Arthemidore Gentil-homme Grec ayant l’esprit embarassé de vaine gloire, d’ambition, d’amour, de jalousie, et de fureur, va trouver un sçavant Enchanteur qui demeuroit en la ville d’Athenes, et le priant de le guerir des douleurs qui le tourmentoient, luy descouvre sa blessure, et luy declare ingenuëment sa foiblesse, lors l’Enchanteur tasche de le soulager par des raisons fortes et convaincantes : mais voyant qu’il falloit un charme plus puissant pour le faire rendre, il se resout de faire un effort merveilleux, et de rapporter des Enfers des heros les plus signalez de l’antiquité, pour luy monstrer comme les passions qui le tyranisoient alors estoient dangereuses, puisqu’elles avoient autrefois causé la perte de ces grands hommes qu’il luy vouloit faire voir, l’ayant donc fait entrer en un lieu propre pour ce mystere, il luy impose le silence et l’advertit d’escouter attentivement tous les discours que ces Fanthomes parlans tiendroient afin de tirer du profit de leurs mal-heurs, lors ayant proferé quelques paroles, on voit tout d’un coup sortir le vieil Manlie Capitaine Romain, qui pour conserver sa gloire, et signaler son nom à la posterité , fit trancher la teste à son propre fils pour avoir combatu sans son ordre, quoy qu’il fut victorieux, et qu’il eust delivré la ville dont il l’avoit laissé Gouverneur d’un siege insupportable, et d’une servitude infaillible, on le voit qui poussé de cette vaine gloire a peur de perdre le fruict de ses victoires en sauvant la vie à son fils, et de ternir par la pitié la grande reputation qu’il avoit acquise par son courage, pour meriter quelque loüange il veut montrer qu’il se détache de ses interests, et que malgré le sang et la Nature il rend à la vertu Romaine ce que ceux qui ne se vouloient immortaliser luy devoient, et fait vanité de tesmoigner au peuple que pour acquerir de l’honneur il periroit luy-mesme et se priveroit de vie. Puis lors que l’on luy vient dire l’effect de la sentence qu’il a donnee, c’est à dire la mort de son fils, la sinderese du vice le prenant tout à coup, il en conçoit un si grand déplaisir qu’il reste sans mouvement, et nous apprend par ce remord le repentir que traine apres soy ce trop grand desir de vaine gloire, et ce faux poinct d’honneur qui tourmentoit son ame sans cesse, et ne luy donnoit point de repos. Toy qu’un sage dessein amene dans ces lieux, Pour rompre le bandeau qui t’aveugle les yeux, Et pour quitter l’erreur, où la foiblesse humaine, Conduit ceux qu’elle esleve avec ceux qu’elle enchaisne, Viens achever d’apprendre à triompher du sort, Viens t’armer pour combattre et la vie et la mort, Et cognoistre dans peu, par mon pouvoir supresme, Et le monde et la terre, et le ciel, et toy-mesme. En vain ton bel esprit, ce chef-d’œuvre achevé Sur des aisles de feu se seroit eslevé; Pour sçavoir les secrets qui sont en la nature, Et penetrer le fonds d’une science obscure, Si tu ne cognoissois que tu portes en toy De cruels ennemis qui te donnent la loy : Ou plustost un tyran qui te faisant la guerre, Te fait vivre aux enfers quand tu vis sur la terre Qui t’offre un faux plaisir pour un souverain bien Qui te promet beaucoup et ne te tiendra rien, Et qui par son adresse, et sa malice insigne Te veut priver du rang dont les Dieux t’ont fait digne, Et voudroit obscurcir avec de faux crayons Un esprit tout brillant de celestes rayons. Ouy, par tes passions et l’amour de toy-méme, Tu t’exposes souvent en un peril extréme, Et ne cognoissant pas l’art de leur commander, Tu reçois d’eux le frein qui les doit gourmander : Mais viens tracer icy le champ de ta victoire, Travailler à leur honte, ou plustost à ta gloire, Et treuver le moyen de joüir d’une paix Que tous tes ennemis ne troubleront jamais. Helas! sage vieillard quoy que vous puissiez faire, Je ne crois pas dompter un si fier adversaire, Et ma raison m’apprend que contre un tel vainqueur Je manque de puissance, et de force, et de cœur : Car puisque les malheurs nous doivent rendre sages Ayant esté battu par tant de grands orages, Enduré tant de maux, et souffert tant d’ennuis Je ne devrois pas estre en l’estat où je suis; Et bien loing de cherir une main qui me blesse, Je devrois seulement rougir de ma foiblesse; Mais pour ne vous rien taire et ne vous rien cacher, J’ay pour mon adversaire un ennemy si cher Que trouvant dans ses traits un poison agreable, Je n’ose m’en deffendre, et n’en suis pas capable, Je veux et ne puis pas gourmander mes desirs : Car s’ils m’ont fait des maux ils m’ont fait des plaisirs, Et si mes passions m’ont causé de la peine, Elles m’ont sceu flatter         d’une esperance vaine. Ouy, tu verras dans peu par mes divins ressorts, Que tu suivois une ombre au lieu de suivre un corps : Mais je voy bien qu’il faut t’instruire par l’exemple; C’est pourquoy sans parler suis moy dedans ce Temple, Et loing de t’estonner de ce que tu verras, Admire qui je suis, et ce que tu seras. Je vay te faire veoir des images parlantes, Et rappeller tes sens par des ombres vivantes. Bref : je vais pour ton bien par mes magiques vers Tirer pour un moment des Heros des enfers, Et leur faire conter l’histoire de leur vie, Pour te faire changer de maxime et d’envie, Et comme les mortels ne fondent leur bon-heur Qu’au milieu de la gloire et d’un faux point d’honneur, Je vais te faire veoir un pere miserable, Qui se rend inhumain pour paroistre equitable : Mais ne l’interromps point, et restant tout à toy, Vois, escoute, et te tais,     j’obeïray,         suy moy. Quoy ? donc il est certain ; ah funeste nouvelle ! Ah pere miserable ! ah fortune cruelle ! Quoy ? tes discours sont vrais; quoy? mon fils est vainqueur, Ouy, Seigneur,         je devois mieux connoistre son coeur, Et sçachant quelle estoit son ardeur et son age, Je ne me devois pas fier à son courage; Ne vous affligez pas,         Arphace, laisse-moy, Tu sçais bien que mon fils vient d’enfraindre la loy, Et qu’en luy remettant des soldats soubs sa garde, Qu’il n’est jamais permis qu’un gouverneur hazarde, Il a choqué les loix quand il a combatu, Et monstré son malheur plutost que sa vertu; Helas! que je manquay d’esprit et de prudence, De luy donner un rang d’une telle importance; Alors que le Senat pour me combler d’honneur Me permit en partant d’eslire un Gouverneur; C’est avec grand sujet que ce combat vous fasche. Mais s’il ne l’avoit fait, on l’auroit tenu lasche. Comment,         quand le Senat vous eust mandé vers luy Pour recevoir un prix,         qui me pert aujourd’hui; L’ennemy le sçachant raprocha nos murailles, Où vostre fils fust pris pour le Dieu des batailles, Car faisant beaucoup plus que vous n’avez permis Il sortit, et chargea si fort les ennemis Qu’avec le peu de gens qui partagent sa gloire Il rentra triomphant suivy de la victoire. Ah ! c’est ce qui me pert et ce qui l’a perdu, Car pourquoy sortoit-il s’il estoit deffendu, Ne sçavoit-il pas bien que jamais Capitaine N’a viollé les loix sans en souffrir la peine, Ne sçavoit-il pas bien que sans commandement On ne doit point sortir de son gouvernement, Et que vainqueur ou non sa teste doit respondre Du pouvoir qu’il a pris afin de se confondre; Il ne l’ignoroit pas; mais, Sire, à son malheur, L’ennemy se plaisoit d’outrager sa valleur, Parloit de sa prudence en paroles moquantes, Et luy disoit apres tant d’injures piquantes Et le defioit tant pour le faire sortir, Qu’en cette occasion son sang n’a peu mentir, Il voulait tesmoigner qu’il estoit né d’un pere : Va, ne le flatte point, il eust tort de le faire, Il devoit obeïr, et ne commander pas, Il devoit consulter tout autre que son bras, Et demeurer contant de vous faire connoistre, Que son sang n’estoit chaud qu’alors qu’il le faut estre, Il devoit s’expliquer en faisant son devoir, Imiter la vertu que je pouvois avoir, Et tesmoigner enfin qu’il sortoit d’une tige, Qui n’enfraint point les loix où le Senat l’oblige, Car son honneur estoit de monstrer seulement Qu’il gardoit du respect à son commandement, Et que ses interests n’estoient pas recevables, Alors que ceux du peuple estoient considerables; Mais il l’a bien servy,         n’importe, il a failly, Mais Dieux, de quel combat mon cœur est assailly, Je le voy qui s’approche avec toute sa suite. Ah! Nature,     ah, mon pere!         hé bien fils sans conduite Tu viens peut-estre icy pour estre couronné; Mais tu te doibs resoudre à t’y veoir condamné : Ouy, la rigueur des loix me demande ta teste, Et malgré le Laurier que cette main t’apreste, Cette autre doit signer l’arrest de ton trépas, L’une doit t’eslever, l’autre te mettre à bas, L’une te doit donner une ample recompense : L’autre tirer raison d’une mortelle offence, L’une soustient le sang, l’autre deffend la loy, L’une tient pour un Pere, et l’autre pour un Roy, L’une parle de peine, et l’autre de victoire : L’une est pour mon repos, et l’autre pour ma gloire : L’une est pour le Senat, l’autre reste pour toy, L’une deffend ma vie, et l’autre est contre moy, Et quelque effort enfin que l’honneur puisse faire, Quand l’une veut ta mort, l’autre veut le contraire; Seigneur, si mon malheur vous reduit à ce poinct, Traittez moy comme juge, et ne m’espargnez point, Oubliez qui je suis, et non pas qui vous estes, Et ne me faisant point l’honneur que vous me faictes Puisque je suis coupable, et que vous le sçavez, Traittez moy seulement comme vous le devez; N’escoutez point le sang qui parle en ma deffence, Escoutez vostre honneur qui parle de vengeance, Et gardez si j’ay peu manquer à mon devoir, D’oublier la vertu que je devois avoir, Estouffez cest instint qui vous rend pitoyable, Domptez ces mouvemens qui vous rendroient coupable Et monstrez en signant l’arrest de mon trépas Plus de force d’esprit que je n’en avois pas, Je ne peus m’empescher d’escouter la furie, Empeschez vous d’ouïr la pitié qui vous prie, Faictes vous violence en vengeant mon forfait, Et ne commettez pas le crime que j’ay fait, Vous seriez criminel si vous estiez sensible, Outre que c’est vouloir une chose impossible, Car quand vostre douceur empescheroit ma mort La rigueur du Senat vous donneroit le tort, Et tenant la pitié belle, et non legitime, Elle joindroit encor vostre crime à mon crime, Et nous mourrions tous deux moy comme un criminel, Vous pour avoir failly de m’avoir jugé tel; Et quand nous pourrions fuir son bras comme un tonnerre, Nous porteroit la guerre, et par mer et par terre, Et feroit tant enfin qu’il nous auroit tous deux, Pour nous faire servir d’exemple à nos neveux, Donc pour vostre repos soyez juste et severe, Ne vous souvenez plus que vous estes mon pere, Et pour mieux oublier ce grand recentiment, Songez que si je meurs ce sera noblement, Ouy, si j’ay sceu gaigner une insigne victoire, J’en veux gaigner un autre en mourant avec gloire, Et monstrer pour finir ainsi que j’ay vescu, Que qui sçait vaincre autruy ne peut estre vaincu; Je ne suis pas de ceux que le trespas estonne, Je l’ay veu mille fois dans les champs de Bellonne, Nager dedans le sang, et lancer contre moy, L’Horreur et le danger, le carnage et l’effroy, Je l’ay veu bien souvent en bataille rengee, Je l’ay veu ravager une ville assiegee, Et bien loing de paslir alors qu’il approchoit, Je luy poussois deux traits pour un qu’il decochoit, Ny les fers, ny les feux, ny le sang, ny les larmes Ne m’ont jamais troublé dans le fort des allarmes, J’ay tousjours essuyé les plus dangereux coups, Et fait connoistre enfin que mon sang vient de vous. Apres cela, Seigneur, quittez vostre tendresse, Faictes que la justice et le trépas paroisse, Et vous sçaurez alors mieux que par ce discours, Que je suis aujourd’huy tel que je fus tousjours : Helas! Si tu sçavois ce que peut la nature, Tu connoistrois alors combien ta mort m’est dure, Mais ayant en horreur le crime que tu fis, J’ay honte maintenant de t’appeller mon fils, Aussi je ne veux plus te traitter qu’en coupable, Seigneur, si j’ay failly mon crime est excusable, Car quoy que vous disiez d’un semblable forfait, Vous rougiriez pour moy si je ne l’avois faict, Je ne fus criminel que de peur d’estre infame, Et j’ayme beaucoup mieux qu’on me donne le blasme D’avoir desobey pour avoir trop de cœur, Que d’estre obeissant au despens de l’honneur; La naissance m’aprit cette belle maxime, Le sang me l’a depuis fait croire legitime, Et les enseignemens que vous m’avez donnez, Vous condamnent alors que vous la condamnez, Vous m’avez fait instruire au temple de memoire, Vous m’avez eslevé dans les bras de la gloire. Et me laissant conduire au gré de la vertu, J’ay suivy le chemin que vous avez battu; Aussi vous me disiez pour me le faire suivre, Que qui vit sans honneur est indigne de vivre, Qu’il faut quitter pour luy parens, amis, et Rois, Et que c’est une loy qui fait les autres loix, Ce sont vos mesmes mots, et je vous les repette Non pas pour excuser l’action que j’ay faicte, Mais pour vous asseurer qu’en ce mal que je fis, Vous pouvez bien sans honte advoüer vostre fils : N’appellez donc plus crime une loüable envie, N’appellez plus un mal la perte de la vie, Et loing de me blasmer d’un mouvement trop prompt