Souvenir importun qui trouble mes plaisirs, Tyran de mon repos, cause de mes soupirs, Image de mon fils qui me poursuis sans cesse, Donne enfin quelque tréve à ma longue tristesse. Cher et funeste object de ma plus tendre amour, Gage qui ne fus mien que l’espace d’un jour, Present de la nature, et fruict de l’Hymenée, Felicité ravie aussi tost que donnée, Innocent mal-heureux de qui je plains le sort, Sans sçavoir si je pleure ou ta vie ou ta mort : Cesse cesse, mon fils, de troubler ma pensée, Du mortel desplaisir de ma perte passée. Ah ! Si depuis vingt ans je souspire pour toy N’ay-je pas satisfaict à ce que je te doy, Et nos mauvais destins me portent ils envie, Quand je pense un moment aux douceurs de la vie ? Ma douleur, c’est assez triomphé de mon cœur, Amour veut à son tour en estre le vainqueur, Et ce Dieu des plaisirs me presentant ses charmes, Vient défendre à mes yeux de répandre des larmes. Cédons, cédons, mon cœur, et changeons en ce jour Nos soupirs de tristesse en des soupirs d’amour ; Aussi bien desormais ce seroit faire un crime, Que de ne pas respondre aux desirs de Maxime, Maxime en qui le Ciel versant tous ses tresors, A joint les biens de l’ame et les graces du corps, Maxime qui pour moy faict gloire du servage, Depuis un lustre entier que dure mon veufvage. Ah ! genereux amant trop digne d’estre aymé, Je sens que de tes feux mon cœur est enflammé, Et qu’en fin les froideurs qui t’ont faict resistance, Vont ceder à l’ardeur de ta perseverance. Mais miserable, helas! est ce donc ton dessein, De mettre derechef un vautour dans ton sein, Et suivant de nouveau les loix de l’Hymenée, Voudrois tu pour jamais te rendre infortunée ? Ne te souvient-il plus de ce soupçon jaloux, Qui jadis alluma la fureur d’un espoux Et t’arrachant un fils par un arrest severe Te rendit orfeline en mesme temps que mere ? Ou si ton esprit garde encor ce souvenir, Peus-tu voir le passé sans craindre l’advenir ? Helas ! ce triste object revenant dans mon ame, Destruict tous les desseins qu’avoit formé ma flame, Et bien loin de penser à terminer mon deuil, Je regarde l’Hymen de mesme qu’un escueil. Qu’ay-je dit, ame ingrate, amante sans courage, Est-ce là le devoir où l’amour nous engage ? Et quelle est cette loy qui m’ordonne aujourd’huy De punir mon amant de la faute d’autruy ? Ah ! déplorable estat où mon ame se trouve, Je n’ose consentir aux desseins que j’approuve, Contre mes propres vœux, mes vœux sont revoltez, Et je ne resous rien dans ces perplexitez. Madame, le Roy vient par la porte prochaine, Du balcon de la sale, on le peut voir sans peine, Le spectacle en est beau, tout le monde le suit. Allons voir.         Il est pres, j’entens desja du bruict. Enfin la tyrannie a perdu son azile, Ravenne a succombé, cet Empire est tranquile, Et le plus obstiné de tous nos ennemis, Le fleau de l’Italie, Odoacre est soumis. C’estoit pour vous Romains que je faisois la guerre, Ce fut pour vous encor que je quittay ma terre, Mais quelques grands que soient tous mes travaux passez, Vostre accueil aujourd’huy les a recompensez. O vertu, que tes fruicts ont de douceurs extrémes Quand ils ne sont produicts que pour l’amour d’eux mesmes ! Qu’il est beau de regner lors qu’on a combatu ! Et qu’un throsne a d’appas que donne la vertu ! Voicy Boece,         Ah Dieu ! je voy donc ce grand homme, Qui soustient aujourd’huy la puissance de Rome, Boece levez vous,         Grand Prince souffrez moy. Ah ! c’est trop, levez vous.         J’obeys à mon Roy. Sous vos lauriers, Seigneur, à l’abry du tonnerre, Rome croit que le Ciel ne hait plus tant la terre, Et qu’il a faict dessein de se montrer plus doux, Depuis qu’il luy destine un Prince tel que vous. Le peuple vous l’a dit par ses larmes de joye ; C’est pour vous l’expliquer que le Senat m’envoye, Heureux si mes discours dans un si beau dessein, Respondoient à l’ardeur que je sens dans mon sein. Romains, qui dans vos cœurs benissez ce grand Prince, Qui vient porter la paix dedans vostre Province, Tournez vos yeux sur moy, venez de tous costez, Tachez de m’inspirer ce que vous ressentez. Autrefois, dites-vous, la puissance Gottique, Aterra la grandeur de votre Republique, Rasa le Capitole, et tous ses bastiments, Où Rome conservoit ses plus beaux monumens. Aujourd’huy ce grand Roy par la mesme puissance, Restablit cet Empire en sa magnificence, Et par un pur motif de generosité, Va rendre à vos palais leur premiere beauté, Mais comment peut-on voir dedans l’ordre des choses Deux differens effects de deux semblables causes? Ceux qui nous hayssoient sont nos meilleurs amys, Ceux qui nous ont perdus nous ont aussi remis. C’est, Romains, que le Roy des autheurs de nos plaintes Ne servoit autre Dieu que des Idolles feintes, Où les Demons parlant avec authorité Commandoient le desordre et l’inhumanité. Mais ce grand Roy, qui vient reparer nos ruines, Adore le vray Dieu qui deffend les rapines, Cette source de bien, ce Dieu dont les decrets Ne respirent qu’amour, que douceur, et que paix. C’est de cette bonté qu’il se faict des exemples, Qu’il apprend à pleurer nos maisons, et nos temples, Qu’il aprend à regner seulement dans les cœurs, Et de ne les forcer qu’avecques des faveurs. Qu’il vienne donc chez nous recevoir la couronne, Que moins que nos souhaits la victoire luy donne : Il est juste, Romains, que le plus grand des Roys, Au plus grand des estats donne aujourd’huy des loix. O Prince desirable à qui Dieu sert de guide ! O Senat bien-heureux où ce Prince preside ! Soient tous vos jugements si remplis d’equité Qu’on les donne en exemple à la postérité ! Boece, dans ce vœu je vous trouve admirable, La justice est chez nous d’un prix inestimable, Et de tous les surnoms dont on peut me flater, Celuy de Juste seul me pourroit contenter. Qu’un Prince est fortuné qui sans remors de vice Par ce nom se croit faire à soy-mesme justice, Et qu’un peuple est heureux de vivre soubs des Rois Qui tirent leur splendeur du lustre de leurs loix ! Mais comme rarement on porte à nostre veuë L’object ou le recit d’une verité nuë, Comme on nous la déguise avec des ornemens, Pour en tirer tousjours nos divertissemens, Il est bien mal-aisé que soubs cet artifice Les yeux d’un Prince seul découvrent la justice, Et c’est en ce subject qu’un sage potentat, Doit consulter l’esprit d’un ministre d’estat, Dont la felicité, la science et l’adresse, Esgalent s’il se peut les vertus de Boece. Cest exemple Seigneur         Est sans comparaison, Et mon choix en doit estre une bonne raison : Ouy ! je vous ay choisi pour le bien de la terre, Pour dispenser au monde, et la paix et la guerre, Pour vous charger des soins que je ne puis porter, Pour regner avec nous et pour nous assister. Je sçay que cet honneur illustrant vostre vie, Attirera sur vous, et la hayne et l’envie, Qu’on vous accusera des mal-heurs des Romains, Comme si les destins estoient entre vos mains. C’est du peuple ignorant la commune Maxime, Il croit que la faveur ne peut estre sans crime, Et qu’un juste dessein doit necessairement Produire dans sa suitte un bon evenement. Mais je sçay bien aussi que vous avez une ame, Qui ne s’estonne point pour un injuste blasme, Et qui peut demeurer dans la tranquilité, Aux cris tumultueux d’un peuple revolté ; Que l’amour de la gloire est le seul qui vous flatte, Que vous pouvez servir une patrie ingrate, Et qu’enfin vous sçavez qu’à de nobles esprits, La vertu de soy-mesme est le plus digne pris. Ainsi je croy qu’un jour vos Conseils et mes armes, Aux plus grands potentats donneront des alarmes, Remettront cét Empire en son premier esclat, Porteront loin du Rhin les bornes de l’Estat, Et feront confesser aux Maistres de la terre, Qu’il n’apartient qu’à nous de bien faire la guerre ; Que rien ne nous resiste où nous sommes tous deux, Et que sous nostre regne un peuple est bien-heureux. Que je le suis, Seigneur, de consacrer ma vie Aux importants emplois où mon Roy me convie. Cependant ce beau jour nous invite à sortir, Montons au Capitole, allons nous divertir, Voyons les raretez qu’on admire dans Rome. Mais que faict Sinderic ? c’est encore un grand homme, Que la seule vertu sans la faveur du sang, Esleve dans ma cour en un illustre rang. Seigneur il vous suivoit, mais un de ses Gens d’armes, Blessé mortellement aux dernieres alarmes, L’a fait vers l’Aventin reculer de cents pas, Voulant l’entretenir au point de son trepas. Allez voir ce que c’est ! Que je plains ces Portiques, Dont les restes brisez sont encor magnifiques ! Que ces arcs triomphaux qui s’offrent à mes yeux, Me font avec raison condamner mes ayeux, Dont l’aveugle courroux a destruict la structure, D’un ouvrage en qui l’art estonnoit la nature ! Rome que je te plains ! et que j’auray d’honneur Si je puis quelque jour restablir ton bon-heur ! Je sçay que tous les jours ce Prince magnanime, Par de semblables soins me monstre son estime, Qu’il donne à mes travaux l’honneur de nos combats, Et ne croit triompher qu’en faveur de mon bras, Mais à quelque degré que se porte ma gloire, Et quelques doux que soient les fruicts de la victoire, Je n’ay pu m’estimer ny grand ny fortuné, Que depuis un advis que Tulle m’a donné, Icy tu concevras des desseins magnifiques, Dignes de mon courage, et des armes Gottiques, Pour le bien de l’estat, pour la gloire du Roy ; Mais pourtant cét advis ne regarde que moy. Quoy se peut il trouver encore quelque avantage, Au de-là des faveurs dont le Roy vous partage ? Pour moy, considerant l’estat où je vous voy, Vostre appuy, vos tresors, vos charges, votre employ, Quoy que vous en disiez j’ay de la peine à croire, Que le Ciel vous reserve une plus haute gloire. Emile, il est certain que l’amitié du Roy Sembloit avoir versé tous ses bienfaicts sur moy. Avant que ce grand Prince eust attaqué Ravenne, J’estois simple soldat, il me fit Capitaine ; Et cette qualité m’aquist tant de renom, Que je fus estimé de l’Empereur Zenon. Depuis entreprenant ce siege memorable, Il n’a jamais cessé de m’estre favorable, Et je confesse icy que son affection, Est allée au de-là de mon ambition, Lors que pour honnorer ma derniere victoire, Il m’a donné le rang de prefect du Pretoire. Ainsi ne pense pas que je ne sçache bien, Et quelle est ma grandeur, et de quoy je la tien ; Sans cesse à mon esprit cét object se propose, J’en ressens les effects, j’en respecte la cause. Mais il est vray pourtant, cher et parfaict amy, Que je ne goutois pas ma fortune à demy, Quand parmy tant de pompe, et de magnificence, Je pensois que l’envie attaquoit ma naissance ; Et que nos courtisans murmuroient sourdement, De voir un incogneu traicté si noblement. Enfin