Charmante Circé, de votre île Il faut donc enfin m’arracher. Dieux ! Quel effort !         Feinte inutile. Là. Séparons-nous sans tricher. Oh ! Je ne suis pas une dupe, au moins ! Dans mes tristes États Je me crois nécessaire. Je ne m’y trompe pas, Ulysse est las de faire L’amour La nuit et le jour. Hé, non, Madame, non. Je vous l’ai déjà dit : Tout me rappelle dans ma ville d’Ithaque. Une femme, un père, un fils Font qu’ici le temps me dure ; Leur fort trouble mes esprits. Turelure. Et je cède à la nature. Robin, turelure, lure. Vous n’étiez pas les premiers jours Si bon fils, si bon père. Croyez-moi, laissons les détours. Très volontiers, ma chère. Aussi bien, je m’aperçois que vous n’aurez pas besoin d’eau de la Reine de Hongrie pour soutenir mon départ. Ma foi, non. Quel rapport d’humeur ! Dans ces occasions, voyez-vous, je me sers de ma raison. Fort bien. Que les femmes sont raisonnables, quand l’amour chez elles commence à s’user. Je me voyais dans ces retraites Seule avec vous à tout moment : Vous pouvez partir, cher Amant, Adieu paniers, vendanges sont faites. Oui, parbleu. Et si bien faites, qu’il n’y a pas seulement de quoi grapiller. Partez donc, Seigneur Ulysse. Vous trouverez dans le Port un vaisseau prêt à vous éloigner d’ici. Exprès pour cette affaire Je l’ai fait fabriquer. Je ne tarderai guère, Madame, à m’embarquer. Et vogue la galère, Tant qu’elle, tant qu’elle, Et vogue la galère, Tant qu’elle pourra voguer. Je vous demande une grâce, avant que nous nous quittions. Vous n’avez qu’à parler. Je vous jure par le Soleil mon Père que je vous accorderai tout, excepté un délai. Un délai ! Je partirais plutôt sur une planche. De quoi donc s’agit-il ? Rendez-moi tous les Grecs de l’un et de l’autre sexe que vous avez métamorphosés dans cette île. Permettez que je les ramène avec moi. Je le veux bien, s’ils y consentent. En pouvez-vous douter ? Assurément. La condition des Bêtes est préférable à celle des hommes. Voilà de la morale que je ne laisserai pas imprimer dans Ithaque. Elle est sensée. Interrogez vous-même les Animaux que vous voulez démetamorphoser. Eh ! Comment les interroger ? Je ne sais ni aboyer, ni mugir, ni braire. Tenez. Avec cette baguette vous leur rendrez la parole et la figure humaine pendant qu’ils seront avec vous. Ils auront feulement une légère marque de leur espèce, qui vous les fera distinguer. Mais cette baguette leur rendra-t-elle aussi la raison. Non. La raison leur ferait prendre un mauvais parti ; l’instinct est plus sûr. Adieu, sage Ulysse. Vous m’avez bien la mine de partir tout seul. Oh ! Que non. Tous mes Grecs assurément De moi se souviennent : Ils vont très joyeusement Accepter l’embarquement. Va-t-en voir s’ils viennent, Jean, Va-t-en voir s’ils viennent. Voyons s’ils seront aussi sots que Circé le dit. Tai ! Tai !... Oh ! Que d’Animaux je vois ici ! Parlez, Messieurs les Ours, Cochons et Ânes. Voudrez-vous bien m’honorer de votre compagnie ? Peste ! Voilà un concert à donner dans une écurie. Çà, faisons l’essai de la baguette enchantée. Voilà un de mes Grecs. Il a la physionomie d’une bête fauve. Qui êtes-vous, Animal mon ami ? Je suis un loup des plus consciencieux. La triste figure ! Qui vous a dit que j’étais triste ? Vous devez l’être, sur mon âme. Bien plus que moi, vous qui parlez. Pourquoi donc ?         