Non, Licaste, je ne puis plus vous parler. Charmante Henriette !... À quoi m’exposez-vous, après tout ce que je vous ai fait dire ? Vous osez paraître dans la maison de votre rival le jour qu’il m’épouse, dans le temps qu’on s’apprête à signer le contrat ! Vous me perdez, Licaste. Ne craignez rien, Madame ; un de ses domestiques, que j’ai mis dans mes intérêts, m’a introduit ici, et Lisette, votre femme-de-chambre, ne vous laissera pas surprendre. Je vous dirai donc... Je sais tout ce que vous pouvez me dire, et les reproches que vous êtes en droit de me faire. Mais je me vois réduite à obéir à mon père. Mais trahir mon amour pour épouser le Baron de la Gruaudiere, le fils de Monsieur Mananville, le plus inhumain usurier de tout Paris. Quand vous me répèterez cela cent fois, je vous dirai toujours la même chose ; je vois mon père ruiné par le jeu, et par les mauvaises affaires qu’il a faites, depuis un temps, avec les usuriers ; il ne peut dégager ses terres, et soutenir sa noblesse, que par ce mariage ; vous n’avez point de bien ; vous n’en attendez que du gain d’un procès, qui, depuis deux ans, se doit juger tous les jours, et qui, selon les apparences, n’est pas prêt de finir. Il est vrai que jusqu’ici mon bien n’a pas été fort considérable ; mais, enfin, mon oncle est à bout, il ne peut plus longtemps retenir les deux cents mille francs dont la chicane l’a fait jouir jusqu’à présent ; c’est aujourd’hui que l’affaire se juge en dernier ressort, et de moment en moment j’en attends des nouvelles. Ces nouvelles arriveront trop tard. En attendant que Madame Mananville soit visible, mon père est allez chez le Notaire, il sera de retour dans un moment. Que je suis malheureux ! Faut-il que, malgré mon bon droit, la lenteur de la justice me soit aussi préjudiciable que me le serait la perte de mon procès ! Vous vous étiez chargé d’écrire à mon frère le Capitaine, voire meilleur ami, de hâter son retour pour s’opposer à ce mariage. Je l’ai fait ; il arrive aujourd’hui, ou demain au plus tard : sa réponse m’en assure. Il faut que Monsieur Mananville en ait eu avis, et qu’il craigne cette arrivée ; car il presse furieusement les choses. Hier on me fit voir son fils pour la première fois ; aujourd’hui je viens rendre ma première visite à Madame Mananville, et l’on prétend dans le moment même signer le contrat. Au nom de notre amour, belle Henriette, je vous conjure de trouver quelque prétexte à pouvoir différer jusqu’à l’arrivée de votre frère le Capitaine. D’ailleurs, j’ai mis Frontin en campagne pour s’éclaircir à fond de la naissance de Monsieur Mananville, qu’on m’a assuré être des plus obscures ; il devait ce matin.... Mais le voici. Hé bien, Frontin ? Je viens du logis, où l’on m’a dit que vous étiez ici. Sais-tu quelque chose de nouveau ? Oui, Monsieur, et de très important même. Sur quelques avis, que je m’étais, comme vous savez, transporté à Charonne ; j’y ai fait quelque séjour, et je suis enfin parvenu à me faire instruire de l’histoire véritable et remarquable de notre usurier. Or, écoutez. Parlez bas, et songez que nous sommes chez lui. Il est de race paysanne, fils d’un Magister de village ; il vint à Paris en l’an mil six cent quatre-vingt un âgé de vingt ans. Il se mit d’abord dans le service, sous l’étendard d’un homme d’affaires. Passons. En quatre-vingt trois il revient au Village, où il épousa, par espèce d’amourette, la fille du gros Mathieu de Charonne : il en eut un fils nommé Claude ; et ce Claude est aujourd’hui votre rival. J’entends. Ce fils fut retiré de nourrice à l’âge de douze ans. A l’âge de douze ans ! Oui : il a tété fort longtemps ce garçon-là, c’est