Esprise d’un ardent désir De voir les veritables sources Des grands sujets de tant de courses Qui ne me laissent pas un moment de loisir; J’ay voulu descendre en ces lieux Que des illustres demy Dieux Signalent tous les jours par de nouveaux Oracles, Où j’ay veu ce grand Roy, dont le nom seulement Porte par tout l’estonnement, Et force la Nature à souffrir de miracles. Prés de luy cét esprit fameux, Dont j’ay tant chanté les merveilles Charmoit les yeux et les oreilles Et faisoit confesser que tout luy doit de vœux. Aussi confuse à cét aspect, Mon front s’est couvert d’un respect Que jamais tous les Dieux n’avoient peu faire naistre, Mes bouches ont perdu l’usage de la voix, Mon cor m’est eschappé des doigts, Et j’ay repris mon vol sans me faire cognoistre. Mais ayant rapellé mes sens, Je vay dire à toute la terre Que dans la paix et dans la guerre Ce Prince peut toujours braver les plus puissans, Tout tremble à ses moindres projets. S’il vouloit gagner des sujets, Et faire une entreprise égale à sa puissance, Malgré l’empeschement des peuples et des Rois, Tous les hommes seroient François, Les bords de l’Univers seroient ceux de la France. Comme Alcide dans le berceau, Forçant la foiblesse de l’âge Estoufa la sanglante rage Des serpents qui venoient le pousser au tombeau. Ce Prince à peine avoit encor Cét honorable chapeau d’or, De qui toujours la peine est fidelle compagne, Quand avec le flambeau de la rebellion Il estouffa ce grand Lyon, Qui pour le devorer estoit venu d’Espagne. Depuis ses plus charmans esbats, Ont esté parmy les armées A voir de bandes animées, S’entreverser le sang au milieu des combats: Car cét ennemy conjuré, Qui depuis long-temps a juré De ne laisser jamais ses voisins dans le calme, Donnant à ses desseins cent visages divers, A fait agir tout l’Univers Pour despoüiller son front d’une si belle palme. Mais ce miracle des mortels Qui mille fois le jour m’oblige A proclamer comme un prodige La moindre des Vertus qui luy font des Autels; Par de moyens miraculeux Previt ses desseins frauduleux, Et destourna si bien les coups de cét orage, Que bien loing de l’effect qu’on s’en estoit promis, Il tomba sur vos ennemis Qui fremissent encor et de honte et de rage. C’est icy, genereux François, Que l’honneur de vostre patrie Vous permet sans idolatrie D’adorer en luy seul le soustien de vos lois. Voyez ce grand Astre d’amour Ne reposer ny nuict ny jour, Et pour vous acquerir une paix de durée, Perdre tous ses plaisirs dans des soucis cuisans Qui rendroient les Sceptres pesans Entre les fortes mains d’Atlas et Briarée. Voyez vostre Nef se vanter Que sur l’Empire de Neptune, Malgré les vents et la Fortune Il n’est rien dont l’effort la puisse espouventer, L’ennemy fuit à son abord, Elle a de tous costez le port, La mer tout à l’entour ne monstre point de ride, Jamais l’anchre ne fut en un si Riche lieu, Et cét illustre demy-Dieu La boussole à la main la conserve et la guide. Voyez vos ennemis domptez En vos batailles signalées Graver dessus leurs Mausolées La valeur de celuy qui les a surmontez. Admirez que si l’Espagnol N’eust pas voulu porter son vol Sur les terres d’autruy, comme l’Aigle Romaine, Les drapeaux que sur luy vous avez emportez, Pourroient couvrir de tous costez Les steriles deserts de son petit domaine. Admirez que dans le discort Qui divise l’Europe entiere, Vous avez une ample matiere De mespriser les vents, et de dormir au port. Qui diroit à voir vos esbats Que dans de si sanglans combats Les armes des François fussent interessées ? Si je n’avois le soin de prescher en tous lieux Qu’un grand esprit aymé des Dieux Vous fait jouyr en paix du fruict de ses pensées. Puis tous d’une commune voix, Faites retentir dans les nuës Combien ses vertus recogneuës Portent haut la splendeur du Trosne de vos Roix. Tous les peuples que le Soleil Esclaire de son teint vermeil Tremblent espouvantez au seul nom de la France; Et l’orgueilleux Tyran des hardis Otthomans, Conserve dans ses documens Plus cher que le Croissant son serment d’aliance. Ce grand esprit portant icy La valeur des peuples de Thrace, Y porta le Mont de Parnasse, Apollon et ses sœurs le suivirent aussy. C’est là que quelquefois lassé Du soin present et du passé, Il voit avec plaisir grimper mille Poëtes, Et ne desdaigne pas, tant son cœur est humain, D’ouvrir avec sa propre main Des bouches qui sans luy demeureroient muetes. J’ay sceu par un de mes Couriers, Que pour fuyr l’ingratitude, On voit des fruicts de cét estude Qu’on ne sçauroit payer avec mille lauriers. L’un fait voir Hercule enchanté Par les charmes d’une beauté Negliger sa valeur ainsi que son espouse, Et confesser enfin qu’estre victorieux Des monstres les plus furieux Est moins que de dompter une femme jalouse. L’autre nous monstre clairement Dans la perte de Massinisse, Que qui veut bastir sur le vice Esprouve tot ou tard quel est ce fondement. L’autre nous fait voir que l’amour Desrobe le lustre et le jour Aux belles actions d’un Empereur de Rome; Et l’autre nous montrant un Roy dans sa maison Frustré de l’effet du poison, Fait voir qu’est devant Dieu la sagesse de l’homme. L’autre, du premier des Cæsars Nous fit voir la fin deplorable, Et combien il fut misérable De ne mourir plustost au milieu des hazards. Ce Prince l’honneur des guerriers, Le front couronné de lauriers, Fut de la trahison la sanglante victime, Dans les pompes du Trosne il trouva le tombeau, Son favory fut son borreau, L’injustice son Juge, et la vertu son crime. Mes yeux apres ce coup fatal, Firent l’office de mes bouches, Et les ames les plus farouches Pasmerent au recit d’un crime si brutal. Tout l’Univers alloit mourir Quand le Ciel pour le secourir Fit partir de ses mains un équitable foudre, Les plaines de Philippe en virent les effets, Tous les meurtriers furent defaits, Cæsar y triompha qui n’estoit plus que poudre. Jamais un plus beau chastiment Ne tint la Justice occupée: Jamais on ne vit son espée Abbatre de mutin plus equitablement. Cét objet pleut tant à mes yeux, Que j’arreste encore en ces lieux Pour en voir le portrait sur ce fameux Theatre, Où Brute et sa vertu confesseront en fin Qu’à moins que d’un coup du Destin, Un Trosne bien fondé ne se sçauroit abatre. Qu’un Estat est mal sain dans le siecle où nous sommes, Lors qu’il n’a pour soustien que le grand nombre d’hommes, Dont les desirs divers par de divers efforts Au lieu de l’affermir desunissent son corps. Que je l’esprouve bien dedans cét avanture. L’un desire la paix escoutant la Nature, Qui luy dit que ses fils condamnez à mourir Avec ce seul moyen se peuvent secourir. L’autre moins resolu de survivre en esclave, Declame contre Anthoine, et favorise Octave, Comme si nos fureurs avoient pour leur objet Le vice des Tyrans et non pas leur projet. Bref il en est bien peu que le seul honneur pique, Qui ne soient animez que pour la Republique, Et qui puissent gouster avec tranquilité, Que nous devons mourir pour nostre liberté. Je m’asseure pourtant que nos Dieux tutelaires Ayment trop l’equité pour nous estre contraires, Et pour ne pas punir l’insolent attentat Que ces ambitieux ont fait sur nostre Estat. Il faut tout esperer d’une juste entreprise, Si l’honneur la produit, le Ciel la favorise; Et l’on doit s’asseurer d’estre victorieux, Quand le droict qu’on soustient est la cause des Dieux. Les Dieux seuls sont nos Rois, jugeans qu’il n’est point d’homme, Qui puisse meriter leur Lieutenance à Rome, Depuis que le Soleil n’esclaire rien d’humain Qui ne doive tribut à l’Empire Romain J’adore leurs Decrets, et mon ame flechie, Se sous-met seulement à cette Monarchie; Tout autre me desplait, et mon adversion Vient d’un raisonnement exempt de passion; Car un peuple sousmis aux volontez d’un Prince Se descharge sur luy des soins de la Province, Neglige sa valeur, cache ses actions, Content de s’acquiter des obligations; Parce que les exploits plus dignes de memoire, Honorant le seul Chef, laissent l’Autheur sans gloire; Qui voit apres avoir vaillament combatu, Qu’un autre s’enrichit des fruicts de sa vertu. Au lieu que sous les loix de la Democratie, Chacun cherche l’honneur aux despens de sa vie, Asseuré que toujours la generosité S’y voit recompenser comme elle a merité. Puis qu’à ce doux Estat notre bon-heur nous range, Il faut mourir plustost que de souffrir le change. Ha ! si tous les Romains combattoient comme vous, Que nostre Republique auroit un sort bien doux, Et qu’on verroit bien tost les desseins et l’armée De nos pretendus Rois se reduire en fumée. Aussi la recompense égalant le bien-fait, Rendra dans peu de temps vostre bon-heur parfait. L’honneur de vous servir contre la tyrannie, Couronne les Romains d’une gloire infinie, Dont le moindre rayon nous récompense assez, Des soins de l’advenir, et des travaux passez, Allez donc dans le Camp, dites aux Capitaines, Qu’on doit bien tost finir mes soucis et leurs peines, Et que la liberté reprendra sa vigueur, S’ils monstrent au combat qu’ils en ont dans le cœur. Resolu qu’aujourd’huy la bataille se donne ? Je croy que ce dessein ne déplaist à personne, Et que les maux soufferts par le peuple Romain, Nous preschent qu’il vaut mieux aujourd’huy que demain. Il me semble pourtant que tout nous peut permettre, Sinon de l’eviter, au moins de la remettre, Puis que tous nos amis n’ont point de sentimens Pour s’opposer jamais à nos commandemens; Et que les Citoyens touchez de mesme envie Déposent en nos mains le soucy de leur vie. Un peuple va toujours, quelque aguerry qu’il soit, A finir promptement les ennuis qu’il reçoit, Aymant mieux pour treuver le repos desirable, S’exposer aux dangers d’une fin lamentable, Que de souffrir long-temps au milieu des travaux, La funeste rigueur d’une suite de maux, Juge si nos Romains exilez de leur terre, Et déja fatiguez d’une si longue guerre, Sçachant que le combat la doit faire cesser, N’ont pas d’ardens desirs de le voir commancer.     