Advoüez qu’un grand cœur ne souffre point d’affront, Car si nous nous perdons pour l’honneur des Provinces, Devons nous moins à nous qu’au salut de nos Princes ? Qui meurt bien pour autruy peut bien mourir pour soy, Et se servir soy-mesme est la premiere loy, Ouy, si nous embrassons les interests des autres, Nous pouvons bien perir pour deffendre les nostres, Et m’estant pour les peuples hazardé sans effroy, Je pouvois un seul coup me hazarder pour moy, Et puis j’aurois esté trop stupide et trop lasche, Si de peur du trespas j’eus souffert cette tasche, Car comme je mourrois alors qu’on m’outrageoit, Je revivois aussi quand mon bras se vengeoit, En donnant le combat j’en prevoyois l’issuë, Et quelque affliction que vostre ame en ait euë, Je n’ay fait le devoir que d’un homme de bien, Puis qu’enfin j’ay vangé vostre honneur et le mien; Va fils trop malheureux, va comble de misere, Puisque l’honneur le veut, je ne suis plus ton pere, Je t’abandonne aux mains du Senat qui te veut, Je fais ce que je doy, qu’il fasse ce qu’il peut, Va, car quelque plaisir que me cause ta veuë, Puisque tu dois mourir ta presence me tuë, Et me fait regretter te voyant, mal-heureux, D’avoir fait naistre un fils qui fust trop genereux, Oüy, je croirois mon sort beaucoup plus favorable, Si j’avois un enfant qui fust moins regretable, Et si tant de vertus ne brilloient pas en luy, Puisque je suis contraint de le perdre aujourd’huy, Je voudrois qu’il fust lasche afin d’avoir la gloire, D’emporter sur mon sang une entiere victoire, Et de mener moy-mesme un enfant au cercueil, Pour punir sa foiblesse et le perdre sans deuil, Toutefois,     ah, Seigneur,         retire-toy de grace, Souffrez que je vous parle, et que je vous embrasse, Non, non, retire toy, fais ce que je te dis, Je ne suis plus ton pere, et tu n’es plus mon fils, Tu le cognois assez en voyant que j’endure, Que le devoir combatte avecque la nature, Et qu’il triomphe d’elle avec si peu d’effort, Que je ne meure pas en resolvant ta mort, Tu vois jusques où va cette mecognoissance, Tu vois bien que le sang a perdu sa puissance, Qu’il n’a plus cest instinct qui l’animoit jadis, Que je ne suis plus pere, et que tu n’es plus fils, Va donc, je ne sçaurois te souffrir davantage, Donne ta teste     à Dieu,         Monstre toy mon courage, C’est dedans cest assaut qu’il faut vaincre ou perir, Et c’est toy seul qui peux me perdre ou me guerir, Employe en ma faveur l’artifice et les charmes, Sers toy pour mon repos de tes meilleurs armes, Et vueille m’assister avec de prompts effets, Puisque j’en ay besoin plus que je n’eus jamais; Il s’agist d’oublier un fils que la nature Avoit fait appeller ma vivante peinture, Un fils que la vertu mettoit au rang des Dieux, Et qui portait un cœur digne de ses ayeulx, Mais, ô trop vain souhait de mon ame incensee! Non, non, je ne sçaurois l’oster de ma pensée! Car bien loing d’en bannir un objet si charmant, Je voudrois l’y graver en traits de diamant; Et puis quoy qu’il en soit son merite et sa gloire, Le feroient malgré moy vivre dans ma memoire, Et le peindroient brillant de mille beaux rayons, Pour affliger mon cœur par ces tristes crayons. Tyran des gens de cœur, honneur chimere veine, Helas! qu’en cest instant tu me causes de peine, Puisque pour conserver ma reputation, Tu plonges mes vieux jours dedans l’affliction ? Quoy donc apres t’avoir tout un siecle servie, Passé soubs ton drapeau le plus beau de ma vie, Blanchy dessoubs l’armet, sué soubs le harnois, Franchy tant de perils, et paty tant de fois; Est-ce ainsi que tu veux me donner recompence, Et couronner mes maux d’une mesconnoissance, Ingrat et lasche objet, fille de vanité, Qui produits la folie et la temerité, Source de la discorde, importune censuë Qui te nourris du sang de ceux qui t’ont conceuë? Est-ce ainsi que tu veux carresser tes amis, Sont-ce là les lauriers que tu m’avois promis Sont-ce là les douceurs dont tu flattois mon ame, Sont-ce là tes ardeurs et tes desirs de flâme, Tes soings officieux, et toutes tes ferveurs, Bref, toute ta puissance, et toutes tes faveurs, Oüy, certes, je voy bien que ce sont tes carresses, Je ressens les effets de toutes tes promesses, Et n’estant plus nourry d’un espoir decevant, Je sçais que ta nature est pareille à du vant. J’apperçois maintenant comme tu nous abuses, Je recevois ton piege, et voy toutes tes ruses, Et mon malheur m’apprend que puisque tu n’es rien, Tu ne nous peux donner ny causer aucun bien. Fantosme mal-faisant, toy que l’erreur des hommes Met au rang des vertus dans le siecle où nous sommes, Mal-heureux poinct d’honneur, ombre qui vis d’orgueil, Et qui m’as fait conduire un enfant au cercueil, Pour observer tes loix et paroistre equitable, Tu m’as faict perdre un bien qui n’a point de semblable, Mais tenant desormais tous espoirs superflus, A Dieu! Maudit honneur je ne te cognois plus. Seigneur,         que voulez vous, relevez-vous de grace, Mon devoir ne veut pas que je vous satisfasse, Et puis je viens icy pour implorer de vous. Une faveur qu’il faut demander à genoux, Je viens faire parler le sang et la justice, Levez vous,         puis qu’il faut que je vous obeisse, Je le feray, Seigneur,     parlez,         ces tristes pleurs Parleront mieux que moy de mes justes douleurs, Et diront librement ce que je n’ose dire, Parlez, ne faignez point,         souffrez que je souspire, Et que par ces sanglots qui m’estouffent la voix, Je blasme seulement la rigueur de nos loix. Quoy, Seigneur, se peut-il qu’une vertu farouche, Ait fermé vostre cœur pour vous ouvrir la bouche, Se peut-il que nature ait eu moins de pouvoir, Que des respects humains, et qu’un foible devoir, Se peut-il que l’honneur vous ait rendu severe, Au poinct de perdre un fils, et ce doux nom de pere, Et se peut-il enfin que vous ayez signé, Le trespas d’un enfant si sage et si bien né, Elle pleure mon fils, et moy je le regrette, Mais cachons par honneur la faute que j’ay faicte. Oüy, Madame, il se peut, et vous le pouvez veoir, Et loing de me blasmer d’avoir fait mon devoir, Confessez hautement qu’il estoit raisonable, D’oublier un enfant puis qu’il estoit coupable, Car quoy que je l’aimasse et qu’il me fust bien cher, J’apprehendois qu’un jour on me pût reprocher, Que dix mille Romains par une noble envie, Pour sauver leur honneur eussent perdu la vie, Et qu’un homme estimé de tous les gens de bien, Eust refusé son fils pour conserver le sien; J’avois peur d’estre heureux de crainte d’estre infame, En monstrant moins de cœur que n’en eust une femme, Et je craignois enfin qu’ayant moins de rigueur, On me vit preferer les plaisirs à l’honneur; Qu’auroit dit le Senat, et le peuple qui m’aime, Si porté de l’amour du sang, et de moy-mesme, J’eusse terny ma gloire et mille beaux exploits, En desobeissant le premier à ses loix, De quoy m’auroit servy tant de dangers courus, Les coups que j’ay donnez, et ceux que j’ay receus, Brefs, tant de beaux Lauriers, de Couronnes, et d’Armes, Que mon sang m’achepta dans le fort des allarmes, Si je deshonnorois ma reputation, Par une pitoyable et trop lasche action; Oüy, je donne mon fils quand l’honneur le commande, Et si je possedois une chose plus grande, Ou que je l’eusse encor ouy, je le donnerois, Et l’honneur le voulant je l’abandonnerois; Ah! Seigneur, ce discours que l’honneur vous suggere, Semble plustost partir d’un tyran que d’un pere! Pardonnez moy ce mot et songez (s’il vous plaist) Que pour trop regarder vostre propre interest, La vanité vous flatte et veut vous faire croire, Qu’en perdant vostre fils vous sauvez vostre gloire; Mais loing de l’escouter, ouvrez un peu les yeux, Chassez la loing de vous, et vous conseillez mieux, Alors vous connoistrez malgré son imposture, Que les premieres loix sont celles de nature, Qu’il n’est point de devoir qui nous puisse forcer, De perdre nostre sang et de nous offencer, Et qu’enfin il est vray que le ciel nous ordonne, De conserver nos jours alors qu’il nous les donne. Imitez-le, Seigneur, et sur l’heure ordonnez, Que l’on sauve les jours que vous avez donnez, Songez que vostre fils n’a commis autre crime, Que celuy d’avoir fait en homme magnanime, D’avoir sauvé l’honneur du pays et des Dieux, Et qu’il n’est criminel qu’estant victorieux, De plus si le devoir vous force de le rendre, Vostre devoir aussi vous force à le deffendre, Puisque quoy qu’il en soit, c’est faire laschement, Que de suivre des loix faictes injustement; Ah! Dieux que de douleur je sens à me contraindre! Va-t’en, maudit honneur, je ne sçaurois plus feindre, Tu m’as faict trop souffrir, non, non, je veux parler, Madame, apres ces mots, je ne vous puis celer Que j’ay, quoy que j’ay dit, un sentiment contraire, Que je me deguisois, et qu’en enfin je suis pere, Que l’honneur me forçoit de cacher ma pitié : Donc par ce nom de pere, et par nostre amitié, Par le nœud qui nous joint, par tous vos grands services, Par ces marques d’honneur ces nobles cicatrices, Bref, par ces cheveux gris, ceste grace, et ce port, Desgagez vostre fils des prisons de la mort, Envoyez promptement,         je le veux, que l’on aille. Ah! Sire, c’est en vain qu’un remord vous travaille, Hé! quoy mon fils est mort,         ouy, Sire, c’en est fait, Le Senat est contant, le peuple satisfait, Car ayant par honneur fait couronner sa teste, Que pour estre tranchée il tenoit toute preste, Estant au pieds des murs un fer en un moment A fait cheoir ce beau corps dedans le monument. Ha! maudit poinct d’honneur,         il n’en peut plus, il tombe, Soubs de si grands ennuis ma constance succombe, O malheur sans pareil!         ô spectacle nouveau, Porte moy sur mon lit, et du lit au tombeau. Arthemidore ayant veu representer l’Histoire de Manlie demeure estonné, mais l’Enchanteur l’ayant adverti qu’il se preparast de veoir d’autres merveilles luy promets de le guerir de l’ambition dont il estoit preoccupé, et le faict entrer aux mesmes lieux où il avoit veu le premier spectacle. Lors l’on voit entrer Pharasme Roy d’Hiberie, qui dit pour quelles raisons il assiegeoit son frere Mithridate Roy d’Harmenie, et declare à son confident que son fils Radamiste avoit un ambition si puissante qu’il luy avoit declaré qu’il vouloit son Estat, et que ne voulant pas le priver de vie; il luy avoit promis de luy faire avoir la Couronne de son frere, mais que voyant qu’il ne se contenteroit pas de son Royaume, et qu’il le traiteroit avec toute rigueur; il se repentoit de ce qu’il avoit fait. Lors le Fils entre avec le Gouverneur de la ville où estoit Mithridate, qui promet de la livrer: et le pere s’y voulant opposer, le fils transporté d’ambition luy parle mal à propos, et l’oblige de l’abandonner : lors le fils donne ordre qu’entrant dans la ville avec le Gouverneur on passa tout par le fil de l’espée, et quelque temps apres luy venant dire que les gens sont entrez dans la ville, mais que Mithridate s’est sauvé dans un Chasteau qui peut tenir cinq ou six jours, il envoye leur dire qu’il se rende, et qu’il le garentiroit de fer et de poison, et le tenant en sa puissance, il le fait estouffer; mais aussi tost la justice Divine agissant, une rage s’empare de son ame et le jettant dans un horrible desespoir, il se frappe de son espée, et monstre que cette ambition estant pernicieuse traine apres soy ces malheureux effets qui ne peuvent jamais dementir leurs causes. Rappelle ton esprit, tes yeux et tes oreilles; Et bien loing d’admirer de communes merveilles, Reconnoy maintenant comme ce faux honneur Ne nous peut apporter, ny plaisir, ny bon-heur, Que c’est un ennemy qui farde sa malice, Qui rend ses Courtisans les esclaves du vice, Et qui luisant tousjours d’un esclat emprunté, Esbloüit nostre esprit et le rend hebeté, Qu’il plonge tous nos jours dedans l’inquietude, Et qu’enfin le vray bien n’est que dedans l’estude : Oüy, c’est en descouvrant mille secrets divers Que l’on peut posseder tout ce vaste univers, Et qu’aprofondissant la nature des choses On peut par les effets monter jusques aux causes, Cognoistre tous les corps dont l’on puisse parler, Veoir pourquoy la matiere est moins pure que l’air, Et passant plus avant par un vol tout de flâme Apprendre pourquoy l’air n’est pas pur comme l’ame, Pourquoy l’intelligence a tant de dignité Que l’ame n’en a pas à son égalité, Et recognoistre enfin par la divine essence, Un estre encore plus pur que n’est l’intelligence. Sçavoir quel est l’esprit qui regit ce grand Corps Qui le fait subsister par de divins accords, Comme il sceut faire un tout de contraires parties, Calmer les Elemens en leurs antipathies, Regler l’Astre du jour dans ses douze Maisons, Adjuster la Nature, et l’ordre des saisons, Semer d’Astre, les Cieux, les remplir d’influence, Accorder leur effets avec la prescience, Confondre son pouvoir avecque sa bonté, Et former l’union de la diversité : Ce sont là les plaisirs d’une ame non commune Qui ne redoute point les coups de la fortune, Qui cognoit ce qu’elle est, qui triomphe du sort, Qui n’aime point la vie, et qui ne craint point la mort; Mais comme ces chemins sont d’abord difficilles, On n’y