ce qui fait qu’il a l’esprit si vif ; il a été presque autant à l’école, et.... Laisse-là le mérite du fils, parle nous de la fortune du père. De retour a Paris, après avoir servi plusieurs usuriers, il a travaillé pour son compte, et ayant gagné plus de deux cent mille écus en trois ans, il a acheté depuis peu des terres, et a érigé de son chef celle de la Gruaudière en Baronnie, dont son fils Claude porte le nom. Si l’on peut prouver cela à mon père, je doute que, malgré le mauvais état de ses affaires, il veuille passer outre. Oh ! Parbleu, j’ai pris mes mesures pour lui faire voir les choses au doigt et à l’œil. À Charronne, j’ai heureusement trouvé un certain paysan, propre frère de notre usurier, à qui, depuis trois ans, il n’avait point donné de ses nouvelles. Après avoir bu maintes chopines avec lui, je l’ai averti qu’on mariait son neveu, et qu’il ferait plaisir à sa famille de venir à la noce. Fort bien. C’est un original qui ne contribuera pas peu à faire ouvrir les yeux à Monsieur Fontaubin. Sans doute mon père pourrait faire des réflexions là-dessus. Il en fera, et sur-tout quand il verra et entendra Madame Mananville. Quelques efforts qu’elle fasse pour contrefaire la femme de qualité, sa fortune a été trop prompte, pour qu’elle ait eu le temps de se défaire de ses manières et de son langage. Je le crois. Outre plus. Le Maître à chanter, qui s’est chargé du divertissement qui doit servir de prélude à la signature du contrat, est des amis de Lisette et des miens ; c’est un homme aussi dépourvu de bon sens que rempli de Musique. Je sais tout cela ; et tu m’as dit même qu’il t’avait prié de chercher quelque poète pour lui faire des paroles. Je les ai faites moi-même. Quel conte ! Non, Monsieur, c’est la vérité ; je les ai composées et Lisette les a corrigées, Cela sera pitoyable. Qu’importe ? elles auront tantôt leur effet. Mais voici Lisette. Madame Mananville et le Baron de la Gruaudiere, son fils, sont visibles, et viennent de ce côté ; songez à vous. Sortez, Licaste. Non ; Madame ; je sais dans cette maison où le cacher en attendant des nouvelles de notre procés. Mais, Madame, que je sache, au moins, vos senti- mens avant de me séparer de vous, et si.... Je ferai mon possible pour gagner du temps. Mais si ceux que vous attendez tardent trop... Le paysan, frère de Monsieur de Mananville, marche sur mes pas ; et pour votre frère le Capitaine, s’il ne vient pas ; assez tôt, je le ferai bien arriver, moi. Sans adieu, Lisette. Ah ! Monsieur Frontin, je suis votre servante. Je ne sais où j’en suis ; et, quelque résolution que j’eusse prise d’obéir à mon père, la seule vue de Licaste..., Paix, voici Madame Mananville et votre futur. Laquais, holà, laquais, mes gens ; où est donc toute cette canaille ? Comme c’est mon père qui m’a conduite ici, Madame, je m’attendais qu’il me présenterait à vous ; et je ne sais pas bien quel compliment vous faire dans cette première entrevue. Ah ! Madame, c’est à moi à commencer : et je vous dirai, Madame, que je serons tretous ravis de vous voir dans notre alliance. Lisette ! Vous avez du mérite par-dessus les yeux, Madame ; et il serait à souhaiter pour nous que le nôtre égalât le vôtre, pour être au niveau les uns des autres. Pour moi, Madame, je ne vous dis rien aujourd’hui, car je vous vis hier ; et je n’ai pas assez de mémoire pour apprendre tous les jours un nouveau compliment, à moins que vous ne vouliez que je recommence. Monsieur, il n’est pas nécessaire. Allez, allez, Monsieur le Baron, sans que vous parliez, on devine à votre physionomie ce que vous êtes capable de dire. Monsieur le Baron mon fils se souvient