cét heureux jour me fournit la matiere, Et d’un plaisir parfaict, et d’une gloire entiere. Si le discours de Tulle est une verité, Rien ne peut s’opposer à ma felicité ; Ce n’est plus la faveur qui me faict Gentil-homme, Je suis d’une maison qu’on respecte dans Rome, Je suis d’un sang illustre, et parmy mes aieulx, L’histoire des Romains a mis des demy-Dieux. Tu ne dis mot, Emile, apres cette nouvelle, Qui me doit couronner d’une gloire immortelle ? Et tu peux endurer qu’il te soit reproché De paroistre insensible où je suis si touché ? Croyez-vous que la joye ait moins de violence Lors qu’elle nous contraint de garder le silence ? Comme trop de lumiere empesche de bien voir, Trop de plaisir abat, et ne peut esmouvoir, J’en ressens les effects, cher amy que j’honore, J’ay vos ressentiments, et j’ay les miens encore, Et mon cœur accablé succombe à cét assaut, Par l’excez de la joye, et non par le défaut. Ce n’est pas, Sinderic, qu’estant noble de race, Vous teniez dans mon ame une plus haute place ; Depuis que je cognoy vos rares qualitez, Vous possedez chez moy ce que vous meritez, Mes sens à vostre abord vous dresserent un temple, Et ma raison depuis a suivy leur exemple. Je ne regarde point ny naissance ny rang, J’adore la vertu sans m’informer du sang : Nobles ou de bas-lieu, n’importe qui nous sommes, C’est la seule vertu qui fait les gentil-hommes. C’est là mon sentiment de mesme que le tien, A parler proprement la naissance n’est rien ; Une suite d’ayeulx renommez dans l’histoire, Et tout ce qu’ils ont faict ne faict pas nostre gloire. Confesse toutesfois que le lustre du sang Parmy les gens d’honneur n’a pas perdu son rang, Et qu’enfin la vertu de noblesse parée, Est plus considérable et plus considérée. Ce pasle et vieux demon, cette peste des cours, Ce serpent affamé qui se ronge tousjours, L’envie, en rencontrant ce meslange honnorable Tempere son venin, et devient plus traitable : Ouy, le merite joint avec l’extraction Triomphe tous les jours de cette passion ; Et l’on voit rarement des vertus enviées Quand avec la naissance elles sont aliées: C’est la reflexion que je fais à present, Je considere icy l’honneste et le plaisant, Et ne parle en faveur des naissances augustes, Que pour te faire voir que mes transports sont justes. Je te le dis encor, je croy mon-heur parfaict, Si mon sang est illustre au point qu’on me l’a faict, Et si le ciel reserve un tel bien à ma vie, Il porte ma fortune au dessus de l’envie. Mais ne sçauray-je point vostre histoire ?         Suy moy. Je m’en vay de ce pas la raconter au Roy, Et luy faire sçavoir que l’esclat de ma race, Ne dément point le rang où m’esleve sa grace. Fin du premier Acte. Quoy ! Vous estes Romain et du sang des Monarques ? Oüy Seigneur !         Vos vertus en sont de bonnes marques, Quand votre bouche a teu d’où vous estes sorty, Vos belles actions nous en ont adverty, Tant d’exploits signalez, la prise de Ravene, Les rebelles soubs-mis, Odoacre à la chaine, Et ce que tous les jours vostre bras entreprend M’ont bien persuadé que vous estiez né grand : Mais pourquoy si long-temps cacher votre naissance ? Seigneur je n’en avois aucune connoissance, Ce fut seulement hier qu’un de vos vieux soldats, Mortellement blessé dans nos derniers combats, Me dit que ma maison estoit dans l’Italie, Que j’avois pour parens, et Lépide, et Julie, Que ma mere estoit veufve, et qu’il mouroit contant M’ayant peu descouvrir ce secret important. Mais vous ayant nommé ceux qui vous ont faict naistre, Qu’est-ce qu’il adjousta pour vous faire cognoistre ? Il ne me dit plus rien, la mort trancha ses jours Sur le point qu’il vouloit poursuivre son discours. Ce deffaut pourroit nuire à quelque ame commune, Sans vertu, sans amis, sans valeur, sans fortune, Qui voudroit s’enrichir des biens de sa maison, Mais tousjours Sinderic aura trop de raison. Il n’est point de famille en toute l’Italie, Qui ne doive envier le bon-heur de Julie, Si parmy ses ayeulx plusieurs Roys sont contez, Ils eurent la couronne, et vous la meritez ; Pourtant si l’interest ou de raisons secretes, L’obligent à choquer le dessein que vous faictes, Je luy feray sçavoir qu’elle s’en prend à moy. C’est trop pour un subject.         C’est trop peu pour un Roy. Mais je croy que Julie a trop bonne conduitte, Pour ne pas approuver vostre juste poursuite, Le merite et le sang ont beaucoup de pouvoir, Donc sans perdre du temps allez-vous en la voir, Employez vos efforts pour vous faire cognoistre, Vous devez ce respect à qui vous a fait naistre, Quelque rang qu’aujourd’huy vous teniez dans l’estat : J’en sçauray le succez au sortir du Senat. Mais, Emile, est-il vray qu’on croit dans l’Italie, Que Lepide n’eust point des enfans de Julie ? Il est bien assuré, n’en doutez nullement. Estouffe tes desseins dans leur commencement, Mal-heureux Sinderic, il vaut mieux pour ta gloire ; Mais quoy puis-je souffrir qu’on trouve dans l’histoire, Que Sinderic vescut sans parens, et sans nom ? Ah ! c’est trop negliger l’honneur de ma maison ! Poursuivons jusqu’au bout notre recognoissance. Je croy que nous avons le droit et la puissance, Que c’est en ce suject ce qu’on peut desirer, Et que de leur secours je doy tout esperer. Mais si contre mes vœux on vient à recognoistre Qu’on m’a mal informé des auteurs de mon estre, Je perdray mon honneur en voulant le chercher, Et je decouvriray ce que je veux cacher. Dures extremitez où mon ame est reduite, Je ne puis approuver ny blasmer ma poursuite, Je me laisse emporter à deux divers desseins, Et le choix que je fais est celuy que je crains ; Je la veux voir pourtant cette illustre Romaine, Mais pour n’attirer pas, et ma honte, et sa hayne, Quand je l’entretiendray de mes adversitez, Ce sera seulement soubs des noms empruntez. Madame, est-il donc vray que le destin m’envoye, Apres tant de tourmens une si grande joye ? Est-il vray que Julie ayt eu pitié de moy ? Et qu’elle veuille enfin recompenser ma foy ? Vous m’aymez ! Ah bon-heur à qui tout autre cede ! Est-il vray qu’aujourd’huy Maxime vous possede ? Est-il vray qu’il en doute ? et qu’il ne cognoist pas Que son manque de foy me donne le trepas ? Quoy n’est-ce pas assez vous découvrir mon ame, Que de pousser pour vous tant de souspirs, de flame ? Vous diray-je que j’ayme !         Ah ! dittes le cent fois ! Ah ! parole charmante ! Ah favorable voix, Qui remplissez mon cœur de joye et de merveille, Ne vous lassez jamais de frapper mon oreille ! Vous m’aymez !     Je vous ayme !         Ah ! quel comble d’honneur ! D’où naissent mes plaisirs !         D’où naist tout mon bon-heur. Regnez, Theodoric, et sur nous, et sur Rome, Possedez tout l’honneur que peut avoir un homme, Faictes vous adorer sur les plus saincts Autels Que la religion consacre aux immortels, Je ne changeroy point vostre pouvoir supreme, Avec ces quatre mots, Maxime je vous ayme. Quelqu’un entre !         Le Roy desire de vous voir. Faut-il donc vous quitter ! tyrannique devoir, Oses-tu de l’amour attaquer la puissance ? Mais il faut se resoudre à ce moment d’absence, Enfin le Roy le veut, Adieu.         Dans cet instant Je sens que de son bien mon cœur n’est pas content, Ses souhaits luy font peur, ce qui luy plaist le trouble, Je le veux asseurer, mais sa crainte redouble, J’ayme pourtant Maxime autant que je le puis : Helas ! ce n’est pas luy qui cause mes ennuis. Quoy Madame, estre triste au point que l’Hymenée Doit selon vos souhaits vous rendre fortunée ! Quoy  ne sçavez-vous pas que peut-estre aujourd’huy Il vous donne Maxime en vous donnant à luy ? D’où peut donc proceder cette morne tristesse ? D’un peu de prevoyance, et d’un peu de foiblesse, Voyant que mon bon-heur est sans difficulté J’ay presque du regret de l’avoir souhaité. Ce discours me surprend.         Croy moy, chere Livie, Je crains avec raison un changement de vie. Pourquoy le craignez vous ?         Quand tu sçauras pourquoy Tu seras obligée à le craindre avec moy ; Jamais un tel discours n’est sorty de ma bouche, Mais la part que tu prens à tout ce qui me touche, M’oblige à découvrir ce que j’ay tant caché, C’est, ma chere Livie, un innocent peché. Tu sçais bien que Lepide estoit insupportable, Et comme aupres de luy je vivois miserable, Comme il estoit jaloux jusques au dernier point, Or aprens aujourd’huy ce que tu ne sçais point. Deux ans et davantage, il me tint hors de Rome, En des lieux d’où jamais n’approchoit aucun homme, Là je conçus un fils, fils trop infortuné, Qu’un père desavoüe avant que d’estre né ; Oüy, Livie, à l’instant qu’il en sçeut la nouvelle, Cet injuste mary me traicte d’infidelle, Et me faict enfermer dans une forte tour Où je ne vois que l’air, et les bois d’alentour : Personne ne me voit de toute la famille, Il me faict seulement servir par une fille, Que l’espoir ou la crainte engagent fortement, A cacher ma grossesse, et mon accouchement. Je me delivre enfin de ce fils miserable Qu’un injuste soubçon avoit rendu coupable, Qui ne me fut donné que pour m’estre ravy, Je le perdis helas ! d’abord que je le vy. Rome n’a jamais sçeu cette estrange advanture, Mais enfin que fit-on ?         Le sang et la nature, Combattirent long-temps les sentimens jaloux, Et la brutalité de mon cruel espoux, Il vouloit que mon fils mourut en sa naissance, Mes soupirs et mes pleurs luy firent resistance, Il combat, je l’emporte à la faveur des Dieux, Mais d’abord par son ordre on l’osta de mes yeux. Ne l’avez-vous point veu depuis ?         Ah ! non, Livie, Ny mesme en cét endroit tesmoigné mon envie, Lepide deffendit qu’on en parlât jamais, Et la chose se fit au gré de ses souhaits : Ce miserable enfant ignorant sa naissance, Par un homme incogneu fut porté jusqu’en France. Mais apres que Lepide eut suby le trépas Le fites-vous chercher ?         Non, car je n’osay pas. Deux puissantes raisons en destournoient mon ame, Le trouvant, l’avouant, je me rendois infame, Car mon accouchement avoit esté secret, Et ne le trouvant pas j’augmentois mon regret, Par cette histoire estrange autant qu’infortunée, Juge si je doy craindre un second Hymenée, Et si je puis jamais attendre que du mal, Si je reprens un joug qui me fut si fatal. Madame, Sinderic est là bas à la porte, Qui demande à vous voir.         Attendez que je sorte, Je doy bien cét honneur au favory du Roy. Que je plains son mal-heur ! dieux à ce que je voy, Ce n’est pas sans raison qu’elle craint sa fortune ! Madame chassez-moy si je vous importune, Je n’ay pas faict dessein.         