Qui peut vous retenir, Seigneur, sur cette rive ? Un Romain doit rougir d’une douleur oisive ; Persécuté du sort sans en être abattu, Il faut que sa disgrâce ajoute à sa vertu. Eh quoi ! Sourd a la voix d’un père qui vous aime, L’abandonnerez-vous dans son malheur extrême ? Marius languissant dans, un honteux repos, Ne se souvient-il plus qu’il est fils d’un héros ? Ah ! Ce n’est plus le temps, seigneur, où sans défense, Vous n’aviez que des pleurs, à donner pour vengeance : Profitez du secours qu’on vous offre en ces lieux : Obéissez sans honte aux volontés des dieux : Ils avaient arrêté qu’un roi de Numidie Vengerait deux Romains qu’opprime l’Italie. Ne crois pas que jamais je puisse balancer ; Je voudrais... mais que faire, et par où commencer ? Céthégus, en quels lieux trouverai-je mon père ? Quel asile défend une tête si chère ? Tout l’univers l’ignore ; et cette obscurité Qui jusques à ce jour a fait sa sûreté, En cachant à Sylla cet ennemi terrible, Oppose à nos desseins fut obstacle invincible. Non, non, quelques déserts qui le puissent cacher, C’est à Rome, Seigneur, qu’il vous le faut chercher. Au nom d’un si grand chef assemblez une armée : Bientôt il paraîtra. La prompte renommée, Dont le silence semble avoir plaint son malheur, Pour vous le découvrir n’attend que son vengeur. Marchons où le devoir, où l’honneur nous appelle ; Des dieux et des humains soutenons la querelle. Assez et trop longtemps, par son impunité, Sylla s’enorgueillit de sa prospérité : Il a lassé les dieux ; et la fondre qui gronde Avertit Marius d’aller venger le monde. Le peuple consterné, prêt à se déclarer, N’attend plus que le bras qui doit le délivrer. Oubliez-vous ce jour où les aigles romaines Entre les deux consuls flottèrent incertaines, Quand suivi de soldats au crime accoutumés, Sylla vint dans nos murs par son ordre enflammée ? C’était à Marius qu’en voulait sa furie : Le peuple, protecteur d’une si belle vie vie, Par des ruisseaux de sang paya le noble effort Qui lui donna le temps d’échapper à la mort. Rentrez dans tous vos droits. Faut-il qu’on délibère Quand on va secourir sa patrie et son père ? Le roi jusqu’à ce jour paraissait incertain : Mais enfin il vous met les armes à la main : Dans nos communs malheurs Arisbe s’intéresse : C’est elle à qui le roi...         Malheureuse princesse ! Que je te vais coûter de soupirs et de pleurs! Vous la plaignez, seigneur ! Et quels sont ses malheurs ? Elle venge un Romain, un roi puissant l’adore : Que lui resterait-il à souhaiter encore ? Déjà pour son hymen tout semble préparé. Hélas ! Que ne peut-il être encor différé? Quel soupir ! Quel discours ! Et qu’osez- vous prétendre ? Ah ! Seigneur, que je crains de vous trop bien entendre ! Juste ciel ! Quels projets avez-vous pu former ? Le coeur de Marius est-il fait pour aimer ? Ouvrez les yeux ; voyez que de malheurs ensemble, Que de crimes, Seigneur, un tel projet rassemble. Ce roi dont les bontés ont conservé vos jours, Ce roi qui vous peut seul accorder son secours, C’est lui que vous bravez ; la plus mortelle offensa Est le prix qu’a choisi votre reconnaissance. Mais d’ailleurs, quel espoir peut vous avoir flatté ? Pensez-vous, (pardonnez à ma sincérité), Pensez-vous qu’exposant et sa gloire et sa vie Au sort d’un fugitif la princesse se lie ? Ah ! Croyez-moi, Seigneur, vous prenez pour amour La pitié que pour vous elle montre en ce jour. Tu crois que mon amour aurait pu me séduire ? Non, non : de sa tendresse elle a trop su m’instruira ; Loin que d’un faux bonheur mon coeur se soit flatté, J’ai douté mille fois de ma félicité. Et vous vous honorez du coeur d’une Numide ? Est-ce par le climat que l’amour se décide ? Mais, pour justifier son pouvoir souverain, Arisbe a des vertus dignes du nom romain. Ami, je t’en fais juge, apprends par quelles armes Elle a pu me soumettre au pouvoir de ses charmes ; Tant d’attraits dont les dieux ont pris soin de l’orner, Sont les moindres liens qui surent m’enchaîner. Chassé par les malheurs qui poursuivaient mon père, Il me fallut chercher une terre étrangère. Il partit avant moi ; le sort ne voulut pas Que son malheureux fils pût rejoindre ses pas. J’abordai dans ces lieux ma douleur et ma rage Convenaient au séjour de ce climat sauvage ; Je me plaisais à voir dans ces pays perdus La nature plus triste encor que Marius, Quand Hiempsal, voulant aux droits de sa naissance Associer un nom qui soutînt sa puissance, Fit demander Arisbe, et voulut que sa main Affermit pour jamais son pouvoir souverain. Nièce de Jugurtha, la mort de ce barbare Unissait deux États que le Ruber sépare. Arisbe vint : ces lieux perdirent leur horreur ; Bientôt en la voyant j’oubliai ma douleur : Rome, mon père, en vain vous vîntes me défendre : J’aimais déjà. Mon coeur, trop facile et trop tendre, Reçut un ennemi d’autant plus dangereux Que j’ignorais encor le pouvoir de ses feux. Tous mes voeux, tous mes pas volaient vers la princesse, Je la craignais partout, je la cherchais sans cesse ; Et mon timide amour faisant seul tous mes soins, Si je ne la voyais, je l’évitais du moins. Que te dirai-je ? Enfin elle entendit mes larmes ; D’abord elle parut partager mes alarmes, Et dans ces mêmes lieux prête à donner sa foi, J’aperçus qu’elle était plus captive que moi. D’un père malheureux rappelant la mémoire, De nos adversités je lui contais l’histoire : Admire, Céthégus, avec quelle grandeur Elle me déclara le secret de son coeur. Je t’aime, Marius, dit-elle ; ma tendresse Pour un autre que toi serait une faiblesse : J’ai su prendre en t’aimant les vertus des Romains : Vois si je devais naître aux climats africains. Ta vue en cette cour à mon devoir s’oppose : Sors de l’état affreux où le destin t’expose. La première faveur que j’obtiendrai du roi, Doit être un prompt secours pour t’éloigner de moi. Cherche ton père ; va, si la fortune lasse Cède enfin aux efforts de ton heureuse audace, En revoyant les murs qui t’ont donné le jour, Plains Arisbe, et jouis du fruit de son amour. Dis, crois-tu cet amour indigne d’un grand homme ? À voir tant de vertus je croyais être à Rome. Et vous souffrez qu’un coeur que l’Afrique a porté Vous donne des leçons de générosité ? Si cet amour bientôt ne sert votre vengeance, Plus il vous paraît grand, et plus H vous offense. Oui, Seigneur, pour juger s’il est digne de vous, J’attendrai qu’elle ait mis la mer entre elle et nous. Tu jouiras bientôt de ce plaisir barbare : Hélas ! Pour ce départ déjà tout se prépare ; Et demain la princesse, entraînée à l’autel, Va s’engager au roi par un noeud solennel. Pour différer ce jour j’ai tout mis en usage ; Mais le jaloux Numide en pourrait prendre ombrage. Elle l’épouse enfin... pardonne ce soupir. Un amour qui s’immole est en droit de gémir. Eh bien ! Puisque ce coeur immole sa tendresse, Agissez en Romain ; entrez chez la princesse, Recevez ses adieux ; qu’elle arme votre bras, Et fuyons pour jamais ces dangereux climats. Demeurons : c’est ici qu’Arisbe doit se rendre : Elle me l’a promis, et je la veux entendre ; Tu verras nos adieux, et ton coeur combattu Va frémir des efforts qu’apprête ma vertu. Mais puisqu’enfin je romps la chaîne qui me lie, Par quels chemins faut-il regagner l’Italie ? Amis, quels bras viendront seconder mon courroux ? N’en doutez point, Seigneur, les dieux seront pour vous. Le nom de Marius est aimé dans l’Afrique. Quoiqu’il ait dans ces lieux vengé la République, Son austère vertu, conforme à ces climats, Gagnait ses ennemis ainsi que ses soldats. Avançons ; et bientôt les peuples de Lybie Viendront se joindre à ceux de la Mauritanie. Qu’importe qu’ils soient nés sur les bords africains ? En nous voyant combattre ils deviendront Romains, Et croiront, en serrant votre juste colère, Se venger des affronts que leur fit votre père. Le Ruber dès ce jour peut porter vos vaisseaux, Jusqu’au lieux où la mer le reçoit dans ses eaux : De là nous avançant vers l’île de Cercine, Deux jours nous feront voir les murs de Terracine ; Et bientôt l’Étrurie, au bruit d’un si grand nom, Recevra votre flotte au port de Télamon. C’est là que, comme vous, chassé de la patrie, Cinna fuit du tyran la jalouse furie ; C’est là qu’en attendant ce renfort de soldats Que mon zèle bientôt conduira sur vos pas, Des amis que dans Rome a laissés votre fuite, Par des avis secrets, vous manderez l’élite. Us viendront vous y joindre. Enfin c’est sur ces bords Que vos communs malheurs uniront vos efforts. Mais la princesse vient. À vos devoirs fidèle, Seigneur, songez toujours qu’un père vous appelle. Je vous attends, Madame, et soumis à vos lois, Je vous vois aujourd’hui pour la dernière fois : Cet ordre m’est prescrit par un devoir austère ; J’y cède, je vous quitte, et cours venger un père, Armé de votre main.... mais qu’apercois-je, dieux ! Quelle sombre tristesse est peinte dans vos yeux ? Il est temps, Marius, de s’armer de constance : D’aujourd’hui seulement votre malheur commence. Le destin jusqu’ici déchaîné contre vous, Ne faisait qu’essayer la force de ses coups. De tout ce que j’entends que faut-il que je pense ? Parlez... Est-on instruit de notre intelligence? Le roi sur mon départ change-t-il de dessein ? Néglige-t-il l’honneur d’armer un bras romain ? Je viens vous annoncer un malheur plus terrible. Mon père est mort ?         