de mes instructions ; je lui répète tous les jours qu’il vaut mieux se taire que de mal parler. Oh ! Si je ne dis mot, je n’en pense pas moins. Quoiqu’il n’y ait qu’un mois qu’il hante le beau monde, on le trouve déjà fort dégourdi. Tout-à-fait. Et en vous épousant, j’espérons que vous le mettrez à sa perfection. Oui, Madame le mettra à la mode. Monsieur est tout parfait, il sort d’une bonne école. Ah ! Madame, cela vous plaît à dire. Il est vrai que moi, et Monsieur Mananville mon mari, je sommes la politesse même : croiriez-vous que je n’avons point eu de peine du tout à nous accoutumer à être de qualité ? Monsieur le Baron me paraît disposé à s’accoutumer à tout. Ce ne sera pas notre faute, s’il ne parvient pas : s’il lui a donné, depuis un mois qu’il est sorti de sixième, de toutes sortes d’acabis de maîtres ; d’armes, de musique, de danse, d’écriture, de cheval, d’ostographe et d’arismétique ; et pour des Livres, je lui en avons acheté de toutes les couleurs. Oh ! Mes Livres sont très beaux, car ils sont tout neufs. Gardez-vous bien de les lire, de crainte de les gâter. Ah ! Lisette, je ne croyais pas qu’il fût si sot. Ce n’est pas le mariage qui doit le faire cesser de l’être. MAdame, voilà un paysan de Charonne, qui dit qu’il est le frère de Monsieur. Ah ! Tout est perdu. Le petit sot ! Je vous demaade pardon, Madame, si je vous quittons un moment pour aller parler à un de nos farmiers. C’est moi, Madame, qui vais vous laisser. Courons au-devant de mon père, et tâchons de le prévenir sur tout ceci. Madame, j’allons nous en aller: mais j’aurons l’honneur de revenir tout à ç’t’heure. Quel contretemps ! Je suis dans une colère... Serait-ce en effet... Oui, c’est lui ; c’est mon oncle Colas. Bonjour, Catau ; bonjour, Claude ; bonjour... Tatigué, que vous velà braves tretous, depuis trois ans que je ne vous ai vus ! Que voulez-vous, bon-homme ? Retirez-vous, laquais. Ah ! Madame, laissez-moi-là pour voir sa menterie ; il nous a dit là-bas qu’il était votre beau-frère. Retirez-vous, vous dis-je, petit insolent. Ah ! Je vois bien que cela est, puisque l’on me chasse. Hé bian ! Morgué, me voilà. Regardez-moi bian, c’est moi-même. J’ai appris que vous mariez mon neveu Claude, et je suis venu pour être de la noce ; c’est bien le moins, puisque c’est moi qui l’ai élevé presqu’aussi grand qu’il est, et qui, sans reproche, l’y ai baillè si peu d’esprit que j’avais. Que venez-vous nous conter ici, mon ami ? Je ne vous connoissons pas. Quoi ? Catau ne reconnaît pas son biau-frère ! Fi donc ! Tenez, je ne vous reconnais pas non plus, mon Oncle Colas. Morguè je ne si pourtant pas si changé que vous ; oh bian, bian ! Tout coup vaille, je veux être de la fête. Un paysan être d’une noce de qualité, quelle hardiesse ! Oui, cela est impertinent, mon Oncle Colas. Jarnigué, vous êtes des ingrats. Nan dit bian vrai, qu’il vaudrait mieux qu’une cité pérît, qu’un gueux s’enrichit. J’entends, je crois, la voix de mon frère ; il ne va pas mal vous laver la tête à tous deux, quand i saura comme vous m’avez reçu. Mais, Monsieur... Mais, Monsieur le petit maroufle, apprenez que je ne me mêle plus d’affaires, depuis que je suis de qualité. Il y a encore cette pauvre veuve qui vous rapporte l’argent que vous lui avez prêté sur ses billets. Oh ! Qu’on lui dise qu’elle a trop tardé, que j’ai employé ces billets-là, et peut-être à ma perte. Elle a dit au portier qu’il y en avait pour six fois au tant d’argent que vous lui en aviez donné. Tant pis pour elle. Mais je trouve mon Portier bien impertinent d’entendre ainsi les raisons de tout le monde. Oh ! Je vois bien qu’il faut que je prenne un Suisse. Hé