Monsieur, sans compliment, Votre civilité m’oblige infiniment. Cependant que le Roy contemple dans la ville Les funestes effects de la guerre civille, Sur ces beaux monumens qui marquoient autresfois, Et la grandeur de Rome, et l’orgueil de ses Roys ; Laissant ces raretez par le temps consumées, Je vien pour admirer des beautez animées. Pourquoy rougissez vous quand je veux vous loüer? Avez-vous faict dessein de me desadvoüer? Puis-je ne pas rougir, et voir que l’on me loüe ? Finissez ce discours, ou je vous desadvoüe. Quand vous me menacez de me desadvoüer, Vous me representez ce que j’ay veu joüer, C’est un subject nouveau fort extraordinaire, Et dont les incidens sont capables de plaire, Les Acteurs chez le Roy l’ont assez bien joüé. On le nomme Monsieur ?         Le fils desadvoüé. Ce nom promet beaucoup.         Vous plaist-il que j’en fasse Un recit abregé ?         Faites moy cette grace. Ainsi ceux qui n’ont pas l’esprit assez present, Pour fournir le suject d’un entretien plaisant, Contraints par bien-sçeance à dire quelque chose, Recitent quelques vers, debitent quelque prose, Veulent se faire croire en nommant leurs autheurs, Et pour tuër le temps tuent leurs auditeurs ; Quelques autres plus fins, mais pourtant plus modestes, Accommodent au temps l’histoire de leurs gestes, Et soubs quelque beau nom d’un heros de Romant Découvrent leur amour sans découvrir l’amant. J’imite les premiers ; mais dans cette avanture L’amour ne paroist point, ce n’est que la nature Qui tasche par adresse à se faire escouter, Et qui cache son nom pour se manifester. Suffit qu’en cét endroit je say ce qu’il faut croire, Mais je brusle desja d’aprendre cette histoire. Un Senateur Romain par je ne sçay quel sort, Veut de son fils naissant precipiter la mort, Mais les tristes regrets d’une dolente mere Font moderer enfin un arrest si severe, Ce miserable fils est pourtant bien puny, Il n’est pas plutost né que le voila banny. O dieux ! qu’ay-je entendu ? Mais sçauray-je le reste ? Ah! Ce n’est pas encor l’endroit le plus funeste! Je m’interesse presque en son mauvais destin; Dans le bannissement rencontra-t’il sa fin ? Son trepas luy plairoit pourveu qu’en sa misere Il cognut sa maison aux larmes de sa mere ; Il ne mourut donc point, mais pour chercher la mort Il s’exposa cent fois à la mercy du sort. A peine a-t’il quinze ans qu’il demande des armes, Pour cercher le trepas au milieu des allarmes, Qu’on le voit le premier au plus fort des hazards, Braver insolemment les outrages de Mars : Mais comme en ces endroits le mespris de la vie, Empesche bien souvent qu’elle nous soit ravie, Au lieu de son trépas il y trouve l’honneur, Et s’il se cognoissoit il a trop de bon-heur, Le plus grand des mortels estime sa vaillance, Où fit-il ces progrès?         Au Royaume de France, Soubs Clovis les premiers, apres soubs Alaric, Et depuis soubs Zenon, et soubs Theodoric. Cette histoire est du temps.         Aujourd’huy dans les fables On mesle bien souvent des succez veritables, Ainsi les passions s’esmouvent beaucoup mieux, Vous en voyez l’effect, voyant pleurer mes yeux. Enfin que devint-il ?         Il fut conduit à Rome, Où quelque bon destin le mena chez un homme, Qui l’avoit secouru dans son bannissement, Qui luy dit que son pere estoit au monument, Que sa mere vivoit.     Ah! Dieu!         Le teint vous change. Ce dernier accident me paroist bien estrange! Là s’ouvre le theatre, où le Roy se faict voir, Ce chevalier luy dit ce qu’il vient de sçavoir, Le Roy le faict resoudre à parler à sa mere, Voicy ce qui le choque, et qui le desespere, On luy dit que Lepide         Ah! Dieu qu’ay-je entendu! N’avoit point eu d’enfant loin d’en avoir perdu. Jugez de son regret apres cette nouvelle, Il appela cent fois la fortune cruelle, Il voulut par sa mort s’exempter de sa loy, Mais il se conserva pour l’amour de son Roy. Monsieur, en cét endroit pardonnez ma foiblesse, Vous faictes ce discours avecques tant d’adresse, Qu’il faut que par des pleurs j’exprime ma douleur. Vous allez voir icy sa gloire, ou son malheur, Il se resout enfin d’aller trouver sa mere ; Mais que luy dira-t’il, et qu’est-ce qu’il peut faire ? Il est dans sa maison, il luy parle, il la voit, Son sang en s’emouvant luy dit qu’il la cognoist, Dessoubs le nom d’un autre il dit son avanture, Il esmeut la pitié pour toucher la nature, Son dessein reussit, sa mere fond en pleurs, Il va se descouvrir ainsi que ses mal-heurs, Mais la crainte l’arreste ; enfin il s’y dispose, L’occasion est belle, et son sang veut qu’il ose. Ah ! ma mere, dit-il, si ce nom m’est permis Descouvrez vous les yeux, et voyez vostre fils. Ah ! mon fils.     Ah ! ma mere.         Ah ! surprise agreable, Quoy  Sinderic est donc cét enfant miserable, Que mes pleurs ont sauvé d’un injuste trespas ? Ma mere, vostre cœur ne vous le dit-il pas ? Et se pourroit il bien que ceux qui m’ont faict naistre Dans l’estat où je suis peussent me mecognoistre ? Mes yeux vous regardant dans tout ce qui se voit, Ne vous connoissent point, mais mon sang vous connoit. Ouy, je vous voy, mon fils, par ces yeux invisibles, Qui ne mentent jamais, et qui sont si sensibles. Ouy, vous êtes mon fils.         Ah ! ce m’est trop d’honneur, Je vole chez le Roy, lui dire mon bon-heur, Pardonnez ce départ à mon impatience. Vous, ne m’affligez pas par une longue absence, Revenez à l’instant pour réjouir mes yeux, Par un objet si cher et si délicieux. Ah ! charmante faveur qui viens de me surprendre ! Ah ! bon-heur infiny t’eussay-je osé prétendre ! Mais d’où vient que mon cœur dans cet événement, Sent mêler sa tristesse à son contentement ? N’ay-je pas vu mon fils, et peut-on voir un homme, Plus digne de sa race, et de l’honneur de Rome ? Ouy, mais en l’avouant je hasarde en ce jour, Avecques mon honneur l’objet de mon amour. Puis-je m’imaginer que Rome veuille croire Ce que Lepide a fait dans cette étrange histoire ? Ou bien qu’en le croyant on ne soubçonne aussi, Qu’il eust quelque raison de me traicter ainsi ? Et Maxime sçachant qu’il me creut une infame, Peut-il apparamment me conserver sa flame ? Nature, vos efforts m’ont prise en trahison, Qui peut en cet estat escouter la raison ? Je voy devant mes yeux un fils couvert de larmes, Avant que de paraistre il m’arrache les armes : Le lieu, l’occasion, l’authorité du Roy, La gloire de mon fils, tout s’arme contre moy. Helas ! que puis-je faire en cette conjoncture ? J’ay deu, j’ay deu, sans doute escouter la nature, Je ne m’accuse point, mais je veux à leur tour, Escouter les conseils et d’honneur, et d’amour, Que doy-je faire honneur ? Que feray-je Maxime ? Quoy  doy-je corriger mon èrreur par un crime ? Et pour vous tesmoigner combien je vous cheris, Doy-je trahir mon sang ? doy-je perdre mon fils ? Mais vous trahir honneur ! mais vous perdre Maxime, Le puis-je concevoir sans faire un plus grand crime ? Nature taisez-vous, le conseil en est pris, Je veux resolument desadvoüer mon fils. Fin du deuxième Acte. Ah dieux je suis trahy ! quoy volage Julie, Est-ce ainsi qu’on me traicte ? est-ce ainsi qu’on m’oublie ? Sinderic, dans vos bras !         Vous vous estes deçeu. Ah ! ne m’en parle point, je ne l’ay que trop veu. Mais lasche que je suis, que faisoit mon courage Lors que devant mes yeux je souffrois cét outrage ? Pourquoy ne pas montrer l’excez de ma fureur, Dedans le mesme instant qu’on m’arrachoit le cœur ? Helas ! à cét object une surprise extréme, Plutost que d’eulx m’a fait deffier de moy-mesme, Ouy j’ay craint de faillir, et mes yeux estonnez Ont creu voir un fantosme, et s’en sont destournez. Mais c’est par cette ingratte, et non pas par ma veuë Que dans cét accident mon ame estoit déceuë, Je l’ay veuë, et d’abord j’ay quitté sa maison. Je ne sçay pas comment ny par quelle raison, J’en suis au désespoir, la fureur me surmonte, Je devois tout oser pour effacer ma honte, L’amour m’eust excusé, j’eusse esté satisfaict, Mais qu’est-ce que j’ay veu ? mais qu’est-ce que j’ay faict ? J’ai veu cette infidelle entre les bras d’un autre, Dispenser un bon-heur qu’amour avoit faict nostre, Et par un mouvement contraire à mes desirs, J’ay fuy, comme craignant de troubler leurs plaisirs. Que doy-je faire, Horace, apres cette imprudence ? Mon amour offensé m’inspire la vengance, Il veut qu’à mon honneur j’immole Sinderic. Mais dedans ce dessain craignez Theodoric, Il l’aime tendrement.         Que dites vous Horace ? L’avis que vous donnez est de mauvaise grace, Fut-il comme du Roy le favory des Dieux, S’il m’a fait cet affront il doit m’estre odieux, Et quand tout l’Univers viendroit à sa deffense, Il ne peut esviter d’esprouver ma vengeance. Avant que d’en venir à cette extrémité, Donnez à vos soubçons encor plus de clarté, Julie pourroit bien comme elle est fort adréte Avoir sur ce subject quelque raison secrete, Qui vous satisferoit, vous le devez sçavoir. Mais puis-je apres cela me resoudre à la voir ! Vous le devez.         Et bien mon esprit s’y dispose, Mais Dieux, que ma fortune est une estrange chose ! Que difficillement je puis me contenter ! Je tache à m’esclaircir lors que je veux doubter ! Maxime nous a veus, que dittes vous Livie ? Ah ! ce dernier malheur me va couster la vie ? Nous a-t-il escoutez ?         Il est sorty d’abord. Que par leur peu de soin mes gens m’ont faict de tort, Consolez mon mal-heur au moins par le silence. J’estime trop l’honneur de vostre confidence, Pour la trahir jamais, j’aymeroy mieux mourir. Helas dans ce desordre où puis-je recourir ? Si pour me delivrer des soubçons de Maxime Je dy que Sinderic est mon fils : quel abysme ! Je descouvre un secret mortel à mon bon-heur, Qui choquera Maxime, et me perdra d’honneur. Si je rejette aussi la voix de la nature, Quel sera mon destin dedans cette advanture ? Si chez moy Sinderic passe pour estranger, Helas ! ne suis-je pas en un pareil danger ? Que dira mon amant, quand pour sauver ma gloire De ce fils incogneu je luy feray l’histoire ? Pourray-je l’appaiser avec cét entretien ? Que ne dira-t’il point si je ne luy dy rien ? Dures extrémitez, enfin que doy-je faire Dans ces deux qualitez, et d’amante et de mere ? Mon honneur est taché, mon renom obscurcy, Desadvouant mon fils, et l’advouant aussi. Maxime vient, Madame,         Ah comble de misere ! Helas que doy-je dire ? helas que doy-je taire ? Cachez vostre douleur, laissez le reste au sort. Madame sauvez moy.         Mais quel est ce transport ? Helas ! je suis perdu, l’on cerche ma ruine, Le Roy veut mon trépas, le peuple se mutine. Monsieur que dites vous ?         Madame sauvez-moy. J’ay tué par mal-heur le favory du Roy. Le favory du Roy !     Sinderic !         