Si l’on doit juger d’une Comedie par sa rêüssite, j’ay lieu de croire que celle-cy n’est pas des plus mêchantes. Quarante Representations de suite dans la plus mauvaise saison de l’année, me persuadent aisêment qu’elle n’est pas sans merite ; et à parler de bonne foy, je pense qu’un autre en ma place, auroit peine à ne pas se laisser aller à cette persuasion. Le Public, qui dêcide ordinairement de ces sortes d’Ouvrages, a paru fort content de celuy-cy : mais parmy tant de beau Monde qui l’est venu voir en foule, il s’est rencontrê de ces Critiques à outrance, qui ne luy ont pas estê si favorables. Ils ont, suivant leur chagrin naturel, condamnê plusieurs endroits de cette Comedie ; mais le succés qu’elle a eu, m’a vangê pleinement de la malignité de leur humeur critiquante. J’ai le plaisir de voir malgré eux, que sans cabale & sans aucune brigue, cette Piece s’est d’elle-mesme attirêe l’estime de tout Paris, et que je n’en suis obligê qu’à l’equitê du public, et au soin de mes Camarades. Ces Messieurs les Critiques ont crû donner une grande atteinte à cette Comedie, en faisant remarquer qu’il y a peu de Sujet ; mais je ne voy pas que ce soit un grand defaut, ny que cette remarque me soit desavantageuse. Je sçais comme eux, qu’on y trouvera une duplicitê d’action ; mais je sçais bien aussi que l’action episodique est moindre que la principale, que cette duplicitê n’est pas sans liaison, et qu’il est aisê de connoistre que c’est par les Personnages episodiques que le dênoüement s’en fait. On dit qu’ils m’ont fait la grace de passer legerement sur la conduite ; mais qu’ils ont blâmê fortement quelques Personnages, qui selon leur censure, pouvoient estre retranchez sans rien alterer du Sujet. J’avouë qu’il y en a quelques-uns que possible j’aurois pû retrancher ; mais j’ose dire qu’ils ont produit un trop bon effet dans la Piece, pour croire que je me repente jamais de les y avoir laissez : outre, qu’à considerer la chose avec un peu de réflexion, on verra que ces Personnages ne sont pas si dêtachez que ces Messieurs ont voulu se l’imaginer. Le Musicien attendu par les Filles de Dorame, inspire la pensée à Toinon de faire Crispin Maistre de Musique, pour se tirer de l’embaras où ils sont ; et cette adresse dont elle se sert en cette rencontre, donne lieu à des incidens fort agreables, qui aident beaucoup au dènoüement. Le Breton qui vient au quatrième Acte pour faire un message à Phelonte de la part de Melante son Maistre, ne rompt point le fil de l’action : il estoit de la prudence de Melante en cette occasion d’envoyer avertir Phelonte de sa venuë, afin de ne pas exposer la personne qu’il aime à la veuë des Gens que le hazard pouvoit faire rencontrer au logis de Phelonte. Pour prevenir cet inconvenient, Melante y envoye son Valet, et n’en ayant point de réponse, il y vient luy-mesme : ainsi on peut conclure que la Scene du Breton n’est pas tout-à-fait inutile, et que son Personnage est en quelque façon attaché à la Piece. A la veritè, Melante y pouvoit venir d’abord ; mais en de pareilles occurrences, un Amant n’abandonne guere sa Maitresse, particulierement lors qu’il a un Valet sur lequel il peut se reposer. Sans m’arrester à répondre à toutes les chicanes des Critiques, je diray en passant que nous avons quantitè d’exemples de ces Personnages que ces Messieurs trouvent ètrangers au Sujet, qui souvent ont fait naistre au Theatre des plaisanteries fort spirituelles. Plaute et Terence n’ont point fait de difficultè de s’en servir ; et l’Illustre Moliere, ayant suivy leurs traces, ne s’en est pas mal trouvè. Ce n’est pas que je veuille dire par là que ces exemples soient toûjours bons à suivre ; au contraire, je tiens que l’Art est un chemin bien plus certain, et que ses preceptes conduisent plus seûrement à la perfection que ne font ces sortes de libertez, quoy qu’elles ayent esté fort heureuses. Il est constant qu’on ne peut jamais déplaire avec l’Art, et qu’il est dangereux de s’ècarter de ses regles ; mais je croy qu’on est pas tout-à-fait condamnable quand en le faisant on rèüssit, et qu’on trouve le moyen de plaire, qui est le but de ce grand Art. Eh, Messieurs, un moment concertons entre nous ; De nostre peu de soin, Monsieur est en courroux : Nous avons, sans mentir, beaucoup de nonchalance. Allons. Cela va bien ; mais plus de negligence. Ah Crispin ! ah Crispin ! Quel destin rigoureux T’a laissé voir Toinon, pour en estre amoureux ? Que d’angoisse en aimant ! Ah Ciel, ah Destinée ! Il faut souffrir, Amour, cruel Sort, Hymenée… Je ne sçay où j’en suis, et ma raison se pert ; J’ay l’esprit bouché, moy, qui l’eus toûjours ouvert. Cette vivacité que j’avois d’ordinaire A sortir promptement d’une mauvaise affaire, Et qui de tout Paris me faisoit admirer, M’abandonne ! Amour, ah ! laisse-moy respirer. Hé ! tout doux ; dans mon cœur ne descens pas si viste. Quoy ! tu ne peux ailleurs chercher un autre giste ? Peste des Importuns !         Est-il jour là-dedans ? Oüy.         Personne aujourd’huy ne mange-t-il ceans ? Je ne sçay.     Joüerons-nous ?         Hé qui vous en empesche ? Voüay ! Crispin, du matin, a l’humeur bien revesche ? Je l’ay comme il me plaist.         Monsieur est-il au Lit ? Non, il est habillé.     Bon : Que fait-il ?         Il lit. Nous pouvons donc joüer ?         Le Diable vous emporte ; Joüez, ne joüez pas, tout cela ne m’importe. Mais tréve aux questions : Si tu m’en fais jamais… Hé bien ?     Quel bruit entens-je ?         Hé ce sont vos Laquais. Qu’on se taise.         Monsieur, c’est luy qui nous querelle. Je…     Paix.         Nous sommes prests à cette Ritournelle Que vous…         J’entens ; Allez, ce sera pour tantost. Je suis fâché…     Faquin !     C’est votre honneur.         Maraut, Si…         Maraut ! Autrefois nous estions Camarades : D’où vient donc cet orgüeil & ces foles boutades ? Point de comparaison, vois-tu, car…         En effet, Au nom d’Homme de Chambre on doit un grand respect. Fat…     C’est vostre honneur.         Sors, avec toute ta Clique. On est dans ce Logis accablé de Musique : Je n’y puis en repos resver à mon amour ; Je n’entens qu’E mi la, qu’F ut fa, tout la jour, Que B mol, fugue, tierce… Ah, voicy la Parleuse. Bon-jour, Crispin. Toûjours dans ton humeur grondeuse ? Ah que je hay les Gens, qui sur les moindres cas Commencent de parler, pour ne déparler pas. Que dis-tu ?     Rien.         Sçais-tu si Monsieur me demande ? S’il n’a point à traitter quelque Gaupe friande, Qui viendra, sans raison, censurer chaque Mets, Et faire icy crier Servantes & Valets ? Je hay cela tout-franc, Crispin ; & sur mon ame, J’aime mieux voir icy quatre Hommes, qu’une Femme. Je sçay que tu diras, Monsieur le veut ainsi ; Ta raison est fort bonne, & je l’approuve aussy : Le servant, tu ne dois aspirer qu’à luy plaire. Et ne le sers-tu pas, toy ?         C’est une autre affaire ; Ce que je fais pour luy, c’est par affection. Je ne m’oppose point à la distinction ; Entre vous le debat.         Laisse-là la sottise, Aupres de moy tu sçais qu’elle n’est pas de mise ; Toutes mes actions ont deû t’en informer : J’aime fort nostre Maistre, & j’ay lieu de l’aimer ; Il ne me traitte pas sur le pied de Servante. Mais dy, quelle autre aussy gouverna mieux sa Tante ? Cette Dame mal saine, au Lit depuis deux ans, M’oblige, quoy qu’on die, à demeurer ceans ; D’ailleurs, la Dame morte, il en vient quelque chose. Je n’y demande rien ; qu’on se taise, ou qu’on cause… Pour un Garçon d’esprit, c’est répondre fort mal. Et qu’ay-je affaire aussy…         Que tu deviens brutal ! Je deviens… Laisse-moy.         Brutaliser encore ! Sçais-tu que depuis peu ton bon sens s’évapore ? Qu’il s’évapore, ou non, que t’importe cela ? Va-t’en étudier ton Ré mi fa sol la, Ou bien voir si la Tante…         Hom… Ta mélancolie A des égaremens qui vont à la folie ; Prens garde à toy, Crispin.         Oh parle tout ton soû : Si je te dis plus rien, qu’on me rompe le coû. Hom…     Hom…     Bon-jour, Fanchon.         Hier, Monsieur vostre Frere Vint avec son Pédant icy.         Qu’y vint-il faire ? Hé, pour tâcher, Monsieur, à refaire sa paix. Fanchon, en sa faveur, ne me parles jamais ; C’est un petit Mignon par trop incorrigible, Et ma facilité luy deviendroit nuisible : Qu’il demeure au College avec son Précepteur, Et me laisse en repos ; autrement…         Eh Monsieur, Songez…         C’est un Esprit qu’il est bon de réduire, Et sur ce qu’il me doit je veux un peu l’instruire, Il n’en sera que mieux : Mais viença, dy, Fanchon, Sçais-tu ce Menüet ?     Oüy, Monsieur.         Tout-de-bon ? Oüy.     Mais bien ?         Je le croy. Vous plaist-il de l’entendre ? Ah tu l’offres trop bien, pour vouloir m’en défendre. Çà, voyons.         Seulement donnez-moy vostre ton ; Puis…     Le voila.     Fort-bien.     Vous raillez ?     Point.     Sy.         Non : Allons, chante. On passe en douceur la vie, Quand on aime le bon Vin : Mais quand on chérit Silvie, On a souvent du chagrin. On passe en douceur la vie, Quand on aime le bon Vin.         Fort-bien. Un Beuveur, en Homme habile, Conserve sa libertê ; Car l’Amant le plus tranquille Est toûjours inquietê. Un Beuveur, en Homme habile, Conserve sa liberté.         Tu deviendras sçavante, Si… Qu’est-ce ?         C’est, Monsieur, Madame vostre Tante, Qui demande Fanchon.         Je n’ose t’arrester. Estes-vous content ?     Fort.         Vous voulez me flater. Point du tout ; J’ay, croy-moy, grand plaisir à t’entendre. C’est beaucoup pour moy.         Va, ne te fais point attendre. La Ronce, fay venir la Fluste, & Jolycœur. Faut-il qu’il ait sa Basse ?     Oüy : Reviens.         Bien, Monsieur. Allons, cette Chaconne en Ce sol ut.         Qu’on range Ce Clavessin : sortez.         Amour, quel sort étrange ! Là, prendras-tu le soin d’ajuster mon Chapeau ? Le voila.         Pourquoy donc m’apporter mon Manteau ? Vous me le demandez.         Moy, je te le demande ? Oüy.         Peut-on soûtenir imposture plus grande ? Quoy ! Tu continuëras à me faire enrager ? Aujourd’huy, d’avec moy, songe à déménager ; Autrement, mille coups feront ta récompense. Eh Monsieur !     Quoy, Monsieur ?         Un peu de patience. Un peu de patience ! Eh Monsieur le Coquin, Depuis un mois & plus, qu’il faut, soir & matin, Qu’à tes égaremens ma bonté fasse grace, Qu’un autre à me servir à tous coups prend ta place, Que tu pers le bon sens sans espoir de retour, Que je vois ta folie augmenter chaque jour, Que d’instant en instant la raison t’abandonne, Que tu fais à rebours tout ce que je t’ordonne, Un peu de patience ? Ah c’en est trop souffrir, Que l’on sorte au plutost, & sans plus discourir ; Sinon…     Monsieur, de grace…         Hé bien, que veux-tu dire ? C’est que je sens un mal… qui tous les jours empire. Si vous sçaviez… Ah, ah.         Si je prens un Baston, Je pourray t’obliger à prendre un autre ton : Crains de pousser à bout ma patience extréme. Qu’as-tu donc ? Parle, ou bien…         Eh Monsieur, c’est que j’aime : L’Amour, depuis un mois, me fait devenir fou, Nuit & jour je soûpire, & dors moins qu’un Hibou ; Enfin j’en sens, Monsieur, une peine cruelle. L’Amour, me dites-vous, vous trouble la cervelle ? Oüy, Monsieur, cet amour a sur moy tout pouvoir, Et c’est luy qui me fait oublier mon devoir. Ah ! Puisque cet Amour est si peu raisonnable, Je veux, pour le punir, te frotter comme un Diable, A grands coups redoublez le chasser de chez toy. Hé Monsieur, de ce mal faut-il se prendre à moy ? A qui donc, traistre, à qui veux-tu que je m’en prenne, Dis ?         A ce chien d’Amour, qui sans cesse m’entraîne, Vers l’Objet dont mon cœur est embrasé…         Maraut, Aimer, toy ?         Mon bon sens, Monsieur, a fait le saut. Et pourquoy donc d’aimer as-tu l’extravagance ? Eh l’on aime souvent lors que moins on y pense ; L’Amour, ce petit Dieu, se glisse dans le cœur, Et sans nous consulter, il s’en rend le vainqueur. Quand par un doux regard un bel œil nous enflame, Nous sentons tout-à-coup je ne sçay quoy dans l’ame ; Sans dessein toutefois on se laisse enflâmer, On aime en ce moment, sans que l’on veüille aimer ; Cet amour qui toûjours vient nous surprendre en traistre… Dans le cœur qu’il surprend, se fait chérir en Maistre ; La raison, de l’aider, se fait comme une Loy, Ce cœur avec plaisir succombe malgré soy, Et cette passion d’une ame grande… & haute… Enfin vous voyez bien que ce n’est pas ma faute. Où diable a-t-il donc pris tout ce langage-là ? Les Amans parlent-ils autrement que cela ? Il a pris ces grands mots dans quelque Comédie. Il est vray, j’en ay leu plus de cent en ma vie ; Mais l’Amour, de luy-méme est un grand Précepteur, Il sçait faire parler un Fat en Orateur ; Le plus grossier par luy manque peu d’éloquence. Et par luy le plus sage est plein d’extravagance ; Par luy je voy cent Fous que j’ay peine à souffrir ; Sans plus me raisonner, qu’on pense à s’en guerir, Ou les coups de Baston t’iront rendre visite. Eh Monsieur, d’un tel soin de grand cœur je les quitte, Leur visite est mal propre aux Gens qui sont Amans, Morbleu, si de l’Amour vous sentiez les tourmens, Pour l’Objet inconnu de vos galanteries, A qui vous en contez les soirs aux Tuileries, Vous verriez…     Que verrois-je ?         