morgué ! prends moi, je t’en sarvirai. Ah ! Voici bien autre chose. Que demandes-tu ici, mon ami ! Morgué, tout le monde m’appelle ici mon ami ; ces gens de qualité sont bien remplis d’amitié. Parle donc, hé, faquin : que cherches-tu dans ce logis ? Parguè, je viens danser à la noce de mon neveu Claude. Comment, insolent ! Si j’appelle mes gens. Il faut les appeler, Monsieur. Holà, quelqu’un ; holà, quelqu’un. Non, Madame, évitons l’éclat. Crois-moi, va-t-en, ivrogne que tu es. Est-ce que je me trompe ? Et prendrais-je un autre pour mon frère ? Non morgué, c’est lui-même qui ne se reconnaît pas. Maraud, si tu ne sors d’ici... Non, Morgué, je n’en sortirai pas. Velà ma belle sœur Catau, velà mon neveu Claude, et tu es mon frère Jacot. Quoi ! Tu oses?... Oui, morgué, j’ose. Oh ! Accoute donc, Jacot, ne fais pas tant le fameux, car je pourrions bien nous gourmer, comme je faisions du temps que j’étais ton frère ainé. Il n’en démordra point, et je vois bien qu’il faut parler d’autre sorte. Mon frère, je veux bien vous reconnaître ; mais vous allez me perdre. Dans le temps que je m’allie à des personnes de la première qualité, voulez-vous que l’on vous voit ici en habit de paysan ! Hé morgué ! Baille m’en un autre. On dit que tu en as tant qui te sont restes pour les intérêts, du temps que tu prêtais sur gage. Je porterai bien mon bois, ne te boute point en peine. Monsieur, voilà Monsieur Fontaubin ; Madame sa fille était allée au-devant de lui. Leur carrosse entre dans la cour. Ah ! Mon frère, sortez, je vous en conjure. Non, palsangué, je n’en ferai rian. Allez donc, Monsieur le Baron ; allez chercher dans ma garde-robe un habit pour votre Oncle. Ah ! Velà qui me plaît cela ; reconnaître son frère ! Tatigué, que c’est un grand effort pour un homme de son métier ! Parlez le moins que vous pourrez devant la compagnie qui va venir, et, surtout, ne lâchez point de morgué. Oh ! Morgué, non. Faites comme nous, j’épluchons toutes nos paroles les unes après les autres. Hè ! Madame, vous me faites trembler autant que lui. Tenez, mon Oncle Colas, velà le harnois de mon père. Velà bian des affutiaux. Çà boutons d’abord la parruque. Cela ne se met qu’après. Bon, bon ! Devant ou après, qu’importe ! Dépêchez-vous, car j’entends monter quelqu’un. Voilà qui fait. Hé bien ! Morgué, n’ai-je pas bon air ? Ah ! Pour moi ; j’ai cela de bon, un rien m’embellit. Voici tout notre monde, songez à ce que je vous ai dit. Je m’en vas d’abord baiser la mariée ; c’est la coutume à Charonne. Hé fi ! Mon frère, cela ne se fait point ici. Holà, laquais, qu’on se mette tous en haie dans mon antichambre. Où sont-ils donc ces coquins ? Holà, hé ! Nous voilà, Monsieur. Vous vous faites bien attendre, marauds que vous êtes. Morgué, il traite ses domestiques comme des valets. Je ne prétends pas me donner la peine d’appeler deux fois, et je veux que l’on m’entende au moindre signe, entendez-vous ? Oui, Monsieur. Morgué, il n’est rien tel pour savoir se faire obéir que d’avoir sarvi les autres. Ma fille, je ne crois point tout ce que vous me dites. Enfin nous voici tous rassemblés. C’est une joie pour moi, que je ne puis assez vous exprimer. Monsieur, excusez, si j’avons ... Taisez-vous, mon frère. Monsieur, voilà un Gentilhomme que je vous présente ; c’est mon frère ; vous lui trouverez l’air un peu rude, c’est la mer qui fait cela. Mais un Capitaine de vaisseau, aussi déterminé qu’il est, ne se pique pas beaucoup de politesse. Il suffit que Monsieur se pique de bravoure. J’ai toujours estimé Messieurs les Marins, et Monsieur a de l’air... D’un marinier qui va tirer l’oie. Taisez-vous, insolente. Monsieur, je