MONSEIGNEUR, Quand par une douce force vous n’auriez pas gagné tous mes vœux en un moment, dans l’accueil favorable avec lequel VÔTRE GRANDEUR a daigné recevoir les offres de mes tres-humbles services : Quand vôtre Bonté n’auroit pas avecque joye accepté le don que je luy ay fait avec crainte & respect, de cette Pièce de Theatre, pour la faire passer heureusement de vos mains liberales en la bouche de ces Comediens destinez seulement aux plaisirs de V-G ; & dont la Troupe que vous avez enrichie par des presents magnifiques autant que par d’illustres Acteurs, se va rendre sous vos faveurs & sous l’appuy de vôtre Nom, si pompeuse & celebre qu’on ne la poura juger indigne d’estre à Vous. Quand dy-je, MONSEIGNEUR, mes inclinations n’auroient pas / / tourné vers V-G ; quand mes interests propres ne m’auroient pas justement porté à chercher l’honneur de vôtre protection, en vous dediant cet Ouvrage ; la raison seule m’obligeoit d’adresser un des plus grands Heros & des plus vertueux de l’ancienne Rome, à un des plus généreux, des plus nobles & des plus parfaits de nôtre Siecle. En effect, MONSEIGNEUR, qui est-ce qui pouvoit plus noblement que vous faire honneur à ce grand PAPYRE ? & par droict de bien-seance accueillir un DICTATEUR ROMAIN, qu’un Colonel de France, de qui le commandement et l’autorité s’étend dans toutes nos Armées, & le fait autant de fois Capitaine qu’il y a de divers Regimens qui les composent ? C’est cette Charge Illustre que vous soutenez aussi glorieusement qu’elle soutient la Couronne, dont elle est aussi le plus fort & le plus necessaire appuy ; c’est elle par qui l’on peut dire que vous estes, bien que quelquefois absent, toûjours de toutes nos Armées, de nos combats, de nos victoires & de nos triomphes. Mais quoy que par elle VÔTRE GRANDEUR paroisse si recommendable & d’une puissance si étenduë, je vous regarde plus brillant du côté de vous-méme & en vôtre personne ; & je vous treuve plus noble & plus admirable en vôtre courage & en vos vertus, que magnifique & pompeux en vos dignitez. Vous vous estes de tout temps montré digne Fils, comme aujourd’huy l’on vous voit digne successeur du plus grand Homme que ce siecle puisse opposer à l’antiquité, & que la France ose bien comparer aux Grecs & aux Romains ; que trois Roys avoient élevé & que pas un n’a ni abaissé ni détruit ; que le temps en n’osant toucher à ses années, a respecté aussi bien que la Cour, les Peuples & les Nations ; que la Fortune méme a craint aussi bien que ses Ennemis ; que la bonne & la mauvaise toûjours on treuvé égal ; & que toutes deux ont laissé dedans la gloire, & en la mesme assiette. Comme luy, / / MONSEIGNEUR, vous avez senti les trais de l’une & de l’autre ; & vous les avez soûtenus genereusement comme luy. Je voy reluire dans toutes vos actions, outre la grandeur de courage, cette asseurance & fermeté de cœur qui luy estoit si naturelle, & qu’il semble avoir inspirée au vôtre, aussi bien que ce noble & genereux sang qu’il vous a donné. Digne sang qui vous a causé tant de gloire & d’honneur, & à qui vous n’en avez pas moins apporté ; illustre sang encore qui vous a joint à nos Rois, puis que ces Princes de qui vous portez le Nom y touchoient de si prés, eux qui ont donné des Reynes à la Hongrie ainsi qu’à la Boheme, de qui descendent tant de testes couronnées & ces rejettons de la Maison d’Autriche. Comme autrefois Cesar, & devant luy mille autres courageux Romains, dont les esprits fermes & resolus estoient de la trempe du vôtre, se sont opposez à la fureur d’une Populace, ou de tout un Camp mutiné : de mesme, je vous voy avec cette mesme asseurance, presque seul & en petit nombre, desarmer une populeuse & forte Ville, qui a souffert & repoussé l’effort de plus de soixante mille hommes. Je vous voy, MONSEIGNEUR, dans un peril, qui sans vous étonner étonna presque tout l’Estat, autant que les effets prodigieux qui l’affermirent par vôtre valeur & par vôtre conduite ; Je vous voy l’espée à la main, verser assez de sang pour éteindre un brazier qui devoroit vôtre Province, & à la teste de cette Noblesse, avec une poignée de soldats levez & armez à la hâte, deffaire des Rebeles soûlevez sur un pretexte qui pouvoit renverser cette Monarchie, & dissiper & reduire en fumée cette dangereuse Armée de Mutins qui menassoient d’y mettre le Royaume. Je vous voy dedans un détroit ouvrir un passage & les bornes de la France, & plus avant la rendre encore témoin de merveilles de vostre valeur. Jusques-là, MONSEIGNEUR, tous ces grands effects de vôtre courage, & de cette constante / / fermeté qui n’est qu’aux cœurs des grands Heros, ont eu leur jour, leur éclat, & leur pompe : & quoy que la fortune ou la malice de vos envieux ait tenté d’obscurcir en des occasions fâcheuses quelque peu vôtre gloire ; elle a toutefois conservé parmy les ombres qu’on y vouloit opposer, cette secrete force de lumieres qui partoient des rayons veritables de V.G. Mais icy je la voy fort oppressée, en cette prudente retraite que je nomme vôtre exil, & en cette derniere extremité d’une fortune injurieuse, qui vous expose sur Mer dans une fregate, ainsi que Cesar à la mercy des tempétes ; & je vous voy à pied, dénué d’armes de pouvoir & d’assistance, au milieu de vos Ennemis, au plus fort de vôtre disgrace, entrer dedans vôtre Maison comme en une Place ennemie. Plus vous tâchez de vous rendre inconnu, & d’effacer le lustre de vôtre condition, plus cette audace presque temeraire & heroïque la fait éclatter. Car c’est icy que je vous voy dedans une double & vertueuse action de courage & de pieté, bien mieux & en plus grand peril qu’un fabuleux Aenée, enlever vôtre Femme, vôtre Fille, & vos autre tresors, pour les sauver d’un embrasement general qui alloit perdre & consommer vôtre Maison. C’est par cette prevoyance & hardiesse admirable que vous l’avez conservée, & qu’il m’est permis de vous voir dans ce premier éclat où je vous considere & vous admire tout brillant & d’honneur & de gloire, & qui ayant attiré un Dictateur pour vous rendre hommage, me force méme de me declarer & de vous dire que je suis, MONSEIGNEUR, DE vôtre GRANDEUR Par grace & privilège du Roy donné à Paris le 19. Fevrier 1646. signé, Par le Roy en son Conseil, LE BRUN. Il est permis à Toussainct Quinet Marchand Libraire à Paris d’imprimer ou faire imprimer une piece de Theatre, intitulée LE DICTATEUR ROMAIN, TRAGEDIE, & ce durant le temps & espace de cinq ans, à compter du jour que ladite piece sera achevee d’imprimer, & deffences seront faictes à tous Imprimeurs & Libraires d’en imprimer, vendre & distribuer d’autre impression que celle dudit Quinet ou ses ayans causes, sur peine aux contrevenans de trois mille livres d’amende, confiscation des exemplaires & de tous despens, dommages & interests ainsi qu’il est plus au long porté par lesdites lettres. Quoy ? ma Sœur, plaindre ainsi quelque peu de foiblesse ? Ce reste de langueur qu’un mal passé me laisse ? Je sens naître déja d’une douce chaleur Ce plaisir imparfait qui finit la douleur. La douleur qu’on croit morte est souvent endormie, Et ce plaisir malin réveille une Ennemie : Craignez la dans sa fin, c’est trop vous hazarder, Vous avez en vous seul toute Rome à garder ; Conservez vous pour nous, tout l’Empire en un homme, A Lucille son Frere, & son Consul à Rome. Le mal revient souvent alors qu’il prend congé, L’intervale en est doux estant bien ménagé : Ce bel ordre & si long de pilliers & d’arcades Qui divertit les sains peut lasser les malades ; Ce parterre de fleurs, ce jardin spacieux Doit borner vos plaisirs à l’usage des yeux. J’en reçoy, Papyrie, un agreable office, Honteux d’estre reduit à ce foible exercice, Tandis que vostre Pere au milieu des combats Rend à Rome un devoir qui demandoit mon bras : Ma vertu parle seule, & vous deffend de croire Qu’un si juste interest soit jaloux de sa gloire, Puis qu’en luy resignant, & Rome & mes employs, Le creant Dictateur j’ay tout mis sous ses loix, Que mon mal l’a rendu seul Maître de l’Empire ; J’ay pour luy de la joye, & pour moy je soûpire De voir qu’estant Consul je manque à mon pays, Et que ma maladie ait mes desseins trahis : En un si foible estat peux-tu, superbe Ville, Connoistre ton Consul, connoistre enfin Camille ? Ces regrets, vrays enfans d’un noble sentiment, Partent d’un cœur Romain, qu’on connoist aisément, D’une égale vertu, parfaite, & confirmee ; Genereux, dans son mal comme dans une Armée, Sans force, languissant, & jamais abbatu ; Sa foiblesse est courage, & son mal est vertu : En un si ferme estat, Rome superbe Ville, Tu connois ton Consul, tu connois ton Camille ! Inutile, malade, en un lict detenu, Les Dieux en vous sauvant ces Dieux vous ont connu ; Puis qu’en un si grand trouble, & contre les auspices, Eux, qui nous menassoient, nous ont esté propices ; Deux victoires ne sont qu’un prix qu’ils vous devoient, Et Fabie a receu ce qu’ils vous réservoient. C’en est trop ; parlez mieux d’un succez si prospere : L’une & l’autre victoire est deuë à vostre Pere : Quoy que fasse une Armée ou de bien ou de mal, Tout le blâme ou l’honneur retourne au General ; Luy seul y fait regner & l’ordre & la police, Il instruit les soldats, les forme à la milice ; Les combats faits par eux sont à luy seulement, Chacun y prend sa part, luy, tout l’événement ; Le Corps doit tout au Chef, c’est l’ame qui l’inspire ; Si Fabie a vaincu ce n’est que pour Papyre : Ce Dictateur, absent d’un Corps qui suit ses loix, A Rome, & sans combattre a vaincu par deux fois ; Le bruit de son grand Nom, sa seule renommée A plus fait que Fabie, & que toute l’Armée ; Par les auspices saincts qu’il a renouvellez, Les Dieux fuyoient de nous, il les a rappellez ; La puissance du Ciel menassoit la Romaine, Quand la Religion jusqu’icy le rameine ; Il consulte le Ciel, & par un promt effet Il change le destin, ou luy-mesme le fait ; Forcé, contre son ordre, ah ! qui le pourroit croire ! Le destin à ses vœux accorde la victoire Si promte qu’il n’a pas loisir de l’emporter, Si grande que les morts ne se peuvent conter ; Qui va jusques au nom détruire les Samnites, Au-delà des deux Mers estendre nos limites, Et montrer à nostre Aigle agile, impatient Le chemin de la Grece & de tout l’Orient. Cette double victoire & si grande & si pleine A fait toute ma joye, & fait toute ma peine ; Puis que d’entre mes bras elle enléve un Epoux, Et qu’aprês la bataille il s’en retourne aux coups. Il part ; Dieux ! quelle hâte ! est-elle necessaire S’il ne luy reste plus d’Ennemis à deffaire ? La victoire du moins devoit l’en divertir, La victoire a forcé Papyre de partir ; C’est elle qui m’afflige, elle que j’apprehende ; La bataille gagnée en laisse une plus grande ; Les Ennemis deffaits me font peur à leur tour, Et changent en malheur la gloire de ce Jour, Ce Jour sera suivi des maux que je presage : Rome, tu te plaindras de ce triste avantage ; Les Samnites sont morts, tant de Peuples soûmis ; Mais crains tes propres Chefs plus que tes Ennemis : Papyre a la victoire ; elle-mesme l’offense : Fabie a combattu ; mais contre sa deffense. Je sçay combien la gloire & l’amour de l’honneur Gouvernent puissamment & l’un & l’autre cœur. D’une illustre Maison Fabie a pour partage Les triomphes, l’honneur, le nom, & le courage ; Unique rejetton des trois cents Fabiens, Qui seul porte en son cœur les cœurs de tous les siens, Et qui digne heritier fait revivre en un homme Ces trois cents dans un jour sacrifiez pour Rome. Mais sans rien feindre aussi, sans flatter vostre Epoux, Papyre est tout Romain, le plus grand d’entre nous ; Son adresse à la guerre & son experience Le firent Dictateur, non pas nostre Alliance, Pour occuper un lieu qu’il remplit mieux que moy, M’acquitter envers Rome & dégager ma foy ; Quel homme à commander ! observateur severe Et de la discipline & de l’art militaire : De là jugez, ma Sœur, ce qu’il faut aujourd’huy Esperer de Fabie, & craindre aussi de luy, Luy, qui dedans un rang à flatter son envie Voit sa charge offensee, & sa gloire ravie ; Que ne fera-t’il point ? que n’est-il pas permis ? Que pourront ces grand Chefs, & tous deux ennemis ? Ennemis ? nullement ; quittez ces vains presages ; Le Ciel les doit tourner à de meilleurs usages. Le Ciel ne nous promet qu’un triste évenement. Vous voyez que sa grace en dispose autrement : Une victoire enfin digne de sacrifices Montre les Dieux changez, ainsi que leurs auspices. La victoire est le mal, que peut-estre les Dieux Veulent faire tomber sur les Victorieux : Ces deux grands Ennemis…..         Ils ne le peuvent estre ; Un secret revelé vous le fera connaître : Pour finir vos soupçons, vous tirer de soucy, Papyre ayme Fabie, & luy ma Fille aussi. Et plus que tous les deux tous deux ayment la gloire. Ils l’ayment, l’un pour l’autre : apprenez en l’histoire. Papyre Dictateur éleu par vostre choix, Comme l’on croyoit voir au plus haut des emplois Lieutenant general Valere vostre intime, Il éleve Fabie à ce degré sublime : Cette grande faveur augmente son amour : Son Pere voit Papyre, & courtois à son tour Luy consacrant son Fils & pour Fils & pour Gendre Est ravi de l’offrir, & l’autre de le prendre. Jusques à leur retour cet hymen differé Ne me fut qu’au depart en secret declaré : Mais, comme à ce penser mon plaisir renouvelle, Mon cœur veut que ma bouche à tous deux le revelle ; A vous, pour effacer des soupçons mal conceus, Et regler nos desirs & vos soins là dessus ; A vous, ma Fille aussi, pour vous faire paraistre Ce qu’on est à Fabie, & ce qu’il nous doit estre ; Vous porter à cherir un si noble Romain, A luy donner le cœur, et dedans peu la main ; Et de cette main propre apprester la Couronne A ce jeune Heros à qui le Ciel vous donne, Ce Vainqueur triomphant, à qui le Dictateur Veut bien devoir son Char, & sa Fille, & son cœur ; Dont la victoire, au lieu de luy donner ombrage, Est l’effect de nos vœux, comme de son courage ; A qui son Empereur, loin de la disputer, Pour l’interest d’un Gendre y voudroit ajoûter. Papyre est trop couvert de lauriers & de gloire, Pour vouloir luy ravir sa premiere victoire. Croyons le : mais un autre y pretend bonne part ; Et pour vous en parler sans envie & sans fard, Valere m’en écrit fort à son avantage, Et s’il ne se la donne, au moins il la partage : Sans ordre de Papyre ayant craint d’avancer Dans le premier combat, de peur de l’offenser ; La premiere victoire aussi fut imparfaite ; Mais, où des ennemis fut l’entiere deffaite, Voyant battre au second l’aîle qu’il commandoit, Avec elle il percea tout ce qui deffendoit, Et par un stratagéme à jamais memorable…. Comine attend, Seigneur.         Comine ? est-il croyable ? Un Tribun de l’Armée. Et tu dis qu’il attend. Pour vous voir & vous dire un secret important. Nous l’entendrons : Qu’il entre : Et ce sera luy-mème Qui vous déduira mieux ce nouveau stratageme, Qu’il croit faire passer icy pour un secret. Je ne m’oppose point par un zele indiscret A ce choix glorieux que Papyre a pû faire : J’estime fort Fabie, & j’ayme aussi Valere ; Je sçay qu’ils sont tous deux vertueux en effet, Tous deux grands ; mais l’un jeune, & l’autre déja fait, Dans les charges formé, puissant, & Consulaire : Je ne vous parle donc qu’en faveur de Valere : Devant à son merite autant qu’à l’amitié, De peur d’estre suspect, j’en tairay la moitié ; Sa derniere action que nous allons entendre Le rend digne de tout, quoy qu’il vueille pretendre. Figurez le plus digne encor, & sans deffaut ; S’il pretend sur Fabie, il faut aller bien haut. Si haut, s’il est besoin, que l’action connuë Fera voler sa gloire au dessus de la nuë, Elevera son nom jusques dedans les Cieux. Mais voicy qui pourra vous la dépeindre mieux ; Et je sçay que vostre ame en doit estre charmée. Envoyé par Fabie arrivé de l’Armée…. Fabie ! est-il à Rome ?         