Eh vous verriez, Monsieur, Quel Lutin est l’Amour, quand il est dans un cœur. Je me ris des effets de sa Lutinerie. Tout-franc, ne tournez point la chose en raillerie : Apres que contre luy l’on a bien regimbé, Souvent on est contraint de venir à jubé ; Et si je m’y connoy, cette Dame masquée, Qui sur vos doux propos ne s’est point expliquée, Peut enfin…         De mon cœur je viens toûjours à bout. Mais il ne faut qu’un jour, Monsieur, pour payer tout. Je crains peu…         Cependant vous la courrez : Peut-estre Vous y verray-je pris, car l’Amour est bien traistre ; La Dame a de l’esprit, & pourra vous toucher. Mais toûjours sous un masque elle aime à se cacher ; Par là je la crois laide.         Et si, comme il peut estre, Quand sans masque à vos yeux elle voudra parestre, Vous luy trouviez autant de beauté que d’esprit, Hem ? Vous ne dites mot. Sa Suivante m’a dit Qu’elle est belle, archibelle.         Et tu vois la Suivante, Quand tu luy parles ?         Oüy, tous les soirs c’est ma rente : Tandis que sa maistresse, & vous, parlez tout bas, Elle leve la coëffe, & ne se cache pas. Ne la connois-tu point ?         Non. En vain je la presse De m’apprendre son nom, & quelle est sa Maistresse ; Vous estes si connu pour un Coquet errant, Qu’offert de tous costez, personne ne vous prend : Mais pour moy je suis pris, je sens qu’Amour m’opresse. Est-ce que tu prétens extravaguer sans cesse ? Monsieur, l’Amour peut-il…         Ecoute, si jamais Tu me viens étourdir de ton amour…         La paix, Monsieur, quoy que l’Amour…     Encor ?         Je vay me taire, C’est fait.         Qu’a donc Phélonte à se mettre en colere ? Ah Melante, c’est toy.         Tu querelles Crispin. Et comment ne le pas quereller ? Le Faquin S’est mis l’amour en teste, & depuis ce caprice, Il fait tout de travers, pas le moindre service, Toûjours grondant ; Enfin ce Fou, depuis un mois, Lasse ma patience, & la met aux abois. Si je ris, de chagrin ce Maraut fait le grave ; Qu’on l’envoye au Grenier, il descend à la Cave ; On diroit qu’il se plaist à me faire enrager. Si je demande à boire, il m’apporte à manger ; Il resve incessamment ; & quoy que l’on luy die, Il semble estre toûjours dans une létargie, Enfin : si je luy parle, il ne m’écoute pas ; Et le Diable est en haut, quand on le croit en bas. Toûjours de ce Valet, tu vantois le service. Alors qu’il faisoit bien, je luy rendois justice ; Mais depuis que l’Amour luy renverse l’esprit, Il sert mal, & souvent il ne sait ce qu’il dit. Je le plains, si l’Amour à ce point le possede. D’un mal si chagrinant, je sçay bien le remede ; Le Baston…         Le Baston, Monsieur ? Quelle pitié ! Pour avoir le cœur tendre, & de bonne amitié, On veut que sur mon dos la Bastonnade jouë. Tu le blâmes d’aimer, mais pour moy je l’en louë ; Comme je suis Amant, je prens ses intérests. Amant !         Tu me vois fou, toy qui n’aimas jamais. Moy, j’aime comme il faut.     Quel amour !         Tres-commode. Aimer en mille endroits…         C’est la bonne méthode ; Par elle je me fais un plaisir assez doux. Le véritable amour ne dépend point de nous. Belle excuse aux Amans !         Laissons cette matiere, Et me dis si je puis te faire une priere ; Ma flame en ton secours met son plus doux espoir. Parle, je t’offre tout, & tu n’as qu’à vouloir. Je te l’ay déjà dit, aprouve, ou blâme, j’aime, Et la Beauté pour qui mon amour est extréme Vit sous les loix d’un Pere, opulent, plein d’honneur, Mais qui chérit un Fils avecque tant d’ardeur, Que pour le rendre riche, & le faire paroistre, Son but est d’enfermer ses Filles dans un Cloistre. Celle qui de mon cœur cause la passion, Se sent pour la Closture entiere aversion : Mais à dissimuler son adresse est extréme. Son Pere a découvert cependant que je l’aime, Et c’est ce qui nous met tous deux dans l’embarras. Quelle est cette Beauté ?         Tu ne la connois pas. Pour toy, que puis-je donc ?         Elle vient de m’ecrire, Qu’elle a sur nostre amour quelque chose à me dire, Que je choisisse un Lieu propre à cet entretien : Mon Logis est suspect…         Eh dispose du mien, Il est à toy, pourveu qu’elle veüille s’y rendre ; A toute heure, en tout temps, tu peux venir l’attendre, Je t’en laisse le Maistre.         Ah c’est trop m’obliger, L’entreveuë au plutost m’importe à ménager ; Et puis que tu consens que mon amour se serve… Je n’ay rien qui ne soit à toy, c’est sans reserve. Je te devrois icy mille remercîmens ; Mais tu pardonneras à mes empressemens. Adieu, je cours en haste où leur cause m’appelle. Donne ordre au rendez-vous, & compte sur mon zele. Si le mien peut jamais trouver lieu d’éclater… Je pense qu’avec moy tu veux complimenter ? L’amitié le défend, & s’en fait un outrage. Hé bien, peut-on sçavoir quel objet vous engage ? Parlez, Monsieur l’Amant ? C’est, sans doute, Fanchon. Quoy, la Fanchon d’icy ?     Quelle donc ? oüy.         Non, non. Ne vaut-elle pas bien que pour elle on soûpire ? Je suis son Serviteur, Monsieur, c’est tout vous dire. Elle ne te plaist pas ?     Eh…         Tu luy fais affront, Elle est aimable.         Oüy ; mais j’ay grand soin de mon front. Du costé de Fanchon, ton front n’a rien à craindre. Vous sçavez bien que si, Monsieur, que sert de feindre ? Quoy ! Tu refuserois de te voir son Epoux ? Oüy.     D’où vient ?         Eh Monsieur, qui le sçait mieux que vous ? Moy, je le sçay ?     Vous.     Moy ?     Vous-mesme.         Mais que sçay-je ? Vous avez sur Fanchon un certain privilege… Privilege fâcheux pour son futur Epoux. Cela me déplairoit, je le dis entre nous. Si j’estime Fanchon, c’est parce qu’elle chante. Vous estes content d’elle, elle est de vous contente, Et vos contentemens m’obligent à douter, Si j’aurois à mon tour dequoy me contenter. Et qui donc aimes-tu ? Quelque sotte Figure. Rien moins, & je hazarde à la grosse avanture, Car la Beauté… Monsieur, avant qu’il en soit temps, Ne me demandez rien.         Ah ma foy, je prétens, Si je souffre de toy, qu’au moins…         Tournez la veuë. Qu’est-ce ?         On vient de la part de la dame inconnuë. C’est donc là sa Suivante ?     Elle-mesme.         Crispin, Qu’en crois-tu ?     Je ne sçay.         Sçachons quelle est sa fin. Qui t’améne ? & que veut ta charmante Maîtresse ? Vous me reconnoissez !     Vrayment…         J’ay charge expresse, De ne donner qu’à vous le Billet que voicy, Et là-dessus bon-soir.         Quoy ! Me quitter ainsy, Sans avoir la Réponce ?         On n’en demande aucune. Point de Réponce ?     Non.         Ma Chere, sans rancune, Mon Maistre veut écrire, &…         Tout seroit perdu, Si je portois Réponce, on me l’a défendu. Lisez.         Auparavant, souffrez que je vous voye. Non, Monsieur, ce n’est pas pour cela qu’on m’envoye. Ne me refusez point.         Et qu’y gagnerez-vous ? Je vous suis inconnuë.     Il n’importe.         Ah tout-doux, Il ne faut point user de tant de violence. Te cacher ainsy faite !         Ah point de complaisance ; Je sçay bien qu’il en est de plus sotte que moy, Mais aussy…         Ta Maistresse est-elle comme toy ? Comme moy ? C’est un Ange, & rien n’aproche d’elle ; Des traits doux, achevez, l’œil beau, la bouche belle… Tout-de-bon ?         Tout-de-bon ; mais lisez promptement, Ou…         Je vais satisfaire à ton empressement. Ne vous donnez plus la peine de me venir chercher aux Tuileries, car je vous assure que vous ne m’y trouverez pas davantage. C’est assez pour moy d’avoir pû meriter quinze jours durant vos assiduitez : ce m’est une gloire qui n’est pas petite, & je n’en attendois pas tant d’un Homme dont le cœur a toûjours esté sans amour. Je veux bien vous dire que tout le monde blâme vostre insensibilitê pour nostre sexe, & que cela fait dire des choses de vous qui ne sont pas à vostre avantage. Vous devez, pour vostre gloire, faire reflexion sur ce que je vous écris, & profiter des avis sincéres que vous donne une Personne qui sent pour vous une forte estime. Adieu pour toûjours. La résolution est assez surprenante : Un Adieu pour toûjours !         Elle est vostre Servante. Ne me plus voir ! En quoy luy puis-je avoir déplû ? Qu’ay-je fait ? Qu’ay-je dit ?…         C’est autant de conclu. Se fiëra-t-on à vous, quand on sçait que vous estes Le Protestant banal de toutes les Coquettes? Et que si par hazard un cœur se rend à vous, Aussi-tost le mépris…         D’accord ; mais, entre nous, Je sens pour ta Maistresse une sincére flâme. Quoy ! Sans voir, à l’Amour vous livreriez vostre ame ? L’Esprit est un grand charme ; elle en a tant !         Assez Pour refuser des vœux un peu trop dispercez. M’estime-t-elle un peu ?         Je n’en fais point de doute ; Je sçay que vous plaisez alors qu’on vous écoute. De grace, charge-toy d’un Billet de ma part ; Mon cœur, par ce Billet, s’expliquera sans fard. J’ay l’ordre du contraire, il faut que j’obeïsse. Cet obstiné refus est rempli d’injustice. Quel plaisir auriez-vous à me faire gronder ? Bon ! Est-ce de si pres qu’il y faut regarder ? Chacun sçait ce qu’il sçait.         Est-on perdu pour lire… Mais…         Je l’arresteray, Monsieur, allez écrire. Deux mots ; Dans un moment je te viens retrouver. Toinon, cela va bien, il ne faut qu’achever. Va, laisse-m’en le soin.         Il ne s’attendoit guére Au brusque compliment que tu luy viens de faire ; Car il est de luy-mesme à tel point entesté… S’il sçavoit qu’entre nous le tout est concerté, Que tu viens en secret parler à ma Maistresse… Par où le deviner ? Il faut qu’avec adresse Elle luy donne enfin le moyen de la voir. L’occasion viendra, laisse-nous y pourvoir. S’il en tient une fois, j’auray bien lieu de rire ; Il me traitte de fou, quand d’amour je soûpire, Et toûjours le Baston est prest à me guérir. Quoy ! Tu dis nos secrets, & vas nous découvrir ? Moy, je le dis ?         Tu viens de t’accuser toy-mesme. Il me sçait amoureux, sans sçavoir que je t’aime : Mais, Toinon, apprens-moy jusqu’où le cœur t’en dit. As-tu bien de l’amour ?         Ma foy, j’en pers l’esprit ; Et je croy que bientost, si tu n’y remedies, J’auray le cerveau creux.     Ah !         Quoy que tu m’en dies, L’Amour qui se délecte à grapiller souvent, Ne trouve point son compte à se nourrir de vent. Ton amour est gourmand ?         Si gourmand qu’il puisse estre, Tu n’as que trop dequoy fournir à le repaistre ; Mais quand il faut donner, l’avarice te tient, Friponne.         St. Voicy ton Maistre qui revient. En donnant ce Billet, assure ta Maistresse… Moy, répondre de vous, qu’on voit changer sans cesse ? Tu ne hazardes rien, agis, parles pour moy. J’y feray de mon mieux.         Je n’espere qu’en toy. Et son nom ?         Là-dessus je n’ose vous rien dire ; Mais Crispin est adroit, & cela doit suffire : Ma Maistresse m’attend dans son Apartement, Qu’il me suive, & qu’il entre apres moy brusquement ; Je feray l’étonnée, & crieray d’importance. Cependant il faudra qu’on prenne patience ; Et quand, pour le chasser, on joüeroit du Baston, Il aura veu la Dame, & sçaura la Maison, Le reste vous regarde.         Et par bon privilege, J’auray vers moy les coups, peste ?         Que te diray-je, Pour te faire assez voir…         Ne me dites plus rien, On m’attend, & j’ay trop prolongé l’entretien ; J’en seray querellée. Adieu.         Crispin, va viste, Suy-là.         Si vous vouliez, Monsieur, m’en tenir quitte… Pourquoy ?         Puis que l’amour est fadaise pour vous, A quoy bon…     Suy, te dis-je, ou…         Les Amans sont fous ; Vous ne voudriez pas…         Redoute ma colere. J’ay de l’inquiétude, & ne m’en puis défaire. D’où me vient tout-à-coup un si prompt changement ? Seroit-ce qu’en effet je deviendrois Amant ? Le dessein de me fuir, que l’on me fait paroistre, Redouble en moy l’ardeur de voir & de connoistre. Ne nous rebutons point, & laissant au Destin A régler l’avanture, attendons-en la fin. Vous allez au Convent, pour voir vostre Cousine ? Oüy, mon Pere.     Fort-bien.         Si cela vous chagrine, Je n’iray pas.         Non, non, allez, c’est fort bien fait, Et cette volonté répond à mon souhait. De combien d’embarras le Cloistre nous délivre ! Lise, vostre Cousine, est un modele à suivre. Il est vray ; mais il faut pour la Religion, Ressentir dans le cœur de la vocation ; Je n’en sens point encor.         