Hélas ! ce héros invincible, Que respecta cent fois la fureur des combats, A vu trancher ses jours par un perfide bras. Quoi ! mon père n’est plus ? Dieux! Et Sylla respire ! Tu me vas payer cher la rage qui t’inspire, Barbare.... Il est encore au monde un Marius, Et mon père en mourant m’a laissé ses vertus. Allons, Madame, il faut embrasser ma défense ; Qu’Hiempsal par vos soins redouble ma vengeance. Quelqu’appui qu’en ces lieux on vous fasse espérer, Seigneur, aux yeux du roi gardez de vous montrer. Je vous entends, madame, et vois mon infortune. Hiempsal m’abandonne, et cette âme commune Ne sait pas profiter des maux que j’ai soufferts, Pour me secourir seul contre tout l’univers. Mais, Madame, mon nom suffit pour me défendre, Et de son seul courage un héros doit dépendre. Mon malheur me tient lieu d’armes et de soldats ; Je veux qu’on reconnaisse aux efforts de mon bras Un coeur digne à la fois et d’Arisbe et de Rome, Et ce qu’un Romain peut au-dessus d’un autre homme. En vain vous aspirez à des projets si hauts ; Hélas ! Vous ignorez la moitié de vos maux. C’est peu de perdre un père et généreux et tendre ; Son cruel meurtrier vient ici de se rendre. Ministre de Sylla, le barbare prétend Vous mener au Sénat, où la mort vous attend. Qu’entends-je ?... Non, l’horreur du coup qui me menace, N aurait pu me forcer à plaindre ma disgrâce, Madame ; un père seul excite mes douleurs : Je lui dois mes regrets au défaut de mes pleurs. Hélas ! Si dans son sang déjà glacé par l’âge Le barbare Sylla n’eût assouvi sa rage ? Si je l’eusse rejoint, prêt à venger l’affront Qu’un injuste Sénat imprima sur son front, J’aurais par mille exploits fait éclater ma gloire, Et partout votre nom eût suivi ma mémoire. Mais il fallait vous perdre... au moins par le trépas, On m’arrache de vous ; je ne vous quitte pas. Seigneur, sur quels objets votre douleur s’arrête Quand les plus grands périls menacent votre tête ! Mon intérêt peut-il vous toucher en ce jour? Le coeur des malheureux est-il fait pour l’amour ? Eh bien ! Madame, il faut remplir ma destinée, Il faut contenter Rome à ma perte obstinée ; Et puisqu’on veut ma mort, j’aime assez les Romains Pour épargner ce crime à leurs barbares mains. Je saurai bien moi-même...         Ah ! Je cours tous défendre, Seigneur, et de mes soins vous pouvez tout attendre. Quel que soit le destin qu’on croit vous préparer, Le roi n’a rien promis ; j’ose encore espérer. J’irai, n’en doutez point, exciter dans son âme Les nobles mouvements de l’ardeur qui m’enflamme, De votre triste sort lui peindre la rigueur : Je sais tous les chemins pour entrer en son coeur. Mes soupirs le rendront sensible à vos alarmes, Et l’amour contre lui me prêtera des armes. Que ne vous dois-je point, Madame ?... Mais enfin Sait-on ici quel est ce perfide assassin ? Que ne puis-je le voir, et dans son sang coupable... Plus que vous ne pensez ce traître est redoutable. Je l’ai vu. Dans ses yeux un noble orgueil est peint ; Seigneur, d’aucun remords il ne paraît atteint, Et malgré les fureurs de son noir parricide, Une ombre de vertu brille au front du perfide. Mais, si vous m’en croyez, évitez de le voir : Hiempsal doit ici tantôt le recevoir ; Je saurai sa réponse, et viendrai vous l’apprendre. Il suffit. Laissez-nous. On pourrait nous surprendre. Eh bien ! De votre main j’attends tout mon secours. Que le ciel précipite ou prolonge mes jours, Vous verrez Marius, l’âme toujours romaine, Plus constant dans ses maux que les dieux dans leur haine. Dieux ! Détournez de lui le plus grand des malheurs. Mais Phénice, vois-tu l’excès de mes douleurs ? Vois-tu quelle est ici ma triste destinée ? Sous l’espoir d’un hymen en ces lieux amenée, Mes yeux virent le roi sans haine et sans amour ; Je reçus les respects d’une superbe cour. Du jeune Marius j’avais sur les alarmes ; Il parut : ses malheurs m’arrachèrent des larmes ; Et l’amour attentif à choisir mon vainqueur, Sous le nom de pitié s’empara de mon coeur. Depuis ce jour fatal tu sais que dans mon âme J’ai toujours combattu cette naissante flamme. Fidèle à mon devoir, même encore aujourd’hui J’éloignais mon amant pour triompher de lui. Vains projets ! Tout détruit ma généreuse envie. Quand je le fais partir, on demande sa vie ; Son péril le retient, et je vois ma vertu Exposée au danger d’avoir mal combattu. Mais lorsqu’il faut agir, je m’arrête à la plainte ! Phénice, à chaque instant je sens croître ma crainte. Allons trouver le roi.         Madame, oserez- vous Paraître en cet état devant ses yeux jaloux ?. Un désordre inquiet sur votre front éclate. Ah ! S’il va pénétrer l’intérêt qui vous flatte, Je crains bien qu’à l’instant un transport furieux N’aille perdre ou livrer Marius à vos yeux. Hélas ! Je le vois trop, le sort toujours barbare Ne m’offre que le choix des maux qu’il me prépare. Si je presse Hiempsal, mon trouble et ma douleur Trahiront aisément le secret de mon coeur. Il perdra Marius..... mais si je ne l’arrête, À ce cruel ministre il va livrer sa tête. Ah ! C’est trop balancer : volons à son secours, Phénice ; risquons tout pour défendre ses jours. Dans un péril si grand, c’est trop peu de se plaindre. L’amour doit tout oser quand il a tout à craindre. Oui, tu vois Marius. Après tant de revers ; Rendu méconnaissable aux yeux de l’univers, J’ai cru, de mes malheurs tirant quelque avantage, Paraître en sûreté dans cette cour sauvage. Un grand dessein m’y guide : assuré de ta foi, Numérius, mon coeur ne veut s’ouvrir qu’à toi. Seigneur, je l’avouerai, j’ai peine à vous répondre ; Et tout ce que je vois a droit de me confondre. Quoi ! Le grand Marius arrive en ces climats, Et lui-même dément le bruit de son trépas, Tandis qu’au même instant un envoyé de Rome Ose ici se vanter...         J’attends tout de cet homme. Quoi ! De votre assassin ?         Dissipe ton effroi ; J’en attends tout, te dis-je.     Et quel est-il ?     C’est moi. Vous, seigneur ?     Oui, moi-même.         Et dans cette entreprise, Par ses lettres au roi, Sylla, tous autorise ? Oui, le tyran m’y sert : j’apporte ici son seing, Je t’instruirai de tout ; mais apprends mon dessein. J’ai su que trop sensible à de funestes charmes, Mon fils à mes malheurs ne donnait que des larmes ; J’ai besoin de son bras pour nous venger tous deux, Et je viens l’arracher à des fers si honteux. Ce projet est hardi, mais mon mal est extrême ; Et j’obtiendrai mon fils au nom de Sylla même. Ami, j’ai trop vécu : mon âge, mes malheurs, Et mes lauriers vieillis ont changé tous les coeurs. On ne veut plus me suivre, et ma mort trop voisins Fait croire mes projets penchants vers leur ruine. Mais avec ce cher fils, plein d’une noble ardeur, J’irai de nos amis réchauffer la tiédeur. Sa valeur, mes exploits, mon nom et sa jeunesse Ranimeront pour moi leur première tendresse ; Tu verras dans mon camp se rejoindre à la fois Tous ceux que Sylla force à détester ses lois ; Et bientôt le tyran par sa perte prochaine Laissera respirer la liberté romaine. Seigneur, un tel projet est digne d’un Romain. Les dieux seconderont un si noble dessein : J’ose vous l’assurer. Mais pourrez-vous me taire Comment ils ont sauvé cette tête si chère ? Marius est vivant ! Quels climats, quels déserts L’ont caché si longtemps aux yeux de l’univers ? Éloigné de nos murs depuis plus d’une année. Du sort qui vous poursuit victime infortunée. J’arrive en cette Cour ; j’y cherche votre fils : Quel bonheur imprévu ! Je vous vois réunis. Dès longtemps par mon ordre envoyé dans l’Asie, Tu ne peux être instruit des troubles d’Italie ; Apprends avec effroi ces débats éclatants Dont l’histoire sera présente à tous les temps. Mithridate orgueilleux plus qu’un roi ne doit l’être, Refusait d’avouer le sénat pour son