C’est que vous allez Retrouver votre femme. Comment, misérable Loup ? Je crois, que tu me trouves plus à plaindre que toi. Oh ! Pour cela, oui. Premièrement dans l’honnête République des Loups, on ne parle jamais de faire pendre. Ce n’est pas manque de bons sujets pour cela. Du temps que j’étais homme je l’ai une fois échappé belle. Le vrai mérite en vérité. Chez vous est maltraité. Hélas ! Très peu s’en est fallu Que l’on ne m’ait pendu ? Hé, qui étais-tu ? J’étais un scrupuleux Procureur. Je t’entends. C’est-à-dire que tu dévorais tes parties. Non. Je ne faisais que les gruger. La distinction est d’une conscience déficate. Oh ! Ça toujours été mon faible que la conscience. Je vois bien que ce n’était pas ton fort. Ma foi, j’ai gagné à ma métamorphose. J’exerce ici mes talents avec impunité. Mais il me semble que dans ces bois ne gibier ne vient pas te chercher. Voilà le diable. Il m’évite avec soin au lieu qu’étant Procureur, les hommes venaient se mettre sous ma dent. Que je mangeais de friands morceaux ! Quand un Procureur a faim. Partout il pâture ; Et s’il trouve en son chemin. Ou la veuve, ou l’orphelin, La bonne aventure, Ô gai, La bonne aventure ! Tu as l’air d’en avoir bien expédié. Pas tant que je l’aurais voulu. Hoçà, babillard, veux-tu redevenir homme ? Non. J’aime mieux croquer ici sûrement ce que je rencontre, que d’avoir des mesures à garder avec la Justice. Ô l’indigne Loup ! Je ne sais qui me tient que... Va. Si j’étais plus affamé que je ne suis, je te ferais voir ce que c’est qu’un loup enté sur un Procureur. Voilà un beau commencement ! Mais ne nous rebutons point. Le Cochon que je vois me paraît assez docile. Il ne sera pas fâché de quitter la fange. Parlons-lui. Cochon , mon ami. Plait-il, cher Ulysse ? Quel gros réjoui ! À votre service. Tu me parais bien gaillard. Oh ! Je suis un égrillard. Je suis le plaisant de mon étable. Écoute, gros Cochon. Qui étais-tu avant que d’être métamorphosé en porc ? J’étais financier. Ô Ciel ! Quel changement !’ Pas si grand que vous pensez. Quoique changé en cochon, je m’imagine être toujours financier. Effectivement, Circé t’a conservé ta jolie panse. Mon esprit délicat et mes louables inclinations. Je bois, je mange, et cetera. Tout cela est bien, mais il n’est rien tel que d’être homme. Veux-tu retourner dans la Grèce avec moi ? Je ne suis pas si fou. Tu vivras dans ma Cour. Je serais votre esclave. Vivent nos étables ; nous y sommes tous camarades comme cochons. Suis-moi, mon cher, tu seras mon favori. Votre valet. Je veux rester Cochon toute ma vie, c’est ma première vocation. Encore un coup, mon ami, quitte ta sale figure. Viens avec moi dans Ithaque. Je t’y donnerai un bon emploi et une belle femme. Quand vous me pourriez donner Circé votre mie, Pour me faire abandonner Mon aimable truie, Je dirais, sans barguigner Reprenez votre Circé ; J’aime mieux ma truie, Ô gué, J’aime mieux ma truie. Ô le Cochon de Cochon ! Quoi, sagouin, après avoir tâté des mets les plus exquis, tu peux t’accommoder de... Allez, allez. Il n’est viande que d’appétit. Je viens de faire un repas charmant, je viens de manger des truffes excellentes. Et autre chose itou... Je n’oserais le dire : Et autre chose itou. J’en ai pris tout le sou. Va-t-en au diable vilain Cochon. J’aperçois une Poule de belle taille. C’est apparemment une Poule de Caux Bonjour, belle Poule. Comment ? Je vois un homme, il m’approche, il me parle, il me touche, et je le laisse faire ! Me voilà redevenue femme assurément. En seriez-vous fâchée ? Sans doute. D’où vient ? C’est que je retrouverais un mauvais mari dont ma métamorphose m’a heureusement séparée. C’était un grondeur, un jaloux, Qui ne