Que le Ciel te l’envoye ! Te voir dans un Convent feroit toute ma joye : Si ta Sœur & Toinon en vouloient faire autant, Je vivrois satisfait, & je mourrois content. A suivre cet avis, je ne suis pas fort preste ; Vous n’avez plus, Monsieur, que le Convent en teste, Vous voulez tout cloistrer ; & qui vous en croiroit, Avant qu’il fut dix ans, le Monde périroit. Hé bien, mettez-vous-y, s’il vous en prend envie, Et laissez à chacun mener son train de vie. Pour moy, j’aime le monde, & sans tant discourir, Je ne suis pas d’humeur à le laisser périr ; D’avoir un bon Mary, j’ay tentation grande, Et, tout-franc, du Convent je ne suis point friande. C’est parler sans façon.         Vous nous en contez bien ! Parce que maintenant vous n’estes bon à rien, Et que tous les plaisirs n’ont pour vous aucun charme ; Contre nos jeunes sens vostre esprit se gendarme. Si vous estes sans goust, devons-nous en pâtir ? Et sans avoir mal-fait, doit on se repentir ? Dans vostre jeune temps, l’Hymen a sçeu vous plaire, On veut vous imiter, Monsieur, laissez-nous faire. La franchise, Toinon, regne dans tes discours. Monsieur, comme je fus, je veux estre toujours : Je dis franc ma pensée, & je fuis la grimace ; Ce que je sens dans l’ame, on le voit sur ma face ; Et sans fourber les Gens par un discours trompeur, Je fais voir sur mon front ce que j’ay dans le cœur. Mais il est bon d’avoir un peu de retenuë. Eh pour ce que je suis je veux estre connuë : Tout-franc, ne parlez plus de la Religion, Et n’y fourez aucun sans inclination. La contrainte en ces lieux enfante le desordre. Ma foy, je donnerois bien du fil à retordre Aux Gens qui m’auroient mis en ce Lieu malgré moy. Va, cesse d’en jurer, il suffit, je te crois : Le serment en cela n’est pas fort nécessaire. Ha vrayment, là-dessus, voila bien du mystere. Je croy qu’on peut jurer, quand on dit verité : Mais je veux vous parler avec sincérité. De tout temps, sans courroux, vous souffrez ma franchise, Et vous ne voulez pas que rien je vous déguise : Je vay m’expliquer net, en vous donnant avis, Qu’on vous blâme tout haut d’aimer trop vostre Fils ; Que pour son intérest, vos Filles non pourveuës, Pour la Religion vous font avoir des veuës ; Et que pour l’avancer, vous voulez les cloistrer. Dans le fond de mon cœur on sçait mal penétrer ! Je presche le Convent, mais c’est dans la pensée Que l’ame, en ce Lieu saint, est bien moins traversée, Qu’elle n’est au milieu de cent mille embarras Dont chacun dans le monde est suivy pas à pas. Retenez ce discours, profitez en, ma Fille, Allez.         Vous souhaitez qu’elle épouse une Grille, Franchement ?     Fais-je mal ?         Mais faut-il, pour un Fils, Cloistrer ainsi…         Tay-toy ; C’est un Enfant soûmis, Que je sçauray tourner en sortant du College. Cloistrer les gens par force, est un pur sacrilege : Pensez-y bien, Monsieur, souvent on se repent ; La raison le condamne, & le Ciel le défend. Mon Fils est un Garçon que tout le Monde admire. Sur vos Filles aussy je ne voy rien à dire ; Il leur manque un Epoux, c’est là tout leur defaut. Il leur manque… Toinon, je sçay ce qu’il leur faut. Il leur faut un Epoux, c’est le plus nécessaire. Il leur faut… Je le sçay ; Ce n’est pas ton affaire. Non ; mais c’est un Epoux dont chacune a besoin ; Déja vous dévriez estre exempt de ce soin. Considérez leur âge, il est plus que nubile ; Cessez d’estre, Monsieur, l’entretien de la Ville ; Et donnant à chacune un agreable Epoux, Faites taire par là ceux qui parlent de vous. Mais encor, que dit-on ?         Que sert de vous redire, Qu’on vous voit par ce Fils l’objet de la Satire, Qu’à vos Filles il faut des Epoux bien tournez, Jeunes, bien-faits… Enfin bien conditionnez : Car, à ne point mentir, la plus jeune est d’un âge A porter aisément le faix du Mariage. Pour Monsieur vostre Fils, qui fait tant babiller, En sortant du College, on le fait Conseiller. C’est là vostre dessein, au moins chacun l’assure, Et qu’un Cloistre à ses Sœurs est une chose seûre. La Cadette se porte à la Religion. Je luy croy, pour ce Lieu, peu d’inclination. Mais souvent elle y va visiter sa Cousine, Tu le vois.         D’accord ; mais je croirois à sa mine, Qu’un Mary luy plairoit autant & plus qu’à moy. T’a-t-elle, là-dessus, parlé de bonne foy ? En vain à le sçavoir je me suis attachée, Et je ne vis jamais une ame plus cachée, Car… Elle tient de vous, c’est tout dire.         Fort-bien. Daphnis est plus sincére, & ne déguise rien. Lise a l’esprit adroit, & l’humeur défiante. Mais…         Mais sçauroit-on rien de l’amour de Melante, Sans…         Tout cela n’estoit que pure vision. Mais elle avoit pour luy de l’inclination. Point.         Je le veux bien. Mais je reviens à ma these ; Il leur faut à chacune un Mary qui leur plaise ; En élevant leur Frere, & mariant ses Sœurs, Par là vous trouverez des jours pleins de douceurs ; Toute vostre Famille… Eh quoy ! Point de réponse ? A luy parler raison, il faut que je renonce ; En vain vous luy parlez, sans parler de son Fils ; Hors cela, nos conseils sont rarement suivis… Mon Pere est donc sorty ?         Tout-à-l’heure il me quitte : Peut-estre qu’à son Fils il va rendre visite ; Ce Fils l’occupe seul, ce Fils a tout son cœur, Je luy voy pour vous deux une grande tiédeur : J’ay pour vos intérests parlé de Mariage, Mais il ne preste point l’oreille à ce langage, Et pour toute réponse il exalte son Fils. Il faut patienter. Toinon, à ton avis, Penses-tu que Phélonte ait pour moy de l’estime ? Par son tendre Billet ardemment il s’exprime. Pour moy, je le croirois.         Il ne me connoist pas. Mais c’est de vostre esprit dont Phélonte fait cas. Je vous ay déja dit ce qu’il m’a fait paraistre, Que Crispin me suivoit par l’ordre de son Maistre, Et que craignant Dorame, il attend pres d’icy Que j’aille l’avertir… Madame, le voicy. Dorame…     Entre.         Crispin, je n’ay rien à te dire ; De tous mes sentimens Toinon a sçeu t’instruire : Mais si tu sers ma flâme avec fidelité, Tu sçauras pour tes soins ce que j’ay projetté. Je fais, de vous servir, tout mon plus grand delice, Et ne veux que Toinon pour prix de mon service. Vrayment, Monsieur Crispin, je vous trouve fort bon ! Pour prix de son service, il ne veut que Toinon ; Il vous montre par là, qu’il me croit peu de chose. Ah pour prix de mes soins, lors que je te propose, Je prouve qu’en toy seule est mon ambition. T’aime-t-elle, dy-moy ?         Tantost oüy, tantost non ; Tantost elle est affable, & tantost inhumaine. De l’adoucir, pour toy je veux prendre la peine, Et dans peu, de mes soins tu connoistras l’effet. Cependant à ton Maistre il faut rendre un Billet, Sonder adroitement si pour moy sa tendresse Est vraye.         A le sçavoir, pour vous je m’intéresse. Mais sçait-il que Toinon est l’objet de tes vœux ? Non, il sçait seulement que je suis amoureux. Ainsy de son dessein tu sçauras mieux la suite… J’entens ; de vostre amour laissez-moy la conduite. Ce Billet est tout prest, je vay le cacheter ; Vien le prendre, Toinon : on va te l’apporter, Patiente un moment.         Oh volontiers, Madame. Si mon Maistre a pour elle une sincére flâme, La mienne à cette fois a tout lieu d’espérer. Un Homme en mon Logis ! Qui l’y peut attirer ? Mais dois-je croire… Ah Ciel ! que faire ? c’est Dorame. Ma présence luy cause un peu de trouble en l’ame. N’est-ce point un Voleur ? Que faites-vous icy ? Hé… De ce que j’y fais, qui vous met en soucy ? Insolent, apprenez qu’icy je suis le Maistre. Je n’avois pas, Monsieur, l’honneur de vous connoistre, J’ay tort d’avoir parlé… comme j’ay répondu ; J’en demande pardon.         Mais ceans que fais-tu ? Répons.         Je n’y fais rien, Monsieur, je me retire. On ne sort pas ainsy.     Mais…         Non, il faut me dire Le sujet qui te porte à te rendre chez moy. Monsieur… Monsieur.     Hé bien ?     Tout-franc, voyez-vous…         Quoy ? Enfin je suis… suffit.         Ce n’est pas là répondre, Ton soin à m’échaper, ne sert qu’à te confondre ; Et tes yeux me font voir les regards d’un Voleur : Mais tu seras pendu.         Je suis Homme d’honneur. Hola quelqu’un, hola.         Que vois-je, nostre Maistre ! Tout est perdu.         Toinon, que fait icy ce Traistre ? Ne vous l’a-t-il pas dit ?         Je n’en puis rien sçavoir. Ah bon.         Civilement il faut le recevoir. La raison ?     C’est…     Quoy, c’est ?         Un Maistre de Musique, Envoyé de la part de Madame Angélique, Pour vos Filles.         Monsieur, excusez-moy, j’ay tort : Mais pourquoy, s’il vous plaist, vous obstiner si fort A ne répondre pas ?         Est-ce ainsy qu’on en use ? Me traitter de Voleur…         Quelquefois on s’abuse. D’ailleurs, en pareil cas on peut bien s’abuser, Et vous n’avez pas lieu de vous scandaliser. Que ne répondiez-vous ? car il faut qu’on s’explique. Je suis Homme d’honneur, & Maistre de Musique ; Voila mes qualitez.         Ah Monsieur, je le croy. Me faire un tel affront…         Bon, voila bien dequoy. Voleur !         Je suis, Monsieur, tout à vostre service ; La plûpart de ces Gens sont remplis de caprice. Estre un Musicien ! Qui diable l’auroit dit, A voir cette figure, & mesme son habit ? Il est vray.     Moy, Voleur !         Tout-franc, c’est vostre faute, Et faire icy le fier, c’est compter sans son Hoste. Il faut le laisser dire, & ne pas vous fâcher. C’est bien à ses discours que je veux m’attacher ! Il peut toûjours parler, sans que j’en sois en peine. Ma Maistresse a, Monsieur, un reste de migraine, Qui ne luy permet pas de descendre à present. Vous plaist-il de monter ?         Montons, j’en suis content. Monsieur, vous…         Là-dessus à rien je ne m’oppose, Allez.         Il faut un peu leur souffrir quelque chose ; La Musique est un Art qui contente l’esprit, Et qui dans le Convent donne quelque crédit. Monsieur.     Que vous plaist-il ?         De la part d’Angélique, Je viens…     Hé bien ?         Je suis un Maistre de Musique ; On dit que vostre Fille en cherche un excellent, Et j’ay pour ce grand Art un merveilleux talent ; Sur tout j’y suis sçavant autant qu’on le peut estre ; Et sans trop me vanter, j’y suis assez grand Maistre. Que veut dire cecy ?         Monsieur, c’est un grand bien ; Quand un Maistre est habile, & qu’il n’ignore rien, C’est pour un Ecolier un fort grand avantage. Ecoutons jusqu’au bout.         Que c’est un rare ouvrage, Qu’un grand Musicien !         Je le croy comme vous. Mais on en voit si peu… Je creve de courroux, De voir cent Mirmidons en ce Siecle où nous sommes ; Pres les plus éclairez se croire de grands Hommes, Et ces Fats soûtenus par cabale de Gens, Dépouveus à la fois d’esprit et de bon sens. Monsieur, si j’ay l’honneur d’apprendre à vostre Fille, Vous verrez dans mes Chants un certain tour qui brille, Et qui, sans me vanter, me sçait tirer du pair. Nous touchons le Theorbe, & nous chantons un Air, Pour le moins aussi-bien qu’aucun qui soit en France. Ce n’est pas coucher gros.         Ah quelle suffisance ! Que tous ces Gens sont vains !     Plaist-il ?         Je ne dis mot. Monsieur, dans mon Mestier, je ne suis pas un sot. Ah je vous croy, Monsieur, un grand Maistre en Musique. Et de plus Gentilhomme. Oüy, Monsieur, je m’en pique ; Car la Musique enfin ne dégenere pas. Si ce grand Art pour moy n’eust eu beaucoup d’apas, Sans doute je serois avancé dans l’Armée, Où je verrois du Roy ma valeur estimée. Le grand fou !         Grace au Ciel, nous avons cela bon, Et je sçay m’en servir de la bonne façon ; Car quand l’occasion se trouve un peu pressante, Je sangle un coup d’Epée aussi-bien que je chante. Fort-bien.         Je sçay qu’il est force Musiciens, Qu’avec juste raison on estime des riens : Mais si j’en estois crû, dans l’état où nous sommes, Les bons, à leur mépris, seroient faits Gentilhommes. Quel besoin pour chanter de cette qualité ! Par là l’on n’en est pas beaucoup mieux écouté. Ce grand Art est un Art digne d’un rang sublime. Et cet Art est un Art dans la commune estime. Quant à moy, franchement, j’en suis peu curieux : Parlez-en à Monsieur, il vous répondra mieux. Moy, j’écoute.         Monsieur sçait-il de la Musique ? J’ignore s’il en sçait, mais je sçay qu’il s’en pique. Ah Monsieur a tout l’air d’un Chantre de Lutrin ; Il est propre à chanter à quelque Tabarin, Ou bien à l’Orviétan, je le vois à sa mine. J’admire son habit, & sa taille poupine ; Je gage que Monsieur touche quelque Instrument. Cela peut estre vray.         Mais délicatement. Aparemment, Monsieur, vous joüez de la Vielle. Que dire !     Et nous joüons…         Je vous tiens un modelle Qu’on doit suivre par tout.         