voit point d’esprits qui soient mols et servilles, Il faut se sçavoir vaincre et châque passion, C’est pourquoy viens encor dompter l’ambition, Et veoir comme son feu tyrannise les hommes. Miracle des esprits et du siecle où nous sommes, C’est par trop m’obliger,         je voudrois faire plus, Mais sans nous amuser en discours superflus, Viens veoir comme le fils veut attaquer le pere, Le nepveu perdre l’oncle, et le frere son frere, Et comme cette lasche et folle ambition, Rompt une naturelle et saincte affection : Allons, c’est trop parler, l’heure presse et s’advance, Entrons dedans ce Temple, et garde le silence. Puisque tu veux sçavoir d’où provient ma tristesse, Et qu’il faut malgré moy te tenir ma promesse, Voy si nous sommes seuls, et prens aussi le soing De visiter ma garde et la posant plus loing, D’advertir dessus tout mon premier capitaine Qu’il ne laisse passer, ny mon fils, ny la Reyne, Ny pas un officier que quand je le diré : Va, tu m’obligeras,         je vous obeyré : Infame ambition, seul tyran de ma vie, Qui m’a soufflé dans l’ame une maudite envie, Et qui m’a fait reduire un frere au dernier poinct, Cesse de m’aveugler et ne me parle point, J’ay suivy tes conseils, je ne les veux plus suivre, Et je veux qu’aujourd’huy la raison m’en delivre, Mais je voy Philoctate! Hé bien,         l’ordre est donné! Escoute donc parler un Prince infortuné, Tu sçais bien que mon frere est dedans ceste place: Tu sçais que je l’assiege, et qu’il attend ma grace ! Ouy,         mais tu ne sçais pas que c’est l’ambition Qui fait que j’ay commis cette infame action. Sçache donc que mon fils voulant une couronne La vouloit acheter par ma propre personne, Et que noir attentat secretement conceu M’alloit priver du jour si je ne l’eusse sceu, Ce discours me surprend,         escoute un peu le reste, Voulant donc étouffer un dessein si funeste Je fais tant par douceur qu’il se declare à moy, Me disant toutefois qu’il vouloit estre Roy, Que quoy qu’il eust horreur d’une action semblable, Il ne pouvoit dompter un desir indomptable, Et que si je ne voulois me mettre en seureté Il fallait le priver du bien de la clarté. J’eus beau luy remonstrer quelle estoit cette rage, Je vis que mes raisons l’aigrirent d’avantage, Et qu’il falloit enfin puis qu’il vouloit reigner, Le contenter, ou bien ne le point espargner, Lors le sang m’obligeant à ne m’en point deffaire, Je sortis de l’orage en y poussant mon frere, Et pour me conserver je conclus et promis De luy ravir le Sceptre, et d’assister mon fils. Lors treuvant un moyen de declarer la guerre, J’entre comme un torrent dedans sa propre terre, J’y plante mes Lauriers avec mes pavillons, Et je la fais trembler dessous mes bataillons : Je gaigne ses sujets et ses meilleures villes, Chacun court dans mes bras comme dans des azilles Et toute l’Armenie ayant peur de perir Le quitte laschement n’osant le secourir. Maintenant j’ay pitié des maux qu’on luy prepare, Et connoissant mon fils, et cruel et barbare, Je crains l’evenement de cette trahison, Et voudrois le punir de mort ou de prison, Mais je ne le puis plus, car mes meilleurs gens-darmes Charmez par le pillage, et le succez des armes, Le voyant liberal se declarent pour luy, Et ne souffriroient pas qu’il perit aujourd’huy. Juge de mon malheur,         je plains vostre disgrace; Mais j’apperçois quelqu’un, approchons de la place; Je crois que c’est mon frere, et je dois aujourd’huy Le veoir et luy parler, et approchons c’est luy. Pharasmane, advancez, non pas comme adversaire, Mais comme un sage Prince ou plustost comme un frere, Souffrez que la pitié vous conduise en ces lieux Pour plaindre ma fortune en voyant ces beaux yeux; Ce sont eux qui plus forts que le Dieu des batailles M’ont conduit pour vous veoir du haut de ces murailles, Qui m’ont osté le cœur et m’ont donné la voix Pour vous prier encor pour la derniere fois : Ouy, ce n’est que l’amour qui parle par ma bouche, Et vous pouvez bien veoir par l’ennuy qui me touche Que ce n’est point pour moy les discours que je fais, Puisque j’ay trop de cœur pour vous prier jamais; Vous sçavez que je suis d’un sang et d’une race Qui ne sçait comme il faut demander une grace, Qui ne veut que sa main pour guerir ses douleurs, Et qui respand son sang bien plustost que des pleurs : Escoutez donc l’amour qui par ces belles larmes Vous commande aujourd’huy de mettre bas les armes, De quitter cette place, et d’y laisser la paix, Pour les injustes maux que vous nous avez faits: Aussi bien si les Dieux secondent mon envie, Vous ne l’aurez jamais qu’en m’arrachant la vie, Je vous feray souffrir cent maux auparavant, Et vous serez encor plus de trois ans devant, Car ces murs sont trop bons pour en voir les ruines, Et deux cens magazins de bleds et de machisnes, Et des amas d’argent et des cœurs preparez Vous cousteront du sang plus que vous n’esperez. Ha ! Seigneur, terminez cette fatalle guerre : Sauvez, et nostre honneur, et cette propre terre, Et songez que le sang veut que vous protegiez Un frere qui vous aime et que vous assiegiez, Je parle ainsi Seigneur, car je ne sçaurois croire Que vous vouliez poursuivre une telle victoire, Et qu’apres ce discours plus juste qu’eloquant, Vous ne quittiez bien tost le tiltre d’attaquant : Car de grace observez ce que vous voulez faire, Et si vous desirez la mort de vostre frere, Songez quel est Seigneur, celuy que vous perdrez Si vous voulez ses biens pourquoy vous les prendrez, Et pouvant enchaisner un Monarque si brave, Si vous endurerez qu’on le traite d’esclave : Non, c’est deshonnorer, et vous, et vos ayeux, Et vous priver aussi d’un rang entre les Dieux, Vostre rare vertu vous a faict adorable, Vostre insigne valleur vous rend incomparable, Et cent perfections pressent vostre bonté De ne vous pas frustrer de l’immortalité, Donc par ce mesme sang dont vous voulez la perte, Par ces beaux yeux moüillez par leur peine soufferte, Par l’honneur,     par l’amour,         par ces pleurs et par vous : Protegez ma moitié,         conservez mon espoux, Madame, je voudrois qu’il fust en mon possible, Mon frere connoistroit combien je suis sensible, Mais dedans vos malheurs dont je ressens les coups, Ne pouvant rien pour moy je ne puis rien pour vous; Je sçay que vous direz que je puis comme pere Commander à mon fils de respecter mon frere. Mais sçachez qu’en l’estat où je suis aujourd’huy Je n’ay plus de pouvoir sur les miens ny sur luy, Il est ce que j’estois, et dedans cette terre Il dispose à son gré de tous mes gens de guerre, Il peut tout ce qu’il veut, et son ambition Le rend sans jugement et sans discretion, Aux despens de son sang il veut une couronne La deut-il acquerir par ma propre personne, Et s’il ne vous ostoit le Sceptre de la main, Il m’osteroit le mien peut-estre des demain : Aussi reconnoissant cest esprit sanguinaire, J’ay honte d’avoir fait tout ce qu’il m’a fait faire, J’ay regret maintenant de l’avoir assisté, Puis qu’il use si mal de mon authorité, Et qu’il n’employe enfin mon pouvoir et mes armes Qu’afin de me couster et du sang et des larmes : Ouy, certes si j’estois en l’estat de jadis, Ou que je peusse encor m’asseurer de mon fils, Bien loing de satisfaire à sa brutalle envie, Sa mort ou sa prison asseureroient ma vie, Et garentiroient des maux où je vous voy, Mais cela ne se peut,         hé ! justes Dieux, pourquoy Authorisastes-vous un siege illegitime, Pourquoy l’aidastes vous,         il deguisa son crime, Et se pleignant à moy d’un mauvais traictement, M’obligea d’en monstrer quelque recentiment, Et me persuada de venir en personne Pour venger un affront,         pour m’oster la Couronne ; Mais je ne me plains point de cette trahison, Puisque dans peu les Dieux m’en feront la raison. Sire, le Prince attend,     où ?         dedans vostre tente, Qu’il entre et plaise aux Dieux que l’ingrat me contente : Oüy, prions pour mon frere, ô procedé nouveau ! Enfin nous le tiendrons ce superbe chasteau Sans combler ses fossez, ny sapper ses murailles, Et sans verser du sang ou veoir des funerailles : Oüy, Sire, il est à nous,         il est à nous, comment ? Considerez, cest homme et ces clefs seulement, Cest homme, quel est-il ?         il fust à vostre frere, Mais lassé de servir sans avoir de salaire, Il promet de livrer la place en un moment Si je veux l’honnorer de son gouvernement : Qu’avez-vous resolu ?         de le bien reconnoistre. Mon fils, c’est trop donner aux services d’un traistre : Non, non, considerez sans vous tant emporter, Que s’il quitte son Prince il vous pourra quitter, Que la foy qu’il vous donne est une foy trahie, Et qu’il vous traittera comme il faict sa patrie : Ne vous hastez point tant calmez ce sang qui bout, Ne precipitez rien, le temps ameine tout, Je sçay que cest advis que donne la prudence, Choque vostre jeunesse et vostre impatience, Je sçay que vostre esprit ne veut croire que soy, Qu’il abonde en son sens, et se cache de moy; Mais souffrez qu’aujourd’huy,         je souffriré tout, Sire, Quand vous adhererez à ce que je desire, Et lors que vous voudrez ce que j’auray voulu Aussi bien ce dessein est un point resolu, Et prenant aux cheveux l’occasion presente, Si je regne un moment j’auray l’ame contente, Un homme genereux ne reçoit point d’effroy, Et se rit des dangers quand il peut estre Roy, Il ne veut point prevoir le mal qui le tallonne, Et se tient trop heureux d’avoir une Couronne; Aussi quoy qu’il arrive on me vera demain Le Laurier sur sa teste, et le Sceptre à la main, Et n’importe, qu’apres,         Seigneur, que vostre Altesse Ne craigne rien de moy,         quoy donc ame traitresse, Ozes-tu dementir les discours que je tiens, Ozes-tu devant moy corrompre ainsi les miens, Ozes-tu te vanter du coup que tu vas faire, Ozes-tu me parler d’avoir trahi mon frere, Et par des actions pleines de lascheté : Veux-tu nous asseurer de ta fidelité, Veux-tu que l’on te traite en homme magnanime, Par ce que tu promets de te noircir d’un crime, Monstre ton ambition, va lasche, sors d’icy, Il n’en sortira pas que je n’en sorte aussi, Vous parlez en jeune homme, et l’ardeur vous transporte, Je parle comme il faut,     vous m’offencez,         n’importe, Je sçais que je vous dois le respect et l’honneur, Mais vous ne devez pas empescher mon bon-heur, Vous vous mesconnoissez,         si cela pouvoit estre, Je me mesconnoistrois pour vous trop bien cognoistre, Je ne le celle point,         insolent, souviens-toy Que tu n’es que mon fils et que je suis ton Roy : Oüy, je me souviendray que vous estes mon pere, Mais quand j’auray demain le Sceptre que j’espere Je ne connoistray plus de souverain que moy Et vous vous souviendrez de n’estre plus mon Roy, Je voulois le prier pour le repos d’un frere, Mais je ne puis icy retenir ma colere, Orcas en attendant que son feu passera, Sortez avec Philon, faictes ce qu’il dira, Prenez mil des miens pour joindre à ces deux mille Que j’avois faict armer pour entrer dans la ville Qu’ils y portent la mort de l’un à l’autre bout, Qu’ils pillent tous les biens, et qu’ils saccagent tout, Non, ne le prions point, et quoy qu’il en advienne, Parlons luy librement, que rien ne nous retienne : Oüy, c’est trop me contraindre, il est temps d’esclatter : Traistre, je t’apprendray de me si mal traitter, Et tu verras dans peu, quoy que ton cœur me brave, Que je puis si je veux te faire moins qu’esclave, Tu veux trancher du grand, mais de grace, dis moy Qui t’a donné les gens qui sont dessous ta loy, Qui t’a donné les biens dont ta cour est suivie, Qui t’a donné le sang, qui t’a donné la vie : Bref, qui t’a donné tout apres, si ce n’est moy, Je ne me diré plus ton pere, ny ton Roy; Mais ce resonnement ne sert qu’à te confondre, Et tu ne respons rien n’ayant rien à respondre : Dis qui t’a faict si grand,         c’est mon ambition : Va, lasche, dis plustost mon indiscretion, Je voulus conserver mes biens et ma couronne Par d’infames moyens dont le succez m’estonne; Mais loing de contenter ce cœur ambitieux, Je ne suis que l’horreur des hommes et des Dieux, Ah ! si j’estois encor ainsi que je souhaitte, Ne souhaittez plus rien, puisque la chose est faicte, Ne me replique point, va loing de mon aspect Apprendre comme il faut me porter du respect, Apprendre ton devoir, c’est ce que je t’ordonne ; Mais reviens, mon honneur veut que je t’abandonne, Et que m’ayant rendu si triste et mescontant, Je fasse mon devoir moy-mesme en te quittant : Ouy, je dois pour punir ton impudence insigne, Te ravir ma présence en t’en jugeant indigne, Et ne te tenant plus pour mon fils desormais, Ne te veoir, ne t’oüir, ne te parler jamais : Adieu dans peu le ciel armera sa tempeste Pour secher les Lauriers qui vont cindre ta teste, Et t’envoyer les maux que tu nous fais souffrir. He bien ! nous perirons quand il faudra perir, Je prepare mon ame aux plus rudes tempestes, Que le ciel en couroux verse dessus nos testes, Et je tiendray mon sort aussi noble que beau, Si je fais en tombant d’un trône mon tombeau, Rien ne m’empeschera d’envahir un empire, Et d’avoir par la force un bon-heur où j’aspire, Je me ris des malheurs qu’un resveur me predit, Et loing de reflechir dessus ce qu’il m’a dit, Estimant ses discours ennemis de ma gloire, Je les veux pour jamais bannir de ma memoire. Oüy, mon cœur poursuivons et sans nous estonner, Ne parlons que de vaincre et de me couronner, De signaler mon nom par l’esclat de mes armes D’achepter mon repos par du sang et des larmes, Et monstrer en rengeant un peuple soubs ma loy, Que je donne la crainte et n’en ay point pour moy. He bien !         