Ah ! je pasme ! Non, non, il n’est pas mort, appaisez vous, Madame, Mais confessez aussi qu’en cét evenement, Je puis estre asseuré de vostre changement. Je ne vous blasme point d’une faute commune, Vous suivez la coutume en suivant la fortune, Sinderic est si grand qu’il peut tout excuser, Et ce sont mes deffauts que je dois accuser. Que vous estes cruel dedans cette pensée Et combien mon amour en est elle offencée ! Quoy vous me soubçonnez d’avoir manqué de foy ? Quoy  pourray-je douter des choses que je voy ? Ah ! que vous jugez mal de mon deüil legitime ! Un excez d’amitié vous paroist donc un crime ! Quoy  pouvoy-je vous voir dans un si grand mal-heur, Et ne pas tesmoigner quelle estoit ma douleur, Ce meurtre vous ostoit tout espoir de refuge, Vous aviez un grand Roy pour partie, et pour Juge, Je vous considerois en estat de perir, Et vous trouvez mauvais que je veuille mourir ! Mais dittes moy comment, et par quelle apparence, Ay-je obligé Maxime à cette deffiance ? D’où vient que vostre esprit est si mal satisfait ? De quoy m’accusez vous, qu’ay-je dit ? qu’ay-je fait ? Ah ! si vous pouviez voir au profond de mon ame, Ce que je fay pour vous en faveur de ma flame, Ou que je peusse dire avecques liberté, L’excez prodigieux de ma fidelité, Ma deffence sans doute y paroissant aisée, Vous vous accuseriez de m’avoir accusée. Je le fay dés cette heure, et confesse avec vous, Que j’ay mauvaise grace à faire le jaloux. Ouy c’est avec raison que vostre ame s’irrite, Me donnant vostre amour par grace, et sans merite, Si ce bien fut l’effect de vos seulles bontez, J’ay tort de murmurer lors que vous me l’ostez. Mais quoy ? dedans l’instant d’une perte si grande, Il est bien mal aisé qu’un esprit se commande, Il me sembloit d’abord que cét extreme bien M’ayant esté donné ne pouvoit qu’estre mien, Puis en me l’arrachant on m’arrachoit la vie. Ah ! jugez mieux de vous, jugez mieux de Julie, Ne la soubçonnez point d’avoir manqué de foy, Cette crainte est indigne, et de vous, et de moy. Avant que me résoudre à vous porter ma plainte, Mes sens en certitude ont converty ma crainte, Mes soupçons         Ont faict tort à vostre jugement. Mes yeux,         Vous ont trompé, n’en doubtez nullement. Et quoy n’ay-je pas vu ? mais dieux le puis-je dire ! Et voir qu’en mesme temps, je parle, je respire ? Ah ! lasche que je suis !         Que dittes vous bons dieux ! Croiray-je mon amour ?         Croiray-je point mes yeux ? Douter d’une amitié tant de fois recognuë ! Douter de ma vertu !         Mais douter de ma veuë ! Ah ! Maxime, agissez avec plus de raison, Cessez de soupçonner mon cœur de trahison, Si jamais Sinderic m’a peu rendre capable D’aucun des sentimens dont on me croit coupable, Et si je ne craindrois dans un crime pareil, De voir cacher d’horreur la face du Soleil, Je veux qu’à l’advenir pour comble de ma peine A vos jaloux soupçons succede vostre haine, J’estime sa vertu, je l’ayme tendrement, Mais plutost comme un fils que comme mon amant, Et cette affection esloigne ma pensée, Des vœux dont vostre amour pourroit être offencée, Je vous le dis encor, l’amour que j’ay pour luy Vous doit contre luy-mesme assurer aujourd’huy. Mon esprit ne prend point le sens de ce mystere. Ce n’est pas un secret que je veuille vous taire. Vous sçavez le credit qu’il a dans cét état, Ce qu’il peut à la Cour, ce qu’il peut au Senat, Qu’il dispose à son gré des dignittez publiques, Et que ses moindres dons sont grands et magnifiques. Je veux que sa faveur vous serve aupres du Roy Pour obtenir bien-tost quelque honorable employ ; Et je ne l’ayme enfin qu’à cause qu’il vous ayme. Ah ! pardonnez, Madame, à mon erreur extréme ! Je crains, mais mon amour estant au dernier point Et pour un si grand bien, puis-je ne craindre point ? Je ne crains pas pourtant qu’au mespris de ma flame, Un rival quoy que grand me chasse de vostre ame ; Mais sçachant son merite, et le peu que je vaux, Je crains que ses vertus découvrent mes deffauts, Que par un sentiment cruel, mais legitime, Votre amour diminuë avecques vostre estime, Et que je sois privé de ce plaisir Charmant, Qu’une extréme amitié peut donner seulement. Vous vous cognoissez trop pour avoir cette crainte, Chassez donc les soubçons dont vostre ame est atteinte, Et croyez que Julie ayme comme elle doit, Et qu’elle vous estime, et qu’elle vous cognoist. Je prends donc congé d’elle avec cette assurance. Vous verrez des effets de sa perseverance. C’est un bien où mes vœux n’osent presque aspirer, Et je parts trop contant quand je puis l’esperer, Helas : je m’en dedis, mon esperance est morte Et je cours mal-heureux où la fureur m’emporte. Et bien, chere Livie, en ce facheux combat, N’as tu pas bien souvent déploré mon estat, Voy-tu rien de pareil au mal qui me surmonte ? Mais que feray-je enfin pour esviter ma honte ? Suivray-je le conseil que l’amour m’a donné ? Ah ! déplorable mere ! ah fils infortuné ! Faut-il qu’en cruauté je surpasse ton pere! Ou bien qu’en t’advoüant tu causes ma misere ! Ne me fus-tu donné que pour me diffamer ? Et que pour me ravir ceux qui veulent m’aymer ? L’amour de mon espoux mourut à ta naissance, Il fallut pour luy plaire approuver ton absence, Aujourd’huy ton retour travaille puissamment A faire aussi mourir l’amour de mon amant, Et l’unique remede à ce mal-heur extréme, Est sans comparaison pire que le mal mesme : Il faut que je te perde une seconde fois, C’est ce que je ne puis, et c’est ce que je dois ! Mais le voicy, Madame.         Ah dieux que doy-je faire ? Esvitons sa rencontre.         Où fuyez vous ma mere ? Je ne veux point ce nom, et je ne l’eus jamais, Honorez en quelqu’autre, et me laissez en paix. Dieu que vien-je de voir ! Dieu que vien-je d’apprendre ! Quoy  ma mere me fuit, et ne veut pas m’entendre ! Je ne veux point ce nom, et je ne l’eus jamais, Honnorez en quelqu’autre, et me laissez en paix. Quoy vous refusez donc ce beau tiltre de mere, Pour ne pas m’accorder le bon-heur que j’espere ? Ah ! ne vous flattez point, la nature et le Roy S’armeront en ce jour contre vous, et pour moy, Et j’ay droict d’esperer qu’avec leur assistance Je pourray mal-gré vous découvrir ma naissance. Detestable interest, Monstre aveugle et brutal, Qui pour l’amour du bien suggeres tant de mal, C’est de toy seulement que mon mal-heur procede, La nature, l’honneur, le devoir, tout te cede. Indomptable vertu qui conduis la valleur Dans les plus grands perils où regne le mal-heur, Toy qui m’as arraché cent fois des mains des parques, Pour me faire estimer du plus grand des Monarques, Pour me mettre en son trosne un peu plus bas que luy, Faut-il que l’interest te surmonte aujourd’huy ! Mais encor l’interest soubs l’habit d’une femme ! Ah ! non non, ma vertu, ne souffrons point ce blâme, Va te plaindre à ton Roy de ce lasche attentat. Interesse sa gloire, et le bien de l’estat, Fay-toy, fay-toy cognoistre à toute l’Italie, Et vange désormais le mespris de Julie. Mais où vont les discours de mes vœux imparfaicts ? Vange-t’on des forfaicts par les mesmes forfaicts ? Et parce que ma mere en cette procedure Se porte à mespriser les droicts de la nature, Est-elle moins ma mere ? et puis-je estant son fils, Sans imiter son crime, imiter son mespris ? Non, non, n’escoutons point la voix de la vangeance, Qui ne sçauroit punir sans commettre une offence, Disposons nous plutost à souffrir constamment Un mespris que le temps vaincra facillement, Et pour hatter l’effect de ce bon-heur extréme, Employons l’interest contre l’interest mesme, Protestons hautement que de nostre maison, Nous ne desirons rien que la gloire et le nom, Passons mesmes plus outre en suite des promesses, Pour acquerir ce bien dispensons nos richesses, J’auray tousjours assez quand j’auray du bon-heur, Et l’on ne peut jamais trop acheter l’honneur. Mais que cherche Maxime au logis de Julie ? Quoy  je voy Sinderic dans la melancolie, Et sa haute faveur ne l’en exempte pas ! Cette haute faveur dont on faict tant de cas, Est souvent un obstacle aux plaisirs de la vie. Elle a bien des appas dans l’esprit de Julie. Mais pour quelle raison m’en parlez-vous ainsi ? C’est par-ce seulement que je vous trouve icy. Mais quoy ! vous laisser seul dans cette salle basse, Cette incivilité n’est pas de bonne grace, Et sans doute vos gens n’ont pas dit vostre nom. On me traicte ceans en fils de la maison, Mais Julie pourtant, quoyque je puisse faire, Ne veut point accepter le tiltre de ma mere. Cette alliance aussi n’a rien de ces douceurs, Dont le discours se sert pour l’union des cœurs, Elle imprime d’abord je ne sçay quoy d’austere, Qui ne convient pas bien à l’amoureux mystere : Quand on traicte de mere une dame qu’on sert, On luy faict de son aage un reproche couvert : Cette alliance enfin n’est pas fort obligeante, Vous pouviez en choisir quelqu’autre plus galante, Et vos desseins peut-estre eussent mieux reussi. Vous avez vostre but, et j’ay le mien aussi. Suffit que j’ay raison en ce que je projette, Et que Julie a tort lors qu’elle me rejette, Ainsi souvent les grands dedans leur passion Se laissent aveugler à la presomption ; Ils pensent que l’amour, les soins et les caresses, Sont autant de tributs qu’on doit à leurs richesses, Que pour gaigner un cœur il ne faut seulement, Que rendre une visite, ou faire un compliment. Cependant vous voyez comme on vit dedans Rome, Un Seigneur est traicté de mesme qu’un autre homme, Et quelque vanité qui flatte ses esprits, Il est souvent reduict à souffrir des mespris. Quoy que vous en disiez, je pense qu’en vostre âge Vous avez bien souvent joué ce personnage : Pour moy je ne crains point que l’on me traicte ainsi. Vous voyez bien pourtant que je vous trouve icy. Mais vous estes modeste autant qu’on le peut estre, Vous vous plaignez d’un cœur dont vous estes le maistre, Et feignez que Julie a des rigueurs pour vous Lors que vous esprouvez ses traictements plus doux. Que Julie à mes vœux soit propice ou contraire, J’iray jusques au bout, rien ne m’en peut distraire. Souvent le trop d’ardeur nuit à nostre dessein. Jamais les gens d’honneur ne travaillent en vain. On se perd tous les jours par trop de confiance. On vient à bout de tout par la perseverance. Mais par elle souvent on devient importun. Ce n’est que le destin des hommes du commun. En un mot mon dessein est d’obliger Julie, A m’accorder bien-tost ce qu’elle me desnie. Ceste entreprise est grande.         Elle est de mon devoir. Julie a bien du cœur.         J’ay beaucoup de pouvoir. Il est bien mal-aisé de contraindre une femme. Julie ne sçauroit me resister sans blasme. Nous vivons dedans Rome avecques liberté. Nous vivons dedans Rome où regne l’equité. Mais vostre nation n’en sçait pas l’exercice, Et l’on voit rarement qu’un Goth rende justice. Ce que Theodoric pratique tous les jours, Montre la fausseté de ce lasche discours. Ah ! Maxime c’est trop, ce reproche m’outrage, Taisez vous je vous prie, ou changez de langage, Autrement         Est-ce icy que vous me menacez ? Ah sortons.     