maître : Il fallut contre lui choisir un bras vengeur, Et Sylla m’osa bien disputer cet honneur : Sylla par mes leçons formé dès son jeune âge, Qui sous moi de la guerre a fait l’apprentissage. Tout semblait éloigner cet orgueilleux rival Pour implorer mon bras contre un autre Annibal. Aussi je l’emportai. Rome alors moins ingrate Vit en moi l’ennemi digne de Mithridate. Mais le jaloux Sylla, de ce choix offensé, Part, se rend à l’armée, et m’ayant devancé, Soulève contre moi nos plus braves cohortes ; Suivi de nos soldats, il paraît à nos portes ; Et je vois en un jour conspirer à ma mort Tous ceux que la victoire attachait à mon sort Échappé toutefois de la ville investie, Sans suite, sans amis, j’arrive au port d’Ostie, Où j’apprends que Sylla, maître des légions, Remplissait tout de meurtre et de proscriptions. Ce bruit vint me frapper ; et l’Asie étonnée Détesta sa fureur contre vous déchaînée : J’appris que le tyran demandait au Sénat D’approuver contre vous jusqu’à l’assassinat. Il l’obtint cet arrêt, porté dans chaque ville, Dès lors à Marius ne laisse aucun asile, Révolte contre moi ceux qui m’étaient soumis, Et de tous les mortels me fait des ennemis. À qui me confier ? La mer et ses pirates Me semblèrent plus sûrs que nos terres ingrates. Il fallut m’embarquer. Je voguai quelque temps, Déplorable jouet de la mer et des vents. Quel changement ! Quel fruit de mes grandeurs passées ! Enfin nous arrivons aux rives de Circées ; Et déjà de Minturne on voyait les remparts, Quand de mes ennemis un escadron épars Crie, au nom de Sylla, qu’on aborde au rivage. Mes gardes à ce nom changent tous de visage, Et de crainte et d’horreur combattus à la fois, Jettent sur moi les yeux, incertains de leur choix. Tantôt de mon tyran l’autorité les presse, Et tantôt la pitié pour moi les intéresse ; Suivant le mouvement en leur coeur le plus fort, La barque se recule, ou s’approche du bord. Mais n’osant décider mon salut ni ma perte, Ils me jetèrent seul dans une île déserte. Toujours mes ennemis avaient sur moi les yeux, Et bientôt leur fureur m’assiège dans ces lieux. Où fuir ? presque accablé par les travaux et l’âge, Je ne vois devant moi qu’un affreux marécage : Je m’avance ; et perçant dans la fange et les eaux, Tout à coup je m’abîme au milieu des roseaux. On eût dit que la terre, au défaut de murailles, Pour cacher Marius entr’ouvrait ses entrailles : C’est là qu’un bras cruel, sans respect pour mon nom, Vient me saisir couvert de fange et de limon ; Et celui qu’on nommait le fondateur de Rome, À peine en cet état eût passé pour un homme. Ô ciel ! Mais je ne puis, Seigneur, trop admirer Tant d’écueils d’où les Dieux ont su vous retirer. Dans l’abîme souvent leur bras nous précipite, Pour faire après sur nous éclater leur conduite. Ami, ce ne sont là que mes moindres revers. On me traîne à Minturne, on m’y charge de fers. On m’y lit mon arrêt, pour ma mort tout s’apprête ; Que dis-je ? Un vil esclave y marchande ma tête ; Il entre, et le sommeil qui me fermait les yeux Me livre sans défense à son bras furieux. Le dieu qui m’éveilla rendit mon air farouche, Mes yeux étincelants, et parla par ma bouche : « Barbare ! oses-tu bien immoler Marius ? » Ce nom seul le désarme ; il ne se connaît plus ; Il fuit saisi d’horreur, il croit voir mon génie Voler autour de lui, prêt à trancher sa vie. « Ah ! dit-il, ce Romain est gardé par les dieux. » Il parle, et tout à coup Minturne ouvre les yeux. On vient briser mes fers ; la joie en est publique. Je m’embarque, et j’aborde au rivage d’Afrique, Où je retrouve encor quelques secrets amis. Je leur peins ma disgrâce et celle de mon fils. Ils s’offrent à me suivre au péril de leur vie. Accru d’un tel secours, je vole en Numidie ; Là j’apprends qu’un tribun, entré dans cet État, Vient y chercher mon fils par l’ordre du Sénat ; Ce peu d’amis et moi nous joignons le perfide. Dès qu’il me reconnaît, le lâche s’intimide : Il veut fuir ; je l’arrête ; et lui perçant le flanc, Je le vois chanceler, et tomber dans son sang. Par ma suite les siens sont abattus sans peine. Tout périt. Le tribun qui voit sa mort certaine, Privé de tout secours, me regarde. « Voila, Me dit-il en mourant, les lettres de Sylla. J’allais chercher ton fils pour être ma victime ; J’avais juré ta mort : la mienne est légitime. » Il meurt, et dans l’instant je formai Je dessein De passer pour lui-même et pour mon assassin. C’est ainsi que je viens à la cour des Numides ; Et pour rendre aujourd’hui mes projets plus solides, J’annonce, en arrivant, que Marius est mort, Et que ma seule main a terminé son sort. Le roi qui de Sylla doit craindre la vengeance, Qui verra, par ma mort, mon parti sans défense, Et croyant en effet servir mes ennemis, Dans les bras paternels va remettre mon fils. Un tel projet est grand, seigneur ; j’ose le dire : Mais enfin si le roi refuse d’y souscrire ? Je saurai l’y forcer. Mon désespoir fatal Lui montrerait plutôt dans mon fils son rival. Seigneur, lorsque pour vous le destin se déclare, Vous deviez moins risquer dans une cour barbare. Loin d’ici vous pouviez, par de secrets avis, De tous vos sentiments instruire votre fils, L’appeler près de vous ; et son obéissance, Sans péril, eût bientôt rempli votre vengeance. Je connais peu le roi qui règne en ces climats, Mais je crains qu’à vos voeux il ne réponde pas. Du moins si l’on m’a fait un rapport bien fidèle, Le jeune Marius a mérité son zèle : Ce roi veut le servir, seigneur ; jugez de là Comment il peut traiter l’envoyé de Sylla. Je vois qu’on t’a trompé. Connais mieux les Numides : Ils sont dissimulés, inconstants et perfides, De la grandeur romaine ennemis et jaloux, Et Jugurtha m’apprit à les connaître tous. Mais pour justifier ici ma politique, Sache ce qu’on m’apprit sur les côtes d’Afrique. Granius ennuyé d’un périlleux séjour, Avait quitté mon fils en proie à son amour. Le hasard nous joignit. Son amitié sincère, De tout ce qu’il savait ne voulut rien me taire. Il me dit que le roi, par d’obligeants dehors, Du jeune Marius aimerait les transports, Tandis que le flattant d’un secours trop frivole, Il reculait toujours l’effet de sa parole ; Qu’observé par son ordre, et lié par l’amour, Mon fils qui se croit libre est captif dans sa cour. Juge dans cet état ce qu’il auroit pu faire. Ah ! Ma présence ici n’est que trop nécessaire. Je t’avouerai pourtant mon déplaisir secret : Je parais sous un nom que je porte à regret. Je dois vanter ici l’autorité funeste Du cruel ennemi que mon âme déteste ; Il faut que, dans l’état où le sort m’a placé, Des mains de Marius Sylla soit encensé. Mais le roi dans ces lieux doit au plus tôt se rendre. Demeure : je le vois ; tu pourras nous entendre. Les lettres de Sylla, remises dans vos mains, Seigneur, vous ont marqué ses ordres souverains. J’attends que remplissant son dessein légitime, Vous veniez au plus tôt me livrer sa victime. Je n’ajouterai point aux offres qu’il vous fait, Que c’est en le servant servir Rome en effet. C’est servir le sénat, dont la juste colère Demande qu’au tombeau le fils suive le père. On craint qu’un jour ce fils, ardent à se venger, Dans nos premiers malheurs vienne nous replonger. Seigneur, vous le savez, Rome n’est point ingrate. Assurez-la, par moi, d’un succès qui la flatte ; Et croyez que toujours prompte à s’en souvenir, Sa faveur vous assure un heureux avenir. Vos fidèles aïeux Micipsa, Massinisse, Furent payés en rois de leur noble service ; Et la fidélité qu’ils gardèrent pour nous, Seigneur, est un exemple assez puissant pour tous. Seigneur, je n’ai pas cru que l’assassin d’un homme Dont la seule valeur tant de fois sauva Rome, Dût venir en ma cour, au nom de ces Romains, Demander que son fils soit livré dans leurs mains. Vous osez dans vos murs nous traiter de barbares : Vous l’êtes plus que nous. Jamais nos mains avares, Secondant les fureurs d’un injuste Sénat, N’ont encore à prix d’or vendu l’assassinat. Ici nos ennemis, pressés à force ouverte, Ne doivent qu’à nous seuls leur salut ou leur perte, Et ces lâches détours qu’à Rome on peut vanter, Ne sont connus ici que pour les détester. Ne croyez pas pourtant qu’aucun parti me touche, Ni qu’un aveugle zèle ouvre ou ferme ma bouche. Marîus et Sylla, tout est égal pour moi : Et mon coeur entre eux deux est maître de sa foi. Je hais tous les Romains souillés de parricides ; Je hais la cruauté de ces peuples perfides, Qui donnant au hasard leur haine et leurs faveurs, S’immolent tour-à-tour leurs plus chers défenseurs. Ainsi, par la