Sire, vos gens sont entrez dans la ville, Dont Philon a rendu la conqueste facile; Mais le Roy s’est sauvé dans l’une de ses tours, Qui peut tenir encor plus de cinq ou six jours, Il se rendra pourtant si vostre courtoisie Luy veut donner sa femme, et luy laisser la vie En les gardant tous deux de fer et de poison, Que pretendent-ils donc,         l’exil ou la prison, Hé bien ! va leur promettre, et sur cette asseurance Qu’ils viennent de ce pas implorer ma clemence, Demeure : mon repos demande leur trespas, Promets leur toutesfois, je ne leur tiendray pas. Un Prince, comme vous doit tenir sa parole, Orcas, cette maxime est un discours frivole, Je les garderé bien du poison et du fer, Puis que mon dessein est de les faire estouffer : Va leur promettre donc tout ce qu’ils me demandent, Traitte les doucement, et fais tant qu’ils se rendent; Mais quand tu les tiendras, fais ainsi que je veux, Que l’un de tes soldats les estouffe tous deux ! Cruel commandement, Sire,         point de replique. Va viste, c’est ainsi qu’un conquerant s’explique, Il doit par la rigueur appuyer ses projets, Et loger la frayeur au sein de ses sujets, C’est comme il se maintient : mais Dieux, quelles maximes D’establir son repos en commetant des crimes : Certes, quoy que je sois cruel au dernier poinct, Je sens mille remords qui ne me quittent point, Et logeant un bourreau dedans ma conscience, Si j’ay quelque plaisirs, ce n’est qu’en apparence, Je fains d’estre tranquille alors que je combats, Je tesmoigne du cœur lors que je n’en ay pas, Et mon ambition est si forte et si grande, Que souvent je me ris de ce que j’apprehende. Pour posseder un Sceptre, et me voir adoré, Je fais les actions d’un cœur denaturé, Je violle ma foy, je procede en infame, Je mesprise l’honneur, et fais ce que je blasme, Mais aussi tost apres un desplaisir secret Faict que je me condamne, et que j’en ay regret, Oüy, mon ambition m’ordonne que je faigne, Et que je sois joyeux alors que mon cœur seigne : Infame passion, mere de mes forfaits ! Et qui m’as suscité tant d’infames souhaits, Je voudrois maintenant avoir eu la puissance De te donner la mort au poinct de ta naissance, Puis qu’aujourd’huy tes feux se sont rendus si grands Qu’ils m’ostent le courage et font que je me rends, Et qu’ils charment mes sens par de telles amorces Que je me treuve foible au milieu de mes forces. Sire, je venois dire à vostre Majesté, Qu’Orcas,         hé bien ! mon ordre est-il executé ? Sire, dans un moment je croy qu’il le doit estre, Car quand je suis sorty par l’ordre de mon maistre Pour vous donner advis qu’il avoit pris le Roy; J’ay veu desja mourir sa femme devant moy, Et l’on se preparoit d’estouffer ce Monarque, Qui sans doute a payé le tribut à la parque. Quel soudain changement ? quel trouble et quelle horreur, Se coullant dans mon sang allantit ma fureur : Passe dans mon esprit, altere mon visage, Me dérobe à moy-mesme et m’oste le courage, Quels sont ces mouvemens, quelle est ceste douleur ? Quel Demon me poursuit, et quel est mon malheur ? Que sçay-je, qu’ay-je fait, que sçay-je que feray-je ? J’ay tout ce que je veux, he bien ! que deviendray-je ? Oüy, Prince trop cruel, enfin es-tu contant, Si le meurtre est si doux, et qu’il te plaise tant, Il ne te reste plus que de tuer ton pere, Puisque tes cruautez ont estouffé son frere, Sa femme, son enfant, ses parens et les tiens, Et pillé sans sujet leurs terres et leurs biens; Poursuis, choque les Dieux, les Loix et la Nature: Acheve de ton sang cette horrible peinture, Et pour mieux contenter tes desirs enragez, Mange le cœur des tiens les ayant esgorgez; Mais d’où vient ce remords et cette inquietude, D’où vient ce changement et cette promptitude, Et d’où vient que mes yeux d’un nuage couverts Presques en un moment se sont trouvez ouverts; Là ils n’estoient fermez que par mon ignorance, Ils ne se sont dessillez que par l’experience, Et c’est en possedant ce que je desirois, Que j’y voy des deffauts plus que je n’esperois, J’avois creu que les Roys relevants seuls d’eux-mesmes, Ne recoignoissoient plus de puissances supresmes : J’avois creu mes plaisirs où je voy mes liens, Et j’avois pris des maux pour de souverains biens : Infame ambition, ah ! desespoir, ah ! rage, C’est ce coup qu’il me faut enflammer mon courage, Et que ce fer m’ostant du nombre des tyrans Venge avec mes forfaits la mort de mes parens. Pousse, respans ton sang, mesprise ta conqueste, Deschire les Lauriers qui couronnent ta teste, Et monstre en te perçant de mille coups mortels, Que le Ciel tost ou tard frappe les criminels, Et que tousjours son bras armé pour la justice Couronne la vertu comme il punit le vice. Arthemidore ayant veu les mal-heureux effets qu’avoit produit l’ambition en la personne de Radamiste, est touché vivement : et faisant reflexion dessus luy-mesme se resout pour exempter sa vie des mal-heurs dont elle le menassoit de donner la mort à cette Passion, mais l’Enchanteur sçachant que l’amour qui le tyrannisoit n’avoit pas sur son esprit un moindre empire que l’ambition le fait entrer dans le Temple et luy faict veoir les violences où cest autre passion le reduiroit par l’exemple d’Antioque fils de Seleuque, lequel estant devenu passionnement amoureux de Stratonice sa belle mere en perdoit le repos, et le jour et la nuict, et ne goustoit aucun contentement parmy tant de felicitez, dont la Cour de son pere abondoit. Il luy fait voir comme il est impossible de chasser de chez nous ce tyran lors que nous avons permis qu’il s’en rendit le maistre, et qu’il faut d’abord le repousser si l’on veut triompher, et n’en point estre vaincu : il luy monstre ce malheureux amant qui se descouvre à celle qu’il aimoit le plus respectueusement qu’il pouvoit, mais s’en voyant traicté rigoureusement, et croyant qu’elle s’en plaindroit à son pere, il se resout de sortir de la vie plustost que de se repentir de son amour : et son Medecin l’estant venu trouver luy confirme encor l’opinion qu’il avoit qu’elle l’avoit dit à son pere, ce qui l’oblige à le chasser severement, et se voyant seul se met en estat de mourir, car rompant l’appareil qu’il portoit sur une blessure qu’il avoit au bras il tombe en une foiblesse, et monstre à quelle extremité l’amour des-honneste nous reduit lors que nous n’avons pas la force de nous deffendre de ses coups, et que nous abandonnons nostre ame, à ce monstre qui se sert de l’image de la beauté, pour nous seduire et pour nous perdre. Ouy, je reconnois bien que cette ambition Ne nous peut apporter que de l’affliction, Que nous nous abusons d’y fonder nostre attente, Et que c’est une mer où reigne la tourmente, Qu’un vent impetueux esmeut à tous propos, Et qui ne peut donner ny plaisir ny repos. Je sçay qu’elle nous perd quand elle nous carresse, Je sçay qu’elle est flatteuse autant qu’elle est traistresse, Et que pour nous contraindre à suivre ses appas Elle flatte nos cœurs des biens qu’elle n’a pas, L’exemple que j’ay veu m’en donne un tesmoignage Par les malheurs d’autruy tâche à te rendre sage, Et pour bien employer le reste de ce jour, Viens dans ce temple encor triompher de l’amour, De ce cruel tyran, dont les puissantes flammes Ebloüissent nos yeux et surprennent nos ames, De ce Dieu fabulleux qui trouble la raison, Et de qui les douceurs sont pleines de poison; Viens veoir comme il abbat le plus malle courage, Comme il entre en nos cœurs soubs une fausse image, Et comme en abusant du nom de la beauté; Il triomphe aisément de nostre liberté; Comme il rend à son gré nostre perte facile Monstrant le delectable, et l’honneste et l’utile, Et comme il nous promet mille contentemens Pour nous faire mourir au milieu des tourmens; Arme-toy, viens combattre et viens encor apprendre Que qui luy cede un coup ne s’en peut plus deffendre, Mais que qui luy fait teste et resiste une fois Est exempt pour jamais des rigueurs de ses loix; Tu vas voir un enfant qui sans respect d’un pere, Ne se peut empescher d’aimer sa belle mere, Qui languit et qui meurt, mais entrons il est temps. Je veux ce qui vous plaist, et mes vœux sont contens. Enfin je me voy seul et las de me contraindre, Je puis en liberté souspirer et me plaindre : Je puis m’entretenir avecque mes douleurs, Et moderer mon feu par des ruisseaux de pleurs; Je puis loing de mes gens, dont le soing m’importune Reflechir librement dessus mon infortune, Veoir des yeux de l’esprit l’object qui la causa, Adorer dans mon cœur celle qui l’embrasa, Et soulager mes maux par la triste pensée, De ces aimables traits dont mon ame est blessée. Malheureux Antioque, helas ! pourquoy vis-tu Ce modelle parfaict de grace et de vertu, La belle Stratonice à qui tout est possible, Ou bien en la voyant pourquoy fus-tu sensible ? Que ne resistois-tu comme tu le pouvois ? Que ne l’oubliois-tu puisque tu le devois ? Que ne t’efforçois-tu d’esteindre cette flâme ? Pourquoy malgré l’honneur luy donnois-tu ton ame, Et que ne montrois-tu ? mais Dieux tu la voyois, Et quand pour l’oublier apres tu la fuyois, Je sçay bien que ton œil qui l’avoit regardée Portoit dans ton esprit cette agreable idée, Et gravoit dans ton cœur exempt de passions Le portraict accomply de ses perfections, Non, tu ne pouvois pas songer à te deffendre La beauté te pressoit, la vertu te fit rendre; Et si l’on peut nommer tous tes feux criminels, Ce n’est que dans ton cœur qu’ils se sont rendus tels, D’abord ils estoient saincts autant que legitimes, Et ce sont tes desirs qui les ont fait des crimes. Oüy, tu pouvois la voir et n’en rien esperer, Tu pouvois la servir, tu pouvois l’adorer, Tu pouvois contenter tes yeux et tes oreilles, En te laissant charmer par ses rares merveilles : Bref, tu pouvois songer à son affection, Mais non pas aspirer à sa possession : Car elle est à ton pere, et quoy qu’elle soit belle, L’honneur te deffendoit de souspirer pour elle, Outre que ses desdains te devoient enseigner, Qu’elle ne te verroit que pour te desdaigner; Et qu’estant vertueuse autant qu’elle est aimable, Elle te haïroit en te voyant coupable : Mais ô Dieux ! je n’abuse, et ce raisonnement Ne pouvoit pas partir de l’esprit d’un Amant : Car pouvois-je preveoir qu’elle seroit cruelle, Lors que je la voyois, et si douce et si belle, Et pouvois-je sçavoir que mon pere l’aymoit, Quand je ne sçavois pas que mon cœur s’enflâmoit, Et que mes sens troublez et que mon ame esmeuë; Me faisoient méconnoistre à sa premiere veuë; Quand, dis-je, j’ignorois le mal que je sentois, Et quand j’oubliois tout jusqu’à ce que j’estois. Non certes, ma raison devoit estre captive, Et de quelque repos que mon ame me prive Je ne croiray jamais mon destin rigoureux, Puis qu’une deïté m’a rendu malheureux; Je ne pouvois souffrir de plus aimables peines, Je ne pouvois languir soubs de plus douces chaisnes Et puisque la beauté m’a rendu son subjet, Je ne pouvois mourir pour un plus bel objet : Ne nous plaignons donc point, aimons, ah Dieux ! que dis-je ? Quoy, violer les loix où le devoir m’oblige ? Quoy, vivre sans honneur ? non ne le faisons point, Toutefois Stratonice est belle au dernier poinct : Respect, honneur, amour, devoir, nature, pere, Stratonice raison, enfin que dois-je faire ? Conseillez-moy de grace, et dedans ce transport, Faictes que je choisisse, ou la vie, ou la mort : Mais mon cœur s’affoiblit, et le mal qu’il me cause M’ordonne le silence, et veut que je repose, Mettons nous sur ce lict, et plaise aux justes Dieux Que l’amour ou la mort ferment bien-tost mes yeux; Mais qui vient m’interrompre ? ha ! rigoureux supplice. He bien ! que me veux-tu,         Seigneur, c’est Stratonice, Qui par un Page exprés vient d’envoyer sçavoir Si vous vous portez mieux, et si l’on peut vous voir, Ignore-t’elle un mal dont elle fut la cause, Que dira-t’on Seigneur,         dis luy que je repose, Que mon mal est plus grand qu’il n’a jamais esté, Bien, Seigneur,         non, reviens, dis-luy la verité, Ne dissimule rien, mais ô Dieux ! je m’abuse, Non, je ne la puis voir, dis luy qu’elle m’excuse; Cours, r’approche, va-t’en, demeure, n’en fais rien, Dis-luy, ne luy dis point, mais ne sçay-je pas bien Qu’il faut que je la voye et que je l’entretienne, N’importe, c’en est faict, va dis-luy qu’elle vienne, Qu’elle m’obligera, mais, ô funeste aspect Qui doit combler mon cœur d’amour et de respect, Qui doit renouveller mes amours et mes peines, Et qui doit redoubler, et mes feux et mes chaisnes, Ne me fais point languir, et par un prompt effort, Soulage mes douleurs par une prompte mort, Fais que de nouveaux traicts d’une celeste flâme, Me consommoient le corps comme ils ont fait mon ame, Que je puisse