Monseigneur, Cette Princesse amoureuse & Etrangere qui vous vient cercher depuis la Perse jusqu’en France, pour vous rendre l’arbitre de son amour & de sa valeur ; ne pretend pour fruits d’un si long voyage que l’honneur de vous entretenir, & le triste contentement de faire croistre au recit de ses advantures les Fontaines de Bourbon, par les larmes d’une si belle compagnie, que vostre vertu y attire cette année plustost que celles des Eaux. Ce n’est pas pour avoir sué dessous les armes, ou pour laver son front encore couvert d’une poussiere sanglante que cette SŒUR VALEUREUSE vient aux bains ; mais seulement pour y noyer son amour & sa honte, & pour sçavoir si ces divines sources minerales parmy tant de qualitez secrettes n’ont point celle du fleuve d’Oubly, afin d’y perdre la memoire de son Frere, que tous les effects d’une passion extréme n’ont pu lui rendre sensible. Je l’ay encouragé à ce dessein ; il est vray, je l’avouë, MONSEIGNEUR, & lui ay promis ce qu’on n’attendroit jamais ny des bains de Bourbon, ny de Plombieres, ny de Forges, ny de Pougues ; je veux dire la guerison d’une amour violente, & la facilité d’oublier un object qu’elle a aimé dés le berceau. Il n’entre icy rien du miracle, ou de la Fable ; cette action n’attend aucun effort par dessus la Nature, ni cette prose aucun ornement de la Poësie. Est-elle arrivé à Bourbon ? elle est guerie cette AVEUGLE AMANTE ; & pour oublier son amour, son Frere, et son païs, il ne luy a fallu de temps que ce peu qu’elle en a mis à vous regarder. Cét effect presques impossible que je luy avois promis, & qu’elle eust cerché vainement aux Eaux, elle l’a treuvé dans vos Yeux ; où rencontrant aussi bien qu’en vostre esprit toute chose à admirer, elle ne s’étonne que d’une seule, comme vostre front chargé de lauriers ne l’est point encore de la Couronne de toute l’Asie, puisque c’estoient de semblable visages qu’autrefois la Perse faisoit adorer dessus le Trône de ses illustres Ayeulx. Aussi vous voyez qu’elle en aime si parfaitement les traits, que pour les avoir toûjours present à ses yeux, elle porte aujourd’huy vostre portraict sur son Ecu, en cette mesme place où estoit celuy de son Frere, qu’elle avoit desja commencé d’effacer de ses pleurs, & que son amour pour vous a caché dessous une plus belle toile. Je ne croiray pas, MONSEIGNEUR, que vous soyez si peu sensible à la plus belle passion des hommes, pour n’agréer point la recerche d’une AMANTE de cette condition, & dont la passion ne cede qu’aux vœux infinis de celuy qui vous la presente. Sans blesser son honneur, ny le respect inviolable qu’il vous doit, il a cette asseurance de vous l’amener jusqu’au chevét de vostre lict ; & il n’est pas si mal en vostre estime qu’il n’espere que vous cherirez également & le don & celuy qui vous le fait, et qu’apres avoir pris plaisir à considerer la beauté de cette Fille, vous aurez assez de bonté pour le considerer luy-mesme comme, MONSEIGNEUR, Vostre tres-humble & tres- obeïssant serviteur A. MARESCHAL. Mareschal, je voy sans envie L’œuvre qui te promét une seconde vie ; Et ton stile pompeux, & remply de douceur, Me fait desirer au contraire, Qu’un Vassal Genereux soit digne d’estre frere, D’une si Valeureuse Sœur. DE SCUDERY. Mareschal, vous donner des vers C’est vouloir éclairer le grand flambeau du monde ; Puisque vostre veine seconde En produit les plus beaux qui soient en l’Univers. MAIRET. Par ses moindres exploits Oronte nous étonne Mars, sous les habits empruntez Ou de Minerve, ou de Bellonne, Ne les eust pas executez : Le bruit de sa valeur a charmé l’Univers, Sa main, comme ses yeux, est aux hommes fatale ; Tout luy succede, & rien n’égale La force de son bras, que celle de tes vers. DE ROTROU. Rendez-vous, Amants & Guerriers, Craignez ses attraits & ses armes ; Sa Valeur egale à ses charmes Unit les myrthes aux lauriers : Miracle d’Amour & de Guerre, Tu vas domter toute la terre ; A l’éclat de tes yeux, on voit de toutes parts Mille cœurs à l’envy voller sous ta puissance : Et s’il est un mortel rebelle à tes regards, Ton bras soudain le range à ton obeïssance. Telle contre le Roy D’Arger Courut autre-fois Bradamante : Telle fut cette pauvre Amante A la queste de son Roger : Telle, mais avec moins d’adresse, Venus s’arma contre la Grece : Telle contre son Fils pour le Roy des Latins Camille dans le chocq se jettoit animée : Et telle du cerveau du Maistre des Destins Son mary fit sortir Minerve toute armée. CORNEILLE. Montre toy desormais, amoureuse Guerriere, Certaine de ton prix entre dans la barriere, Viens combattre sans crainte, & pour nous vaincre mieux Laisse ton bras oisif, & te sers de tes yeux, Leur divine douceur penetre jusqu’à l’ame, Elle y sçait allumer une agreable flame, Et dessus ton beau teint par qui tout est charmé L’amour peut plus tout nud, que Mars ne peut armé Quitte donc hardiment ce fer qui t’environne Au lieu de ton armét on t’offre une Couronne, Te peut-on dénier ce beaux prix des vainqueurs Si tu sçais triompher & des corps, & des cœurs ? Mais quand mesme le Ciel t’eust refusé ces graces Par qui dans les esprits tu gaignes tant de places, Quand tu ne sçaurois pas captiver les humains Par la force des yeux, & par celle des mains, Et quand de tes beautez le renom legitime N’auroit pas en tous lieux fait voler ton estime, L’accueil de ce grand PRINCE, à qui tu viens t’offrir, Te feroit oublier ce qu’on t’a veu souffrir, Et la moindre amitié qu’il te feroit parestre Bien mieux que tes beautez te feroit reconnestre : Par elle l’Univers cognoistroit tes appas, Par elle tu vaincrois le temps & le trespas, Et tu verrois en fin par des marques certaines Qu’elle est un plus grand prix que ne furent tes peines. Adore donc le sort qui t’approche de luy, Ce bien est infiny, comme fut ton ennuy ; Et pour ta recompense aprés tant de supplices, Tu ne pouvois avoir de plus cheres delices. Pour moy je n’ay treuvé mon destin glorieux Que depuis que le Ciel m’approcha de ses yeux, Ma Muse auparavant & foible & languissante Se rend par ses faveurs plus forte & plus puissante, Un seul de ses regards luy donne une vigueur Que jamais Apollon n’inspira dans un cœur ; Son Parnasse est partout où son Prince l’anime, Elle tire de luy sa grâce & son estime, Et peu s’en faut en fin que tant de bon acceuil De son humilité ne la porte à l’orgueil. Ainsi de tant d’honneur ma Muse poursuivie Regardera sans peur les assauts de l’envie, Et fera voir autant d’efforts victorieux Que sa condition luy fera d’envieux. Espere tout de mesme, agreable Guerriere Que pour toy ce Soleil aura de la lumiere ; Tu pourras tout charmer, & tout vaincre à ton tour Ou bien par tes beautez, ou bien par son amour. DU RYER. Paris. lucidor & oronte deux Gemeaux, Fils & Fille de Belyman Roy des Perses et des Medes, avoient esté élevez & nourris ensemble, & pendant leur enfance ils avoient joint à la conformité de leur visage une seconde d’humeur & de volonté, qui faisoit douter à tous ceux qui les voyoient, quelle estoit des deux la plus grande, ou la ressemblance de leurs esprits, ou celle de leurs fronts. La Nature en ce doux accord, par une puissante inclination qu’elle donna à cette Fille, la porta peu à peu à aymer, suivre, & imiter son Frere en tout, & mesme par un effort de courage à se rendre depuis compagne d’exercices, comme elle l’avoit esté de berceau. Du commencement ce n’estoit que jeu, que le Roy leur Pere appreuvoit ; mais ils sont enfin separez par la force & l’envie des années, qui font connoistre à celle-cy qu’elle est Amante, & qui obligent celuy-la à fuir d’horreur une passion qui luy paroissoit sinon criminelle pour le moins fort dereglée. Rien ne l’excusoit qu’une loy de Perse, qui permettoit à la Sœur d’estre femme de son Frere, & de joindre par ce lyen le sang qu’ailleurs une mesme naissance auroit disjoint. Mais ce pretexte n’estant pas assez puissant, pour effacer ou couvrir en l’esprit d’Oronte un vice qu’elle avoüoit elle méme par la honte qu’elle ressentoit à le commettre, ne put ôter aussi l’aversion de Lucidor. Il la quitte & la Perse mesme ; & après mille courses que ses armes luy rendirent glorieuses, borna heureusement sa fuitte en Thrace ; où parmy l’accueil & les honneurs qu’il receut, il se treuva enfin amoureux & aimé d’Olympe, fille unique du Roy de ce païs. Cette amour réjoüit le Pere, engagea doucement la Fille, & affligea Dorame qui en estoit amoureux, sur des pretentions qui sembloient auparavant asseurées par la faveur qu’il avoit auprés du Roy, & par la puissance absoluë que cette faveur luy donnoit dans tout le Royaume. Pour estre politique, plein d’esprit & d’intelligence, il n’estoit pas moins malheureux. Gelandre son Cousin l’avoit chassé de Bythinie, bien qu’il en eust la possession legitime ; & tous ses desseins depuis n’estoient qu’à se r’établir, & à reprendre les droits de la Souveraineté, qu’injustement son Cousin usurpoit sur luy. Pour cét effect, & afin de perdre aussi bien son Rival comme son Usurpateur, par un dessein et d’amour & d’ambition, il envoye à Gelandre Lucidor dans la Ville de Pruse, sous un pretexte specieux qui les trompa tous les deux, & qui fut tel. Lucidor accompagné de Melinde Sœur du favory, qui la luy avoit donnée autant pour conduite & asseurance que pour ôtage à Gelandre, pensoit fuir la colere du Roy, qui estoit aussi fausse que tous ces complots que Dorame avoit feint que sa Majesté dressoit contre luy, sur l’enlevement de sa fille Olympe ; que ce Rival ingenieux avoit encore supposé. De mesme Gelandre en les recevant croyoit s’asseurer de la Bythinie, veu que Dorame par lettres expresses renonceoit à toutes ses pretentions, s’il pouvoit faire reüssir le mariage de sa Sœur avecque Lucidor, qu’il luy envoyoit (disoit-il) à cette intention. Si tost qu’ils sont receus dans Pruse, Dorame s’ecrie à la force, se plaint au Roy que Lucidor a enlevé sa Sœur, qu’il s’est retiré auprés de Gelandre son Usurpateur ; & demande main forte pour se vanger de l’un & de l’autre. Le Roy de Thrace envoye demander Melinde, Gelandre assuré sous main par Dorame la refuse ; les Thraces arment ; le Roy sort de Byzance avec Olympe ; Dorame a charge de toute l’Armée ; & du premier assaut l’on emporte sans resistance le Château d’Elvye fort peu distant de la Ville, où la Princesse choisit son quartier & sa retraitte : enfin pour le dire court Pruse est assiegée. Melinde dedans & instruite par son Frere de ce qu’elle devoit faire, luy envoye une lettre quelque temps aprés, par où (continuant leurs feintes) elle se plaignoit de l’insolence & des poursuittes violentes du Prince de Perse, qui feroit encore quelque effort sur son honneur, si on luy en laissoit le temps & les moyens dans les longueurs d’un siege ; que ce remede estoit trop lent & trop éloigné pour un mal si proche, & qu’il failloit prevenir ses mauvais desseins par un duel. Par cette lettre Olympe connoist ouvertement l’infidelité de Lucidor ; & c’estoit là le premier dessein de Dorame : pour le second, le Roy luy permét de se battre ; & c’estoit ce qu’il avoit pretendu par tant de feintes, & de le faire sans hazarder sa faveur ni sa fortune. Cependant qu’il travaille dans les soins de son combat, Melinde en entreprend un autre suivant ses instructions, qui estoit d’obliger le Prince de Perse à l’aymer : mais elle y est si mal-heureuse, qu’au lieu de donner de l’amour à Lucidor, elle en prend elle mesme. Dans les élans de sa nouvelle passion elle receoit le Cartel de son Frere contre son Amant, & son esprit divisé pour tous deux ne pouvant laisser perdre l’un ou l’autre, elle fait réponse au Cartel sans le montrer à Lucidor, & comme s’il l’eust écrite luy mesme. Elle mande Dorame que la guerre estant ouverte, & luy si necessaire à son party, un Prince de sa sorte ne se pouvoit battre qu’avec une Armée, & non pas en homme privé ; qu’il ne le verroit que trop tost au front d’un Bataillon. Dorame qui n’attendoit rien moins que cette réponse, y prend son avantage ; le Roy la voit, & s’en étonne ; & Lucidor est décrié dedans toute l’Armée,où l’on prend ses raisons pour un refus. Olympe aussi en est au desespoir ; & ne pouvant souffrir l’inconstance & la lâcheté de Lucidor, ni la vanité de Dorame, elle se resout de les punir tous les deux par sa mort, en se battant contre celuy-cy en faveur de celuy-là, qu’elle ayme trop encore pour survivre à cette double perte de son honneur & de sa fidelité. A cét effect elle fait tenir à Dorame une réponse à son Cartel, & luy assigne le combat au nom de Lucidor, au coin du bois, au dessous du Château d’Eluye. Déjà Oronte n’ayant pu souffrir l’absence de son Frere Lucidor, pour le cercher avoit quitté la Perse sous un habit d’homme qui ne répondoit pas mal à son courage ; & aprés avoir fait un voyage aussi long que difficile, elle s’estoit renduë en Bythinie auprés de Pruse, sur la promesse de l’Oracle qui l’avoit engagée à cette entreprise, qu’elle avoit consulté en Perse, & luy avoit réspondu : Comme elle dormoit dans cette Forest, ayant mis bas son casque & son écu, sur lequel estoit peint son Frere ; Olympe de mesme habillée en homme passe pour aller se battre, & la prend de loin pour Dorame, qu’elle croyoit s’estre là endormy en l’attendant. Elle reconnoist bien tost son erreur, admire son visage par la force des trais qu’elle y void, qu’elle juge semblables à ceux de son Amant Lucidor, dont la peinture qu’elle treuve sur l’écu redouble son étonnement. Les transports qui l’attachent à la veuë de ces deux objets, conseillent à son desespoir de la porter à une desirable mort sous de si cheres marques ; si bien qu’avec le casque & l’écu d’Oronte elle s’en va chercher Dorame, qui la prenant pour Lucidor commence le combat contre elle. Il la tenoit à terre, & estoit déjà prest à la tuer, lors qu’Oronte y survient, qui cerchoit partout celuy qui luy avoit dérobé ses armes. Honteuse de les voir à ce coup en de si mauvaises mains, elle arrache l’écu du bras d’Olympe, & va contre Dorame qu’elle blesse, pour ne vouloir pas rendre hommage à ce portrait qu’il avoit offencé. Dorame abbatu & pensant mourir, fait reproche à Olympe sous le nom de Lucidor, de la trahison qu’il croyoit qu’on luy avoit dressée par ce tiers qui estoit survenu. Le nom de Lucidor fait courir Oronte à Olympe pour voir si c’estoit son Frere ; mais son front decouvert luy fait voir en la place de Lucidor une Fille, & à Dorame sa Maistresse. Leur étonnement est commun : Dorame connoist son malheur, & de combien son Rival luy est preferé ; Olympe charmée à l’objet d’Oronte perd aussi l’envie de mourir ; & tous deux rendent graces au Victorieux, (car Oronte est prise pour homme,) celle-cy pour luy estre redevable de la vie, & celuy-là pour luy devoir celle de sa Maistresse, à qui ce coup, dont il luy avoit esté obligé mesme en le recevant, l’avoit empesché de donner la mort. Ils se retirent tous trois au Château d’Elvye ; où Olympe ayant sceu d’Oronte que Lucidor est son Frere, en devient amoureuse ; & Dorame gueri de sa blessure l’engage à une vraye amitié par une fausse, sur l’esperance qu’il a de l’employer vers Olympe, à qui il voyoit qu’il estoit fort agreable. Il avoit encore en l’esprit une pensée plus subtile, esperant si ses desseins ne pouvoient reussir contre Lucidor, d’engager par cette amitié Oronte en son party, & d’opposer un Frere à l’autre pour se maintenir. Cét ingenieux & mauvais Amy ne manquoit pas de beaux projets, ni de pretextes pour les couvrir & les avancer ; mais le malheur sembloit avoir entrepris de les ruiner. Il introduit Oronte auprés du Roy, le jette en la faveur, afin de s’en servir plus puissamment ; mais la mesme puissance qu’il luy a donnée à la fin luy fait peur. Il l’envoye à Olympe pour luy parler favorablement de son amour ; & c’est par cette occasion qu’Olympe fait voir à Oronte qu’elle l’ayme, & que Dorame sçachant le peu de succez qu’il doit en esperer, aveugle en ses soupçons autant qu’Olympe l’estoit en sa passion, il conçoit de la jalousie d’une fille pour une autre, & prend ombrage de tous les services que luy rend Oronte. Cependant qu’Amour fait ces broûilleries dans le Camp, il en éleve d’autres dans la Ville. Melinde pensant faire voir à Lucidor sa passion dans une lettre, par mal-heur au lieu d’elle luy presente le Cartel que son Frere envoyoit à Lucidor, & qu’elle luy avoit caché. Les mouvements de ce Prince sont grands à cét objét : il se treuve trahy d’un temps du Frere & de la Sœur, haï de l’un autant qu’aymé de l’autre ; & pour se vanger de tous deux, il oblige Melinde à porter elle mesme la réponse au Cartel de son Frere, & de l’appeller au combat. C’est un effect que l’amour tire difficilement de cette mal-heureuse Amante, qui en fin quitte les interests de Dorame, pour suivre ceux de Lucidor : De cét effect en vient un autre encore plus étrange ; & Lucidor se bat contre sa Sœur Oronte, lors qu’il croyoit avoir en teste son Rival. Cette Sœur valeureuse reconnuë par son Frere justifie auprés de luy son innocence, declare que l’Oracle luy avoit promis leur rencontre en ce lieu, rapporte cette loy de Perse que j’ay ditte, & tout ce