auroit plus de garde. Mais quel est celui-cy qui vient si vistement ? Vous le pouvez juger par son habillement. ACTE V Ne puis-je voir le Roy ?         Que lui voulez-vous dire ? Chose qui le regarde aussi bien que l’Empire. Sans doute celui-cy blessé du jugement, N'a pas l’esprit mieux fait que l’est son vestement. Faites-moy voir le Roy, son bien vous en conjure, Me retenir icy c’est luy faire une injure. Mais quel Prince, ou quel Roy vous depesche en ces lieux ? Moy-mesme, ou bien plustost la volonté des Dieux. Il ne faut plus douter de son extravagance, Ce discours nous en donne assez de cognoissance. Sortez d’icy, bon-homme, adieu, retirez-vous, Et croyez que la Cour, ne manque pas de foux. Helas ! tout clairement mon malheur me le monstre, Puis qu’à mon triste abord je faits cette rencontre. Faites-moy voir le Roy, de grace et promptement, Comme fol, comme sage, il n’importe comment, Je porte avecques moy le bien de deux Pronvinces, Et l’on me vid jadis assez proche des Princes. Je suis d’opinion qu’on l’ a veu plus de fois Dedans les hospitaux, que dans les Cours des Rois. Ne me dédaignez point pour me voir de la sorte, Ne jugez pas de moy par l’habit que je porte, Quelquefois le dedans vaut mieux que le dehors, Et soubs une ruine on trouve des thresors. ACTE V Mais desjà le Roy sort.         Mais voyez quelle audace. Ha ! grand Prince, ha ! Messieurs, permettez que je passe, Ne me retenez point, grand Monarque arrestez, Pour entendre la fin de vos adversitez. Qu'on esloigne ce gueux.         Sire, c’est Clorimante. Que dit-il ?         A ce mot son esprit s’espouvante. Qu'on le fasse approcher.         Que les Dieux me sont doux, De me permettre encor d’embrasser vos genoux ! Est-ce toy Clorimante, ô changement extréme, Je cherche ton visage, en ton visage mesme, Je te voy tout ensemble, et je ne te voy pas, Mais quel heureux Destin conduit icy tes pas ? De quels maux as-tu veu ta fortune suivie ? Quelle triste avanture a traversé ta vie ! Quel Sort à ton sujet plein d’horreur et d’effroy, Ne me fait voir en toy que des restes de toy ? Que la faveur du Ciel vous est bien manifeste, En ce qu’elle conserve un si malheureux reste ! Je viens vous faire part d’un secret important Qui vous doit estonner et vous rendre content, C'est de luy d’où despend le repos de vostre ame, Il vous doit exempter, et de crime, et de blasme, Et par mesme moyen vous monstrer tout à nu, Que vous avez un bien qui vous est inconnu. Dy le moy ce secret, ne me fais plus attendre. Sire, c’est en secret, qu’un secret doit s’apprendre. Rentrons, et sois certain en ce qu’il te plaira, Que jamais ma faveur ne t’abandonnera. Monsieur, pardonnez-nous.         Est-ce à moy qu’on s’adresse ? Qui m’outrageoit tantost, maintenant me caresse. Que ne peut la faveur ! Quand nous la possedons, Nous avons plus d’amis que nous n’en demandons. ACTE V Malheureuse Princesse aux peines asservie, Perds avecques tes pleurs la lumiere et la vie, Pour un esprit touché de misere et de deuil, Le trosne a moins d’appas que n’en a le cercueil. En vain par ma raison je veux estre guidee, Toujours de deux Tyrans mon ame est possedee, L'amour et le respect la divisent entre-eux, Et mesme ma raison paroist pour tous les deux. La raison equitable autant qu’elle est severe, Veut que je suive icy les volontez d’un pere. Et la mesme raison venant à mon secours, Veut qu’à nos deffenseurs nous devions nos amours. Tristes extremitez où je me voy contrainte, Sujets de mon bon-heur, autant que de ma crainte, Respect qui me blessez, Amour qui me flattez, A quoy se porteront mes esprits agitez ? Si je suy le respect, ma peine est evidente : Si je suy mon amour, ma honte est apparante. Quel choix advantageux finira mon transport ? Je fuiray l’un et l’autre, et je prendray la mort. L'on ne publiera point que je fus infidelle, Ny qu’au vouloir d’un pere on me trouva rebelle. Mais l’on dira par tout sans me rien reprocher Que j’ay sçeu me punir devant que de pecher. ACTE V Monsieur, que faites-vous ?         