Que si pourtant leur voix tesmoigne le contraire, Elle dément leur cœur de peur de te déplaire. Il n’est rien de forcé dedans tous leurs discours. Le mal a trop duré, rompons icy son cours. Cherchons nous le profit, ou bien la vaine gloire     De triompher des morts apres une victoire ? Celle de ravager l’Empire des Romains, Et de pouvoir agir avec cent mille mains ? Non, un plus beau dessein nous fit prendre l’espée, Nous voulons affranchir nostre terre occupée, Restablir nos amis dans leur premier bon-heur, Et monter au degré d’un souverain honneur, Puis que l’occasion s’en offre si propice, Faisons voir aujourd’huy quelle est nostre Justice, Et que ses fiers tyrans percez de mille coups, Asseurent pour jamais nos libertez et nous. Dans un si beau dessein mon ame interessée, Par ton ressentiment explique ma pensée, Tes desirs sont les miens, et celuy d’estre Roy M’a toujours fait horreur aussi bien comme à toy; Je ne le puis souffrir, Nature la premiere M’inspira cette haine avecque la lumiere, Ma raison la receut, et depuis nos sermens En ont authorisé les justes mouvemens: Mais je ne sçay pourtant si cette impatience D’aller voir l’ennemy, n’a point de l’imprudence, Et si precipitant le dessein du combat, Nous ne reculons point le bien de nostre Estat. Rome que ces meurtriers remplissent de carnage, Nous demande secours, parle à nostre courage, Et nous pouvons bien voir aux plaintes qu’elle fait, Que le retardement le rendroit sans effet: Ne le differons plus, secondons son attente, Ranimons aujourd’huy la liberté mourante, Redonnons au païs la vigueur de ses lois, Secourir promptement, c’est secourir deux fois. Ta resolution si digne de loüange Fait que contre mon cœur, ma volonté se range; Combattons donc, cher Brute, et dans le Champ de Mars, Aussi bien qu’au Senat, poignardons des Cæsars. Mes moindres mouvemens feront toujours connoistre, Que je cherche à mourir pour n’avoir point de Maistre. Et les miens feront voir, quoy qu’il faille tenter, Que ce bras n’est armé qu’afin de l’éviter. Adieu donc, l’heure presse, il faut que je m’en aille Minuter en repos l’ordre de la bataille. C’est bien contre mon cœur qu’avec si peu de mains, Nous allons hazarder le salut des Romains: Mais Brute en ses discours, a je ne sçay quels charmes, Qui forcent la raison à luy rendre les armes; Je consens au combat malgré mon sentiment, Et je crains la rigueur d’un triste evenement. Les Dieux seront pour nous, s’ils sont pour la Justice, Leur bonté ne sçauroit favoriser le vice, Et j’espere aujourd’huy que tous nos differens Rencontreront leur fin dans celle des Tyrans. La cause la plus juste est bien souvent trompée, Et j’en prens à tesmoin la perte de Pompée. Ce n’est pas que mon cœur se forme de soupçons Que nous n’obtiendrons pas ce que nous pourchassons; Mais alors qu’il s’agit de l’Empire de Rome, Il est bien mal-aisé de ne point parestre homme, Et dans l’Estat flotant de nostre liberté, L’asseurance me semble une stupidité. Pompée avoit pour but d’assujettir l’Empire, Et ce mauvais dessein luy fit avoir du pire. On ne l’a jamais sceu que par presomption. Les Dieux dedans son cœur lisoient sa passion, Rien ne se peut cacher à ces grandes lumieres. C’est assez disputé sur ces vaines matieres, Il est temps de songer que nous devons ce jour Faire voir des effets et de haine et d’amour. J’auray la pointe droite, et ma Cavalerie Essuyera des traits la premiere furie, Massala la doit suivre avec un peloton, Qui sera soûtenu par celuy de Straton: Et pour perdre en un jour tyrans et tyrannie; Mais qu’est-ce que je voy ?         C’est ton mauvais Genie, Qui te vient advertir que dans fort peu de temps Tu le pourras revoir parmy les combatans. Hé bien, nous t’y verrons, je veux combatre Octave, Et faire d’un Roy feint un veritable esclave; Cassie aura la gauche, et le soin d’ordonner Comme on s’y conduira quand il faudra donner. Mais déja le Soleil vient esclairer la terre Pour commancer le jour qui doit finir la guerre; Allons voir nos Soldats, et mettre dans leurs cœurs Le desir de mourir ou de vivre vainqueurs. Tu vas donc au combat ?         La liberté m’appelle, Et je serois content de m’immoler pour elle, Si je pouvois sçavoir ma Porcie en repos, Loin des troubles que Mars         Brise là ce propos, Il choque ma vertu qui seroit offensee S’il estoit aprouvé d’une seule pensee; Quoy ! Brute doute encor que mon affection Ne soit pas au degré de la perfection: Du repos loin de luy, sans qui mesme la vie Ne sçauroit me durer que contre mon envie. Ha ! c’est trop, et ce coup me touche plus le cœur, Que la crainte de voir nostre ennemy vainqueur. La fille de Caton nasquit parmy les armes, Les horreurs des combats ont pour elle des charmes; Et son repos s’y treuve ainsi qu’en tous les lieux, Où Brute luy paroist favorisé des Dieux. Que le Ciel conjuré se range pour Octave, Que le peuple Romain demande d’estre esclave, Que par ces changemens l’espoir te soit osté, De restablir jamais l’antique liberté. Qu’apres estre bannis de nostre chere terre, Tout l’Empire assemblé nous declare la guerre, Et que tous les malheurs accompagnent nos pas, Si je suis avec toy, je ne me plaindray pas. Que percé de cent coups au milieu des batailles, Le vainqueur insolent m’arrache les entrailles; Si tu vis pour chanter l’honneur de mon trespas, Fut-il plus violent, je ne me plaindray pas. Que nos cruels Tyrans par de nouvelles gesnes Portent au plus haut point leur rigueur et mes peines; Si je puis par ma mort t’exempter du trespas, J’en atteste le Ciel, je ne me plaindray pas. Si je pouvois treuver dans le sort de la guerre, Avecque ton repos celuy de nostre terre, Deusse-je, pour un seul, souffrir mille trespas, Je seray satisfait, et ne me plaindray pas. Quand Rome reprendroit cette grande puissance Qui rangea l’Univers sous son obeïssance, Si nous devions ce bien à la fin de tes jours, Ne pouvant pas mourir, je me plaindray toujours. Ne me commande pas de conserver la vie, Si nostre malheur veut qu’elle te soit ravie, Icy l’obeïssance excede mon pouvoir, Et la necessité m’enseigne mon devoir; Ouy, Brute, ton trespas rend le mien necessaire, Soit pour me delivrer des mains de l’adversaire, Soit pour ne faire pas un prodige nouveau, Laissant durer un corps dont l’ame est au tombeau, Ou bien pour te monstrer que cessant d’estre libre, La fille de Caton perd le pouvoir de vivre. Tant de rares vertus auroient bien merité Dans un siecle plus doux un sort plus arresté; Si la raison sçavoit balancer toutes choses, Jamais aucun soucy n’eust approché tes roses, Et toujours les douceurs de mille doux plaisirs Eussent charmé tes sens, et passé tes desirs; J’espere toutefois qu’une bonté supreme Reserve à nos travaux cette faveur extreme. Qu’un jour victorieux et triomphans des Rois, Rome nous nommera protecteurs de ses lois, Alors tous nos malheurs auront trouvé leur terme, Alors nostre repos n’aura rien que de ferme, Alors ne craignant plus pour nostre commun bien, Jamais mon sentiment ne choquera le tien, Alors les Dieux benins, pour nous combler de joye, Ne feront à nos jours qu’une trame de soye, Et quand leur providence en coupera le cours, Nos noms et nos vertus demeureront tousjours. Cependant, mon cher cœur, permets que je m’en aille Disposer mes soldats à donner la bataille, L’heure me presse, adieu.         Va donc, mon cher soucy, Certain que si tu meurs je veux mourir aussi. Donques les bras croisez en ce malheur extresme Je me voy sans rougir differente à moy mesme ? Doncques ma lascheté m’oste le souvenir Que Brute ce heros vient de m’entretenir ! Arrestez-vous mes pleurs, son adorable image Vient defendre à mes yeux de vous donner passage, Et vous, tristes soupirs, tesmoins de mon soucy, Cedez à la vertu qui vous bannit d’icy, Mais non, n’escoutez point ma requeste importune, La vertu se plaindroit en pareille fortune. Je voy tout ce que j’ayme en danger aujourd’huy, Brute et la liberté qui ne vit plus qu’en luy; Toutesfois banissons ce mouvement de femme, Ma naissance suffit pour instruire mon ame, En vain irois-je ailleurs rechercher un patron, C’est assez que je suis la fille de Caton, Sus donc faisons paroistre à nos trouppes fidelles Que je brusle d’ardeur de combattre pour elles, Et qu’avec son portraict mon pere a mis en moy Un desir violent de n’avoir point de Roy; Monstrons que dans le choc des plus rudes alarmes Je sçay verser du sang aussi bien que des larmes, Allons braver la mort au camp des ennemis, Et vengeons aujourd’huy les maux qu’ils ont commis: Il ne m’importe point d’obtenir la victoire, Mon sort est assez beau, je n’ay que trop de gloire Pourveu que combattant pour le peuple Romain Je meure comme Brute une espée à la main: Toy ne traverse point ce conseil salutaire, Aussi seroit-ce en vain qu’on m’en voudroit distraire, Il est grand, il est juste, et selon la saison. Mais vous ne dites pas qu’il choque la raison, Madame, moderez cette boüillante rage, Pour mieux voir le danger où vostre esprit s’engage: Quoy ! sommes-nous tombez en de si foibles mains, Que vous n’esperiez rien du salut des Romains ? Brute auroit-il perdu son courage heroïque ? Et ne pourroit-il rien pour nostre Republique ? Non, il est toujours Brute, et comme ses parens, Il ne s’arme jamais sans chasser des Tyrans; J’espere quand à moy qu’il aura la victoire, Mais vostre grand dessein que sert-il à sa gloire ? Et si l’executant vous rencontriez la mort, N’auroit-il pas sujet de blasmer vostre effort ? On peut bien sans mourir suivre cette entreprise. Mais si Brute mouroit, et que vous fussiez prise, Que tout fut en butin aux Tyrans inhumains, Quel regret auriez-vous de vous voir en leurs mains ? Et sans pouvoir mourir vous sçavoir condamnée, D’estre dans vostre ville en triomphe menée ? Le penser seulement me fait trembler d’horreur, Pour gauchir cét escueil, calmez vostre fureur. Madame et si le Ciel vous donne du courage, Tesmoignez-en la force à brider vostre rage: Endurez sans vous plaindre, et que jamais vos pleurs, Ny vostre desespoir m’expriment vos douleurs: C’est la lice d’honneur où la vertu s’espreuve, Et le port plus certain où le repos se treuve: Outre que si le Ciel vous mal-traitte aujourd’huy, Vous aurez plus de droict de vous plaindre de luy. En fin à tes raisons ma fureur diminuë, Comme aux rais du Soleil l’espesseur d’une nuë, Je me laisse emporter à tout ce que tu veux, Allons à Jupiter faire offre de nos vœux: Et si nous le trouvons encor inexorable A soulager les maux d’un peuple miserable Je sçay depuis long-temps quel sera mon devoir, Mais qu’un courroux sied mal lors qu’il est sans pouvoir ! Puis que c’est aujourd’huy qu’un destin favorable, Nous promet de venger ce crime detestable, La mort du grand Cæsar, le Phœnix des guerriers, Prodiguons nostre sang pour gagner des lauriers, Monstrons à ce Heros dans sa beatitude, Que nous voulons mourir exempts d’ingratitude, Et que jamais la paix n’esteindra nos combats, Que plustost on n’ait mis tous ses meurtriers abas. Quand Rome verseroit un Ocean de larmes, Qu’un deüil perpetuel terniroit tous ses charmes, Et que ses Citoyens n’y sçauroient plus rien voir, Que de tristes objets couverts d’un crespe noir, Ce seroit laschement honorer la memoire De ce grand demy Dieu qui la combloit de gloire, Qui maintenoit la paix dans un si vaste corps, Et parmy les plus grands des merveilleux accords. En vain nos conjurez vantans la Republique, Taxent la Royauté d’un pouvoir tyrannique. Il est vray qu’un Estat qui se veut agrandir Contre la Royauté, se doit toujours roidir: Mais lors qu’il ne peut plus estendre son Empire, Il faut qu’à ce bon-heur tout son effort aspire, Comme le seul qui peut maintenir son pouvoir, Et contenir les grands aux termes du devoir. Que si l’ambition dans son impatiance Par un ingrat effort foule