suis ravi... Ah ! Monsieur, boutez dessus. Si j’avons pris la liberté d’avoir l’honneur de venir honorer la noce de notre neveu Claude, c’est que, comme dit l’autre, plus on est de fous, plus on rit ; et si notre minagere Jeanne avait pu itou... Ne voulez-vous pas finir ? Hé bien, Monsieur ! Votre fille a-t-elle tort ? Non vraiment : voyons jusqu’où cela ira. Il faut que j’embrasse mon gendre. Monsieur, je mets entre vos mains une fille qui m’a toujours été chère. Hé, hé. Je me flatte que vos bons traitements lui feront retrouver en vous un second père. Hé, hé. Les emplois que mon crédit va vous procurer, ne demandent pas moins qu’un homme de votre mérite pour les exercer. Hé, hé. Et j’espère que vous soutiendrez la gloire des nobles ayeux, dont vous et moi tenons naissance. Hé ! oui, je ... Oui, oui, Monsieur soutiendra tout cela ; laissez-le faire. Hé ! Là, répondez donc, Monsieur le Baron. Hé ! Mais... Répondez-vous-même. Peut-on rester court comme cela ? Monsieur, vous jetez des pierres dans notre jardin, qui... Morbleu, Madame, qu’allez-vous faire ? Qui rejailliront dans le vôtre. Achevez donc, notre sœur Catau. Autre bêtise ! Taisez-vous aussi. Hé ! Mais morgué... Encore morgué, après ce que je vous avons dit ? Ah ! Je suis perdu si cela dure. Il faut absolument rompre cette conversation... J’entends des violons qui préludent : voilà un prétexte. Qu’est-ce ceci ? C’est un petit divertissement qu’on vous a préparé. Excusez, si je vous quitte un moment, pour aller donner ordre à tout. Madame, Monsieur le Baron, vous savez que vous êtes nécessaires là-dedans ; avec la permission de la compagnie, suivez-moi. C’est bien dit. Moi, je reste pour faire les honneurs. Hé ! Non pas, mon frère, entrez aussi, vous m’êtes plus nécessaire que les autres. MOrgué, tatigué j’avions, j’étions. Hé ! Bien, Monsieur, qu’en dites-vous ? Qu’elle diable de noblesse est-ce cela ? Elle est un peu sauvage. Je reconnais que je me suis trop pressé. N’ayant eu affaire jusqu’à présent qu’à Monsieur de Mananville, qui est un homme assez poli, j’ai cru que toute sa famille était de même ; la magnificence qu’il avait étalée à mes yeux me faisait croire... Enfin, Monsieur, qu’allez-vous faire maintenant ? Je ne sais. Tous mes amis se vont moquer de moi, si j’achève ce mariage, mais d’ailleurs nous avons un dédit de vingt mille écus. Il faut le rompre, Monsieur. Et comment s’y prendre ? Les choses sont si avancées ! Monsieur, j’aperçois un fourbe de profession qui nous écoute, qui a rompu plus de dédits en sa vie, qu’il n’a fait faire de mariages légitimes. Je le connais ; s’il voulait nous rendre service ! Très volontiers ; et personne n’est plus au fait que moi. J’ai toujours eu tant d’estime et de vénération pour Monsieur Fontaubin, sans avoir l’honneur d’être connu de lui... Et sans beaucoup même le connaître ; qu’ayant appris dans le monde qu’il allait faire une sottise, et déshonorer sa maison par une indigne alliance, je me suis transporté sur les lieux ; et me voilà prêt, non seulement à rompre ce dédit, mais encore à le faire payer à Monsieur Mananville. Oh non ! Je n’exige point cela. Il suffit que ... Ne vous mettez pas en peine, et laissez-moi faire. J’ai dans cette maison, un homme tout à moi, qui viendra vous avertir lorsque... J’entends Monsieur Manville, je me retire. Cela est assez plaisant ; cet homme qui m’est inconnu et qui vient s’offrir à me rendre le plus important service qui puisse m’être rendu dans la situation où je suis ! ... Il y a comme cela quantité de gens dans le monde, qui font tout leur plaisir de se mêler des affaires des autres. Oui, mon frère, oui, ma