Sa perte est arrestee, Dés le mesme moment que je l’ay meditee. Puisque je l’ay juré sa ruïne le suit. Tu me retiens en vain.         Mais j’entens quelque bruit. Est-ce vous ?     Ha ! Ma Reine.         Opposez-vous, Madame, A ce nouveau transport qui bourrelle son ame. Il cherche Celiante, et conspire sa mort. N'estoit-il pas guery ? D'où luy vient ce transport ? Ayant sçeu le retour de la Princesse Argire, Il a fait le dessein que je vous viens de dire. Ouy pour vostre repos, plustost que pour mon bien, Il faut que son trespas precede icy le mien. Argire est de retour, elle avoit fait naufrage. Son vaisseau fut poussé sur un autre rivage, Si bien que quelque temps on a cru justement Que le lict de la mer estoit son monuments. Helas ! Que ce retour est pour moy redoutable ! Mais me fais-tu, Birene, un discours veritable ? Argire est dans la ville, et desjà son retour A rendu l’alegresse au front de cette Cour. Croyez ce qu’il en dit, n’en doutez point, Madame, L'allegresse est par tout, si ce n’est dans mon ame. Mais Birene, allez voir tandis qu’il m’entretient, Si dedans ce jardin personne ne survient. Permettez mes transports, vous aurois-je cherie, Si lors que je vous perds je restoie sans furie ? Non, il faut qu’elle esclate, et qu’en un mesme jour Un coup de desespoir vous montre mon amour. Dans un cercueil infame on veut me voir descendre, L'on desire ma mort, mais je la sçauray vendre. Quoy qu’on ait laschement contre moy suscité, Mon sang ne coule pas s’il n’est bien achepté. Ce Monarque amoureux sera de mes victimes, Je veux de son trespas faire l’un de mes crimes, Je le veux immoler à mon dernier transport, Affin que si je meurs je merite la mort. Arreste, et monstre moy par ton obeyssance, Que j’ay dessus ton ame un reste de puissance. Si le Sort est contraire à tes pretentions, N'ajouste point le crime à tes afflictions : Vis avec ce plaisir que si ton cœur endure, Tu ne merite pas une peine si dure. Bien que l’on soit touché d’un desastre puissant, On vid avec plaisir lors qu’on vid innocent. Que ce soit à mes jours une honteuse tache, Le crime me plaist mieux qu’une innocence lasche. Si pourtant c’est un crime à mes justes transports, De punir un voleur qui m’oste mes thresors. Que ce soit crime ou non, c’est ma seule allegeance, N'importe que ma mort suive cette vengeance. Quoy que vostre raison s’oppose à mon desir, Lors que l’on meurt vangé on meurt avec plaisir. Je vivrois malheureux, et de mes longs supplices Un ennemy content tireroit ses delices. Non, non, il faut qu’il meure, il ne m’importe pas, Que le Ciel me prepare un infame trespas. Le plus grand de nos maux n’est pas cette infamie, Que donne si souvent la fortune ennemie ; Mais le mal-heur extréme et le plus esclatant, C'est de voir par nos maux nostre ennemy content. Arreste encore un coup.         Ainsi tout m’est contraire, Puisque ce qui m’aymoit deffend mon aversaire. Pense-tu que mon soing tende à le secourir ; Alors que je te veux empescher de perir ? Ne vous opposez point aux restes de ma rage, Ne craignez plus pour moy, j’ay desjà fait naufrage. De quelque Amour qu’on voye un malheureux chery, Lors qu’il est sans espoir, il a desjà pery. Ne desespere point, asseuré que personne Ne t’ostera jamais la foy que je te donne. Et si tu n’as ce cœur amoureux et bruslant, Un autre desormais ne l’aura que sanglant. Le Ciel ne l’enferma dans ce sein miserable, Qu'affin qu’il fust un jour ton prix plus honnorable. Tu peux en disposer, je le mets en ta main ; Et si tu crains sa perte oste le moy du sein. Ha ! C'est pouvoir beaucoup sur une ame en furie, Que de la surmonter par une flatterie ; Puis que vous le voulez je perdray mon transport, J'espereray, Madame, et ce sera la mort. Quelqu’un vous vient querir.         