cette puissance, Dés l’heure il est perdu, son bras devient perclus; Et cessant d’obeïr, il ne commande plus. Nostre Rome à ce point avoit besoin d’un Maistre Et les evenemens nous le font bien connoistre, Les peuples rebellez depuis cét attentat Démembrent tous les jours les biens de son Estat: Et comme nos desirs, nos forces divisees, Leur rendent contre nous les victoires aisees. Ha ! Brute desloyal, qu’avec peu de raison Tu fondas le projet de cette trahison: Tu devois dire au moins la cause de ta plainte, La bonté de Cæsar l’auroit bien-tost esteinte, Et ton ressentiment eust esté satisfait, Sans faire voir au jour un si semblable effet, Tu pouvois disposer de toute sa puissance, Il n’eust jamais pour toy que de la complaisance; Mesme jusqu’à ce point, qu’apres mille forfaits On te pouvoit nommer l’objet de ses biens-faits: Et tu meurtris encor ce Prince debonnaire, Qui t’appelant son fils, se monstroit plus que pere: Et regarde couler ce beau sang sans effroy, Alors que ton poignard en rougissoit pour toy. O temps ! ô meurs ! ô Dieux peu reverés dans Rome ! O crisme d’un Démon bien plûtost que d’un homme ! Les autres conjurez, ont-ils eu moins de tort ? Cæsar les a sauvez, il nous donnent la mort; Semblables aux serpens qu’on voit en la Libye, Qui tuent en naissant les autheurs de leur vie. Ha lasches ! si le Ciel a quelque soin de nous, Vous sçaurez ce que peut sa haine et mon courroux. Il n’a point fait de loy contre l’ingratitude, Car la punition n’en peut estre assez rude: Mais pourtant je feray par mes inventions Un juste chastiment de cent punitions. Jamais les Dieux n’ont veu vengeance plus entiere, Ma fureur s’esteindra plus tard que la matiere; Les Manes de Cæsar en seront satisfaits, Mais il est déja temps de passer aux effets. Sus donc, braves Romains, chers enfans de Bellonne, Si vous voulez gagner l’honneur d’une Couronne, Secondez mon dessein, qui juste autant que beau, Mesme apres nostre mort, nous sauve du tombeau. Nous n’avons pas plûtost resolu de vous suivre, Que de venger Cæsar ou de cesser de vivre, Ainsi ne craignez pas qu’on ne juge aujourd’huy Qu’encore apres sa mort nous combatons pour luy. Les effets feront voir aux despens de ma vie, Que mon cœur à ce bras inspire mesme envie, Cæsar merite bien de voir venger ses coups, Et qu’on meure pour luy, puis qu’il est mort pour nous. Brave et vaillant Cæsar, dont la mort avancée Ne m’entretient jamais sans blesser ma pensée; Tu connoistras bien-tost le dessein que j’ay fait, D’affronter les dangers pour te voir satisfait. Mon cœur apres cela ne voit rien qu’il ne brave. Mais que voudroit de nous le Medecin d’Octave, Son mal depuis hier seroit-il augmenté ? Je viens de le quiter en meilleure santé. Si quelque bon succez nourrit ton esperance, Change la desormais en parfaite asseurance, Je te viens anoncer de la part des Destins, Que les Dieux sont pour nous, et contre ces mutins. Pendant l’obscurité de la nuict precedente Je resvoy dans mon lict sur la guerre presente, Attendant doucement qu’un sommeil gracieux M’eust ouvert le repos en me fermant les yeux, Quand tout à coup l’esclat d’une grande lumiere A brillé dans ma tante, et frapé ma paupiere, Pour en depeindre icy les plus petits rayons, Je n’ay dans mes discours que des foibles crayons; Il suffit que les feus les plus beaux de la terre, Les esclairs lumineux qui partent du Tonnerre, Le Celeste flambeau qui donne la clarté, Au pris de celle-là ne sont qu’obscurité; Je n’ay pas plûtost veu cette flamme impreveuë, Que j’ai senty mourir l’usage de la veuë,     Ma langue s’est noüée, et tous mes sens perclus Ont exprimé l’estat d’un homme qui n’est plus: Mon esprit toutefois exempt de cette crainte Au milieu des rayons, dont ma tante estoit peinte, A veu la Majesté d’une troupe de Dieux, Et conneu par ces mots, comme l’on parle aux Cieux, “Amis du grand Cæsar vos victoires sont prestes, “Le Ciel est sur le point de couronner vos testes, “Et redonner la vie à l’Empire Romain, “Cependant leurs Decrets qui n’ont rien que de grave “Pour destourner les maux qui menassent Octave, “Veulent qu’au Camp d’Anthoine on le porte demain. La fin de ces discours a chassé ces lumieres, Et remis dans mes sens leurs faussetez premieres, Leur laissant toutefois quelque ravissement Dans la reflexion de cét esvenement; Reçoy donc cét advis, et que ton ame instruite Donne une loy certaine à ta sage conduite. Il est trop important pour estre à negliger, Allons, le temps est court, il le faut mesnager. En fin, braves Romains, voicy l’heure oportune Qu’on doit voir la Vertu surmonter la Fortune, Et qu’il faut tesmoigner et de cœur et de mains, Qu’on nous donne à bon droict le tiltre de Romains; Voicy le jour heureux que l’on doit voir bannie Par la mort du Tyran l’infame tyrannie, Et qu’un chacun de nous doit porter dans le sein L’espoir de triompher en un si beau dessein: Car si le seul effort de maintenir sa gloire Fait mesme dans la mort rencontrer la victoire, Nous devons aujourd’huy l’esperer beaucoup mieux, Puis que nous combatons pour Rome et pour ses Dieux. Quoy Rome endurera qu’un homme la maistrise ? Elle à qui l’Univers a rendu sa franchise, Et nous ses Citoyens qu’elle fit naistre Rois, Suivrons un Empereur et de nouvelles lois ? Mourons, mourons plûtost que d’encourir ce blasme, La mort n’a rien de dur que ce qu’elle a d’infame. Un corps extenué, dont la pasle couleur Represente à nos yeux l’image du malheur; Les habits et les pleurs d’un amy pitoyable, A de timides cœurs la rendent effroyable: Mais comme avec raison on blasmeroit la peur Qu’un homme concevroit pour un masque trompeur; C’est exposer son ame à des justes censures, De craindre de mourir pour des larmes futures. La mort est naturelle, et je ne pense pas Qu’on ne souffre en naissant comme on souffre au trespas; Encore nostre mort doit estre moins à craindre, Qui nous laisse un renom qui ne se peut esteindre. Celuy-là vit toujours parmy les gens d’honneur, Qui meurt en combatant pour le commun bon-heur; Imitons en cela nos valeureux ancestres, Que Rome a veu mourir pour n’avoir point de Maistres: Et celuy qui domptant la Nature et les Rois, Immola ses enfans à l’honneur de nos lois. C’est un trop haut dessein pour la puissance humaine, De soustenir le vol de nostre Aigle Romaine; Rome donne des loix, et n’en peut recevoir, De peur que la vertu n’y perde son pouvoir: Car un peuple abattu sous un honteux servage Relasche tous les jours de l’ardeur du courage: Et comme le lyon qui se laisse enchaisner, Il perd dedans les fers le soin de dominer. Je tire aussi de là l’esperance certaine De nous voir aujourd’huy Maistres de cette plaine, Puis que tous les Romains qui voudroient l’empescher Sont esclaves, chetifs, et prests à se cacher: Outre que les exploits presque au delà de l’homme Se sont faits seulement en combatant pour Rome; Car les Dieux qui l’ont mise en leur protection Assistoient les autheurs dans leur affection. Mais depuis que l’orgueil a bouffi le courage De ceux qui pouvant tout, ont voulu davantage, Et fait qu’encontre Rome ils se sont rebellez, On n’en a jamais veu des actes signalez, Sinon quand de nos Dieux la sagesse supresme Arma leurs propres mains pour se defaire eux-mesmes; Et que dans ce combat si triste et si mortel L’un d’eux fut la victime, et Pharsale l’autel: Car lors pour espargner les coups de nostre espée Le Ciel fit que Cæsar nous sauva de Pompée, Sçachant que son orgueil apres un tel effort Le precipiteroit dans les mains de la mort, Et que contre ceux-cy nos forces reposées Pourroient trouver apres des routes plus aisées. Mais je raisonne en vain, que sert-il de parler ? Vous courez au combat, vous y voulez voler; Et malgré les efforts des troupes infidelles, Esteindre dans leur sang le feu de nos querelles, Sçachant qu’un brave cœur ne peut jamais périr Dedans le beau dessein de vaincre ou de mourir. Et bien, allons amis, certains que nostre gloire Remplira l’Univers apres cette victoire, Si tous d’un mesme accord nous y voulons courir Avec ce beau dessein de vaincre ou de mourir, Le Demon qui regist le sort de nostre Empire, Ne souffrira jamais que nous ayons du pire, Et de tout son pouvoir nous viendra secourir, Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir; Les vœux que le Senat pousse en cette occurance Verront recompenser leur sainte violance, Et tant de pleurs qu’il verse en fin pourront tarir, Si nous avons dessein de vaincre ou de mourir, Que si trop longuement je parle en cette sorte, C’est l’amour du païs qui me presse et m’emporte, Resistons luy pourtant, et sans plus discourir, Qu’il agisse au dessein de vaincre ou de mourir. Quand le ressentiment des libertez ravies Ne nous forceroit pas à prodiguer nos vies, Ton discours sur mon cœur a fait un tel effort, Qu’il me tarde déja d’estre vainqueur ou mort. De moy quelques succez que le Ciel nous prepare, La constance toujours me servira de phare, Et malgré les escueils je trouveray le port Dans cét ardent desir d’estre vainqueur ou mort. Vos desirs sont les miens apres ce qu’a dit Brute, Il n’est rien que je n’ose et que je n’execute; L’honneur, la liberté, Rome, l’Estat mal sein, Tout nous porte aujourd’huy dans un si beau dessein. Je voy ces lasches cœurs qui rougissent de honte, D’avoir de leur honneur tenu si peu de compte; Mais il est déja temps que chacun à son rang Aille faire rougir ses armes de leur sang. Demons qui conduisez l’ordre des Destinées, Si Rome doit flechir sous le joug des Tyrans, Commandez à la mort de trancher mes années, Ou me donnez le cœur d’imiter mes parens. Rome qui commandois ce que le monde ensere, Voudrois-tu subsister apres cét accident ? Abysme toy plûtost au centre de la terre, Cét effort genereux te sauve en te perdant. Demoly les Autels de ces Dieux de fumée, Que leurs Temples brisez tesmoignent aux Neveux Qu’apres avoir en vain leur force reclamée, Tu sceus venger au moins la perte de tes vœux. Tyrans presomptueux dont l’audace effrontée S’efforce d’usurper un bien si precieux, Vous courez obstinez au feu de Promethée, Qui doit faire rougir vos cœurs ambitieux. Et moy dois-je douter qu’apres un coup si rude Rien me puisse empescher de courir à la mort, Si mon pere fuyant la mesme servitude Malgré tous ses Soldats fut maistre de son sort. Madame, en cét instant tous les Soldats en armes Commencent le combat qui doit finir vos larmes; On n’entend rien que cris et que gemissemens, Vous diriez que le Ciel confond les Elemens: Les traits volans en l’air par un confus rencontre Empeschent le Soleil de voir ce qu’il nous monstre: Déja venus aux mains, les nostres plus hardis Tesmoignent d’estre encor ce qu’ils furent jadis, S’il vous plaist de les voir, vous le pourrez sans peine, Du haut de ce rocher qui commande à la plaine, J’en viens tout maintenant pour vous en advertir, Croyant que cét objet vous pourroit