fureur d’une ville cruelle, Les Gracques ont péri victimes de leur zèle ; Ainsi dans un tumulte en vos murs élevé, Sylla, l’ingrat Sylla, par Marius sauvé, De son libérateur s’est fait une victime. Mais je ne serai point complice de son crime, Seigneur ; si mes aïeux, que je cite à regret, Devenus vos amis par un semblable trait, S’acquirent des Romains l’estime dangereuse, Je renonce à leur gloire, et la tiens pour honteuse. Je garde dans ma cour le jeune Marius, Et Rome peut de vous apprendre mon refus. Je veux bien ignorer quel motif vous engage À tenir un discours dont la fierté m’outrage. Un roi dont Rome fait la grandeur et l’appui, Devrait se souvenir qu’un Romain parle à lui : Mais, Seigneur, profitez d’un avis salutaire, Et sur vos intérêts souffrez qu’on vous éclaire. Rome seule aujourd’hui commande à tous les Rois, Et la terre en tremblant se soumet à ses lois. Rome commande aux rois ? Et quel orgueil la flatte ? Sait-elle que je règne ainsi que Mithridate ? Seigneur, vous connaîtrez peut-être quelque jour, Si l’on doit préférer sa haine à son amour. Annibal subjugué, Carthage mise en cendre, Jugurtha dans nos fers, tout pourra vous l’apprendre. Mais si vous m’en croyez, soyez de nos amis. Que par vous Marius en mes mains soit remis ; Le Sénat vous en presse ; et toujours équitable, S’il a juré sa mort, il condamne un coupable. Qui vous retient, Seigneur? Lorsque sans intérêt, Vous pouvez préférer le parti qui vous plaît, Trouvez-vous quelque gloire à nous être infidèle ? Quel zèle vous attache à défendre un rebelle, Qui, libre en votre Cour lorsque nous étions loin, Devient votre captif quand Rome en a besoin ? Seigneur, si dans vos murs j’avais reçu la vie, Ma réponse incertaine en suivrait le génie : Mais qui sait haïr Rome aime la vérité, Et je vais vous parler avec sincérité. Sitôt que Marius prit ma Cour pour asile, Il n’en dut plus sortir ; sa prison fut utile, Et je crus qu’en mes fers tenir quelques Romains, C’est d’autant d’ennemis délivrer les humains. J’ai voulu cependant, pour adoucir sa peine, Qu’observé par mon ordre il ignorât sa chaîne ; Que maître de ses pas dans ma cour éclairés, Il prît pour liberté des fers moins resserrés. Voilà ce que je pense ; et, pour ne vous rien taire ; Votre ambassade ici n’était pas nécessaire ; Et croyez que mes voeux auraient été remplis, Sa le père en ces lieux avait suivi le fils. J’instruirai le Sénat de cette vaine audace, Seigneur ; peut-être un jour vous demanderez grâce : Il n’en sera plus temps. Mais si vous savez bien Qu’ici votre intérêt s’accorde avec le mien, Qu’Arisbe a ses raisons pour vouloir le défendre... Dans l’état où je suis, je ne veux rien entendre. C’est trop me retenir, barbares ; laissez moi : J’irais le poignarder entre les bras du roi. Ô Dieux !         Qu’ai-je entendu ? L’assassin de mon père Apporte jusqu’ici sa fureur sanguinaire ? Il est en votre cour, et prêt à m’immoler. Quoi ! Seigneur, vous pouvez le voir et lui parler ? Qu’il se montre du moins ; sachons quel bras perfide Adopte les fureurs de ce noir parricide. Quel mortel avouant ce forfait odieux. En ira demander le salaire ?     Moi.         Dieux! Que vois- je ? Où suis- je enfin ? Que deviens- je ? Quel trouble !... Tu trembles ! Ta frayeur à chaque instant redouble/ Rassure-toi. Du moins constant dans le danger Sois digne de celui que tu venais venger. De ton étonnement je perce le mystère : Tu sais quelle amitié me joignait à ton père ; Tu croyais que mon bras ardent à son secours, Quand Rome le proscrit, eût défendu ses jours ; Mais sache qu’un Romain, quelque noeud qui le lie, Ne connaît point d’amis plus chers que sa patrie. Ton père n’eut jamais d’autre assassin que moi : Je viens te joindre à lui. Rome a besoin de toi Son intérêt demande une prompte victime ; Sylla... Tu reconnais le pouvoir légitime D’où partent aujourd’hui mes ordres souverains ; Obéis ; viens remplir l’attente des Romains. Quoi ! Montrer à mes yeux une telle insolence ! N’en craignez rien, Seigneur : je prends votre défense ; Mon bras pour le punir... Vous vous troublez !         Seigneur, Mon trouble ne vient point d’une lâche frayeur ; Cent transports à la fois s’emparent de mon âme : La fureur me saisit, la vengeance m’enflamme, La nature en mon coeur excite un mouvement... Je vous réponds de tout. Laissez-nous un moment, Seigneur ; soyez tranquille.         Enfin je deviens maître De deux grands ennemis que le Tibre a vu naître. Ce ministre insolent, qui se livre en mes mains, Ne rendra pas sitôt ma réponse aux Romains. Que ne puis-je, Nerbal, au défaut du tonnerre, De Rome dans ma Cour venger toute la terre, Et voir par leurs débats ces fameux conquérants Tomber tous dans mes fers en fuyant leurs tyrans ! Oui, seigneur, un projet si grand, si légitime, Du reste des humains mériterait l’estime ; Je veux bien l’avouer : mais il est des instants Où ces nobles désirs doivent céder au temps. Si vous gardez ici deux Romains en otage, Vous attirez sur vous un périlleux orage : Sylla peut tout ; et Rome unie à son dessein Vous les demandera les armes à la main. Je ne crains point Sylla. Les troubles d’Italie Ont de quoi l’occuper le reste de sa vie. Quand même les Romains le laisseraient en paix, Mithridate peut seul épuiser tous ses traits. Je t’avouerai pourtant un secret qui me gêne : Mon âme en ce moment devient plus incertaine. Arisbe a pris pitié de cet infortuné ; Elle croit que sans elle il était condamné. Je voulais lui donner, pour preuve de mon zèle, Ce que mon intérêt m’avait dicté sans elle : Mais au fond de mon coeur s’élève un noir soupçon, Dont j’ai peine, Nerbal, à sauver ma raison. Dis-moi, que voulait-on tantôt me faire entendre, Arisbe a ses raisons pour vouloir le défendre ? Mais, Seigneur...         Dois-je en croire un soupçon odieux ? Si Marius suspect ici blesse vos yeux, Pourquoi le retenir ?         Allons trouver l’ingrate, Arrachons son secret par l’espoir qui la flatte ; Et si de cet amour j’ai des avis certains, Malheur à qui m’outrage, et malheur aux Romains ! N’éclaircirai-je point le doute qui m’agite ? De ton étonnement quelle sera la suite, Ô mon fils ? Ta frayeur va tromper mes projets ; Et prêt à te sauver, je te perds pour jamais. Je ne puis après tout condamner sa surprise ; Dans ce même moment mon trouble l’autorise. Et qu’aurait-il pu faire ? Il m’aime, il me croit mort ; Il venait, animé d’un généreux transport, Pour punir l’assassin d’une tête si chère : Dans ce même assassin il retrouve son père ! Qui n’aurait comme lui pâli d’étonnement ? Moi-même ai-je marqué moins de saisissement ? Moi qui le sais ici, qui m’attends à sa vue, Hélas ! À son aspect mon âme s’est émue ; En revoyant ce fils de douleur accablé, Sans songer au péril, la nature a parlé. C’en est fait, on saura cet important mystère. Mais c’est lui que je vois...         Ah, mon fils!         Ah, mon père ! C’est vous, par quel bonheur...         Oui, mon cher fils, c’est moi, Mais il faut avant tant dissiper mon effroi. Je crains bien qu’Hiempsal n’ait su me reconnaître Au trouble dont tantôt vous n’étiez pas le maître. Non ; et votre trépas, que l’on croyait certain, N’a laissé voir en vous qu’un cruel assassin. Mon destin va changer. Grands dieux ! Votre clémence Plus encor qu’à Minturne ici prend ma défense. Mais les moments sont chers : sachons en profiter ! Voici ce qu’en ce jour il faut exécuter. Rome, vous le savez, dans ses voeux incertaine, Passe facilement de l’amour à la haine, Et ceux que sa faveur a le plus haut placés, Par un coup imprévu sont bientôt renversés : Mille fois on l’a vue abattre son ouvrage, Et perdre ses tyrans, pour changer d’esclavage. Sylla l’a bien prévu : pour parer cet affront Il quitte Rome, et va contre le roi de Pont, Se flattant que de loin sa gloire et son absence Ranimeront des coeurs que lassait sa présence. Saisissons ce moment, et, par des chemins sûrs, Mon fils, allons fermer son retour dans nos murs. Occupé du bonheur que le ciel me renvoie. Mon coeur ne peut encore écouter que sa joie. Mais par quel sort... pourquoi ne pourrai-je savoir... Profitons mieux du temps que je risque à vous voir. Je vis ; mais ces vieux jours, que je prolonge à peine, Ne s’entretiennent plus qu’au flambeau de la haine : Sylla, je vis pour toi. Je consens à ma mort, Pourvu qu’un même coup puisse finir ton sort. J’espérais que, séduit par mon nom et ma lettre, Hiempsal dans mes mains voudrait bien vous remettre : Il a trompé mes voeux, et pour tromper les siens Il faut avoir recours à