qu’elle peut luy faire excuser & agreer sa passion, qui n’a de luy que des reproches & injures pour réponse : Surquoy cette Fille outragée se porte au combat, & acheve de rage ce qu’elle n’avoit commencé que par feinte. Gelandre averti par Melinde fait une sortie pour les empécher, & n’arrive qu’apres les coups donnez, & lors que Lucidor est déjà blessé par Oronte : qui soûtenuë avantageusement des troupes de Dorame, qui tirent en campagne contre celles de la Ville, mét Lucidor en fuitte, Gelandre & les siens en déroute, & leur fait regagner la Ville sans se reconnoistre. Par ces actions nonpareilles elle remporte une gloire qui luy donne des louanges de toute l’Armée, augmente l’amour en Olympe, & l’éléve en une faveur si grande auprés du Roy, que Dorame jaloux déjà, en est ennuyeux tout ensemble. Ses soupçons & son desespoir s’augmente de beaucoup à la rencontre de Lycanthe, de qui il avoit gagné l’esprit & l’affection, comme d’un homme qui luy pouvoit grandement servir, en qualité d’Escuyer & de Confident d’Olympe. Cettuy-cy luy montre une lettre de sa Maistresse à Oronte, si pleine de caresses & d’amour, que Dorame asseuré de leur intelligence autant par cette lettre que par ce qu’il voit en suitte de leurs actions, que son aveuglement luy fait voir autres qu’elles ne sont en effect, donne charge à Lycanthe de prendre Oronte à main forte & de l’assassiner. Ce dessein criminel luy reussit aussi peu que les autres : Oronte est attaquée dedans la Forest d’Elvye par Lycanthe & trois de ses complices : ils y demeurent tous ; & cette valeureuse Fille blessée en divers endroits tombe à la fin sur le corps de son Page mort. Melinde amoureuse à l’extreme, aprés le combat de Lucidor contre Oronte, se voyant pressée avoit declaré le fond de tous les desseins de son Frere : surquoy Lucidor indigné l’avoit fait mettre dans une prison ; & pour ruiner tout à fait Dorame avoit envoyé querir du secours en Perse, qui venoit déjà à grandes journées, & mesme le Roy en personne. Pendant la prison de Melinde ; Gelandre qui en estoit amoureux, mais qui avoit caché sa passion, de respect qu’il portoit à Lucidor qu’il croyoit avoir de l’amour pour elle ; voyant la scenne libre de ce côté là, méprise la perte de son Estat pour acquerir Melinde qu’il delivre de prison, afin de luy donner un témoignage de l’amour qu’il luy portoit. Oronte que Nepoleme avoit rencontrée, allant cercher Lycanthe de la part d’Olympe, à peine guerissoit de ses blessures, que Dorame l’appelle pour se battre, estant venu par le commandement du Roy la treuver au lict pour la consoler. Cette Fille aprés mille preuves de son aveugle amitié, ne luy voulant pas declarer son sexe propre, & n’osant dementir celuy qu’elle avoit emprunté, se bat par force contre ce mauvais Amy ; qu’elle desarme sans dessein, luy ayant fait tomber l’épée par un coup qu’il reçoit dedans la jointure de la main, pour s’estre luy mesme jetté entre ses armes. Déjà les Persans estoient arrivez ; & Lucidor allant treuver son Pere au rendez-vous qu’ils s’estoient donnez en ce lieu pour se voir & parler ensemble, s’estoit tenu caché tandis que Dorame & Oronte s’y battoient. Il voit comme aprés ce coup Oronte assiste Dorame, le mene sous un arbre, luy demande pardon de cét outrage, & pleure sur sa playe. C’est ce qui le fait approcher pour les ouyr ; mais il ne se peut empécher de dire injure à ce Prince vaincu en l’estat mesme où il le voit, & de luy faire honte qu’une Fille l’y ait mis. Oronte ne peut souffrir les injures que l’on donne à son Amy ; elle se bat contre son Frere qu’elle haïssoit à l’heure autant qu’elle l’avoit aymé ; & Dorame ayant reconnu qu’Oronte est une Fille, tout étonné & tout sanglant se mét entr’eux deux pour les separer. Le Roy de Perse arrive sur ce faict, reconnoist son fils Lucidor, le veut secourir contre Oronte ; qui se jettant à ses genoux luy demande pardon, & luy fait voir qu’elle est sa Fille. Le Pere est tout confus, & se plaint contre ses enfans, de les avoir treuvez en cette sorte prest à se tuer l’un l’autre ; rendant graces à Dorame de les avoir separez, & luy donne un pardon qu’il luy demande de sa faute sans l’avoir connuë. Depuis ce temps le Roy de Perse veut tant de bien à Dorame, à cause qu’il l’avoit veu s’opposer au meurtre de sa Fille ou de son Fils, que pour reconnoissance de cette action il luy accorde Oronte en mariage, aprés que par le moyen de ce Prince s’estant veu & accommodé avecque le Roy de Thrace, sur une paix commune Olympe est jointe à Lucidor. Dorame avec Oronte prend aussi le Royaume des Medes, & renonce à ses pretentions dans la Bythinie en faveur de Gelandre ; qui pour accomplir la paix & la joye possede Melinde, & au milieu du desespoir se voit élevé & compris au nombre des heureux Amants. FIN. A la fin des travaux d’un triste & long voyage, Doy-je remercier les Dieux, ou cette Image ? Les Dieux ? Je n’en sçaurois adorer que ces yeux ; Qui font honte aux objects qu’on voit dedans les Cieux ; Je porte, beau portraict, en ma triste avanture Tout mon mal en effect, & mon bien en peinture : Si tu me fais languir, réponds à mes sanglots, Ouvre moy cette bouche, ou tiens ces beaux yeux clos ; Un mot empéchera qu’icy je ne perisse ; Si les uns font le mal, que l’autre le guerisse. Quoy ? Tu ne réponds rien, tu n’agis seulement, Homicide Portraict, qu’à donner du tourment ; Si je n’estois ta Sœur, tu cherirois Oronte, Quand je rougy d’amour, tu rougis de ma honte. Ferme doncque ces yeux, ouverts à mon malheur, Cache tout cet éclat qui nourit ma douleur ; Je verray sans rougir cet object qui me domte, Quand il ne verra plus ma fureur ni ma honte. Erreur de mes esprits ! Pensers fallacieux ! Vous luy cachez ma flame, & la montrez aux Cieux : Luy cacher ? & comment ? si lors que je l’appelle Ce nom de Frere aymé l’offence, & me decéle : Ah ! Nature marâtre ! Amour, cruel Enfant ! L’un m’ordonne d’aymer, l’autre me le deffend ;  Mais, pour les accorder devant cette peinture, Mets le bandeau d’Amour sur les yeux de Nature. Comme si l’on pouvoit aveugler la raison ? Je me flatte moy mesme, en prenant du poison ; Tout le monde connoit mon étrange manie, Et prés de Lucidor je la cache, ou la nie ; Pour luy j’ay traversé les Païs étrangers, Et je crains de le voir aprés tant de dangers. Retourne sur tes pas, Ame lâche & timide, Fay mentir aujourd’huy l’Oracle qui te guide ; C’est luy qui t’a promis de rencontrer icy L’object de ton amour & de ta honte aussi, Luy qui t’a fait quitter & Parents & la Perse ; Songe au bien qu’il te garde après tant de traverse : Dans la forest d’Elvye, après estre guery Ton cœur obligera Pere, Frere, & Mary. Quel Oracle plus doux ? Quel bon-heur plus extréme ? En voicy la forest, en voicy le lieu mesme, Où Lucidor mon Frere, en se rendant plus doux, Me servira de Pere, & sera mon Epoux ; Voilà, certes, voilà le sens de cét Oracle : Attends donc en ce lieu l’effect d’un tel miracle, Ton voyage, ton sort est icy limité. Non, fay ceder l’espoir à la timidité ; Si les aisles d’Amour ayderent ta poursuitte, Prends celles de la peur & te mets à la fuitte, D’un contraire dessein fuy ce que tu cerchois ; Pour reculer ainsi doncque tu l’approchois ? O Dieux ! que mes desirs épreuvent de contrainte ! Que je souffre d’amour, & que je sents de crainte ! Que le sort est cruel qui m’a tant fait courir, Et qu’il m’obligeroit s’il me faisoit mourir ! De foiblesse & d’Amour je me sens combattuë, L’une attend du repos lors que l’autre me tuë : Sommeil, ôte à mes yeux un objét si charmant, Ils s’en vont dans mon cœur pour le voir en dormant ; Si ce repos est loin des faveurs que j’espere, Dieux, envoyez la Sœur en la place du Frere. Dis-tu qu’il est parti, qu’on ne l’a sceu treuver ? La crainte & le danger l’auront fait esquiver ? J’ai couru sur ses pas, j’ay sa piste suivie, Visité tout le Camp, tout le Château d’Elvye : Mais ainsi qu’un fantôme, un spectre decevant, Cet Homme, aprés l’Appel, s’est perdu dans le vent. Qu’il échappe ; du moins ce Cartel me demeure, Qui m’assigne au combat le lieu, la forme, et l’heure : Va, retourne au Château ; député de ma part Excuse auprés d’Olympe un si soudain départ, Surtout, dans sa Maison tiens l’affaire couverte. Oter à ma vertu l’occasion offerte ? Suis-je pas, dans l’honneur qu’on ne me peut ravir, Comme de qualité, de cœur à vous servir ? Avoir tant d’autres fois recerché ma franchise ? La mépriser au temps qu’elle vous est acquise ? N’offencez point ainsi ma nouvelle amitié, Qui resistant aux dons se rend à la pitié. Doncque tu viens à moy, quand le sort m’abandonne ? Ton cœur n’esperant rien, c’est alors qu’il se donne ? La faveur ni mes biens n’avoient pû t’émouvoir, La vertu plus que l’or a sur toy de pouvoir ; C’est entrer au Vaisseau, quand tu vois le naufrage ; Ah ! vrayment, chér Amy, j’estime ton courage ; Mais modere l’ardeur dont tu m’as conjuré, Ne me dispute point un triomphe asseuré, Ne méle pas tes soins parmy si peu de peine ; Ce duel me promet la victoire certaine ; Lucidor que j’attends me fera peu de mal ; Ah ! je crains ma maîtresse, & non pas mon Rival ; Je tiens le sort de l’un au bout de mon épée ; L’autre de mille traits a mon ame frappée, Et quelque si grand Dieu qui me vinst secourir, Olympe a des mépris qui me feront mourir : C’est en quoy seulement je desire qu’on m’ayde, Où mon espoir est vain, & puissant ton remede. Grand Prince, vous pouvez disposer de ma foy, Qui me tiendra constant à suivre vostre loy : Olympe ne sçauroit m’estimer infidele, Car en faisant pour vous je croy faire pour elle ; Attaché par ma charge au bien de sa maison, Croyez que je le suis bien plus à la raison ; Je regarde en vous seul tout l’espoir de la Thrace, Autre ame de mon Roy, le premier en sa grace, Qui tenez les ressorts d’une entiere faveur. Pour reconnoitre un jour ton zele & ta ferveur : Lycanthe, en un poinct seul oblige ma fortune, Si tu la veux avoir avecque moy commune ; Epargne ta valeur, je ne la cérche pas ; Il n’est icy besoin que de feinte & d’appas : Gagne l’esprit d’Olympe, & fait moy cét office D’employer à mon bien les soins & l’artifice, Qu’elle n’ait de secrét qui ne me soit ouvert, Que j’agisse en son cœur par un Amy couvert ; Aprés……         Je crains pour vous quelque accident funeste. Mon courage & ce bras acheveront le reste : Que crains-tu ?         De vous voir sans crainte, & sans raison Flatter vostre malheur & sucrer un poison ; Lucidor plus heureux est seul en sa pensée. Aprés qu’elle s’en tient vivement offencée ? De plus, ne suis-je pas tout prest à le punir ? Il faut vanger Olympe, afin de l’obtenir, Vaincre l’une d’amour, l’autre de force ouverte. Et sa haine s’augmente encore par sa perte ? Tel qui s’est plaint d’un tort, se plaint d’estre vangé ; La perte d’un Amant….         Plaist ; quand il a changé. Plustost rend odieux ceux qui nous l’ont causée : Le Roy l’ayme.         Et permét à ma force opposée De combattre un Tyran qui posseda son cœur, Et qui le doit bien tost rendre à ce bras vainqueur. Le hazard sera grand.         Et plus grand mon courage. Il a de la valeur.         Et j’en ay davantage : Enfin je touche au but cerché depuis long-temps, Qui peut rendre mes vœux glorieux & contents. Te diray-je un secrét d’une importance extréme, Dont je n’ose quasi me fier à moy-mesme ? Ouy, t’ayant à ce poinct fidele reconnu, Lycanthe, je te veux montrer mon cœur à nu. L’Asie entiere sçait notre siege de Pruse ; Mais apprends aujourd’huy que ce n’est qu’une ruse, Que dedans le secrét, cette guerre est un tour De mon ambition, comme de mon amour. L’effort m’avoit déja ravi la Bythinie, Et le droict que Gelandre à mes titres dénie, Ce Parent qui détient encore mon Estat, M’avoit presques oté le nom de Potentat : Battu, forcé, perdu, chassé de ma Province, Je treuvay mon refuge auprés de vostre Prince, Roy qui fait de la Thrace un Temple aux afligez, Et ses Sujéts de ceux qui lui sont obligez ; Je conte les moments par ses graces receuës, Et quand je les tairois un chacun les a sceuës ; Je faisois dans mes mains reluire ses bien-faits, Qui surmontoient l’envie autant que mes souhaits ; Ayant gagné le Pere, il me gagna la Fille ; Tu connus nos amours, toy seul de sa famille : Je goûtois dans la Thrace, aprés un long effroy, Et l’amitié d’Olympe, & les faveurs du Roy ; Ma fortune sembloit avoir changé de face, J’estois, aprés le Roy, le plus puissant de Thrace ; Gelandre n’attendoit de mon sceptre usurpé Qu’à rendre le Pays qu’il avoit occupé : Lucidor en ce temps me vint à la traverse Sous le superbe nom de fils du Roy de Perse ; Sa qualité rendoit notable son sejour, Mesme, au lieu de la faire, on lui faisoit la Cour ; C’estoit l’ame du Roy, le cœur de la Noblesse : Ah ! fâcheux souvenir, dont la honte me blesse ! Sa grandeur offusqua la mienne à son abord, Chaque jour l’élevoit, & rabaissoit mon sort ; Le Roy tint quelque temps sa faveur partagée ; Mais la fille se vit dans l’amour engagée, Olympe, qu’on croyoit destinée à mon choix, Quitta mon amitié pour entrer sous ses loix ; Le Roy mesme, ébloüi d’une telle fortune, Tint sa recherche heureuse, & la mienne importune : La Cour en toute forme, & sous mille couleurs ; Me parlant de son bien m’enseignoit mes malheurs ; Son destin rompoit l’art, & passoit ma science ; Je prevoyois ma mort, chacun leur alliance ; Et les loix du Païs murmuroient sourdement Du joug que luy tendoit ce fatal changement, Où Lucidor prenant un droit hereditaire A la Perse rendroit la Thrace tributaire : Lors j’avisay de rompre un coup si perilleux, Par un effort d’esprit subtil & merveilleux. Ne me retenez plus sur ce poinct en haleine ; Que vous avez de grâce à conter vostre peine ! Vous me rendez nouveau ce que j’ay veu passer, Quand vostre esprit ainsi me le vient retrasser ; Que mes yeux sont jaloux du bien de mes oreilles ! Ecoute, & les prepare à bien d’autres merveilles. J’aborde Lucidor, je le tire en secrét, Et par un feint soûpir, témoin d’un faux regrét En luy parlant des yeux, sans qu’il pûst rien comprendre, Je le rends malheureux avant que de m’entendre ; Je parle & me retiens, afin de l’attirer, Et ma feinte le fait sans fainte soûpirer : Je luy dy qu’à ce jour il connoistrait Dorame, Qu’on dressoit contre luy sourdement une trame ; Puis la luy declarant & cachant à moitié, Je faignois un combat de crainte, & d’amitié : Il m’ouvre son esprit, j’entre en sa confidence : Lors je rends grâce aux Dieux, à cette providence Qui m’avoit decouvert le dangereux dessein Que le roy contre luy couvoit dedans le sein : Fuyez, Prince, fuyez l’embusche qui vous dresse Pour lict une prison, un tombeau pour Maitresse ; Le Roy (luy dis-je) a sceu que vos secrets efforts Meditoient d’enlever Olympe de nos bords, Et ce fâcheux soupçon qu’en son cœur on imprime Previendra le dessein, & punira le crime. A ces mots il pâlit ; & d’un songe inventé Je tombay par hazard dedans la verité ; C’estoit, (mais qui l’eust creu ?) de vray son entreprise : Il l’avoüe ; & j’ajoûte, aprés l’avoir apprise : Vostre amour combattant les loix de ce Païs, D’eux mesmes vos desseins par là se sont trahis ; Le Roy vous ayme en Prince, & vous craint pour son Gendre ; Vostre crime est connu, l’on n’attend qu’à vous prendre ; C’est ce que dans demain l’on doit mettre en effect : Mais que n’a pû souffrir un Amy si parfaict, Qui vous offre à la fuitte un azile, ou la porte. Cela vous engageoit.         