Adieu donc, mais espere, Et croy ce que je dis plustost que ta colere. Qu'un mot qui vient d’Amour nous a bien-tost changez, Et qu’il a de pouvoir sur nos cœurs affligez ! Je sçay qu’elle me donne une esperance ingratte, Je la croy toutesfois, pource qu’elle me flatte, Et si la mort venoit en cet heureux instant, Avec ce seul espoir j’expirerois content. Mais de quelque discours qu’on flatte ma misere, A peine ay-je esperé que je me desespere. Mes tourments m’ont quittè pour revenir plus forts, Et je rentre toujours aux prisons d’où je sors : Je m’imagine voir qu’apres cette promesse, Le respect me ravit la foy de ma Princesse Et que mesme l’Amour de frayeur estonné Abandonne le cœur qu’elle m’avoit donné. Helas ! Que ne fait point le respect et la crainte Dans l’esprit inconstant d’une fille contrainte ? Que l’amour qui s’y trouve est sujet à manquer, Quand ses deux ennemis le viennent attaquer ! ACTE V Celiante, mon fils ! ha, permettez, Madame, Qu'au lieu d’un compliment, je vous donne du blasme. Vous deviez terminer tant de maux inhumains, Puisque vous en aviez le remede en vos mains. Je confesse pourtant, aymable et grande Reine, Que ma desloyauté merita cette peine. Quand vous me punissiez des maux que je vous fis, Vous m’estiez douce encor en cherissant mon fils. Depuis que mes fureurs allumerent les guerres, Qui de pleurs et de sang ont arrousé nos terres, J'ay mille fois cherché la fin de ce tourment, De qui ma passion fut le commencement : Et mesme je ne dis mon histoire à Placide, Qu'à dessein seulement qu’il se rendist perfide, Et qu’il pust en secret conclure avec son Roy Une honnorable paix, et pour vous, et pour moy. Mais ce Dieu qui conduit les affaires humaines, Rend selon qu’il luy plaist nos entreprises vaines : Et selon qu’il luy plaist il verse dessus nous Ce qui nous est amer, ou ce qui nous est doux. Mais monstrons à ce Dieu par un exceds de joye, Que nous recognoissons le bien qu’il nous envoye, Que je trouve mon Sort, et doux et triomphant, Puisqu’au lieu d’un captif il me donne un enfant. Mais que je doy loüer la faute de ma mere, Puis qu’elle me rend fils d’un si genereux pere ! Ainsi, belle Princesse, en un mesme moment Vous acquerez un frere, et perdez un Amant. Je suis de mon Destin plainement satisfaite, Puis que mesme en perdant j’ay ce que je souhaite. Que j’ayme mes malheurs, puisque j’apprens par eux, Que j’ay mis sur la terre un enfant genereux ! Ha ! qu’on doit estimer les fautes de jeunesse, Lors qu’un bien si parfait en vient à la vieillesse ! Helas ! depuis ce temps mille secrets ennuis Ont sans cesse nourry les tourmens où je suis. La perte d’un enfant incessamment me gesne, Et ce qui fut mon crime, est aujourd’huy ma peine. Helas en l’esposant j’oubliay qui j’estois, J'oubliay laschement le nom que je portois ; Mais lors qu’il fut perdu, la Nature severe M'en fit avoir trop tard des sentimens de mere. Page, faites venir ; allez et promptement Esperez en ce mal quelque soulagement. Nous avons un vieillard dont la science obscure Vous pourra contenter dessus cette advanture. Et je croy que les Dieux qui font tout sagement, L'envoyerent icy pour vostre allegement. Mais le voicy qui vient.         Hé ! Dieux, c’est Clorimante. Que devint en tes mains le petit Celiante ? Ha ! Madame,         Dy viste, est-il vif ? est-il mort ? Il est.     