Ouy, depuis un moment ; Et je viens de sa part vous faire compliment, Ce pendant qu’un devoir plus fort & necessaire Prest de venir icy l’arréte chez son Pere. Rome ne devoit voir ce Vainqueur glorieux, Qu’en un char qui porta si souvent ses Ayeux : C’est ce qu’il deust attendre, & c’est ce qu’il merite. Cette gloire deust estre à ses travaux prescrite : Mais cet honneur si grand & si bien merité, A son retour sans bruit ainsi precipité, Luy peut estre sans doute envié par Valere. Pour instruire Lucille, autant que pour me plaire, Ne nous déguisez rien ; Amy, sans passion Parlez nous de Valere, & de son action. Que diray-je, aprés tout ? que pouvez-vous apprendre ? Des merveilles, ma Sœur, que vous allez entendre. Puis que déja dans Rome on la sçait, on la dit ; C’est trop, dispensez moy d’en faire un vain recit. Un Amy de Valere ainsi doncque s’excuse ? Je prie en sa faveur, & Comine refuse ? Amy jusqu’à ce poinct, qu’il n’ose publier….. Une action notable, & qu’il semble envier. Pour ne divulguer pas le mal qui l’a suivie, Je la tay par respect, & non point par envie. Quel mal ? de quel respect le pensez-vous couvrir ? Il me fermoit la bouche ; on me la fait ouvrir : Mais forcé d’obeir, lors que je le raconte, Excusez mon devoir, aussi bien que sa honte. Voilà pour un effect glorieux & charmant Certes un assez triste & froid commencement. Par un respect des Dieux qu’il croyoit mal propices Le Dictateur allant reprendre les auspices, Fabie eut dans le Camp tout pouvoir, hors ce poinct Jusques à son retour de ne combattre point : L’absence de Papyre en l’une & l’autre Armée Ainsi qu’un haut mystere estoit déjà semée, Et tenoit sans combattre inutiles & vains Le Camp des Ennemis & celuy des Romains : Sçachans du Dictateur & l’ordre & la deffense Les Samnites montoient jusques à l’insolence ; Abandonnez au jeu, noyez dans le festin, Dans nul ordre, ils sembloient moins un Camp qu’un butin ; Et les moins dissolus, sans craindre les approches, Nous lançoient jusqu’au camp des trais & des reproches. Quand Fabie à la fin de colere enflamé, Honteux comme un lyon de se voir enfermé, Pressé des Ennemis, animé par Valere Alluma son courage au feu de sa colere, Et par un grand combat heureux & non permis Forcea leur Camp, deffit, chassa les Ennemis : A cet exploit fameux, sa valeur animée Méme n’employa pas la moitié de l’Armée ; Je tins hors du combat dans ces occasions Et la Cavallerie, & quelques Legions, Que Fabie épargnoit comme un Corps de reserve Toûjours prest à donner, qui sans rien faire serve; Mais qui n’estoit plustôt dans un combat douteux Qu’une embûche à sa gloire, un obstacle honteux Que Valere tenoit dressé contre Fabie, Envieux de son rang, & mesme de sa vie. Pouvez-vous luy donner ce lâche mouvement ? Sçavez-vous ?         Je sçay tout ; mais escoutez comment. Peu devant ce combat, qui passa pour furie, Valere seul en teste à la Cavallerie Avecque tout ce Corps faisant ferme à ma voix Par ordre de Fabie & que je luy portois ; M’expose nostre faute, & montre en confidence D’un jeune General l’insolente imprudence, Qui se portant sans crainte au combat deffendu Meritoit sa disgrace, & d’estre seul perdu ; Qu’à ne combattre point nous sauvions nostre estime, Pour nous purger tous deux & de honte & de crime ; De honte, si l’on perd, jettant tout sur l’auteur ; Comme en gagnant, de crime envers le Dictateur. Pour ce coup ses raisons grandes & specieuses Me parurent d’esprit, & non pas envieuses ; De son dessein caché ce voile me deceut ; Un Amy les donnoit, un Amy les receut : Mais au dernier combat, où poursuivant sa pointe Fabie à leur Armée avait la nostre jointe, Et poussant les fuyards des champs Pyceniens Avait treuvé plus loin les derniers Samniens, Vingt mille, & retranchez assez proche d’Ortone, Où pour dernier effort la bataille se donne : A tous ses interests me croyant attaché Valere à cette fois m’en montre un plus caché, Me descouvre son cœur, me fait lire en son ame Ses vœux pour Papyrie, & sa jalouse flame ; Qu’une egale fureur contre son General L’embrazoit justement & contre son Rival ; Qu’auteur de la premiere & seconde bataille Pour le faire perir à toute heure il travaille, A dessein de le perdre en cette jeune ardeur Ou dedans les combats, ou prés du Dictateur. Ô lâche trahison, subtilement ourdie ! Appelez stratagéme encor sa perfidie. Ô cœur vrayement Romain ! ô noble amour aussi ! Qu’entends-je ? Et le combat ? achevez.         Le voicy. Il ne combattra point ; voila le stratagéme. Il me pria de vray de faire encor de mesme : Mais dedans le combat il me vit bien changer. Rome estoit en peril, & Fabie en danger ; Quand j’eus ordre, au secours de son Infanterie, D’aller faire avancer nostre Cavallerie : L’aîle gauche deux fois, comme tout se perdoit, Où comme Lieutenant Valere commandoit, Contre un gros d’Ennemis, qui commenceoit de craindre Fit quelques vains efforts, & tesmoigna de feindre, Alors n’espargnant plus mes soins, ni mes travaux Je fis oster par tout les brides aux Chevaux, Et les faisant pousser d’une horrible furie, Tout plia, tout fit jour à la Cavallerie. Valere, qui croyoit tout tendre à son dessein, N’empescha pas le mien qu’il eust pû rendre vain : Ce stratageme estrange & difficile à croire Par les siens, malgré luy, nous ouvrit la victoire, Si grande que la Mer en vit rougir ses ports, Qu’Ortone eut dans ses champs tous les Samnites morts, Que Fabie est ravi, que Valere luy-mesme Et m’envie & s’impute un si beau stratagéme, Par qui j’ay reparé dans ce combat dernier, Avecque mon erreur, la honte du premier. Déserteur d’un Amy, dont la gloire est flétrie, Mais pour ne l’estre point plustôt de ta patrie, Que ce discours, Comine, & ta fidelité A Fabie ont rendu ce qu’il a merité ! Qu’une fureur jalouse aveugla bien Valere ! Et que son amitié commence à me déplaire ! Je ne vous feindray rien, je l’ay mesme en horreur : La vertu de Fabie, & ma premiere erreur M’ont attaché depuis si fort à sa fortune Que je ne veux l’avoir qu’avecque luy commune : Aussi dans son peril j’yray jusques au bout, Je le suy jusqu’à Rome, & le suivray par tout. Dittes tout : Quel peril menasseroit sa teste ? Ses lauriers craindroient-ils la foudre & la tempeste ? Qu’est-ce qui peut causer un si soudain retour ? Quelque trait de Valere, ou peut-estre l’amour. C’est toute une autre cause, & qui va vous surprendre… Presque tout le Senat, Seigneur, vient de se rendre… Le Senat ? où, Flavie ?         En ce mesme Palais. Ma crainte eust tout appris : Dieux que tu me déplais ! Fabie au milieu d’eux, ensemble avec son Pere Est entré dans la sale.         Ah ! ne crains plus, espere. Avanceons nous ; je meurs du desir de les voir. Comine, allez devant ; je les vay recevoir. Ou vas-tu ? quoy ? mon cœur, tu cours apres ta vie ? Pour remettre mes sens, arreste un peu : Flavie. Quels sens, quel triste cœur vous empesche d’aller ? Et mon cœur & mes sens y voudroient tous voler. Si vous aviez creu voir toute Rome assemblée Fondre dans ce Palais, dont la Cour est comblee, Et de cris applaudir à ce jeune Vainqueur ; Vos yeux auroient volé déja, comme le cœur : On n’entend à ces cris Echo qui ne responde Fabie est la merveille & de Rome, & du Monde. Aprés ces cris de joye un les acheve tous, Un qui te surprendra ; Fabie est mon Epoux. Vostre Epoux ? ce Heros ?         Ce Dieu, non pas cet homme, Qui va faire mon sort, & le destin de Rome. Je sçay qu’il vous aymoit.         Et tu sçauras icy Ce que j’ay tant caché.     Quoy ?         Que je l’ayme aussi. Que nos Peres d’accord attendent la journée Qu’un promt retour assigne à ce grand hymenee ; Que le Senat peut-estre en ce pompeux accueil Qui le doit justement enfler d’un noble orgueil Vient offrir, par honneur accompagnant son Pere, Ce vainqueur au Consul, & ce Gendre à ma Mere : C’est elle qui tantost m’obligeant à l’aymer Nous a tout descouvert, afin de m’enflamer ; Qui s’est en sa faveur ouverte & declaree ; Qui m’a par sa loüange à l’hymen préparée ; Qui de ma crainte a fait un legitime espoir, De ma flame un respect, de mes vœux un devoir ; Et couronnant mes maux d’une fin glorieuse A fait de mon amour une vertu pompeuse : Vertu, devoir, respect, espoir, flame, & langueur, Et dignes de Fabie, & dignes de mon cœur, C’est à vous maintenant que sans crainte & sans blâme Je resigne mon cœur, j’abandonne mon ame : Enfans doux & secrets d’un violent transport, Que ma foy, que l’honneur vient de mettre d’accord, A ce bonheur si grand que le destin m’envoye Ouvrez, desirs, ouvrez tous mes sens à la joye ; Ah ! si par un excez on en a veu perir, Agreable trespas ! qu’il est doux d’en mourir ! Qu’à l’aspect de Fabie elle soit redoublee ; Allons mourir de joye & de plaisirs comblee, Achever son triomphe & ma vie à ses yeux. Non ; vivons pour sa gloire, & pour luy plaire mieux ; Moderons mes transports, suspendons cette joye : Respect, couvre ma flame, & fay que