de plus sûrs moyens. Je sais qu’à votre sort Arisbe s’intéresse ; Je sais que votre coeur répond à sa tendresse ; Et sans vouloir ici vous accabler en vain D’un reproche honteux à quiconque est Romain, Amoureux et content, les disgrâces d’un père, Avouez-le mon fils, ne vous alarmaient guère. Ma tendresse pour vous excuse cette erreur, Pourvu que votre amour serve à votre grandeur. Il est beau qu’un Romain jaloux de sa mémoire, Pour ennoblir l’amour, l’associe à la gloire ; Que de tant de héros l’inévitable écueil Le rende encor plus grand, et flatte son orgueil. Arisbe a su vous plaire ! Eh bien ! Qu’elle mérite Un choix si glorieux en hâtant votre fuite ; Qu’immolant sa tendresse à votre liberté, Elle se rende illustre à la postérité ; Enfin, qu’en vous sauvant d’une terre ennemie, À force de vertu, son coeur vous justifie. Ah ! Déjà sa vertu, prévenant vos souhaits, Avait près d’Hiempsal secondé vos projets ; Sans vous, j’allais partir, et ce roi magnanime Allait, en me servant, mériter votre estime. Ce roi vous eût trahi : vous le connaissez mal ; Croyez-moi, tout ici vous deviendrait fatal ; Votre salut dépend d’une prompte retraite : Il faut que cette nuit une fuite secrète Assure loin d’ici ma vengeance et vos jours ; Arisbe vous peut seule accorder du secours, Et contre votre garde employant l’artifice, En tromper la prudence ou tenter l’avarice, Voyez-la : mais surtout ne lui découvrez pas Que c’est moi qui répands le bruit de mon trépas : Pour presser le moment que j’attends avec joie, Dans le péril toujours il faut qu’elle vous voie. Dites-lui que le roi, dans ses voeux incertain, Par de nouveaux motifs peut changer de dessein ; Que bravant de Sylla les menaces stériles, Il peut se laisser vaincre à des offres utiles, Aux fureurs du tyran vous livrer à ce prix. J’irai de mon côté rejoindre nos amis, Concerter avec eux ce qu’on peut entreprendre. Riais je m’arrête trop, et l’on peut nous surprendre, Je vous quitte à regret ; adieu, mon fils : songez Quel honneur vous attend quand nous serons vengés. Je respire. Le ciel m’a rendu l’espérance. Arisbe va s’unir aux dieux pour ma vengeance ; Son coeur dans mes malheurs s’est trop intéressé Pour ne pas achever ce qu’elle a commencé. Je l’attends ; je connais la grandeur de son âme : Elle me servira. Mais c’est elle...         Ah ! Madame, Faut-il de mes malheurs suivant le triste cours, Vous en parler sans cesse et me plaindre toujours ? Vous voyez de mes maux le funeste assemblage ; Je dis plus : dans son âme Arisbe les partage. Faible soulagement ! Puisqu’il faut aujourd’hui Que mon coeur tout à vous s’en prive malgré lui. Je demande à vous fuir ; Rome s’est déclarée : Si je demeure ici, ma perte est assurée. Le roi, qui dans ce jour refuse d’obéir, Par crainte ou par espoir peut enfin me trahir. Dans cette incertitude il est affreux de vivre. Hiempsal me retient ; Arisbe me délivre. Et que ferais-je ici, Madame ? c’est demain Qu’à la face des dieux il vous donne la main. Pour presser le secours que de moi l’on espère, Le reproche, Seigneur, n’était pas nécessaire ; Et si de votre coeur je doutais un moment, Que penserais-je ici d’un tel empressement ? Vous voulez me quitter dans le moment funeste Où l’on doit m’imposer un joug que je déteste ; Et comme si mon coeur pouvait y consentir, Vous en tirez le droit de vous faire partir ! Ce discours est trop clair : craignez qu’on ne l’entende, Et qu’on ne vous accorde une injuste demande. Quand mille maux affreux me viennent accabler, Madame, vous voulez encor les redoubler ? Mais aussi quel dessein, à vos jours si funeste. Vous fait abandonner l’asile qui vous reste ? Savez-vous que la mort, sous mille objets divers, Borde tous les chemins que vous croyez ouverts ? Savez-vous que Sylla, proscrivant votre tête, En a fait pour le monde une illustre conquête, Et qu’enfin secondant son horrible dessein, L’univers en son nom devient votre assassin ? Et vous voulez partir ! Je le vois trop, barbare, Tu cherches le trépas afin qu’il nous sépare; Entre Arisbe et Sylla tu ne peux hésiter ; Tu lui portes ta tète afin de m’éviter. Je t’excusais tantôt, je te servais moi-même ; J’avais su me résoudre à perdre ce que j’aime ; Et mon coeur, secondant ta juste piété, S’était armé pour toi de générosité. Ton père était vivant : le devoir, la vengeance Exigeaient que son fils courût à sa défense ; La nature, l’honneur, Arisbe même alors Eût rougi de te voir trop lent dans tes transports. Mais enfin il n’est plus ; et ce meurtre effroyable Rend encor pour son sang Sylla plus redoutable. Sans père, sans amis, seul dans tout l’univers, Tes villes ne sont plus pour toi que des déserts; Que dis-je ? On t’y poursuit, et jamais leurs murailles Ne s’ouvriront pour toi que par des funérailles. C’est là pourtant, c’est là que tendent tous tes voeux, Ingrat, tandis qu’ici tout te paraît affreux: Ton aveugle fureur préfère l’Italie À des climats plus doux qui t’ont sauvé la vie. Mais, madame, songez qu’ici tout peut changer ; Qu’ayant bravé Sylla, le roi peut le venger ; Qu’employant tour à tour les offres, les menaces, À la fin mon tyran peut combler mes disgrâces ; Que son cruel ministre, achevant ses desseins, Peut enfin obtenir qu’on me livre en ses mains. Non, non : ne craignez rien de ce cruel ministre, Pour un autre que vous ce jour sera sinistre. Comment ?         Avant la nuit ce perfide assassin Par un juste trépas finira son destin. Dieux!         La garde qu’ici jusqu’à mon hyménée Sous les lois d’Amyntas mon père m’a donnée, De ce coup important me répond aujourd’hui ; Tous leurs traits à la fois doivent tomber sur lui Je voulais te cacher cette noble entreprise ; Je me peignais déjà ta joie et ta surprise En me voyant entrer cette tête à la main, Et couverte du sang du plus lâche Romain. Mais que vois-je ? Est-ce ainsi que ta reconnaissance Vient enhardir mon coeur et presser ta vengeance ? Ton père est mort, mon bras le venge, et tu frémis ! Marius, est-ce ainsi que doit penser ton fils ? Madame, jugez mieux d’un effroi légitime. La vengeance me plaît, mais j’abhorre le crime ; Gardez de l’achever ; ne souillez point un coeur Où j’attache ma gloire autant que mon bonheur. Si vous m’aimez, courez, arrêtez votre garde. C’est prendre trop de soin de ce qui me regarde, Ingrat ! Sans ton aveu je saurai te venger. Qui doit ne te plus voir, n’a rien à ménager. Ah dieux ! Que de mes jours votre fureur décide... Plutôt que de souffrir qu’une troupe perfide... Eh quoi ! Quel intérêt ?...         Que ne puis-je parler ? Hélas ! Quel ennemi vous allez immoler ! Comment ?     Si vous saviez...         Qu’entends-je ? Quel mystère ? Ce barbare assassin...     Quoi ! Seigneur ?         C’est mon père, Qui voulant m’enlever de ces tristes États, Lui-même a répandu le bruit de son trépas. Ah ! S’il est vrai, je veux....         Le roi vers nous s’avance. Seigneur, laissez-nous seuls. Ma gloire et ma puissance Semblent me reprocher des sentiments trop doux, Madame, et je venais en parler avec vous. Que pense Marius ? Que pensez-vous vous-même ? Il vous entretenait de sa douleur extrême. Il ressent de Sylla la haine et le pouvoir, Seigneur ; mais vos bontés sont son unique espoir. Vous partagez ses maux ; et qu’aurait-il à craindre ? Quel que soit son malheur, je ne saurais le plaindre, Madame ; et quand on peut être écouté de vous, Prêt à perdre la vie on fait mille jaloux. Ah ! Dans le sort affreux qui cause ses alarmes, Pouvait-il être plaint par de plus belles larmes ? Vous vous, troublez !         Qui ? Moi, seigneur ? Quoi ! Vous pensez... Oui, vous l’aimez, perfide, et vous me trahissez : Ainsi donc sans songer de qui vous êtes née, Au mépris de mon trône et de notre hyménée, Votre infidèle coeur, à ma flamme promis, Choisit pour s’engager nos plus grands ennemis. Jugurtha, c’est ainsi que ta nièce sait rendre Les funèbres honneurs qu’elle doit à ta cendre ! Je l’avouerai, Seigneur, (et mon étonnement N’a point encor fait place à mon ressentiment :) Accablé par le sort, un Romain m’intéresse. On veut que ma pitié naisse de ma tendresse ! On condamne mon coeur pour être généreux ! Aurais-je dû m’attendre à ce reproche affreux, Et prévoir que l’on dût un jour me faire un crime De plaindre un malheureux que le destin opprime ? Mais je le vois, Seigneur ; ah ! Pour vous mériter, Il faut être barbare : il faut vous imiter. Qu’ai-je dit ? Où m’expose un aveu trop sincère ? Allons, Seigneur, joignons Marius et son père : Que son sang vous apaise, ombre de Jugurtha ! Livrons cet innocent dans les mains de Sylla. Sans doute vous croyez, par cette rigueur feinte, Détruire les soupçons dont mon âme est atteinte ? Arisbe ne dit rien que ne dicte son coeur ; Et ce coeur soupçonné ne sent point d’autre ardeur Que de voir Marius, en quittant ce rivage, Éteindre pour jamais un soupçon qui m’outrage. Je vous quitte, Seigneur. Je vais joindre à l’instant L’envoyé de Sylla, lui dire qu’on l’attend, Que tout est préparé pour lui livrer un homme Que l’amour rend ici plus criminel qu’à Rome. Madame...         