divertir. Observez sans danger l’ordre des deux armées, Par la haine et l’honneur au combat animées, C’est un plaisir fort doux dans un cœur arresté, Qui voit sans interest l’un et l’autre costé: Mais represente toy la course vagabonde D’un vaisseau que deux vents balottent dessus l’onde, Et tu verras l’estat d’un courage offensé, Qui dans l’un des partis se trouve interessé; Suivant que l’ennemy s’avance ou qu’il recule, Tantost la peur le glace, ore l’espoir le brusle, Il attaque, il defend, et pour ferme qu’il soit, Il est aussi flotant que le combat qu’il voit. Un esprit du commun pourroit souffrir à l’heure; Mais le vostre, Madame, a la trempe meilleure, Outre que s’il faut croire aux promesses des Dieux, Vous verrez aujourd’huy Brute victorieux. Les Dieux me sont suspects depuis que leur cholere En faveur d’un Tyran arma contre mon pere; Allons y toutefois, et par nos actions Tesmoignons qu’un grand cœur dompte ses passions. C’en est fait, chere Rome, il faut rendre les armes, Et tascher d’espargner ton sang avec tes larmes; Il faut s’humilier aux pieds d’un Empereur, A ce nom seulement je frissonne d’horreur: Mais quoy le sort le fait, ce grand Maistre des choses Veut voir ton changement dans ces metamorphoses; Flechy donc, grande Reyne, et ne t’offenses pas D’un conseil que je donne, et que je ne prens pas, Mon dessein y resiste, et je veux mourir libre, Puis qu’il plaist au Destin que je cesse de vivre; Mais apres un eschet si grand et si fatal N’idolastre jamais les autheurs de ton mal, Tesmoigne leur plûtost qu’il n’est rien de si rude Que le joug insolent qui fait ta servitude; Et peut-estre qu’un jour Brute ressuscité Te rendra le bon-heur avec la liberté: Et vous, mes chers amis premiers dans mon estime, Monstrez en cét endroit que l’honneur vous anime, Et que l’injuste effort d’un insolent vainqueur Ne vous a pas osté la force ny le cœur: Mais sur tout que la foy que vous m’avez jurée Au delà du bon-heur peut porter sa durée, Je ne desire pas que vous trempiez vos mains Dans le barbare sang de nos Tyrans Romains: Je ne demande pas que vous alliez en Thrace Pour refaire une armée, et choquer leur audace; Ce seroit vainement heurter contre le sort, Mais je veux seulement qu’on me donne la mort, C’est par cette action que je dois reconnoistre Qui de vous ayme mieux le salut de son Maistre: Comment à ce discours vous changez de couleur, C’est trop precipiter un extreme malheur, Que sçait-on si le Ciel à Brute favorable, Vous reserve à tous deux un sort plus honorable ? Mais d’ailleurs que sçait-on si mort comme vaincu Il ne me blasme point de l’avoir survescu ? Ces soupçons esclaircis j’offre vous satisfaire, Cependant laissez moy le soin de cét affaire, Je m’en vay dans son camp, et si je ne meurs pas     Vous apprendrez bien-tost sa vie ou son trespas. Tu hazardes beaucoup.         Nul danger n’espouvante Ceux qui sont pour Cassie et pour Rome mourante. J’approuve ce conseil.         Et je l’estime aussi. Va donc, mais souvien toy que je t’atens icy. La mort seule pourra me fermer le passage. J’estime fort Titine, il est vaillant et sage, Mais cependant gagnons le haut de ce rocher, Pour mieux voir si quelqu’un nous voudroit approcher. Les Tyrans sont vaincus, et nostre chere terre Va trouver son repos dans la fin de la guerre; Un injuste dessein ne se peut maintenir, Les Dieux sont bien clemens, mais ils sçavent punir: Jusqu’icy nos Tyrans enflez de vaine gloire, Ont creu de gagner tout avec cette victoire, Et nos pauvres Romains non sans grande raison, Ont creu de rencontrer chez eux une prison: Mais aujourd’huy le Ciel pour terminer nos plaintes, Rabat leur esperance, et dissipe nos craintes. Octave dans son lict a trouvé le tombeau, Indigne qu’il estoit d’un traitement plus beau; Et la pluspart des siens estendus sur la poudre, Ont creu que Jupiter nous aydoit de sa foudre. Cassie a…         L’un des siens s’en vient parler à vous. Les Tyrans sont vaincus.         Ils sont vainqueurs pour nous. O Dieux justes et bons ! est-ce donc la coustume De ne gouster jamais de bien sans amertume ? Mais Cassie…         Il attend apres votre secours, D’où provient ce malheur, fay nous en le discours. Soudain que le signal fit partir nos armées, On les vit pesle et mesle au combat animées; Car l’honneur excité par le feu du courroux, Les faisoit à l’envy precipiter aux coups: Nostre Chef le premier au milieu de la presse Estale sa valeur, signale son adresse: L’ennemy voit par tout des effets de son bras, Et la mort suit toujours la trace de ses pas; Chacun à son exemple alume son courage, Avec tant de ferveur, qu’il va jusqu’à la rage. L’ennemy s’en estonne, et son esprit en deüeil Tremble que ses desseins ne trouvent un escueil: La mort volle par tout, le sang avec les larmes En mille endroits divers se mesle en ces alarmes. Tout fremit, tout se plaint, les morts et les blessez, Gisent confusement l’un sur l’autre entassez. Dans ce sanglant carnage icy l’un s’evertuë D’arracher de son corps la fleche qui le tuë, Et là l’autre retient par de foibles efforts Son sang que mille coups font sortir de son corps. Nous nous vantions déja d’une heureuse victoire, Quand l’ennemy fasché de voir perdre sa gloire, Et de se voir presser avec tant de fureur, Ralume dans le sang sa premiere vigueur: Ce fut lors que la mort en mille endroits pressée Se craignit elle mesme, et fut souvent blessée. Ce fut lors que l’Enfer fit voir en abregé Ce qu’il a de plus noir et de plus enragé. Ce fut lors qu’on craignit que le Ciel en colere Voulut noyer de sang l’un et l’autre Hemisphere, Et que Bellonne mesme herissant ses cheveux Arresta sa fureur pour recourir aux vœux: L’asseurance et la peur à travers la fumée Repasserent cent fois de l’une à l’autre armée, Et la victoire errant en ce danger mortel Douta qui resteroit pour luy faire un Autel. Fort long-temps ce combat dura de cette sorte, Sans que l’un soit vainqueur, ny que l’autre l’emporte: Mais en fin nos soldats se sentans fort pressez, Et des premiers efforts extremement lassez: Malgré tous les conseils que nostre Chef leur donne Laissent choir en fuyant leur premiere Couronne, L’ennemy les poursuit, et peint avec leur sang, En mille, en mille endroits la honte sur leur flanc, Jusqu’à ce que craignant qu’ils tournassent visage, Et que le desespoir leur rendit le courage, Anthoine commanda que l’on se retirast, Content d’avoir gagné la place du combat: Cassie craint depuis qu’une mesme avanture Vous ait fait dans le sang trouver la sepulture, Ou que pour eschaper aux Tyrans des Romains, Vous ayez contre vous armé vos propres mains: C’est pourquoy son esprit touché de mesme envie, A destiné ce jour pour la fin de sa vie; Et si vous desirez d’avancer son trespas, Il faut partir bien-tost, et marcher à grands pas. La nonchalance icy seroit bien criminelle. Je m’en vay luy porter cette heureuse nouvelle. Nous te suivrons de prés, je voy dans ce malheur Que jamais le plaisir ne va sans la douleur, Je ne crain pas pourtant que l’ennemy se vante, Ny que pas un de vous en prenne l’espouvante; Puis qu’en comparaison de la perte qu’il fait La nostre mediocre est un gain en effet, Mais il est déja temps que j’aille vers Cassie, Remettant à tantost l’heure de voir Porcie. Quoy, je voy l’ennemy qui s’en vient à grands pas, Et vous voulez encor differer mon trespas ? Vous n’aimastes de moy que ma bonne fortune, Car depuis mon malheur, ma voix vous importune; Le soin de m’obeïr ne vous semble plus cher, Et vous estes pour moy plus durs que ce rocher: Ingrats à quel dessein, est-ce pour me remettre Es mains de l’ennemy, et me donner un Maistre ? Vous soupçonnez à tort nostre fidelité, Mais ce trespas me semble un peu precipité, Titine...         Ha ! ce seul nom m’est un sujet de rage, Qui reviendra bien-tost calmera cét orage. Je l’ay precipité dans l’excez du danger, Mais bien-tost par ma mort il se verra venger. Sus donc, ne tardez plus, contentez mon envie, Vous me tuez cent fois en me donnant la vie. Quoy, vous baissez les yeux, mouvemens imparfaits, Demetrie, Pindare, où sont donc mes bien-faits ? Je vous ay rendus francs, et vostre ingratitude Me veut laisser croupir dedans la servitude, Insensibles, cruels, pour estre malheureux, Ne suis-je plus en droit de dire je le veux ? Devoirs, faveurs, bien-faits, liberté redonnée, Venez vous presenter à mon ame obstinée; Chassez ces mouvemens de tendresse et d’amour, Et que l’obeïssance y domine à son tour. Mes vœux sont exaucez, cher Maistre je vous cede, Et puis que vostre bien depend de ce remede; Quoy que ce lache cœur y souffre du combat, Je veux estre meurtrier pour n’estre pas ingrat: Mais si dans vostre esprit la pitié trouve place, Jusques apres cela ce qu’il faut que je face, Et de combien de morts pour une seule mort Cét acte me prepare à ressentir l’effort, Faire mourir celuy de qui je tiens la vie, Qui seul peut affranchir nostre Rome asservie, Que je perde celuy que la faveur de Mars A mille fois sauvé du milieu des hazards: Et bref qu’en un moment je defasse un ouvrage, Que des siecles ont fait pour honorer nostre âge, Mon Maistre, mon Seigneur, seul apuy du païs, Ha ! que je suis brutal si je vous obeïs. Tous ces foibles discours offensent mon courage, Icy l’amour me nuit, et la pitié m’outrage, Si toutefois on peut donner des noms si saints Au profane mespris qui choque mes desseins, Pindare tu me hais en m’aymant de la sorte, Je ne sçaurois survivre à la liberté morte: Ouvre moy l’estomach, mais tu jettes ce fer Qui me devroit ouvrir la porte de l’Enfer, Peut-estre que ta lame aux ennemis fatale Frapant contre un amy, craint d’estre desloyale; Si c’en est le sujet, pousse la hardiment, Tu m’as fait ennemy par ton retardement: Mais pour ne pas troubler ton visage ordinaire, Tien, voicy ce poignard qui t’offre de le faire, Aussi depuis long-temps choisi pour ce dessein, Il en seroit jaloux s’il ne m’ouvroit le sein. Puis-je voir achever un acte si barbare ? Ne differe donc plus brave et sage Pindare, Il a rougi du sang du Tyran des Romains, Lors que dans le Senat il mourut par nos mains. Puis que dans ce dessein vostre ame est obstinée, Et que je dois ceder à cette Destinée, Ce coup en vous perçant me va percer le cœur. Adieu, ne suy jamais le party du vainqueur. Que dois-je devenir apres une avanture, Dont l’effroyable objet fait trembler la Nature ? Faut-il que ce poignard apres un tel forfait Laisse encore durer le meurtrier qui l’a fait ? Ouy, qu’il vive l’ingrat, puis qu’une mort soudaine Pour expier son crime auroit trop peu de peine, Qu’il vive, mais vivant que ses cuisans remorts L’exposent tous les jours à de nouvelles morts. Je veux ceder au temps, et tarissant mes larmes Porter aux ennemis ces malheureuses armes, Peut-estre cét objet disposera leurs cœurs A n’user pas sur moy du pouvoir des vainqueurs. Pourroit-on justement m’accuser de paresse ? Mais d’où vient que je tremble et que le poil me dresse ? N’avons nous pas encor dequoy braver le sort, Puis que Brute est vainqueur, quel est cét homme mort ? Sans doute un malheureux qui blessé dans la plaine S’est traisné jusqu’icy pour y finir sa peine: Voyons-le de plus prés, O trop injustes Dieux ! Quel deplorable objet monstrez-vous à mes yeux ! Cassie est-ce donc vous que la mortelle Parque Vient de precipiter dans l’infernalle Barque ? O rage ! ô desespoir tesmoins de ce forfait ! De grace apprenez moy qui le peut avoir fait: Mais quoy je les connoy ces ames mercenaires, Ces lasches afranchis, ces cruelles viperes, Pour gagner le Tyran qu’ils croyoient absolu, Ont achevé ce coup sans qu’il l’eust resolu. Ha traistres ! si Cæsar n’est pas déraisonnable, Il punira sur vous ce meurtre abominable: Le bien qu’il doit tirer de vostre trahison Ne l’empeschera pas d’en avoir sa raison: Pour moy dont le depart facilita ce crime, Je veux à ma fureur me choisir pour victime, Afin que mon esprit justement affligé Ne me reproche pas de ne m’estre vengé, Et qu’on puisse trouver au Temple de memoire Que je fus innocent d’une action si noire. Sus donc mourons, mon cœur, certain que le trespas Peut faire seulement que nous ne mourons pas. Ha, Brute !         