riait jamais chez nous : Hélas ! C’était sa faute ! Aller revoir un tel époux, Je ne suis pas si sotte, Lon-la, Je ne suis pas si sotte. Hé-bien, charmante Poule, il n’y a qu’à vous en donner un autre, qui ne rira que chez vous. Bon. N’ai-je pas mon Coq qui vaut mieux que tous les maris du monde. Coquerico. J’entends sitôt que je caquette ; Coquerico. Autour de moi mon joli Coq, Toujours ardent pour sa Poulette, À chaque moment me répète : Coquerico. Il est vrai qu’un bon coq ne peut assez se payer. Troquer un mari contre un coq, N’est pas un mauvais troc ; Un bon coq chante quand il veut, Un mari quand il peut. Vous avez beau dire. La condition d’une jolie femme est préférable à celle d’une Poule même huppée. Le plaisir d’avoir des enfants bien nés... Je suis votre servante. J’ai pensé mourir dans ma dernière couche. J’aime mieux faire des oeufs. Si cela continue, Circé aura raison. Mais voyons ce taureau qui levé la tête. Approche, gros Taureau. Serviteur à Monsieur l’Homme. Qu’y a-t-il pour votre service ? Ne reconnais-tu pas ton souverain ? Je n’ai plus de maître, je n’ai que des maîtresses. Il ne tiendra qu’à toi de reprendre toute ta figure humaine. Je ne veux point changer de forme, j’y perdrais. Hé ! Peux-tu te plaire sous celle d’un Taureau ? On voit bien que vous ne l’avez jamais été. Qu’y trouvez-vous donc à redire ? Fi ! Deux cornes sur le front ! La vilaine garniture ! Peut-être qu’un bois plus long. Turelure, Orne votre chevelure. Robin, turelure lure. Écoutez. Après vingt ans d’absence, cela pourrait bien être, au moins. Oh ! Pénélope est sage. Un jour les Poètes chanteront sa vertu. Ils auront beau chanter, ce ne fera que des chansons. Savez-vous, Seigneur Ulysse, à quoi je compare la vertu ? Comme une chandelle qui luit Dans une lanterne la nuit, Brille la vertu d’une Belle, Les amants, comme le vent, Soufflent dessus, et la vertu souvent S’éteint comme une chandelle. Voilà une vraie chanson de Petit-Maître ; et à t’entendre parler, il semble que tu as été homme à bonnes fortunes. Je n’ai eu de bonnes fortunes que depuis que je suis... Mais, Monsieur le Taureau, comment vous nommiez-vous étant homme ? Pierrot. Quel nom est-ce là ? Hé, parbleu, c’est un nom Grec, qui vient de Pierrotos... de Pié, qui signifie esprit, et de rotos... qui veut dire sublime... Pierrot esprit sublime. Tout le monde entend cela. Quel était ton emploi ? J’étais cocu. L’honorable charge ! Elle ne te fatiguait pas. Non, car c’était ma femme qui exerçait. Trêve de bagatelles. Suis-moi dans mon Empire, Et quitte ce poil roux. Oh ! Non ferai, beau Sire. Je t’offre un sort des plus doux. Vous y perdez vos pas, Nicolas, Sont tous pas perdus pour vous. Ce Taureau-là raisonne comme un boeuf. Mais j’aperçois une jeune Linotte qui sera charmée, je crois, de quitter les plumes pour reprendre les fontanges. Petite, petite, petite. Ouais ! Elle est farouche ! On voit bien qu’elle n’est plus fille. Aimable Linotte, si vous voulez, je vous rendrai votre première figure. Je vous rends grâces. Depuis que je fuis Linotte, je suis maîtresse de mes actions. Quand j’étais petite fille... Ah ! J’enrageais ma vie ! J’avais à la maison, Boudrillon, Une petite Mie Vieillote et sans raison, Boudrillon Et c’était Boudrillon, Boudrillon, dondaine, C’était boudrillon , Boudrillon, dondon. Oh ! Toutes les mies ne sont pas des boudrillons ; il y en a de fort complaisantes. La mienne ne faisait que me sermonner ; cela m’ennuyait. Je le crois bien ; l’ennui est un enfant de