Il n’en faut point douter. Sur un Trio nouveau peut-on vous consulter ? Payons d’effronterie.         Or faites-moy la grace De m’éclaircir un peu sur ce qui m’embarasse : C’est un certain endroit que j’ay peine à sauver. Pour en venir à bout, il falloit y resver. Voyez, de vos avis ne soyez point avare, La Basse va devant cet E mi la B quarre. Hem ?         Voila des accords dont je suis enchanté. Ces accords ne font pas cette difficulté : Je sçay que ces derniers ont peu de consonnance ; Mais j’ay, pour m’en tirer, certaine intelligence, Que peu de nos Sçavans possede comme moy. Là, voyez.     Je voudrois te voir au Diable.         Quoy ? Rien.         C’est cet E mi la qui me fait de la peine, Et pour le bien sauver, il me met à la gesne. Que feriez-vous, Monsieur, dans un tel embarras ? A vous dire le vray… Je ne l’y mettrois pas. Pourquoy non ?         C’est que… Non, je ne vous veux rien dire. Donnez-m’en la raison, & daignez m’en instruire. C’est que cet E mi la qui vous met en soucy, Et que ce mi B fa que vous traittez ainsy, Sortant par la De mode, en fait la raisonnance, Qui rentrant en B mol, forme la conséquence. Il faut considérer, qu’ut re mi fa sol la, Rebattant par B quarre, & puis s’arrestant là, Font des accords aigus… s’il faut que je m’explique, Qui fait que dans les sons… on voit de la Musique… Comprenez-vous bien ?         Non, je ne vous entens pas, Ce discours n’est pour moy qu’un galimatias. Tant-pis.     D’où vient ?         Il faut manquer de connoissance, Ou posseder au moins bien peu d’intelligence, Pour me répondre ainsi ; car Monsieur m’entend bien. Il est vray que j’entens, mais je ne comprens rien. Ne perdez pas cecy. La quarte, ou bien la quinte… Formant des embarras… jette en un labyrinte… Qui fait que vous tombez dans la difficulté. Or la tierce, la fugue… en cette extremité, Rentrant subitement, fait voir, ne vous déplaise, La seconde du son, & la rend plus mauvaise ; Car le dessus… la basse… entrant dans l’unisson… Fait que vous rencontrez… l’intervale du son… Me comprenez-vous mieux ?         Ma foy, la mesme chose : J’entendois peu le texte, & j’entens moins la glose. Parlez tous deux François, sans chercher ces grands mots. Ah les termes de l’Art sont là fort à propos, Demandez.         Vos discours confondent ma science : Mais, Monsieur, solfiez, pour plus d’intelligence, Je vous comprendray mieux.         Qui, moy ! moy, solfier ! C’est me traitter par là de petit Ecolier ; Vous estes plaisant !         C’est un Maistre de Musique, Envoyé de la part de Madame Angélique. Luy Maistre de Musique ! Ah c’est un imposteur. Vous en avez menty.     Quoy…         Tréve de fureur, Ou…         J’ay tort, oüy, Monsieur, car il n’a point d’Epée. La vostre, en ce moment, seroit mal occupée ; On diroit…         Je le sçay ; Mais souffrir un affront De ce Fat, non, non.         Hom… J’ay le bras un peu prompt, Va-t-en.         Sortez d’icy, si vous voulez vous battre. Il faut…     Tout-doux.         Ce Fat se fait tenir à quatre. Ah ç’en est trop souffrir.         Le Drôle en veut par là. Arrestez.     Laissez-nous…         Hola quelqu’un, hola. Faquin !     Maraut !         Ah, ah, ah, Messieurs, prenez garde ; Sinon…     Fourbe !     Coquin !         C’est trop ; Ma Halebarde ; Qu’on arreste, ou bien…     Hom…         Tu m’échapes en vain. D’où vient cecy ? Monsieur les armes à la main ! Toinon, Monsieur se dit un Maistre de Musique, Qui vient, dit-il, icy de la part d’Angélique ; Et sur des mots de l’Art ils se sont querellez. Et moy, pour mettre fin à tous leurs démeslez, J’ay pris ma Halebarde.         Et d’où vient qu’Angélique Envoyroit tout-à-coup deux Maistres de Musique ? C’est pour en faire choix.         Ce Fourbe ne l’est pas. Vous en avez menty.     Sors.         Va, je suis tes pas. Je t’attens.         Vous pourrez vous battre dans la Rüe, Et…     Serviteur.         Crispin, ah je suis toute émûë. Qu’as-tu ?     Je crains…     Pour qui ?     Pour toy.         Va, ne crains rien. Mais…     Toinon.     J’y vais.         Va, je m’en tireray bien. En peu de mots, Monsieur, voila toute l’histoire. D’un autre que toy, j’aurois peine à la croire : Car comment passer là pour un Musicien, Et raisonner d’un Art où tu ne connois rien ? Ne vous ay-je pas dit, qu’un peu d’effronterie M’a tiré d’embarras ? Que ce Maistre en furie, D’un galimatias dont j’ay sçeu l’étourdir, La matiere un peu trop vouloit aprofondir ; Que des termes de l’Art bourant mon ignorance, Sans paroistre vaincu, j’ay payé d’impudence ; Que ce Maistre voulant me faire solfier, J’ay sçeu, pour m’en parer, le traitter d’Ecolier ; Que le Pere d’ailleurs ignorant en Musique, Est dans tous nos debats demeuré sans replique ; Qu’au sortir du Logis, quinze ou vingt coups de poing Commençoient d’attirer déja quelque Témoin ; Que craignant que quelqu’un ne vint à me connoistre, J’ay crû que promptement je devois disparoistre. Sur chaque circonstance estes-vous bien instruit ? Faut-il recommencer ?         Non, Crispin, il suffit. Mais pour mieux étourdir ce Maistre de Musique, Et devant le Vieillard luy faire un peu la nique, Il falloit sçavoir là quelques termes de l’Art. Bon, j’en sçay.     D’où ?         J’en ay retenu par hazard, Alors qu’à composer vostre Maistre vous montre, Dont j’ay sçeu, sans raison, m’aider en ce rencontre. D’ailleurs, vos Violons, souvent hors de propos, Meslent dans leurs discours quantité de ces mots ; Et quoy que mal citez, pensant faire merveilles, Ils m’en ont mille fois étourdy les oreilles. Fort-bien.         Sur chaque point vous estes satisfait ; Mais la Dame, Monsieur…         Ecoute son billet. Vostre Lettre, Phélonte, pourroit persuader une Personne qui vous connoistroit moins que moy : mais je veux bien vous dire que je suis parfaitement instruite de toutes vos manieres. Vous avez crû, sans doute, que l’occasion se presentoit favorable, & qu’il falloit la prendre aux cheveux, c’est fort bien fait à vous ; mais là-dessus je suis vostre Servante. Dites-moy, s’il vous plaist, s’il estoit vray que vous m’aimassiez autant que vous le marquez dans vostre Lettre ? Croyez-vous en bonne-foy, qu’il n’y auroit point un peu d’extravagances ? Aimer les Gens sans les connoistre, ny sans les avoir jamais veus, cela approche un peu de l’égarement. Non, non, vous n’estes point capable d’une foiblesse semblable ; vous avez de l’esprit, & vous sçavez trop bien ce que vous faites : Vous voulez me payer galamment des bons avis que je vous ay donnez, mais je ne suis point interessée, & c’est assez pour moy qu’ils ne vous soient pas inutiles. Adieu, pensez à ce que je vous écris, & croyez que je parle avec sinceritê, quand je dis que j’estime Phélonte. Qu’en penses-tu, Crispin ?         Elle paroist sincere, Et la Dame a, Monsieur, tout ce qu’il faut pour plaire. A ne te rien celer, j’aime son procedé. Elle a beaucoup d’apas.         J’en suis persuadé ; Tu me l’as peinte aimable autant qu’on le peut estre. Je n’en juge qu’autant que je puis m’y connestre ; Mais elle me plaist fort.         Je brûle de la voir, Crispin.         Il faut tâcher à luy faire sçavoir. Allons, Crispin, allons, vien, conduis-moy chez elle. Quoy ! d’un plein saut, Monsieur, entrer chez cette Belle ? De ce peu de respect elle pourroit gronder. Oh tu m’introduiras.         Dieu m’en veüille garder ; Le Pere est d’une humeur qui n’est pas fort tranquille, Je crains sa Halebarde, & plus encor sa bile ; Au moindre différent les armes à la main, Nous montre qu’il n’a pas un esprit fort humain. Ne crains rien.         Tout-de-bon, aimez-vous cette Dame ? Oüy.         Vous sentez pour elle une sincére flâme ? Oüy.     Point.     Pourquoy non ?         Bon ; Vostre amour libertin S’attache-t-il jamais que pour faire butin ? Et quand une Beauté parle de Mariage, Le Scélerat veut-il entendre ce langage ? Il sçait bien soûpirer, peindre sa passion ; Mais tout cela ne va qu’à la conclusion. S’il trouve en quelque Objet un peu de resistance, Vous sçavez l’en tirer par quelque revérence ; Et disant serviteur, bon-soir, & grand-mercy, Vous laissez cet Objet, & le quittez ainsy : Mais la Dame, Monsieur, vous montre par sa Lettre, Ce que de sa vertu vous devez vous promettre… C’est du Sexe toûjours la façon de parler. Je la connois fort peu ; mais je juge à son air, Qu’elle est sage, Monsieur.         Eh Crispin, la Sagesse Ne s’épouvante pas pour un peu de tendresse : Cette vertu n’a plus cette austere rigueur, Qui ne pouvoit souffrir de l’amour dans un cœur ; L’une n’a plus pour l’autre aucune répugnance, Elles sont maintenant de bonne intelligence ; Et pour duper les Gens, par de communs accords, L’Amour regne au-dedans, la Sagesse au dehors. A leur façon d’agir vostre amour s’accommode. Je voy bien, vous voulez, suivant vostre méthode, De la Dame, en un mot, essuyer un refus, Vous retirer apres, & n’y retourner plus. Non, allons.         Je ne sçay ce qu’il faut que j’en croye. D’où vient ?     Vous aimer ! vous !     Oüy.         Que j’aurois de joye, De vous voir avec nous au nombre des Amans ! Songez-y bien, la Dame a beaucoup d’agrémens. Allons ; si sa beauté répond à mon attente, Tu me verras pour elle une flâme constante. Ce changement en vous, est contre mon espoir. Un Homme est là, Monsieur, qui demande à vous voir. Il faut le faire entrer. C’est sans doute Mélante, Il vient au rendez-vous, mais contre mon attente, Je vois un Inconnu…         C’est ce Musicien, Ne me découvrez pas.         Je m’en garderay bien, Ce seroit tout gaster.     Que vous plaist-il ?         De grace, Connoissez-moy, Monsieur, excusez mon audace ; J’enseigne la Musique, & cet Art, Dieu mercy, Dans tous mes Ecoliers m’a si bien réüssy, Que loin d’avoir besoin de pratique nouvelle, Je puis fournir à peine aux lieux où l’on m’appelle. Ainsy je ne viens point icy par intérest : Mais, si comme l’on dit, la Musique vous plaist, Car de beaucoup de Gens j’apprens avecque joye, Qu’à chanter la plûpart de vostre temps s’employe, Ce bruit a fait en moy naistre un ardent desir De vous voir, & je viens…         Vous me faites plaisir. J’ay fait un Opera, Monsieur, qui doit surprendre, Et je viens tout exprés vous prier de l’entendre. Volontiers.         Je m’en tais ; mais sans faire le vain… Chez Madame Angélique il paroistra demain. Je ne la connoy point.         Ce Billet marque l’heure, Et par luy vous serez instruit de sa demeure. Je n’y manqueray pas.         Ah c’est une faveur Dont se flatte aujourd’huy vostre humble Serviteur. Suffit ; Adieu.         Monsieur, je vous feray connoistre… Mais je voy, ce me semble, un…         Vous voyez mon Maistre. Je m’étonne, Monsieur, que vous ayiez choisy L’Homme le plus ignare…         Hé morbleu ! venez-y, Disputer avec moy sur la préeminence D’un Art… Je vous le livre aussy plein d’ignorance, Que Chantre du Pont-neuf.         Hé, Messieurs ! là, tout-doux. Quoy ! pouvez-vous souffrir cet Ignorant chez vous ? Je vay le décrier dans tous les Lieux du Monde ; Et ne souffriray point…         Permettez qu’il réponde : Comme vous l’accusez d’estre ignorant, il doit… Monsieur, la verité se peut toucher au doigt : Il fait le suffisant, à cause de sa Brette. J’ay droit de la porter. Mon Pere…         Estoit Vedette, Quand dans la plaine d’Oüille on vint camper. Voila Ses Titres de Noblesse entez sur E mi la. Tout ce qu’il dit, fadaise. Il parle comme il chante. Mais, Monsieur, il n’a point la méthode meschante : Je m’en suis bien trouvé jusqu’icy.         Bien trouvé ! De tous les Ignorans c’est le plus achevé, Je vous le dis encor.         Sans chaleur, je vous prie. Il n’a que du jargon, & de l’effronterie. Je viens pourtant encor de vous rendre Mutus Chez un certain Vieillard, là, tout-à-l’heure.         Abus ; C’est un extravagant ; par son seul équipage J’ay d’abord aisément jugé du Personnage : N’est-ce pas affronter la Musique ? Il est fou. Prenez-vous par le nez.         Mais de grace, par où Avez-vous découvert qu’il est si meschant Maistre ? Par cent mots où luy-mesme il ne peut rien connoistre : Tout ce qu’il dit sur l’Art, pur galimatias. La pécore ! Monsieur, ne m’entendez-vous pas ? Sa façon d’enseigner n’est pas trop affectée, Et je croy n’avoir point encor la voix gastée. Il vous la gastera, si vous ne le changez. Il faudra voir.         J’ay peur, si vous ne délogez… Pour rien, au lieu de luy, j’aime mieux vous aprendre. Pour rien ?     Pour rien, vous dis-je.         Oüy, oüy, l’on va te prendre ! Tu n’es bon qu’à montrer à des Grenouilles.         