mourir devant les plus beaux yeux Que la nature ait fait pour triompher des Dieux, Et qu’un si beau trespas soulage mon martyre, Et leur fasse sçavoir ce que je n’ose dire, Mais ô Dieux ! je les voy, que dois-je faire amour ? Monsieur, je ne sçaurois laisser passer un jour Sans venir prendre part dedans vostre infortune, Peut-estre qu’en cela je vous suis importune, Et que prenant un soin qui ne vous sert de rien, Vous n’avez pas sujet de m’en vouloir de bien : Mais si mon trop d’ardeur passe pour une offence, Je viens m’offrir à vous pour en prendre vengeance, Et si vous m’ordonnez un rude chastiment, Je n’appelleray point de vostre jugement. Un homme comme moy seroit tenu peu sage, S’il s’offençoit de voir la main qui le soulage, Et si le Medecin qui vient le secourir, Loing de le contenter ne le fait qu’aigrir; Vous m’avez destourné d’une melancholie, Où depuis peu mon ame estoit ensevelie; Un songe que j’ay fait m’ayant troublé le sens Par des efforts si doux, si vifs et si puissans, Que je ne puis encor effacer sa peinture. Monsieur, si je sçavois son genre et sa nature, Je pourrois bien encor vous en mieux consoler, Mais j’apprehenderois de vous faire parler. Si vous le desirez je m’en vais vous le dire, Madame, le sommeil pour flatter mon martyre, M’ayant fermé les yeux sur la pointe du jour, A porté mon esprit sur les aisles d’amour, Et m’a fait traverser des eaux et des montaignes Pour me mettre au milieu des plus belles campagnes, Que la nature ait fait à la honte des Cieux, Puisque l’on y voyoit des Nymphes et des Dieux ; Et qu’ils avoient quitté leurs voûtes estoillées Pour venir respirer soubs ces sombres allées, Où l’on voyoit confus le Mirthe et l’Olivier, Le Liere, le Buis, la Palme, et le Laurier, Où les tapis n’estoient que de Lys et de Roses; Et bref, où l’on voyoit tant d’admirables choses, Qu’esperant d’en avoir d’advantageux succez, Ma douleur pour un temps perdit de son excez; Oüy, je dis pour un temps, car ce lieux de delices, Devint en un moment celuy de mes supplices, Lors qu’un triste vieillard s’arrestant devant moy, Me profera ces mots d’un ton remply d’effroy, Passant, lis ce papier, ton repos t’y convie Sçache quels sont ces lieux, et quel sera ton sort, Quiconque vient icy y trouvera la mort : Mais ceste mort apres renouvelle la vie, En achevant ces mots ce vieillard disparut, Lors une prompte horreur dans mes veines courut, Tout mon sang ce glaca, je devins froid et blesme : Et restant immobile en cette crainte extresme, J’estois prest de mourir alors que j’entrevis Une jeune beauté dont mes sens sont ravis : Car elle me parut avec tant d’avantage, Que j’en garde dans l’ame une immortelle image, Et que le souvenir de ces divins appas, Fait que je la crois voir, mesme en ne la voyant pas, Oüy, Madame, je crois parler à ceste belle, Je pense l’adorer, je pense estre aupres d’elle, Je pense luy conter l’excez de mes douleurs, Et je pense enrouser ces belles mains de pleurs. Je sens la mesme ardeur et la mesme pensee, Je crois veoir ses beautez dont mon ame est blessee, Je tremble, je paslis, je crains de la fascher, Je souspire aupres d’elle et n’oze luy toucher : Je voudrois luy parler, mais quand j’ouvre la bouche Le respect me la ferme, et plus frait qu’une souche, Me fait tomber pasmé dessus ses belles mains : Monsieur,     ne craignez rien,         c’est pour vous que je crains, J’ay peur que vostre mal,         ne craignez rien, Madame, Et souffrez que j’acheve à vous ouvrir mon ame; J’estois donc assoupy quand ce jeune soleil Resveilla mes esprits par un art sans pareil, Et chassa la frayeur dont j’avois l’ame atteinte Pour donner à l’amour ce qui fust à la crainte; Presques en un moment sa beauté m’enchanta, Et presque en un moment elle me surmonta, Aussy je crois qu’elle est parmy les immortelles, Ce que Stratonice est parmy toutes les belles; Elle avoit des yeux noirs fendus et relevez, Et persans et brillans comme vous les avez, L’on voyoit sur sa bouche une belle escarlatte, Dont la vive couleur dessus la vostre esclatte, Son tint blanc surpassoit la neige en sa candeur, L’on voyoit sur son front esclatter la pudeur, Son visage estoit doux de mesme que le vostre, Sa taille estoit charmante et surpassoit tout autre, Ses cheveux tous bouclez estoient deliez et longs, Ainsi que vous, Madame, elle les avoit blonds, Et pour descrire mieux tant de beautez parfaictes, Elle estoit en un mot de mesme que vous estes, Et quand je l’adoray je crus que c’estoit vous; Mais Dieux, que je receus de pitoyables coups, Alors que je songé pour comble de misere, Qu’un fils ne pouvoit pas aimer sa belle mere; Pourtant que je ne croy pas qu’on m’en doive punir Vous mesme, dites moy, que dois-je devenir, Car prenez qu’en effet mon ame soit charmee, Ou bien que vous soyez cette personne aimee, Qu’auriez vous fait ?     et vous ?         recherché mon bon-heur, J’aurois suivy l’amour,         j’aurois suivy l’honneur, Et ne distinguant point l’effet de la pensee, J’aurois esteint sans doute une flâme incensee, Encor par quel moyen ?         par mon esloignement, Quoy, vivre sans pitié ?         quoy, souffrir un amant ? L’on peut bien estre aimee alors que l’on est belle, L’on ne le peut pas souffrir sans estre criminelle, Et si quelqu’un manioit aux despens de ma foy, Je voudrois le punir,         hé bien ! punissez-moy, Je suis ce malheureux ou plustost ce coupable. Ah ! Monsieur,         demeurez, il n’est pas veritable ! Non, non, ce n’est qu’un songe, et je veux desormais, Puisque vous le voulez, songe, à ce que tu fais Tu ne sçaurois trouver d’occasion meilleure, Sçache si je dois vivre ou s’il faut que je meure, Mon cœur, explique-toy,         Monsieur, vous palissez, Il me faut bien paslir puisque vous rougissez, Et je dois bien mourir puisque vostre colere M’apprend que mon amour commence à vous desplaire, Car enfin je vous aime et vous connoissez bien. Adieu, n’achevez point,         Madame, il n’en est rien : Demeurez,         demeurer apres un tel langage. Hé bien ! je ne veux plus vous tenir davantage, Mais, Madame, escoutez, non ne m’escoutez point, Je resve, et mon amour va jusqu’au dernier poinct, Demeurez,         Esteignez ces ardeurs indiscrettes, Souffrez que la raison vous dise qui vous estes, Et vous apprenne encor pour finir vos ennuis, Et le rang que je tiens, et ce que je vous suis; En vain vous vous servez d’artifice et de feinte, Je reconnois l’erreur dont vostre ame est atteinte, Et je n’observe rien dans mes deportements Qui vous ait pû donner ces mauvais sentimens; J’ay beau considerer mes actions passees, Examiner mon cœur et toutes mes pensees, Et remarquer les lieux où je vous ay pû veoir, Je n’ay jamais rien faict qui choque mon devoir, Si mes civilitez ne vous ont fait accroire Que selon vos souhaits j’aurois l’ame assez noire Pour vivre sans honneur, pour violer ma foy, Et pour souffrir qu’un fils bruslast d’amour pour moy. Vous-mesmes dittes moy d’où vous vint l’asseurance D’entretenir pour moy cette infame esperance, Et ce qui vous donna tant de temerité Que d’ozer attenter à mon honnesteté Jusqu’à me declarer vostre flâme amoureuse. Ay-je esté pres de vous trop peu respectueuse, Ay-je paru trop libre, ou bien m’avez vous veu Mespriser quelquefois l’honneur et la vertu, Me suis-je divertie à quelque jeu qu’on blasme, M’avez vous pû connoistre autre qu’honneste femme, Et pour vous dire plus, enfin remarquez vous Que j’aime ou que j’adore autre que mon espoux ? Dites, respondez-moy, mais par vostre silence Vous m’informez assez de vostre repentance, Aussi je m’en contente et ne vous veux punir, Qu’en ne vous tenant plus dedans mon souvenir, Adieu, guerisez-vous, soyez plus raisonnable, Et voulant estre aimé ne soyez plus coupable : Car lors que la vertu reglera vos desirs Vous pourrez souspirer pour d’honnestes plaisirs, Estant civil, courtois, et beau comme vous estes, Vous pourrez enflammer le cœur des plus parfaictes, Et vos perfections donneront de l’amour A mille astres naissans qui brillent à la Cour, Aimez, vous le pouvez, mais sçachez que le sage Voit des appas en l’ame bien plus qu’au visage, Et que cette beauté qui paroist au dehors, Est l’ombre seulement dont un autre est le corps, Que nos plus beaux attraits ne sont qu’une peinture Qui relevent tousjours des loix de la nature Qu’elle voit bien souvent avec un œil jaloux Que le temps affoiblit et qui meurt avec nous. Oüy, nostre corps n’est beau que pendant sa jeunesse, Et ce n’est qu’un palais de qui l’ame est l’hostesse, Ce n’est qu’un vestement qu’elle a pour se parer, Et ce n’est point l’habit que l’on doit adorer : Songez donc en sortant de ce honteux servage Que l’ame a des appas plus beaux que le visage, Que l’honneur est l’object qui nous doit enflâmer, Et que sans luy jamais nous ne devons aimer. Ah Dieux ! elle s’en va, mal-heureux Antioque : Enfin reconnois-tu que ton amour la choque, Que son cœur est un fort gardé par la vertu, Qu’en vain jusques icy l’amour a combatu ? Cognois-tu ses froideurs et sa rigueur extrême, Ou pour mieux en parler te cognois-tu toy-mesme ? Oüy, tu dois bien sçavoir apres tant de mespris Que de tous tes travaux la mort sera le prix, Puis que si tu ne peux oublier cette belle, Tu ne dois esperer que de mourir pour elle : Faisons donc un effort pour finir nos douleurs; Arrestons nos souspirs, ne versons plus de pleurs, Mon cœur ne prions plus une femme inflexible, N’en esperons plus rien puis qu’elle est insensible, Et que c’est un rocher qu’on ne peut esmouvoir : Amour, maistre des Dieux, j’implore ton pouvoir; Mais d’où vient ce transport et quelle est ma foiblesse, J’invoque pour guerir le tyran qui me blesse, Et voulant une main pour briser mes liens, J’appelle à mon secours celle dont je les tiens. Monsieur, je crois qu’il dort,         gardez qu’on ne l’esveille. O tourment sans remede ! ô rigueur sans pareille ! Il resve, approchons nous,         ah ! desirs superflus, Nous apprendrons son mal,         non, non, n’esperons plus, Il faut mourir,         Monsieur, il ne dort pas sans doute, Il se plaint seulement,         approchez, qui m’escoute, Erostrate, est-ce vous ?         Seigneur, sa Majesté M’envoyait informer,         de quoy, de ma santé ? Oüy, Seigneur, mais ô Dieux j’observe dans sa veuë, Le trouble de ses sens. Vous avez l’ame esmeuë ? Il est vray,         quels objets avez vous veu ce jour ? Sans doute il sçait mon mal,         sans doute c’est l’amour, Et je viens maintenant de veoir sortir la Reyne, Feignons bien, mais Seigneur, tirez moy donc de peine, Stratonice, a ce mot le poux luy bat plus fort, Je cognois maintenant d’où luy vient ce transport, Que voulez-vous me dire, achevez Stratonice. Seigneur, si vous voulez que je vous obeisse, Il me faut advoüer ce que je vous diray, Si c’est la verité je la confesseray, Confessez donc, Seigneur, que la Reyne a des charmes Qui sont depuis long-temps le sujet de vos larmes, Et que c’est son amour qui cause vos langueurs, Ce n’est pas son amour, mais ce sont ses rigueurs, Puis qu’elle vient encor d’en advertir mon pere, Mais feignons, sçavez vous qu’elle est ma belle mere, Et m’osez vous tenir ce discours indiscret, Sçachant que je suis sage, et que j’ay du respect, Puis que mon sentiment vous desplaise et vous fasche, Il faut que je me taise et que je vous le cache : Non, ne me celle rien. Sans doute elle l’a dit, D’où l’avez vous appris ? Il paroist interdit : Seigneur, j’ay remarqué que quand vous l’auriés veuë, Vostre poux,         c’est assés, ta fourbe m’est connuë, Va-t’en, retire-toy, tu n’es pas assez fin, Je te tiens Courtisant et mauvais Medecin, Ne me parle jamais avec tant de licence, Moy cherir, Stratonice, ah, Dieux ? quelle insolence ! Mais mon pere t’envoye, et c’est son ordre expres Qui te faisoit icy m’observer de si pres, Sans cela tu verrois jusqu’où va ma collere, A Dieu je te pardonne à cause de mon pere, Ne te monstre jamais,         Il voulait feindre en vain, Et j’ay bien reconnu quel estoit son dessein, Mais Dieux, mon pere sçait que j’aime Stratonice : Ah ! destins, il est temps que ma flâme perisse, Je dois pour l’arracher faire un dernier effort, Et si je dois aimer ce n’est plus que la mort : Car comment veoir mon pere apres un si grand crime, Et comment appaiser le courroux qui l’anime, De quel air soustenir les plaintes qu’il fera, Et comment endurer tout ce qu’il me dira. Je ne puis ny ne dois attendre ses reproches, Non, non, il faut courir aux remedes plus proches Par des moyens plus doux, je me puis contenter, Le trespas vient s’offrir, et je dois l’accepter, Aussi bien Stratonice en m’ostant l’esperance Me fait veoir cette vie avec indifference, Et comme elle est l’objet qui me la fist cherir : Alors qu’elle me hait, c’est quand je dois mourir; Mourons donc, et rompant l’appareil que je porte, Faisons r’ouvrir ma veine afin que mon sang sorte, Et si l’on m’en tira pour me faire guerir, Tirons-en maintenant à dessein de mourir ? Mais justes Dieux, il coule et sa chaleur extréme, Enseigne en s’exallant que je brusle et que j’ayme, Amour cruel, autheur du mal que