Et l’obligea de sorte, (Ma feinte prit aussi cét empire absolu,) Qu’il s’est porté depuis à ce que j’ay voulu. Dans ce chemin subtil où les destins me mirent D’un dessein j’en fis trois, & tous trois reüssirent ; De le perdre, & Gelandre où je mis son appuy ; Et d’étouffer l’amour qu’Olympe avoit pour luy. A ce dernier effect Melinde ma Sœur mesme, Avec ordre secrét, servit au stratagesme : Je l’offre à Lucidor, afin qu’en seureté Il fust conduit au lieu que j’avois projetté ; Mais le dessein estoit bien autre en nos pensées : Et comme je faignois les affaires pressées, Fuyez, repris-je, allez chez un Prince voisin, Tirez en Bythynie où regne mon Cousin. Il n’est point de retraite à l’heure qu’il refuse ; Il me presse au départ, je l’envoyay dans Pruse : En ce lieu, sous couleur d’un refuge apparent, Je minutois sa perte, & celle d’un Parent : Gelandre le receut ; & ma Sœur bien instruite A l’un servit d’ôtage, à l’autre de conduite : Une lettre asseuroit Gelandre de ma part Que son bien & le mien naistroient de ce hazard, Que je luy cederois l’entiere Bythinie Quand on verroit Melinde à Lucidor unie ; Que ce Prince l’aymoit, & ne quittoit la Cour Que pour fuir Olympe, & suivre une autre amour, Que l’importunité de la Fille & du Pere Luy faisoit voir ma Sœur plus aymable & plus chere. Il le creut aisément ; & Melinde par fois Luy confirmoit à part le tout de vive voix ; Et d’autres fois aussi, de mes vœux informée Caressoit Lucidor, tâchoit d’en estre aymée. Cependant que ma Sœur les tient dans cette erreur, La Cour grossit de bruit, Olympe de fureur ; Je m’écrie à la force, & ma plainte élevée Soûtient que Lucidor a ma Sœur enlevée : Je me riois de voir le Peuple dans les cris, Olympe au desespoir, & le Roy tout surpris Il creut que ce complot offenceoït sa puissance, Qu’il devoit reprimer une telle licence : Gelandre est menassé ; je l’asseure sous main ; On l’assiege ; il soûtient ; & l’on travaille en vain. Quelle fin vous promét cette guerre couverte ? Gelandre & mon Rival dans une mesme perte, Voila par tant de feinte où va tout mon desir ; Tous craignent cette guerre, & j’en fay mon plaisir. Vous m’élevez l’esprit à d’étranges pensées. Suy le mien, qui te peint les affaires passées. Ma sœur, (c’estoit mon ordre,) au temps où je voulois M’écrit que Lucidor la tenoit sous des loix, Dont la severité jointe à son insolence Yroit dans peu de jours jusqu’à la violence ; Pour sauver sa pudeur, & pour le prevenir, Que sans plus seul à seul je devois le punir ; Qu’en épargnant ses vœux & les bras d’une Armée, D’où viendroit son salut, viendroit ma renommée : Olympe par ces mots receut un coup mortel ; Et le Roy tout confus me permét le Cartel. Quel combat plus heureux ? qui devant la disgrace Hazardoit ma faveur, & m’éloignoit de Thrace ? J’addresse avec avis le Cartel à ma Sœur, Pour le montrer sans bruit à ce feint ravisseur : Lucidor me répond ; quelque rang que je tinse, Qu’il vivoit en Soldat & combattoit en Prince, Que je le pourrois voir au front d’un Bataillon Où l’honneur plus parfait serviroit d’aiguillon. Depuis, sa lâcheté fait que je le decrie, Ce procedé honteux a sa gloire flétrie : Toutefois aujourd’huy venu dans ce Château Qui fait une couronne à ce petit côteau, Et qu’Olympe a choisy pour retraitte fidelle, J’ay receu ce billet où ce Prince m’appele ; Sa valeur hors de temps fait un dernier effort, Mais il ne vient toûjours que trop tost à sa mort. Donc tandis que je vay mettre fin à l’orage, Que ta fidelité seconde mon courage Qui resigne à toy seul ma vie, & mon secrét. Cét honneur infini l’est moins que mon regrét D’avoir les bras liez à ce noble service. Me servir prés d’Olympe est un meilleur office : Allons d’un mesme temps travailler à mon gré ; Toy dans son Cabinét, & moy dessus le pré. L’un m’est aussi honteux que l’autre est honorable. Tout service est d’honneur, qui nous est favorable. Lucidor me trahir ? me promettre la foy, Pour enlever Melinde, & se moquer de moy ? Refuser un combat, & reduire en fumée Aussi bien nostre amour, comme sa renommée ? Qu’il souffre cette honte ; & moy son changement ? Qu’on étaigne sa gloire, avant mon jugement ? Non ; j’ayme encore trop l’Ingrat, & l’Infidelle, Parmy tant d’Ennemis seule je tiens pour elle ; Sa lâcheté m’inspire un dessein genereux, Et sa flâme en mourant a redoublé mes feux : Admire, Lucidor, qu’une Fille offencée S’arme pour un Amant, bien qu’il l’ait délaissée ; Regarde une Princesse au milieu des hazards, Et tous les traits d’Amour changez en ceux de Mars : Cette main delicate, autrefois occupée A tenir un miroir, ose prendre une épée ; Un chapeau sans respect cache & n’épargne pas Ces cheveux où la grâce étalloit ses appas, Qui s’en plaignent, honteux d’estre mis en servage, Eux, qui tendroient des rets au plus libre courage ; Leurs nœuds prétoient par onde un ombrage à ce front, Qui n’a plus que celuy que ces plumes luy font ; Mon sein que le Zephyr n’auroit touché qu’en crainte Attend d’un fer cruel une mortelle attainte ; Un rival odieux déployra son couroux Sur un cœur, qui ne dûst recevoir que tes coups ; Et qui fera bien voir, mourant pour ta deffense, Que ta seule rigueur est le coup qui m’offense. Insensible, tu dors, quand je veille pour toy ; La perte de l’honneur suit celle de ta foy : Soule toy de plaisirs dedans le sein d’une autre, Joüy de son amour, & méprise la nostre, Méle son infamie avecque mon mal-heur, Perds l’esprit & les sens ; mais sauve ta valeur : Lucidor appellé, (Dieux ! qui le pouroit croire ?) De peur de me gagner, laisse perdre sa gloire ; Ton Rival orgueilleux ne se peut contenir ; Viens, sinon pour me plaire, au moins pour le punir ; Songe à tes interests, méts les miens hors de comte, N’écoute point mes cris, considere ta honte, Que ton honneur se plaint. …Mais c’est parler au vent ; Il demeure perfide & sourd comme devant : Allons, Olympe, allons où la gloire l’appelle, Sacrifier mon sang à sa propre querelle, Mourir pour un ingrat, un traître, un inconstant. Que voy-je ? n’est-ce pas son Rival qui l’attend ? Sus, sus ; debout, Dormeur.         O la merveille étrange ! Au lieu d’un Ennemy de rencontrer un Ange ? Que ce visage est beau ! que j’y voy de rapport A celuy d’un Ingrat qui me cause la mort ! Je sents à cet objét ma passion renaistre, Sous des trais innocens j’adore encore un traitre : N’estiez-vous appelez, mes yeux, qu’à ce combat ? Est-ce donc un duel, & comme l’on se bat ? Que cette guerre est douce ! ô Dieux ! Mais qu’elle est forte ! Je sens bien d’autres coups que sa beauté me porte ; Que les trais sont plaisans d’un si bel Ennemy ! Et qu’il sçait bien blesser, quoy qu’il soit endormy ! Mais Dieux ! à cet objét que le destin m’envoye Doy-je mourir icy de douleur, ou de joye ? Luy reprocher un mal que Lucidor m’a fait ? Ne voir qu’un faux visage, & l’aymer en effet ? Je t’adresse pourtant & ma plainte, & ma flame, Tu parois insensible, & tu m’arraches l’ame ; Voy les coups que tu fais contre ma liberté ; Perdray-je ainsi mon cœur sans l’avoir disputé ? Je ne détourne pas le cours de ta victoire ; Mais fay moy resister, pour accroistre ta gloire, Tâche un peu de gagner ce que je tiens vaincu. Quel autre Ange dépeint voy-je dans cet Ecu ? O Dieux ! c’est mon Amant, c’est Lucidor luy mesme ; Aprés ce que j’ay dit merité-je qu’il m’ayme ? Son portrait en rougit, & semble m’accuser ; Pardon ! …Las ! on diroit qu’il me veut refuser ; Il ne me parle point, & j’entends sa menasse, Qui me reproche un crime où mesme il me surpasse : Arreste ; mon peché n’est pas encore fait, Il demeure en pensée & le tien en effect ; Ta perfidie a mis l’inconstance en usage ; Moy, si j’en ayme deux, ce n’est qu’en un visage ; Icy je voy ta bouche, & ton front, & tes yeux ; Voilà tout mon peché, je t’adore en deux lieux : Je meurs en mesme temps, ô rencontre ennemie ! Pour une beauté peinte, & pour une endormie. Mais d’où pouroient venir ce corps, et ce portraict ? Qui me percent le cœur presque d’un mesme trait ? Ne dors tu point, Amour, sous une forme humaine ? Vis tu point, Lucidor, en ta figure vaine ? Simple, & tu n’entends pas la volonté du sort, Qui ne te mét aux yeux que des objéts de mort ; Pour qui ces feux nouveaux, & pour qui tant de larmes ? L’un insensible aux pleurs, l’autre l’est à tes charmes : Va, poursuy ton dessein ; mais pour l’achever mieux Mets au bras cét Ecu, ce Casque sur tes yeux : Ou ces Armes en fin pouront forcer les Parques, Ou je mourray contente avec ces cheres marques. Doux charmeur, n’es-tu pas, ô sommeil gratieux, L’image du repos qu’on goûte dans les Cieux ? Si les soins, les travaux sont l’enfer où nous sommes, On te doit bien nommer le Paradis des hommes : Que ce relâche est doux, aprés tant de soucy ! Un Dieu voudroit ma peine, & reposer ainsy. Et toy, divin portrait…..         Ah ! mon sang est de glace ; Je le cherche des yeux, & ne voy que sa place : Parlez, Arbres, Rochers, vistes-vous l’enlever ? Transports, rages, fureurs, faites-le moy treuver. Helas ! je cherche en vain ; & ce qui plus me trouble, Pour me tuer deux fois ce larcin paroist double ; Mon Casque suit l’Ecu. Vous qui les emportez, Fuyez, hommes ou Dieux, dans ces bois écartez ; Le sensible sujet de mon nouveau martire Vous éloignant de moy, c’est où plus il m’attire : Mon casque suit l’ecu : Mais un foudre mortel Va suivre le Voleur jusques dessus l’Autel : Fust-il entre vos bras, faux Dieux, Images vaines ; Vous, & luy, répondrez du crime, & de mes peines ; Partout je veux épandre et ma rage, et mon fiel, Et si la Terre est peu, je combattray le Ciel. Dieux, imprimez en nous l’espoir de vos miracles ; Vous estes aussi faux que le sont vos Oracles ; De peur on vous adore, & non de volonté, Vous n’avez de soucis non plus que de bonté ; Vos faveurs sont du vent, vos promesses un songe ; Nous achetons nos maux, vous vendez le mensonge ; Les douleurs & la mort sont fruicts de vostre amour, Et vous nous punissez en nous donnant le jour. Ainsi dessus les lieux destinez à ma joye A tous les trais du sort vous m’exposez en proye ; M’aviez-vous pas promis qu’à l’endroit où je suis Je treuverois mon Frere & perdrois mes ennuis ? Menteurs, vous me joüez dedans vostre imposture, Vous promistes le corps, & m’ôtez la peinture, Et de tout cét espoir si long, si decevant Vous me laissez icy des plumes, & du vent : Sommeil injurieux, dont le repos funeste… Ah ! mets, sans discourir, ce chapeau qui te reste : Helas ! que cét etat me semble different ! Et qu’un sort me rend mal ce qu’un autre me prend ! Mais cherchons mon Portraict en ceste Forest sombre, Consultons les Echos, ces cavernes, & l’ombre : Je regle mes desirs, Dieux, moderez mes maux ; Retenant mon vray bien, au moins rendez le faux. Je suis au rendez-vous, enfin voicy la place Qui doit finir ma peine, & montrer mon audace ; Que le sort me verra contente de mourir ! Qu’un Dieu m’offenceroit, s’il m’osoit secourir ! Dedans ce desespoir où l’amour m’a jettée Ma mort de deux Amants se verra regrettée ; Le remors à tous deux doit presque estre tout un ; Je meurs pour un Perfide, & pour un Importun ; Je me vange sur moy de tous les deux ensemble ; Leur commune fureur à ma perte s’assemble ; Et comme entre eux le sort égale la rigueur, L’un percera mon sein, l’autre perça mon cœur : Quel sera leur regrét, connoissant que ma vie Fut offerte pour l’un, & par l’autre ravie ? Leur creve-cœur sera plus grand que mon mal-heur. Mais, Dieux ! comme le Ciel seconde ma douleur ! Ce Casque estoit fatal, que le destin me laisse, Il couvre mon visage, & l’Ecu ma foiblesse ; Le hazard fit pour moy plus que mon jugement ; L’impatience jointe à mon aveuglement Ne m’eust produite icy que pour estre connüe Aux marques de la voix, des cheveux, de la veuë : Dorame…         Ah ! le voicy ; mét la visiere en bas ; Parle peu, rends plus grave & ton geste, & tes pas. Tu réves, Lucidor ; il n’est plus temps ; approche. Temeraire, insolent.         Laissons là tout reproche : Je demande du sang, & non pas des discours. Moy, je veux en ta mort signaler mes amours. Dieux jaloux, seriez-vous riche de ma dépoüille ? Terre, pour la treuver, faut-il que je te foüille ? Invisibles Tyrans, craignez-vous mon pouvoir ? Faut-il qu’un Ennemy me perde sans le voir ? Mais quel bruit ? Tout resonne ; un foudre en ces allarmes Frappe….         O Dieux ! un voleur qui combat sous mes armes ; Qu’il sçait mal s’en servir ! il tombe, il est vaincu ; Voicy, traître, voicy le bras à cét écu : Quoy ? si peu de respect ? frapper sur cette Image ? Cavalier, qu’on luy rende ou la vie, ou l’hommage. Un tiers ? un Assassin ? ah ! quelle trahison ! Ton sang pour l’adorer, sortira de prison ! Ah ! je tombe blessé ; ma trame est desourdie : Et tu vis, Lucidor, aprés ta perfidie ? Dieux ! seroit-ce mon Frere ? à ce nom que j’entends Que tardez-vous mes yeux de vous rendre contents ? Voyons…..         Ma main s’arreste à cette longue tresse ; Et quoy ! c’est une Fille.         O Dieux ! c’est ma Maistresse. Je rougy plus de honte, Olympe, que de sang ; Prenez, tirez ce cœur, je porte ouvert le flanc ; Vos yeux par cette playe arracheront mon ame : Trop heureux Lucidor ! miserable Dorame ! Que l’un est bien vangé ! que l’autre est bien puni ! Ah ! Princesse ; je meurs, de vos graces banni. Non, je ne voy qu’en songe une telle merveille ; O sauriez-vous, mes sens, m’asseurer que je veille ? Beaux yeux, portez ma plainte à son cœur endurcy, Dites luy que mon sang luy vient crier mercy ; Mon esprit abbattu d’une douleur trop vraye, Pour demander pardon, fera parler ma playe ; Ou s’il faut excuser ce qui me fait horreur, Reponds seul, ô destin, qui causas mon erreur. Non, Dorame, c’est moy, c’est ma flame constante, Qui malgré Lucidor s’oppose à ton attente ; Que sert de te cacher mes amours aujourd’huy ? Tu soûpires pour moy, je soûpire pour luy ; Dans son defaut de cœur j’ay montré mon courage, Et rendu mon amour plus forte que l’outrage ; Parmy tous les dépits qui devroient m’animer Je ne le puis haïr, & ne te puis aymer : Ouy, je t’ay faict venir moy-mesme en cette place, Pour soûtenir sa gloire, & rompre ton audace ; J’eus soin de son honneur dedans sa lacheté ; On n’ayme pas un bien, sans l’avoir acheté : Tu l’appelles ; il fuit ; & je le represente, Je recherche ma honte, afin qu’on l’en exemte ; Encore que l’Ingrat soit indigne du jour : Apprends, à mon exemple, à supporter l’amour. Cruelle, qui donnez ces loix à mon envie, Enseignez donc aussi l’art de souffrir la vie ; Ne mourir qu’à demy, c’est mourir mille fois. Imite qui te donne & qui souffre ces loix ; N’ay-je pas plus que toy de douleur & de peine ? Car je ne te hay point, & j’endure sa haine. Ainsi donc sans pitié vous me verrez perir ? La pitié nuit au mal qu’elle ne peut guerir. Mais vous, de qui les yeux admirent nostre histoire, Qui me sauvez la vie, & donnez la victoire ; Puis qu’un destin m’oblige à vous si cherement… C’est flatter mon offense ; ah ! traitez autrement Une main…..         Que le sort me rend icy propice. Et qui m’a par mon sang tiré d’un precipice, Où ma fureur tomboit, Ma Dame, en vous blessant. Que mon bras soit humain, et mon cœur innocent ? Qui sont les Criminels ?         C’est l’amour ; c’est nous mesmes ; Pardonne luy ce coup, Dorame, si tu m’aymes. Coup, par qui je luy suis à jamais obligé ; Que j’estois malheureux, s’il ne m’eust affligé ! Et le mal peut tirer cette reconnoissance ? Le moyen de la rendre excede ma puissance. Mais ce Prince pouroit se plaindre de vos coups, Si vous luy refusez vostre ayde parmy nous : Tandis que l’on prendra le soin de sa blessure, Nous sçaurons vostre nom, comme vostre avanture, Quel sujét vous ameine inconnu parmy nous, Si c’est là Lucidor…….         Son cœur en est jaloux, Ce Tyran de mon ame.         Helas ! & de la mienne : Elle augmente ma playe en confessant la sienne. Où m’avez-vous reduite, espoir, ambition ? Que le sort répond mal à mon intention ! Cét Amant assiégé, que je perds, & que j’ayme, Dans sa captivité triomphe de moy-mesme : Que te servent ces pleurs qui nourissent tes feux ? Plus tu veux échapper, plus tu serres tes nœuds ; Melinde, apprends qu’Amour dans l’obstacle s’irrite, Et que l’obeïssance aura lieu de merite ; Les trais de Lucidor, ouy, te feront perir ; Mais quel bon-heur plus grand que celuy d’en mourir ? Mon Frere, apprends l’effect de ta vaine entreprise, J’ay taché de le prendre, & je me treuve prise ; Amour avecque luy combattoit dans ses yeux ; Que pouvoit une Fille, helas ! contre deux Dieux ? Je resistois pourtant, mais toutefois de sorte Que c’estoit malgré moy que j’estois la plus forte ; Sa grace dans mon cœur, lasse à le disputer, Disoit (rends toy, Melinde :) il n’osoit l’écouter : Lors, comme pour vanger une injure soufferte, Je voyois ses appas s’animer à ma perte : En fin je fus vaincuë, & ce fatal sejour De l’objét de la haine en fit celuy d’Amour. Qu’on tienne par dehors cette Ville assiegée, Je me treuve au dedans bien plus fort engagée ; Nous supposions, Dorame, un violent effort, Que tu sçauras bien tost veritable en ma mort : Qu’on me forcer en effect, & par feinte l’écrire ? Publier un faux mal, & taire un vray martire ? N’est-ce pas rencontrer une punition Entre ma retenuë & ma presomption ? Moy-mesme j’ay cerché ma peine legitime, L’ambition me donne à l’amour pour victime ; Lucidor a tourné contre moy mon dessein, Je luy portois un coup qui revient dans mon sein. Quelque reste d’espoir m’a conseillé de mettre Mes desirs & mes feux dépeints dans une lettre : Ce langage est muét, la bouche diroit mieux ; Mais quoy ? je crains l’oreille, & le renvoye aux yeux ; Et s’il faut que ce mot treuve un esprit farouche, Ma main pare l’affront dont rougiroit ma bouche ; C’est d’elle que ma honte implore ce devoir ; Ce que l’on n’ose dire, il le faut faire voir : Helas……     Vous soûpirez.         Ajoûtez pour vous mesme. Pour moy ? qu’entends-je ? Amour, croiray-je qu’elle m’ayme ? La longueur de ce siege, & vos travaux soufferts Me font presques hayr Lucidor, & mes fers. Hayssez seulement cette humeur inconnuë, Qui dérobe à nos yeux depuis peu vostre veuë ; Par dessein nous fuir, et presque vous cacher C’est……         Bien moins de rigueur, qu’à vous de me cercher : Mais vous riez, Gelandre ; aprés m’avoir surprise….. Dans une passion, que je n’ay pas apprise ; Des soûpirs toutefois, malgré l’ame passez, Mesme cette rougeur me la découvre assez : Parliez-vous pas d’amour seule en vostre pensée ? Celle de Lucidor sera fort avancée ? Comment s’entretient-il en sa double prison ? Comme un blessé, qui voit, & fuit sa guerison ; Il méprise la paix, & s’attache à l’injure, Il m’ayme :         Ah ! que l’effect dément mon imposture ! Il brûle ; mais il veut, qu’un superbe laurier Témoigne au Roy qu’il est digne Amant & Guerrier ; Mon Frere à ce dessein fomente cette guerre. Qui me remplit de crainte, & ruine ma Terre. Mais qui reparera vos pertes en un jour. Madame, redonnez ses aîles à l’Amour ; C’est trop entre des murs tenir un Dieu qui vole. Il reste à nostre accord encore une parole. Que vous devez donner à cét heureux Amant ? Dittes moy, n’est-ce pas vostre consentement ? Fuirez-vous un lyen, que Dorame autorise, Que nostre espoir attend, que le Ciel favorise ? Je prends ce mesme Ciel à témoin de mes vœux Que sa plus grande flame est moindre que mes feux ; Mais un poinct,         Qu’à cette heure il vient luy mesme entendre..