Mais sans bruit.     Mais viste,         C’est assez, Je vous satisferay, n’en soyez point en peine, Il ne faut que passer dans la place prochaine. Fin du troisième Acte. Que dites vous, Livie ?         On me l’a dit ainsi. Qu’ils se sont querellez lors qu’ils sortoient d’icy ! Mon fils et mon amant ! Sinderic et Maxime ! Tout ce que j’ayme au monde, et tout ce que j’estime ! Ah ! que vous avez tort, vous deviez m’advertir Au mal-heureux moment qu’on les a veu sortir, Viste qu’on se dépesche, allez dire à Camille, A Dave, à tous mes gens, qu’ils aillent à la ville Semer chez leurs amis un si funeste bruit. Madame ils sont aprés.         Mais peut-estre sans fruict. Ah ! mal-heureuse amante ! Ah mal-heureuse mere ! Amour, honneur, nature, helas que doy-je faire ? Nature, en vous nommant je vous sens dans mon sein, Vous parlez pour mon fils, vous luy prestez la main, Vous voulez par vos vœux avancer sa victoire. Sçavez-vous à quel prix vous demandez sa gloire ? Et vous souvenez-vous qu’en ce ressentiment, Si j’assiste mon fils je trahis mon amant ? Ah ! plutost escoutons un amour legitime, Tournons, tournons nos vœux du costé de Maxime, Souhaitons que son bras triomphe de mon fils ; Helas doy-je acheter un amant à ce pris ! Mais que dis-je acheter ! Ah dieux pourroy-je croire Que je le peusse voir apres cette victoire ? Et ne pensay-je pas qu’en cét événement, Si je perdois mon fils je perdrois mon amant? Quoy mon fils ! quoy mon sang ! je pourroy me resoudre A voir tomber sur vous cette mortelle foudre ? Et la nature esmeuë à ce funeste object, Ne sçauroit destourner le cours de ce project ? Non, non, c’est trop long-temps obeyr à ma flamme, Des sentimens plus beaux reviennent dans mon ame. Dieux conservez mon fils, c’est mon unique espoir, Et faites que bien-tost je le puisse revoir ! Mais pourray-je le voir teint du sang de Maxime ? Ah ! je trouve un abisme au fonds d’un autre abisme ! Je ne sçay plus pour qui je doy faire des vœux, Ciel faictes moy mourir, ou les sauvez tous deux. Appaisez vous, Madame.         Helas le puis-je faire ! Qui pourroit s’appaiser dans un sort si contraire, Dont les événemens esgalement fascheux, S’opposeront toujours à l’effect de mes vœux ? Si Maxime pourtant emporte la victoire, La mort de Sinderic asseure vostre gloire, Et l’honneur ce tresor qui fut tousjours sans pris, N’est pas trop acheté par la perte d’un fils. Mais encore d’un fils qui peut ne le pas estre ; Car comment croyez vous l’avoir pu recognoistre, Par le seul mouvement d’une tendre amitié ? C’est ainsi que du sang l’effet de la pitié, De l’inclination, et de mille autres choses, Qui se font admirer dedans l’ordre des choses. Outre l’esmotion qui se fit dans mon sein, Je recogneus mon fils aux marques de sa main, Marques que j’observay le jour de sa naissance, Pour servir de moyen à sa recognoissance, Que je regarday lors comme de clairs flambeaux, Qui pourroient quelque jour rendre mes jours plus beaux, Mais qui sont devenus des Comettes funestes, Et de mon deshonneur les signes manifestes. Ce n’est pas tout, Livie, helas ! je vis encor Au doigt de Sinderic la mesme bague d’or Que je donnay jadis pour toute recompence A celuy qui servit à le conduire en France : Sinderic est mon fils, je n’en sçauroy douter ; Livie en cest endroit je ne puis t’escouter. Mais vostre desadveu ?         Tay toy, chere Livie, Ne me reproche point le mal-heur de ma vie, Je l’ay desadvoüé pour sauver mon renom, Il s’agissoit alors seulement de son nom. Ma bouche sans contrainte a démenty mon ame, Et j’ay creu moins faillir qu’en trahissant ma flame. Mais il ne s’agit plus ny de nom ny de rang, Il s’agist de sa mort, il s’agist de son sang, De son sang, de mon sang, unis par la nature, Et qu’on ne peut trahir en pareille advanture, Ah ! je ne doy plus feindre!         Helas ! quel sentiment. Faut-il donc l’advoüer et perdre vostre amant ? L’advoüer, mon honneur, le pourroy-je sans blasme ? Vous perdre mon amant, le pourrions nous ma flame? Desadvoüer mon fils ! helas par quelle loy Doy-je priver mon sang de ce que je luy doy ? Ah nature, pardon, je vous fays un outrage, Quand j’ose balancer si je vous dois hommage, Dans ce moment fatal mon fils est mon soucy, Je luy doy tous mes vœux, et les luy donne aussi, Juste Ciel accordez Sinderic, et Maxime, Faites que leur debat s’appaise sans victime, Que sans venir aux mains ils demeurent amis, Et ne me privez point ny d’amant ny de fils. C’est mon premier souhait, mais si la destinée Veut du sang de l’un d’eux marquer cette journée, Si je suis reservée à ce sort rigoureux, Le salut de mon fils est tout ce que je veux. Apres il faut mourir.         Mais que nous veut Horace ? Que dit on chez le Roy ? dieux tout mon sang se glace ! Il ne nous respond rien, et paroist interdict. Il s’est faict un combat.         Ah ! je l’avoy bien dit. Mais le succez ?     Maxime         Ah ! dieux suis-je trompée ! En est sorty blessé de deux grands coups d’espée. Ces coups sont-ils mortels ?         Il n’est blessé qu’au bras, Mais ces coups bien souvent ont causé le trespas. Cependant Sinderic enflé de vaine gloire, Croit n’avoir rien à craindre apres cette victoire. Mais quelque grand qu’il soit, il sçaura dans ce jour Que l’heur et le mal-heur se suivent tout à tour, Il faut, il faut qu’il meure, ou bien que je perisse. Plutost voyez le Roy, demandez luy justice, Ne vous exposez point, ne precipitez rien, Theodoric est juste, il vous vengera bien. Dieux qu’est-ce que j’entens !         Que dites vous Horace ? Que ceste prevoyance est de mauvaise grace, Maxime est mon amy, Maxime est vostre amant, Et vous vous opposez à mon ressentiment! Vous m’empeschez d’aller où la gloire me porte : Julie, est-ce vous mesme ? ayme t’on de la sorte ? Je ne sçaurois souffrir de vous voir en danger, De vous perdre vous mesme en voulant nous vanger : Horace croyez moy, règlez vostre colere, Retournez chez Maxime, et me regardez faire, Je vay donner un coup fatal à Sinderic, Qui le perdra d’honneur pres de Theodoric, Et qui vous vengera, n’en soyez point en peine, Qu’on me laisse en repos dans la chambre prochaine. Avec quels sentimens ceste ingrate beauté Voit elle les transports dont je suis agité ? Avec quelle froideur, et quelle indifference Vient elle d’escouter la voix de ma vengeance ? Au lieu de m’animer à servir son amant, Sa bouche se refuse un adveu seulement, Et par un faux secours que son esprit suppose Elle veut ruiner celuy que je propose : Ah ! perfide Julie, ame ingrate et sans foy, Indigne de l’ardeur que Maxime a pour toy, Non, non, je ne sçaurois dissimuler ton crime, Je m’en vay de ce pas en advertir Maxime. Julie ayme Maxime! helas que dites vous? Ouy, mais c’est à dessein d’en faire son espoux. Celuy que j’ay blessé, ce Chevalier ?         Luy-mesme. Que dans cest accident mon mal-heur est extréme! Helas ! si j’eusse sçeu qu’elle eut eu ce dessein, Jamais pour ce combat je n’eusse armé ma main ; Je sçay trop le respect que je dois à ma mere. Ah ! rencontre fascheuse, et qui me desespere, Au lieu de l’obliger à force de bienfaicts, A m’accorder enfin l’effect de mes souhaits, Je choque par mal-heur les desirs de son ame, Et contre mon dessein j’interesse sa flamme. Bizarreévenement d’un project genereux ! Faut-il que mon bon-heur me rende mal-heureux ; Que je sois obligé de pleurer ma victoire ! Et que ma gloire enfin fasse obstacle à ma gloire ! Si je plains vostre sort, c’est parce seulement, Que Maxime n’est pas blessé mortellement, Vos maux eussent finy dans la fin de sa vie ; Car sans doute c’est luy qui choque vostre envie. Qu’il la choque tousjours, il peut bien s’asseurer, Que ma mere l’aymant je le veux honnorer, Ne me proposez plus des remedes extremes, Emile, je les hay plus que les mal-heurs mesmes, Et deussay-je mourir en l’estat où je suis, On me verra tousjours dans le devoir d’un fils. Mais le coup estant faict que pretendez-vous faire ? Tascher d’en obtenir le pardon de ma mere, Luy monstrer les remords dont mon cœur est percé, Et laver par mes pleurs le sang que j’ay versé. Vous voulez donc la voir ?         Il le faut bien Emile. L’effect de ce dessein me semble difficile, Si quelqu’un vous voyoit entrer dans sa maison On pourroit la blasmer avec quelque raison, On a sçeu le combat d’entre vous et Maxime ; Mais affin d’eviter l’apparence du crime, Il faut si nous pouvons nous y couler sans bruict, A travers l’espaisseur des ombres de la nuict. Il se faict desja tard, le Ciel nous favorise. Nature, assistez moy dedans ceste entreprise, Et ne souffrez jamais qu’au mespris de vos loix L’amour ou l’interest l’emportent sur mes droits. Que j’ay peu de repos dedans ma solitude, Ma fille, et que mon sort est plein d’inquietude, Je ne sçaurois souffrir de voir mon fils vainqueur, Je brule qu’on me vange, et c’est toute ma peur. Horace, que tes vœux m’estoient insuportables ! Qu’ils m’ont paru cruels, qu’ils estoient charitables ! Et que je t’aymerois dans ton ressentiment Si quelqu’autre qu’un fils eut blessé mon amant ! Helas ! lors que l’amour remet dans ma memoire, Que j’ay pu demander ceste triste victoire, Je condamne mes vœux, je les tiens insensez, Et je me plains des Dieux qui les ont exaucez. Je passe plus avant en confessant mon crime, Je cognoy que la peine en est trop legitime, Mais si tost que je pense à vanger cette erreur, Mon fils qui l’a causée alentit ma fureur. Quoy donc ? je souffriray qu’une main criminelle Ait blessé mon amant sans m’animer contre elle ? Quoy donc ? je pourray voir l’object de mon amour Perdre son sang, sa gloire, et peut-estre le jour, Sans perdre à mesme temps l’autheur de ma misere ? Ah ! ce funeste objet rallume ma colere, Il court à la vangeance, et desja dans mon cœur L’image du vaincu triomphe du vainqueur : Favorable maistresse, et mere impitoyable, Je conçoy des desseins qui me rendent coupable, Et je sens mal-gré moy qu’en faveur d’un amant, Mon fils devient l’object de mon ressentiment. Helas ! qu’en ce moment ma fortune est cruelle, S’il faut estre barbare afin d’estre fidelle ! Ah ! fils infortuné comble de mon soucy! Ne t’ay-je donc sauvé que pour te perdre ainsi ? Et ne t’ay-je arraché de la main de ton pere, Que pour te remettre en butte aux fureurs de ta mere ? Maxime ! Sinderic !         C’est trop vous affliger, Maxime, à ce qu’on dit, ne court point de danger, La blessure est legere.         