j’ay commis, Ennemy le plus grand de tous mes ennemis : Demon qui te nourris des pleurs des miserables, Et qui fais des amans pour faire des coupables : Si j’eusse reconnu ton naturel ingrat, Ou si j’estois encor en mon premier estat, Bien loing de me soubmettre à ton injuste envie De te sacrifier mon repos et ma vie, Et de noircir ma gloire en bruslant de tes feux, Je m’empescherois bien de te faire des veux, Je romprois tes Autels, je razerois tes Temples : Et pour faire cesser tant de mauvais exemples Je te ferois haïr et chasser en tous lieux, Et te ferois oster du nombre de nos Dieux. Mais le sang que je pers m’approche au dernier terme, Mon œil s’appesantit, ma paupière se ferme, Je succombe, et perdant la lumière du jour, Je meurs du seul regret d’avoir eu de l’amour. Arthemidore ayant veu les mal-heureux effects que l’amour avoit causez en la personne d’Antioque, prie l’Enchanteur de guerir encor son esprit de la jalousie dont il estoit preoccupé. Ce qu’il fait aussi-tost, luy proposant l’Histoire d’Emilie Gentil-homme de la ville de Sybaris, lequel avoit une jeune femme tellement amoureuse de luy, qu’elle passa de l’excés de l’amour à celuy de la jalousie : Ce qui faisoit qu’il ne pouvoit s’éloigner d’elle, qu’elle ne crût que s’estoit à dessein de la tromper : tellement qu’un jour comme il sortoit de grand matin pout aller à la chasse, elle le suivit, et le voulans observer se cacha dans un bocage : mais son mary voyant remuer des feuilles, et pensant que ce fut quelque proye tirant dessus la blessa dans le bras, ce qu’ayant recogneu il se desespere et détrompe le mieux qu’il pût, cette femme que les Dieux avoient punie par la main, et cause de cét exercice jalousie qui l’aveugloit sans cesse, et l’empeschoit de leur rendre les devoirs que leurs puissances souveraines exigent de tous les mortels. Je connois maintenant la force de ces flâmes, Qu’un indiscret amour allume dans nos ames, Je sçais qu’il est aisé d’en triompher d’abord, Mais qu’apres on en fait un inutile effort; L’exemple que j’ay veu me fait bien reconnoistre Que ce feu peut s’esteindre au moment qu’il peut naistre, Mais que si nous aimons l’atteinte de ces coups Lors nostre guerison ne dépend plus de nous : Pour t’obliger encor à m’aimer davantage, Je veux te faire veoir l’excez de cette rage, Te monstrer en tableau tous les maux qu’elle a faits, Et comme elle produit de dangereux effets, Et met dedans nos cœurs un vert de jalousie Qui jette nostre esprit dedans la frenaisie Qui deprave nos sens qui nous fait tout blasmer Et condamner souvent ce qu’il faudroit aimer. Je vais te faire veoir une indiscrete femme Qui se laisse emporter à l’ardeur de sa flâme, Logeant dedans son sein de dangereux soupçons Qui troublent son repos en diverses façons, Et malgré la raison et le tiltre d’espouse, Va jusqu’à la folie en devenant jalouze, En blasmant sans raison celuy qui nuict et jour Adoroit ces beaux yeux qui causoient son amour. Tu verras jusqu’où va sa rage et sa manie, Tu la verras coupable, et tost apres punie En recevant du Ciel un juste chastiment : Entrons,         que de profit et de contentement. Madame, triomphez de cette jalousie, Estouffez ce boureau de vostre fantaisie, Rendez-vous le repos qu’il vous avoit osté, Et desillez vos yeux pour veoir la verité : Vostre espoux est trop sage, et vous estes trop belle Pour croire qu’il s’adonne à quelque amour nouvelle, Car il ne peut pas veoir d’objet qui soit plus doux, Il n’en sçauroit trouver qui l’aime mieux que vous, Pour ne me point flatter par ce charmant langage Dis qu’il n’en peut trouver qui l’aiment davantage, Mais que malgré mes veux, ma constance et ma foy, Il n’en verra que trop qui vallent mieux que moy : Et c’est en quoy grands Dieux, je vous treuve blasmables D’assembler deux moitiez qui sont si dissemblalbles De joindre des deffauts à la perfection, Et si peu de merite à tant d’affection. Que ne me donniez-vous un espoux moins aymable, Si vous reconnoissiez que j’en fusse incapable ? Et puis qu’il meritoit tant au dessus de moy, Que ne luy donniez-vous quelque fille de Roy ? Ils eussent eu l’amour égal à leurs fortunes, Ils eussent eu la couche et la tombe communes, Et les ayant unis par cette égalité, L’un eut esté contant, quand l’autre l’eust esté; Mais pourquoy l’excuser, et pourquoy m’accuse-je, Mais pourquoy me haït-il, ou bien pourquoy l’ayme-je. Et toy qui nous joignis ! Ciel que ne permis-tu, Ou que j’eusse son vice, ou qu’il eut ma vertu, Qu’il ne fust point volage, ou bien que je la fusse, Qu’il ne me plut jamais, ou bien que je luy pleusse, Et que pour m’espargner tant de pleurs superflus, Je ne l’aimasse point quand il ne m’aime plus, Mais non, je ne veux point que ma flâme perisse : Oüy, je le dis encor, qu’il m’aime ou me haisse, Qu’il mette dans ses bras l’object de son desir, Qu’il y pasme d’amour de gloire et de plaisir, Et que pour augmenter le regret qui me tuë, Il me fasse appeller pour en avoir la veuë Malgré tout le despit qui pourroit m’animer L’ayant tousjours aimé je veux tousjours l’aimer, Rien ne m’empeschera, mais Dieux, que veux-je faire ! Non, non, je dois plustost r’allumer ma colere, Et preste à veoir l’objet dont il est enflammé, Le hayr d’autant plus que je l’avois aimé : Allons, c’est par icy qu’il faut bien-tost qu’il passe, Madame, il n’a dessein que d’aller à la chasse : Non, non, il doit trouver dedans ces lieux secrets, Le coupable sujet de ses feux indiscrets : C’est icy qu’il doit veoir sa nouvelle maistresse Allantir dans ses bras le tourment qui le presse, Et qu’au mespris d’Hymen, d’amour et de sa foy Il me nomme jalouse, et se moque de moy, Mais il faut desormais que mon courage esclatte, Il faut pour un ingrat que je devienne ingratte, Il faut que je haisse alors qu’on veut hair, Que je trahisse encor puisqu’on me veut trahir, Que je donne la mort à celuy qui me tuë, Et que je perde enfin celuy qui m’a perduë : Oüy, oüy, mon cœur changeons celuy qui nous changea, Songeons à nous venger, puis qu’il nous outragea Et sans nous souvenir de nostre amour extreme, Perdons-le seulement pour nous perdre nous-mesme, Il n’est point de milieu dans ces extremitez, La vengeance ou la mort sont de tous les cottez, Je veux perdre un ingrat quand je voy qu’il m’abhorre, Ou sa teste, ou son cœur doit, mais je l’aime encore, Et je reconnois bien par l’estat où je suis, Que je veux l’oublier, mais que je ne le puis. Ah ! Dieux, qui me voyez si triste et si pensive, Ou faictes que je meure, ou faictes que je vive, Rendez moy le tresor que je tenois de vous, Et me donnez enfin la mort ou mon espoux, Je ne vous presse point de pardonner un crime, Je ne demande rien qui ne soit legitime, Mon desir est borné des termes du devoir, Et je ne veux qu’un bien que je devrois avoir. Vous beautez qui bruslez d’illegitimes flâmes, Si parfois vos amans cherissent d’autres femmes, Vostre sort pres du mien n’a rien qui ne soit doux, Vous perdez un amant, moy je pers un espoux, Et vous enrichissant de la perte d’un autre, Vous pleurez quelquefois un bien qui n’est pas vostre, Mais dedans mon amour que la raison soustient, Je pleure seulement un bien qui m’appartient : Je pleure mon espoux, mais je le voy paroistre, Fuyons,         c’est ce qu’enfin j’en ai pû reconnoistre, Tout est gros et noüé, mais as-tu bien pû veoir, Quelle ramure il porte,     oüy,         fais le moy sçavoir, Il est bien cerf dix corps, sa teste est bien paumee, Fort ouverte, fort haute, et de plus bien sommee, Sa perlure est bien nee, et son pelage est gris, Il est fort haut de jambe, et devant qu’il soit pris, Je crois que nos coureurs reprendront leur haleine : Il faut que le plaisir se mesure à la peine, Mais je viens d’observer quelque chose de noir Au travers ce feüillage, et je l’ay veu mouvoir : Tirez,         ne parle point, c’est quelque belle proye, Et je la tiens à moy, pourveu que je la voye, Je ne sçaurois encor discerner ce que c’est, Je vay tirer pourtant puis que mon arc est prest, C’est un trait de perdu, n’importe,         ah ! miserable, De qui vient cette voix, et ce cry lamentable, Monsieur, qu’avez vous fait,         que voy-je justes Dieux : Las ! je viens de blesser ce que j’aymois le mieux, Madame,     laisse-moy, ne parle point,         Madame, Ma heine,     mon amour, divin objet         infame, Te ressouviens-tu bien que tu parles à moy, Va, rappelle tes sens, connois-moy, connois-toy, Mon visage n’a pas l’esclat que tu demandes En un mot, mes beautez ne sont pas assez grandes, Pour arracher de toy ces termes plains de feu : Bref, tu merites trop, et moy je vaux trop peu. Mauvaise n’accrois point la douleur qui me touche, Souffre que la raison me ferme icy la bouche, Et que je te condamne en un autre saison, Puis qu’il faut seulement chercher ta guerison, Amy son sang se pert, il faut que tu l’etanches Cependant que Phalante ira couper des branches Pour la porter dessus de peur de l’esbranler : Ingrat,     ne parle point,         non, non, je veux parler, Permets en cet estat que rien ne me contraigne, Et m’ayant fait des maux souffre que je m’en plaigne; Vous aigrirez vos maux,         je les veux bien aigrir, Puisque j’espere en eux les moyens de mourir. Quoy, n’avois-tu permis nostre sainct himenee, Que pour m’oster la foy que tu m’avois donnee, Ne m’enlevois-tu donc au comble du bon-heur, Que pour precipiter mes jours et mon honneur ? Ne m’avois-tu promis tant de rares delices, Que pour me mettre apres au milieu des suplices, Ne me carressois-tu qu’afin de me trahir ? Lasche, reproche moy la faute que j’ay faicte, Excuse ton erreur, c’est ce que je souhaitte, Pour te rendre innocent, cherche en moy des deffauts, Et m’accuse plustost avec des crimes faux. Alors que je sçauray pourquoy tu m’as changee Sans doute, ma douleur en sera soulagee, Et je seray contante à l’heure de ma mort, Si j’apprens qu’en vivant je t’accusois à tort : Mais, hélas ! j’ay bien peur de sçavoir le contraire Pour vouloir t’excuser je ne le sçaurois faire, Le desir que j’en ay ne peut rien en ce poinct, Car ton crime est visible, et le mien ne l’est point. Où sont, où sont ingrat tant de belles promesses ? Où sont tant de sermens, où sont tant de souspirs ? Où sont tes premiers feux et nos premiers plaisir ? Vous de qui la constance est encor inconnuë, Chere felicité, qu’estes-vous devenuë, Pourquoy dans nos beaux jours fuyez vous loing de nous, Ou pour en mieux parler pourquoy nous suiviez-vous, Las ! je ne connois plus vos faveurs innoüyes, Leurs charmantes douceurs se sont evanoüyes, Et je voy par les maux qu’elles me font souffrir Qu’un instant les fist naistre, et les a faict mourir : Ce sont de ces esclairs que les airs nous produisent, Qui meurent à nos yeux aussi-tost qu’ils nous luisent, Ce sont de ces clartez qui passent promptement, Et de qui tousjours l’estre est borné d’un moment. Mon cœur, tes sentimens sont trop dignes de blasme, Termine ces discours qui font tort à ma flâme, Ne me soupçonne point de te manquer de foy, Puis qu’il est asseuré que je n’aime que toy : Helas ! tu le peux veoir, à ma douleur extréme, Car depuis ton mal-heur je ne suis plus moy-mesme; Et je sens dedans moy tant de vives douleurs, Que tout ce que je puis est de verser des pleurs. Je ne me connois plus, tous mes esprits se troublent, Mon déplaisir s’accroist, et mes craintes redoublent, Chasque objet m’est fascheux, tout me parle d’horreur, Tout me deffend l’espoir tout me met en fureur, Et me faisant songer au crime que je pleure, Tout rappelle mon deüil, et tout veut que je meure : Ah ! Ciel, si ta rigueur demandoit un objet, Tu debvois la verser sur un autre sujet, Et punir bien plustost une ame criminelle, Que d’en affliger une, et si noble, et si belle : Si tu voulois du sang que n’armois-tu ton bras Pour punir entre nous ceux qui te sont ingrats ? Que ne foudroyois-tu d’execrables impies En les sacrifiant à tes justes furies ? Ou si tu desirois celuy des gens de bien, Ton courroux justement pouvoit choisir le mien, J’ay tousjours respecté tes Autels et tes Temples, Tous mes devoirs pour eux ont esté sans exemples, Et les voyans suivis d’un si mauvais effet, Je voudrois maintenant n’en avoir pas tant fait. Apres ce que j’ay dit que tarde ton tonnerre ? Que ne fais-tu r’ouvrir le centre de la terre ? Que ne m’abismes-tu dans le creux des enfers Pour y souffrir des maux qu’on n’ait jamais soufferts ? Helas ! tout ce qu’il dit me semble veritable, Je l’aime, et mon amour rend le sien vray semblable, Car passant dans l’excez il me reduit au point, De croire ce qu’il dit pour ne l’affliger point. Cesse de t’affliger cher espoux, je te prie, Modere tes transports, appaise ta furie, Pardonne mes soupçons, excuse mon erreur, Et ne me montre plus ce qui me fait horreur. Puis qu’un excez d’amour me rendit criminelle, Fais que ce mesme excez rende ma faute belle, Et ne te fasche point de pardonner en moy Ce que tu voudrois bien que j’excusasse en toy : Il est vray, j’ay failly, je confesse mon crime, Et l’adveu que j’en fait le rendroit legitime, Si tu considerois bien loing de me blasmer, Que je ne