je le voye : Allons donc recevoir triomphant, couronné Cet Espoux que mon Pere & les Dieux m’ont donné. Moderez, Papyrie, & vos cris & vos larmes ; Je souffre autant que vous en ces rudes allarmes, Et ce coup estonnant du sort & du malheur Ne m’apporte pas moins de trouble & de douleur. Ah ! Madame, excusez ce transport legitime D’un amour qui sans vous ne passoit pas l’estime, Et qui dessous vos loix augmenté de moitié Sur un sujet de gloire en est un de pitié : C’est peu qu’en ce revers que le destin m’envoye Une extréme douleur suive une extréme joye ; Il est vray, ce passage & difficile & grand Met un cœur en desordre alors qu’il le surprend : Mais au lieu d’un Mary qui flatte nostre attente, Que l’on va recevoir d’une joye éclattante, Où l’on cherche un Amant noble & Victorieux ; Treuver un Ennemy superbe, injurieux, Un criminel d’Estat, un mortel Adversaire De qui l’orgueil offense & les loix, & mon Pere, Qui jusqu’entre mes bras fuit devant son couroux, Un Lyon, que j’aymois dessous le nom d’Espoux ? Ah ! c’est-là le surcroist d’une misere extréme, Contre qui ma Vertu s’épuise dans moy-mesme, Dont la force n’est plus qu’un despit enflamé Ou de l’aymer encore, ou de l’avoir aymé. Estouffez ce depit, dont l’ardeur vous devore ; Si vous l’avez aymé, vous l’aymerez encore : Fabie est Criminel ; mais on peut l’excuser : Papyre est en couroux ; mais on peut l’appaiser ; Si l’un est mon Mary, l’autre est aussi mon Gendre ; Je scay ce que je puis sur tous deux entreprendre ; Je veux que mon esprit se treuve plus puissant Qu’un couroux vertueux, & qu’un crime innocent : Vostre ame, pour faillir, est trop belle & trop haute ; Si c’est faute d’aymer, j’ay part en vostre faute ; Une fausse vertu vous le feroit haïr ; C’est vertu que l’aymer, puis que c’est m’obeïr. Quelle vertu contrainte, & quelle obeissance ! Puis que ne l’aymer pas n’est plus en ma puissance : Pourrois-je l’avoir veu, ce Mars humilié, D’un cœur doux, sans orgueil, de soy-mesme oublié, Applaudi du Senat, au milieu de sa gloire, Demander au Consul pardon de sa victoire, Mettre tout son triomphe à fuïr le trespas, Se montrer si loüable à ne se loüer pas, Envers Rome excuser un mal si profitable ? Et ne luy garder pas une amour veritable ? Pourrois-je d’autre part voir un Pere offensé, Un Chef desobeï, dans son Camp delaissé S’armer contre son crime ? & de haine incapable Moy, voir son Ennemy ? moy, cherir le Coûpable ? Tous mes sens en desordre osent donc me trahir ; Je le tiens odieux, & ne le puis haïr ; Je ne le puis aymer, & je le treuve aymable ; Il me paroist horrible, & me semble agreable ; Mon Pere & mon Amant combattent dans mon cœur, L’un mon trop de tendresse, & l’autre ma rigueur ; Ils m’accusent tous deux, & tous deux me font craindre ; Ils me blessent tous deux, & tous deux me font plaindre : Fabie, ah ! c’est mon Pere ; & tu peux l’offenser ? Papyre, ah ! c’est ton Gendre ; & tu peux le chasser ? Arrestez ; tous vos coups retombent sur moy-mesme ; Vous ne pouvez blesser un de vous que je n’ayme : Ô Papyre ! ô Fabie ! ô cœurs trop animez ! Vous monstrez bien tous deux combien peu vous m’aimez ; Un vain desir d’honneur vous force, & me surmonte ; Et tous ces grands combats ne seront qu’à ma honte : Je voy déja l’orage eslever mille flots, Et Rome divisee entre ces deux Heros ; Je voy mon Pere armé de sa toute-puissance Combattre un digne effect d’une indigne licence, Fabie environné de gloire & de faveur Opposer le Senat contre le Dictateur : Que de divisions pour une chere vie Et trop fort déffenduë, & trop fort poursuivie ! Croyez qu’on n’en viendra jamais jusqu’à ce poinct. Qu’ont-ils fait dans le Camp ? vous ne le sçavez point ? Je scay ce que Papyre a fait dans sa colere ; Mais je tiens qu’il estoit enflamé par Valere : Fabie a par sa fuite évité le trespas ; Papyre est seul au Camp, qu’il ne quittera pas ; Contre les Ennemis employant son courage, Le temps & le Senat calmeront cet orage ; Comme Gendre Fabie en grace retourné….. Mais il vient, ce Vainqueur en triomphe mené. Comme Ennemy d’un Pere, ou comme vostre Gendre Je ne le puis fuir, & je ne l’ose attendre : Que feray-je ? ô fureur ! que voy-je ? ô doux transport ! Cette Maison fera mon naufrage ou mon port : J’ay quitté le Senat qui m’a pris en sa garde ; Pour Juge, ou pour appuy, c’est vous que je regarde ; Je ne veux point avoir en mon affliction Contre le Dictateur d’autre protection Que ce lieu, son beau-Frere, & sa femme, & sa fille. Vous les voyez, Fabie, & toute la famille : Qui sur les grands effects d’une insigne valeur Admire vostre gloire, & plaint vostre malheur. Quel malheur glorieux qui me fait voir encore Tout ce que je respecte, & tout ce que j’adore ! Tout mon mal-heur, Madame, est dans mon action, Comme toute ma gloire en vostre affection : Le Pere me poursuit ; j’évite sa colere, Et prends pour me punir & la Fille, & la Mere, Le beau-Frere pour Juge en ce grand interest, Sa Maison pour refuge, & sa voix pour arrest. Le Senat me protege, & le Peuple m’honore : Mais vous estes le seul digne que je l’implore, Camille, je remets ma vie entre vos mains, Comme au plus genereux & plus grand des Romains ; Toute cette faveur, que brigue en vain mon Pere, Je la treuve en vous seul, c’est en vous que j’espere ; Et je n’espererois rien de vous, ni des Cieux, Si mon crime n’estoit & noble, & glorieux ; Il peut sans honte errer dedans vostre memoire, Il vous est familier ; c’est mesme la victoire: Craindrois-je vostre Arrest, ni d’estre condamné, Pour les mesmes succez qui vous ont couronné ? Et si cet attentat que veut punir Papyre Fait moins ma gloire encor que celle de l’Empire ? J’ay l’honneur du combat ; Rome en a tout le fruict ; Ce combat la maintient ; ce combat me détruit ; Et pour un haut exploit, dont la gloire est complice, Au lieu d’une Couronne, on m’appreste un supplice, Une honteuse mort pour un fait vertueux : A peine ay-je évité ce foudre impetueux, Qui mesme dans le Camp fumant de ma victoire Alloit faire tomber, & ma teste, & ma gloire : Maintenant je la donne, & ne me deffens pas ; Je fuy l’ignominie, & non point le trespas : Si vous, si le Senat ordonne que je meure ; Prononcez ; je suis prest d’expirer à cette heure ; Ce bras victorieux par un coup noble & beau Versera mieux mon sang que la main d’un Boureau, Et ce sang genereux offert comme en victime Lavera ma victoire, & ma honte, & mon crime ; Il est pur, il est noble.         Il faut le conserver; Il fait triompher Rome ; elle doit le sauver ; Elle est trop obligee à de si grands services : Et si pour la victoire il faut des sacrifices, Elle seroit impie en rendant grace aux Dieux D’immoler en victime un Vainqueur glorieux ; Rome n’est que severe ; elle seroit barbare ; Elle traitera mieux une vertu si rare ; Et pour moy, suppliant envers le Dictateur J’aimeray le Coûpable, & le Persecuteur, Et nous joignant ensemble & la Fille & la Mere Nous serons importuns autant qu’il est severe ; Il aura pour partie en un si grand courroux, Et la Mere, & la Fille, & le Senat, & nous. Avec un tel appuy craindrez-vous de combattre ? Papyre sera seul ; & nous nous treuvons quatre : Contre nous, contre Rome offerte à ce besoin Ses coups seront sans force, il combattra de loin. Au contraire, il est proche : ô Fabie ! ô Camille ! Helas ! le Dictateur vient d’entrer dans la ville. Dans la Ville ? mon Pere ? ô Dieux ! qu’ay-je entendu ? Je l’avois bien predit ; ah ! Fabie est perdu. Ce ne sera jamais qu’en vous perdant, Madame : Mais vostre peur m’asseure, & sa glace m’enflame, Puis que ce cœur surpris monstre par vos regrets Des vœux que le silence avoit tenus secrets ; Si la Fille en son cœur fait des vœux pour ma vie, Craindrois-je de la voir par le Pere ravie ? Entre, Pere cruel, viens perdre ce Vainqueur ; Je craints peu de mourir, si je vy dans son cœur ; Ma mort, qui me fera revivre en sa memoire, Quand tu crois me punir m’est une autre victoire ; Viens rendre ton courroux & mes desirs contens, Noble & cher Ennemy, viens doncque ; je t’attens. Vous le verrez trop tost, peut-estre à vostre perte ; Helas !         