Ah ! qu’en sçais tu Livie ? Je crains qu’elle ne m’oste une si chere vie, Pour en sçavoir l’estat, j’ay faict aller chez luy Un des miens que j’attens avec beaucoup d’ennuy, Cependant mon esprit ne s’ose rien promettre. Horace en repassant m’a donné ceste lettre. Que dit-il de Maxime ?         Il ne m’en a rien dit. Livie approchez-vous, voyons ce qu’il m’escrit. Vous, allez commander qu’on coure apres Horace, Et me donnez advis de tout ce qui se passe. Madame, il est bien tard.     N’importe !         Et bien j’y cours. Livie a seule droit de sçavoir mes amours. LETTRE DE MAXIME A JULIE. Je vis encor, Madame, et le mal que j’endure, Et mesme le trepas, Si je puis m’assurer que vostre flamme dure A pour moy des appas ; Souffrez donc que je vous conjure De ne me plaindre point, et de ne changer pas. De grace, accordez moy le bon-heur que j’espere, Et n’acceptez jamais De mon heureux rival la qualité de mere, Ce sont tous mes souhaits, Pourtant quoy que vous puissiez faire, Si c’est vostre plaisir, mes vœux sont satisfaicts. MAXIME. Ah dieux ! chaque moment augmente ma misere, Quoy ! Maxime a donc sçeu que j’avois esté mere ? Et que c’est de mon fils que procede son mal ? Cela n’est pas croyable, il l’appelle Rival. Ah ne me flatte point !         Je dy sans complaisance La chose comme elle est, et comme je la pense. Car quel subject a-t’il de craindre un changement, S’il croit que Sinderic ne soit pas vostre Amant ? Encor que ta pensée ait beaucoup d’apparence, Je ne puis luy donner une entiere creance, Je forme en mon esprit des monstres pleins d’horreur Qui portent avec eux la crainte et la fureur : Il me semble desja qu’on fait un mauvais conte D’un fils desadvoüé, qui me couvre de honte. Mais que feray-je enfin, si Maxime le sçait ? Vous devez soustenir ce que vous avez fait, Accuser hautement Sinderic d’imposture. Trahir mon propre sang ! démentir sa nature, Souffrir dedans mon cœur ce combat criminel, M’exposer aux rigueurs d’un remords eternel, Faire qu’un innocent soit soubçonné de crime ! Bref traitter d’imposteur un enfant legitime, Ah ! cest effort Livie excede mon pouvoir, Et sans plus t’escouter j’escoute mon devoir. Dieux de quel sentiment estes vous animée ? Quoy  n’avoir plus de soin de vostre renommée ? Hazarder vostre amour, exposer vostre honneur, Perdre vostre repos, perdre vostre bon-heur, Madame regardez quel est ce precipice. Helas ! de tous costez je trouve mon supplice, Mon fils, et mon amant, mon honneur, mon devoir, Tout ce que je conçoy me porte au desespoir. Je m’estonne comment vostre esprit delibere, La raison vous apprend ce que vous devez faire, Vous retracter, Madame, en ceste occasion, Ce seroit redoubler vostre confusion. Et bien vous l’emportez, honneur inexorable ? Ouy malgré ton respect, nature venerable, Et tous ses sentimens de tendresse et de sang, Mon honneur dans mon cœur tiendra le premier rang. Ouy je desadvoüray ce fils qui me diffame, Et quand on emploiroit et le fer et la flamme, Pour flechir mon courage, et changer mon dessein, J’atteste tous les dieux que ce seroit en vain. Mais le voicy venir, dieux quelle est son audace ! Je viens icy Madame implorer vostre grace. Quoy je voy Sinderic dans ma chambre, et de nuit ! Madame appaisez vous, le respect l’y conduit. Sinderic, dans ma chambre, ah dieux quelle insolence ! Vous pouvez en user avec toute licence, Je souffre sans murmure un si sanglant mespris, Ainsi parle une mere, ainsi se taist un fils. Vous mon fils !         Il est vray que mon erreur insigne Avec quelque raison pourroit m’en rendre indigne, Si cette mesme erreur ayant peu m’abuser, Aujourd’huy devant vous ne venoit m’excuser, Mais elle vous dira qu’elle a commis mon crime. Ah ! si j’eusse eu le bien de cognoistre Maxime, Jamais nostre combat n’eust causé vostre ennuy, Ou vous eussiez pleuré pour moy et non pas pour luy, Le ciel m’en est tesmoing avant que vous déplaire, J’eusse exposé ma vie, aux traicts de sa colere, Et l’on verroit respandre en ce mal-heureux jour Des pleurs à la nature, et non pas à l’amour. Vous me plaindriez Madame, ah ! destin déplorable ! Ne puis-je avoir du bien, sans estre miserable ! Faut-il que ma vertu produise mon mal-heur ? Que je te hay vertu, que je te hay valeur ! Qui ne vous hayroit ? vous causez ma misere, Vous m’ostez le repos, et vous m’ostez ma mere. Monsieur, je n’entens rien dedans tout ce discours, Et vous m’obligerez d’en arrester le cours, Aussi bien il est tard.         Est-ce ainsi qu’on me traitte ? Quoy la nature est sourde aussi bien que muette ? Et le sang dont le monde admire le pouvoir Avec tous ces efforts ne peut pas l’emouvoir ? Ah ma mere !         Croyez que ce nom m’importune. Je ne veux point troubler vostre bonne fortune, Mais je viens vous prier de ne permettre pas Que ce coup de mal-heur augmente nos débats ; Et que je sois contraint de parler d’un mystere Qui peut blesser l’honneur du fils, et de la mere, Cet honneur delicat, de qui la pureté Souffre du changement lors qu’il est disputé. Si je vous demandois l’heritage d’un pere, Et si je n’avois pas la fortune prospere, Que mon peu de vertu fit honte à ma maison, Le refus de ma mere auroit quelque raison, Mais dans la haute estime où la faveur me range, Qu’il a peu de justice, et qu’il paroist estrange ! Plutost que vos desirs ont peu de fondement, Et qu’un homme d’honneur se traicte indignement ! Si Sinderic estoit accablé de misere, Si son bien dependoit de celuy de son père, S’il cherchoit un appuy dedans nostre maison, Le dessein qui l’anime auroit quelque raison, Mais dans le haut credit où sa faveur le range Qu’il a peu de justice et qu’il paroist estrange ! Helas ! si le destin m’estoit injurieux, Sinderic n’eust jamais paru devant vos yeux, Jamais, jamais ce fils n’eust relevé son estre, S’il eust peu faire honte à ceux qui l’ont fait naistre. Non, Madame, il falloit estre ce que je suis Afin d’authoriser les droits que je poursuis, Et pour pouvoir oster tout soubçon d’imposture, La fortune devoit se joindre à la nature, Aussi l’a-t’elle faict, et je suis en un rang Digne de ma patrie, et digne de mon sang, Mais plus j’ay de grandeur, plus on me considere, Et plus j’ay de raison pour convaincre ma mere. Dites, dites plutost que c’est de vostre grandeur, Qui fournit de deffence à ma juste froideur, Si vous estiez mon fils, si j’estois vostre mere, Sinderic, pensez vous que je le peusse taire, Et pour quelle raison voudrois-je me priver De l’honneur le plus grand qui me peut arriver ? Je cognoy vos vertus, je sçay que si dans Rome L’on vous tient moins qu’un Dieu, l’on vous tient plus qu’un homme, Et que dans quelque esclat qu’ayent vescu mes ayeulx, Vous advoüer pour fils me seroit glorieux. Ainsi considerez qui je suis, qui vous estes, Et par ce que je fay jugez ce que vous faictes. Depuis que mon bon-heur me permet de vous voir, Madame, qu’ay-je faict qui choque mon devoir ? Quoy n’ay-je pas rendu vous rendant mes visites, Tout le respect qu’on doit à vos rares merites ? Et demandant les droits que vous me retenez, Ces legitimes droits que le ciel m’a donnez, N’ay-je pas faict paroistre une ardeur vive et pure, Et telle qu’en nos cœurs allume la nature ? S’il est ainsi, Madame, ah ! considerez mieux, Combien vostre refus doit m’estre injurieux ! Regardez qui je suis, regardez qui vous estes, Et par ce que j’ay faict, jugez ce que vous faites. Je fay ce que je doy, quand je veux conserver Un tresor precieux dont on me veut priver, Je fay ce que je doy quand je tasche à deffendre Mon honneur qu’on attaque, et qu’on voudrait surprendre, Quoy puis-je sans honneur escouter vos souhaits, Moy qui n’ay point de fils, et qui n’en eus jamais ! Et les puis-je exaucer sans me voir accusée Du plus lasche forfaict qui tombe en la pensée ? Ah ! non non, Sinderic, en l’estat où je suis, Vous blasmer et me plaindre est tout ce que je puis. Et bien plaignez vous donc, mais si vostre mémoire Conserve encor l’effect qu’a produict mon histoire, S’il vous souvient des pleurs que vous avez versez, Au funeste recit de mes mal-heurs passez, Plaignez vous de vous mesme, et plaignez l’inconstance, Dont je puis vous convaincre en ceste circonstance, Je fay les mesmes vœux que nagueres j’ay faicts, Et j’en ressens pourtant de contraires effects : Vous escoutiez tantost la voix de la nature, A present vos discours m’accusent d’imposture, L’object de vos faveurs l’est de vostre courroux ; Et vous me condamnez apres m’avoir absous. Songez, songez, Madame, à cét amour extréme, Et si vous vous plaignez, plaignez-vous de vous mesme, Quand vous vous repentez de m’avoir bien traitté, Vous estes criminelle, ou vous l’avez esté. Quoy donc, dans vos discours vous meslez l’artifice, Pour me persecuter avec plus d’injustice ? Et flattant le dessein que vous avez conçeu, Vous faignez que tantost je vous ay bien receu ? Mon ame, je l’advoüe, a senty quelque atteinte, J’ay versé quelques pleurs, j’ay formé quelque plainte Mais ne sçavez vous pas que la plainte et les pleurs Sont des tributs qu’on doit aux extrémes mal-heurs ? Soit que vostre recit fut feint ou veritable, Il me representoit un destin lamentable, Ce tableau m’a surprise, et dans ce mouvement Mon cœur s’est attendry sans mon consentement. Ainsi ne croyez pas que l’object de mes larmes Pour triompher de moy, vous fournisse des armes : Si mon cœur a poussé des soupirs et des vœux, Ce n’est pas pour un fils, c’est pour un mal-heureux, Sensible aux passions qu’excite la misere, J’ay pleuré comme femme, et non pas comme mere. Helas ! s’il estoit vray que la seule pitité Eut touché vostre cœur, et non pas l’amitié, Je n’aurois pas receu tant de douces caresses, Qui bien plus que vos pleurs ont marqué vos tendresses : Vous le sçavez, Madame, et mon raisonnement N’appelle à son secours que vostre jugement. Ah ma mere ! il est temps d’exaucer ma priere, Et de laisser agir vostre bonté premiere, Le sang vous a parlé, vous l’avez escouté, Le sang vous parle encor, seroit-il rejetté ? Vous ne me dittes mot, ah sort toujours contraire, Puis que la voix du fils ne touche point la mere ! Tous ces noms affectez sont icy superflus. Quoy n’obtiendray-je rien ?         Je ne vous entens plus. Un moment d’audiance, et puis je me retire. Je ne vous cognoy point,         Pouvez vous bien le dire? Je le dis sans contrainte.         Ah comble de rigueur! S’il est vray que la bouche explique icy le cœur. C’est là mon sentiment, je vous le dis encore. Sentiment qui le perd, et qui vous deshonnore; Ah Madame ! cessez de tenir ce propos. Mais vous mesme cessez de troubler mon repos. Je cognoy vos vertus, mon ame les revere, Et je voudrois pouvoir me dire vostre mere, Adieu.         