l’avois fait que pour te trop aimer : Ah ! rigueur du destin, ah ! fortune barbare, Quoy, ce qui nous joignit est ce qui nous separe, Nous sommes des-unis par ce qui nous unit, Et ce qui fist nostre heur est ce qui le finit. Cest amour qui jadis faisoit nostre allegresse Est maintenant celuy qui fait nostre tristesse, Puis que nostre bon-heur seroit au dernier point, Sy devant nous quitter nous ne nous aimions point. Tu souffres pour me veoir justement enflammée, Et moy je souffre aussi pour me veoir trop aimée, Et t’estimant enfin, et t’aymant mieux que moy, Mon regret vient de veoir ce mesme amour en toy, Tu pleures mes langueurs, moy je pleure les tiennes, Je ressens tes douleurs, et tu ressens les miennes, Comme tu crains pour moy, c’est pour toy que je crains, Et ce n’est point mon mal, mais le tien que je plains Je voudrois en mourant soulager ton martire, Mais loing de l’adoucir, ce remede l’empire, Car puis qu’il faut souscrire à nostre mauvais sort, Comme que tu vis en moy, tu mourrois en ma mort. Ne te ressouviens plus de nos amours passees, Tu ne sçaurois guerir par de telles pensees. Ah ! destin, change un peu la rigueur de tes coups, N’espargne point ta femme, et conserve l’espoux : Vous grands Dieux immortels qui reglez toutes choses, Faictes que les effects respondent à leurs causes, Que la fin soit pareille à son commencement, Et qu’un juste principe ait bon evenement. D’abbord mille douceurs suivoient nostre himenée, Chacun estoit jaloux de nostre destinee, Et vous nous prodiguiez tant de bien-faicts divers Que nous en avions seuls plus que tout l’univers. Mais, helas ! ces faveurs n’ayant rien de vulgaire Nous ayant fait heureux ne nous le firent guere, Sans que nous changeassions leur nature changea : Et qui nous carressoit alors nous outragea, Nous ayant assistez vous nous abandonnastes, Nous faisant des plaisirs vous les empoisonnastes, Et nous connusmes bien en tombant de si haut Que vous nous esleviez pour faire un plus grand sault, Que jusque dans le Ciel vous aviez mis nos testes, Par ce que c’est l’endroit où se font les tempestes, Et qu’en nous punissant pres d’un si grand bon-heur, Nostre punition auroit plus de rigueur. Mais, helas ! justes Dieux, pourquoy vous accusé-je ? Lors que je parle ainsi je fais un sacrilege, C’est moy seule qui fais les malheurs où je suis, Et c’est moy seule enfin qui cause mes ennuis, Me laissant aveugler par l’amour de moy-mesme, Et me laissant conduire à sa fureur extréme, Mon esprit s’attacha tellement en ces lieux, Qu’en approchant la terre il s’esloigna des Cieux, Il oza mespriser vostre beauté supréme, Oublia son devoir, se mesconnut soy-mesme, Et ne vous rendant plus d’hommages souverains, Il adora pour vous l’ouvrage de vos mains : Mais ne laissant jamais un crime sans suplice, Vous luy fistes sentir quelle est vostre justice, Vous luy fistes trouver la mort dans les plaisirs, Et le fistes punir par ses propres desirs. Comme s’il eust esté de vostre intelligence, Vous ayant offencez il en tira vengence, Il se punit soy-mesme, et par un juste effet, Il fit en s’outrageant ce que vous auriez fait : Dans les bras de l’amour et de la joüissance, Il fit naistre un boureau dedans sa conscience, Il logea dedans luy ses plus grands ennemis, Et se perdit enfin quand vous l’eustes permis. Ah ! justes Dieux, faut-il que vous l’ayez punie Pour cherir son espoux d’une ardeur infinie, D’où vient que nostre himen a ce mauvais succez, Par ce que mon amour alloit jusqu’à l’excez : Oüy, t’ayant trop avant dedans la fantaisie, Je passay de l’amour jusqu’à la jalousie Qui me fist rencontrer du poison sur les fleurs, Et changea mes plaisirs en autant de douleurs. Infame passion qui bourelle nos ames, Et mesle ton venin dans les plus belles flâmes, Peste des amitiez, dragon pernicieux Qui trouble nostre esprit en nous fermant les yeux, Ennemy conjuré d’une saincte alliance, Enfant de la foiblesse et de la meffiance, Mais qui romps quand tu veux par tes moindres efforts, Les liens les plus doux, et les fers les plus forts : A Dieu ! retire-toy, je connois ta malice, Cherche quelqu’autre azille et quelqu’autre complice. Mais, helas ! c’est trop tard que mon cœur se repent, Je devois en naissant estouffer ce serpent, Et ne luy donner pas cette insolence extréme De trouver des deffauts dedans la vertu mesme, Je ne luy devois pas donner l’authorité De reigner en tyran dessus ma volonté, De troubler mon repos, de me rendre captive, Et d’esteindre à jamais une ardeur excesive. Quoy, ne peut-on aimer sans avoir de soupçons, Faut-il vouloir hair lors que nous cherissons Un vertueux amour produit-il ces pensees ? Non, non, c’est le tallent des ames incensees, Aussi pour me punir des maux que je t’ay faits, Je vais par mon trespas expier mes forfaits. Justes Dieux, ce discours augmente mon martire : Vivez,     conservez-vous,     ah ! je meurs,         ah ! j’expire. Monsieur, vostre brancart est à trois pas d’icy, Allons, si tu peris je veux perir aussi. L’Enchanteur ayant fait voir l’Histoire d’Emilie à Arthemidore, recognoit un grand changement en son esprit, voit clairement des marques de l’impression que ces exemples avoit fait sur luy : ce qui l’oblige de le faire encor r’entrer dans le Temple, pour luy monstrer en l’Histoire de Bisathie le tort que nous faisons, de croir aux premiers mouvemens que nous inspire la fureur et la hayne; car cette pauvre Infante estant devenuë esperdument amoureuse de Calpurnie, que son pere (le Roy des Massiliens) vouloit immoller, elle le garantit, et pour le sauver le cache en une maison d’une de ses confidantes mais ce malheureux Amant ayant trouvé l’occasion de sortir des terres de son pere en sortant de cette maison, s’enfuit avec le dessein de revenir voir Bisathie avec plus de seureté pour luy : mais lors qu’elle fut advertie de son départ, la colere l’aveuglant elle conçoit une hayne si grande contre luy, qu’elle promet ses biens et sa personne à quiconque r’ameneroit ce fugitif, et l’ayant en sa puissance ne veut point escouter ses raisons, le remet entre les mains de son pere, qui de sa chambre l’envoye au supplice, et laisse sa fille seule, qui commence à faire reflexion sur ce qu’elle avoit fait, et quelque temps apres reçoit une lettre de luy, par laquelle il l’asseuroit en mourant de sa fidelité; ce qui la jette tout à coup dans un profond desespoir, et la fait se resoudre à la mort, pour monstrer le regret qu’elle avoit de n’avoir pas resisté puissamment à ces premiers mouvemens de colere et de hayne, qui l’avoient transportée jusqu’au poinct de ne luy vouloir pas permettre de se justifier; Enfin l’Enchanteur ayant fait voir cette cinquiesme Histoire, prie Arthemidore de se retirer, de faire son profit de ce qu’il avoit veu, ce qu’il fait aussi-tost, le remerciant des bons offices qu’il avoit receus de luy, et le priant de luy faire voir les cinq autres Histoires qui luy promettoit au plustost, s’en va comblé d’allegresse et de joye, et guery de ces passions qui l’avoient si cruellement tourmenté. Ouy, tirant du profit de ces enchantemens Je commence à quitter mes premiers sentimens, Je commence à veoir clair au travers des tenebres, Et regardant d’un œil ces exemples celebres De l’autre j’apperçois les maux qui me suivroient Si j’allois laschement où mes desirs voudroient. Je fais reflexion de moy sur ces grands hommes, De leurs folles erreurs sur celles où nous sommes, Et reconnois enfin que si je vis comme eux Rien ne peut m’empescher d’estre moins mal-heureux. Apres un tel discours je ne plains point ma peine, Mais il nous reste encor à combattre la haine, Ce demon dangereux qui suit le faux amour, De mesme que l’on voit la nuict suivre le jour. C’est cette passion des sages condamnée Qui donne le trespas à ceux dont elle est née, Qui ravage, qui rompt, qui pert et qui destruit Le Temple le plus beau que le Ciel ait construit, Qui n’assouvit sa soif que dedans le carnage Qui suit aveuglement la colere et la rage, Qui ne pardonne rien dans ses premiers transports, Et qui traisne apres soy mille cuisans remords. Je te vais faire veoir une indiscrette infante Qui fait naistre en son cœur une amour imprudente, Qui luy fait oublier, et son pere et son Roy Pour sauver un amant qu’elle aime plus que soy; Mais le trouvant absent, et s’en croyant changée, Elle en perd la raison, en devient enragée, Et nous apprend enfin par les maux qu’elle a faits, Que la haine est estrange en ses moindres effets : Entrons, mais ayant veu cette derniere histoire Afin que le portrait s’en grave en ta memoire Lors que j’auray mis fin à cest enchantement, Viens aussi le conclure avec ton sentiment, Ouy, j’aimay ce perfide, et dans ma flâme extréme, Il m’estoit plus sensible et plus cher que moy-méme, Je le crus plus charmant qu’il n’est digne d’horreur, Et j’avois plus d’amour que je n’ay de fureur : Oüy, j’aimay ce perfide, ô souvenir funeste ! Du feu qui me brusla le seul plaisir me reste, Qu’il a perdu pour moy la force de charmer, Et que je le hay mieux que je n’ay sceu l’aymer. Justes ressentimens d’une Amante irritée, O vous par qui ma haine est si bien excitée ! Mouvemens furieux d’un esprit incensé ! Achevez, achevez l’ouvrage commencé; Perdez, perdez le traistre apres qu’il m’a perduë Ma gloire par sa mort me peut estre renduë, Faictes bien vostre office, et monstrez en ce jour Ce que la haine peut qui succede à l’amour. Quoy pour le delivrer j’aurois trahy mon pere, Je l’aurois garanti de sa juste colere, Et fait qu’il évitat un trépas asseuré, Et l’affronteur apres se seroit parjuré : Faut-il que sans vengeance il m’ait abandonnée Dans la foy qu’il me fausse, et qu’il m’avoit donnée; Non, perfide, ce bien ne t’arrivera pas, Mon amour empescha ton infame trépas, Mais si le juste Ciel seconde mon envie, Ma haine desloyal te coustera la vie; Mais je voy Felismene,         Hé bien le verrons-nous, Madame, je venois pour l’apprendre de vous, Mais songez-vous encor, à ce parjure infame Faut-il que sa memoire embarasse vostre ame, Puisque son souvenir vous afflige à ce poinct, Je croy que le meilleur est de n’y songer point; Oubliez le, Madame, et son erreur extreme En pensant vous tromper, il s’est trompé soy-mesme, Il s’est privé d’un bien qu’il ne meritoit pas Quand il a negligé de si charmants appas; Vous vouliez l’honorer d’une faveur insigne Par sa honteuse fuitte avec moins de chaleur Vous évitez, Madame un extréme malheur S’il vous eust plus long-temps caché sa perfidie Le dernier incident de cette tragedie Auroit esté funeste à vostre esprit deceu, Et l’affront bien plus grand que vous n’avez receu; Enfin il ne vaut pas que vostre esprit s’afflige, Ny la juste colere où l’ingrat vous oblige, Le mal qu’il a commis ne se peut trop punir, Mais, Madame, devant il faudroit le tenir, Vostre vengeance en tout me paroist legitime, Et ce n’est point à vous à pastir de son crime, Attendez que le Ciel vous donne ce pouvoir, Peut-estre quelque jour que vous pourrez l’avoir; Peut-estre me dis-tu, j’en suis bien asseurée, Je l’auray l’infidelle et sa mort est jurée, Mais ne me parle point d’oublier son forfait, Je me dois souvenir de l’affront qu’il m’a fait, Et mesme s’il se peut en accroistre l’image Afin que ma memoire entretienne ma rage; Mais toy qui m’a promis de venger mon amour, Quand auré-je le bien de te veoir de retour, Tu m’as donné la foy de me livrer ce traistre, Tu le peux, je l’espere, et je t’ay fait connoistre Que ce present funeste est le prix de mon cœur, Et l’unique moyen de t’en rendre vainqueur; Que mon impatience accuse ta paresse, Ou tu me manques d’amour, ou tu manques d’addresse, Ou tu n’oses me plaire, ou tu ne le peux pas, La crainte que j’en ay me donne le trépas; Haste-toy de venir si tu veux que je vive. Madame, on dit là bas que Philidan arrive, Il arrive, quoy ! seul ?         