femme, oui, mon fils, je vous défends de dire un seul mot, que le contrat ne soit signé. Ma présence n’était pas inutile, puis tin se même temps le Contrat, le divertissement et le festin se trouvent prêts ; et voilà ce que fait l’œil du Maître. Pour nous débarrasser, signons d’abord le contrat. Oh ! Entendez auparavant le divertissement. Mais il faudrait ... Elle a raison, cela nous mettra de bonne humeur : nous aimons tous la musique. Tout ce qui vous plaira. Allons, que l’on commence. Qu’est-ce que ce divertissement ? Je ne sais ; je n’ai point voulu entendre les répétitions, pour avoir le plaisir de la surprise. Honneur, honneur, cent fois honneur Au baron de la Gruaudiere. Des champs qu’à labouré son père, Il est aujourd’hui le Seigneur. Honneur, honneur, cent sois honneur Au Baron de la Gruaudiere. C’est peu d’avoir l’esprit et les appas, De Madame Catau sa mère ; Il a la mine fière, Et la vertu guerrière De Monsieur son Oncle Colas. On se moque ici de nous. Non, non. Un et deux font trois, et trois font six, Et quatre font dix. Qu’on est habile Quand on attrape mille ! Qui de mille paye rien, Reste mille, mille, mille, et mille. Ah ! que de bien ! Que de fracas ! Qu’elle opulence ! Que de magnificence ! Que d’appui ! Voilà la grande science Et le mérite d’aujourd’hui. Qui est l’insolent qui a composé ces mauvaises paroles-là ? Il n’est guère poète, comme vous voyez ; car il dit la vérité. Et vous, qui osez... Monsieur, voilà votre fils le Capitaine qui vient d’arriver. Il ne me fallait plus que cela. Il vient à propos, pour être de la noce. Vraiment oui, pour être de la noce !Il vient bien plu-tôt pour la troubler : il veut là-bas tout renverser, tout briser, tout assommer. Est-ce que Monsieur votre fils serait si déraisonnable que de vouloir... C’est un Diable, je le connais ; et vous en serez quitte à bon marché, s’il se contente de mettre le feu à votre maison. Que veut dire ceci ? Voyons, voyons, il ne sera peut-être pas si méchant. Monsieur, il dit qu’il n’a que faire à vous, et qu’il n’en veut qu’à Monsieur Mananville. Descendons toujours. Tout ceci prend un mauvais train. Peste soit du divertissement ! Sans cela le Contrat serait signé. Que je suis malheureux ! Il y a un mois que je ménage cette alliance, qui m’aurait donné tout l’appui possible contre les recherches qu’on aurait pu faire de l’acquisition de mes biens, il faut que tout contribue à rompre mes projets, et que ce mauvais Capitaine vienne encore. Mais apparemment le voici. Courage, Frontin, cela va à merveille, et Monsieur de Fontaubin t’avoue de tout. Toi, Lisette, seconde-moi bien. Ah, ventre ! Ah, tête ! Ah, mort ! Mais, Monsieur, Monsieur votre père vous cherche ; et veut vous parler. Je n’ai que faire à lui ; il est bien hardi de vouloir se montrer devant moi, ayant eu dessein de marier ma sœur sans mon consentement. Mais, Monsieur.... Donner la sœur d’un Capitaine de Dragons à un pied plat ! C’est de moi qu’il parle. À un Claude ! Où est-il le téméraire qui ose épouser ma sœur ? Ce n’est pas moi, Monsieur. Est-ce toi ? Non, pargué ; j’ai déjà trop d’une femme. Monsieur, il ne faut pas tant faire de bruit. C’est mon fils le Baron qui l’épouse, et Monsieur votre père prétend... Ah ! Ah ! Il prétend.... Je lui montrerai bien le respect qu’il me doit. Voilà un fils bien insolent ! Il n’a pas assez de bien pour que je souhaite sa mort ; mais ventrebleu, je lui apprendrai à vivre à ce père-là. Quel diable d’homme est-ceci ? Vous le voyez dans sa belle humeur ; quand il est en colère, c’est bien autre chose. Il faut voir s’il entendra raison. Monsieur, point tant d’emportement. Monsieur, c’est parce