… M’oblige à vous quitter.         Et moy donc à l’attendre. Confus, desesperé, tout malheur me poursuit ; Dorame, Olympe, Amour, où m’avez-vous reduit ? Parlez… Mais quel besoin ? vostre commun silence Vous accuse envers moy de trop de violence. Ah ! reviens lâche cœur, tu fuis quand tu le vois : Tout me quitte ; je suis sans esprit & sans voix. Dorame, ta promesse, à la fin m’abandonne Olympe, est-ce le fruict que ton amour me donne ? Quoy donc ? Amante, Amy, ne sont que des faux noms ? On n’entend plus de vous que le bruit des canons, Et le premier assaut qui choque la constance M’a treuvé sans support, & vous sans resistance ? Vous me deviez deffendre, & vous me poursuivez ? Vous fustes mon espoir, enfin vous m’en privez. Ma main dans cét écrit tient mes sens & mon ame : D’où vient qu’elle est pesante, & si pleine de flame ? Prends courage, mon cœur… Mais je m’éforce en vain, Helas ! je n’en ay plus, je le porte en la main ; Cœur lâche, cœur peureux, quoy ! tu fais qu’elle tremble ? Olympe, fais qu’un monde à ma perte s’assemble, Dy que je doy mourir, j’aymeray le trépas ; Sine ma mort au moins, & j’y courts de ce pas ; Je puis ce que tu veux ; mais fay que je le sçache. Tu me presserois moins sur ce que je te cache. Parle.         Je n’oserois ; la honte me retient. Ton silence t’accuse.         Et ma crainte revient : Toutefois il la faut surmonter à cette heure. Permettrez-vous enfin qu’une Princesse meure, Qui ne pouvant montrer de bouche sa langueur A mis sur ce papier ce qu’elle a dans le cœur ? Qu’Olympe icy m’écrive ? ah ! sans doute c’est elle. Vous y verrez l’effect d’une attainte mortelle. Dont la crainte déjà se tourne à mon tourment. O parole d’un songe ! & pitié d’un moment ! Que son erreur me tient en de fausses delices ! Fuyons, n’attendons pas qu’on les change en supplices. Mais quoy ? veux-tu quitter la partie au besoin ? Ly toy mesme en ses yeux, & l’écoute de loin ; De ce moment dépent ou ta mort ou ta vie : Ah ! ce cruel regard me l’a déjà ravie. Cartel…..     Ouy bien d’amour.     De Dorame….         O malheur ! A Lucidor.         Qu’entends-je ? ah ! fuyons de douleur. Arrestez.         Expirant il faut bien qu’on demeure ; Sous les traits de la haine Amour veut que je meure. Viens au jour, & quitte le sein D’un rampart qui tombe à dessein De t’ouvrir un passage aux lieux où je t’appelle : Les Dieux & mon épée ont conclu ton destin ; Et cette injure est si mortelle, Que sans finir ta vie elle n’a point de fin.  Que sans finir ma vie elle n’a point de fin ? Et c’est icy, Melinde, une lettre amoureuse ? C’est par où je me voy doublement malheureuse. Les termes en sont beaux, mais un peu trop pressants. Ils ravissent vos yeux, & dérobent mes sens ; L’erreur de mes desirs n’a servy qu’à la vostre, Et mon aveuglement vient au jour par un autre : Cette lettre, où mon cœur se mét sous vostre loy, Au lieu de ce Cartel, vous en peut faire foy ; Un sort malicieux à ma main l’a soustraite. Me trahir, & m’aymer ? est-ce ainsi qu’on me traitte : Quelqu’autre en ce billet m’offre un second duel ? Ouy, mais qui vous oblige à m’estre moins cruel : C’est mon cœur ; qui soûmis à vostre seule gloire, Mesme avant le combat vous donne la victoire. Que ces billets divers m’attaquent à leur tour ? Que l’un porte ma mort, & l’autre son amour ? Le miel & le poison se joignent pour me nuire, La force & la douceur s’aydent à me détruire : Perfides instruments d’amour, & de couroux, Caracteres, parlez, que me conseillez-vous ? Puis-je croire la Sœur ? doy-je croire le Frere ? La haine est veritable, & l’amour mensongere ; L’une a dans ce billét des signes evidents. L’autre en mes yeux les porte, au cœur, et là dedans ; Oyez, voyez, lisez ; & jugez tout ensemble : Mon cœur en vous parlant dessus ma langue tremble, Il soûpire en ma bouche, il pleure par mes yeux ; Et mesme en ce papier il accuse les Cieux Qui mélerent en vous la rigueur & les charmes ; Vous n’y lirez que feux, & n’y verrez que larmes. Cettuy-cy les condamne ; & pour vous démentir, S’oblige à mon trépas.         L’autre, à vous garentir. De garand ? je n’en eus jamais que mon courage. Mon amour a déjà dissippé cét orage ; Ma crainte, qui sur moy tournoit également Ou la perte d’un Frere, ou celle d’un Amant ; Pour me les conserver, d’une action hardie Contre eux à leur profit usa de perfidie : Les trahir m’est vertu dans cette extremité, J’offence tous les deux par trop de pieté ; Ma faute est excusable, où par une avanture Le sang combat l’Amour, & l’Amour la Nature ; Ainsi lors que je songe à leur salut commun J’endure cent combats pour en empécher un, En cachant ce billét par qui je suis haye L’Amour me fit perfide, & l’amour m’a trahie : Je réponds au Cartel, & fus juste à ce point De contenter Dorame, & ne vous joindre point ; Faignant que vostre gloire en la guerre allumée Ne vous laissoit de mains que celle d’une armée, Qu’un Conseil vous lioit, qui ne permettoit pas, Le Prince & le Soldat marcher d’un méme pas, Qu’au front d’un Bataillon vous le vouliez attendre. On m’aura fait ce tort ? & j’auray pû l’entendre ? Doncque je fus vaincu sans voir mes Ennemis ? Réponds de mon honneur, perfide, où l’as tu mis ? Dans ce cœur, qui le garde avecque vostre Image ; A qui je rends depuis un veritable hommage. C’est me flatter en songe, & me perdre en effect. Desirer vostre bien c’est le mal que j’ay fait. Croiray-je à sa raison, qui presque me surmonte, Et me vend pour faveur ma rüine & ma honte ? Non, je voy le venin que cache sa douceur ; Sur le Frere, d’un coup vangeons nous de la Sœur : Traîtres, je vous tiendray vous mesme dans ce piege ; Ton trépas, faux Amy, terminera le siege. Contentez-vous du mien, & devant ces malheurs Epanchez tout mon sang, pour épargner mes pleurs ; Qu’il tire de perils les deux objéts que j’ayme ; Ah ! je crains pour tous deux, mais bien plus pour vous mesme ; Le Ciel m’obligeroit en ce double tourment De me ravir un Frere, & laisser un Amant : Malheureuse, à quel poinct me treuvé-je reduitte ? De les perdre, & toy mesme en faire la poursuitte : Je veux qu’en declarant ton Frere suborneur, Celle qui me l’ôta me rende mon honneur ; Il faut par un Appel que ta voix luy declare Le chemin de la mort que ce bras luy prepare, Que pour punir son crime, & purger cette erreur, Tu serves de ministre à ma juste fureur : C’est l’unique moyen d’apaiser mon courage. C’est me promettre un port, & m’offrir le naufrage. Te pourois-je donner un châstiment plus doux ? Que je meure plustost pendante à vos genoux. Perfide, ce refus m’en donne plus d’envie. N’exposez pas la vostre, & m’arrachez la vie. Ce que feroit la haine, ayons le de l’amour. C’est commettre un Soleil, pour étaindre le jour. Il faut que desormais ta crainte qui m’offence Obeisse…..         A l’amour, qui m’en fait la deffense. Ah ! c’est trop m’arrester en discours superflus ; Accorde moy ce poinct, ou bien tu ne vis plus. Ma mort ne me seroit qu’une perte legere ; Mais vous obeissant, je vous perds, ou mon Frere ; Et sans vous obeir je vous offence aussi ; Amour veut une chose, & la deffend icy ; Que feray-je ?         Un Appel, qui nous tire de peine. Et quoy ? pour vous aymer, vous doy-je estre inhumaine ? Cercher vostre malheur, pour vous monstrer mes vœux ? Quel office d’amour ?         C’est le seul que je veux. Et bien j’obeiray. Mais que dy-je Insensée ? Devoir injurieux, complaisance forcée, Homicide respect, à quoy me portez-vous ? Las ! je les feray battre, & j’en auray les coups : Avant qu’un soit blessé, ma douleur est si vraye Que j’en ressents le mal, & mourray de sa playe. Vostre amitié m’oblige, & mon cœur impuissant Se treuve ingrat par force, en la reconnoissant. O Dieux ! qui vit jamais un effect si contraire, De gagner pour Amy l’Ennemy de mon Frere ? Pouvez-vous me connoistre, & m’aymer aujourd’huy ? J’ayme en vous les vertus qu’on trouve à dire en luy. Est-ce le prix du sang qui sortit de vos veines ? Pouvez-vous oublier & mon crime & vos peines ? Tu m’as, ô crime heureux, delivré d’un plus grand ; Un coup m’ôtoit Olympe, un autre me la rend : Je porte, cher Oronte, une marque eternelle, Qui vous asseurera d’une amitié fidelle ; Mon cœur & mon esprit en sont d’autres témoins, Qui pour estre secréts ne le diront pas moins : L’impression du corps en fit une en mon ame, Qui me priva de sang & me remplit de flâme. Qui vit jamais venir pareille affection D’un si mauvais accueil à sa perfection ? Cét homicide bras…..         A qui je doy ma vie, Qui d’un plus grand bon-heur jamais ne fut suivie. Ce bras est impuni, je n’ay de châstiment Que d’oüir ma loüange & voir vostre tourment ; Cette voix, par mes coups debile & languissante Prend force à me jurer une amitié naissante, Et vous ne vivez plus qu’afin de caresser La mesme cruauté qui vous osa blesser ; Aymer un Ennemy dont l’offence est extréme, Partager la faveur qui n’est que pour soy-mesme, Produire qui nous nuit, l’avancer prés du Roy ; Je dy qu’il n’appartient qu’à vostre seule foy. Je dy qu’il n’appartient qu’à vos vertus insignes D’obtenir des faveurs & mille fois plus dignes, Et que vostre presence a des charmes si doux Qu’on ne sçauroit vous voir & n’estre pas à vous ; Que vos yeux sur les cœurs ont de force & d’addresse ! Et que vous pouriez bien reduire une Maistresse ! Tais toy, n’offense pas déja nostre amitié ; Tu serois importun d’implorer sa pitié : Puis-je luy rien cacher, & mourir sans le dire ? Helas ! vous pouvez seul adoucir mon martire ; Celle pour qui je meurs, malgré tous ses dédains Accepteroit mon cœur presenté de vos mains ; Je sçay, qu’en la priant, vostre parole aymable La rendroit plus humaine, & moy plus estimable ; Que rien que vostre esprit ne peut me l’acquerir, Que n’osant l’employer il me faudra perir. Vous le meriteriez, en cette défiance, Où vous pechez autant qu’en la vaine creance Qui vous figure en moy de fausses qualitez ; C’est demander un bien, quand vous le meritez ; Aprés vostre service est-il rien qui la touche ? Un mot en ma faveur, tiré de vostre bouche. En matiere d’amour le cœur parle bien mieux. Un langage plus fort est remis dans vos yeux Qui luy feront signer son amour, & ma grâce, Et de qui les rayons fondroient un cœur de glace. Je crains, qu’en me donnant une fausse couleur, Vous ne me connoissiez que par vostre malheur ; Une affaire jamais en mes mains ne s’avance ; Je suis, (& croyez moy,) bien autre qu’on ne pense : Helas ! il est trop vray ; Destins, vous le sçavez. Mais je voy dans les siens mes interests gravez ; L’obligeant, je me serts, j’ôte Olympe à mon Frere. Le secours est bien vain d’une main étrangere ; Toutefois mes efforts…..         Employez à demy Me font heureux Amant, & vous parfait Amy. Et bien, puis qu’il le faut ; afin de vous complaire… Montrez-vous à mes vœux un Ange tutelaire. Je m’en vay de ce pas tenter sa passion. Et moy dresser un Temple à vostre affection : Affection trop pure, & de qui l’innocence Obligeroit tout autre à la reconnoissance ; Mais mon ambition a des ressorts secréts, Dont la force l’applique à mes seuls interests : Flatter son amitié, la payer d’une feinte L’engage à ma deffense, & me tire de crainte, Et cette occasion que j’ay prise aux cheveux Peut nuire à mon Rival & servir à mes vœux ; J’oppose un Frere à l’autre au sort qui nous menace, Et j’attends dans le port l’orage ou la bonace. Que ton sort découvert rend mon esprit content ! Mais, Oronte, es-tu bien Frere d’un inconstant ? Ton amitié dément le sang de ce Volage, Vous n’estes, pour le plus, freres que de visage ; Le tien fait naistre un feu dont l’éclat m’ébloüit, Doux feu, qui me consume, & qui me réjoüit ; Sa lumiere m’aveugle à force de reluire, Et pour me plaire trop elle ne peut que nuire ; Laisse, Oronte, à mes sens un reste de vigueur, Et ce qu’il leur en faut pour dire (Prends mon cœur.) Quoy ? veux tu le ravir, avant qu’on te le donne ? Le forcer dans le temps que je te l’abandonne ? M’ôter en mes tourments l’usage des clameurs, Et la force, en mourant, de m’écrier (je meurs ?) Je meurs, helas ! je meurs ; et tes beaux yeux, Oronte, Qui flattent mon audace & condamnent ma honte, Me contraignent de faire en cette extremité Une juste action d’une infidelité : Ma foy, non l’inconstance établit ton empire ; C’est choisir un beau feu, pour en éteindre un pire : Lucidor me rend libre, aprés sa trahison, Il changea par un crime, & moy c’est par raison ; Ta force & ma vertu me vangent de son vice, Et tournent en plaisir ce qui fut mon supplice ; Je treuve sur le sien heureux ce changement ; Là se connoit sa faute, icy mon jugement ; Son amour n’estoit rien qu’une paille allumée, Qui s’éteint en brûlant, & qui passe en fumée ; Où je puis esperer d’un objét si parfaict Avecque moins de peur plus d’amour en effect : Aussi beau, mais plus doux ; d’une égale naissance, Mais plus grand de courage, & rempli d’innocence, Oronte vertueux, encore as-tu ce poinct Que ton Frere est parjure, & que tu ne l’es poinct, Que si ta volonté seconde ma défaitte, S’est-il veu d’union plus douce ou plus parfaitte ? Heureuse en mon malheur, si prise en tes lyens A force de t’aymer je te mets dans les miens, Si l’amour…         Ah ! ce nom l’amene sur la place : Voy-je Oronte ? ou ce Dieu sous une mesme grâce ? Que de feux, que de trais, que de charmes puissants !…. Paroissent dans vos yeux, pour émouvoir nos sens ; Qui s’excusent, muéts de respect & de crainte, Que le silence parle & vous porte leur plainte, Quand la secrette ardeur qui les fait consommer Vous montre un feu caché qu’elle n’ose nommer. Qu’il m’ayme ? & qu’il previenne un soin qui me devore ? C’est prendre de l’encens du Dieu que l’on adore. Consultez-vous déjà vostre severité Sur la peine qui suit une temerité ? Il merite la mort, cét Amant, cét Ichare ; Qu’Olympe la luy donne, il l’ayme & s’y prepare, S’il la doit à l’amour & non pas au dédain ; Tout autre coup luy semble aymable de sa main. Que je cause la mort d’un qui m’a fait revivre ? Ou que je mette aux fers celuy qui m’en delivre ? Non, je n’ay pas, Oronte, assez de cruauté, Quand j’aurois ce pouvoir qu’on donne à la beauté, On prendroit mon dédain pour une ingratitude ; Et mon crime seroit en vostre inquietude ; Je vous doy rendre grâce, & vous m’en demandez. Prest à vous adorer, si vous me l’accordez. Qu’elle grâce ?     L’amour.         A ce mot je soûpire ; Ses vœux sont mes souhaits, on me porte où j’aspire : Mon Prince, levez-vous, parmy tant d’actions N’ajoûtez pas ma honte à vos perfections ; Puis-je voir à mes pieds celuy qui me surmonte ? Faut-il que je rougisse & d’amour, & de honte ? Qu’un autre estat demande & reçoive mon cœur. Je le prends ; pour le rendre à son juste vainqueur. C’est donc à vos beaux yeux, qui possedent ce titre. Un autre le pretend ; je n’en suis que l’arbitre. Vostre cœur ?         C’en est un, qui vaut mieux mille fois. Mocqueur, un doux baiser me vange de ta voix ; Je couppe ainsi tes mots, & te ferme la bouche. O faveur ! qui pourroit animer une souche. Que vous prenez pourtant…..         Comme un larcin, commis Contre le plus parfait de mes plus chers amis : Que Dorame à bon droit occupperoit ma place ! Vostre froideur m’offence autant que son audace. Excusables pourtant.         Si vous les finissez. Je vous porte un present…..         Dont vous me punissez : Prenez plustost le mien.         Dorame le merite. Cœur de Tygre, masqué sous un front hypocrite, Serpent, dont le venin s’est caché sous des fleurs ; Que ces ingrats soûris me coûteront de pleurs ! Va, que jamais le jour te puisse estre funeste. Que dy-je, furieuse ? Oronte, s’il vous reste Quelque foible rayon d’un sentiment humain, Secourez une Amante, & luy prestez la main ; Faut-il que ce refus me reduise en furie ? Et que le vostre y mette un pour qui je vous prie ? Ne perdez pas pour vous ce qu’il n’aura jamais. Je perdray tout plustost que ce que je promets. Ainsi vostre discours ne fut qu’une imposture ? J’ay dit ce que je croy, mais ce qu’un autre endure. Et ne croirez-vous pas ce que j’endure aussi ? Que peut cette creance, & vostre vain soucy ? Ma premiere amitié l’emporte, & me possede. Mais l’Amour, comme un Dieu, veut que l’autre luy cede. Je le fay, Dieu qu’il est, obeir à ma foy ; Montrant que mon devoir est plus fort que sa loy. Quel devoir vous oblige à tuer une Dame, Qui vous offre son cœur, qui vous offre son ame ? Ma parole.         