Bien, bien, Madame, allez jusques au bout, Le respect et ce lieu veut que je souffre tout, Mais puis qu’à vos rigueurs vous joignez le caprice, Sçachez, sçachez qu’ailleurs, on me rendra justice, Et que tous vos efforts seront vains contre moy, Puisque j’ay pour appuy la nature, et le Roy. Fin du quatrième Acte. Quoy cette ingratte change, et ne veut pas souffrir  Qu’on parle de punir ceux qui me font mourir ? Lors que ton amitié veut prendre ma defence, Que tu parois armé pour vanger mon offence, Son visage se trouble, et d’un lasche discours, Elle retient le bras qui m’offre du secours ? Vertus du siecle d’or en nos jours incogneuës, Amour, fidelité, qu’estes vous devenuës ? Apres ceste disgrace, où puis-je recourir ? Faut-il changer enfin, dois-je vivre ou mourir ? Ah mourons ! mais Horace, admire ma foiblesse, J’ayme encore Julie avec tant de tendresse, Que je veux la revoir auparavant ma mort. Son logis n’est pas loin.         Je tremble, à cet abord. Je recherche, et je fuis ceste belle coupable, J’ay dessein de la voir, et n’en suis pas capable. Helas ! que faut-il faire apres ce qu’elle a faict ? Ne dois-je pas hayr l’ingrate qui me hait ? Mais la puis-je bannir de mon ame enflammée, L’ayant si cherement, et si long-temps aymée ? Sentimens genereux, amour, haine, courroux, Tyrans en mesme temps trop cruels et trop doux, Quoy pouvez-vous souffrir que mon cœur vous assemble ? Que j’abhorre Julie, et l’aime tout ensemble ? Et ne voulez vous pas faire un dernier effort, Pour sçavoir qui de vous doit estre le plus fort ? C’en est faict, cher amy, l’amour a la victoire, Julie et ses appas regnent dans ma mémoire, Son crime disparoit, et rien ne s’offre à moy, Que la vertu qui parle en faveur de sa foy. Je ne conteste plus, il faut que je la voye. Prenons l’occasion que le ciel nous envoye. On ouvre, et quelqu’un sort.         Ah ! Livie est-ce toy ? Que faict nostre maistresse ?         Elle va chez le Roy. Chez le Roy !     Par son ordre.         Ah comble de ma peine ! Que me dis-tu Livie ?         Une chose certaine. Il a mandé Julie.         Il veut donc l’obliger A recevoir la loy d’un Seigneur estranger ! Quoy ? ce Prince veut donc employer sa puissance, A faire une action pleine de violence ? Et se laissant surprendre aux vœux d’un favory, Il ose mespriser ce qu’il a tant chery ? Son honneur, son devoir, sa conscience mesme : Thresor de plus grand prix que n’est son Diadesme. Ah ! si le Roy pretend contraindre les esprits, Il faict ce que les dieux n’ont jamais entrepris. Le procedé du Roy ne surprend pas mon ame, Sinderic dit par tout qu’il est fils de Madame, Qu’elle doit l’advoüer, et que c’est sans raison Qu’on luy veut contester les droits de sa maison, Vous avez desja sçeu comme elle le rebute, Theodoric veut donc finir ceste dispute, Pour prevenir les maux qu’elle pourroit causer. O Dieux ! qu’en cest endroit j’ay droit de m’accuser, J’avoy creu jusqu’icy que ce tiltre de mere Estoit un jeu d’amour.         Ah je devois me taire ! Quoy vous ne sçaviez point ?         Non veritablement. Et vous aviez donc creu ?         Qu’il estoit son amant, Et que sans respecter la foy qui nous engage, Theodoric vouloit faire ce mariage. Que Julie est trompée ; et que j’ay de mal-heur ! Où vas-tu ?     Laissez-moy.         Sortez donc de mon cœur, Soubçons injurieux qui traversiez ma flamme, Vous pouvoy-je souffrir vous qui blâmiez Madame ? Mais d’où peut proceder qu’un bon-heur infiny N’a duré qu’un moment ? qui vous a donc banny ? Quoy, je ne vous sens plus, bon-heur inestimable ? Et je sens malgré vous que je suis miserable ? Julie a des enfans ! Horace qu’en dis-tu ? Peut elle l’advoüer sans blesser sa vertu ? Lepide n’en eust point.         Non pas au moins qu’on sçache. Donques à son honneur elle a faict quelque tache ! Donques ceste vertu dont je fais tant d’estat, Qui brille dedans Rome avecques tant d’eclat, De qui la renommée a pris tant de matiere, Auroit veu quelque fois défaillir sa lumiere ! Ah ce dernier mal-heur surpasse le premier ! Mais comment l’en convaincre ? elle peut le nier, Personne n’a jamais osé blasmer sa vie : Quoy l’on pourra douter de l’honneur de Julie ! Quoy sa haute vertu recevra cest affront ! C’est ce qui me surprend, c’est ce qui me confond. Horace, je sçay bien l’estrange jalousie, Dont le vieillard Lepide avoit l’ame saisie, Je sçay qu’il fut touché de ces soucis rongeants, Dont ceste passion trouble les vieillles gens, Et que mesme il en vint à ce point de folie, Qu’il creut Rome suspecte aux beautez de Julie, Que pour la mieux garder il alla vivre aux champs, Mais je n’ay jamais sceu qu’elle eut eu des enfans. Il me souvient pourtant que pendant leur voyage, Dans Rome on en conçeut quelque sorte d’ombrage, On parla sourdement que Lepide avoit eu Un enfant de Julie, et plusieurs l’avoient creu ; Mais depuis leur retour leur mes-intelligence Avoit de tous ces bruits détourné la creance. Toutesfois si l’on veut examiner le temps L’âge de Sinderic les rend fort apparans, Et dans le haut esclat où l’on le voit parestre, Puis qu’il se dit son fils, je croy qu’il le doit estre. Que Julie ayt un fils, ou qu’elle n’en ayt pas, Je la regarde encore avec tous ses appas, Je cognoy sa conduite, et presente et passée, Je cognoy ses discours, je cognoy sa pensée, Et si tost que l’envie attaque son honneur, J’escoute la vertu qui parle en sa faveur. En un mot c’est Julie, il faut que je l’estime, Croire qu’elle eust failly, ce seroit faire un crime, Et conçevoir contre elle un soubçon seulement, Ce seroit meriter pis que son changement. Mais afin que mon ame en soit mieux esclaircie, Allons voir chez le Roy, Sinderic et Julie, Sçachons leurs differens, et voyons en ce jour Combattre la nature, et triompher l’amour. Grand Monarque, escoutez la voix de la nature. Seigneur, n’escoutez point la voix de l’imposture. Je vous feray justice.     Ah Seigneur!         C’est assez, Mais ne vous troublez point, Sinderic commencez. Les Cieux me sont tesmoins avec quelle contrainte Je porte devant vous ma legitime plainte ; Et si je n’ay pas faict tout ce que je devois Pour cacher nostre honte au plus juste des Roys. Ma mere, vous sçavez que souvent par des larmes Vostre fils a tasché de vous oster les armes, Et que c’est la raison qui me vient enseigner, Que je doy vaincre un cœur que je n’ay peu gaigner. Helas ! qui le croiroit, dedans cette avanture, Ces puissans mouvemens qu’inspire la nature, Ces eslans d’amitié que le sang met au jour, Et tout ce qu’il produit de tendresse et d’amour, Apres avoir en vain sollicité mon père, Defaillent aujourd’huy dans l’esprit de ma mere. Vous avez sçeu, Seigneur, qu’un père trop jaloux D’abord que je fus né m’esloigna de chez nous, Et que sa jalousie eust mesme la puissance De le faire resoudre à cacher ma naissance. De là naist ce debat, lamentable et nouveau, C’en est aujourd’huy l’ame ainsi que le flambeau, Qui perçant l’espaisseur d’un grand nombre d’années, Tire de leur cahos mes sombres destinées, Et desbroüillant les droicts que les cieux m’ont acquis, Vient confondre une mere, et découvrir un fils. Mere autresfois trop douce, à present trop cruelle, Pourquoy ne souffriez vous qu’une ame criminelle M’immolast en naissant à ses soubçons jaloux ? Si vous me rejettez, pourquoy me sauviez vous ? Mais pourquoy donc hyer m’advoüer ma naissance ? A quoy pouvoit servir cette recognoissance, Si vous aviez dessein d’en empescher l’effect ? Helas que faictes vous ? ou bien qu’avez-vous faict ? Ah ! qu’on doit admirer en cette conjoncture, Le merveilleux pouvoir qu’a sur nous la nature, Vous pleuriez avec moy, vous m’embrassiez, ah Cieux ! Que ne reteniez-vous, et vos bras, et vos yeux ? Ne soubçonniez-vous pas que l’on vous peut surprendre ? Mais que facilement vous pouvez vous deffendre, Dittes qu’on ne peut point dans ces evénements Avoir un cœur de mere, et d’autres sentimens. D’où vient donc, direz vous, cette force nouvelle Qui me faict aujourd’huy vous estre si cruelle ? C’est à vous de sçavoir d’où naissent vos rigueurs, Il n’est point de raison en pareilles erreurs. Mais pour en quelque sorte amoindrir vostre crime, Et tesmoigner encor combien je vous estime, Je pretens faire voir que vous avez subject De choquer aujourd’huy le cours de mon project. Rome et toute la terre ignoroit ma naissance, Vous n’en aviez rien dit pendant ma longue absence, Ny faict aucun effort pour sçavoir où j’estois, Vous avez donc deu craindre ou la honte ou les loix. Qui ne sçait aujourd’huy le pouvoir tyrannique Que la honte s’acquiert sur une ame pudique ? Et l’horreur que les loix impriment dans un cœur, Qui se sent par soy-mesme accusé d’une erreur ? Tay-toy, lasche interest, passion du vulgaire, Non, non, ce n’est pas toy qui me retiens, ma mere, Ce n’est que la pudeur et la crainte des loix, Mais je veux les combatre encore une autre fois. Nature à mon secours, inspirez à mon ame Ces puissans mouvemens de tendresse et de flamme, A qui rien ne resiste, et qui sçeurent toucher Un cœur qui maintenant est plus dur qu’un rocher. Romains qui cognoissez Sinderic et Julie, Croyez vous qu’elle fît une tache à sa vie, Advoüant aujourd’huy Sinderic pour son fils, Ou qu’il voulut gaigner une mere à ce pris ? Tout le monde respond qu’on ne le sçauroit croire, Qu’ils sçavent que tous deux nous aymons trop la gloire, Que vous pouvez me rendre et ma mere et mon nom, Sans craindre de leur part, ni blasme ni soubçon. Mais vous craignez la loy que vous avez enfreinte, Chassez de vostre esprit cette inutille crainte, Nous vivons soubs un Roy qui peut tout pardonner, Demandez vostre grace, il vous la va donner. Quoy donc à ce discours vous restez insensible ? Et de vous esmouvoir il ne m’est pas possible ? Mais apres ces rigueurs au moins permettez moy D’implorer à genoux la justice du Roy. Seigneur, accordez moy le bon-heur que j’espere, Rendez la mere au fils, et le fils à la mere. Et par une action digne de vostre rang, Rejoignez aujourd’huy le sang avec le sang. Levez vous.         