Acheve,         Il est ce qu’a voulu le Sort. Celiante n’est plus.         Je n’en sçaurois rien dire, Je pense toutefois que ce Prince respire, Et que ce Dieu qui regle et la terre et les Cieux, Ne voulut me l’oster que pour le garder mieux. A peine eust-il atteint l’âge de six annees, Que l’on recommença les guerres terminees. Dans ce desordre affreux je le vis enlever, Et je fus pris esclave en voulant le sauver : En cette qualité ma cruelle fortune Me rendit vagabond sur les flots de Neptune, Et depuis dans Tunis on me mit en des fers, Où j’ay passé vingt ans comme on vit aux Enfers. Enfin par mes langueurs je devins inhabile, Et on me rejetta comme esclave inutile. Ainsi par les rigueurs de ma captivité, Je regaigné le bien qu’elle m’avoit osté. Je vins donc en ces lieux, où j’appris d’aventure Cét hymen dètestable à toute la nature, Si bien que pour chasser tant d’horreurs et d’effroy, Un moment devant vous je vins trouver le Roy. Helas ! mon fils est mort.         Mais lors que cette guerre Passa dans vos Estats de mesme qu’un tonnerre, Un enfant aussi beau que la mesme beauté Me fut pour mon bon-heur esclave presenté ; Je l’acheptay, Madame, et depuis son courage M'a bien recompensé du prix de son servage. Ne seroit-ce point luy ? Mandez Cleomedon. Le recognoistrez-vous ?         Non pas, Sire, à ce nom. Celuy de Quinicson le fera-il connoistre ? Ha ! Sire, je le voy.         Je ne voy rien paraistre. A ce nom seulement je pense le revoir. O Dieux ! monstrez-icy quel est vostre pouvoir. Helas ! voilà le nom que receut Celiante, Lors que pour le cacher j’en chargeay Clorimante. Je crains de me flatter d’un faux soulagement, Et de n’avoir trouvé que son nom seulement. Pourquoy le changea-on ?         Il sembla trop barbare, Pour un petit enfant d’une beauté si rare. Mais qu’il me sera doux, qu’il chassera d’ennuy Si l’enfant qui l’avoit se trouve avecques luy ? Enfin à mon Amour l’esperance est permise, Et quand j’y pense moins le Ciel me favorise. Bien que l’aage en un corps fasse un grand changement, Je le sçauray connoistre à la main seulement. Elle porte un laurier qu’y traça la Nature. C'est luy mesme, Madame, ô Divine advanture !     Dois-je esperer ce bien ?         Madame le voicy. ACTE V Venez, Cleomedon, approchez-vous d’icy, Voyez subtilement si sa main est marquee. Faut-il voir de nouveau ma fortune attaquee ? Ne me fait-on paraistre en ces lieux redoutez, Que pour mieux m’asseurer de mes adversitez ? Que pour me faire voir que ma force contrainte, Est le mespris de ceux dont elle fut la crainte ? Hé ! quoy, pour vos Estats par ma main deffendus, Pour tant de maux chassez, pour tant de biens rendus, N'auroy-je pas au moins merité ce salaire, De ne pas endurer aux yeux d’un adversaire ? Ha ! Sire, à quels ennuis me peut-on destiner, Si l’on m’ a tout donné ce qu’on en peut donner ? Tous les maux assemblez me sont venus atteindre, J'en ay receu ce bien que je n’en doy plus craindre, Et quoy qu’on me menace en cette extremité, L'on ne peut rien m’oster puis qu’on m’a tout osté. Qu'on exerce sur moy des rigueurs inhumaines, J'en attends moins la mort que la fin de mes peines. Comme vostre injustice a commencè mes maux, Que ce soit elle aussi qui borne mes travaux. Employez à ma mort une illustre puissance, Dont je vous ay rendu la libre jouyssance : Achevez de me perdre ayant sçeu commencer, Je ne perds le respect que pour vous y forcer. Non, non, n’attendez pas que ma revolte esclatte Qu'elle abaisse le prix d’une Courronne ingratte, Et que pour mieux vanger mon honneur offencé, Je r'appelle chez vous le mal que j’ay chassé. Cette fatalle main sçeut relever l’Empire, Et cette mesme main sçait aussi le destruire. Ha ! Sire, c’est luy-mesme, ha ! mon Prince, ha ! mon Roy. Je le voy, ce laurier.         