que Monsieur votre père n’a pas tout le bien qu’on pourrait s’imaginer, que ce mariage lui convient ; et quand vous saurez les avantages qu’il y trouve... Oui, mon père y trouve ses avantages ; j’en suis ravi. Et les miens ? Tête bleu, à ce que je vois, on ne songe guère aux absents ici. Mais j’arrive encore à temps, pour faire mon marché. Primo, je vous déclare que je veux cent mille francs de pot-de-vin. Cent mille francs ! Cet homme-là a le diable au corps. Je le trouve aujourd’hui plus modéré qu’à son ordinaire. Qu’elle chienne de modération, avec ses cent mille francs. C’est une bagatelle pour vous, après tout ; et cela vous est aussi aisé à gagner, qu’à lui de le dépenser. Item. Tous les Officiers de mon Régiment, et moi, seront logés et nourris chez vous à discrétion tous les hivers, pour nous dédommager des pertes que nous avons faites avec vos confrères les usuriers, depuis trois ans... Et qu’ai-je affaire, moi ?... Comment ! Morbleu, j’aurai une jolie sœeur, et cela ne produira rien ; quand j’en vois tous les jours qui doivent leur fortune à la beauté de leurs arrières-cousines ! Ah c’en est trop ; et dussiez-vous vous fâcher, Monsieur mon mari, il ne sera pas dit qu’une femme : parce qu’elle est de qualité, sera si longtemps sans parler, et qu’elle endurera tant de sottises. Allez, Monsieur je n’avons que faire de votre sœur, et je nous passerons bien de tant d’honneur ; notre fils n’en est pas encore tant assotté. Ma foi, Monsieur, puisque cela est comme cela, vous n’avez qu’à épouser votre sœur vous-même, je ne m’en soucie plus. Comment, tête-bleu ! On méprise ici ma sœur ! Ah, ventre ! Il faut que j’assomme toute la famille. Hé ! Monsieur, qu’allez vous faire ? Au secours... Holà, laquais, cocher, mes gens. Bon ! Bon ! Qu’ils viennent. Oh ! Morgué, Monsieur doucement. Retire toi, Maraud. Maraud !... Un soufflet !... Soutenez votre noblesse, mon frère. Oh ! Pargué, soutenez-la vous-même. Un soufflet à mon frère. Ça n’est rian, ça se sèchera. Un Capitaine de Vaisseau souffrir un tel outrage ! Que va-t-on dire de vous ? On dira qui je ne suis accoutumé qu’à me battre sur l’iau. Cela n’est pas permis, et j’allons, et je varrons. Ah, ah ! je varrons, j’allons ; allez, allez, ma mie. Ma mie ! Une dame comme moi s’entendre appeler ma mie ! Un fauteuil, que je m’évanouisse un fauteuil donc et tôt. La peur a fait fuir tous vos gens, Madame, et il n’y a personne ici pour vous en donner ; vous vous évanouirez une autre fois. Ah ! Parbleu, canaille, je vous apprendrai... J’entends mon père, je me retire ; car dans la fureur où je suis... Jusqu’au revoir. Je vous rendrai comme cela visite de temps en temps, mais, surtout, que les cent mille francs soient prêts dans une heure. Ah ! Je n’en puis plus. Vous voudriez Monsieur mon mari être allié à un garniment comme stila ! Non, parbleu, et si Monsieur Fontaubin ne me fait justice... Où est donc mon fils ? Je crois que je le chercherai tout aujourd’hui. Le voilà qui sort, Monsieur ; il est venu ici rendre ses respects à monsieur et à sa famille. Vous êtes une insolente, ma mie. Comment donc ? Oui, parmi tous les respects dont elle vous parle il m’a baillé un soufflet. Un soufflet ! je ne crois pas cela ; c’est le plus sage de mes enfants. Jugez du reste. Hé bien ! Monsieur, si c’est-là le plus sage de vos enfants, je renonce à votre alliance ; et quand je devrais payer le dedit, ce qu’il faudra voir pourtant, je donnerais plutôt mon fils à la dernière.. Sans emportement, Monsieur. Vous me mettez le marché à la main ; j’en suis parbleu ravi ; et j’allais faire une sottise. Rendons nous réciproquement nos dédits ; ce