Ah Seigneur entendez ma deffence ! Levez vous, et parlez avec toute asseurance. Je ne puis m’assurer des choses que je voy, Sinderic, est-ce vous ? sommes nous chez le Roy ? Vous me trompez mes yeux ! Quoy ce grand Capitaine, Qui s’aquit tant de gloire au siege de Ravene, Fait donc si peu d’estat de l’honneur de son nom, Qu’il le met en balance avecque ma maison ? Qui le croiroit bons Dieux dedans cette avanture, L’imposture se sert des droits de la nature, Et sans craindre la honte, et la rigueur des loix, S’expose au jugement du plus juste des Roys. Que sont donc devenus ces efforts de la honte, Depuis que Sinderic en tient si peu de conte ? Vous voulez Sinderic, qu’elle ait peu m’obliger A traicter mon enfant ainsi qu’un estranger, Et si l’on vous en croit elle n’a pas peu faire, Qu’un enfant n’ayt tasché de diffamer sa mere. Quoy ? si la honte a peu signaler son pouvoir, Et contre la nature, et contre le devoir, Ne pourroit elle pas parlant pour l’un et l’autre, Vous resoudre à sauver mon honneur et le vostre ? Sans doute Sinderic, ce sont là les beaux fruicts, Si vous estiez mon fils, que la honte eust produicts ; On ne vous verroit point dedans cette audiance, Demander hautement vostre recognoissance, Accuser vostre mere, et remontrer au Roy Qu’elle encourt justement les rigueurs de la loy. Sinderic, Sinderic, considerez de grace Quel est le precipice où vous pousse l’audace, Quand vous me poursuivez, vous vous rendez suspect, Un veritable fils n’est jamais sans respect. Mais c’est trop s’arrester sur une procedure Dont le moindre incident découvre l’imposture, Quittant donc le discours d’un injuste project, Je passe à la raison de tout ce que j’ay faict. La honte ny les loix n’ont point forcé mon ame A faire un dés-adveu dont Sinderic me blasme, Sans blesser mon honneur en l’estat où je vis, Je pouvois l’advoüer s’il eust esté mon fils. Est-ce donc quelque hayne ? ah ! seroit il croyable, Qu’on hait sans subject un homme incomparable, A qui les gens d’honneur eslevent des autels, Et qu’estime aujourd’huy le plus grand des mortels ? Seroit-ce l’interest ? il confesse luy-mesme, Que je suis à couvert de cétte erreur extréme. Qu’est-ce qui le peut donc chasser de ma maison ? C’est la raison, Seigneur, c’est toute ma raison, Prononcez donc, grand Prince, une juste sentence, Qui prive Sinderic de sa recognoissance, Et qui mette en repos les vivans et les morts, Mais ne punissez pas ses injustes efforts, Pardonnez luy, grand Roy, l’erreur le rend coupable, Et peut bien aujourd’huy le rendre pardonnable, C’est toute la faveur que j’espere de vous, Seigneur, pour l’obtenir j’embrasse vos genoux. Levez-vous, mais Boece enfin que doy-je faire ? Pardonne à Sinderic.         Pardonnez à ma mere. Passez dedans la sale, et laissez nous icy. Boece, leurs discours ne m’ont point esclaircy, Je ne sçay que resoudre.         En l’affaire presente, Sire, je ne voy point d’épreuve suffisante, Je croy que Sinderic a raison en effect, Et les presomptions sont pour luy tout à faict, Mais je n’estime pas que sur une apparence On puisse en sa faveur donner une sentence. Dieu pourquoy souffrez vous qu’avec impunité Le mensonge se mesle avec la verité ? Qu’on confonde aujourd’huy deux choses si contraires Pour cacher à nos sens la raison des affaires : Je ne me vis jamais dans un pareil combat. Seigneur, sur ce subject consultons le Senat. Il n’en est pas besoing, je voy dedans mon ame La brillante clarté d’une secrete flamme. Chasser l’ombre et l’erreur qui possedoit mes sens. Nos criminels enfin sont tous deux innocens, L’un cherche son bonheur, l’autre craint l’infamie, Et je sçay le moyen de convaincre Julie. Qu’on la fasse venir, vous verrez en ce point, Que les Rois sont des dieux que l’on n’abuse point. Julie, il est certain qu’en cette procedure L’erreur s’est emparée des droicts de la nature, Que sans difficulté Sinderic s’est mespris, Vous n’estes point sa mere, il n’est point vostre fils, Aussi des à present mon pouvoir vous dispense De ses pretentions pour sa recognoissance. Que je vous doy Seigneur apres ce jugement ! En effect sa poursuite estoit sans fondement, Et je recognoy bien plus je vous considere, Que Sinderic eust tort de vous choisir pour mere. Plutost qu’aymer en vous une suitte d’ayeulx, Il devoit adorer les attraicts de vos yeux, Et changeant en amour cette amitié severe, Vous aymer comme amante, et non pas comme mere. Je ne respondray rien en l’estat où je suis, Baissez les yeux, Seigneur, est tout ce que je puis. Mais vous estes encor au plus beau de vostre âge, Quoy ! voulez vous mourir dans ce triste vefvage ? Sçachez que vostre Roy condamne ce dessein, Et qu’il veut vous donner un espoux de sa main, Dont la haute vertu merite vostre estime, Que vous avez aymé,         C’est sans doute Maxime. Je ne vous entens point.         Je disois à mon Roy, Que tousjours ses desirs me tiendront lieu de loy. Puis que je suis certain de vostre obeyssance, Je ne vous tiendray point plus long-temps en balance, Ravy que Sinderic ne soit point vostre fils, Que les liens du sang ne vous ayent point unis, Par de puissans motifs d’amour, et de Justice, Je veux dés aujourd’huy que l’hymen vous unisse Ah! revoquez seigneur cette severe loy. Quoy vous vous retractez?         Et de grace, grand Roy, Dispensez mon esprit d’une telle contrainte ! Mais d’où peut proceder vostre subject de plainte? Le party qu’on vous offre a-t’il quelque défaut ? Pouvez-vous justement entreprendre un plus haut ? Seigneur il est trop grand, et trop considerable, L’excez de sa grandeur me rendroit miserable. Ne vous obstinez plus à choquer mes projects, Les Rois comme il leur plaist esgalent leurs sujects. Seigneur, vous pouvez tout, mais je sens dans mon ame Un secret mouvement qui s’oppose à ma flamme, Ce party, quoy qu’illustre, est pour moy sans appas, Je ne sçauroy l’aymer ne le cognoissant pas. Et si je n’ayme point, puis-je estre destinée Par vostre jugement au joug de l’Hymenée ? Et voudriez-vous agir avec tant de rigueur Que de vouloir forcer la liberté du cœur ? Je vous offre un espoux que tout le monde estime Jeune, adroit, liberal, courtois, et magnanime, SI vous avez du cœur, vous devez l’estimer, Et si vous l’estimez, vous pourrez bien l’aymer, L’ame la plus rebelle avec le temps s’engage, Et l’amour est souvent l’effect du mariage, Ainsi vostre refus estant sans fondement, Cét Hymen doit avoir son accomplissement. Au nom de vos bontez que le monde revere, Grand Prince, revoquez un arrest si severe, Il ne m’est pas permis de disposer de moy, Mon ame est engagée, et j’ay donné ma foy, Voulez-vous donc, seigneur, que je sois infidelle ? Que j’esteigne une flamme aussi pure que belle ? Et sans considerer mes sermens amoureux, Que cét Hymen fatal fasse trois mal-heureux ? Ah seigneur !         C’est en vain que vostre esprit me choque, La volonté des Roys jamais ne se revoque, Cessez de m’opposer vos sermens, vostre foy, Vous estes degagée en recevant ma loy, Et la necessité de vostre obeyssance, Vous peut mettre à couvert du blasme d’inconstance. Enfin, c’est un arrest que vous devez subir, C’est à moy d’ordonner ; c’est à vous d’obeyr. Ah ! je reclame icy vostre justice extréme ! J’en appelle seigneur de vous mesme à vous mesme ! Ne me repliquez plus, vous devez aujourd’huy Recevoir Sinderic, et vous donner à luy. Recevoir Sinderic ! et luy donner mon ame. Luy qui me persecute, et veut me rendre infame ! Qui vient me soustenir à la face du Roy, Que j’ay trahy mon sang, et violé ma foy ! Si de son procedé vous estes offencée, C’est contre la raison, et contre sa pensée, Il s’est cru bien fondé dans ses pretentions, Et vous l’a faict sçavoir par des submissions, Vos mauvais traictemens l’ont forcé de se plaindre, N’ayant pu vous gaigner il vouloit vous contraindre ; Mais avec tant d’honneur, et par tant de respect, Qu’on eust crû qu’il estoit à luy-mesme suspect, Qu’il craignoit d’obtenir l’effect de sa priere, De peur que son plaisir ne despleut à sa mere ; Outre qu’auparavant l’arrest que j’ay donné Demandant son pardon vous l’avez pardonné. Mais, s’il croyoit encor que je fusse sa mere, Voudroit-il approuver cét infame mystere ? Et quand il penseroit que je ne la suis point Voudroit-il hasarder de faillir à ce point ? Je la tiens, poursuivons; il a trop d’asseurance, De la sincerité de vostre conscience Pour croire que jamais vous puissiez vous porter, A cest horrible crime,         Ah! je veux l’eviter, Mais vous me contraignez.         Nous la tenons Boece. Ah de grace, seigneur, excusez ma foiblesse, J’ay failly, je l’advoüe, et j’ay bien merité D’estre aujourd’huy punie avec severité. Appellez Sinderic.         Doux sentimens de mere, Efforts de la nature, enfin je vous revere ! O sang ! que tes liens doivent estre puissans, Puis que mal-gré nos vœux tu captives nos sens ! Maxime, c’est assez, n’en parlons plus de grace, Et que de vostre esprit tout le passé s’efface. Je me suis expliqué, vous m’avez esclaircy, Vivons bien désormais.         Je le souhaite ainsi. Le voicy, c’en est faict, nature je te cede, Il vous a dict, seigneur, d’où mon crime procede, La honte m’a forcée à le desadvoüer. Cette force d’esprit ne se peut trop loüer. Il est pourtant, mon fils, je le sens, je l’espreuve, Je ne sçauroy le voir sans que mon sang s’esmeuve, Sinderic est mon fils, c’est un adveu, seigneur, Que ma bouche vous faict beaucoup moins que mon cœur. Advancez, Sinderic, nous avons la victoire, Je vous rends vostre mere.         O comble de ma gloire ! Je reçois aujourd’huy de vostre majesté Le seul bien qui manquoit à ma felicité, Je devois ma fortune à vostre bien-veuillance ; Je dois à vostre arrest l’esclat de ma naissance, Mon honneur, mon repos, enfin je tiens de vous Tout ce que mon destin a d’illustre et de doux. Mais j’ose encor, seigneur, vous faire une priere De grace accordez moy Maxime pour beau pere. Je vous accorde tout, mais à condition, Qu’ils vous accorderont leur approbation : Ah! seigneur, si Maxime ayme encore sa maistresse, S’il me peut pardonner cette extréme foiblesse, Que mon esprit confus a faict voïr aujourd’huy, Vous respondant pour moy je vous respons pour luy. Vous le pouvez, Madame, avec toute assurance, L’amour que j’ay pour vous vient de ma cognoissance, Et mon esprit qui lit dans vos intentions, Appreuve aveuglement toutes vos actions. Joüyssez donc des biens que le Ciel vous envoye, Et croyez que mon cœur prend part à vostre joye. O bonté sans exemple! ô Prince genereux, Que vous estes divin!         Que nous sommes heureux! Grands dieux que puis-je rendre à qui me rend ma mere, Qui ne soit au dessoubs de ce que je doy faire ! Quel hommage nouveau puis-je faire à mon Roy, Qui me donne une femme et couronne ma foy ? Mais quel ressentiment puis-je faire parestre, Qui responde aux faveurs que je doy recognestre ? Et n’est-ce pas trop peu qu’adorer à genoux, Un Roy qui m’offre un fils, et me donne un espoux ? Ne me regardez point dedans cette occurrence, Comme le seul autheur de vostre intelligence, Portez vostre pensée en un plus digne lieu, Ce merveilleux decret est un œuvre de DIEU Fin du cinquiesme et dernier Acte.