Quelle voix vient de se faire entendre ? Celle d’un innocent que la parque va prendre. O malheur sans pareil ! Cassie est aussi mort. Il faut dissimuler.         O dure loy du sort ! Les hommes courent tous une mesme avanture, Par cét ordre fatal prescrit par la Nature; La mort void d’un mesme œil les Bergers et les Rois, Et tout également succombe sous ses lois. Ne murmurez donc plus, mais reprenans courage, Esperez le repos de la fin de l’orage: Par de divers moyens le Ciel peut secourir, Cassie estoit un homme, il devoit donc mourir, En tuant un Tyran on a peu sauver Rome, Mais on ne la pert pas dans la perte d’un homme; Car bien que la grandeur des puissans attentats Semble estre le pilier qui soustient leurs Estats; Si le Ciel n’est l’Atlas de ces lourdes machines, Bien-tost tout leur esclat se change en des ruines. Quand de tous nos Soldats le dessein perverty Voudroit favoriser le contraire party. Et quand le monde entier s’armeroit pour Octave, Si le Ciel est pour nous, il sera nostre esclave, Il verra que l’orgueil ne le monte si haut Que pour luy procurer un plus funeste saut; Celuy qui des Geans ne fit qu’un peu de poudre, Garde le mesme bras qui leur lança la foudre, Et n’a point relaché de son adversion, Pour ces Monstres boufis de trop d’ambition, Il se sert quelquefois de nous et de nos armes Pour respandre du sang, et pour tarir des larmes: Mais s’il voit que nos bras ne sont pas assez forts, Soudain il a recours à de meilleurs efforts; Il inspire la peur dans la troupe ennemie, Qui bien-tost en fuyant se noircit d’infamie, Et sans sçavoir pourquoy craint si fort le trespas, Que les plus fiers torrens ne l’aresteroient pas. Amis, esperons tout de la faveur Celeste, Nous n’avons rien perdu puis que cela nous reste, Cassie est à present le butin du trespas, Mais les Dieux sont vivans et nous avons des bras; Cependant quand la nuict mettra sa robbe obscure, Portez sans bruit ce corps dedans la sepulture, Et j’espere demain par ma langue et mes mains De redonner le cœur et Rome à nos Romains. Tous ceux qui comme nous combatent pour la gloire, Se peuvent asseurer d’emporter la victoire, Les Dieux ne choquent point un dessein genereux, A plus forte raison quand il n’est que pour eux, La mort du grand Cæsar appele leurs justices, A punir son autheur avec tous ses complices, Et je croy qu’à l’instant que ce coup fut donné Contre les criminels leur cholere eust trouvé, S’ils eussent peu choisir la flamme d’un Tonnerre, Qui n’eust pas avec eux bruslé toute la terre: Mais ne pouvans agir avec un moins puissant, Ny perdre ces meurtriers sans perdre l’innocent; Ils veulent que nos mains en fassent la vengeance, Et purgent ce païs de cette noire engeance, Déja leur volonté s’explique heureusement, Et vostre valeur fait ce doux evenement. Vos vœux mieux que mon bras me l’ont rendu possible. Ha cette flatterie est un peu trop visible ! Chacun sçait comme quoy vous avez combatu; Mais un cœur genereux doit cacher sa vertu. C’est pourquoy tous les jours vous nous cachez la vostre. Je vous respondroy bien si vous estiez un autre, Mais dans les complimens comme dans les combats, Il faut à vostre abord mettre les armes bas. Ce Soldat de retour porte sur le visage Les signes evidens d’un funeste presage. Le sensible regret où le sort me reduit D’estre contraint à dire un mal qu’il a produit, Estoufe ma parole, et m’auroit osté l’ame, Si je n’eusse envers vous aprehendé du blasme. Quoy Brute seroit-il de mes troupes vainqueur ? C’est là le trait mortel qui me perce le cœur. Tandis qu’Octave et moy porterons une espée, On la verra toujours contre Brute occupée; Ce traistre ne sçauroit éviter nostre fer, Et nous l’irions chercher jusque dedans l’Enfer: Poursuy.         Le souvenir d’un si sanglant carnage, Met mon ame en desordre et glace mon courage, Jamais le Ciel n’a veu tant de corps renversez, Et la mort assouvie a crié, c’est assez. Soudain que l’ennemy commença de paroistre, Nos Soldats animez par la haine du traistre, Tesmoignent à l’envy ce que peut le courroux, Quand la haine et l’honneur en excitent les coups; L’ennemy d’autre part courant à la meslée Oppose à leurs efforts sa valeur signalée; Les dards greslent par tout, et les plus avancez En croyant de blesser, sont eux-mesmes blessez; L’air n’est plus esclairé que d’une lueur sombre, La poussiere et les traits les font combatre à l’ombre, On ne sçauroit juger quels seront les vainqueurs, Tous paroissent égaux et de bras et de cœurs. En fin lassé de voir la victoire en balance, L’ennemy fond sur nous avec tant d’insolence, Qu’on eust dit à le voir les armes à la main, Qu’il menoit avec luy tout l’Empire Romain. Tout meurt à mesme instant, on ne voit point d’espée Qui du sang des Romains ne paroisse trempée, Nos Soldats à genoux implorans les vainqueurs: Mais helas c’est en vain ! la rage est dans leurs cœurs; Tel pour s’innocenter voudroit ouvrir la bouche, Qui sent ouvrir son cœur par le fer qui le touche; Et tel autre en fuyant tâche à prendre party, Qui void d’un coup mortel son dessein diverty: L’horreur seme par tout une froide fumée Qui glace le courage à nostre pauvre armée, Des longs gemissemens fendent l’air alentour, Le Soleil de regret voudroit haster son tour: Le sang coule par tout, on ne voit point de terre Qui ne porte en son front les marques de la guerre: Icy deux vrais amis sur le poinct de leur mort, Pleurent en s’embrassant la rigueur de leur sort. Icy le pere void son fils dessus la poudre, Et dépite le Ciel pour attirer sa foudre. Icy par des regrets qui fendroient un rocher, Un fils pleure la mort de ce qu’il eust plus cher. Icy dedans le sang mille blessez se noyent, Implorans la faveur de tous ceux qui les voyent. Et bref il est par tout tant d’objets de terreur, Que je croy que l’Enfer en frissonna d’horreur; Brute bien-tost apres fit cesser le carnage, Et receust à mercy les restes du naufrage. Que puis-je dire encor, sinon que le Soleil Ne vit jamais çà bas un desordre pareil ? Et que si les grands Dieux sont pour nostre justice, Ils ont fort peu de force, ou beaucoup de malice. Ha ! pourquoy dans la fin de ces tristes discours, Ne puis-je rencontrer celle-là de mes jours ? Destins injurieux, fortune, parque, envie, Rendez moy mes Soldats, ou ravissez ma vie; Ennemis de mon bien au lieu de me guerir, Vous deviez travailler à me faire mourir, Aussi bien le regret où ce malheur m’abysme, Persuade à mon cœur que ma vie est un crime. Helas ! vit-on jamais Prince plus mal traitté ! Je rencontre la mort lors que j’ay la santé: Donc je ne verray plus tant de braves gensdarmes, Que mon seul interest portoit dans les alarmes. Donc sans ses compagnons Octave durera, Et les membres perdus le Chef subsistera ? Ha ! non mes chers amis, n’ayez point cette doute, Vostre trespas m’apprend une mortelle route: Et si durant vos jours vous suivites mon sort, Au moins je vous rendray la pareille en ma mort: Mais ne connoy-je pas que la douleur m’emporte ? Jamais un general ne parla de la sorte: Et lors que le destin luy donne des malheurs, Il songe à la vengeance, et non pas à des pleurs; Prenons donc desormais ce party legitime, Que Brute et tous les siens nous servent de victime; Ramassons promptement le debris de nos gens, Et sauvons aux Destins le tiltre de changeans. Ombres de mes amis, Manes de ma Noblesse, Ce bras vous vengera du mutin qui vous blesse: Et dessus les Cyprés qui couvrent vos guerriers, Cette lame fera refleurir des lauriers, L’astre de la clarté vient d’une grote noire, Et le malheur souvent donne l’estre à la gloire, Les Dieux aymoient Cæsar, et ne pourroient souffrir De voir vivre long-temps ceux qui l’ont fait mourir. S’ils eussent eu dessein de choquer nostre envie, Octave dans son camp auroit perdu la vie, Et mes Soldats et moy par un mesme destin Aurions dans le combat rencontré nostre fin: Mais ils sauvent ce Prince, et me donnent la gloire D’emporter sur Cassie une belle victoire; Si bien qu’à balancer ce rencontre fatal, J’estime que le bien l’emporte sur le mal; J’ay de mes bataillons ensanglanté la terre, Et porté dans son camp le foudre de la guerre, Luy seul s’est garanty d’un funeste trespas. Et ces armes pourtant ne le tesmoignent pas. O Dieux ! seroit-il vray qu’il ne fut plus en vie ? Par un discours plus clair contentez nostre envie. Qui considerera mon Estat et mon sort, Il pourra bien juger que ce grand homme est mort; Tandis qu’il a vescu j’eusse creu faire un crime De donner qu’à luy seul mon cœur et mon estime, Au lieu qu’en cét estat je vien vous reverer, Comme des Rois vainqueurs que tout doit adorer. Un bon cœur que les Dieux ont rangé sous un Maistre, S’il ne le suit partout, s’acquiert le nom de traistre: Mais alors que la mort en a fait son butin, S’il a du jugement il change de destin. Pendant que les Romains sous un guerrier si brave Se defendoient des noms de captif et d’esclave, Je croyois que bien-tost cedans à nostre loy, Vous démordriez de ceux d’Empereur et de Roy; Je pensois que jamais la puissance de Rome Ne se devoit ranger aux volontez d’un homme, Et qu’on verroit bien-tost ses plus grands ennemis Faire hommage à la main qui les auroit sousmis: Mais depuis qu’il est mort, je croy que tout se bande A rendre tous les jours vostre gloire plus grande, Et que dans peu de temps les peuples esbahis Viendront dessous vos loix asservir leur païs; Moy pour ne pas troubler dans ces metamorphoses, Cét ordre merveilleux que prennent toutes choses, Sçachant qu’on ne le peut sans estre criminel, Je viens pour vous offrir un service eternel, Trop heureux si je