mariage, croyez-moi ! ne convenAit ni à l’un ni a l’autre. Tenez, voilà votre écrit. Et voici le vôtre. Et moi ; morgué, à qui rendrai-je mon soufflet ? Il vous restera, Monsieur le Capitaine de Vaisseau il est de bonne prise. Comment, j’entends encore ces maudits violons ! C’est Monsieur le Capitaine qui les ramène. Que le Diable l’emporte ; il vient encore nous faire de nouvelles insultes. Oh ! Morguenne... Rentrons dans mon appartement, Monsieur, jusqu’à ce que je soyons débarrassés de toute cette cohue ; en restant, j’exposerions notre qualité à de nouviaux affronts. Je saurai me venger tôt ou tard. Oh ! Morgué, moi, je m’en retourne à Charonne. Il rentre fâché ; mais je le suis bien plus d’avoir manqué de parole à Licaste ; c’était un gentilhomme qui... Mpnsieur, il est encore temps de me la tenir. J’apprends dans ce moment que j’ai gagné mon procès avec dépens ; mais cette fortune ne peut me rendre heureux si je ne la partage avec la belle Henriette. Ce procédé me rend confus, Licaste ; et je fais mon bonheur de vous recevoir pour gendre. Allons chez nous. DOucement, s’il vous plaît ; il nous revient la fin d’un divertissement. Ne poussons pas les choses plus loin, et n’insultons point ces gens-ci dans leur maison. Monsieur, il est bon que je fasse un peu de tapage ici. Mananville, est un chicaneur ; il a fait des frais pour ce mariage ; et pourrait les rejeter sur vous ; croyez-moi, achevons de l’intimider de manière qu’il ne veuille jamais avoir d’affaire avec nous. Achève donc ton divertissement ; c’en sera assez. Et nous, qu’en dirons-nous, Monsieur le Capitaine ? Tu sais, Lisette, que j’ai quitté Marine pour toi ; tu veux t’engager dans ma compagnie je te donnerai ton congé au bout de trois mois. Que le notaire fasse toujours l’engagement, il durera ce qu’il pourra. Chantons tous la noble famille ; De Monseigneur de Mananville. Ne rappelons point les temps passés. Il a de l’argent, c’est assez. Vers à la fin de chaque Couplet. Fils d’un Magister de village, Il promené un riche équipage. Ne rappelions point les temps passés, Il a de l’argent, c’est assez. Il porta jadis la mandille, Et maintenant chez lui tout brille. Ne rappelons point les temps passés, Il a de l’argent, c’est assez. Au village il prit une femme, Qui fait aujourd’hui la grand’Dame. Ne rappelons point les temps passés, Il a de l’argent, c’est assez. Ma foi, c’est assez berner nos manants, cela commence à m’ennuyer ; changeons de style, et chantons quelque chose de plus beau, de plus rare et de plus curieux. La beauté. La rareté. La curiosité. Les Dieux vous ont donné, jeune Iris, pour nous plaire La beauté : Mais c’est en abuser que d’être trop sévère, La rareté : Songez qu’il vient un temps où l’on’ n’excite guère ; La curiosité. La beauté. La rareté. La curiosité. À suivre les Amours quel charme nous appelle ? La beauté. Qui peut nous retenir auprès d’une cruelle ? La rareté. Et d’un amant heureux qui fait un infidèle. La curiosité. La beauté. La rareté. La curiosité. Dans les nœuds de l’hymen quand l’Amour nous engage, La beauté. On goûte quelque temps les douceurs du ménage, La rareté. Mais à la fin on a de tâter du veuvage La curiosité. La beauté. La rareté. La curiosité. Ce qui me fait quitter Marine pour Lisette, La beauté. L’une aime les galanTs, l’autre fuit la fleurette, La rareté. Enfin Marine est blonde, et Lisette est brunette, La curiosité. La beauté. La rareté La curiosité. Messieurs, ne cherchez point dans une bagatelle La beauté. Pour remplir votre goût il faut que l’on excelle, La rareté. Voyez-la seulement parce qu’elle est nouvelle, La curiosité. La beauté. La rareté. La curiosité.