le Morale. Tenez. Plus j’y songe, plus je suis contente d’être devenue oiseau. Les Linottes courent les bois. Les filles courent le bal. Les Linottes n’ont point de gouvernantes. Les filles s’en moquent. Les Linottes font ce qu’elles veulent. Les filles ce qu’on veut. Pas toujours , pas toujours? Je vous donnerai des amants. Vivent les moineaux francs. En amour les oiseaux sont tous Bien moins bêtes que vous. Que diable ! Aucun de ces animaux ne veut rentrer dans sa première condition ! Serait-il donc si doux d’être bête. Voyons enfin si les poissons ressemblent aux quadrupèdes. Bon. Un Dauphin sort de l’eau fort à propos. Interrogeons-le. Salut au noble Poisson. Il ne répond rien ! Aimable Dauphin, parlez-moi donc. Ne savez-vous pas que les Poissons sont muets. Tu parles pourtant. Je ne fais que vous répondre. Qui es-tu ? Je suis un dauphin à votre service ; pourvu que vous ne vouliez pas me manger au court-bouillon. Eh ! C’est Arlequin ! Le plus fidèle de tous mes serviteurs ! Ah ! Seigneur Ulysse ! Mon cher Maître ! Je vous croyais métamorphosé comme les autres. Je vous ai cherché parmi tous les Marsouins. J’ai ouvert deux cents huîtres à l’écaille, sans vous trouver. Ma figure plaisait trop à Circé pour la changer. Que le Diable l’emporte, la maudite Sorcière. Encore si elle m’avait changé en perroquet, passe, j’aurais bu du vin. Il était encor un état Pour moi plein d’avantage : Ah, morbleu ! Que ne suis-je un rat Pour manger du fromage. Console-toi, mon ami. Je puis te faire redevenir Arlequin. Est-il possible ? Tu en feras donc ravi. Assurément. Ah ! Que je vous aurai d’obligation. Je respire enfin, j’ai trouvé un animal véritablement raisonnable. Éprouve le pouvoir de cette baguette. Ventrebleu ! Toutes mes écailles tombent. Mais pourquoi as-tu souhaité de redevenir homme ? Parle moi sincèrement. Pour manger, et pour boire du vin. Il y a assez longtemps que je Ne bois que de l’eau. Le glouton ! Hé, dis-moi. Quelques-uns de tes camarades ne seraient-ils pas comme toi las de leur métamorphose ? Oh ! Qu’oui. Nous avons dans l’eau quantité de musiciens qui ne se trouvent pas là dans leur élément. Je les pêcherai. Nous avons aussi des femmes dans la mer, que Circé a métamorphosées en pucelles. Elles s’ennuient furieusement de cet état. Elles profiteront de la grâce que Circé m’a accordée. Vous les allez ravir. Que ces pauvres donzelles Vont bien se réjouir De n’être plus Pucelles ! Et zon, zon, zon, Lisette, la Lisette, Et zon, zon, zon, Lisette, la Lison. Que ces musiciens et ces dames, par la vertu de ma baguette sortent de la mer sous leur première forme. Peste ! Voilà un beau coup de filet ! Voici déjà les hommes. Les femmes ne resteront guère dans l’eau, puisque les hommes en sont sortis. L’Inconstant, qui dans ses désirs, N’est conduit que par les plaisirs, Aime tout ce qu’il trouve aimable, C’est un animal raisonnable. C’est un animal raisonnable. Le Mari chagrin et jaloux, Est le plus ennuyeux des fous ; L’époux aux galants favorable, Est un animal raisonnable. C’est un animal raisonnable. Fi d’un Président de Café Disputeur toujours échauffé ! Mais celui qui préside à table, C’est un animal raisonnable. C’est un animal raisonnable. Une Prude au farouche ton Est une très sotte guenon. Mais une coquette agréable, C’est un animal raisonnable. C’est un animal raisonnable. Ne jugez pas à la rigueur, Messieurs, et la pièce et l’acteur ; De grâce, montrez-vous traitables ; Soyez Animaux raisonnables. Soyez animaux raisonnables.