puis en faveur de ces armes Obtenir une place au rang de vos Gendarmes. Icy les gens d’honneur peuvent trouver un port Qui les met à couvert des orages du sort. Cavaliers, vos desirs ont un effet propice, Vous aurez cette place, et rendez nous service. O Dieux ! qui connoissez mon amour mieux que moy, Venez parler de grace en faveur de ma foy, Ou si vostre grandeur repugne à cét hommage, Inspirez à ma bouche un celeste langage, Pour dire à ces Seigneurs combien je suis heureux, Si le Destin permet que je meure pour eux. Puis que Cassie est mort, je croy qu’en asseurance Nous pouvons assembler toute nostre puissance, Pour suivre l’ennemy tandis qu’il est troublé. Allons le proposer au Conseil assemblé. Protecteurs de la liberté, Grands Maistres de la destinée, Dont la puissance n’est bornée Que par la seule volonté. O Dieux ! apres cette victoire Je veux celebrer vostre gloire, Et dessus vos autels où fumera l’encens, Faire que le sang des Victimes Lave desormais tous les crimes Que j’ay nagueres faits de vous croire impuissans. Par le mesme effet de bonté Qui fait prosperer nostre guerre, Jusques icy vostre Tonnerre A souffert mon impieté: J’adore vos faveurs extremes, Et me repens de ces blasphemes, Dont ma bouche a voulu noircir vos Majestez, Mon ame est aujourd’huy plus saine, Je n’ay plus contre vous de haine, Elle s’en est allée avec vos cruautez. Brute, l’honneur de nos guerriers Parmy le sang et le carnage, Vient de signaler son courage, Et de se couvrir de lauriers: Dans cette publique alegresse On idolatre sa prouësse: Et tous nos Citoyens encensent à son bras, Grands arbitres de nostre vie Souffrez ces honneurs sans envie, Celuy qui les reçoit ne vous les ravit pas. Ce Heros avec des respects Admire vostre providence, Et connoist en cette occurance Que peuvent vos divins aspects. O Majestez que je revere ! Que vos decrets ont de mystere, Et qu’on prevoit bien mal ce qu’ils ont arresté, Pour de sagesses si profondes La raison n’eust jamais de sondes, Et le plus clair esprit n’est rien qu’obscurité, Naguere Octave dans le port S’imaginant nostre naufrage Menaçoit Rome de servage, Et tous nos Citoyens de mort: Cette grosse et superbe armée Faisoit dire à la Renommée Que tout devoit flechir sous ses puissantes loix, Et que nos bandes dissipées Ne seroient bien-tost occupées Qu’à faire des bouquets pour couronner des Rois. Cependant ils sont abatus, Leur orgueil n’est plus que fumée, Et le débris de leur armée Esleve un trosne à nos vertus; Le camp d’Octave est nostre proye, Ses feux, sont ceux de nostre joye, Sa honte est nostre honneur, sa nuict nostre flambeau; Son sang espandu nous anime, Et par un destin legitime Nous trouvons nostre vie au fonds de son tombeau. En fin je voy qu’un jour vous banissez la plainte. Je ne me plains jamais sans des sujets de crainte, Et je croy qu’aujourd’huy j’ay rencontré le point, Où sans stupidité je puis ne craindre point. Vous voir victorieux, quoy seroit-il possible Qu’encor à la douleur mon ame fut sensible ? Non Brute, il est certain qu’en l’estat où je suis, Mon cœur seroit ingrat s’il avoit des ennuis; Dans le ressentiment de mon bon-heur extreme Je commence de voir que je deviens moy-mesme, Vostre gloire me charme, et mes sens enchantez N’ont plus de mouvemens que pour les voluptez, Voudriez vous bien choquer ce dessein legitime ? Le penser seulement me tiendroit lieu de crime: Toutefois il est vray qu’on n’est jamais au port Lors qu’on peut ressentir les caprices du sort. Si bien qu’en cét estat j’estime une ame sage A qui nul accident ne change le visage, Et qui goustant des maux ou des felicitez, Ne se porte jamais dans les extremitez, Ce beau temperament nous sauve des orages, Et nous fait une planche au milieu des naufrages, Au lieu qu’on voit toujours un violant transport Agiter nostre esprit et l’esloigner du port. Apres un tel bon-heur qu’est-il que j’aprehende ? Ayant Brute vainqueur, j’ay ce que je demande. Si bien qu’aucun malheur ne vous sçauroit toucher. Mon cœur contre leurs coups est armé d’un rocher. Puis qu’il est si constant, j’aurois mauvaise grace     Si je luy cachois rien de tout ce qui se passe, Sçachez donc, mon cher cœur, que Rome n’a qu’un bras, Que le fleau des Tyrans, l’amour de nos Soldats, Le bouclier du païs, le foudre de la guerre, Que Cassie en un mot ne vit plus sur la terre: Et ce qui vient encor augmenter mon ennuy, Que presque tous les siens ont mesme sort que luy, Et qu’il faut que demain la bataille se donne, Qui me doit apporter la mort ou la Couronne; Mon regret toutefois en ce dernier effort, Ne vient que de vous voir à la mercy du sort, Et le Ciel m’est tesmoin qu’en ce danger extreme, Pour songer trop à vous je m’oublie moy-mesme. Ce n’est pas que mon cœur n’espere tout des Dieux, Mais il fend de regret de vous voir en ces lieux, En un temps où la mort doit verser sur la terre Un deluge de sang pour esteindre la guerre. Vostre seule presence allege mon soucy, Et vous desireriez de me voir loing d’icy: Brute quittez, de grace, un discours qui m’offense, Jugez mieux de mon cœur, traittez mieux ma constance, Et sçachez que l’amour qui m’embrase le sein, Ne concevra jamais un si lâche dessein. Quoy, vous abandonner au milieu des alarmes, Et me retirer seule à la mercy des larmes ? Cela choque si fort mon esprit resolu, Qu’il mourroit mille fois si vous l’aviez voulu: Mais j’ose me flatter que vostre cœur propice Ne me rendit jamais un si mauvais office; Et quand il le feroit, il n’avanceroit rien, Puis qu’il sera toujours accompagné du mien. Quand je voy tant d’amour et de courage ensemble, J’adore le lien dont le Ciel nous assemble, Et croy que tous les biens que j’ay receu des Dieux Au prix de celuy-là, n’ont rien de precieux, Que dans le beau dessein de n’estre point esclave, J’aye tué Cæsar, j’aye defait Octave: Que mon front mille fois ait changé de Lauriers, Qu’on m’estime par tout le Phœnix des guerriers, Ces honneurs, quoy que grands, plaisent moins à mon ame Que la gloire que j’ay de vous avoir pour femme. Pour le moins avec moy vous possedez un cœur, Qui ne sçauroit souffrir que Brute pour vainqueur. Et le mien fera voir où que le Ciel m’adresse, Qu’autant qu’il aye un Maistre, il ayme une Maistresse: Mais il est déja tard, retirons nous d’icy. Dieux ! finissez bien-tost ma vie ou mon soucy. Je rends graces aux Dieux de ce que dans l’orage Chacun de vous conserve un genereux courage; C’est beaucoup de dompter avec les ennemis, Les extremes dangers où l’honneur nous a mis; C’est beaucoup, il est vray, puis que cette victoire Nous fait des monumens au Temple de memoire: Mais il faut persister, et ne s’arrester pas Que nous n’ayons trouvé la paix ou le trespas. Je veux dire une paix qui purge nostre terre Par la mort des Tyrans des semences de guerre: Paix qui rende l’esclat à ce siecle pervers, Et qui puisse durer autant que l’Univers. Allons donc, mes amis, au plus fort de la presse Chercher parmy le sang cette belle Deesse, Elle suit les lauriers, vit prés les gens de cœur, Et ne quite jamais le party du vainqueur; Ainsi voit-on souvent dedans l’ordre des choses, Naistre plusieurs effets contraires à leurs causes: Nos ennemis rangez pour ce dernier effort, Portent peinte en leur front l’image de la mort, Je les voy tous tremblans à l’abord de nos armes, Ceder aux mouvemens des premieres alarmes: Ils fuyent, et fuyans, nous laissent le bon-heur, La paix, la liberté, le repos et l’honneur. Avançons ce moment pour haster nostre gloire, Et volons, s’il se peut, apres une victoire, Dont la possession nous acquiert desormais La beauté d’un renom qui ne mourra jamais: Ouy, nous vivrons, amis, malgré les destinées, Autant que le Soleil reglera les années; Si nous luy faisons voir cette derniere fois Que nous avons pour but le soustien de nos lois, Et que nous n’avons pas cette vieille manie De triompher des Rois, mais de la tyrannie. Ce monstre est en horreur aux yeux des immortels, Puis qu’il porte ses loix au delà des autels, Et que son droit sanglant mit dans la sepulture Avec le droit des gens celuy de la Nature: Mais je croy que bien-tost lâchement abatu Il viendra rendre l’ame aux pieds de la Vertu; Nos Citoyens alors par des voix esclatantes Chanteront le retour des libertez absentes; Rome franche des Rois et de leurs cruautez, Estalera sa gloire avecque ses beautez; Les guerres des Tyrans y seront estoufées, Et ne paroistront plus que parmy nos trofées, Nostre Aigle dont le vol sembloit estre intermis, Reverra tous les lieux qui luy furent sousmis. Le Senat reprendra cét esclat honorable, Qui par tout l’Univers l’a rendu venerable, Et les Tribuns remis auront la faculté De maintenir le peuple en son authorité; Pour nous qui soustenus d’une ferme esperance Aurons presté nos bras à cette delivrance, On ne nous descendra de nos chars glorieux, Que pour nous eslever sur les trosnes des Dieux. Soleil, fay que bien-tost ce beau jour nous esclaire; Mais je te parle en vain, tu ne le sçaurois faire, Si nous ne dissipons par des coups furieux Ce nuage ennemy qui te cache à nos yeux. Allons y donc, amis, et que toute la terre Tremble sous nos efforts comme sous le Tonnerre, Que le sang espanché fasse soudre un estang Pour noyer les poltrons qui fuiront de leur rang, Afin qu’à l’advenir il ne naisse point d’homme Qui s’ose rebeller contre l’honneur de Rome, Et que ses Citoyens soient exempts desormais D’acheter par leur sang la victoire et la pais. Brute, la liberté, l’honneur et la victoire Demeureront toujours dedans nostre memoire: Vive donc toujours Brute, et meurent les Tyrans. A moy donc compagnons, et qu’on garde les rangs. Qu’ay-je fait qui merite un traitement si rude ? Quel tourment est égal à mon inquietude ? Morphée tous les soirs m’ouvre mille tombeaux; La terre fend sous moy, je n’entends que corbeaux: Et ce qui vient encore augmenter mes supplices, Je lis mon mauvais sort dans tous mes sacrifices. Que puis-je devenir, où dois-je avoir recours ? Puis que mesme la mort est sourde à mes discours ? Mets fin à mes malheurs, Deesse qui sommeilles, Mais je l’appele en vain, elle n’a point d’oreilles. Et quand elle en auroit, son inhumanité Ne prend jamais la loy de nostre volonté; Et moy je veux mourir, c’est mon dernier remede: Mais pour trouver la mort, ay-je besoin d’un aide ? Ce bras ne peut-il pas enfoncer dans mon sein, Ce qui doit achever un genereux dessein ? Sans doute, et si les Dieux ne cessent de nous nuire, Je leur espargneray le soin de me destruire, Afin que par ce coup l’Univers puisse voir, Qu’une ame genereuse est hors de son pouvoir, Et qu’elle peut trouver nonobstant leur envie, L’honneur, la liberté, le repos et la vie. Pourquoy murmurez-vous contre les immortels, Au lieu que vous deussiez embrasser leurs autels, Et par le zele ardent d’une sainte priere, Demander à genoux la victoire derniere: Madame, apaisez-vous, rappelez la raison, Toy bannis ces discours qui sont hors de saison, Et s’il te reste encore quelque peu d’esperance, De voir nos gens vainqueurs, démentir l’aparence, Va jouyr du plaisir de les voir revenir, Et me laisse en ce lieu seule m’entretenir, Tu peux beaucoup pour moy dans cette obeïssance. C’est pourquoy je voudrois qu’il fut en ma puissance; Mais on m’a commandé de ne vous quiter pas. C’est me perdre pourtant que de suivre mes pas. Je mourray mille fois avant que je vous laisse. En quel extreme poinct la Fortune m’abaisse, Si mes meilleurs amis loing de me soulager, Ne se monstrent ardens qu’à me desobliger ? Et bien, puis qu’on le veut, ne quite point mes traces, Adjouste ta presence à mes autres disgraces, Il ne m’en fasche pas, il faut ceder au sort. Bons Dieux assistez moy pour empescher sa mort. Qu’on pardonne aux Romains, qu’on cesse le carnage, Il suffit que sur eux nous avons l’avantage, Tout est déja reduit au poinct de nos desirs, Et bien-tost les travaux feront place aux plaisirs; Rome nous reverra comblez d’heur et de gloire, Non tant pour les lauriers deus à cette victoire, Mais pour avoir vengé l’insolent attentat, Qu’en meurtrissant Cæsar, on fit sur son Estat. Le temps est oportun, l’occasion est belle, Pour chastier l’orgueil de ce peuple rebelle, Allons jusques au bout, poursuivons nostre effort, Et taschons d’avoir Brute ou prisonnier ou mort. Puis que nos bons desseins sont veus d’un mauvais Astre, Il se faut preparer à souffrir ce desastre; L’impossibilité ne nous oblige point, L’honneur peut reculer quand il trouve ce point: Et celuy justement perd le titre de sage, Qui veut choquer du temps l’infaillible passage, Qui considerera l’ordre de l’Univers, Il verra chaque jour son visage divers, Et connoistra par là que quelque providence Par le seul changement previent sa decadence, Et qu’ainsi nostre Rome ayant peu se porter A cét extreme point qu’on ne peut surmonter; Il faloit que suivant cette regle divine, Elle redescendit devers son origine; Tu m’en as fais douter, impuissante vertu, Et c’est sous ta faveur que Brute a combatu, Esperant le secours de ta force oportune, Mais je t’ay veu tomber aux pieds de la fortune, Je voy bien maintenant que j’eus beaucoup de tort, Lors que je te donnoy du pouvoir sur le sort, Puis qu’aux premiers assauts que sa force te donne Tu luy laisses gagner le champ et la couronne: Mais je perds vainement en discours superflus, Des momens qui passez ne se reverront plus: Profitons-en plûtost, et pendant que l’armée Couvre tout nostre camp de flame et de fumée, Que nos Soldats vaincus pratiquent mon conseil, En suivant du vainqueur le pompeux apareil, Afin de prevenir un malheur si funeste, Disposons nos amis à faire ce qui reste. Genereux compagnons de mes justes projets, Le Ciel s’est declaré contre l’honneur de Rome, Il veut que le Tyran ait des Rois pour sujets, Et que des demy-Dieux fléchissent sous un homme. Mais avant de tomber en cette extremité, Et me voir abatu sous une loy si dure, Je veux m’ensevelir avec ma liberté, Et pour plaire à l’honneur, déplaire à la Nature. Donc si quelqu’un de vous a l’esprit assez fort Pour m’estimer encor en ce moment extreme, Qu’il prenne ce poignard, et m’en donne la mort, Je dois sçavoir par là s’il est vray que l’on m’ayme. Avant de consentir à ce coup furieux, Je vay chercher la mort au milieu de l’armée, Et si je ne voy point son bras officieux, Je me contenteray que ma main est armée. Au moins puis que tu crains de me ravir le jour, Va t’en le conserver à ma chere Porcie. Je le veux seconder en cét acte d’amour, Peut estre que mes soins luy sauveront la vie. Et toy, mon cher Straton, es-tu de ces amis, Qui pensent en fuyant de me faire service ? Pour servir aux desirs où vous estes sousmis, Il faudroit peu d’amour, et beaucoup de malice. Ha ! laissez ce dessein indigne d’un bon cœur, Qui terniroit l’esclat de vostre gloire extreme; Un vaincu doit avoir le maintien d’un vainqueur, Et ne perdre jamais l’Empire de soy-mesme. Quoy, le monde ravy de vos premiers progrez, Vous verra succomber à la fin de l’orage, Et jugera d’abord, entendant mes regrets, Qu’un bon-heur seulement faisoit vostre courage, Esvitez ce peril, et s’il faut que l’Enfer Vous donne le repos que le Ciel vous desnie, Courez tout au travers et du feu et du fer, Mourez, mais combatant contre la tyrannie. Je sçay bien, cher amy, que par ces beaux discours Tu me veux destourner d’un dessein legitime; Mais en l’estat funeste où sont reduits mes jours, Je veux que ton bras m’offre à l’honneur pour victime. Crois-tu que pour me voir au poinct de mon trespas Un jugement bien sain n’esclaire pas mon ame, Et que j’aille incertain chercher en d’autres bras Ce que je puis trouver au bout de cette lame ? On perd souvent un bien qu’on veut trop differer, Je veux mourir pour vivre, et finir pour durer. Quoy, ce brave guerrier, à qui tout est possible, Qui fit jadis trembler tant de peuples sousmis, Perd contre ses desirs le tiltre d’invincible, Qu’il a toujours gardé contre ses ennemis. Ha ! non, puissant Heros, n’encourez point ce blâme, La mort nous fait juger comment l’homme a vescu, Et si le desespoir peut surmonter son ame, On croit mal-aisement qu’il ait jamais vaincu. Si de nos ennemis les troupes avancées Ne me defendoient pas un plus long entretien, Je pourroy renverser tes meilleures pensées, Et creuser leur tombeau pour en bastir le mien. Je diroy qu’un grand cœur que la Fortune oppresse, Jusqu’à luy demander sa vie ou son honneur, S’il balance le chois, tesmoigne sa foiblesse, Et ne reconnoist pas où gist le vray bon-heur. L’honneur dure toujours au Temple de memoire, La vie a pour son cours un terme limité, Sans doute celuy-là mesnage mal sa gloire, Qui pour gagner un jour, pert une eternité. D’esperer d’un bien que la puissance humaine Nous peut faire acquerir, est une lâcheté, Mais ne pouvant r’avoir la liberté Romaine, Je cede seulement à la necessité.   Si je cherche la mort tandis que je suis libre, N’est-ce pas pour monstrer aux races à venir, Que j’ay voulu mourir comme j’avois sceu vivre, Quand j’ay perdu l’espoir de m’y plus maintenir ? Ne conteste donc plus, seconde mon envie, Tien ferme ce poignard, j’en beniray les coups, S’ils peuvent faire voir en me privant de vie, Que je mourus pour moy, ne pouvant rien pour vous. Dure loy du devoir que ta rigueur est grande ! Obeïssons pourtant, Brute l’a projeté. L’on m’a presté ce corps, il faut que je le rende; Mais j’emporte l’honneur avec la liberté, Approche, cher amy, qu’à ce coup je t’embrasse; Adieu, je nâquis libre, et libre je trespasse. Donc ce grand demy-Dieu rend l’ame devant moy ? Donc je fais trebucher l’esperance de Rome ? Et mon bras desloyal pour avoir trop de foy, Me ravit aujourd’huy ce qui me faisoit homme ? Brute ne vit donc plus, et l’honneur des guerriers Vient d’estre le butin de ma lame cruelle ? La foudre au champ de Mars espargnoit ses lauriers, Et je suis aujourd’huy moins pitoyable qu’elle ? Ha ! malheureux poignard, dont les lâches efforts Nous ravissent un bien que la Parque revere, Pourquoy ne puis-je avoir cent ames et cent corps, Afin de te saouler, et de me satisfaire. Rome, Tribuns, Senat, Citoyens, liberté, Suivez mon desespoir, et ma plainte funeste, Avec ce grand Heros vous perdez la clarté, Et la nuict des prisons est tout ce qui vous reste. Ne tarissez jamais la source de vos pleurs, Que leur eau n’ait plûtost fait une mer du Tybre, Et noyé, s’il se peut, ces hydres de malheurs, Qui font que vostre Estat va cesser d’estre libre. Les Tyrans sont vainqueurs, tout l’Estat est perdus, La liberté se meurt, Rome s’en va la suivre, Et pour comble de mal, le grand Brute n’est plus. Un Heros peut mourir, et Straton pourroit vivre ? Non, non, tristes objets qui faites mon soucy, Ce coup me va venger du Destin qui m’outrage:     Ha ! je tombe, je meurs, mon œil est obscurcy, Mais je souffre trop peu; mort redouble ta rage. C’est l’endroit mal-heureux où nous l’avons laissé. Ha trop injustes Dieux ! le voilà trespassé. Doncque le Ciel ingrat me desrobe mon ame, Et me contraint encor de prolonger ma trame ? Doncque tant de souspirs ne peuvent l’esmouvoir ? Et je n’ay pas la mort quand je la veux avoir ? Pourquoy traversez-vous mes desseins legitimes, Grands Dieux, auparavant de me monstrer mes crimes ? Sans doute j’ay failly, je le veux avoüer, Mais c’est pour trop vous croire et pour trop vous loüer, Ingrats rendez moy donc tant d’offrandes perdues, Et tant de vœux payez pour des demandes deuës, Rendez-moy tant de pleurs vainement respandus, Tant de biens prodiguez et tant d’honneurs perdus; Plustost à les garder mettez tout vostre étude, Ils seront les témoins de vostre ingratitude, Ou pour vous en laver, en cette extremité Rendez-moy seulement Brute et la liberté. Ha Brute ! cher objet de mes ameres larmes, Pourquoy voulant mourir avec tes propres armes N’as-tu pas commandé que par un pareil sort Ce qui restoit de toy fut aussi mis à mort ? De quel front peus-tu voir la moitié de ton ame Es mains des ennemis, de la honte, et du blasme, Sans pouvoir esperer le moindre reconfort, Non pas mesme celuy qui nous vient de la mort; Et ce qui plus me fasche et de raison me prive, Sur le point malheureux d’aller servir captive. D’aller servir captive, ha trop lasches discours ! Rentrez dedans mon sein, demeurez-y tousjours, Autrement je croirois que mon ame ennemie Se bande contre nous, et pour la tyrannie. D’aller servir captive: Ha penser inhumain ! Qui choque en mesme instant et mon cœur et ma main. Quoy, lasche cœur, plustost que souffrir cét outrage Veux-tu pas sur mon corps laisser aigrir ma rage ? Et toy, ma chere main, si le cœur me deffaut, Le veux-tu pas percer pour punir son deffaut. Ouy quand tout l’univers s’armeroit au contraire Il n’est pas assez fort pour m’en pouvoir distraire: Lors que Brute vivoit je souffrois le malheur, Mais depuis qu’il est mort je cede à la douleur. Vantez, ambitieux, les coups de vos tempestes, Publiez nostre perte, exaltez vos conquestes, Mais loüez la fortune en cét evenement, Vous triomphez de nous par son aveuglement. Vous triomphez de nous, pardonnez-moy belle ombre, Brute mon cher soucy, vous n’estes pas du nombre; Ce corps est aux tyrans mais non pas vostre cœur, Vous l’en avez osté pour estre son vainqueur. Traitres n’allez donc plus vanter cette victoire, Vos lauriers sont fletris, vous n’avez plus de gloire, Brute qui sçait mourir, vostre ennemy mortel, En demolit le temple et bastit son autel. Mais helas que le sort a d’estranges caprices ! La honte des tyrans fait naistre mes supplices, Et ce trespas fatal qui ternist leur honneur Efface en mesme temps l’éclat de mon bon-heur. Brute étoit mon apuy, mon repos et mon ame, N’ay-je pas tout perdu dans la fin de sa trame ? Et si je vis encor, mon cœur, voudrois-tu bien Me sçachant pres des fers conserver ton lien ? Mon pere se defit sur la simple apparence Que le salut Romain étoit sans esperance; Et moy qui vois ma perte infaillible aujourd’huy N’auray pas le pouvoir de faire comme luy ? Trop cheres libertez, amour, vertu, naissance, Si je ne mourois pas, vous seriez sans puissance, Un si juste dessein ne peut estre arresté, Et j’en ay le pouvoir comme la volonté. Amis injurieux qui choquez mon envie, Vous travaillez en vain à conserver ma vie; Tous ces soings peuvent bien augmenter mon ennuy, Mais non pas m’empescher de mourir aujourd’huy. Brute et la liberté prononcent cét oracle, Je leur obeïray malgré tout vostre obstacle, Et quand vous m’osteriez poison, flames, et fers, Je cognois cent chemins pour aller aux enfers. Octave vient à nous.         