Et la mienne aura moins de pouvoir ? Ma foy semble un rocher ; on ne peut l’émouvoir. Allez cruel, ingrat, homicide, barbare, Indigne de mes vœux & d’une amour si rare ; Asseurez vostre Amy, qu’au prix de mes langueurs Je luy feray sentir ma peine, & vos rigueurs ; Et que s’il m’ayme autant comme je vous adore, Si vous m’estes cruel, je la suis plus encore. Ah que ma cruauté derive de plus loin ! Qu’on me recerche à faux de ce dont j’ay besoin ! Tu te plaints, chere Olympe, & tu veux que je t’ayme ; Si tu me connoissois, tu me plaindrois moy méme ; Desirer l’impossible en ce que tu pretends C’est aymer nos travaux & la perte du temps ; Ma foiblesse ne peut, quand mon desir s’augmente, Ny servir un Amy, ny servir une Amante ; Et pour rendre en nos maux plus celebre une erreur Je mets Olympe en flame, & Dorame en fureur. Auprés de mes tourments que leur peine est legere ! Eux de m’importuner, & moy d’aymer un Frere, Que l’espace d’un mur empéche de sçavoir Que je demeure ici seulement pour le voir : Le voir ? ô Dieux ! comment le pourois-je entreprendre ? Mais quelqu’un de la Ville en ces lieux se vient rendre ; C’est un Heraut sans doute aux signes que je voy : La belle occasion ! il passe ; informe toy. Arrestez, Cavallier.         Dessous la foy des armes, Qui laisse à mes pareils l’accez dans les allarmes, Vers vostre General Ambassadeur commis Je marche de la part des Princes Ennemis : De grâce, marquez moy son quartier, & sa tente. Je vous contenteray, pourveu qu’on me contente ; Et vous ne pouviez pas estre mieux arrivé : Encore quel dessein ? ou publique, ou privé ? Le peut-on pas sçavoir ? l’amitié qui nous lie Merite, outre mon rang, que l’on me le publie. Publier un secrét merite le trépas. Je suis trop son Amy pour ne l’apprendre pas, Moy, que ses interests touchent comme luy mesme. Ce faict le touche seul, & non pas ceux qu’il ayme : Lucidor, qui m’envoye…         O favorable objét ! Lucidor ? il t’envoye ? on m’en taist le sujét ? Ouvre, découvre tout, sans peur, sans artifice ; En Prince je demande, & payray cét office : Tu sembles trop courtois pour me cacher ce poinct. Et vous trop genereux, pour ne le sçavoir point : La force porte icy vos loix, & mon excuse ; Voyez dans ce billét ce que ma crainte accuse. Un mesme Appel a mis deux trahisons au jour ; Dans l’amour de ta Sœur j’ay reconnu ta haine : Ta mort punit sa vie, & d’un si lâche tour Je me vange en un coup par une double peine.  Tu le vois, Ignorant, celuy que tu cherchois, Tu parlois à Dorame, & je te le cachois ; Le voicy, c’est luy mesme.         O dieux ! qu’elle imposture ! Servons nous pour le voir, d’une telle avanture. Qu’il passe pour mon Frere ? & me le maintenir ? Je cerchois Lucidor ; les Dieux le font venir : Va, dépéche, & dy luy que si peu qu’il attende, Je me rends sur les lieux où son bras me demande. Dieux ! en ce jeu du sort je ne reconnoy rien Sinon qu’un tel hazard tourne tout à mon bien : Recevons du destin l’assistance impourveuë. Mais il n’assigne point le lieu de l’entreveuë. C’est à l’aîle du bois, entre ces deux ruisseaux Qui couppent un vallon tout bordé d’arbrisseaux, Que la Ville de Pruse & le Château d’Elvye Pour le disputer regardent par envie. C’est assez, dedans peu j’espere le treuver. Bon Dieux ! quelle rencontre ? il me faut esquiver ; Le danger evité d’estre prise ou connuë, J’augmente mon espoir, & ma peur diminuë ; Puis qu’un destin plus doux mét Dorame à couvert, J’y mettray Lucidor, le dessein m’est ouvert ; Il l’attend sur le pré ; moy qui veux les surprendre, Je retourne à la ville en avertir Gelandre. Fay prosperer, Amour, un dessein que j’ay pris, Qui finit leur querelle & m’en donne le prix ; Par cette invention, dont l’yssuë est chere, J’empéche le combat, & je verray mon Frere : Veritable Destins, j’adore vos secréts ; Qu’un étrange accident termine mes regrets ! Arrivé sur les lieux, je plains ma diligence ; Doy-je encore long-temps suspendre ma vengeance ? Traître, voy cette épée, elle n’attend que toy ; Aurois-tu de courage aussi peu que de foy ? Viens, Dorame, répondre icy de ta malice ; Trop d’honneur par mes mains est joint à ton supplice ; La mort, qui se prepare à ta punition, Donne moins à mes vœux qu’à ton ambition ; Ce titre avantageux en ta perte s’imprime Que j’avance ta gloire en punissant ton crime, J’abaisse mon honneur en élevant le tien, Et ne porte le mal que par un plus grand bien ; Une mort honorable, un coup digne d’envie Sera plustost le prix que la fin de ta vie. Mais mon courage en vain luy parle de venir ; Ce qui dûst le hâter l’aura pû retenir, Sa crainte luy ravit l’honneur qu’on luy presente, Et peut-estre il medite un trait qui l’en exemte ; Ses ruses m’ont fait voir, aprés un million, Qu’il combat en renard, & non pas en lyon : Et j’attends du courage encore d’un perfide ? Toutefois le voicy, qui cerche son Alcide. A moy, traître, avançons ; n’attends pas que ma voix Fasse entendre ma plainte à l’Echo de ce bois ; Fay que ma main previenne un trop juste reproche ; Ma plainte est superfluë, & ton trespas est proche. Il se feint ; il neglige, ou recherche mes coups. Pour ce que je les ayme, & qu’ils me semblent doux. Ah ! mon Frere.     O prodige !         Agréez ce miracle, Que le Ciel autorise, & la voix de l’Oracle. Quel Demon vous amene en ce bois écarté ? Celuy qui vous donna ma jeune liberté. Traîner si loin ton vice ? indiscrette, insensée ! Jamais rien de pareil n’entra dans ma pensée : Ah ! mon Frere, pardon ; regardez d’un autre œil Celle que vos mépris coucheront au cercueil ; Epargnez la vertu…..         Suspecte, & mensongere, D’une impudique Sœur qui court aprés son Frere. Pour luy faire connoistre un desir innocent, Et les plus chastes traits que son ame ressent : Que cette loy de Perse en moy soit abolie Qui permet que la Sœur à son Frere se lie, Qu’elle efface le crime & non pas mon tourment ; Je recerche l’amour, non le consentement : Vous hayssez mon cœur, à cause qu’il vous ayme ; Le vostre, doux ailleurs, n’est cruel qu’à moy mesme : Soûtiens tes droits, Nature ; enfin parle aujourd’huy, Qu’est-ce que m’est un Frere, ou bien que suis-je à luy ? Je regle mes desirs à le voir, à luy plaire, L’honneur de le servir me tient lieu de salaire, Et ce par où chacun le croiroit obliger C’est ce qu’il me deffend afin de m’affliger ; Je ne demande pas pour faveur qu’il me donne Que ce qu’il ne sçauroit refuser à personne, Le suivre, luy parler, le voir, & le servir C’est un bien pour tout autre, & qu’il me veut ravir ; Et quoy ? vous me fuyez ainsi qu’une Ennemie ? Comme un objét d’horreur, un monstre d’infamie. N’offencez pas si fort une chaste vertu, Qui vous apporte un cœur…         De vices combattu. Aussi pur, aussi nét que la premiere flame ; Ce qu’elle est dans le Ciel, Amour l’est en mon Ame ; Ta flame est à mes yeux ce qu’elle est aux Enfers, Pire que mille morts, que la peste, & les fers ; Va, tire toy d’icy, malheureuse, effrontée. Tygre, puis qu’à ce poinct ta fureur est montée, Je veux avoir ton cœur ou de force, ou d’amour. Et moy, finir ta honte & la mienne à ce jour. Par là vous comprenez…..         Un accident étrange. Où leur haine les porte, où mon amour me range : Par ce moyen mon Frere est mis hors du mal-heur ; Tirons en Lucidor sous quelque autre couleur. Rien ne s’offre à present qu’une promte sortie, Qui les mette en allarme, & rompe la partie. Allons. Dieux ! je les voy qui sont venus aux coups. Déjà le camp remuë, on marche ; hâstons nous. Regarde que ta haine en ton sang détrempée Montre mon innocence au bout de mon épée. Ce fer t’ouvre mon sein, & te ferme le cœur. Amour t’ouvre le mien tout blessé, sois vainqueur ; Tu peux encore….         Avoir la victoire, & ta vie. Ouy ; j’offre l’une & l’autre à ta haine assouvie. Ce qu’on ne peut m’ôter ; on m’offence en l’offrant. Ton sang vient de la haine ; & l’amour te le rend. Mais, quel bruit ?         Dépéchons, avant qu’on nous separe. Voicy d’autres lauriers, que ce jour vous prepare. Avanceons, Lucidor, & voyez l’Ennemy. Me faut-il emporter la victoire à demy ? Donnons, il en est temps ; & secourons Oronte. Ah ! la foule m’emporte, & le nombre me domte. Il fuit ; voilà le sort que trainent les ingrats ; Qui ne connoist mon cœur, il connoistra mon bras. Mais vous, dont la valeur mériteroit de rendre… Le fruict qu’elle vous ôte, en pensant vous deffendre ; Vos lauriers à bon droit semblent s’en offencer : Averty du peril qui m’a fait avancer Je confesse qu’en vain cette Trouppe animée A secondé vos bras qui vallent une Armée ; Vostre courage a fait honteux nostre secours : Mais l’oreille du Roy merite ce discours ; Allons le réjoüir d’une heureuse victoire. Où le Vainqueur vous doit son salut & sa gloire. Qu’on éleve son nom jusques dedans les Cieux ? Luy rendre les honneurs que l’on ne doit qu’aux Dieux ? N’avoir devant les yeux, en la bouche, en pensée Qu’Oronte, dont la gloire à la mienne abaissée, Qui tient en la Faveur un lieu si souverain Qu’il me fait craindre enfin l’ouvrage de ma main ? Le Roy vivre en son cœur, regner en sa parole ? Olympe le cherir, en faire son Idole ? Les Soldats respirer la mesme affection ? C’est, Dorame, le fruict de ton ambition : La feinte & l’artifice élevent l’innocence, Et tes pretentions ont bâty sa puissance, Il tire des esprits du Peuple & de la Cour Sur ton amitie fausse une parfaite amour ; Et j’attends son progrez, je le voy, je l’endure ? Destins, ce que j’ay fait j’empécheray qu’il dure. On admire des Cieux le pouvoir non pareil ; Pour ce qu’ils ont un foudre, & qu’ils ont un Soleil, Qui peuvent icy bas tout perdre, & tout produire, L’un maintenir le monde, & l’autre le détruire : Montrons nostre pouvoir à luy ravir le sien, Que sa faveur estoit une part de mon bien ; Et chassant un voleur de mon propre heritage, Que ce tresor n’est pas de ceux que l’on partage. Son employ vers Olympe estant sans aucun fruict, Sa beauté me fait peine, & sa valeur me nuit ; Et je crains qu’à souffrir sa presence importune L’une m’ôte l’amour, & l’autre la fortune. Dieux ! je perdray la vie, & tout l’Estat devant : Faux espoir, vains projéts, n’estiez-vous que du vent ? Que l’Astre des Grandeurs a sa course incertaine ! Que mon esprit ne serve aujourd’huy qu’à ma peine ? Ouy, je forge mes fers, j’invente mes travaux, Et pour en perdre un seul je me fay deux Rivaux, Simple je chasse un Frere, & mets l’autre en sa place, Et le mal-heur de l’un sert à l’autre de grâce ; Enfin je suis par tout coupable, & malheureux. Mais qu’ajoûte Lycanthe à mon sort rigoureux ?  Qu’apporte-tu ? ma mort ?         Une lettre, qui donne A ma fidelité la palme, & la Couronne ; Mais qui porte en effect par un contraire effort La vie à l’Etranger, à vous mesme la mort. La mort ?         Ouy : mais voyez en ce dessein perfide, Avant que de mourir, la main de l’Homicide. Olympe à son Oronte.         Ah ! cruelle ; ce trait Mét son consentement & ma peine en portrait : Foible bien, vain plaisir qui dépend d’une plume ! Et plus vain desespoir que le papier allume ! C’est trop cher acheter de l’ancre par des pleurs ; Preparez-vous, mes sens, à vaincre mes douleurs : Mais celle qui m’attaque en me blessant se cache Son cœur est là dedans ; il faut que je l’arrache : Sorts, cruel Ennemy, pour me combattre mieux, Sorts, viens paroistre au jour, ou laisse entrer mes yeux ; Traître, à quoy m’assaillir à travers cét obstacle ? Puis que vous desirez d’entendre un triste Oracle, Appaisez vos fureurs, & soyez plus discrét Vos maux en cette lettre, & leur plaisir secrét ; Ce cachét dérobé sans danger la referme. Ta foy ni mon mal-heur, Amy, n’ont point de terme ; Ta charité me tuë, & par un mesme sort Tu me donnes la vie, & presentes la mort ; Tu m’offres le poison d’une main innocente ; Je luy suis obligé, quelque mal que je sente. Pût-elle détourner l’effect & la rigueur…… D’un trait, qui par les yeux m’entrera dans le cœur : Ah ! donnons à ce cœur tout enflé, tout farouche Du vent par mes soûpirs, & de l’air par ma bouche. J’ay triomphé de vous mesme par vo- stre bras, Oronte ; & l’Amour qui en ma faveur s’est montré plus fort que l’a- mitié & le sang, vous remercie par ma bouche de cette victoire, que vous m’a- vez donnée sur vous en l’emportant sur Dorame contre Lucidor. De vray, pour me vanger n’avoir pas feint de châtier l’In- constance en la personne d’un Frere ; ni d’en ôter l’honneur à un amy, de qui vous avez quitté les interests pour les miens ; s’opposer aux fureurs de l’un, & prevenir celles de l’autre ; emprunter le nom de Dorame, pour soûtenir la gloire du mien plus avantageusement ; prendre le per- sonnage de ce Temeraire, pour punir un Parjure, & me vanger des deux ensem- ble par un seul effort ; N’est-ce pas vous declarer tout à moy ? m’asseurer de vostre deffaite envers Olympe, par vostre victoi- re contre eux ? & me faire offrir par vostre courage ce Cœur glorieux, que la bouche eust eu honte de me presenter sans autre effect que la parole ? Soyez toûjours muét, & ne me parlez plus, Oronte, que de cette sorte ; ôtez la bouche à l’Amour & luy re- donnez les yeux, pour voir seulement vos miracles ; ne dittes point que vous m’ay- mez ; sinon par ce qui vous rend digne de l’affection que je vous porte : j’apprendray l’art d’entendre cette honneste voix de vostre amour au milieu du silence. De mesme toutes mes pensées vous parleront de la recompense que vous meritez, & que je prepare à vostre vertu, qui comme elle est l’objét ensemble & le prix de ma foix, recevant de moy quelque grâce m’obligera du bien mesme que vous veut Olympe. Lycanthe, il faut mourir ; l’Arrest en est dressé, Cette lettre le porte, & je l’ay prononcé ; Un Amy l’a voulu, ma Maistresse l’ordonne ; Vous l’entendez, ô Dieux ; & le Ciel m’abandonne ; Vous voyez le Méchant, vous l’oüistes jurer : Mais si vous le souffrez, me faut-il l’endurer ? Que ma perte & ma mort soient le prix d’un parjure ? Qu’au lieu de la vanger, j’augmente mon injure ? Non, non ; s’il faut armer la rage & le couroux, Employons les sur luy plustost que contre nous ; S’obstiner à sa perte est un coup de foiblesse, C’est mourir de nos mains, de crainte qu’on nous blesse ; Et dans un mal aussi qu’on ne peut eviter Cercher de la pitie c’est n’en point meriter : La crainte, la fureur, le desespoir, la rage, Comme à mon jugement, cedent à mon courage ; Mon esprit est plus grand encore que mes maux, Au dessous de ma force il a mis mes travaux ; Et sans me plaindre au Ciel qui n’écoute personne, Je porte à mon côté le foudre qu’on luy donne, Je tire mon destin de ma seule vertu, J’arrache aux Dieux sur moy le pouvoir qu’ils ont eu : Que leur foudre en murmure ; il fait peur aux timides ; Le mien fait moins de bruit, & punit les perfides : Qu’il meure cét Ingrat, qui fit contre un Amy Un crime que sa mort n’efface qu’à demy. Mais, comme il m’offencea d’une malice extréme, Je veux luy preparer un supplice de mesme, Qu’il se treuve perdu plustost que menassé, Qu’un crime vange un cœur par un crime offensé ; Une action si noire en veut une pareille : Avecque ma fureur la raison le conseille, Et si Lycanthe encore entre dans mon party, Je me voy par un coup d’un Dedale sorti. J’acheteray toûjours vostre bien par ma perte. Viens sçavoir les moyens d’une vangeance offerte. Toûjours dans vos dédains ?         Toûjours dans vos froideurs ? Mépriser son amour ?         Vous, mes sainctes ardeurs ? Que la mort d’un Amy……         Mais la mienne vous touche, La perte m’est au cœur.         La mienne en vostre bouche. Je cerche son salut.         Par où vous me perdez. Ayez pitié…..         De moy, vous qui m’en demandez. Qu’attendez-vous d’un cœur……         Qu’il me soit moins rebelle. Qui ne peut estre amant sans qu’il soit infidelle ? J’ay promis à Dorame ; & vous perdez vos coups. Moy de mesme, à vos yeux, de n’aymer rien que vous. Quoy ? meurtrir un Amy ?         Quoy ? meurtrir une Amante ? Le mettre au desespoir ?         Qui déjà me tourmente : Que vous estes d’un temps pitoyable, & cruel ! Ah ! rendez à l’amour un devoir mutuel ; Si Dorame vous lie, Olympe vous oblige ; On a regrét après, d’un bien que l’on neglige : Dittes, en mon amour quel soin ay-je épargné ? Quoy ? ma lettre sur vous n’a-t’elle rien gagné ? Quelle lettre ?         