Monsieur, je suis votre serviteur. Pourriez-vous me faire un plaisir ? Quel plaisir voulez-vous de moi ? Je voudrais bien vous prier de garder ma boutique et surtout ma fille. Monsieur, d’un tel embarras je ne me soucie point : mais vous avez votre domestique Pierrot ; qui fera votre affaire. Vous êtes bien peu complaisant. Je vais donc appeler mon domestique. Pierrot, holà, Pierrot. Monsieur, qu’y a-t-il pour votre service ? Il faut que tu représentes ma personne, et que tu sois l’économe de ma maison. Ma foi, monsieur, je ne puis servir de colonne à votre bâtiment. C’est de garder ma boutique, et d’avoir soin surtout de ma fille. Ma foi, Monsieur, je veux bien me charger de garder votre boutique, et non pas votre fille, parce que c’est une marchandise qui est comme de l’eau de la reine de Hongrie ; sitôt qu’on la laisse éventer, la saveur s’en va : une fille est de même. Ainsi, monsieur, vous pouvez bien la garder vous-même. Va, va, maraud que tu es : va dire à ma fille qu’elle vienne me parler. Monsieur, je m’en vais dans l’instant. Que souhaitez-vous, mon cher père. Ma fille, approchez quand je vous parle ; je vais partir pour aller en marchandise chercher des draps qui me manquent, et je veux que dans ma boutique il ne soit rien vendu en mon absence. Cela paraîtra tout à fait ridicule. C’est à cause de cela que l’on m’appelle le marchand ridicule. Mais, mon cher père, de quelle façon voulez-vous que je renvoie les marchands ? Ma fille, quand il viendra quelque marchand vous demander du drap, et qui vous dira : mademoiselle, n’auriez-vous pas un beau drap d’Hollande à me vendre ? Il faut lui répondre : vraiment nenni, monsieur ; par là vous conserverez votre honneur et votre réputation. Cela suffit, mon cher père, je n’y manquerai pas. Adieu, ma petite fille. Adieu, mon cher papa. Dis-moi, coquin, depuis le temps que je te cherche, d’où viens-tu ? Ma foi, monsieur, j’étais à la garde-robe à faire des vers. Comment, impertinent, est-ce là une place pour faire des vers ? Mais, Monsieur, chacun se met où il peut. Que voulez-vous de moi ? Il faut que tu t’en ailles tout à l’heure de ma part chez Janbroche, mon marchand ordinaire, me chercher tout l’équipage d’un gentilhomme. Mais, monsieur, sans trop de curiosité, pour quelle occasion ? C’est que je suis sur le point de me marier. Mais, monsieur, que ne vous mettez-vous sur la dentelle, cela est plus propre que le point. Animal que tu es, ce n’est pas cela : je veux prendre une femme. Ah ! Monsieur, je vous entends : c’est que, comme vous savez que j’ai besoin de femme, vous en prenez pour moi et pour vous ? Impertinent que tu es, sache que si je prends une femme, que ce n’est point pour un impertinent comme toi, et que c’est pour moi. Eh bien, monsieur, si en tout cas elle se perd, vous la pouvez cherchez tout seul. Ça, ça, point tant de verbiage, fais ma commission au plus vite. Mais, monsieur, où demeure-t-il ? Tiens, voilà sa porte, marche. Cela est bon, monsieur, j’y vais. Va, va, compère, je m’en vais ferrer la mule. Mais comment veux-tu ferrer la mule. On ne t’a pas donné de l’argent ? Tu as encore raison, je m’en vais, l’appeler... Monsieur, monsieur, vous ne m’avez point donné de l’argent ? Va, va, c’est mon marchand ordinaire, je ne paye qu’à l’année. Bon ; nous voilà pas mal : je comptais ferrer la mule, et je ne ferrerai pas seulement le bourriquet. Monsieur Janbroche, je suis votre serviteur. Impertinent que tu es, ne vois-tu pas que c’est mademoiselle sa fille ? Eh bien ! J’embrasserai mieux la fille que le père. Mademoiselle, avez-vous du drap de Hollande ? Vraiment nenni, monsieur. Vraiment nenni, monsieur... Ma foi, monsieur, je n’en sais rien, et vous pouvez appeler votre domestique Pierrot. Pierrot ! Monsieur, depuis que je ne vous ai vu, il y a bien des nouvelles. Qu’est-ce que c’est que ces nouvelles ? C’est que les mâles couchent avec les femelles. Bête que tu es : de tout temps cela a été, et de tout temps cela sera. Hé bien, monsieur, puisqu’il faut que cela soit, je vous dirai qu’il y a un gros garçon couché avec mademoiselle votre fille. Comment ! Un garçon couché avec ma fille ! Me voilà perdu d’honneur et de réputation. Mais, monsieur... mais, monsieur, laissez divertir la jeunesse. Mais, monsieur, rendez-moi donc ma culotte. Tiens, voilà ta culotte. Monsieur, dites-moi un peu, n’auriez-vous pas vu mon coquin de domestique ? Monsieur, me voilà. Ah ! Monsieur, si vous allez crever le baril à la moutarde, elle va vous sauter aux yeux. Malheureux : Dans quel équipage es-tu ? En m’allant baigner, des petits fripons, monsieur, m’ont volé ma culotte. Maraud, si tu ne me dis la vérité, je te vais rouer de coups de bâton dans l’instant. Monsieur, tenez, ne vous mettez pas en colère. Je vais vous dire la vérité ; comme la fille de Monsieur Janbroche avait peur, elle m’a prié d’aller coucher avec elle, et moi, fort obligeant, je n’ai pu la refuser. Va, va, tu es un malheureux, il faut que tu l’épouses. Bon, bon, tant mieux, voilà mon affaire.