Non, seigneur, plus d’hymen entre nous : Un roi ne doit pas être impunément jaloux. Renoncez à ma foi, soyez sûr de ma haine, Ou délivrez mes yeux d’un objet qui les gêne. C’est assez, j’y consens ; qu’en partant de ces lieux, Il emporte avec lui dès soupçons odieux. Que voulait, après tout, ma fausse politique ? Ai-je oublié les maux dont a gémi l’Afrique, Où m’expose un proscrit que l’on veut immoler ? Du malheur qui le suit il pourrait m’accabler. Ah ! Que Rome à son gré de ses enfants dispose : N’allons point réveiller sa fureur qui repose : Laissons-la s’affaiblir et tomber par ses coups : Je me vengerai d’elle en servant son courroux. Seigneur...         Quel est ton trouble, et que viens-tu me dire ? Ce qu’un bruit sourd m’apprend : que Marius respire. Lui vivant ! Quelle erreur ! Son trépas est certain, Et l’envoyé de Rome a tranché son destin. Crois-tu qu’à me tromper il osât se commettre, Quand le sceau du Sénat autorise sa lettre ? Tout m’est suspect, la lettre, et le sceau du Sénat : Seigneur, on vous abuse ; et cet assassinat Dont le Romain se vante, ou n’est qu’une chimère t Ou d’accord avec lui, le fils trahit son père. On les a vus ensemble.         Ô dieux ! Qu’ai- je entendu ? Quel soupçon vient saisir mon esprit éperdu ? Quoi ! Ces deux ennemis, on les a vus ensemble ? Quand tout les désunit, sachons qui les rassemble : Pénétrons ce mystère ; en cette obscurité, J’irai jusqu’en leur coeur chercher la vérité. N’en doutez point, Seigneur, votre départ s’apprête. Tandis qu’il en est temps, évitez la tempête : Le roi m’a soupçonnée, et son jaloux transport Assure votre vie en jurant votre mort ; Il vous livre aux Romains, mais tel qu’une victime, Et sauve la vertu par le motif du crime. Quoi ! Lorsqu’un roi cruel me retient dans ses fers, C’est vous qui m’arrachez aux maux que j’ai soufferts ! Ah ! Madame, croyez qu’après cette entreprise, Si le sort des combats jamais me favorise Assez pour signaler et mon nom et mon bras, Votre gloire en tous lieux volera sur mes pas ; Et qu’un jour on dira, si le ciel me seconde : Arisbe a rétabli la liberté du monde. Oui, Seigneur, tout vous rit : sorti de cet État, Vous reprendrez bientôt votre premier éclat ; Vous verrez la fortune, à vos voeux asservie, Marquer d’heureux instants le cours de votre vie. Puisse votre bonheur égaler mes souhaits ! Qu’à vos vertus le ciel mesure ses bienfaits ! Que vos fiers ennemis, terrassés par vos armes. Éprouvent à leur tour de mortelles alarmes ; Que votre nom vainqueur parcoure l’univers, Arisbe est satisfaite ; elle a brisé vos fers. Ah ! Toutes ces faveurs qu’Arisbe me souhaite, Sans elle, n’offrent rien que mon coeur ne rejette. Prévenons des malheurs qui me glacent d’effroi : Partagez mon destin, madame ; suivez-moi. Ici mille dangers menacent votre tête : Tout doit vous en chasser. Partons ensemble.         Arrête. Je t’aime, Marius, et dès le même jour Que mon coeur fut sensible aux feux de cet amour, Un noble orgueil fit croire à mon âme charmée, Qu’enfin, puisque j’aimais, j’étais sans doute aimée : Rien ne dément l’espoir dont mon coeur s’est flatté, Mille fois à mes yeux tes soins ont éclaté ; Mille fois pour pleurer ta cruelle infortune, J’ai fui l’empressement d’une cour importune. Je t’aime ; tu le sais : mais n’attends rien de moi, Qu’on puisse croire indigne et d’Arisbe et de toi. Ainsi n’espère pas qu’à ta fuite liée, Je traîne après tes pas ma gloire humiliée ; Ni qu’avec toi, passant le trajet de nos mers, Et de ma honte entière instruisant l’univers, J’aille à Rome essuyer les disgrâces certaines, Que garde au sang des rois l’orgueil de tes Romaines. Mois, après mon départ, quel sera votre sort ? Le roi tous verra-t-il obéir sans effort ? Pourrez-vous achever un hymen si funeste, Et former avec lui des noeuds que je déteste ? Ne me demandez point ce que je deviendrai, Ce que j’ai résolu, ni ce que je ferai : La renommée un jour vous dira mon histoire ; Et vous saurez qu’Arisbe a pris soin de sa gloire. Jusqu’ici j’ai suivi mon devoir, mon amour ; Je n’ai rien épargné pour vous sauver le jour. Mes soins ont réussi : partez, je le commande ; Et votre sûreté, Seigneur, vous le demande. Mais du moins que je vive en votre souvenir ; Si les dieux, secondant un heureux avenir, Au parti le plus juste attachent la victoire, Dans vos plus beaux succès rappelez ma mémoire ; Songez bien que pour rendre au monde son héros, L’infortunée Arisbe immola son repos. Partez, Seigneur.         Qui ? Moi ? Que je parte, Madame, Et qu’à ce désespoir j’abandonne votre âme ? Ah ! Je vois quel secours votre coeur s’est promis ; J’entrevois vos desseins, et d’horreur j’en frémis. Mon sort plus que le vôtre ici vous inquiète ; Et pour chercher la mort, vous pressez ma retraite. Ainsi ma liberté vous coûterait le jour, Et teint de votre sang, je fuirais cette cour ! Non, dussent les Romains, pour accomplir leur crâne, Avec mon père ici me prendre pour victime, Je ne vous quitte point ; je n’examine rien, Et votre péril seul me cache tout le mien. Seigneur, où vous emporte un zèle téméraire ? Songez que vos délais exposent votre père. Le roi, qui par mes soins permet votre départ, Peut changer de dessein... Vous partirez trop tard : Hélas ! Que sais-je enfin ? Si dans cette journée, Quelqu’un de Marius apprend la destinée.... Un héros comme lui ne saurait se cacher À tant d’yeux pénétrants, ouverts pour le chercher ; En quelques lieux qu’il soit, Seigneur, on le rencontre ; Sa gloire le découvre, et sa vertu le montre. Mais c’est lui qui paraît. Adieu : je crains le roi : Je vous aime, et vous fuis ; vous m’aimez, fuyez-moi. Tout conspire, mon fils, au projet qui me flotte : Sylla n’est plus à Rome ; il cherche Mithridate. Quittons ces lieux, partons, et par mille vertus Déterminons les dieux à servir Marius. Faut-il vous dire encor que dans cette entreprise, Par des présages sûrs le destin m’autorise ? Déjà six consulats, de triomphes suivis, Ont d’assez beaux lauriers couvert mes cheveux gris ; Et l’augure sacré dont l’utile science Jusqu’ici de mon sort me donna connaissance, Animant mon courage à des exploits nouveaux, Pour la septième fois me promet les faisceaux. Ainsi ne craignons point d’invincibles obstacles : Le destin ne saurait démentir ses oracles. Seigneur, qu’allons-nous faire et qu’osons-nous tenter ? Nous condamnons Sylla : nous allons l’imiter, Et, pour nous opposer à ses projets rebelles, Contre notre patrie armer nos mains cruelles ! Rome a cessé de l’être en proscrivant mes jours, Et malgré ses fureurs je vole à son secours. Je la venge. Un grand coeur que la vengeance anime, Doit agir sans remords, dès qu’il agit sans crime ; Et quand il faut détruire un injuste pouvoir, La révolte est permise, et devient un devoir. On peut d’un fier tyran réprimer la furie, Et pour la rendre libre, attaquer sa patrie. Je n’en veux qu’à Sylla ; le ciel doit le punir ; Et c’est servir les dieux, que de les prévenir. Seigneur, à ma faiblesse un moment faites grâce ; Dans l’état où je suis, que faut-il que je fasse ? Arisbe, si je pars, est prête de mourir, Et mon retardement peut vous faire périr. Je lui dois, comme à vous, le jour que je respire : Ses soins mont affranchi d’un tyrannique empire : Elle brise mes fers ; vous allez les venger : Mou coeur entre vous deux aime à se partager. Et que ne puis-je, hélas ! À ma gloire fidèle, Vous suivre dans nos murs sans me séparer d’elle ? Ou plutôt, que ne puis-je accorder en ce jour Ce qu’exigent de moi la nature et l’amour ? Quoi! L’amour dans ton coeur balance la victoire ? Pour te déterminer envisage la gloire, Mon fils ; songe aux périls que j’ai bravés pour toi ; Songe à Rome, au tyran, à l’univers, à moi. Va joindre nos Romains que Céthégus rassemble ; Sors... Nous sommes perdus : le roi nous trouve ensemble. De votre cruauté, Seigneur, je suis surpris : Teint du sang paternel, s’offrir aux yeux du fils ! Seigneur, puisqu’en mes mains vous allez le remettre, (Arisbe en votre nom me l’ose ainsi promettre) Qu’importe qu’il m’ait vu ? Doit-on tant ménager Un ennemi dont Rome est prête à se venger ? Nous partons dès ce jour : chargé de sa conduite, Faut-il que sous mes yeux sans cesse je l’évite ? Il ne vous verra plus, Seigneur, et dès demain Vous ne sortez d’ici que sa tête à la main. Que dites-vous, Seigneur ?         