Sans doute il ne l’a pas receuë ; Les effects en seroient d’une meilleure yssuë. Mais que je flatte en vain mon mal & mon esprit ! Où la voix ne peut rien qu’auroit fait cét écrit ? Poursuivons toutefois, bien que sans esperance. Quoy ? mépriser une offre, & cette preference ? Le bien qu’on vous presente à vos sens irritez , Dorame le poursuit, & vous le meritez ; Son desir le recerche, & le mien vous le porte ; Mon amour toucheroit…         Une amitié moins forte ; Je vous promettray tout, hors ce poinct seulement D’estre ni faux Amy, ni veritable Amant : Que si ma flame est juste, & la vostre innocente ; Ne pouvant les unir, qu’un Amy s’en ressente ; Son service & vostre aise accompliront mes vœux, Et vous m’acquitterez du bien que je luy veux ; Mon cœur entre vous deux à l’égal se partage, En causant vos plaisir j’en auray davantage. Vostre pitié pour luy m’est une cruauté ; M’offrir un faux plaisir, le veritable ôter ? C’est croire m’obliger par une double injure, Vouloir guerir un mal par une autre blessure ; Hors de vous, je n’ay plus de bien ni de plaisir. Ah ! que pour en treuver elle sçait mal choisir ! Au deffaut de l’amour que sa plainte reclame La douleur me saisit, & la pitié m’enflame ; Quelque lyen que donne & reçoive un serment, Quy pouroit estre Amy, s’il pouvoit estre Amant ? L’impuissance me sauve, & non pas mon courage ; La Nature tient ferme, & le cœur fait naufrage : A quoy se reduiront des mouvements si forts ? Il consulte au dedans, & soûpire au dehors ; Courage, espere, Olympe, & voy s’il est possible D’allumer de la glace en un cœur insensible. Si je ne les entends, je les verray du moins, Et de leurs actions mes yeux seront témoins : Où vas-tu, pauvre Amant ? n’es-tu pas bien à plaindre De cercher curieux ce qui t’est plus à craindre ? Montre toy, va troubler un dessein vicieux ; Mais non, ne le fay pas, afin de faire mieux. Amour, en l’inspirant fay nous voir un miracle Que me promét enfin votre fatal Oracle ? Ma perte avant ma faute, & par un prompt trépas De punir dessus moy ces dangereux appas Qui vous blessent, Olympe, & que je desavouë : Je puniray mes yeux, & mon front, & ma jouë ; Et le fer employé contre ces faux attrais, Pour conserver vos jours, je mourray de mes trais. Remede plus cruel encore que ma peine ! Injurieux secours ! ô faveur inhumaine ! Qui me livre pour un cent supplices nouveaux, Et qui pour les finir augmenteroit mes maux ; C’est m’offenser plus fort, pour montrer que l’on m’ayme, Et me ravir à moy pour me perdre en vous mesme : Ah ! plustost qu’aspirer à la fin de vos jours, Conservez vos dédains, et m’offensez toûjours. Deux objéts, deux vertus diviseront ma trame, Ma pitié pour Olympe, & ma foy pour Dorame ; La voix de l’amitié, celle de la pudeur M’obligent d’étouffer ma vie, & vostre ardeur : Belle Olympe, à genoux Oronte vous conjure D’oublier en sa mort une innocente injure ; Pardonnez moy ce coup, qui seroit inhumain Si je ne l’attendois de vostre belle main. Que me prends-tu, Voleur ? est-ce là cét office ? Qu’elle ait, au lieu du cœur, le sang en sacrifice. Vos baisers, vos soûpirs, & tant de privautez Qui vous sont des faveurs, me sont des cruautez ;  Lâche, & perfide Amy ! sourde, ingratte Maistresse ! Ah ! l’amour me transporte, & la douleur me presse. Ces violents desirs augmentent mon soucy ; Vivez pour vostre gloire, & pour ma peine aussi ; Morte dans mes tourments, je vy dans vostre vie, Ma douleur vient par elle, & par elle est ravie. Voulez-vous que je vive ? Olympe, j’y consents : Mais Dorame revient, & se plaint à mes sens, Je l’entends qui soûpire & languit à cette heure ; Ou donnez luy la vie, ou souffrez que je meure. Hé ! qu’esperé-je plus ? ils sont tombez d’accord ; Sans doute qu’entre eux deux ils traittent de ma mort. Son amitié persiste, & mon amour s’augmente. Pour le bien d’un Amy, cherissez une Amante ; La pitié qu’il demande & qu’espere sa foy, Vous me l’enseignerez l’exerceant envers moy. L’exerceant envers vous, pour luy quel avantage ? D’estre avec vous aymé, par un juste partage. L’amour n’est plus amour, qu’on divise en deux lieux. Vous vivrez dans mon cœur, il vivra dans mes yeux. Qu’il ait tout ; par la mienne apprenez sa constance. Apprenez par la vostre aussi ma resistance ; Et sans plus vous tenir de propos superflus, Quand vous l’aymerez moins, je l’aymeray bien plus. Quand je l’aymerois moins, les Dieux par un obstacle De remede à tes vœux n’ont fait que le miracle ; Quel fruict esperes-tu d’un desir impuissant, Que le corps ne suit pas, quand l’esprit y consent ? Accuse, au lieu du cœur, le sexe & la nature, Qui font à nos souhaits une commune injure. Dorame, qu’ay-je dit ? n’est-ce pas t’offenser ? Je suis, sinon d’effect, coupable du penser ; Que l’on conserve à peine en ce faict l’innocence, Où pour ne point faillir c’est peu que l’impuissance ! N’ayant plus vers ton Frere aucun engagement, Donne à trois par ta fuitte un prompt soulagement, Pour le bien d’un Amy quitte & Frere, et Maistresse. Qu’en la place d’Olympe un poignard le caresse. Ta vangeance plus seure appelle un autre temps : Aproche toy de luy sans paroistre, & l’entends. Allons prendre conseil en cette inquietude, Et resoudre mes sens parmy la solitude ; La prochaine Forest offre une ombre à mes pas. Courage ; c’est assez ; il n’en reviendra pas. Qu’en croirons-nous, Dorame ? as-tu juré ma perte ? Joins-tu la trahison à ma peine soufferte ? Je soûtiens deux assaux dans un mesme sejour ; Tu m’attaques de force, & ta sœur par amour : Melinde, je me rends ; quelque raison contraire Qu’apporte mon repos, rien ne m’en peut distraire, Mon courageest plus fort & mes feux plus ardents ; J’ay le siege au dehors ; & l’amour au dedans : Que des canons s’appaise ou gronde le tonnerre, Je n’ay plus qu’en tes yeux ni de paix, ni de guerre ; Fussions-nous tous perdus, & mes desseins trahis, Je plains ma passion plustost que mon Païs ; Que Dorame dépoüille un miserable Prince ; Tu possedes le cœur, il n’a que la Province ; Il le veut asservir par une trahison, Et l’amour & ma foy l’ont mis dans ta prison ; Sa perte en t’agreant recompense la nostre, On m’ôte une Couronne, & j’en obtiens une autre ; Si je puis esperer un Myrthe glorieux, Je prefere ma perte à la gloire des Dieux, Tu m’obliges, Dorame, en me faisant outrage, Et j’adore un Soleil au milieu de l’orage. La voicy, toute en pleurs : Nature, on te détruit, Peut-on voir le Soleil dans l’onde avant la nuict ? En vain vous m’opposez & vos feux, & vos larmes ; Rien ne me peut toucher, la pitié ni les charmes ; Aymez moy, Frere & Sœur, ou m’offencez toûjours ; Je méprise sa haine autant que vos amours, Vous, indigne du cœur, il l’est de mon courage ; Vous troublâtes la mer, où vous ferez naufrage. Ah ! Prince, on nous trahit, un perfide attentat Se dresse à mes amours, & contre vostre Estat. Un Amy m’a séduit, un Parent vous opprime ; Et j’amene à vos pieds la Complice du crime : Sus donc ordonnez luy le juste châtiment… Que merite & que cerche un vif ressentiment De l’injure qu’à tort on vous avoit dressée, Et qui m’a par mes mains la premiere blessée : Ouy, Gelandre, mon Frere en son ambition N’aspiroit qu’à ravir par une faction Olympe à Lucidor, à vous le Dyadéme, Perdre d’un mesme temps un Rival, & vous mesme. Ah ! perfide !     Ah ! cruelle.         O Dieux ! puis-je à ce jour Montrer tant de colere, & cacher tant d’amour ? Jusqu’icy vous plaignez une legere attainte ; Mille sont dans l’offence, & vous seul dans la plainte : Le reste m’épouvante, & vous feroit horreur, Sur les divers effects causez par une erreur ; La colere du Roy qui me croit enlevée, La constance d’Olympe à ce coup épreuvée, Sa fureur, son combat, sa perte, son secours. C’est tout ce qui me tuë, & passe le discours ; Les effects disent trop leur trahison commune : Gelandre, mon amour soûtient vostre fortune ; Pour vanger l’une et l’autre, & perdre un Ravisseur, Je vay songer au Frere & vous laisse la Sœur ; La Perse manquera d’hommes & de puissance, Ou je puny bien tost une injuste licence : Je reméts la perfide en garde à vos prisons. Encore est-ce trop peu pour tant de trahisons. Las ! je suis dans la sienne, & j’en aurois pour elle ? Mon ame à cét objét tient mes sens en querelle, Je soûtiens dans mon cœur un combat different : Mais l’amour est plus forte, & la haine se rend ; Sa beauté qui tenoit ma fureur en balance L’emporte & contre moy tourne ma violence : Dissimulons pourtant, & donnons quelque poids A ma colere feinte & qui n’est qu’en ma voix. Perfide, à quel dessein ?…         Qu’on m’apporte des chaines ; Qui retarde ma honte, il prolonge mes peines : Est-ce en vain que ces bras appelleront les fers ? Qu’en leur place les miens vous seroient mieux offerts ! Tu les auras, Méchante.         O parole forcée ! Que la bouche profere, & non pas la pensée. Allons donc.         En un lieu moins horrible que toy. Que toy, dont la rigueur est un monstre à ta foy. Vous treuverez, Amis, par une heure oportune En ce petit travail une grande fortune ; La faveur de Dorame, & sa ferme amitié Passe la recompense & l’accroist de moitié : La valeur, qui se voit peinte en vostre visage ; Me donne d’un bon coup un asseuré presage : Oronte à vostre abord n’est qu’une paille au vent, Et mesme avant sa mort n’est déjà plus vivant ; Vostre seule presence étonne la constance : Que feroit-il ? surpris, tout nu, sans resistance ? Vos armes, que l’Enfer n’oseroit provoquer, Servent pour vous couvrir plus que pour l’attaquer : Je veux, sans employer la force ni l’outrage, Le prendre seul à seul en homme de courage : Soutenu par vous trois je le rends abbatu, Et nous ferons un crime en forme de vertu. Dérober à vos bras cette legere peine ? Je le puis ; ou sinon, mon sort vous le ramene. Laissez nous le peril, & joüyssez du fruict. Nous yrons……         Je l’avise ; arrestez-vous sans bruict. Ouy, je fuiray, Dorame, enfin l’affaire presse ; Je quitte Lucidor, & te rends ta Maistresse ; J’ay connu par ses feux & dedans son erreur Celle des miens aussi qui me tourne en horreur : Quelque bien que l’Oracle en ces lieux me promette, J’en causeray bien plus par ma fuitte secrette ; Et puis qu’Olympe a pris un poison dans mes yeux, En vous fuyant tous deux je vous serviray mieux ; Tiendrois-je vostre flame également trompée ? Mais quelqu’un me surprend : Page, icy mon épée. Prends au bout de la mienne une lettre, & ta mort : Ly hardiment ; aprés, j’acheveray ton sort. Moy le tien ; jusques là cét effect le prolonge. Qu’est-ce ? ô Dieux ! tout cecy ne me semble qu’un songe ; Peut-on voir action d’un plus contraire accord ? On ne m’écrit qu’amour, on ne tend qu’à ma mort, Olympe icy m’adore, & l’autre m’assassine ; Je suis dans un sommeil, ou je me l’imagine. Pour le continuer, ce bras qui te poursuit Te va faire dormir en l’eternelle nuict. Pour estre sans repos c’est là que je t’envoye. Ah ! ma vie en mon sang…..         Mais ton crime se noye. Il est mort ; accourons, & vangeons son trépas. Voyez vostre destin, traîtres, dessus vos pas : Le nombre m’épouvante aussi peu que les armes. Faisons venir ce fer au secours de mes larmes. Le Ciel, qui vous a fait l’objét de son couroux, Arme encore, Assassins, l’enfance contre vous : Va tenir compagnie à cette Ame infidelle ; Sur les bords de L’Enfer ton compagnon t’appelle. Tombe, traître, & m’attends à descendre là-bas, Pour y continuer encore nos combats : Que je regrette peu cette poitrine ouverte ! Trop heureux que sa mort ait prevenu ma perte : Adieu, mon Maistre, adieu, belle et douce clarté. Il tombe : qu’ay-je veu, mon Page est emporté : Doncque la mort de l’un coûte à l’autre la vie ? Rends, traître, dans ton sang ma vangeance assouvie : Pour te perdre…..     Ah ! je meurs.         Et punir ce malheur, Mon courage a laissé l’office à ma douleur ; Les Dieux à ton trépas, aprés un tel outrage, Ont bien moins employé ma valeur que ma rage. Mais à quoy ces propos ? regarde qu’en son cours Ce sang vient jusqu’à toy demander ton secours : Mon Fils ; il meurt ; ô Ciel ! enseigne à la Memoire Qu’ils se donnent d’un temps & s’ôtent la victoire. Ma foiblesse ravit la mienne en son progrez : Ne mourant pas des coups, je mourrois de regrets ; Ah ! je n’ay plus esprit ny sang qui me soûtienne : Attends, belle Ame, attends, ou viens prendre la mienne : Quelle offence ? toy mort ! las ! si je ne suivois Qui me suivit par tout pendant que je vivois ? Ne pouvant te donner une autre sepulture, Ce corps au moins du tien sera la couverture. Il vit ; tout le mal-heur est tombé dessus nous, Je meurs d’un attentat dont il n’a que les coups ; Ma honte & son honneur ont ma haine suivie, Sa mort me faisoit vivre, & je meurs en sa vie ; Son bras par un effort l’a tiré du danger, Et le mien par un autre enfin doit me vanger : Lâche bras, qui devois sa perte à mon courage, Accorde moy la mienne, & seconde ma rage ; Elle n’oseroit plus se fier qu’à ma main, Hors de moy rien ne m’ayde & tout secours est vain ; Oronte treuveroit du bon-heur en un gouffre, Je croy qu’elle s’entend toujours avec luy, Qu’ils conspirent ensemble, & qu’elle est son apuy. Poursuivez, & rendez la tempeste plus forte, Destins, pour échapper ce bras m’ouvre la porte ; Que tout me soit, Olympe, ou contraire ou suspect ; S’il faut perdre l’amour, je perdray le respect, Et si de mes desseins la trame est reconnuë, S’il faut (comme Ixion) n’embrasser qu’une nuë, J’en tireray du moins un foudre si mortel Que mes feux détruiront la victime, & l’Autel ; J’attaqueray l’Estat, le Roy mesme en personne, Sur sa teste on verra trembler cette Couronne, Celle qui brille au Ciel d’un éclat non pareil Je la feray pâlir sur le front du Soleil ; Que la Thrace dans peu par un effort extréme Sçache que je pery, perissant elle mesme ; Comme elle fut l’objét de mon ambition… Mais le Roy me surprend, à quelle intention ? Seul, confus, interdit, il écarte sa suite. Qu’autre personne icy ne nous soit introduitte. Je ly dedans ses yeux quelque dessein caché ; Je tremble, & sents au cœur un poison attaché ; Ma veuë est égarée, & ma voix est pesante ; Sous mille objéts d’horreur mon crime se presente : Qu’on m’accorde plustost la grâce de mourir. Consolez-vous, Dorame, on le peut secourir ; Je tiens plus que son sort vostre amitié cruelle, Sa blessure guerit, & la vostre est mortelle ; Dans cette affliction l’un par l’autre perit, Vous portez sa douleur & son mal en l’esprit. Autrement qu’on ne pense : ah ! ma crainte s’envole ; D’un crime que j’ay fait je voy qu’on me console : Reparons à ce coup mon esprit abbattu, Reprochons à mes sens le deffaut qu’ils ont eu. D’un contre-coup égal je ressents deux attaintes, La douleur de sa playe, & l’excés de vos plaintes ; Mais le Ciel, qui connoist le secrét de mes vœux, S’il me veut conserver, vous gardera tous deux ; J’acheterois vos cœurs de ce Dieu qui les donne L’un de mon Sceptre offert, l’autre de ma Couronne ; Le vostre, qui partage à nous deux vostre foy, Veut bien mourir pour luy, mais doit vivre pour moy. Ouy, Sire, il est à vous ; mon devoir le vous livre ; C’est pour vous seulement que Dorame doit vivre, Et tenant de vos mains tout le bon-heur que j’ay Je ne puis m’affliger que sous vostre congé ; Ma vie est comme un bien dont je n’ay que l’usage, Elle est de vos faveurs & l’objét & le gage. Et de mon Sceptre aussi l’appuy plus glorieux, Qui soûtient mes Sujéts & perd nos Enuieux ; J’ay par vostre valeur & par vostre conduitte Mis nos Amis en paix, les Ennemis en fuitte, Irriter mes desirs, mon pouvoir, & mes loix, C’est fournir de matiere à vos rares exploicts ; Par vous, mesme en naissant l’envie est étouffée, Quiconque nous attaque il vous offre un trophée : Lucidor, pour le prix de sa temerité, En servira de preuve à la Posterité ; Et Gelandre sera, dans une mesme offence, Le témoin de sa perte & non pas sa deffense : Quoy que certains avis que j’apprends tous les jours M’asseurent que la Perse arrive à leur secours ; Cela tire en avant & renflame la guerre. Sire, en son premier bruit étouffons ce tonnerre ; Pruse bien tost renduë à l’effort de nos coups Nous donne à triompher avant qu’on soit à nous ; Melinde entre nos mains, Gelandre dans l’orage Porteront Lucidor à fuïr le naufrage. Ou plustost à se perdre, en perdant son espoir ; C’est ce que j’apprehende, & qu’il faudra prevoir : Je mesure sur moy l’affliction du Pere ; L’un des Fils est au lict, & nous perdrions son Frere ; De ces Princes meurtris le spectacle odieux Armeroit contre nous les hommes & les Dieux : L’un flatte ma bonté, lors que l’autre en abuse ; Lucidor a failly, mais Oronte l’excuse ; Pour haïr celuy-là, j’ayme trop cettuy-cy ; Je crains de pardonner, & de punir aussi ; Cette main tient mon cœur, celle-cy mon épée, L’une s’oppose aux coups ou l’autre est occupée ; Je partage dans moy la haine, & l’amitié : Mais j’ay moins de colere & bien plus de pitié ; La plus juste vangeance est toûjours la moins promte ; Nous vaincrons Lucidor en secourant Oronte ; Que nos vœux les premiers cerchent sa guerison, Et toute chose aprés viendra dans sa saison ; Ce qu’on donne à sa vie on l’ajoûte à la mienne : Du Ciel & de vos soins faites que je l’obtienne ; Qu’on le tire du lict par un effort nouveau. Ouy, je l’en tireray, pour le mettre au tombeau. Voilà ce que vous coûte une amitié fidelle ; Vous n’aviez rien de sainct ni d’aymable au prix d’elle ; C’est ainsi que Dorame a payé vos travaux ? Chere Olympe, épargnez sa candeur, & mes maux. Jusques où l’amitié dans vostre ame s’imprime Pour un Ingrat, un traître, & l’auteur de ce crime ? Tous ces propos me sont plus mortels que mes coups Mon amitié…         L’a fait & perfide, & jaloux. Jaloux ? ô Dieux ! comment ? & de qui ? l’apparence ? De mon merite au sien il sçait la difference. Amour, qui n’a point d’yeux, nous les ouvre en ce poinct, Et fait voir aux Amants ce qu’autre ne voit point ; Par des signes secréts d’extréme jalousie J’ay connu la fureur dont son ame est saisie, Ce Prince a de l’ombrage autant que de