A ce soûpir, ma mort sur l’heure offerte Deviendroit agreable à mon cœur amoureux ; Quoy qu’on fasse à present je ne puis qu’estre heureux. On a déja trop fait d’attaquer vostre vie. Mais il faut prevenir cette mortelle envie ; Secondez nous, Camille ; & déja dans ce soin Je vais treuver Papyre.         Il n’en est pas besoin : Madame, il vient icy : je viens d’oüir moy-mesme Un serment qu’il a fait dans sa colere extréme, Qu’il ne reverra point les Dieux de sa Maison Que d’un Vainqueur coûpable il n’ait tiré raison ; Mesme il en a juré par ses Dieux domestiques : Le bruit de sa fureur vole aux places publiques ; Il resonne par tout ; on n’entend que clameurs ; Rome n’est plus que cris, que langues, que rumeurs ; A sa voix, à ses yeux le plus asseuré tremble ; Par son ordre déja tout le Senat s’assemble : Mais sçachant qu’il passoit en ce lieu pour vous voir, Je viens d’un pas hâté vous le faire sçavoir. Sans toy, belle Affranchie, il nous eust pû surprendre : Prevenons le, mon Frere, allons le voir descendre, Opposons quelque obstacle à cet ardent couroux, Arrestons dedans l’air la foudre avant les coups ; Elle gronde souvent, sans pour autant qu’elle tombe. Mais la voyant tomber, Dieux ! quel cœur ne succombe ? Le mien, qui fera voir dans un trouble si grand Qu’on peut par la Vertu triompher en mourant. Quel desespoir injuste à la mort vous convie ? Ah ! laissez nous, sans vous, disputer vostre vie ; Puis que vostre salut est reduit à ce poinct, Demeurez en ce lieu ; mais ne vous montrez point. Ce lieu vous servira de prison, & d’azile. Mais d’un Temple, où mes Dieux sont Lucille & Camille. Mais les puis-je appeller mes favorables Dieux ? Et pourrois-je en chercher d’autres que vos beaux yeux ? Lors que je les adore, & que je vous contemple, Je voy mes Dieux humains, mon Autel & mon Temple, Où mon cœur se consomme, & doit estre en ce jour Victime du destin, & victime d’amour ; Et l’une & l’autre mort ne peut qu’estre agreable ; L’une est delicieuse, & l’autre est honorable ; Je mourray pour ma gloire & mon contentement, En Vainqueur par le fer, par vos yeux en Amant ; Pour ma gloire & pour vous si le trespas m’emporte, N’est-ce pas triompher que mourir de la sorte ? C’est me perdre moy-mesme, & par un coup du sort Me blessant en autruy me tuer par sa mort : Défendez vous du fer qui causeroit mes larmes, Et ne redoutez rien du côté de mes charmes ; Mon Pere vous sera plus fatal que mes yeux ; Je puis sauver l’Amant, non le Victorieux. Donc ma gloire me perd ? ah ! victoire funeste, Qui détruit nostre amour & l’espoir qui me reste ! Las ! pour vous meriter je vainquis seulement, Je fus victorieux pour me montrer Amant ; Et par un sort malin autant que plein de gloire Je vous perds, je me perds par ma propre victoire. Ah ! sauvez vostre vie, & moy-mesme en ce poinct : Car c’est me conserver que ne vous perdre point. La sauver ? non, par tout ma ruine est ouverte, Je cours, en me sauvant, à ma plus grande perte : Quoy ? vivray-je sans vous, & sans vous obtenir ? Le courroux paternel viendra nous desunir : D’un ou d’autre côté vous me serez ravie, Je vous perds par ma mort, je vous perds par ma vie : Ah ! j’ayme mieux, sans suivre un espoir decevant, Vous perdre par ma mort que vous perdre en vivant. Quoy ? dans ce desespoir plus grand que sa colere Vous m’estes plus cruel que ne vous l’est mon Pere ; Ennemis l’un de l’autre, & contre moy tous deux Vous conspirez ensemble à détruire mes vœux : Considerez qu’enfin vostre vie est la mienne ; Si l’un peut l’attaquer, que l’autre la soûtienne : Pour gagner de la gloire, & pour me meriter, Vous vainquîtes ; vainquez encor pour m’emporter ; Comme je fus au Camp l’objet de vostre crime, Que je le sois icy d’un combat legitime ; Animez le Senat à vous bien maintenir Sur un crime si beau qu’on ne le peut punir ; Opposez…. Mais que dy-je ? helas ! que faut-il faire ? Opposer ? Qui ? Fabie ; un Amant contre un Pere : O genereux, ô doux, ô cruel mouvement ! Mais puis-je voir un Pere armé contre un Amant ? Contre son Gendre propre, & contre Rome encore, Qui coûpable qu’il est, ainsi que moy l’adore : Mais devrois-je adorer un qu’un Pere poursuit ? Ce penser combat l’autre, & l’autre le détruit : Non, mon Pere cruel ne le doit pas poursuivre ; Un si noble Vainqueur merite au moins de vivre ; Vivez, vivez, Fabie.         Ah ! sans vous je ne puis ; Et ce penser me plonge en un goufre d’ennuis : Ce Pere veut ma vie ; & je la puis deffendre : Mais durant son courroux je ne vous puis pretendre. Que pretendez-vous donc ?         Helas ! je n’en sçay rien ; De me perdre plustôt que de quitter mon bien. Si mon Pere en vient-là, quoy que je le revere, S’il faut qu’il vous immole à son couroux severe ; Autant pour vous vanger qu’afin de le punir, Ma genereuse mort nous poura reünir ; Il faut, pour reparer cette rigueur étrange, Si le Pere vous perd, que la Fille vous vange. Au lieu de me vanger contre un Pere & les loix, Ce seroit me punir & me perdre deux fois : Oyez déja mon Ombre & crier, & vous dire ; Ne me vangez pas tant, offensez moins Papyre. Je sçay que je l’offense en ce haut sentiment Qui ne peut separer l’Ennemy de l’Amant ; Que cruelle à mon Pere, & pour vous pitoyable Je fay contre un devoir une faute loüable : Pour elle aussi ma mort, comme pour son couroux, Me punit envers luy, le punit envers vous ; Elle suivra la vostre, & l’exemple d’un Pere ; On doutera des deux qui fut le plus severe, Luy pour garder les loix, moy pour sauver ma foy ; Ce qu’il fera sur vous, je le feray sur moy ; La mort nous rejoindra, si la mort nous separe. Ah ! soyez moins cruelle.         Ah ! qu’il soit moins barbare ! Ce desespoir l’emporte : O cœurs trop genereux ! Que feront-ils ? j’en tremble & crains déja pour eux : Suy les ; empéche au moins qu’on voye icy Fabie ; Toy-mesme, à son deffaut, prends le soin de sa vie. Qu’on ne m’en parle plus ; il mourra, l’insolent. Quoy ? voulez-vous passer pour esprit violent ? Comme estant Dictateur, je veux passer pour homme Qui ne voit que les loix & l’interest de Rome. Rome éleve son front par deux si beaux combats. Rome par ce chemin seroit bien tôt à bas, Elle à qui le destin promet toute la Terre Par la religion & les loix de la guerre : Et Fabie ose enfraindre en cette occasion Et les loix de la guerre, & la Religion : Je deffends le combat pour une juste cause, J’ay soin de mon armée ; & l’Insolent l’expose ; Je reviens, par la peur d’un succez mal-heureux, Revoir les Dieux de Rome ; & luy se moque d’eux : Je r’appelle le sort, par de nouveaux auspices ; Et luy, tente les Dieux, quand je les rends propices : Si le sort est changé, c’est par moy, c’est par eux ; Son courage au combat a moins fait que mes vœux ; De Rome à nostre Camp j’envoyay la victoire ; Et les Dieux dans son crime ont pris soin de ma gloire : Le jeune temeraire ! il y devoit perir : Mais ceux que j’invoquois l’allerent secourir ; Ils regarderent moins sa gloire que ma honte ; Il exposoit mon Camp ; ils m’en ont rendu conte : On dira de son bras, comme de ma vertu, Que Papyre & les Dieux ont par luy combattu. Mais il rend glorieux & les Dieux, & Papyre. Mais il choque les loix, & hazarde l’Empire. Son courage est sa loy ; l’Empire est conservé. Non pas ; si l’on ne perd celuy qui l’a sauvé : Si les loix dépendoient d’un si jeune courage, Et l’Empire & les loix feroient bien-tôt naufrage ; Le courage parfois ne sert qu’à nous trahir ; Qui veut bien commander doit sçavoir obeïr ; Sans cet ordre les Chefs n’auroient plus de puissance, Et la guerre seroit un monstre de licence : Quoy ? Donner un combat, que j’avois deffendu ? Le succez de sa faute en a bien répondu. Répond-il d’une ardeur qui peut perdre les autres ? Auront-ils des succez toûjours pareils aux nostres ? Faisons leur un exemple épouvantable & grand D’un Chef, bien que vainqueur, qui sur l’ordre entreprend, Et dedans la carriere à ces grands Cœurs ouverte Que Fabie aujourd’huy les sauve par sa perte. Plustôt par la Clemence enseignez leur à tous Cet art plus glorieux de vaincre son couroux ; Vous-mesme devenez un memorable exemple, Qu’en la guerre, en la paix toute Rome contemple ; Et montrez par un trait qui vous va couronner Que Fabie a fait mal s’il luy faut pardonner : Le meilleur Empereur n’est pas le plus severe ; Voyez ce qu’avant vous fit Camille mon Pere : Un temeraire Chef, qui l’avoit offencé, Fut compagnon d’honneur par luy-mesme avancé : Quel pardon, qui passa jusqu’à la recompense ! En une faute heureuse imitez sa Clemence ; L’exemple en est celebre, & c’est d’un Dictateur Que Rome nomme encor son second fondateur. Cincinnate autre fois….         