Moy ! Pour l’honneur du Mestier, Monsieur…         De bonne-foy, Il est juste qu’apres plusieurs ans…         A l’épreuve, De mon sçavoir gratis je vous offre la preuve : Mais pour vous faire voir que c’est un Ignorant, Et que je crains fort peu ce chétif Concurrent, Je vay chanter un Air, qu’il en fasse de mesme. Par là vous jugerez… Ecoutez, chacun l’aime. CHANSON Beautê, qui captivez mes sens, Ma voix, par ses tristes accens, Vous peint l’excés de mon martyre. Mais Dieux ! quelle haine avez-vous ? Quand mon cœur ose vous le dire, Soudain vous entrez en courroux. Ce Chanteur me fait rire, avec son chant Gascon. Sçachez que maintenant c’est la belle façon, Et que cette maniere est le plus à la mode. Je gage que Monsieur blâme cette méthode. Laissons cela, chantez.         Moy ? je n’en feray rien ; Vostre accent est Gascon, le mien Parisien : Apprenez mon accent, & j’apprendray le vostre, Puis on pourra juger & de l’un, & de l’autre. Monsieur, vous jugez bien par ce raisonnement… Monsieur sçait que je parle avec grand jugement. Enfin, c’est sans raison…         Je suis las de l’entendre ; Monsieur, encor un coup, oüy, je veux vous aprendre ; Et si je ne vous fais mieux chanter mille fois… Qu’il n’a pû…         Trouvez bon qu’il acheve son Mois, Nous nous verrons en suite.         Il faut vous laisser faire ; Mais je veux…         Tu prétens qu’à moy l’on te préfere, Musicien de bale ?         En autre lieu qu’icy, Je t’apprendray…         Va, va, n’en sois point en soucy ; Si tu sçais ferrailler, je chamaille à merveilles. Munis-toy d’une Epée, avec armes pareilles, Seul-à-seul de pied ferme, on te peut divertir. Je ne veux contre toy, qu’une Broche à rostir. Adieu, ré mi fa sol.         Ma Maistresse le pique. Je te vois Gradué, peu s’en faut, en Musique. Oüy, mais cette Musique attirera sur moy Quelque moment fâcheux.     Le crains-tu ?         Non, ma foy : Mais si le rencontrant, il faut que je chamaille, Et que d’un coup d’Epée il me gaste la taille, Hem ?     J’en serois fâché.         Vous en riez ! Fort-bien. Je préviendray ce mal, n’en appréhendes rien ; Mais allons, sans tarder, visiter cette Belle, Je veux l’aimer, Crispin, d’une flâme immortelle. Il faut que depuis peu vous soyez bien changé ! Fanchon, tu sçais à quoy je me suis engagé A Mélante.         Oüy, Monsieur, vous m’en avez instruite. Dis-luy, quand il viendra, qu’une affaire subite M’a forcé de sortir, mais qu’il peut tout icy. Fort-bien.         J’entens quelqu’un ; Peut-estre le voicy. Ce n’est pas luy.     Qui donc ?         C’est Monsieur Boniface, Qui vient pour vostre Frere implorer vostre grace. Oüy, Monsieur.         Là-dessus qu’on me laisse en repos. La Clemence est, Monsieur, la vertu des Héros : Vous sçavez que Plutarque…          Eh Monsieur Boniface, Plutarque, en cet endroit, n’est pas fort en sa place. Qu’est-il besoin aussy de citer cet Autheur ? De Monsieur vostre Frere estant le Précepteur, J’ose vous demander pardon de son offence. Je suis trop irrité de son impertinence. Qui se repent d’un mal, mérite le pardon : Hé la Monsieur Crispin, vous Madame Fanchon, Obtenons de Monsieur, le pardon pour son Frere. Eh Monsieur !     Eh Monsieur !         Non, je n’en veux rien faire. Monsieur…     Suis-moy, Crispin.         On ne peut le fléchir. Peut-estre, avec le temps, qu’on pourra l’adoucir. Pour son Frere, entre nous, il faut mieux le conduire. C’est un jeune Eventé, que j’ay peine à réduire. Souffrir qu’il s’enrolast !         C’estoit à mon insçeu ; Il m’avoit, pour le faire, adroitement déceu ; Mais tout ce différent ne m’inquiéte guére, Qu’ils s’accordent entr’eux, Fanchon, c’est leur affaire. En effet.         Quant à moy, j’en prens peu de soucy. C’est fort bien fait à vous.         Le Ciel m’a fait ainsy. Vous fuyez le chagrin.         Mon partage est la joye, Par elle on a des jours filez d’or & de soye. Non, non, point de chagrin, vive la gayeté, Elle nourrit l’esprit, & soûtient la santé. Que vostre humeur me plaist ! Ah Monsieur Boniface, Qu’un grand fond de santé reluit sur vostre face ! Quel teint ! Vous estes né d’une compléxion, Qui travaille sans cesse à l’augmentation : Vous ne mourrez jamais, si l’on ne vous assomme ; Gras, dodu, l’humeur gaye ; Ah quel embonpoint d’Homme ! Un Malade, à vous voir, pourroit estre guery : Où prenez-vous le glan dont vous estes nourry ? Eh je le prens, Fanchon, où vous prenez le vostre, Et dans tous mes repas je n’en use point d’autre. Du moins il vous profite autant & plus qu’à moy, Cela se voit.         Oüy ; mais parlons de bonne-foy ; Fanchon, vostre embonpoint assez du mien approche, Je suis un peu Cochon, vous estes un peu Coche. Vous, un peu ? Bon ; Je gage, au rapport de mes yeux, Que si je peze un cent, vous en pezez bien deux. Tel que je sois enfin, je suis peu haïssable, Et je vous aime autant que vous estes aimable. Ne parlons point d’aimer, & changeons de propos. Fort-bien. Ne viens-je point icy mal à propos ? Non.     Avez-vous tout dit ?         Nous n’avons rien à dire. Si je suis importun, parlez, je me retire. Non, demeurez, je sors.     En suis-je cause ?         Non. Si c’est moy…         Non, vous dis-je ; Adieu, belle Fanchon. Adieu, beau Boniface.     Ah !     Qu’est-ce ?         On vous demande. Et qui ?     C’est vostre Maistre à chanter.         Qu’il attende. Il est pressé, dit-il.         Qu’il revienne tantost : Dy-luy que je ne puis…         Je diray ce qu’il faut. Et que luy diras-tu ?         Qu’une affaire pressée, Pour quelque temps icy vous tient embarassée. L’excuse est-elle bonne ?         Oüy, va, c’est fort bien dit. Est-ce que vous croyez que je manque d’esprit ? Non, mais par trop d’ardeur tu prestes peu silence, Et souvent tu répons, sans sçavoir ce qu’on pense. Moy ?         Va rendre réponse à mon Maistre à chanter. Mais…         Va, te dis-je ; apres je sçauray t’écouter. Ces Esprits turbulens me font devenir fole, Car jusques dans la bouche ils coupent la parole : Souvent, loin qu’avec eux on puisse s’expliquer, A peine parle-t-on, qu’ils veulent repliquer ; Sans entendre les Gens, leur jugement décide, Quoy qu’il n’ait le bon sens, ny la raison pour guide ; Lors qu’ils sont entestez de quelque opinion, Ils n’ont, pour l’appuyer, que l’obstination, De trop d’estime d’eux leur esprit les enyvre, Et croit que leur avis est le seul qu’il faut suivre. Hé bien, reviendra-t-il ?         Il n’y manquera pas. Qu’a-t-il dit ?     Rien.     Tant-mieux.         Le Bréton est là-bas. Le Bréton !         Autrement le Valet de Mélante ; Il demande Monsieur pour affaire pressante. Je sçay bien ce que c’est ; Dy-luy qu’il vienne icy. Il a beu plus d’un coup.     Qu’importe.         Le voicy. Que veux-tu ?     Je veux…     Quoy ?         Je veux Monsieur ton Maistre. Il est sorty.         Tant-pis : Mais où donc peut-il estre ? Je ne sçay.     Tu ne sçais ?     Non.         Il faut le chercher, Car mon Maistre dans peu…         Parle sans t’aprocher. Pourquoy ?     Pour rien.         Fanchon, mon ame… te convoite, Je t’aime.     Soûtiens-toy.         Crois-tu que je sois boite ? Boite ?         Oüy, c’est à dire yvre, en langage Breton. Je m’en raporte à toy.     Je n’ay pas beu.         Luy ? Bon. Il est à jeun, voyez.         Oüy da, qu’en veux-tu dire ? Courage.         Il n’a pas beu, c’est d’amour qu’il soûpire. Mais ton Maistre, dy-moy…         Dans peu tu le verras : Chantons en l’attendant.     Fort-bien.         Tu ne veux pas, Toy qui chantes si bien, qu’aucun n’y peut atteindre ? J’aime à t’oüir chanter, car tu chantes à peindre. Vois-tu, je paye Pot ; çà, chante un Passe-Pié. Je n’en sçay point.     Ecoute.         Il s’est estropié, Releve-le.         Dy-moy, sçais-je pas la cadance ? Oüy.         Prens ton Violon, tu verras si je dance. On ne peut mieux dancer.         Ah tu fais le rieur. Point.     Le pied m’a glissé ; mais…     Plaist-il ?         Rien, Monsieur ; C’est La Ronce…         Est-ce ainsy que l’on me rend réponce ? Monsieur, je m’en allois, demandez à La Ronce. Fort-bien.Depuis une heure où s’est-il arresté ? C’est… Nous allons tous deux boire à vostre santé. Qu’il a beu !     Point du tout.         Quelquefois il s’en donne ; Mais il est bon Valet.         Il a l’humeur boufonne. Phélonte est-il icy ?     Non.         Le fâcheux moment ! Pour affaire pressée il sort presentement : Mais soyez sans chagrin, je suis de tout instruite, De sa part, avec soin, j’attens vostre visite : Je sçay que vous aimez, & qu’un Pere fâcheux S’oppose aux sentimens de l’Objet de vos vœux, Et que pour luy parler, vous avez de la peine. Icy vous pouvez tout sans que rien vous y gesne ; C’est l’ordre de Monsieur.         Tu m’ostes de soucy : Cette Dame est en Chaise à trente pas d’icy, Je m’en vay l’amener.         Moy, je vay vous attendre. Ma foy, contre l’Amour, tous les soins qu’on peut prendre, Empeschent rarement qu’il ne vienne à sa fin, Il sçeut, sçait, & sçaura décevoir le plus fin : En vain oppose-t-on l’autorité d’un Pere, C’est dequoy le Fripon ne s’inquiéte guere, Il se rit des chagrins de ces Amans jaloux, Et met toute sa joye à tromper un Epoux ; Nous trouvons tout possible alors qu’il nous enflâme. J’entens parler quelqu’un ; C’est Mélante & sa Dame. Madame, ostez le masque, & n’apréhendez rien ; Je suis icy le Maistre, & ce Logis est mien. A vostre honnesteté je me laisse conduire ; Vous voulez que je l’oste, & cela doit suffire. Fanchon, tu vois l’Objet dont mon cœur est charmé. Je vous tiens fort heureux, si vous estes aimé. Sur l’espoir de l’Hymen tout mon bonheur se fonde. Madame a des appas à charmer tout le monde. Me railler ?         Je sçay trop tout ce que je vous doy, Et quand je parle ainsy, je dis ce que je voy ; A loüer vos appas je me sens engagée. De ces bons sentimens je vous suis obligée. Fanchon a l’humeur franche, & de l’esprit enfin. Oh point. Vous plairoit-il de descendre au Jardin ? Volontiers, allons.     Passe.     Ah je sçay trop…         N’importe, Passe.         Puis qu’il vous plaist, je vais ouvrir la Porte. L’embarras est leger, & n’aura point de suite ; Du faux Musicien Angélique est instruite, Elle en sçait l’avanture ; & si notre Vieillard, Etonné d’avoir veu deux Maistre de sa part, Va, de ce double envoy, luy demander la cause, Laissez faire, elle est Femme à bien tourner la chose, N’en appréhendez rien.         S’il faut t’ouvrir mon cœur, Ce n’est pas là, Toinon, le sujet de ma peur. Qu’avez-vous donc ?         Je crains de n’avoir, qu’à ma honte, Entrepris de fixer le vagabond Phélonte ; Et que toûjours luy-mesme, il ne soit peu touché De l’avance où pour luy mon cœur s’est relâché. J’en aurois, comme vous, un peu de défiance : Phélonte est honneste Homme, & de bonne naissance, Riche, & par son humeur en tous lieux bien venu ; Mais en faveur du Sexe il est mal prévenu, Et par certains soupçons où son panchant l’incline, Sa maniere d’aimer est un peu libertine. Courant de Belle en Belle étaller ses douceurs, Il ne veut en amour ny soûpirs, ni langueurs, Et d’un Amant plaintif les tristes doleances, Sont, s’il faut qu’on l’en croye, autant d’impertinences ; Son seul but est la joye, il en fait vanité, Le plus fier cependant est le plutost dompté ; Et tous ces Rodomons en matiere de tendre, Ont leur instant fatal, c’est là qu’il les faut prendre. Phélonte en tient déja, vostre esprit l’a charmé, Pour vous, sans vous connoistre, il est tout enflâmé, Et par vostre Billet… Mais Crispin qui s’avance… Mon Maistre, de vous voir, brûle d’impatience, Madame ; il attend l’ordre à quatre pas d’icy. Cours le faire entrer.     Non.         Quel scrupule est-ce-cy ? Je crains trop que mon Pere…         Eh mon Dieu, vostre Pere Est sorty pour longtemps. Va, Crispin…         Qu’il différe, Le péril me fait peur ; Une autre fois, Toinon, Je m’offre…         Une autre fois vous diriez encor non ; Point de remise.         Quoy ! tu veux que je hazarde… Vous allez tout gaster, si vous n’y prenez garde, Car mon Maistre n’est pas de ces Martyrs d’amour, Qui pour un rendez-vous font le guet tout un jour ; La peine l’éfarouche, & dés le moindre obstacle, S’il ne dit Serviteur, il faut crier miracle : Puis que par vostre Lettre il s’est laissé charmer, Prenez-le moy tandis qu’il est en train d’aimer ; Il est certains momens, pouveu qu’on le mitonne… Quand l’occasion presse, est-il temps qu’on raisonne ? Devrois-tu pas déja l’avoir averty ? Cours, Sans plus jaser.     J’ay tort.         Où sera mon recours, Si mon Pere survient ? Tu me pers.         A ce compte, Ce n’est donc rien pour vous, que d’acquérir Phélonte ? J’enrage de vous voir sottement barguigner ! Qu’est-ce, qu’en reculant, vous auriez pû gagner ? Prétendez-vous qu’il aime un Objet invisible ? Non ; mais le voir ailleurs, n’estoit pas impossible, Et nous eussions cherché…         Le plutost vaut le mieux. Il vient, songez à vous.         