projéts, Sa trahison a pris vos vertus pour objéts ; Elles, dont la douceur luy paroist inhumaine, Qui servoient à son bien, se tournent à sa peine ; Mais le plus grand effort d’un mal-heur si puissant Epargne le Perfide, & blesse l’Innocent : Helas ! en quel estat vous treuva Nepoléme : Noyé dans vostre sang, demy-mort, froid & bléme ? Je l’envoyois au Camp, sur un soupçon d’amour ? Pour y joindre Lycanthe & hâter son retour ; Mais il treuva ce Traître avecque ses Complices, De qui la mort prevint de plus honteux supplices ; Vous, couché comme mort, d’un œil indifferent Sembliez encore lire une lettre en mourant. De vostre affection, cruel & triste gage ! D’une lettre si douce ô le rude message ! Mais le parfait Amy ! qu’il vous oblige fort, Vous donnant mes faveurs par les mains de la mort ! Vous ne me croyez pas ? & vous l’aymez encore ? Je croy qu’il me cherit, je croy qu’il vous adore, Que vous avez sujét d’estre par cette loy Plus jalouse de luy que Dorame de moy : Attenter ? un Amy ? prendre cette licence ? Il a trop de vertus, & moy trop d’innocence ; Non, il a trop d’esprit, de courage, & d’honneur, Pour m’attaquer en traître, & punir mon bonheur, Qui m’offre mais en vain ce gage qu’il merite, Dont le present me nuit, vous fait honte, & l’irrite : Pardonnez moy tous deux, accusez seulement La malice du sort, ou son aveuglement, Qui nous trompant tous trois ne contente personne ; Il luy ravit un bien, vostre amour me le donne, Moy, je n’en puis joüir…         Et luy l’espere en vain ; Helas ! de qui vous tuë adorez-vous la main ? Cét injuste soupçon blesse trop sa franchise ; Outre qu’ayant sur moy toute chose permise, J’aymerois l’attentat quand il l’auroit commis, Puis que ma mort seroit un don de mes Amis ; J’adorerois le coup, & la main qui me blesse, Et si j’en soûpirois j’aurois trop de foiblesse. Aveugle affection ! ô l’innocente erreur ! Mais ô Dieux ! cét objét me remplit de fureur : Le Traître vient icy, comme un vainqueur superbe Qui regarde étendu son Ennemy sur l’herbe. Qu’Oronte doit aymer la main de l’Assassin, Puis qu’il a pour guerir un si beau Medecin ! Que sa disgrace est douce ! & luy digne d’envie ! J’acheterois ses coups du reste de ma vie ; Et si chacun pouvoit guerrir si doucement, Je tiendrois mal-heureux qui n’a point de tourment. C’est donc à ce dessein qu’un Amy si perfide, Afin de l’obliger, s’est fait son homicide ? Il vous doit la plus-part de ce bien pretendu, Que l’Innocent achete & qu’un Traître a vendu ; Mettre aprés sa personne, & la foy meprisée, Sa perte à compliment, & son mal en risée ? Ah ! ce coup qui vous rend insensible & mocqueur Vous devroit fendre l’ame, & saigner dans le cœur. Hé Dieux ! que dittes-vous ?         Ce qu’il m’oblige à taire, Ce que vous avez fait, ce que vous devriez faire : Mais porter qui les cause à plaindre nos douleurs ? Qui n’a que sang aux yeux donneroit-il des pleurs ? Olympe, traitez moy…..         Comme vous, l’innocence D’un qui pour vous aymer a cette recompense, Et ce lict, pour le prix de sa ferme amitié. Passons : elle a touché le faict plus de moitié. Mon Prince, en quel estat vous mét vostre victoire ? En blessé, qui guerit d’un mal qu’il ne peut croire ; Mais qui conserve encore apres son sang perdu, Avecque tous ses vœux, le cœur qui vous est du. On m’arracha le mien, quand on toucha le vostre. Il fait un personnage, & nous en cache un autre. Et toutefois Ma Dame accuse mon devoir, D’estre des plus paresseux & derniers à vous voir : Vous me pardonnerez, mieux qu’elle, cette faute. Vous accusez la moindre, & cachez la plus haute ; Aprés vos trahisons & ce coup qu’on a fait, Ce que vous nommez faute est un crime en effect : Il faut lever le masque, & croire que la feinte Ne sçauroit plus tromper ni mes yeux ni ma crainte : Vous admirez l’estat, où vos desseins l’ont mis ? Vous ajoûtez vos yeux aux fers des Ennemis ? Traître, vous les baignez encore dans ses playes, Rendant sur nos douleurs vos delices plus vrayes : Flattez, trompez Oronte, & recherchez la paix ; Mais de pardon de moy, n’en esperez jamais. Revoquez cét arrest, cruelle, inexorable ; Helas ! vous me perdez, m’estant trop favorable : Faveurinjurieuse, acheve icy tes coups ; Voilà le plus sensible & le dernier de tous. Non, perfide ; c’est moy, que l’outrage convie De terminer ensemble & tes feux, & ta vie ; Ce coup mal commencé n’est remis qu’à ce bras, Qui sçait punir un traître & perdre les ingrats : Aprés ce que j’ay veu d’un crime volontaire, Ou pourois-tu parler, ou pourois-je me taire ? Les femmes pour tous deux ont déjà trop parlé : Je confiois mon bien à qui me l’a volé, Qui me charge d’un faict si contraire à ma gloire, Pour rendre ma vertu suspecte à la memoire : Viens où l’Amour te meine ; il n’a plus de bandeau, Il t’appelle du lict pour entrer au tombeau ; Remis, ou peu s’en faut, cette épée invincible Te guerit tout à faict par un coup plus sensible. Sensible ? ce discours me l’est plus que la mort ; Injurieux soupçon, que tu me fais de tort ! Me falloit-il, destins, vivre aprés mon naufrage, Pour m’exposer encore à ce dernier orage ? Quoy ? mon cœur vous offence, & ne peut languissant Ou vivre en vostre grâce, ou mourir innocent ? J’avois sauvé ma foy dans ma perte premiere ; Pour la perdre le Ciel m’a rendu la lumiere ; En me faisant ce don que tu m’es ennemy ! Reprens-le, c’est trop cher, il me coûte un Amy ; O Dieux !         Demande leur un Enfer, & tes peines ; Eux & moy, nous rions de ces parolles vaines : Un perfide jamais…..         Ne fut pareil à moy : Prince…     A Dieu.         Rien qu’un mot, qui contente ma foy. Sois autant importun que traître, & temeraire ; Et bien, que diras-tu ?         Mais Dieux ! que veux-tu faire ? Pour la derniere fois contre moy vous servir, Et vous donner un cœur qu’autre n’a pû ravir : Je vous fay là dedans plus qu’à moy de dommage ; Pardonnez à ma main qui détruis vostre image : Ma foy vous servit trop, pour vous manquer icy ; Vous demandez ma mort ; j’obey ; la voicy ; Tenez, et joüissez du fruict de vostre attente. Quoy doncque ? je me rends, & la pitié me tente ? Non, quoy qu’il soit blessé, je ne suis pas vangé ; Son bras qui l’a puni m’a plus desobligé, Ce n’est qu’autant de sang qu’il ôte à ma vangeance ; Ma main auroit bien mieux treuvé mon allegeance : Foible épée, as-tu fait ce coup qui m’est honteux ? Mais appelons ses gens sur un poinct si douteux. Accourez ; il se tuë ; empéchez sa furie ; Voyez vostre mal-heur, & sa forcenerie : Mon épée en ses mains, si quelqu’un ne la prend, Sa rage aprés ce coup en medite un plus grand. Allez, retirez-vous ; ou vienne le plus traître ; Ce bras luy montrera qu’il se prend à son Maître ; Auriez-vous oublié ce qu’encore je puis ? Vivant j’ay paru tel, & mourant je le suis. Vous me l’apporterez doncque dessus la place Où Lucidor connut sa honte, & vostre audace ; Là je me vangeray du tort que l’on me fit. Je vivray jusqu’alors,     A demain.         Il suffit : Revenez, approchez, Troupe fidelle & chere ; Voyez, fermez ma playe, elle n’est que legere. Ne m’importunez plus, & quittons ces discours ; J’ay l’esprit à mes maux plustost qu’à vos amours : Ce Dieu, qui ne se plaist que parmy les delices, Rougiroit qu’on le vist en ce lieu de supplices. Vous ne rougissez pas qu’une extréme rigueur Parmy tant de tourments le tienne dans mon cœur ; Vous estimez ces lieux indignes de sa flame, Et vous faites, cruelle, un Enfer de mon ame : Accordons mes desirs avecque la raison ; Amour n’est jamais mieux que dans une prison, Il hait la liberté, fait mesme qu’on la craigne, Et la chasse d’un cœur aussitost qu’il y regne. Ses plumes nous font voir qu’il sçait bien en partir. Non ; c’est pour y voler, & non pour en sortir : Conservons luy pourtant l’usage de ses aîles, Sortant d’une prison qu’il entre en de plus belles ; Vostre cœur est tenu sous un ingrat pouvoir, Et vous voyez le mien prest à le recevoir ; Amour vous mit icy, qu’Amour vous en retire. C’est m’ôter l’esperance, & non pas le martire. Tel espoir au contraire entretient vos douleurs ; Cette épine jamais ne vous promét de fleurs : Lucidor vous méprise, & ses armes plus fortes Lui vont gagner Olympe à vos yeux, à nos portes ; Que vostre Frere en vain pretend de l’obtenir ! Les Persans arrivez ont sceu le prevenir. En recerchant la mienne il a treuvé sa perte : Vous, relevez la vostre en mon amour offerte ; Ma premiere victoire est de vous acquerir. Perdant tout, il m’en reste une belle à mourir. Jusqu’icy parvenus, une heure nous peut rendre Où mon Pere & les siens ont pris jour à m’attendre ; Amis ; ne soyons pas les derniers sur les lieux, Avanceons dans ce bois qui limite nos yeux ; C’est là le rendez-vous, où nous devons ensemble Conclure les desseins sous qui la Thrace tremble : Pardonne, chere Olympe, à mon sort inhumain, S’il me faut t’acquerir les armes à la main, Ton amour m’y contraint, ma foy me le commande ; J’ay, perdant un Rival, tout ce que je demande ; Il commencea la guerre, elle finit en luy. Mais quel dessein l’amene à mes yeux aujourd’huy ? Quoy ? nous suivroit-il point ? Non, luy mesme s’arreste ; Suivy d’un cavalier au combat il s’appreste : Tirons nous à l’écart, Amis, voyons leur jeu. Donnez à la raison le reste de ce feu Que la colere allume en vostre ame trompée. Toute raison est mise au bout de mon épée : Bien que j’admire en vous un esprit genereux ; Mais sans vostre mal-heur je ne puis estre heureux. Helas ! mon plus grand mal seroit de vous en faire ; Je vous suis ennemy seulement pour vous plaire. Pour me plaire en effect, venez, sans m’épargner. Dure loy, qui m’oblige à perdre pour gagner ! Ma victoire consiste à me l’ôter moy-mesme. Ils combattent pour moy dans ce peril extréme ; C’est ma Sœur, & Dorame ; ils me vangent sur eux, Et ma haine s’acquiert ce qu’ils perdront tous les deux. Portez ; cette douceur en m’épargnant m’offence ; Mon cœur retient mon bras, lors que ma main s’avance. Ah ! Prince, cher Amy, quittez cette fureur ; Tout ce qui s’est passé donnons le à vostre erreur. La plus grande ne fut que d’aymer un tel homme. La mienne est d’avoir feint d’estre ce qu’il me nomme. Achevons.         Ecoutez un mouvement plus doux, Et mon bras, qui se plaint d’estre employé sur vous. Le mien se plaint aussi d’une trop longue attente. Est-ce ainsi, furieux, qu’il faut qu’on vous contente ? Tu m’ôtes……     Qu’ay-je fait ?         O trop heureux vainqueur, Le mouvement du bras, & non celuy du cœur ; Tu vois l’épée à toy, mais non pas mon courage. Quoy ? serois-tu mon bras, aprés un tel outrage ? Voyez mon cœur à vous, du mesme coup percé ; Ah ! mon ame s’écoule en vostre sang versé. Ce dernier trait m’abbat, ta douceur incroyable Acheve ta victoire en m’estant pitoyable. Venez, & reposez vostre bras sur le mien. Que tu me fais de tort, en me faisant ce bien ! Plus douce m’est ta main, plus rude je l’essaye. Permettez que mes pleurs arrousent vostre playe ; La vertu les appreuve ; & c’est un sang pieux Que l’amitié, du cœur distille par les yeux ; Mon courage les tire, & non pas ma foiblesse. Helas ! cette eau m’enflame, & sa pitié me blesse. Une secrette force a changé tous mes sens, Qui malgré ma fureur luy sont obéissants ; J’ay pris un autre cœur, autres yeux, autre bouche ; Oronte, est-ce bien vous ?         Mais, perfide, est-ce toy, Que le Ciel a puni par un autre que moy ? Depuis ta trahison tu trainois ton supplice ; Et mon bras, sans le sien, châtioit ta malice : Mais il falloit qu’en fin ta gloire se vantât Qu’une Fille aujourd’huy t’as mis en cét estat, Que le plus lâche cœur que la discorde anime Eust un coup plus honteux pour le prix de son crime : Ces Monstres par le sang ont pris de la douceur, Et l’Enfer en ce lieu joint un Traître à ma sœur ; Puisse-t’il à jamais vous unir de la sorte. Helas ! qu’ay-je entendu ?         La fureur me transporte ! Une fille d’Oronte ? ô Dieux quel changement ? Ces mots t’ôtent la vie.         A moy le jugement. Fuy, malheureuse, fuy, que le vice a conduitte ; Ne tente plus ce bras, qui te permét la fuitte. Croy qu’un Dieu de mes mains ne t’arracheroit pas. Furieuse, c’est trop, tu cerches ton trépas. O Dieux ! qui vit jamais une amitié pareille ? Ce nouvel accident en accroist la merveille : Elle attaque son Frere, & pour toy l’on se bat ; Les laisserois-tu perdre en ce douteux combat ? Fay, Dorame, un effort ; ton honneur se dispute ; Et serts à leur fureur ou d’obstacle, ou de butte. Appaisez dans mon sang vos deux cœurs irritez, Tournez vos coups sur moy qui les ay meritez ; Par mon corps vos deux fers, dont rougit la Nature, Pour aller jusqu’à vous se feront l’ouverture, Je soûtiendray tout seul l’effect de ce duel ; Voyons qui de vous deux sera le plus cruel. Quoy ? ce Monstre opposé, comme une autre Meduse, Tient mon ame insensible.         Et la mienne confuse. Quelque accident l’empéche, & l’aura retardé ; Pour te voir, ô mon Fils, t’ay-je point hazardé ? Mais quel bruit ? le voilà ; mon œil me le figure ; Est-ce luy-mesme ? ô Dieux ! rendez faux mon augure. Quoy ? je combats pour vous, et vous m’en empéchez ? C’est le Ciel qui s’oppose, & nos destins cachez : Lucidor, écoutez la voix de mon martire ; Un crime est effacé, quand le cœur en soûpire. Ouy, c’est luy.         Cavalier, à moy, tournez le front : Je vous soûtiens, mon Fils ; & le secours est promt : Et quoy ? de vostre main je voy tomber les armes ? O Dieux !         Je n’en ay plus contre luy que mes larmes, Sire ; il est… Ah ! ce mot déjà sort à demy ; Le diray-je mon Frere, ou bien mon Ennemy ? Et je suis, (pardonnez, ô mon Pere, à ma honte,) Vostre coupable Fille, & mal-heureuse Oronte. Mon sang contre mon sang devant moy conjuré ? Oronte, Lucidor, couple dénaturé, Est-ce ainsi qu’un destin vous remét à ma veuë ? O Fille, de raison & de sens dépourveuë ! Cruels, également ces deux bras que je fis ! Dy que t’a fait ma Fille ? & que t’a fait mon Fils ? Tous vos coups ne portoient que contre vostre Pere ; L’un me voloit sa Sœur, l’autre m’ôtoit son Frere ; Et ces cœurs qu’à l’amour Nature avoit formez La haine les tenoit l’un contre l’autre armez : Pour rendre vos fureurs d’autant plus inhumaines, Doncque j’ay veu mon sang s’écouler par vos veines ? Quel poura mon courroux châtier le premier ? Quel poura mon amour caresser le dernier ? Ne choisy point des deux ; tu ne peux miserable, Qu’aymer un Ennemy, qu’embrasser un coupable ; Ta bonté leur montrant ce qu’ils t’ont fait de tort, Tu ne les peux punir qu’en les aymant plus fort : Approchez, & joignez vos deux mains dans la mienne, Elles y quitteront leur fureur ancienne ; Mon sang à son approche aura cette vertu De remettre en vos cœurs le devoir abbattu. Sa force à vostre veuë……         A l’égal nous enflame. Excusez mes froideurs, Oronte.         Et vous, ma flame. Venez ; c’est à ce coup que je vous ay treuvez. Vous, genereux Amy, qui me les conservez, Pour un tresor si grand que devez-vous attendre ? Un bien, que les Dieux seuls, & vous, me pouvez rendre ; La grâce de mon crime, & par un mesme don Du Pere la pitié, des Enfans le pardon. Pourions-nous refuser à vos vœux quelque chose ? Vostre demande obtient tout ce qu’elle propose. Cette foy, Lucidor, qui semble vous lier Vous presente mon crime, afin de l’oublier ; Vostre amitié, mon Prince, est le seau de ma grâce, Permettez qu’à genoux Dorame vous embrasse. Que doy-je à la parolle & d’un Pere & d’un Roy ? Mon amitié triomphe.         