Suffit qu’il m’en souvienne : Mais chacun suit sa voye ; & ce n’est pas la mienne : Fabie est glorieux au dessus du pardon ; Il ne peut demander, ni moy, faire ce don. Je l’implore pour luy ; donnez le à mes prieres. L’importance du faict les rend icy legeres ; Non, vous ne sçavez pas ce que vous demandez. Un Heros, qu’on poursuit.         Qu’en vain vous deffendez. Je deffens un Vainqueur.         Ah ? c’est trop entreprendre ; Ce Vainqueur doit perir.         Mais non pas vostre Gendre. Que ce nom me surprend ! Lucille, qu’est-ce cy ? Ah ! donnez moy sa vie.         Et toy, ma Fille, aussi ! Quoy ? toute ma Maison me combat, & conspire Contre l’autorité que je garde à l’Empire ? Conspirez pour Fabie, & combattez tous trois ; J’auray pour moy l’Empire, & la force, & les loix. Que parles-tu d’un Gendre : & quelle est cette audace Qui te fait demander & sa vie, & ma grace ? Quoy ? pour mon Ennemy, qu’un crime rend Vainqueur, Ta bouche ose s’ouvrir aussi bien que ton cœur ? Quelle indiscretion ? où va cette imprudence ? Madame, & l’on trahit ainsi ma confidence ? Vous estes femme enfin, & vous avez parlé. Je suis Mere de plus, & j’ay tout revelé : Mais quand bien j’aurois tû ce qu’il falloit apprendre, La parole vous lie, est-il moins vostre Gendre ? Le secret n’estoit pas si prest à publier : Ma parole est sacrée, elle me doit lier ; Ouy ouy, nous la tiendrons. Vous n’avez sceu vous taire ; Ma Fille a trop appris, & n’ose que trop faire : Mais un moyen me reste, en le faisant punir, D’acquitter ma parole, & ne la pas tenir ; Je la dégageray, sans que je la viole, Et rompray ce lyen, sans rompre ma parole : Fabie est donc mon Gendre : & pour ne l’estre pas, Je me puis dégager bien tôt par son trépas ; Je puniray son crime.     Ah ! mon Pere !         Et le vostre. Sçachez que son trépas sera suivi d’un autre : Regardez vostre foy, ma douleur, & son rang ; Epargnez vostre Gendre ; épargnez vostre sang ; Nous avons merité tous deux vostre colere ; Mais il est vostre Gendre, & vous estes mon Pere. Mais il est criminel, & vous, bien plus que luy. Mais…         Ferez-vous perir vostre race aujourd’huy ? Croyez que je suivray le destin de ma Fille : Quoy ? pour un poinct d’honneur perdre vostre Famille ? Ce poinct va conserver le pouvoir souverain, Qui m’anime à ce coup & me hausse la main ; Ma main luy va donner ce que Rome demande ; Si Fabie est trop peu, ma Famille en offrande; Si ma Famille encore est peu pour son besoin ; Tout mon sang coulera dans un si noble soin ; Ma Dictature attend un exemple si rare ; Elle, ou luy, doit perir.         Quel exemple barbare ! Répondons luy de cœur ; s’il faut mourir, mourons. Cruel, va l’immoler ; dans peu nous le suivrons. Voyez ce qu’en ces cœurs produit vostre colere. Quelle fureur ? ô Dieux ! retenez les, mon Frere : J’en demeure interdit.         Seigneur, n’avancez pas: C’est courir à la mort ; elle est dessus vos pas ; Ayez plus de respect, ou de soin pour la vie. Elles sont déja loin : va, cours aprés, Flavie. Avançons.         Ah ! c’est trop balancer mon couroux ; Il tombera… Que voy-je ? il tombera sur vous : Quoy ? tous deux à mes yeux, dedans ce trouble extréme, Vous venez me braver jusqu’en ce Palais mesme ? Nous venons au devant d’un foudre en sa fureur. Contenter le couroux d’un puissant Empereur. Tous deux en vrays Romains, luy de mon sort complice, Moy, n’ayant pu soufrir la honte d’un supplice, Nous venons genereux à vos pieds apporter Deux tétes, qu’on pouvoit contre vous disputer. Quoy ? ces cœurs sont rendus, ces ardents à combattre ? Ces courages pli’ront, quand je croy les abbattre ? Relevez les ; j’ay honte à vous voir relâcher ; Soyez, en résistant, dignes de me fâcher : Donc Fabie est rebele aux loix, dans mon Armée ? Et dans Rome, ses feux ne sont plus que fumée ? Le Senat le soûtient, il peut faire un party; Et devant le combat son cœur s’est démenty ? Mon cœur ne le sçauroit, il est le mesme encore ; Mais plus il est puissant, & plus il vous honore : Sans liguer le Senat, sans armer nos Maisons, Mon respect sera seul ma force, & mes raisons. Mon courage osa trop, il se laissa surprendre, Il déroba la gloire ; & je vous la viens rendre ; Je vous rends mes honneurs, ma dignité, mon rang ; Acceptez ma victoire, & prenez tout mon sang. Je veux tirer ce sang, non pas qu’on me le donne ; L’Ennemy me déplaît, alors qu’il s’abandonne : Vostre victoire n’est que d’un crime éclattant Le fruict qu’un Criminel doit au sort qui l’attend. Avancez donc ce sort, tranchez ma destinée. Le Senat le doit faire, & dans cette journée. Daignez avec Camille icy la terminer ; Il m’est tout un Senat, & me peut condamner ; Vous connoîtrez tous deux combien je vous respecte : Sa vertu moins qu’à moy vous doit estre suspecte ; Il en peut decider devant vous, & chez luy. Loin d’estre vostre Juge, il s’est fait vostre appuy. Je le suis de sa gloire, & de son innocence, Qui fait une vertu d’un crime de licence ; Son cœur, par un remords & noble & genereux Desavouë à ses bras ce qu’il a fait par eux, Il renonce à sa gloire, & leur en fait reproche : Et ce cœur ne sçauroit toucher un cœur de roche. Il le touche, il le perce, & ne l’ébranle point ; Ce rocher s’affermit, & demeure en un poinct. Je voy qu’en luy l’amour a fait place à la haine ; Ce poinct me l’a fermé, ce poinct seul fait ma peine ; Ce poinct détruit la grace où j’allois recourir, Et plus fort que mon crime il me fera mourir ; Il endurcit ce cœur qui fut pour moy si tendre, Et vous fait oublier que je suis vostre Gendre. Mon Gendre ? un Criminel ? Non, vous ne l’estes plus : Ne cherchez point ce titre & des noms superflus ; C’est en m’obeissant qu’il falloit le paraître. Les combats m’ont fait voir bien plus digne de l’estre ; Et je n’ay recherché d’estre victorieux Que pour rendre encor plus vostre choix glorieux, Que pour justifier une si haute place Acquise en vostre Armee, ainsi qu’en vostre grace ; Et par une victoire entrer plus dignement Dedans vostre Maison en Vainqueur, en Amant : Mais par cette Victoire, à ma premiere entree, Mon amour pour triomphe a la mort rencontrée. Je l’attens ; mais plus noble, & digne de mon cœur : Que le bras de l’Amant punisse le Vainqueur ; Soufrez que mes lauriers s’immolent à ma flame, Que ce fer à vos pieds luy consacre mon ame ; Pour sauver mon honneur, permettez que mon bras, Ce fameux Criminel qui donna ces combats, Sans attendre un Boureau qui soüilleroit ma gloire, Verse icy tout mon sang, pour laver ma victoire. Dieux ! que sents-je ? est-ce moy ?         Dieux ! que voy-je ? est-ce luy ? Quel spectacle ? ô mes yeux ! ô mon cœur ! quel ennuy ? Quel furieux transport ! & que vouliez-vous faire ? Trop peu pour mon amour.         Mais bien trop pour ton Pere : Qu’ay-je dit ? je me trompe ; & tu n’es pas mon Fils ; Lâche, ce que tu fais détruit ce que tu fis : Quoy ? pour une victoire & si grande & si pleine Implorer ce Cruel ? t’exposer à sa haine ? Luy demander la vie ? ô honte ! ô lacheté ! Moy ? mon Pere.         Tay toy : puis-je l’avoir esté ? Ce cœur remporta-t’il une double victoire ? Ce cœur pouroit-il bien ternir ainsi sa gloire ? A-t’il tant de foiblesse ? eut-il tant de vigueur ? Infame, répons moy ; répons moy, noble cœur : Mais lâche & genereux, que me peux-tu répondre ? On voit une action dans l’autre se confondre ; L’une me fait horreur, & l’autre a des appas ; Par elles c’est mon Fils, & si ce ne l’est pas : Parle, fils genereux ; mais plustôt parle, infame ; As-tu doublé ton cœur ? as-tu doublé ton ame ? Mais quel aveuglement à ma colere est joint ! Je t’impute deux cœurs, lâche, tu n’en as point ; Après une victoire & si belle & si rare, Tu viens de le laisser aux pieds de ce Barbare : Peux-tu bien racheter une vie à ce prix, Digne de ses rigueurs, digne de ses mépris ? Ta victoire peut elle estre encore enviée ? Il te la doit ceder ; ah ! tu l’as bien payée : Quoy ? demander la vie ? un Fabie, un Romain ? As-tu perdu ton cœur ? qu’as-tu fait de ta main ? Pour effacer ta honte, & pour finir ma peine, Viens emprunter la mienne ; elle est toute Romaine ; Je t’ay donné le jour, je puis te l’arracher ; L’avoir en don d’un autre, ah ! c’est un don trop cher ; Quoy ? demander la vie ? ô l’indigne foiblesse ! Que ce reproche injuste & m’anime & me blesse ! Moy, demander la vie ? un bien plus noble effort Me tenoit à ses pieds pour implorer la mort : Mais puis qu’il est encore appreuvé de mon Pere ; Je puis le contenter, je doy vous satisfaire, Et vay dans les transports de mon cœur amoureux, Si je doy Criminel, payer en genereux ; Je préviendray du moins le supplice & ma honte : Mon sang, de mes desirs, à tous va rendre conte : Vous, lisez dans mon cœur, vous verrez jusqu’au fonds ; Vous mon Pere, voicy comme je vous répons. Arrestez sa fureur.         