Qu’elle est aimable ! Ah Dieux ! D’amour, en la voyant, j’ay déja l’ame pleine. Je vous l’avois bien dit, qu’elle en valloit la peine : Voyez comme ses yeux friponnement tournez… Qu’ils sont touchans, Crispin !         Le friand petit nez ! Si j’estois vous, Monsieur, j’en tâterois.         Madame, Ne vous étonnez point du trouble de mon ame ; La surprise où je suis de voir tant de beauté, Ne laisse à ma raison aucune liberté ; Et quoy que de mes sens cette raison maistresse, M’ait fait traitter l’Amour jusqu’icy de foiblesse, Je sors enfin d’erreur, & sens aupres de vous, Que vous offrir des vœux, est le sort le plus doux. Souffrez donc que les miens…         Ah ç’en est trop, Phélonte, Toute ardeur m’est suspecte alors qu’elle est si prompte, Et quoy que vous veüillez trouver en moy d’appas, On aime foiblement ce qu’on ne connoist pas ; Le temps seul…         Non, Madame, alors qu’il faut qu’on aime, L’Amour, en un moment, prend un pouvoir extréme ; J’en fais l’expérience, on m’a veu mille fois Soûtenir fiérement qu’on aimoit qu’à son choix ; Toûjours libre, toûjours à couvert de surprise, J’ay contre cent Beautez défendu ma franchise, Et dés que je vous voy, tout mon cœur enflâmé, Est contraint de se rendre aux yeux qui l’ont charmé : Voyez-en dans les miens l’assuré témoignage, Ils parlent, c’est à vous d’entendre leur langage, Ils vous seront garants…         Que diriez-vous de moy, Si j’avois pour les croire assez de bonne-foy ? On vous connoist Phélonte, aujourd’huy c’est mon regne, Il n’est cœur que pour moy le vostre ne dédaigne, Et demain par l’Amour vers un autre appellé, Vous ne songerez pas que vous m’avez parlé. Je n’y songeray pas, Madame ? quel outrage ! De mon cœur tout à vous, vous soupçonnez l’hommage : Si ce cœur n’est toûjours ferme à vous adorer, Que le Ciel…         Pensez-vous estre crû pour jurer ? Ce n’est pas en amour un secours fort utile ; Les Amans, quels qu’ils soient, ont tous le mesme stile ; Et si chaque serment leur tenoit lieu d’effets, Le Fourbe gagneroit sa Cause à peu de frais ; Ce sont toûjours beaux mots, mais non pas sans reserve. C’est à tort…         Voyez-vous, il n’est qu’un mot qui serve ; Quand on veut de deux cœurs assurer l’union, On y broüille trois grains de Matrimonium : Cela fait, on se peut aimer tout à son aise. Oserois-je espérer que le Party vous plaise ? Dans la brûlante ardeur qui m’engage aux soûpirs, L’Hymen est le seul but où tendent mes desirs. Madame, prononcez ; & quand mon cœur se donne… Phélonte, en verité, ce changement m’étonne : Quoy ! vous, parler d’Hymen, c’est dequoy s’écrier… Oüy, j’ay blâmé quiconque osoit se marier : Cependant, avec vous, telle est ma destinée, Que sans voir ma fortune à la vostre enchaînée, Je ne puis vivre heureux. Vostre Lettre d’abord M’a fait sentir pour vous le plus ardent transport ; A ce doux charme en vain j’ay voulu mettre obstacle, Et voila que vos yeux achevent ce miracle ; Les désavoûrez-vous, ces beaux yeux que l’Amour… De peur d’en dire trop, pensez-y plus d’un jour ; Il est bon quelquefois de n’aller pas si viste. Non, je suis convaincu de tout vostre mérite ; Et pour vous empescher de douter de mon feu, Je vais à vostre Pere en demander l’aveu ; S’il ne me connoist pas, il connoist ma Famille. Quelque rang où l’Hymen pût élever sa Fille, Comme il faut peu de chose à le mécontenter, Le prendre au dépouveu, ce seroit tout gaster : Ne vous déclarez point, que je ne vous revoye. Et quand puis-je, Madame, espérer cette joye ? Peut-estre que chez vous j’iray dés aujourd’huy. Séparons-nous ; adieu.         Vous quitter ! quel ennuy ! Je ne puis vous parler icy, que je ne tremble ; Mon Pere peut venir, & s’il nous trouve ensemble, Quoy que vous luy disiez, il n’écoutera rien. Mais me priver si-tost d’un si cher entretien, Madame…         Je l’entens, c’est luy, que deviendray-je ? Une honneste recherche a quelque privilege ; Et si je luy dis…     Non. Toinon, & viste.         Quoy, Peut-on… Comme il redouble !         Et tost, c’est fait de moy. Que dans ce Cabinet ils entrent l’un & l’autre. Monsieur, nous voila pris.         Ma pensée est la vostre ; Coulez-vous là-dedans, & motus. L’on y va. Peste ! il a belle haste.         Et la Clef, tire-la. Mon Dieu, ne craignez rien. Il heurte avec emphase. Au Diable l’animal !         Quoy ! Monsieur Anastase, C’est donc vous…         Oüy, Madame, excusez si j’ay tort. Comme il frape !         J’ay crû ne fraper pas trop fort. Justement. Il croyoit heurter à son College. Il est vray qu’on s’y donne un peu de privilege, Et qu’à grand bruit toûjours chaque chose s’y fait. Avec des Ecoliers du repos !         En effet : Mais, Monsieur Anastase, en deux mots, voyons, qu’est-ce ? Que voulez-vous ?         L’Etude orne bien la Jeunesse, Et j’ay mis, grace au Ciel, vostre Frere en état De soûtenir bientost sa These avec éclat. A present qu’il est Grec, ce sont ses Galleries, Que les Universaux & les Cathégories, Sans certains Argumens sur l’étre de raison, Par lesquels…     Finissons, si vous le pouvez.         Bon : Pensez-vous qu’un Pédant d’un seul mot se contente ? C’est…         Madame, Toinon est toûjours mordicante, Et son aversion, quoy que sans fondement, Ne m’a jamais traitté qu’antipatiquement : Quand elle auroit puisé dans le sein de la haine, Les dédains corrosifs…         Vostre fievre-quartaine: Voyez ce qu’il veut dire avec son corrosif ? Eh parlez-nous Chretien.         Ah cœur vindicatif ! Elle m’en a voulu, depuis qu’un jour contr’elle… Oüy ; mais sçachons vers nous quel sujet vous appelle. Je viens trouver Monsieur de la part de son Fils, Luy rendre cette Lettre.         Il n’est pas au Logis ; Je la rendray pour vous, donnez.         Je vay l’attendre, L’affaire le requiert. Pour vous la faire entendre, Vous sçaurez…         On ne veut y prendre aucune part, Délogez ; car Monsieur ne reviendra que tard. Tard soit, il est besoin que j’en aye audiance. Revenez donc tantost.         Non, j’auray patience, Et n’incommodant pas, j’aime mieux en ce lieu… Le Mouchoir de Madame est de travers ; Adieu, Il faut le rajuster, point de Témoins.         Diane Fut jadis exposée aux regards d’un Profane ; Ses yeux gasterent-ils les celestes beautez… Quoy ! Messieurs du College aiment les nuditez ? Je ne le sçavois pas.     La Nature…         Eh, de grace, Ne moralisez point, & nous quittez la place. Vous avez droit d’agir impérativement, Je sors, & suis fâché…         Trévé de compliment, On vous quitte.         Enfin il s’en va, je respire. Qu’un Pédant à souffrir est un cruel martyre ! Ne perdons point de temps, de crainte d’avoir pis ; Congédions…         J’estois en peine de mon Fils, Comment est-il ?     Fort bien, Monsieur.         Toinon, que faire ? Ne rien dire, & laisser raisonner vostre Pere. Nous ne l’avons point veu depuis huit ou dix jours. A raciociner comme il vaque toûjours, Il ne sort point, & c’est pour cela qu’il m’envoye Vous faire humble requeste.         Ah j’en ay de la joye. Dequoy donc s’agit-il ?         D’un accommodement. Est-ce qu’il auroit eu querelle ?         Nullement ; Il a vers la douceur, propension entiere : Mais un sien Camarade agissant par priere, Luy fait sur certain cas prendre son intérest. Cette Lettre, Monsieur, vous dira ce que c’est. Je ne sçais où j’en suis, s’il falloit pour écrire Que dans ce Cabinet…         Vous mettez tout au pire. Que sert de craindre ? Alors comme alors, on verra, Si l’embarras échoit, comme on s’en tirera. Oüy, Monsieur Anastase, avec plaisir j’espere Venir, sans trop de peine, à bout de cette affaire, Assurez-en mon Fils ; J’aime à voir que son cœur, A de semblables soins, se porte avec ardeur. Au bien Pedetentim toûjours je l’achemine, L’induis aux bonnes mœurs ; & sous ma discipline, Depuis cinq ans entiers, il est à remarquer, Qu’il n’a sçeu ce que c’est que de prévariquer. Je suis content de vous, autant qu’on le peut estre. Monsieur, sans vanité…         Finira-t-il, le traistre ? Le Ciel m’a de tout temps concedé le talent, Quand j’ay soin d’un terroir, de le rendre excellent ; Il n’est que d’estre mis d’abord en bonne Ecole ; Car la jeunesse, elle est comme une cire mole… C’est fort bien dit, allez, je sçay ce que je doy, Et l’on ne perd jamais ce que l’on fait pour moy. Demain, mon Fils sçaura ce que j’auray pû faire ; Adieu.         Bon, nous voila quittes de vostre Pere. Que m’ordonnerez-vous ?         De décamper ; Bon-soir. A mon Frere, qu’il est trop longtemps sans me voir. Quoy qu’il soit, sans vouloir user de privilege, Rigide observateur des Regles du College, Si c’est necessité necessitante…         Non, Quand il pourra venir, qu’il vienne.         Enfin, Toinon, Nostre Importun…         Maudit soit tout Pédant qui jase. J’allois oublier. Ho, Monsieur Anastase. Il est déja bien loin, & ne vous entend pas. Pas si loin ; je le voy qui revient sur ses pas. Monsieur.     Le rappeller !         C’est bien une autre histoire. J’ay fait, depuis deux jours, achapt d’une Ecritoire, Que vous m’obligerez de porter à mon Fils ; Elle est toute gravée, & d’un travail exquis ; Je vous la vay donner.         Ah me voila perduë ! La Clef du Cabinet, qu’est-elle devenuë ? Moy, le dois-je sçavoir ? Elle peut estre en bas, Il faut y voir.         Je cherche, & ne la trouve pas ; Je l’ay tantost laissée à la Porte.         Peut-estre Toinon en balayant…         Tout sur le dos du Maistre. Les Valets sont bien nez pour nous faire enrager ! Qu’ils perdent, brisent tout…         Le dégast est léger : Hé bien, c’est une Clef, voyez la grande perte ! Mais si du Cabinet la Porte n’est ouverte ? L’Ecritoire est dedans.         Le beau sujet d’ennuy ! Vous l’envoyrez demain, si ce n’est aujourd’huy. Oyez-la raisonner.         Comme je suis tout vostre, Demain, puis que la Clef…         J’en ay là-haut une autre, Je m’en vay la chercher.         Fay ce que tu pourras ; Quant à moy je me sauve, & ne l’attendray pas. Eh que pourray-je faire ? Elle sort, & me laisse. Donc, Madame Toinon sera toûjours tygresse, Et rien n’adoucira son naturel felon ? Montez viste, Monsieur vous appelle.         Moy ? Non, Il ne m’appelle point.         Vous estes sourd, je pense. Ma faculté d’oüir n’est point en défaillance ; Et si quelque douceur de vostre chere voix… Tout-à-l’heure. Avez-vous entendu cette fois ? Rien moins.         Il vous attend ; montez là-haut, vous dis-je. O trop fier rejetton d’une sauvage tige ! Par quelle dureté m’envier le trésor De l’heureux teste-à-teste ? Helas ! qu’au poids de l’or Je voudrois mille fois…         Peste de la pécore ! Voicy mon autre Clef, qu’on me la perde encore. Tout va se découvrir.         Si… Mais que vois-je là ? Suivez bien vostre Mode, allons, par E mi la.         Le mesme, Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa. bis. Que veut dire cecy ? répons.         Quelle demande ! Deux Hommes !         La surprise en doit estre bien grande ; Est-ce une nouveauté que deux Hommes ?         La, la, Monsieur, vous voulez bien nous pardonner cela. Ne sçachant…         Excusez, si j’ose avec franchise, Prendre une liberté que Monsieur autorise : Comme il a commencé, c’est à luy jusqu’au bout, A vous…         Les Gens d’honneur sont bien venus par tout, Et Monsieur, qui sçait vivre, est Homme raisonnable, Il excuse aisément…         En rencontre semblable, Vous…         Monsieur est tout cœur pour les honnestes Gens : L’heure me presse un peu, ne perdons point de temps. Deux Hommes enfermez ; point de clef ; Patience, Nous éclaircirons tout.     Chantez donc.         Je commence. Je l’ay fort bien noté : Là, marquez bien ce fa, Fa, fa.         Me raille-t-on ? quel Prélude est-ce là ? Il faut voir jusqu’au bout.         La Musique est touchante. Toinon…         Hé bien, est-il défendu qu’on ne chante ? Sol, sol.     Nous aurons fait dans un moment.         Fa, mi… Hardiment ; A quoy bon entonner à demy ? L’Amour cause trop de peine, Je ne veux plus m’engager ; Un Amant souffre la gesne, Quand l’Objet vient à changer. L’Amour cause trop de peine, Je ne veux plus m’engager. Fa re mi fa, fa sol fa mi, fa re fa, sol fa re mi fa. bis. La Basse continuë, oyez.         Je vous entens. Allons, encore un coup, marquez moy bien vos temps. C’est un petit Rondeau.         Rondeau soit ; mais de grace… N’estes-vous pas, sur tout, charmé de cette Basse ? Fa re mi fa, fa sol fa me, &c. Mais, Monsieur… Fa re mi fa, &c.     Sortons.     Mais… Fa re mi fa, &c.         Laissez ce re mi fa, Et m’apprenez, Monsieur, ce que vous faisiez là ? Eh, j’y notois ce… fa re mi fa, fa sol fa mi, &c.         Bon : Il se tire d’affaire. Mais pourquoy… fa re mi fa, fa sol fa mi, &c.         Ce re fa commence à me déplaire : D’où vient que ce Monsieur… Fa re mi fa, &c.         