Madame, on n’en sçait rien : Va le sçavoir, j’attens ou mon mal, ou mon bien, Mon sang s’esmeut, je tremble, une frayeur secrete Semble me vouloir rendre immobile et muette, Que je sens à la fois de contraires desirs ! Va veoir si cet objet de tous mes déplaisirs Vient en nostre puissance, et dis qu’on me l’ameine, Mais arreste; ô mon cœur soulage un peu ta peine ! Respirons un moment devant que de le veoir, Mais Dieux ! je doute encor s’il est en mon pouvoir, Sçache-le, Felismene, et m’en viens rendre compte. O Dieux, pourré-je veoir cet objet de ma honte Sans arracher ses yeux causes de mon erreur: Non, mes mains apprestez vostre juste fureur, Et puisque son absence a troublé mes delices, Il faut que ma presence accroisse ses suplices, Mes yeux si vos appas ne purent l’enflammer, Cherchez dans vos rigueurs de quoy le consommer : Armez vostre lumiere et formez une foudre, Dont l’esclat l’esbloüisse et le reduise en poudre : O Ciel ! laisse un moment gouverner à mes mains, Celle dont tu punis les crimes des humains Que je prive un ingrat d’une ame criminelle De toutes la plus lasche et la plus infidelle Afin de signaler en cet evenement Ce que peut ta justice, et mon ressentiment. Qu’il meure, mais qu’il meure ô Dieux, est-il possible Que j’oze desirer un trespas si sensible, Ne patiré-je pas de sa propre rigueur, Et le puis-je punir sans affliger mon cœur, Mais que je suis timide, et que je suis changée, Je crains donc qu’il ne meure et d’estre trop vengée, Qu’estes-vous devenus inutiles transports, En cette occasion que vous estes peu forts, Comme si ma colere estoit illegitime, Une juste vengeance est donc pour vous un crime, Mon honneur la demande, ah ! n’y repugnez plus, Amour tu fais icy des efforts superflus, Laisse-moy satisfaire à ma derniere envie, Apres si tu le veux attente sur ma vie. Dans les bras de la mort on me verra courir Pourveu que je me vange avant que de mourir : Ah ! brutal, ah ! vollage indigne de ma flâme, Ta memoire odieuse est encor dans mon ame, Ton portrait qui se monstre à mon ressouvenir Me fait encor doubter si je te dois punir; O restes impuissans d’une amour incensée, Enfans desavoüez sortez de ma pensée, Pitié, ton indulgence offence mon esprit, Ta tendresse m’irrite, et ta douceur m’aigrit : Va, ne te fasche point de te veoir rebutée, Le perfide en fuyant ne t’a pas escoutée, Je ne dois pas t’entendre afin de me venger, Non, ma haine redouble au lieu de te changer, C’est ce qui me console, oüy, c’est mon allegeance, De sentir que mon ame aspire à la vengeance, Sus mon cœur, fais donc veoir de colere enflâmé, Qu’on ne peut trop haïr quand on a trop aimé Dans un si grand dessein ne sois plus incertaine, Qui méprise l’amour doit acquerir la haine, Le traistre par sa fuite attira dessus soy Le coup inesperé qu’il recevra de toy. Mais, ô Dieux, le voicy qu’on l’oste, qu’on l’entraisne, Non, je ne veux point veoir cet objet de ma haine, Je ne permettray pas qu’il s’approche de moy, Il faut qu’on le remete entre les mains du Roy Qu’il aille en ses prisons se vanter de ma flâme : Va cœur dissimulé, va parjure sans ame Sçavoir encor un coup si d’infames liens Te seront plus heureux et plus doux que les miens, Mais ne te charge plus du crime de rebelle, Te voylà convaincu de celuy d’infidelle, Et puisque le dernier a plus de lascheté, Attens de ton forfait ce qu’il a merité : Tu m’as méprisée, o qui l’auroit pû croire ! Je t’avois fait passer de la honte à la gloire, De la prison au trône, et de la nuict au jour, Et des mains de la mort en celles de l’amour, J’avois brisé tes fers pour me mettre à ta chaisne, Et ma captivité n’a gaigné que ta haine, Quoy lasche, ma pitié a pû te secourir, Et t’oster le dessein de me faire mourir, J’ay mis toute ma gloire à conserver la tienne, Et la tienne s’est mise à ruiner la mienne, Mais tu ne respons rien, perfide purge-toy De ton ingratitude, et de ton peu de foy. Quand tu t’es rebellé contre ton propre Prince, Que tu l’as assiegé jusques dans sa Province, Que dans une sortie on t’a fait prisonnier, Et qu’il se disposoit à te sacrifier : Dis-moy qui corrompit les gardes de la tour, Qui t’en donna les clefs, qui te rendit le jour, Et qui te mit apres dedans un seur azille, Ignoré de mon pere et de toute la ville, Et pour quelle raison tu voulus en sortir Sans le dire à Phalante, et sans m’en advertir; Pourquoy tu mesprisois une faveur insigne : Va lasche, va meschant, tu n’en estois pas digne, Je te mescognoissois en te donnant mon cœur, Et le tien qui le traitte en superbe vainqueur Par la facilité qu’il eust en sa victoire, Croiroit que son triomphe obscursiroit sa gloire, Son orgueil le desdaigne apres l’avoir conquis : Desloyal, tu l’avois injustement acquis, Tu l’as perdu de mesme, et mon ame offencée Deteste les erreurs de son amour passée, Et ne conserve rien de ton ressouvenir Que celuy de ton crime afin de le punir : Ah ! Princesse adorable, avez vous cette envie ? Pourrez vous concevoir tant d’horreur pour ma vie ? Au poinct où ma disgrace a mis vostre courroux, Je n’eusse jamais cru ce que je voy de vous, Amant, indigne objet de mon ame seduitte, Te pouvois-tu resoudre à cette lasche fuitte ? Au point où j’estimois ton courage et ta foy, Je n’eusse jamais cru ce que j’ay veu de toy : Ozas-tu me tromper ?         Dieux, le pouvez-vous croire, J’aurois esté Madame, ennemy de ma gloire, Mais oyez mes raisons,         as-tu quelque raison Qui te puisse excuser de cette trahison ? Oüy, Madame,         affronteur, cela ne sçauroit estre, Et tu ne peux nier que tu ne sois un traistre. Ma bouche et mon amour vous jure par les Dieux Que la peur seulement m’esloigna de ces lieux, Car me voyant sauvé des prisons d’un Monarque, Qui vouloit justement m’immoller à la parque Quoy que vous m’eussiez mis en lieu de seureté, Estant dans ses pays j’estois inquieté, Mais pour vous mieux tirer de cette erreur extréme, Si vous considerez vostre beauté supréme, Vous connoistrez, Madame, assez facilement Que vous vous abusez dedans ce sentiment, Vous aviez ma parole,         avois-tu pas la mienne, Gardez-la ma Princesse,         as-tu gardé la tienne ? Si j’ay fuy ce n’estoit qu’afin de revenir, Et je t’ay fait reprendre afin de te punir : Apres tant de douceurs me serez-vous si rude ? Elles parlent tousjours de ton ingratitude : Dieux ! que vois-je, qu’entens-je !         un trait de mon pouvoir, Quand tu te departis d’amour et du devoir, Tu ne croyois jamais ny me veoir ny m’entendre, Et c’estoit le seul fruict que je debvois attendre Des nobles sentimens que j’eus de ta valleur, Que de mourir de honte apres un tel malheur, Le Ciel qui favorise aux desseins legitimes Est celuy qui s’opose à la course des crimes, Il a pris ma deffence en cette occasion, Et retably ma gloire à ta confusion, Madame,         Va, perfide, ailleurs qu’en ma presence Protester de ma haine et de ton innocence : Mais, Madame,         perfide, oste-toy de mes yeux, Ton crime est detesté des hommes et des Dieux. Voicy le Roy, Madame,         ah ! Princesse inhumaine, Voulez-vous tousjours croire à vostre injuste haine, Prenez un fer, Madame, et vengez-vous de moy, Plustost que de me mettre entre les mains du Roy, Infidelle, ta mort seroit trop glorieuse : Ah ! que j’ay du malheur !         ah ! que je suis heureuse ! Sire, un sujet rebelle eschappé de vos mains Le plus lasche qui vive entre tous les humains, Que le pouvoir d’un Dieu dont la force est extresme Me rendoit cherissable à l’esgal de moy-mesme, Et qui m’avoit forcee en triomphant de moy De soustraire sa teste au decrets de son Roy, Cet homme, dis-je, Sire, à qui ma juste envie Estoit de conserver et l’honneur et la vie, Et que j’aurois cru digne avec trop de pitié D’espouser vostre fille et de vostre amitié, Ce miserable enfin dont j’ay pris la deffence Est icy pour laver son crime et mon offence, Et je demande aux pieds de vostre majesté Le juste chastiment de sa temerité : Sire, voyla ce traistre,         ostez le de ma veuë, On a fait son procez, je veux qu’on l’effectuë : Il n’est point de besoin de le mettre en prison; Helas, que ce rencontre esbranle ma raison. Pour toy dont l’imprudence est digne d’un suplice, Ton crime te soubmet aux loix de ma justice, Il arme ma colere, et conclu ton trépas, Mais ce qu’il a conclu le sang ne le veut pas : Dis-moy donc d’où te vint cet amour desreiglee; Et cette infame ardeur qui t’avoit aveuglee, Et qui t’alloit noircir d’un reproche eternel En te faisant aimer un homme criminel, Quoy, t’imaginois-tu qu’il pût t’estre fidelle Lors qu’il se declaroit traistre ingrat et rebelle, Et pouvois-tu penser qu’il te gardast sa foy, Puis qu’il n’en avoit point pour les Dieux, ny pour moy, Mais tu ne me respons qu’en baissant le visage : A Dieu, je ne sçaurois te parler davantage, Profite de ta faute et de tant de bonté. Vostre cœur a le bien qu’il avoit souhaitté, Madame, auray-je enfin le bon-heur que j’espere : Que veux-tu,     vostre amour,         laisse agir ma colere, Et dedans le mal-heur qui menace mes jours, Ne m’importune plus, et change de discours, Mais vous m’avez promis,         que pouvois-je promettre, Tout,         je le tiendray donc, mais laisse-moy remettre, J’obeis,         Il s’en va ce miserable amant Dessuz un eschaffaut mourir honteusement, N’y songez plus, Madame,         ah ! je suis enragée, En le deshonnorant je me suis outragée, L’arrest dont la rigueur le condamne à mourir M’oste l’espoir de vivre et de le secourir, Mon pere l’a jugé sans le vouloir entendre, O Dieux ! dans ce mal-heur, je devois plus attendre, Je n’eus point d’intervalle entre aimer et haïr, Pourquoy méchant, pourquoy me voulois-tu trahir, Mais que feray-je donc, mais que voudrois-je faire ? Laissons mourir un traistre, un lasche, un temeraire : Indigne de paroistre à la clarté du jour, Qui vouloit ta couronne et non pas ton amour, Qui te vouloit priver, et d’honneur, et de vie : Quoy le voudrois-tu suivre, il ne t’a pas suivie : Songe que par sa fuite il s’est mocqué de toy. Madame, le rebelle,         ô Dieux ! c’est fait de moy : En sortant du Palais pour aller au suplice D’une derniere grace a prié la justice : De quoy,         de vous escrire, et voyla son escrit, Donne, LETTRE.         Par vos rigueurs, je vay rendre l’esprit; Mais puis qu’elle vous plaist, ma mort est legitime, Je jure qu’en amour je n’ay point fait de crime Qui vaille un repentir, Et qu’à vostre couroux mon sang sert de victime En l’estat où je suis on ne doit pas mentir : Adieu belle Princesse, il est temps de partir : Quoy, seroit-il possible ah ! je suivray ta perte, En ouvrant ce papier ma tombe s’est ouverte, Le coup dont tu ressens la mortelle rigueur En t’ostant de mes yeux te remet en mon cœur, Ton sang qui va laver ton offence et ma honte, Ne m’excusera pas d’avoir esté trop prompte, Mais allons essayer de divertir ta mort : Madame, vous feriez un inutille effort, Tout le monde dira,         tout ce qu’il voudra dire, Mais il ne dira point l’excez de mon martire, L’ennuy dont sa disgrace afflige mes esprits A moins d’estre senty ne peut estre compris; Il peut dire en voyant la douleur qui me blesse Que l’esprit d’une fille a beaucoup de foiblesse, Que des traits de la haine, il est bien-tost armé, Qu’il la reçoit plus grande apres avoir aimé, Qu’il suit en sa colere une aveugle furie, Qu’apres il s’en repent, souspire, pleure et crie, Et tasche vainement de rappeller à soy Le passé qui depend d’une trop dure loy : O rigueur du destin captive imperieuse ! Qui des Roys et des Dieux te rends victorieuse, Jamais rien ne te touche, et tu ne voudrois pas Une fois seulement retourner sus tes pas : Acheve ton ouvrage, acheve impitoyable, Donne à ma violence un suplice effroyable, Puis que tu m’as forcée à destruire en ce jour Par un excez de haine, un miracle d’amour, Quoy, ne peut-on aimer et souffrir une absence, Et se doit-on venger des la premiere offence ? Quoy, sans trahir ma flâme et violer ma foy, N’eust-il pû se resoudre à s’esloigner de moy ? Ay-je bien consulté le sujet de sa fuitte ? O comble de misere où je me voy reduite ! Je reconnois trop tard pour excez de ma peine Que j’ay passé trop tost de l’amour à la haine; O mort, viens me punir, et monstrer en ce jour Que l’on peut repasser de la haine à l’amour. Tu me presses en vain d’en monstrer davantage, Il faut pour aujourd’huy terminer cet ouvrage, Et demeurant contant de ces Cinq Passions, Profiter sagement de leurs reflexions, Apprendre avec loisir quels sont leurs caracteres, En tirer doucement des advis salutaires, Et connoistre en faveur des speculations Qu’elles jettent l’esprit en des convulsions Qui troublent son repos, esteignent sa lumiere, Le font qu’il degenere à sa cause premiere, Rendant l’homme semblable aux moindres animaux S’il ne sçait gourmander ses appetits brutaux. Puis quand tes sentimens s’accorderont aux nostres, Quittant ces passions nous en vivrons cinq autres. Ce rayon dont des-ja vous m’avez esclairé, Me fait veoir maintenant un azille asseuré, Me dessille la veuë, et me fait reconnoistre L’assiette inébranlable, où nostre esprit doit estre, Et qu’il faut s’il veut vivre exempt d’afflictions Qu’il domine en tyran dessus ses passions, Et qu’il tesmoigne enfin par une force extréme, Que l’homme est tousjours libre et maistre de soy-mesme, Qu’il se rend comme il veut, ou plus foible, ou plus fort : Et qu’il fait à son gré, son bon, ou mauvais sort : Ce sont les sentimens et les doctes maximes Que je viens de tirer de ces discours sublimes : Oüy, d’un faux poinct d’honneur j’estois inquieté, Mais vous m’avez guery de cette vanité, J’estois ambitieux, j’ay reconnu ma faute Et mon ambition est maintenant plus haute, Mon cœur brusloit d’amour, j’avois l’esprit jaloux, Mais vous m’avez armé pour en parer les coups : Bref, j’avois de la haine, et par vos bons offices Si je hay maintenant, ce ne sont que les vices, Et je connois enfin ayant ouvert les yeux, Qu’alors que l’on pardonne on imite les Dieux, Et que l’on participe à leur divine essence Faisant un action digne de leur puissance, Car la seule vertu les rendant bien-heureux, Nous sommes ce qu’ils sont quand nous faisons comme eux; Mais Adieu, souviens-toy de toutes ces merveilles, Descris-en par tes vers les beautez sans pareilles, Afin que nos neveux un jour en les lisant, Y puissent rencontrer l’utile et le plaisant.