Moy-mesme je le voy, Mais mieux que le laurier que nous voyons paraistre, Un secret mouvement me l’a fait recognoistre, La Nature et le Ciel favorables et doux, Me le font voir icy par d’autres yeux que vous. Ainsi le juste Ciel luy donna par avance, De ses hautes vertus la noble recompense, Et monstra qu’il seroit la gloire des guerriers, Puisque mesme en naissant il obtint des lauriers. Que des Dieux souverains la conduite est couverte ! J'employois vostre fils au coup de vostre perte, Et par un Sort estrange, et d’où vient nostre bien, Pour vous vanger de moy vous vous serviez du mien. Ne m’accusez donc point de vostre mal ext réme, Puisque vostre secours est venu de moy-mesme. Je n’accuseray point vostre amour parjuré, Puis que j’obtiens de vous ce bien inesperé. Vostre injuste rigueur n’est donc pas espuisee ; On veut donc à ma peine adjouter la risee. Et parce qu’aux grands cœurs c’est le trait de la mort, Par elle on veut finir mon miserable Sort. Cleomedon, mon fils, estouffe ta colere Dans les embrassements que te donne ta mere ; Si tu ne peux me croire, apprends par tes exploists, Que tu n’as pû sortir que des Dieux et des Rois. Est-ce l’effet d’un charme, ou bien plustost d’un songe, Qui presente à mes maux le secours d’un mensonge ? Rasseure ton esprit, ton Sort est adoucy, Et si ton mal fut grand, ton bon cœur l’est aussi. Voy ton frere, et l’embrasse.         Hé ! Dieu, ce Roy mon frere, Ha ! Sire, la risee est icy toute claire. Mon frere, un ennemy qui me prive de biens, Et m’oste mes thresors pour en faire les siens ! Mon frere, dissipez ces soubçons, et ses craintes, Je remets en vos mains le sujet de vos plaintes, Je vous rends les thresors que je vous avois pris, Et pour m’avoir vaincu je vous donne le prix. Celanire est à toy, que rien ne t’en estonne, Par les mains de mon fils, c’est moy qui te la donne, Et tu me dois aymer tout autant que jamais, Puis qu’enfin je gueris les maux que je t’ay faits. Madame, approuvez-vous ce qu’il a peine à croire ? S'il en reçoit du bien, j’en reçoy de la gloire. Vous, ma fille, en cecy serez-vous contre nous ? Vous pouvez disposer des biens qui sont à vous. N'ayant point d’autre soin que de vous satisfaire, Je borne mes desirs de celuy de vous plaire. Ha ! Madame, est-il vray qu’un sort prodigieux M'esleve des Enfers à la gloire des Cieux ? N'en doute point , mon fils, tu sçauras l’avanture, Qui rend à tes beaux jours une gloire si pure. Mais pour nous mieux combler de biens et de plaisirs, Celiante, mon fils, contente mes desirs. Me voilà prest à tout.         Voy-tu cette Princesse ? Elle est pour un Monarque une digne Maistresse Adore ses vertus, ayme-la desormais, Elle n’est pas ma fille, on le sçait, tu le sçais. Alors que j’espousay la Reine Doranise, D'un premier mariage elle avoit eu Belise. La loy que je reçoy de vostre volonté, Je la prendroy bien-tost de sa seule beauté. Si Madame y consent, je l’adore, je l’ayme, Et mon ame luy fait un present de soy mesme. J'aymerois peu mon bien et mon contentement, Si je n’acceptois pas un present si charmant. Mais ce n’est pas assez que ces deux mariages Esloignent de nos cœurs la crainte des orages. Bien que l’on en espere un calme non commun, L'honneur de Celiante en demande encor un. C'est le nostre, Madame, en serez-vous contente, Et verray-je à mes vœux respondre vostre attente ? Je me declarerois indigne de bon-heur, Si je ne consentois à ce que veut l’honneur. Mais apres tant de biens, sans borne et sans exemples, N'oublions pas le prix que l’on en doit aux Temples. Ainsi les feux de Mars estouffez à leur tour, Cederont pour jamais aux flamesde l’Amour. FIN.