Que veut dire cecy ? Ces Messieurs enfermez, vous mettent en soucy. A te voir, tout cela ne t’inquiéte guére. Ma foy, non.     Non, ta foy.         Voyez la grande affaire ! C’est peut-estre un Galant qui m’en veut, que sçait-on ? La Coquine !     Monsieur…         La, prenez vostre ton, Grondez jusqu’à demain.         L’ire qui vous embraze, Va sans doute trop loin, car…         Monsieur Anastase, Avecque vos Pédans meslez-vous, s’il vous plaist, D’un Argument en forme, il sçavent ce que c’est. L’allucination, dans cette conjoncture, Vous oste les clartez d’une telle avanture ; C’est pourquoy vous devez penétrer à loisir. D’accord.         L’Homme prudent doit se faire un plaisir, De connoistre le vray.         Vous plaist-il de vous taire ? Oh volontiers. D’ailleurs ce n’est pas mon affaire. Quoy ?     Rien. Mais un conseil…         Encor ? Eh taisez-vous. Je me tairay.     Fort-bien.         Cà, parlons entre nous. Le silence est pourtant le propre de la Beste. Hem ?         A vous contenter, je sens que je m’apreste : Parlez. Je me tais.     Hom…         Il grille dans sa peau. Que faisoient là ces Gens ?         Il notoient ce Rondeau, Et c’est un pur hazard qui vous doit peu surprendre. Vostre Fille, Monsieur, ayant dessein d’apprendre, Ce Maistre entroit icy pour luy faire leçon ; Mais en entrant, il a prié qu’on trouvast bon, Qu’il pût à ce Monsieur, en ce Logis, écrire Ce Rondeau que, dit-il, chacun partout desire ; Et nous a fort pressé de luy faire apporter Du papier & de l’encre, afin de le noter. Moy, dans ce Cabinet sçachant une Ecritoire, Je les ay fait entrer, voila toute l’histoire : Les refuser, c’estoit une incivilité. Il pouvoit estre ailleurs tout aussy bien noté. Il est vray, mais…         Il entre en cecy du mystere. Comment ?         Quand on ne fait que ce que l’on doit faire, On n’oste point la Clef d’une Porte, Toinon ; Il y va là du vostre.         Et qui vous dit que non ? Oüy, j’ay fermé la Porte, & pris la Clef.         La Gueuse ! Pourquoy donc, s’il vous plaist ?         Pour vostre humeur grondeuse : Tout vous choque, & pour rien vous entrez en courroux ; Une Mouche à tout autre, est Eléphant pour vous Et quand vous vous mettez dessus la gronderie, C’en est pour quinze jours.         Voyez l’effronterie ! Ce n’est rien d’enfermer deux Hommes sans façon ? Le grand crime que c’est, d’écrire une Chanson ! Pour écrire, on n’a point sur soy la Porte close. Vous mériteriez bien que ce fut autre chose. Monsieur, la tempérence est entre les Vertus… Tempérez vostre langue, & ne me parlez plus. Monsieur, la fâcherie est à craindre à vostre âge, Et peut causer en vous un notable dommage : Je dois, par mes avis, tâcher à vous guérir… Je veux me fâcher, moy.         Vous en pourriez mourir, Et l’on m’accuseroit d’estre cause seconde De ce cruel malheur.         Que le Ciel te confonde ! Je ne souffriray point que vous vous fâchiez, non. Eh Monsieur Anastase…         Il a grande raison, La colere aux Vieillards est chose trop funeste. De la bile enflâmée il reste certain reste, Dont la vapeur maligne attaquant leur cerveau, Le corrompt & le gaste, & les mene au tombeau. Ecoutez ce qu’il dit, &…         Voudrois-tu te taire ? Oüy, Monsieur.     Vous…         La mort suit de pres la colere, Car Monsieur Anastase en donne la raison. Elle est fort dangereuse en la vieille saison, Dit Hipocrate ; c’est de l’Homme l’ennemie, Elle produit en luy cette cacochimie, Nuisible à la santé.         Je brûle de courroux. Oh j’empescheray bien, moy, restant pres de vous, Que vous ne vous fâchiez.     C’est bien fait.         Que la Peste Etoufe l’un & l’autre.     Eh Monsieur…         Je déteste : Eh taisez-vous tous deux, & me laissez parler. Quand cette humeur en nous vient la rate opiler, L’hypocondre est alors…         Quoy, sans cesse ? Ah j’enrage. Eh Monsieur…     Eh Monsieur…     Coquine…         L’Homme sage… Homme fou, vous plaist-il me laisser en repos ? En ce fâcheux état, il n’est pas à propos… Oh pour moy je te laisse.         Il a fermé la Porte, Allez-vous en, adieu.         Non, j’attendray qu’il sorte. Voila cette Ecritoire.     Eh Monsieur…         Eh Bourreau, Laisse-moy, sors.         Craignez un transport au cerveau. Fa re mi fa, fa sol fa mi, &c. Hem ?     Que Crispin est fou !         Mais peut-on ne pas rire, fa re mi, &c. En songeant à… Je crois que vostre cœur soûpire. Cette Dame est, Crispin, dans un grand embarras ! Elle s’en tirera, ne vous chagrinez pas. A propos, tous vos Gens sont là-haut qui repétent. Pour chanter avec eux, trop de soins m’inquiétent ; Et quoy que la Musique ait de charmes pour moy, Elle adouciroit peu le trouble où je me voy. J’ay veu Daphnis, Crispin ; qu’elle est aimable & belle ! Quoy ! tout-de-bon, Monsieur, vous en tenez pour elle, Et des langueurs d’amour, vous l’ennemy juré, Converty tout-à-coup, vous auriez abjuré ? Oüy, Crispin, ç’en est fait, par je ne sçay quel charme, De toute ma fierté sa beauté me desarme ; Je m’y rends, & je trouve en tout ce qu’elle dit, Un agrément flateur, un tour aisé d’esprit, Qui m’enleve à moy-mesme, & me fait trop connoistre Qu’il est des nœuds secrets dont on n’est pas le maistre ; Son absence me tüe, & loin de ses beaux yeux, Point de repos pour moy, tout me déplaist.         Tant-mieux. Car à vous parler franc, quoy qu’aupres de la Belle Vous vous soyez dépeint l’Amant le plus fidelle, Comme je vous connois sujet à caution, Je doutois que ce fut à bonne intention ; Mais enfin vostre cœur suit la route des nostres, Et vous estes pris, vous, qui vous moquiez des autres. Il faut te l’avoüer, ce changement est grand ; A voir ce que je fus, moy-mesme il me surprend ; Mais j’ay beau raisonner, l’Amour parle, il m’attire, Et je me sens forcé de suivre son empire. Dame, il est attirant plus que vous ne pensiez, Et ces coups de Baston dont vous me menaciez, Il m’en devoit couster tout au moins une coste ? Si j’aime, hé bien, Monsieur, voyez, est-ce ma faute ? J’eus tort, de mon erreur enfin tu viens à bout. L’Amour est un Oyseau qui se niche partout, Et souvent ce n’est pas, quoy qu’il aime à le taire, En Auberge d’éclat qu’il fait meilleure chere. Chacun se sent, Monsieur, selon ses facultez. Ah Crispin, que Daphnis fait briller de beautez ! Je ne sçay si pour voir mon ame assujettie, Le Destin contre moy se met de la partie : Mais rien ne me paroist égaler ses attraits, Et je sens dans mon cœur ce qui n’y fut jamais. M’aimes-tu ?     Moy, Monsieur ?         Il s’agit de me rendre Un service qui passe…         Et par où m’en défendre ? Je suis vostre Valet, et Valet tres-acquis ; Et Daphnis, dont enfin les yeux vous ont conquis, Se trouve d’abondant, par un bonheur extréme, Maistresse de Toinon, & c’est Toinon que j’aime. Toinon ! Agis, Crispin, tu travailles pour toy. Oüy, dites-vous, mais…         Va, que Daphnis soit à moy, J’obtiendray de Toinon, puis qu’elle t’est si chere… Voyons à cela pres, qu’est-ce ? que faut-il faire ? Porter à ce que j’aime un Billet de ma part, Luy demander pour moy…         C’est bien dit ; au hazard, Que le Vieillard mutin à m’étriller s’aplique. S’il te voit de nouveau, tu parleras Musique. Oüy ; mais s’il s’avisoit, comme il est violent, De me faire chanter sur quelque ton dolent, Il connoist d’autres Clefs que B mol & B quarre. Quand on est amoureux, à tout on se prépare : Ah Crispin, quand on aime, & qu’on aime ardemment, Donne-t-on comme toy sur le raisonnement ?1510 Pouvant revoir Toinon, tu crains…         Quel Docteur ! diantre ! Aux Gens, en dépit d’eux, il met le cœur au ventre : Mais comme la crainte est malseante aux Amans, Vous-mesme vous pourriez faire vos complimens, Ils seroient mieux de vous.         Si je suis veu de Pere, J’embarasse Daphnis, je ruine l’affaire. Ecrivez, je voy bien qu’au péril de mon dos Il faut marcher.         Quoy donc, icy dans le repos ? Et ne sçavez-vous pas, que depuis plus d’une heure Mélante est au Jardin ?         Hé bien, qu’il y demeure, Nous sommes en affaire, & qui presse.         Dy-moy, Est-il seul ?     Une Dame est avec luy.         Je croy Qu’un tiers ne leur est pas tout-à-fait nécessaire. J’ay fait ce que pour eux vous m’aviez dit de faire, Et je les ay reçeus de mon mieux.         A-t-on dit Que je suis rentré ?     Non.         Qu’on les laisse, il suffit : J’entre en mon Cabinet un moment pour écrire ; J’iray les voir apres.         Il faut encor vous dire, Que là-haut vostre Maistre, accompagné du mien, Sur quelques Airs nouveaux ont un grand entretien, Et veulent sur ces Airs sçavoir vostre pensée. Qu’ils attendent.         Crispin, quelle affaire pressée Pourroit avoir Monsieur ? dis.         Vois-tu bien, il a Ce qui vient par icy d’ordinaire, & va là ; Un mal aussy malin…         Et quel mal, je te prie ? C’est un mal qui jamais n’entendist raillerie, Qui cuit & qui chatoüille, & qui sçeut de tout temps Donner à corps perdu sur les honnestes Gens : En un mot mon Maistre est, puis qu’il te faut tout dire, Mon Confrere en amour.         Quoy, Phelonte soûpire, Il seroit amoureux !         Il en tient d’aujourd’huy. Je ne m’étonnois pas de te voir fou, mais luy ! Aimer est donc folie ?         Et de la plus à craindre. Le beau ragoust d’avoir à gémir, à se plaindre ! Vivons, rions, chantons, & point d’amour.         Fort-bien, Il faut t’entendre, avec ta Musique de Chien. Je suis…         Tout-franc, depuis que tu t’es mis en teste Ut re mi fa sol la, tu n’es plus qu’une Beste. Mais toy, qui fais le sot, je te trouve fort bon ; C’est bien à toy d’aimer ? un Pié-plat !         Pourquoy non ? Lors que de s’en mesler, le Diable a la malice, Puis-je empescher qu’en moy Nature ne pâtisse ? Que ne suis-je ton Maistre, afin de t’empescher ? Toy ? bon.         Sur le bon pied je te ferois marcher, Je t’aprendrois…         Va-t-en aupres de ta Malade, Ta voix la peut guerir, elle a besoin d’aubade. C’est à dire qu’il faut que ta folie ait cours, Et que tu veux, sans moy, resver à tes amours. Ce n’est pas ton affaire, adieu.         Tu te courouces, Bon-soir.         Amour, amour, quelles rudes secousses ! Laisse quelque moment mon cœur en repos. Non, Tu veux qu’il aille & vienne. Ah Toinon ! ah Toinon ! Hé bien, que luy veux-tu ? voicy Toinon.         Friponne ! Tu vois comme sans cesse avec toy je raisonne. Tout-doux, tu ne vois pas ma Maistresse ?         Crispin, Que fait ton Maistre ?         Il est possedé d’un Lutin, Qui dans son Cabinet broüille fort sa cervelle. Est-il seul ?         S’il est seul ? Non, avec une Belle. Une Belle !     Oüy, qu’il aime, & tendrement.         Ah Dieux ! Viens, Toinon.         Sans courroux, le plus-tard vaut le mieux. Tu m’arrestes en vain.         Eh mon Dieu, patience ; Estre avec une Belle…         Ah c’est une impudence Qui doit le diffamer…         Pas tant que vous croyez ; C’est avec vous qu’il est, il vous écrit.         Voyez, Il estoit bien besoin de nous donner l’allarme ? Quoy, Crispin, tu me dis…         Que vous estes son charme, Et que mettant sa joye à vous le protester, Il écrit un Billet que j’allois vous porter ; Mais je cours l’avertir…         Non, je le veux attendre, Nous verrons de quel air il aura sçeu s’y prendre, Si l’amour… Mais, Crispin, ne m’abuses-tu point ? Non, je me donne au Diable, il vous aime à tel point, Qu’au besoin, pour vous mieux soûmettre sa fortune, Il vous épouseroit quinze fois au lieu d’une. Va, Crispin, c’est assez d’épouser une fois, Encor en est-il bien qui s’en mordent les doigts ; L’Hymen est une Cage, où tout Oyseau qui chante… Madame, avec mon Maistre, aura l’ame contente, C’est pour elle un coup seûr ; Quand un Coquet fieffé, D’amour, de bonne sorte, une fois s’est coëffé, Cela tient comme glu.         Si-bien donc, qu’à ton conte, Je ne dois plus douter d’avoir touché Phélonte ? Vous faites de son cœur l’unique passion ; J’en répons, s’il le faut.         La bonne Caution ! Oüy, bonne, & je voudrois en avoir une telle, Qui m’asseurast de toy.         Je te suis si fidelle ! Que crains-tu ?         Que venant à parler tout de bon, Au lieu de dire oüy, tu n’ailles dire non. Phélonte y pourra tout, s’il a de la constance ; S’il m’épouse, Toinon sera ta récompense, Je t’en donne parole.     Et toy ?         Ne sçais-tu pas Qu’une Servante suit sa Maistresse à grands pas ? Ainsi le tout dépend de bien servir sa flame. Tien, Crispin, va porter promptement… Ah Madame, Vous icy ! quel bonheur pouvoit m’estre plus cher ? Voyons donc ce Billet.         