Verray-je ce perfide Coupable de ma perte et de cét homicide ? Non, fuyons le plustost, et perdons la clarté Puis que Rome a perdu Rome et la liberté. Le voicy, chers amis, cét objet de nos haines, Dont la mort va donner du relasche à nos peines, Le voicy ce meurtrier du plus grand Potentat Qui jamais ait tenu les renes d’un Estat; Ainsi toujours le Ciel prend vengeance du traistre Qui se veut opposer aux desirs de son maistre, Et punit le mutin qui choque des projets Dont le zele ne tend qu’au bon-heur des sujets, Tels que ceux de Cæsar à qui pareille envie Déroba les momens les plus doux de sa vie. Ceux qui restent encor seront bien tost abas S’ils attendent les coups qui partent de nos bras, Et quand pour éviter nos fureurs legitimes Ils porteroient au Ciel leurs corps avec leurs crimes, Je feray mes efforts pour pouvoir entasser Osse sur Pelion et les en deschasser. J’approuve ce dessein, et fais vœu de le suivre Tout autant que les Dieux me voudront laisser vivre; Mais il faut balancer les choses par raison, Considerer les lieux et choisir la saison: Nos soldats sous l’espoir d’une paix desirée Ont souffert de grands maux et de longue durée, Combatu vaillament, affronté les dangers, Donné de la terreur aux peuples estrangers, Poursuivy les mutins, et pour comble de gloire Gaigné desja sur eux une double victoire; Apres tous ces exploits voudriez vous differer A leur donner un bien qui les fait souspirer ? J’estime que Cæsar ne veut point de victime Qui n’ait dedans son sang fait éclater son crime, Tous ses meurtriers sont morts, il reste seulement Ceux qui l’ont offencé par le consentement, Qui bannis à jamais de leur ville natale, Vont souffrir les rigueurs d’une peine infernale. Il suffit ce me semble, et son ressentiment Ne sçauroit desirer un plus dur chastiment: Mais quittons ces discours et gaignons nostre terre Pour en bannir bien loing les marques de la guerre, Allons revoir nos Dieux, nos femmes, nos enfans, Et changeons ces habits en ceux de triomphans. Les manes de Cæsar se pourroient satisfaire Avec ce seul meurtrier qui vient de se defaire, Mais mon ressentiment desire plus de sang. Il est bien alteré s’il en boit un estang Qui flotte impetueux là bas dedans la plaine. C’est bien peu pour esteindre une mortelle haine, Et monstrer ce que peut une extreme valeur. J’ay donc veu sans mourir ce comble de malheur Dont l’image tousjours est dans mon cœur emprainte ? Soldat viens et nous dis la cause de ta plainte. A ce commandement je sens que le devoir En forçant ma douleur m’en donne le pouvoir; Pardonnez-moy, Seigneurs, si je vous desoblige, Vostre seule victoire est tout ce qui m’aflige: La fille de Caton, qui n’a pû la souffrir, Vient malgré tous nos soings de se faire mourir. En vain pour empescher ses mortelles pratiques On avoit étably des argus domestiques, En vain un tas confus d’amis officieux Prenoient garde à sa voix, à son geste, à ses yeux, Et croyans que le temps auroit soin de l’instruire, Ostoient à sa fureur tout ce qui pouvoit nuire, Cette prudence est foible et ces soings superflus, Porcie veut mourir puis que Brute n’est plus: Mais voyant qu’on fermoit le passage ordinaire Qui peut mener à bout un dessein sanguinaire; Allumant sa fureur, elle y trouve un flambeau Pour aller à la mort par un chemin nouveau. Dans ce mortel transport que sa voix dissimule, Elle feint d’avoir froid, quoy que son cœur la brusle, Fait allumer du feu, s’en approche d’abord, Et profere ces mots messagers de sa mort: Obstacle de mon bien, trouppe trop importune, Qui voyez sans pitié durer mon infortune, Amis injurieux, domestiques, parens, Tous vos soings desormais me sont indifferens, Augmentez vos rigueurs, augmentez vos malices, Et venez-moy ravir poison, fer, precipices. Elle dit, et soudain d’un maintien de vainqueur Avalla des charbons moins ardens que son cœur, Leur brasier violant estouffe sa parole, Son bel œil s’obscurcit, et son ame s’envole. Porcie est morte ainsi, laissant dessus son front Non le trait de la mort mais celuy d’un affront, Qui rougissant les lys de sa divine face, Monstre qu’à sa fureur la mort mesme a fait place: A ce funeste objet tout se plaint, tout gemit, Le Ciel mesme en pleure, et la terre en fremit. Un si triste accident ébranle mon courage, Et fait que dans le port je crains presque l’orage. Je cognois aujourd’huy parmy ce changement Que le plus grand bon-heur ne dure qu’un moment; Je voy que le Demon qui conduit toutes choses, Ne pare l’univers que de metamorphoses, Afin que nos esprits aymant la nouveauté, Dans ces tableaux changeans trouvent plus de beauté. Que si c’est un effect de sa toute-puissance, En vain tous les mortels y feroient resistance, Et nostre vanité n’auroit rien de pareil Si nous pensions servir à ce grand appareil, Que comme d’instrumens incapables d’ouvrage Si la main de l’ouvrier ne les met en usage: L’exemple n’est pas loing; Ce grand Brute autresfois Servit à degrader des legitimes Rois, Se vit aussi puissant dans l’Empire de Rome Que sçauroit desirer l’ambition d’un homme; Et pourtant aujourd’huy nous l’avons veu mourir Sans qu’aucuns des mortels ait pû le secourir: Ainsi quoy que nos fronts courbent dessous les palmes, Que les mutins soient morts, que nos terres soient calmes, Et que nous commandions à tout le genre humain, Nous pouvons n’estre rien et mourir dés demain: C’est pourquoy relaschant de ma premiere envie, Je veux que les vaincus soient certains de leur vie, Qu’on les souffre dans Rome, et que nos citoyens Renoüent avec eux leurs accords anciens, Afin que la douceur de ces faveurs nouvelles Leur oste le desir d’estre jamais rebelles. C’est le propre d’un cœur purement genereux De se montrer clement envers les malheureux; Qu’on prene donc ce corps et celuy de Porcie; Vous, courez pour chercher celuy-là de Cassie, Tandis qu’en un bucher ces genereux amans Recevront le dernier de leurs embrassemens; Puis les ayans bruslez conservez-en la cendre, Parce qu’à leurs parens nous desirons la rendre. Enfin, graces aux Dieux, nous sommes dans le port, Nous avons dissipé les flambeaux du discord, Demoly ses autels, et basty nos Trophées Sur le sanglant débris des guerres estouffées. Themis regne par tout, Mars languis abbatu, Le vice qui s’enfuit fait place à la vertu; Rome nous tend les bras, nos couronnes sont prestes, Alons donc recevoir ces fruits de nos conquestes, Afin que nostre front de lauriers ombragé Monstre à tout l’univers que Cæsar est vengé. FIN. Austere et triste solitude A qui mon esprit fait la cour, Permets qu’en ce bien-heureux jour Le plaisir soit tout mon estude, Et si tu veux encor m’obliger doublement Prens part à mon contentement. Chasse la nuict et le silence, En faveur du jour et du bruit, Souffre tout ce qui te destruit S’il est de nostre intelligence; Autrement le bon-heur que je veux raconter M’obligeroit à te quitter. Sylvie n’est plus enrumée, Sa bouche me le dit hier; Mais ce bien se doit publier Par la voix de la Renommée. Reprens donc ton silence et ton noir vestement, Mais souffre mon ravissement. Beaux yeux ne pleurez plus cette belle cousine, Qui dans ses premiers jours rencontre son tombeau, Jamais rien de mortel n’eust un destin si beau Que par le seul excés de la grace divine. Ses maux trouvent leur fin avant leur origine, Elle quitte le monde en quittant le berceau, Et son esprit s’envolle en ce sejour nouveau Où jamais le bon-heur ne meurt ny ne decline. Ainsi sur une mer où les vents et les flots Ne cogneurent jamais l’usage du repos, Où les plus asseurez craignent pour leur naufrage, Cette jeune beauté dont vous plaignez le sort Rencontre les douceurs du port, Sans avoir ressenti les rigueurs de l’orage. Il faut me conceder, belle et sage Sylvie, Que vous imitez mal le grand Maistre du Sort, Il s’approche aujourd’huy pour me donner la vie, Et vous vous esloignez pour me donner la mort. Je voulois approuver par mes chants d’alegresse Ceux que par tout le monde on faisoit résonner, Mais vous voyant partir, l’excés de ma tristesse Ne me laissa la voix que pour les condamner. Le respect toutesfois tenant mes levres closes, Par ces mots seulement j’exprimay mes douleurs; Helas ! faloit-il donc que dans l’ordre des choses Tout le monde chantast quand je versois des pleurs. Ma flâme est pour Sylvie à tel poinct de constance, Qu’il n’est rien sous le Ciel qui la puisse ébranler; Et quoy que mon desir passe mon esperance, Je mourray mille fois plustost que reculer. Elle a de la contrainte à m’entendre parler, Et c’est où mon malheur va jusqu’à l’insolence, En ce qu’il me contraint à mourir ou brusler, Ou bien à luy deplaire, ou garder le silence. Tout s’oppose à mes vœux, rien ne s’arme pour moy, Le sommeil seulement recompense ma foy, Flatant ma passion par un si doux mensonge; Qu’il me semble à tous coups que l’objet de mes vœux Par des baisers de flâmes authorise mes feux: Mais je souffre en effet et ne baise qu’en songe. En fin le Ciel jaloux du repos de ma vie, A banny de ces lieux le bien de nos desirs, Et mon cœur avec mes plaisirs A suivy les pas de Sylvie: Je souffre cette cruauté Comme une peine deuë à ma temerité. J’ose aymer un objet à qui tout autre cede, Mais si pour éviter sa fuite et mon trespas Il faut ne l’aymer pas, J’ayme bien mieux souffrir le mal que le remede. Tyrant des volontez qui fit naistre ma flâme, Et que je recognois pour unique vainqueur, Oste son portrait de mon cœur Ou mets le mien dedans son ame, Fais luy voir mon affection Dans le plus haut degré de la perfection; Cache sous ton bandeau les deffauts de ma vie, Ou s’ils sont esclairez, que ce soit par les feux: Bref pour me rendre heureux Donne m’en le merite ou m’en oste l’envie. Mais quoy c’est bien en vain que je te solicite, Les vertus de Sylvie ont tenu ce haut point Que les mortels ne trouvent point, Et pour qui tout est sans merite, Pardonne à mon aveuglement, Ton flambeau le causa quand il me fit amant, Et si tu veux me faire une faveur extreme, Ordonne seulement que la Divinité Qui tiens ma liberté, Croye que je l’adore, et souffre que je l’ayme.