D’où vient cette surprise, Lorsque dans vos desseins ma main vous favorise ? Sylla de sa vengeance à vous s’est confié ; Il veut que Marius lui soit sacrifié ; Vous le cherchez ici pour être sa victime, Et je veux aux Romains épargner un grand crime. Ce malheureux dont Rome a juré le trépas, Peut, ainsi que chez vous, périr dans mes États. Sa mort, que vous cherchez, n’en sera que plus prompte ; Vous en aurez le fruit sans en avoir la honte. Venez donc, suivez-moi, Seigneur ; soyez témoin Que je sais quelquefois servir Rome au besoin. Rien ne peut balancer l’intérêt qui me presse ; Je ne veux écouter ni pitié ni tendresse : Vous allez voir, au gré de vos voeux les plus doux, Le fils de Marius expirer sous mes coups. Ô dieux !         Vous frémissez ? Quelle terreur soudaine Peut faire, en moins d’un jour, chanceler votre haine ? Mon coeur n’est point frappé d’une vaine terreur : Je frémis, il est vrai ; mais je frémis d’horreur. De quel droit osez-vous, sans qu’on vous le commande, ? Attaquer un proscrit que Rome vous demande ? Ah ! Lorsqu’elle condamne un enfant criminel, Son supplice, en nos murs, doit être solennel : Le peuple en foule y porte une douleur profonde, Et la mort d’un Romain doit un exemple au monde. Quelle est votre pensée ? Où tendent ces détours ? Qui voua rend si contraire à vos premiers discours, Seigneur ; et puisqu’on veut que Marius périsse, Que peut faire au Sénat le lieu de son supplice ? Ouvrez les yeux ; songez qu’il importe aux Romains Qu’il ne puisse jamais s’échapper de vos mains. Aux yeux de tout le monde il n’est pas si coupable : Le parti de son père est encor redoutable, Seigneur; n’en doutez point : un héros tel que lui, Au sein de son malheur, peut trouver son appui. S’il vous échappe enfin, l’Italie alarmée Pourra bientôt le voir, soutenu d’une armée, Marcher plein de fureur, et la foudre à la main, Fondre comme un éclair sur le peuple romain, Et dans l’odieux sein de Rome sa marâtre, De sa rage sanglante élever le théâtre. Vous lisez de trop loin dans le sombre avenir : Sans vous nos intérêts sauront se soutenir. Montrez-nous moins de zèle et plus d’obéissance ; Laissez à Rome enfin le soin de sa vengeance. Son sang ne périt point par un bras étranger, Et l’on se rend coupable en voulant la venger. D’ailleurs, que savez-vous si sa prompte colère N’a pas déjà fait place au tendre amour de mère ? Seigneur, en nous servant gardez de nous trahir ; Le Sénat a parlé : c’est à vous d’obéir. Seigneur, pour un proscrit vous marquez trop de zèle : Sylla n’a pas fait choix d’un ministre fidèle ; Je commence à le voir, et plus d’une raison Confirme dans mon coeur un si juste soupçon : Mais puisque vous osez combattre sa vengeance, Moi-même je le vais mieux venger qu’il ne pense, Et, par un envoyé plus fidèle que vous, L’instruire que mon bras a servi son courroux. Ah ! Seigneur, arrêtez.         C’est trop longtemps attendre. Je périrai moi-même, ou saurai le défendre. Enfin j’ouvre les yeux ; je suis assez instruit, Et par un bruit trompeur on ne m’a pas séduit. Le jeune Marius vous est cher.         Moi, je l’aime ? Vous défendez un fils.     Moi, son père ?         Oui, vous-même. Enfin de mes projets le ciel veut se jouer : Mais mon nom est trop beau pour le désavouer. Oui, je suis Marius : tremble ; tu vois un homme Redoute de la terre, et craint même de Rome. Parmi tant de périls, les dieux qui m’ont sauvé, Voulaient que dans ta Cour mon sort fût achevé. Te voilà maître enfin de deux grandes victimes ; Je connais ton génie et toutes tes maximes, Barbare ; tu nous hais : les ordres du Sénat Prêteront des couleurs à ton assassinat. Tu peux, de mon rival servant la rage extrême, Étendre tes États resserrés par moi-même. Venge ainsi ton pays que ma valeur dompta ; Frappe, mais crains encor le sort de Jugurtha. Nerbal, suivez ses pas. Quel orgueil ! Quelle audace! Arrêté dans mes fers, l’insolent me menace ! Il mourra. Jugurtha, tu vas être vengé ; Je vais rendre l’honneur à ton sang outragé. Lorsqu’à son char orné d’un triomphe frivole L’orgueilleux te traînait aux pieds du Capitole, Et qu’un peuple insolent par d’injurieux cris Annonçait ta disgrâce à l’univers surpris, Il ne s’attendait pas, dans ces temps d’allégresse, Qu’un jour je t’offrirais une main vengeresse ; Et que près d’épouser le reste de ton sang, Je lui rendrais ensemble et sa gloire et son rang. Le perfide ! Il osait accuser ce que j’aime. Ah ! Je vois les détours de son vain stratagème ; Sans doute il se flattait que mes soupçons aigris Dans ses bras à l’instant allaient mettre son fils. À travers ses raisons j’ai vu qu’il était père : J’ai forcé la nature à trahir son mystère. Je le tiens. Vengeons-nous. Mais quel autre soupçon Vient jeter dans mon âme un funeste poison ? Du sort de Marius Arisbe est-elle instruite ? Cherchait-elle du fils ou la mort ou la fuite ? Voulait-elle tantôt, dans son emportement, Ou perdre un malheureux ou sauver son amant ? Ah ! Sans approfondir un odieux mystère, Faisons couler le sang et du fils et du père. Pourquoi chercher contre eux tant de prétextes vains ? Tous deux sont criminels, et tous deux sont Romains. Point de pitié : suivons le transport qui m’anime. Et nous verrons après si c’est justice ou crime. Où porté-je mes pas ? Errante en ce palais, Je forme à chaque instant de contraires souhaits. Marius va périr : le roi veut son supplice, Et la nuit seule encor lui peut être propice. Profitons de ce temps. Que vais-je faire, hélas ? Que j’éprouve à la fois de funestes combats ! Dieux qui voyez mon trouble et ma douleur extrême, Que n’ai-je point tenté pour sauver ce que j’aime ? Je vais m’en séparer. Puis-je le retenir? Son péril... je frémis à ce seul souvenir ; Et quand je lui prépare une fuite secrète, Mon coeur craint ce moment autant qu’il le souhaite. Encor, d’un tel succès qui pourra me flatter ? Peut-être qu’Amyntas a voulu me tenter, Lorsque, venant m’offrir son service et son zèle, À mes seuls intérêts il se disait fidèle. Juste ciel ! S’il n’avait accepté cet emploi, Que résolu d’en faire un sacrifice au roi ! Mais non ; ces trahisons sont d’une âme commune : Il veut de Marius partager la fortune ; Son âme est généreuse... Et quel coeur assez bas Pourrait à Marius ne s’intéresser pas ? Non, non, ne craignons rien...         Ah ! ma chère Phénice, Que m’apprends-tu ? Faut-il que Marius périsse ? Non, Madame; et déjà tout semble préparé Pour sauver les Romains d’un péril assuré. Amyntas est fidèle ; il vous tient sa parole, Et conduit Marius jusques au Capitale. Tous ceux que le péril d’avoir manqué de foi Laisserait exposés à la fureur du roi, En suivant les Romains vont braver la tempête ; Et déjà pour partir la barque est toute prête. Marius est gardé dans cet appartement, Dans cet autre son fils.         Que je crains ce moment ? Madame, songez-vous en quels périls....         Cruelle ! Faut-il que ta rigueur encor me les rappelle ? Je dois à Marius immoler mon amour. Sans une prompte fuite il va perdre le jour : Je le sais ; et mon âme, en ses voeux incertaine, À celui qui me sert promet presque sa haine. Tout mon coeur en frémit ; et je vois seulement Qu’on m’enlève, et non pas qu’on sauve mon ammant. Nous éprouvons les coups d’une main ennemie : Tout est perdu, Madame ; et vous êtes trahie. Dieux ! Que m’apprenez-vous ?         Au mépris de sa foi, Amyntas nous immole à la fureur du roi. Le remords s’est saisi de cette âme vulgaire ; Il a changé la garde et du fils et du père ; Tous ceux qu’auprès de nous vos soins avaient placés, Par son ordre cruel viennent d’être chassés : Marius ne voit plus que des visages sombres. Dont l’aspect menaçant perce au travers des ombres, Et qui fixant sur lui leurs avides regards, Annoncent le péril qui vient de toutes parts. Ah ! Phénice, va, cours : à peine je respire. Informe-toi de tout, et reviens me le dire. Mais qu’aperçois-je ?         