Il vous alloit chercher : Mais, Madame, à quoy bon perdre du temps à lire, Ce qu’on ne peut jamais que foiblement écrire ? Je vous aime, & mon cœur qui paroist dans mes yeux, Quand ma bouche le dit, vous le dit encor mieux ; Tout nourrit, tout accroist cette ardeur impréveuë Qui m’a fait estre à vous dés que je vous ay veuë ; Je vous revois, Madame, & mes vœux satisfaits… J’aurois lieu de rougir, à voir ce que je fais : Venir jusques chez vous, c’est offencer ma gloire, Mais vostre amour l’emporte, & je l’ay voulu croire ; Vous le peignez sincére, & s’il l’est en effet, Quoy que j’ose pour vous, je n’auray pas trop fait. Ainsy vous estes seûr d’estre écouté, de plaire ; Mon cœur sera pour vous, mais je dépens d’un Pere, Et c’est à vous à voir, si vous pourrez souffrir Les fâcheux contretemps qui se pourront offrir : Jamais il ne veut rien de ce qu’on luy propose, Quel qu’en soit l’avantage, il resiste, il s’oppose ; Mais sur le point d’honneur il est fort délicat, Et s’il voit que vos feux s’obstinent à l’éclat, Comme il craint les sots bruits, pour s’en sauver, j’espere Qu’il croira nostre Hymen un party nécessaire. Voila ce qui m’amene, il faut déliberer… Madame, c’est assez que je puisse espérer ; Cet obstacle d’un Pere est de peu d’importance, S’il peut estre levé par ma perseverance : Mais ne vous ay-je point attiré son courroux ? Qu’a-t-il dit de m’avoir trouvé tantost chez vous ? Il n’a pas fait paroistre encor qu’il me soupçonne ; Mais pour Toinon…         Je sçay qu’il me la garde bonne ; L’orage crevera, mais ma foy je l’attens : Voyez le vieux resveur ! il a passé son temps, Et ne s’informe pas, quand une Fille a l’âge, Si les jours qu’elle perd…         Toinon n’est guere sage. Mon Dieu, Toinon vaut trop, n’en dites que du bien, Elle a gagné le cœur d’un grand Musicien ; C’est là de son mérite une preuve autentique, Crispin.         Ne railles point, honneur à ma Musique ; Sans le Rondeau noté, nous estions pris sans vert. Tout-à-propos pour moy le Rondeau s’est offert, Mais c’est à Crispin seul qu’on doit le stratagéme : Toinon, ce trait d’esprit mérite assez qu’on l’aime, Qu’en dis-tu ?         Moy ? Je dis que le cœur m’en diroit ; Mais j’ay martel en teste, & toute autre l’auroit : La Servante d’icy me semble un peu trop belle ; En entrant j’ay veu…     Quoy ? Fanchon ?         Ne crains rien d’elle ; Comme elle a de la voix, elle en est folle au point, De renoncer à tout, pour ne la perdre point : Ainsy rien ne la peut résoudre au Mariage, Les Enfans luy romproient l’estomach.         Quel dommage ! Ne plus chanter ! Pour moy, j’aimerois mieux cent fois Avoir un bon Mary, que la plus belle voix ; Car, pour vivre en repos, chanter ne sert de guére, Et je tiens qu’un Epoux est chose necessaire. Toinon a le goust bon.         Pas trop méchant : mais Dieux ! C’est mon Pere !         Vers luy ne tournez point les yeux. Ah Crispin !     Quel malheur !         Secondez mon adresse. Que vois-je icy ? Ma Fille !         Un peu de hardiesse ; Le ton n’est pas trop haut, croyez-moy, Sol mi fa. Je connois vostre voix, elle ira jusques là. Ma Fille en ce Logis !         Ah Monsieur, quelle peine… Monsieur, vous voir icy ! quel sujet vous amene ? C’est Phélonte : Est-ce vous ?     Oüy.         Je veux vous parler : Mais je voudrois en vain vous le dissimuler ; Voir ma Fille chez vous, trouble si fort mon ame… Le mal n’est pas bien grand.         Il n’est pas grand ? L’infame ! Eh Monsieur…         Vostre Fille est chez moy, s’il vous plaist. Comment, chez vous !         Sçachez la chose comme elle est. Quoy qu’en son nom Monsieur ait la Maison entiere, Il n’a que le devant, j’occupe le derriere ; Nous vivons l’un pour l’autre assez commodement : Mais cependant, cecy c’est mon Apartement, J’y fais pour mes Amis Concert chaque semaine ; Madame a sçeu le jour, voila ce qui l’ameine. Mon Pere, pardonnez, si pour oüir chanter… Attendant le Concert que je fais apprester, Je luy voulois apprendre un petit Air.         De grace, Laissez vos petits Airs.         Il est Dessus & Basse, Joly : Si vous voulez…         Je n’ay rien à vouloir. On court de toutes parts apres moy pour l’avoir. Depuis les Opera, la rage de Musique S’est mise dans Paris, tout le monde s’en pique, Je le sçay : mais ma Fille apprendra, s’il vous plaist, A chanter toute seule, ou point.         Quel meurtre c’est ! Mais peut-on bien chanter, sans sçavoir la mesure ? Coquine.         Luy laisser perdre la voix ! J’en jure, Si j’estois en sa place, il ne seroit pas dit Que j’aurois de la voix pour rien.         Il me suffit, C’est toy…         Pour bien chanter, il faut de la pratique. J’auray soin…         Malgré vous, j’apprendrois la Musique. Tay-toi ; si…         Le grand mal, que d’oüir concerter ! Oüy, si grand, que…         Monsieur, c’est trop vous emporter ; Nous sommes Gens publics, chez qui chacun, sans honte, Vient comme bon luy semble.         Et ce n’est pas mon compte ; C’est par là justement qu’une Fille se perd ; Il est tant de Concerts qui se font de concert. Je suis tendre à l’honneur, & c’est me faire injure. Comment vous nomme-t-on ?         Mon nom est… La Verdure. La Verdure !     Oüy, Monsieur.         Pour un Musicien, Ce nom, à mon avis, ne convient pas trop bien. Celuy de ma Famille est, de la Garaniere, Nom que j’avois d’abord assez mis en lumiere : Mais comme tous mes Airs, du premier au dernier, Ont un je-ne-sçay-quoy de gay, de printannier, Que je les rends toûjours fleuris outre-mesure, On m’a par excellence appellé La Verdure. Le Fourbe ! Mais il faut le pousser jusqu’au bout. Cà, puis que tous vos Airs sont si fleuris par tout, Entendons ce Concert.     Grand honneur.         Ah je tremble ! Mes Chanteurs sont là-haut, qui repétent ensemble, Je vay les amener.         Se pourroit-il qu’il pût… Quand on a de l’adresse, on sort de tout ; mais chut. Tandis qu’on se prépare au Concert, puis-je apprendre Quel service je dois m’apprester à vous rendre ? Quoy que ce soit, Monsieur, commandez, j’obeïs. Voudrez-vous accorder une grace à mon Fils ? Tout. Mais pourquoy chez vous avoir voulu me taire, Ce que pour vous servir, il s’agissoit de faire ? Quand chez moy, par hazard, tantost je vous ay veu, Vostre visage encor ne m’estoit pas connu ; Vostre nom me l’estoit ; c’est tout ce qu’à mon âge Je sçay des jeunes Gens.         Ce m’est un avantage, Que ma Famille au moins vous soit connüe assez, Pour ne…         Je la connois mieux que vous ne pensez : Vous avez un Cadet Philosophe en Navarre. Oüy, remply de caprice, & d’humeur fort bizarre. Il vous a chagriné ; mais par son repentir, A luy pardonner tout vous devez consentir ; C’est la grace, par moy, que mon Fils vous demande. La partie est trop forte, il faut que je me rende. Il est son Camarade, & ce qu’il m’en écrit… Vous le voulez, Monsieur, & cela me suffit. Cependant, à mon tour, oserois-je prétendre… Ecoutons le Concert, j’ay promis de l’entendre. Monsieur a le goust fin, de vostre mieux allons, Fa sol. Prenez le ton avec les Violons. Tout le monde est-il prest ?         Monsieur de la Verdure Fait merveilles.         Sur tout, suivez bien la mesure. Tu viens peindre nos Prez des plus vives couleurs, Printemps, tu ramenes les Fleurs, Chacun en a l’ame ravie : Mais qu’ay-je affaire helas ! de tout ce que je voy ? Tu ne ramenes point Silvie, Ainsy tu ne fais rien pour moy. Qu’en dites-vous, Monsieur ?         Si je puis m’y connaistre, Les Ecoliers sont bons ; Je ne dis rien du Maistre. Ce verd de qui l’éclat brille sur nos Costeaux, Le doux ramage des Oyseaux, Tout rit, tout au plaisir convie : Mais mon amour helas ! m’impose une autre loy ; Et quand je ne voy point Silvie, Il n’est point de plaisir pour moy. Estes-vous content ?     Oüy.     Cet Air ?…         Il est fort beau. Vous plairoit-il encor, ce Menüet Rondeau ? Avec les Violons il est incomparable. Volontiers.     Il prend goust…         Crispin est admirable. Fa, fa, sol, fa, &c. L’Amour cause trop de peine, Je ne veux plus m’engager ; Un Amant souffre la gesne, Quand l’Objet vient à changer. L’Amour cause trop de peine, Je ne veux plus m’engager. Bacchus est le seul remede Qui peut guerir de l’amour : Quand son ardeur me possede, Je vay luy faire ma Cour. Bacchus est le seul remede Qui peut guerir de l’amour. Mes Airs ont le bon tour.         Je vous l’ay déja dit, Ils sont fort beaux.         Ce sont éternûmens d’esprit ; J’ay pour les composer, une certaine aisance… Messieurs, du mouvement marquons bien la cadance ; Allons, encore un coup ce Couplet de Bacchus, Et que tous à la fois on fasse un grand Chorus. Nous venons prendre part au Concert.         Le beau Monde Vient chez moy librement.         Ma peine est sans seconde. Voyez, point de scrupule.         Ah Toinon, qu’est-ce-cy ? C’est ma Fille.         Mon Pere & ma Sœur sont icy. Le Concert est charmant, je l’avouë.         Ah mon Pere ! Son Pere !     C’est bien pis.         J’ay failly ; mais j’espere… Quoy…         Voila ce que c’est que se faire prier : Quand une Fille a l’âge, il faut la marier, Je vous l’ay dit cent fois.         Ecoutez l’insolente ! Monsieur, il ne faut point…         Hé bien, qu’est-ce, Melante ? Vous veniez au Concert, ç’en est icy le jour. Non, en vain je voudrois vous cacher mon amour : Depuis un an entier j’adore vostre Fille ; Vous connoissez mon bien, vous sçavez ma Famille, Daignez laisser uny, ce que l’Amour a joint. Mon honneur souffriroit à n’y consentir point : Mais quoy ! dois-je excuser une Fille sans honte, Et qui de ma défense a fait si peu de conte ? Pour obtenir pardon, j’embrasse vos genoux. Eh Monsieur, par pitié…     Mon Pere…         Levez-vous. Je sçay que j’ay failly, j’ay tort, je le confesse ; Mais pardonnez…         Ses pleurs réveillent ma tendresse, Et… C’est assez, Mélante, elle est à vous.         Hé quoy, Se peut-il que vous…         Oüy, j’agis de bonne foy. Phélonte, à cœur ouvert, Daphnis a sçeu vous plaire. Oüy, ce seroit en vain que j’oserois le taire : Je l’aime, faites grace à ma temérité, Rien ne manquera lors à ma felicité : C’est de vous seulement que je la dois attendre. Je n’aurois pris peut-estre aucun des deux pour Gendre : Mais puisque sur ce point, sans craindre mon courroux, Mes Filles, malgré moy, sont d’accord avec vous, L’éclat de mes refus tourneroit à ma honte : Ainsy, si c’est bonheur, soyez heureux, Phélonte. Puis-je assez reconnoistre un si charmant aveu ? Le Maistre de Musique a bien joüé son jeu ; Et c’est, pour peu qu’il trouve à payer d’artifice, Un Fourbe aussy complet…         Fort à vostre service : Vous n’avez seulement qu’à me donner Toinon, Je fourbe apres pour vous de la bonne façon. Mais Toinon…         Dans un mois, avec ma Tablature, Elle pourra chanter, & battre la Mesure. Et si par de faux tons tu me gastes la voix… Ne crains rien. Voulez-vous qu’on en fasse à deux fois ? Tandis qu’on est en train, mettez-moy de la Bande ; Toinon m’aime, je l’aime, & je vous la demande. La Musique pourroit se ravaler si bas ? A Toinon !         Chacun sçait ce qu’il sçait. En tout cas, S’il faut, pour l’épouser, me faire mieux connaistre, Crispin est mon vray nom, & vous voyez mon Maistre. Ah puis qu’il est ainsy, je dois tout accorder ; Mais en te l’accordant, on peut te demander Encore un petit Air.         Si cela vous contente, On va vous en chanter, non pas un, mais cinquante. Ah Monsieur ! commandez, vous pouvez tout icy. Oüy, sans doute, & Monsieur n’en est point en soucy ; Répondons seulement à ce qu’il nous demande. Il a raison.     D’accord.         Çà, quelque Air de commande ; Allons, Messieurs, allons, faites de vostre mieux. Quel Air chanterons-nous ? La, la, la.         Est-il rien plus heureux ? Fa, fa, fa. Tay-toy.         Tout aujourd’huy je garde ma Maistrise, Monsieur.         Mais à present elle n’est plus de mise, Et…         Je suis obstiné ; tout-franc, j’en veux par là. Fay donc.         Messieurs, allons. Fa sol fa, la, la, la. Est-il rien plus heureux, Qu’un cœur amoureux, Exempt de jalousie ? Qu’avec l’Objet aimé, Que ce cœur a charmé, Il passe doucement la vie ! AUTRE AIR Vivez, vivez heureux Amans, Que toûjours les contentemens Rendent vos flâmes mutuelles : L’Hymen couronne vos amours ; Mais sur tout, soyez-vous fidelles, Par là vous aurez de beaux jours. AUTRE Pour Crispin & Toinon, Que dans neuf mois un beau Garçon Soit le fruit d’un Hymen prospere. Ah ! que si ce petit Poupon Vient au jour beau comme son Pere, Ce doit estre un joly Mignon ! Toinon, à cette fin tu dois me seconder. Si vous n’estes content, vous pouvez commander : Vous plaist-il encor…         Non, mon ame est satisfaite. S’il est ainsy, Monsieur, ah ma joye est parfaite. Allons, je suis sincére, & ne sçay point farder. Messieurs, si mon Concert peut vous accommoder, On le repete icy trois fois par Semaine, Venez l’oüir en foule, il en vaut bien la peine. Permis d’imprimer. Fait à Paris le 21. de Septembre 1674. DE LA REYNIE.