Ou plustôt son courage ; Par luy je voy mon Fils, & combien je l’outrage ; C’est comme mon sang parle, & repare un affront ; Je parlois en Fabie, en Fabie il répond. Je ne vous quitte point.         Faut-il qu’on me confonde ? Soufre que de mon cœur mon propre bras réponde. On connoît vostre Cœur digne d’un autre sort. On le connoîtra mieux encore par ma mort. La prevenir ainsi, c’est la craindre, & se rendre ; Il faut la disputer ; la force est à l’attendre. Ouy, quand avec éclat on la peut disputer ; Mais attendre un supplice ? ah ! c’est le meriter. Nostre vie est aux Dieux ; le destin en dispose : Le supplice est honteux seulement par la cause ; D’un supplice on peut faire un trépas glorieux ; Il faut vivre pour nous, & mourir pour les Dieux. J’ay vécu pour l’honneur ; je veux mourir de mesme. Mourir par desespoir est une erreur extréme. Ouy, Cruel ; mais icy rien n’est deseperé : A t’oüir, on croiroit son trépas preparé ; Tu crois que le Senat selon tes vœux l’appréte ; Tu refuses sa main, pour mieux avoir sa téte ; Ce n’est pas de son bras que tu veux obtenir Une mort qui te vange & le puisse punir : Ta douceur n’est que feinte, & je voy ta malice ; Tu retardes sa mort, pour hâter son supplice ; C’est dessus son honneur que tu veux te vanger : Mais le Senat est juste, & doit le proteger : Tu n’en veux qu’à son nom, tu n’en veux qu’à sa gloire ; Ta jalousie est claire, & ta malice est noire ; Ton lâche procedé, violent, factieux Met son crime si haut qu’il t’en montre envieux; Son crime, qui t’offense, est si beau, qu’il nous flatte ; Nous eussions tû sa gloire, & tu fais qu’elle éclatte ; Rome, qu’elle enrichit, porte au dessus des loix Ce crime, qui n’est plus crime que dans ta voix ; Que ta voix annoblit, que ta rigueur illustre, Qu’elle fera passer de l’un à l’autre lustre ; Ce crime, honneur de Rome, & dont l’accusateur, Ou plustôt l’Envieux, est un grand Dictateur ; Ce crime, qui la sauve, & que le Camp renomme ; Pour qui l’on dûst ouvrir tous les Temples de Rome, Pour faire sacrifice, & rendre grace aux Dieux Des victoires qui vont perdre un Victorieux : Je ne le nomme point ton Amy ni ton Gendre ; Je retire mon sang quand tu le veux répendre : Veux-tu, pour confirmer l’alliance & l’accord, Le signer par son sang, l’arréter par sa mort ? Tygre, va le répendre, & Tygre, va le boire : Mais revere son nom, punissant sa victoire ; Songe au sang precieux, qu’elle-mesme épargna, Que tu la pouvois perdre, & qu’il te la gagna : Voy…         Quoy voir ? j’ay trop veu sa desobeissance, Et je voy mesme icy trop braver ma puissance : Quel insolent orgueil ? craignez…         Je ne crains rien : La crainte est aux méchants ; nous en differons bien : Connoy mieux ton pouvoir, & les Ames Romaines ; Nous avons eu l’éclat des marques souveraines : Je craindrois ? moy ? Consul, trois fois, & Dictateur ? Les Romains m’ont veu Maître, & non persecuteur ; Sans perdre les Vainqueurs j’emportois la victoire. Ah ! c’est trop offencer & ma charge & ma gloire : Nous verrons au Senat quel pouvoir nous avons, Je vous attendray là.         Fort peu ; nous vous suivons. Allons, mon Fils, allons disputer de ta vie. J’en desespere, & plains l’un & l’autre Fabie. Puis qu’ils sont au Senat, j’ose encore esperer : Et ce moment fatal nous donne à respirer. Mais à pleurer plustôt : que dy-je ? en ces allarmes Pour le sang de Fabie est-ce assez que des larmes ? Son trépas est certain, mon Pere l’y conduit : Voyez voyez l’état où mon cœur est reduit : Quoy ? ce Victorieux, que toute Rome admire, Au milieu de sa gloire en triomphant expire ? Et ce qui dans mes sens fait naître plus d’horreur, Mon Pere impetueux l’immole à sa fureur. Est-ce un Gendre ? est-ce un Pere ? & suis-je encor sa Fille ? Ne considerer point son rang ni sa famille ? Sa foy, leur amitié, ma sainte affection, Vous-mesme, Rome entiere, & sa protection ? Malgré tout le Senat, qui respecte sa gloire, Acabler ce Vainqueur sous sa propre victoire ? Suivre contre nos vœux son violent transport ? Oter à sa Maison un si noble support ? Un Gendre, dont la gloire honoroit sa famille ? Est-ce un Pere en effect ? & suis-je encor sa Fille ? Vous l’estes, Papyrie, & dans ce sentiment Vous témoignez assez de l’estre noblement ; Fidelle Amante autant que Fille genereuse Vous blâmez justement sa loy trop rigoureuse ; Comme vous je la blâme, & suis pour vostre Amant : Mais….         Veut-on que j’étoufe un juste mouvement ? Donc aprés sa parole & donnée & receuë Son Gendre par sa mort verra sa foy deceuë ? Est-ce comme il la donne ? est-ce comme il la tient ? Je me treuve engagée ; à peine il s’en souvient : C’est mon Epoux enfin ; & quoy qu’il en avienne ; Mon Pere romt sa foy ; je veux tenir la mienne ; Et pour la bien tenir, compagne de son sort, Puis qu’il s’en va mourir, je n’attens que la mort. Ce sentiment est juste, encore que trop tendre : Dans un sort si cruel vous la devez attendre : Mais l’attendre, ma Fille ; & non pas prevenir Par elle le trépas d’un qu’on ne peut punir ; Le Senat, toute Rome obligee à sa gloire Maintiendra le Vainqueur, admirant la victoire ; Ou son propre destin s’estendant dessus nous Me fera suivre un Gendre, & vous, suivre un Epoux : Mais faut-il prevenir nous-mesmes son supplice ? Vous sçavez qu’on prepare au Temple un sacrifice ; Allons faire rougir en ce dernier ressort Les Autels pour sa vie, ou les Dieux pour sa mort ; On les verra fléchis par nos vœux legitimes, Ou nous-mesmes servir de dernieres victimes ; Nôtre sang va braver, à la face des Dieux, Le couroux de Papyre, & la haine des Cieux ; Nous sçaurons….         Mais enfin que sçaurons-nous, Flavie ? Qu’il reste quelque espoir encore pour sa vie : N’estant par le Senat absous ni condamné Fabie en est au Peuple, & l’Appel est donné ; C’est toute la faveur qu’on a faite à son Pere. Qui flatte un peu nos maux, & qui n’est que legere. Comine allant au Peuple annoncer ce decret Me l’a dit vers le Temple, où déja tout est prest. Le Peuple aura le soin de conserver sa vie. Papyre pour le perdre encore a plus d’envie : Le Senat tout puissant n’ayant pû le sauver, Rome pour son salut ne peut plus rien treuver ; Non, le Peuple est trop foible, il a trop d’inconstance ; Mon Pere est trop entier, il a trop de puissance : L’un donc estant trop fort, l’autre mal deffendu, Fabie est mort, helas ! mon Epoux est perdu : Qu’attendrois je du Peuple ? ô destin ! ô mon Pere ! Ah ! je voy l’un & l’autre également severe ; Digne Amant, noble Epoux, Vainqueur plus glorieux, Rien ne te peut sauver.         