Enfin avant ma mort, du moins, Je pourrai respirer un moment sans témoins. Mais je vois ma princesse ! Ô ciel ! Quelle est ma joie ! Faut-il qu’en cet état Arisbe vous revoie ? Voici le lieu fatal où je dois expirer ; Je n’attends que le coup qui va nous séparer, Madame ; cette salle est partout investie, Et cent bras inhumains m’en ferment la sortie. C’est peu : l’on va traîner mon père dans ces lieux. À voir couler son sang on veut forcer mes yeux. Prévenons, s’il se peut, un moment si funeste. Armez-moi de ce fer : je prendrai soin du reste. Lorsqu’un péril pressant nous laisse sans appui, C’est mériter la mort que l’attendre d’autrui. Qu’oses-tu proposer, cruel ? Quelle furie ! Je t’armerais du fer qui doit trancher ta vie ? Je conduirais le coup qui va percer ton sein, Et mon amour serait ton premier assassin ? Il sauvera ma gloire. Adorable princesse, Je sais tout ce qu’a fait pour moi votre tendresse ; Je sais à quels périls exposée en ces lieux, Vous défendiez des jours condamnés par les dieux. Vous m’ordonniez de fuir. Pour ne vous point déplaire, Je m’arrachais de vous, et je suivais mon père. Tout a changé de face, et le barbare sort Ne laisse en votre main que l’honneur de ma mort. C’est l’unique faveur que de vous j’ose attendre : Faites couler ce sang que le roi veut répandre, Ou souffrez que mon bras prévienne sa rigueur. Un Romain de sa fille osa percer le coeur, Pour sauver sa vertu d’une immortelle injure ; L’amour fera-t-il moins que ne fit la nature ? Eh bien ! Puisqu’il le faut, j’entre dans ta fureur. Laissons à l’univers un spectacle d’horreur. Le trépas qui t’attend souillerait ta mémoire, Et ce fer seulement peut conserver ta gloire. Je ne résiste plus : j’en vais armer ta main. Tout fumant de mon sang, plonge-le dans ton sein. Mourons ; puisque le ciel tant de fois nous sépare, La mort qui nous unit nous sera moins barbare. Ah ! Madame, vivez.         Hélas ! Tu vas périr. Je ne crains que pour vous... Quel objet vient s’offrir ? Mon père...         Allons, mon fils, partons ; voilà tes armes. Tout succède à nos voeux : dissipe tes alarmes. Je vous dois tout, Madame ; et les jours de mon fils, Conserves par vos soins, vont accroître leur prix. Mais il faut vous quitter. La nuit nous favorise. Amyntas à son but a conduit l’entreprise. Il est dans le vaisseau qu’il tient prêt pour partir ; Il nous attend : il vient de m’en faire avertir. Dieux ! Pouvez-vous compter sur la foi d’un tel homme ? Oui, j’y compte, mon fils ; il nous conduit à Rome : Là, je saurai payer son zèle officieux Du service important qu’il me rend en ces lieux. De tout ce que je vois, ô dieux ! Que dois-je croire ? Seigneur...         Ne croyez rien de contraire à sa gloire. S’il a, sans votre aveu, retiré les soldats Que vos soins généreux attachaient sur nos pas, C’était avec raison qu’il soupçonnait leur zèle, Et la seconde garde à nos voeux est fidèle. Mais que vois-je ? Tous deux vous répandez des pleurs ; Ah ! madame, évitons le plus grand des malheurs ; Daignez fortifier mon fils contre vos charmes ; Qu’il apprenne de vous à dévorer ses larmes ; N’allez point nous trahir et perdre tout le fruit D’un projet que vos soins avaient si bien conduit. Laissez couler mes pleurs : me font-ils tant de honte ? C’est le dernier effort d’un feu qui se surmonte. Quand d’un héros qu’on aime il faut se séparer, Vos Romaines, Seigneur, n’osent-elles pleurer ? Mais n’appréhendez pas qu’une indigne faiblesse De mon coeur ébranlé se rende la maîtresse ; Et puisque tout est prêt pour sauver Marius, Partez; adieu, seigneur : je n« vous verrai plus, Hélas!         Où suis-je ? Ô ciel ! Et quel sombre nuage De mes yeux tout-à-coup me dérobe l’usage ? Je ne vois qu’un vaisseau, des abîmes, des mers, La mort, et je me crois seule dans l’univers. Marius est parti ; le cruel m’abandonne ! Que dis- je, cher amant ? Tu pars, mais je l’ordonne. Puis lentement du moins, et que tes yeux distraits Se retournent souvent vers ce triste palais : Que ta liberté même ait pour toi peu de charmes, Et pour la mériter donnes-y quelques larmes. Hélas ! Où ma douleur va-t-elle s’égarer ? Le destin pour jamais vient de nous séparer. Je veux que Mairius me soit encor fidèle, Et sa perte à mon coeur en devient plus cruelle. Mais Phénice revient.         Ah ! Que m’annonces-tu ? Madame, le roi vient : armez-vous de vertu. Dieux! Faut-il en un jour éprouver tant d’alarmes? Ils mourraient glorieux en mourant sous les armes; Qu’on défende leurs jours de tout sanglant effort. Soldats, je veux leur honte encor plus que leur mort. Quoi ! Madame, c’est vous ? J’ai peine à le comprendre ; Une telle rencontre a droit de me surprendre. Que cherchez-vous ici dans l’instant précieux Où le sommeil encor devrait fermer vos yeux ? Vous ne répondez point ! On me trahit : cruelle, Que de justes raisons de vous croire infidèle ! Quel est votre pouvoir ? Pour sauver mon rival, Avez- vous pu séduire Amyntas et Nerbal ? Quoi ! Sont-ils avec vous tous deux d’intelligence ? Mais vous verrez bientôt éclater ma vengeance, Dût périr ce que j’ai de plus cher dans ma cour ; J’en jure par le dieu qui nous donne le jour. C’est assez. Je me lie au serment que vous faites : Périssent les auteurs de vos peines secrètes ! Seigneur, je borne là mes voeux les plus sacrés : Je me justifierai plus que vous ne voudrez. Ah ! Je vous aime encor ; tâchez d’être innocente, Madame. Mais Nerbal vient remplir mon attente. Que m’apprend-on, Nerbal? Qu’a-t-on fait des Romains ? Tu te tais ? Se sont-ils échappés de tes mains ? De mon étonnement je ne reviens qu’à peine : Oui, leur perte, Seigneur, était presque certaine, Mais d’un bras invincible effet prodigieux ! J’ai vu... ma raison cherche à démentir mes yeux. Quel est donc l’embarras où ton âme est réduite ? Que sont-ils devenus ?         Ardents à leur poursuite, Déjà nous approchions du détroit où la mer Reçoit en mugissant le tribut du Ruber ; La nuit nous opposait ses voiles les plus sombres ; Mais l’aurore bientôt a dissipé ses ombres, Et près de l’autre bord nous a fait entrevoir Le vaisseau d’Amyntas prêt à les recevoir. Lui-même, pour trahir votre juste vengeance, Vers les deux Marius dans la barque s’avance : Le perfide voudrait les ravir à nos coups, Quand nous les enfermons entre le fleuve et nous. Le peuple réveillé par le bruit de leur fuite, Accourt sur le rivage et marche à noire suite ; Et bientôt le Ruber voit deux mille Africains Occupés sur ses bords à prendre deux Romains. Alors ces deux guerriers, que la foule environne, Nous opposent un front qu’aucun péril n’étonne. Le désespoir les arme : ils s’élancent sur nous, Et la parque a juré de suivre tous leurs coups. Cependant nous frappons. Plus d’un Romain succombe : Céthégus dans le choc frémit, chancelle, tombe, Quand Marius qui voit sa défaite en héros, En combattant toujours laisse échapper ces mots : « Mon fils, c’est trop lutter contre les destinées : J’immole mes vieux jours à tes jeunes années ; Va, traverse les flots ; tandis que tu fuiras, Seul de nos ennemis j’occuperai les bras ; Ta vie en sûreté suffit pour les confondre. » Le fils à ce discours s’arrête, et, sans répondre, Dans ses bras tout sanglants saisissant ce héros, Fier d’un si beau fardeau, s’élance dans les flots ; On le voit, soutenant une tête si chère, D’un bras fendre les eaux, de l’autre aider son père ; Et le père à nos coups se livrant tout entier, Ne couvrir que son fils avec son bouclier. Tout les sert contre nous ; et le dieu qui les guide, Semble parer nos traits, rend l’onde plus rapide ; Le flot impétueux qui vient de les porter, S’enfle au bord de la barque, et leur aide à monter ; La rame fend les eaux, et, dans notre poursuite, Nous laisse seulement spectateurs de leur fuite. C’est assez. Il est temps de vous désabuser, Seigneur, et je n’ai plus rien à vous déguiser. On vous trahit. Ma main a conduit l’entreprise : Je connais mon forfait ; ma foi vous fut promise ; Sans consulter mes voeux, cet hymen fut conclu : Je suivais cependant un pouvoir absolu. J’allais vous épouser : une vertu sévère Me faisait immoler à mon devoir austère. Marius vint, m’aima ; je l’aimai ; mon amour Fait le devoir des dieux en lui sauvant le jour. Après un tel aveu, Seigneur, vous pouvez croire Qu’il ne me reste plus que d’assurer ma gloire. Cette gloire aujourd’hui me défend d’être à vous : J’aurais trop à rougir aux yeux de mon époux. J’ai brûlé d’autres feux : c’est cette gloire même, Qui m’a voit ordonné d’éloigner ce que j’aime. Dans ce même moment j’entends encor sa voix : Elle parle, et voilà l’ordre que j’en reçois. Ah, Madame ! Elle expire... Et je sens que mon âme N’avait jamais brûlé d’une si vive flamme. Dieux cruels, qui tenez notre sort en vos mains, Faut-il payer si cher le salut des Romains !