Et rappelle ma foy : Oronte, c’est icy que j’admire vos charmes, Que je treuve plus forts encore que vos armes : Mon cœur déjà se plaint qu’il souffre devant vous Plus de mal par vos yeux que par vos autres coups ; O Dieux ! quelle faveur est jointe à mon injure ? Pûssiez-vous voir ainsi ma nouvelle blessure ! N’aurez-vous point pitié de vostre sang perdu ? Que n’est-il, ô grand Roy, pour vous tout répandu ! Il apporte aujourd’huy la paix en cette Terre, Et rachéte celuy que demandoit la guerre ; R’envoyez vos Soldats, & leur nombre infini ; Il ne sera donné qu’un coup que je beny : Sire, mon sang vous parle, & servira de gage Qui vous est de la paix un asseuré presage ; Il est de nos travaux & le prix, & la fin. Qui me fait admirer la force du destin. Qu’Oronte est une Fille ? & Lucidor fidelle ? Heureuse également l’une & l’autre nouvelle ! Voyez en quelle erreur vostre esprit fut plongé. Tout ce qui s’est passé je croy l’avoir songé. Que Melinde par vous ne fut point enlevée ? Que toûjours la constance en vous s’est retreuvée ? Qu’il n’est rien de ces bruits qu’un jaloux fit courir ? Que j’avois vostre cœur quand je voulus mourir ? Que le mien furieux vous appelant parjure, Vous adoriez muét qui vous disoit injure ? Qu’on perdoit vostre foy quand vous la conserviez ? Que je vous hayssois quand plus vous me serviez ? Et ce qui rend ma joye encore plus extréme, Que vous soyez à moy, que je sois à vous méme ? C’est, Olympe, en ce point où ma felicité Tient propices les vents d’un orage evité ; Ils donnent à ma foy ce qu’on doit au merite ; Où le bien est si grand toute peine est petite ; Nous aymons un tresor que nos soins ont acquis, Et la difficulté le rend bien plus exquis : Je regarde vos yeux, & je croy qu’ils me disent  Tes maux nous ont vaincus, & tes feux nous maistrisent : Nos rayons éclaircis, ainsi que l’est ta foy, Montrent gays & riants que nous sommes à toy : Vostre teint qui rougit, semble par innocence En demander honteux à mes yeux la licence : L’Amour à mes plaisirs offre dans vos cheveux, Pour les y retenir, des lyens & des nœuds ; Chaque poil a sa grâce, & j’y voy la Nature Qui se plaint contre l’art, d’une agreable injure : Je regarde ce front ; & d’un transport nouveau, Pour ce qu’il est à moy ; je le treuve plus beau : Vostre bouche me dit, (& je pense l’entendre,) : Ce baiser est à toy, ne feints point de le prendre : Vostre sein, que ma lévre a crainte de toucher, S’enfle de ce dépit, ou pour s’en approcher ; Il semble me montrer sa beauté par reproche, Et qu’un doux mouvement anime cette roche ; L’agreable vengeance ! on diroit qu’un dédain, Témoignant son orgueil, l’endurcit sous ma main ; Au vent de mes soupirs dont l’attainte est si douce Il s’abbaisse par fois, & par fois les repousse, Et dedans ce combat amoureux & plaisant S’il souffre cét effort, je meurs en le baisant. Aprés cette vengeance un peu trop indiscrette Vostre ame, Lucidor, est-elle satisfaite ? Mon cœur vous a permis de me punir ainsi, Et par ces privautez vous a crié mercy ; Ces premieres faveurs ont reparé mon crime, Qu’un repentir condamne & mon silence exprime. Que j’en ayme la faute, à cause du pardon ! Offencez moy toûjours, & demandez ce don. Mais le pardon seroit une plus grande offense, Et sa facilité m’en fera la deffense : Nous tiendrons ces faveurs qu’aujourd’huy vous cerchez Pour fruicts de vos vertus, non pas de mes pechez ; Un legitime accord que nos Parents appreuvent Nous promét en amour les graces qui s’y treuvent ; Rien ne s’opposera pour lors à vos plaisirs : Voicy ceux que le Ciel conjoint à nos desirs. Ce lyen est trop fort, pour craindre qu’on le rompe ; Jamais la paix ne vint avecque tant de pompe ; Sous le front des fureurs le repos s’est produit ; Le foudre à cette fois est ennemy du bruit ; Tant d’hommes qui tenoient la Thrace en defiance Ne sont que les témoins d’une belle alliance ; Tous nos champs revestus des plus belles couleurs Ont la picque & les dards cachez dessous les fleurs ; Le desordre est chassé, le bruit, la violence ; Et seulement la joye empéche le silence. Mon Frere, c’est de vous, c’est de vostre bonté Que nous tenons au port l’orage surmonté. C’est de vous que je tiens ce bon-heur, qui me donne En mes Enfans treuvez l’appuy de ma Couronne ; Je partage ces biens, & le Ciel & mes vœux En doivent un du moins à qui m’en donne deux : Que dy-je ? par ce don je tire une autre grâce, Pour deux Enfans perdus j’en ay trois en la place ; Cette belle Princesse, élevant nostre honneur, Est pour en augmenter le nombre, & mon bon-heur. Ce desir tient son ame & la mienne enflamée, Moy d’aymer Lucidor, elle d’en estre aymée. Nos esprits obligez par de si douse loix Vous appellent nos Dieux, nos Peres, et nos Roys. Tenant d’eux mon Soleil…         Tenant d’eux mon Aurore. Je les nomme plus Dieux que ceux que l’on adore. Qui nous font de la Terre un vray Ciel amoureux. Un Autel, où nos cœurs s’immoleront pour eux. Puis qu’à nos vœux commun leur volonté pareille N’attend plus que l’effect que l’Amour nous conseille, Mon Frere, terminons ces desseins entrepris, Joignons en eux les corps ainsi que les esprits, Et par le doux lyen d’une amitié commune Mettons, outre nos cœurs, nos Couronnes en une. La mienne dépendra toûjours de vostre loy, Les Thraces connoistront que vous regnez en moy ; Quoy que cette alliance à nos loix soit contraire, J’affecte sa grandeur qui m’en devroit distraire, Trop content si par là mon âge languissant Voit mon sceptre fleurir dessous un plus puissant : Mais le Ciel, qui permét ce bon-heur sans exemple, Recevra mieux nos vœux confirmez dans le Temple. La Ville à cét effect nous pouvant recevoir, Allons rendre Gelandre étonné de vous voir ; A mon commandement ses portes sont ouvertes. Cét accord entre nous relevera ses pertes. Quelle merveille, Oronte, est celle que je voy ? Le moindre de ces traits ravit les cœurs à soy ; Que le rocher est beau, qui causa mon naufrage ! Qu’il me prepare encore un agreable orage ! Que je treuve cruels vos soins officieux ! Guery de vostre main je mouray par vos yeux. Ceux-cy ne donneront qu’une legere attainte ; Mais vostre sang doit faire une plus juste plainte. Quel dangereux secours vostre pitié me rend, De soulager un mal & d’en faire un plus grand ! C’est adoucir ma playe, & non le vray martire, Vous courez à mon bras lors que mon cœur expire ; Ecoutez-le qui dit, vous montrant sa langueur, Qu’en vain le bras guerit si l’on blesse le cœur. Et dequoy se plaint-il ?         Qu’ayant souffert ma haine Vous fuyez mon amour, & recerchez ma peine. Dieux ! quels effects pouront vous contenter un jour ? Ceux qui de l’amitié feront naistre l’amour ? Quel fils plus legitime à cette douce Mere, Si c’est luy qui la rend plus parfaitte & plus chere ? Où sont tant de transports, & ces doux sentiments, Qui servoient à mon bien & furent mes tourments ? D’un trait si glorieux reprenez la memoire, Si vous ne l’achevez vous en perdez la gloire : Tous mes sens aujourd’huy vous semblent reprocher, Par ce qui vous toucha, ce qui vous doit toucher : Ma bouche semble dire à la vostre irritée, Condamnes-tu la plainte à qui tu l’as prestée ? De vray, pour vous je souffre un semblable trépas ; Vous l’avez dit pour moy, ne le croirez-vous pas ? Ce que vous témoigniez de mon amour extréme, Ces soûpirs, & ces vœux s’addressent à vous-mesme : Puis regardant vos yeux, dont les miens sont jaloux, Voilà ceux, (disent-ils), qui pleurerent pour nous ; Quoy ? dans cette pitie que ma peine reclame Vos yeux donnoient des pleurs, & n’auront point de flame ? Mon cœur dit qu’à mes sens de fureur allumez Vostre sein fut ouvert, & vous le luy fermez. Dans tous ces accidents qu’icy je vous raconte Vous estiez une Fille, & cette mesme Oronte : Pourquoy dans vos faveurs auriez-vous pû changer ? Je méprisois alors ce qui peut m’obliger ; Ma flame s’augmentant, la vostre diminuë, Je perds vostre amitié quand je l’ay reconnuë ; Vous m’offrîtes un bien, afin de le ravir, Vous me le refusez quand je m’en puis servir. N’acheve point ces mots, cher Amant, tu me charmes ; Je crains plus ton esprit que je n’ay fait tes armes ; Mon amour suit pourtant quelque fatalité ; Tu la dois plus au Ciel qu’à ta subtilité : Un mouvement aveugle, une secrette force Fut de mes vœux confus & le voile, & l’amorce ; De l’amitié l’Amour emprunta le berceau. Vous aymastes la source, aymez en le ruisseau. Croy qu’encore en cela je fay plus que je n’ose ; Je crains que Lucidor à nos desirs s’oppose, Que nos vœux reconnus luy fassent revenir De ses feux offencez le fâcheux soûvenir. Il a pour ce regard l’ame trop genereuse : Les Roys appreuveront nostre union heureuse ; Et si j’ay vostre amour conforme à mes souhaits, Le Ciel accomplira nos lyens qu’il a faits. A quoy mes soûpirs et mes plaintes ? Ce mal desesperé n’a plus de guerison ; J’ay perdu Lucidor, & sortant de prison J’entre en de nouvelles contraintes : Que ne m’as-tu laissé mourir entre les fers ? Gelandre, ta pitié vaut bien moins que ma rage, En m’obligeant elle m’outrage, Et ne m’ôte mes maux que par d’autres offerts. Pour moy l’horreur avoit de charmes ; Et je treuve odieuse aujourd’huy la clarté ; Tu ne m’as, cher Amant, rendu la liberté Qu’afin que le jour vist mes larmes : Je n’avois en prison qu’à souffrir ma douleur ; Mais je treuve en tes soins une seconde geine, Ton amour s’ajoûte à ma peine, Et le bien qu’on me fait redouble mon malheur. Que le destin nous est contraire ! Qu’il nous donne à tous trois un different souhait ! J’ayme après ses dédains encore un qui me hait, Et hay celuy qui me veut plaire : Tu romps pourtant ma hayne en rompant mes lyens, J’ay fait le coup, Gelandre, & j’en plains la blessure ; Si c’est reparer une injure D’avoir plus de pitié de tes maux que des miens. Rien n’a ta flame refroidie, Ta perte, mes desseins, tes maux, ni ma rigueur, Mon offence te plaist, & m’a livré ton cœur Pour le prix de ma perfidie : Pourrois-je estre insensible ?…..         Au dernier accident, Qui m’a jetté par vous dans un gouffre evident ? Tout est perdu, Melinde, ô trahison étrange : Lucidor m’abandonne, & contre nous se range. Dieux ! comment ?         Les Persans sous mesmes étendars Avecque ceux de Thrace ont gagné nos ramparts ; Et ce Prince suivy de Soldats à la file, Sous couleur de secours, est entré dans la Ville ; Les deux Roys sont ensemble, unis d’affection ; Olympe & Lucidor n’ont qu’une passion ; Cette Ville doit estre à leur peine soufferte Comme un lieu de triomphe….         Et celuy de ma perte : Gelandre, il faut mourir, à ce coup je le doy ; Prevenez ma fureur, & vous vangez de moy, Moy, dont les trahisons de vos maux sont la source ; Abregez de mes jours la criminelle course : J’ay toûjours refusé mon cœur à vos tourments, Maintenant je l’expose à vos ressentiments ; Vous sçavez qu’il vous fut envoyé pour ôtage, Et vous l’épargnerez au poinct qu’on vous outrage ? Qu’il meure, cét ingrat, de honte & de regret ; Tirez le ; je le sents qui se flatte en secrét ; R’appellant de vos feux l’agreable memoire, Il veut mourir d’amour, qu’il n’en ait pas la gloire ; Son supplice prendroit un objét trop charmant, Il doit mourir en traître & non pas en Amant. Que mon mal-heur icy rend ma perte oportune ! Dans sa fin seulement commence ma fortune ; Mon bien, contre l’espoir, vient quand j’ay tout perdu : Une heure me l’a pris, l’autre me l’a rendu : Si vostre amour, d’un temps a ma perte suivie, Qu’elle me coûte peu quand je perdray la vie ! Moy seule……     O Dieux ! quel bruit ?     Avance.         Vous tremblez. Prince, déjà les Rois dans le Temple assemblez, Que le soldat en foule & le Peuple environne, Vous demandent present aux encens qu’on leur donne. Que d’un cœur abbatu je les aille adorer ? Non, je ne le puis faire, eux non plus l’esperer. Ils attendent ensemble & vous, & la Princesse. La rendre ? ô Dieux ! c’est là que le destin me blesse. Obeissez, Gelandre, asseuré de mes feux. Retournez sur vos pas, nous vous suivons tous deux. Melinde, vous voyez où ma vie est reduite, Si mesme en perdant tout on m’ôte aussi la fuite : Que vostre Frere ait pris cette ville sur nous Je croirois en sortir trop riche avecque vous. Si par là vous croyez surmonter cét esclandre, Je ne resiste plus, je vous suivray, Gelandre ; Pour asseurer les biens que vous ôte le sort Servez vous de ma vie, employez ma mort ; Que la cause du mal apporte le remede. Quel bon-heur est si grand que ce plaisir n’excede ? Fortune, que peux-tu maintenant sur mes sens, Que ma perte les rend glorieux & puissans ? J’offense mon malheur si mon cœur en soûpire ; On me prend une Ville, & je gagne un Empire : Le Ciel, dont les projéts ne furent jamais vains, M’offre d’un bon succez des presages certains ; Allons treuver les Roys, & bannissons la crainte. Allons ; je suis à tout, sans peur & sans contrainte. Premier flambeau du Ciel, Ame de l’Univers, Qui fait voir & qui voit tant de Peuples divers, Soleil, dont les rayons sont au reste du Monde Ce que l’Ame est au corps, ce qu’aux poissons est l’onde ; Dieu de feu, d’union, d’amour, & de clarté, Sans qui l’on ne verroit ni couleur ni beauté, Dont la force maintient les Elements en guerre, Forme l’ordre du Ciel, & fait l’or en la terre ; Toy que la Perse adore, honneur de ces lieux saincts, Grand Dieu, sois favorable à nos justes desseins ; Que tes plus doux rayons luisent sur nos Provinces, Et joints d’affection ces Peuples & leur Princes. Reçoy les mesmes vœux, qu’icy nous t’addressons, Toy Pere de la guerre & de ses Nourissons, Puissant Dieu des combats, que la Thrace revere ; Prends, pour nous regarder, ton front le moins severe, Porte loin ta fureur dessus nos Ennemis, Grand Mars, entends les vœux de ces Peuples soûmis ; Qu’ils ne connoissent plus de guerre ou de vangeance Que pour se maintenir en cette intelligence, Qu’à leur desseins unis ta grâce desormais Accorde la victoire, ou conserve la paix. En signe des faveurs que le Ciel nous envoye, Soleil, que tes rayons servent de feux de joye, Que nos plaisirs soient peints sur le front de ce jour, Et pour nous éclairer prends le flambeau d’Amour. Montre à toute la Terre & ta flame, & la mienne, Et dy que mon ardeur a surmonté la tienne ; Puis tombant dans la Mer, sur la fin de ton cours, Raconte à ses Trytons nostre aise & nos amours. En presence des Dieux, dont le respect m’engage, J’offre au Pere ma foy, j’en donne au Fils le gage. Mon amitie vous rend par un don mutuel… En mon obeissance un vœu perpetuel. Et la mienne à tous deux également se vouë. Que ta puissance, Amour, merite qu’on te louë. Sire, en faveur du bien qu’à ce jour il a fait, Pardonnez à mes feux un amoureux effect ; Mon crime dans la fin apporte ma deffense. Ouy, mon Frere, ce jour a remis toute offense : Outre, qu’estant du tout à ce Prince obligé, Je ne puis estre heureux, & le voir affligé. Mon erreur fit la sienne……         Et veut, comme je pense, Que la cause du mal en soit la recompense. Ah ! Sire, c’est un fruict que je n’ose esperer ; Encore que nos cœurs le semblent desirer : Sa parfaite amitié qui n’a point de pareilles, Merite d’estre mise au nombre des merveilles. Et par mille accidents arrivez dans ma Cour D’un mouvement aveugle est passée à l’amour, Qu’une honneste pudeur dessus son front accuse : Doy-je donner à l’un ce qu’à l’autre on refuse ? Ouy, j’accorde un pardon, mesme je le poursuy ; Donnez le moy pour elle, & l’obtenez pour luy. Leur volonté me plaist, & m’est d’autant plus chere Qu’elle purge les feux addressez à son Frere : Je vis naistre au berceau sa premiere langueur, Aussitost que la vie Amour fut dans son cœur ; Un mesme jour me vit & veuf, & deux fois Pere, Me donna deux Enfans, & m’emporta la Mere ; 191 La Reyne, d’une couche enfantant ces Gemeaux Sentit comme le fruict doubles aussi les maux, Leur donnant la lumiere elle luy fut ravie, Et de la sienne propre elle acheta leur vie : Eux & l’Amour, enfants, se joüoient au berceau ; Depuis tous leurs mal-heurs vindrent de ce flambeau : La Nature les fit ainsi que d’un mesme âge, Tous pareils en valeur, semblables de visage, Mais d’un cœur different ; car luy ne l’aymoit pas, Elle suivoit par tout son humeur & ses pas ; Imitant Lucidor la Sœur treuvoit des charmes A domter un cheval, comme à faire des armes ; Luy, qui connut sa flame, en eut aversion. Mais appreuve aujourd’huy son autre passion. Pouvions-nous recourir à de plus doux refuges ? Icy nos protecteurs sont ensembles nos Juges ; Qu’esperons nous d’avoir qu’un heureux traitement… De qui tient vos plaisirs pour son consentement. Vous m’avez conservé celle que je vous donne ; Prince, vous estes Roy, possedant sa personne ; Les Medes sont soûmis desormais à vos loy. Rends luy graces, Amour ; ou prestes moy ta voix. Ma Dame, en ce baiser…         Nos ames sont unies. Que nos fautes, Melinde, ainsi ne sont punies ! Ces miracles ne sont que pour les plus heureux. J’ay de l’amour à voir ces Esprits amoureux. Eteignons toute haine en ce doux nom de Frere. Elle ne fut jamais contre vous que legere. Mais au poinct où se voit nostre felicité, Laisserons-nous quelqu’un dedans l’aversité ? Que deviendra Gelandre en sa perte incertaine ? Pouvons nous accorder nostre joye à sa peine ? Il a de nos destins tous les travaux soufferts, Et nos contentements le tiendroient dans les fers : Melinde est en hôtage ; & tout veut qu’il obtienne L’objét de vostre foy pour le prix de la sienne. O Dieux ! qu’ay-je entendu ? me feriez vous avoir Un plaisir si parfait d’un si grand desespoir ? Aprés avoir acquis un bien si veritable, D’en refuser quelqu’un je me treuve incapable. Du moins à cét effect nous les avons mandez. Les voicy, pour joüir de ces fruicts accordez : Melinde, à front ouvert il leur faut rendre grâce. Je suis à luy, mon Frere ; excusez cette audace ; Montrez vostre courage à pardonner au mien, Je treuve mon bon-heur en n’esperant plus rien : Dans la felicité que le Ciel nous octroye Le mal-heur a servy pour accroistre la joye. On donne toute offense à l’Amour aujourd’huy ; Et j’estime à vous voir que tout provient de luy. Comme en cét accident la fortune se jouë ! Melinde ? approchez vous.         Prince, à la fin j’avouë Que le destin plus fort que mon ambition A faict ceder ma haine à vostre affection : Pour le fruict des travaux d’une guerre finie Je vous donne ma Sœur, elle la Bythinie. Moy ? le cœur à tous deux, dessous vos loix rangé. O Dieux ! en un moment comme tout est changé ! Nostre amour a causé leur peine & leur salaire ; Et le destin a fait tout cela pour vous plaire. Que le repos est doux, aprés tant de tourments ! Où sont les grands plaisirs qu’au cœurs des vrais Amants ? Ma flame est là cachée, on n’en voit que la moindre. Separons les, mon Frere, afin de les rejoindre.