Il reste encor les Dieux ; Implorons donc le Ciel, & recourons aux Temples ; On a de leur faveur d’aussi rares exemples. Un mal si proche attend un plus prochain secours ; Je n’en espere rien : Mais ayons y recours. Que demander au Ciel, pour m’estre plus prospere, Ou la honte, ou l’honneur, d’un Epoux, ou d’un Pere ? L’un & l’autre en ce jour doit vaincre, ou doit ceder ; Aucun bien, sans un mal, ne me peut succeder ; Si Fabie est plus fort, Papyre enfin succombe ; L’un vainqueur, l’autre meurt ; l’un sauvé, l’autre tombe : Soûtenez les tous deux, & pour m’estre plus doux, Dieux, appaisez mon Pere, & sauvez mon Epoux. Allons pour un tel bien implorer leur puissance. Mais les voicy tous deux : évitons leur presence. Toy, viens nous par sa vie ôter un grand dessein, Ou plonger par sa mort un poignard dans le sein ; Voy tout ce qui se passe, & nous le viens redire. Qui doit ceder ; des Dieux, de nous, ou de Papyre ? SErez-vous comme une ombre attachée à mes pas ? Dans la chambre, en ce lieu, quoy ? ne me quitter pas ? Non ; que je n’aye enfin obtenu cette grace Qu’il faut qu’en sa colere un Ennemy me fasse : Un Ennemy ? que dy-je ? un Pere, un Souverain ; Dont mon destin implore ou le cœur, ou la main ; Le coup, ou la pitié ; la mort, ou la tendresse ; Je ne doy qu’à vous seul, à vous seul je m’adresse : En vain j’ay veu pour moy le Senat agité : Flatté par mille Amis, par mon Pere excité, Encor que mon respect vous déplaise, & l’offense, Je n’ay pas daigné dire un mot en ma deffense ; Deffendrois-je mon sang, si vous le demandez ? Attendrois-je un Arrest, si vous ne le rendez ? Le Senat respectant ma téte, & vôtre foudre ; Ne m’a pû condamner, & n’ose pas m’absoudre, Comme il n’accorde rien, il n’a rien refusé ; Quoy qu’il m’ait par priere envers vous excusé, Quand mes Juges soûmis prioient pour le Coûpable J’accusois dedans moy leur zele favorable ; Ils cherchoient mon salut ; & mon cœur genereux Dans ces communs souhaits estoit mesme contre eux ; Eux regardoient ma vie, & moy vostre colere, Sçachant que je ne puis & vivre, & vous déplaire ; Que sans rentrer en grace, & dans vostre amitié, Le jour m’est odieux, ainsi que leur pitié ; Un seul moyen rendra leur assistance vaine ; Demeurez en colere, & ma mort est certaine : Quoy ? perdre Papyrie, & perdre mon amour ? C’est pis que perdre ensemble & la gloire & le jour : Est ce de vostre foy ce que je dûs attendre ? Qu’est devenu ce cœur, qui fut pour moy si tendre ? Luy, qui m’a tant aymé, pouroit-il me hair ? Qu’est devenu ce cœur, qui devoit m’obeïr ? Luy, que j’obligeay tant, & dont je dûs attendre La foy d’un Lieutenant, comme la foy d’un Gendre ; Luy, de qui le respect & l’amour me flattoit, Pouvoit-il m’offenser alors qu’il combattoit ? Pour rendre ma puissance & ma gloire étoufées N’avez-vous pas brulé les armes, les trophées ? Croyant dans la fumée obscurcir mon renom, Et dessous cette cendre ensevelir mon Nom ? Ce Nom poura, sans vous, passer à la memoire ; Ce Nom peut honorer la plus belle victoire, Des infracteurs des loix ennemy capital Ce Nom doit triompher, & vous estre fatal. Ce Nom m’est venerable autant que vous severe ; Je l’honorois au Camp, icy je le revere : Je devois à ce Nom ce qu’un zele pieux Par un voeu solennel me fit donner aux Dieux, Les dépoüilles d’un Camp sur l’Ennemy tirees Pour cet heureux succez leur furent consacrees. O le masque pieux d’un courage zelé, Qui forge aux Dieux un droict, lors qu’il l’a violé ! Que la Religion, qui couvre son offense, Détournoit de combattre autant que ma deffense. L’avantage de Rome offert presque à mes yeux Ne me sembloit venir que de la main des Dieux ; Et contre un ordre étroit ayant l’ame trop haute, J’ay creu qu’une victoire effaceroit ma faute. Mais puis que je ne puis eviter le trépas ; Que la loy, comme vous, est sourde & n’entend pas ; Que sans rien expliquer elle ordonne, & décide ; Qu’elle & vous me deffend d’estre mon homicide : Quittez ce grand couroux, armez vous de la loy ; Et je vay contenter vous, les Dieux, elle, & moy. Pour montrer qu’on m’en veut, & non pas à ma gloire, Punissez donc mon crime, & non pas ma memoire ; Il est, vous le sçavez, noble & victorieux ; Que je soufre un trépas, comme luy, glorieux ; Eloignons en ces noms de honte, & de supplice ; En vainqueur j’ay failly, qu’en vainqueur je perisse ; Que je meure en Fabie, & qu’il me soit permis D’aller chercher la mort parmy nos Ennemis ; Ainsi que j’ay failly, que je meure en grand homme ; Que mon dernier soûpir donne un triomphe à Rome ; Que j’ajoûte, en mourant, quelque lustre à son sort ; Qu’elle admire ma vie, & profite en ma mort : Les Samnites encor de reste ont quelque Ville; Que j’aille les forcer jusques dans leur azile, Expirer au dessus de leurs derniers remparts, Percé comme couvert de picques & de dars ; Que sur un tas de morts le dernier des Fabies Tombe avec ce grand Nom qui les veut pour hosties ; Sous vostre ordre une fois combattant à vos yeux Que j’aille demander un trépas glorieux A ceux que j’ay vaincus contre vôtre deffense, Que ma valeur expie un crime de vaillance : Puis qu’il faut par la loy perir, je periray ; Vous serez satisfait ; & je triompheray ; Souffrez…         Quoy ? ce triomphe ? il n’est pas legitime ; Ce seroit couronner non pas punir le crime ; Voila, pour vous flatter, un grand & vain effort ; C’est choisir son naufrage, & chercher un beau port, Un Criminel jamais s’est-il fait son supplice ? La vertu seule attend ce qu’il donne à son vice : C’est gloire que d’avoir des remparts à forcer ; La loy vous doit punir, non pas recompenser : Ces portes de la Mer, ces Villes des Samnites, Matieres de triomphe à ma charge prescrites, Attendent que mon bras qui portera leur sort Fasse en ces lieux voler & nôtre Aigle, & la mort ; Et m’offrent un triomphe, & des honneurs suprémes, Que vous avez soüillez par vos victoires mémes : Contre elles j’arme aussi, non ma severité, Mais les loix, pour punir vostre temerité : Attendez mesme sort qu’eut le Fils de Manlie ; Vostre crime est plus grand, un moindre nœud nous lie ; Son sang n’eut par sa mort qu’un combat à laver ; Mais le vostre en a deux, & se peut moins sauver. Ce n’est pas qu’en effect mon amitié blessee Ne combatte pour vous encore en ma pensée ; Je sçay ce que je perds, & Rome, en vous perdant : Mais Rome & moy perdrions bien plus en vous gardant. J’oy la force des loix, qui languit & soûpire ; Le pouvoir souverain , l’interest de l’Empire Gemit par cet avis dans mon cœur entendu ; Perds un homme, Papyre ; ou bien tout est perdu. O loix ! appaisez vous ; sa perte est asseuree ; L’Empire la demande, & mon cœur l’a juree ; Vostre victime attend, & le supplice est prest. Mais Dieux ! mon amitié s’oppose à mon arrest : Perdre un Gendre, un Heros, un Demon de vaillance ? Quel sang ! quel crime aussi ma Justice balance  ! Rome à Rome s’oppose en un coup si fatal ; Le sauver ? que de bien ! le sauver ? que de mal ! Mais c’est trop balancer ; la chose est resoluë ; Ton interest l’emporte, ô Puissance absoluë ! Il mourra. Mais pourtant lors que je le promets Deffendez vous, Fabie, & je vous le permets : L’appel en est au Peuple, où déja l’on s’assemble ; Vostre Pere…. Il paroît, & les Tribuns ensemble : Prevenez mon couroux, allez seul les treuver ; Tâchons, moy de vous perdre ; & vous de vous sauver ; Mon cœur, qui vous perdra, montre bien qu’il vous ayme, De vous encourager encor contre moy-mesme. Puis que vous l’ordonnez ; & bien donc, sauvons nous. Arrétez, arrétez ; & quoy ? me fuyez-vous ? Nous allons tous au Peuple ; & moy, je vous devance. L’assemblee est fort grande, on est à l’Audience ; Le Peuple prest de rendre un Arrest solennel Demande à haute voix le Vainqueur Criminel, Et que le Dictateur pour la chose commune, Daigne en les visitant honorer la Tribune : Je viens, pour vous y suivre, & vous accompagner. Moy, pour vous dire encor….         Et pour ne rien gagner : Epargnez des discours, que je ne puis entendre. Epargnez donc mon Fils, épargnez vostre Gendre : Et pour luy rendre un Juge, un Dictateur plus doux, Permettez qu’en ce lieu j’appaise son couroux ; Ayant émeu les flots, j’adoucy la tempéte : La foudre est dans vos mains, qui gronde sur sa téte ; Vers le Peuple, au Senat, par tout elle le suit ; Enfin tous mes efforts, qui font un si grand bruit, Et tant d’éclairs ne sont à mon cœur qui succombe Que les avant-coureurs d’un tonnerre qui tombe : Ah ! que n’en estes-vous armé pour mon trépas ! Ce grand cœur, qui se rend, ne succomberoit pas ; Je verrois, sans frémir, éclatter ce tonnerre, Et plustôt que mon cœur trembler toute la terre. Mais voir un Fils unique, & noble & glorieux, Reste des Fabiens, qui vaut tous ses Ayeux , Qui fit tout mon espoir, qui fait toute ma crainte, Peri par un supplice, & sa Maison éteinte ? Ah ! c’est un coup du Ciel, comme vous, inhumain, Et contre qui mon cœur cesse d’estre Romain : Dedans ce desespoir il se plaint, il soûpire, Ne connoît plus le Ciel, le Senat, ni Papyre Et tient pour Ennemis cruels, injurieux, Papyre, le Senat, & le Ciel, & les Dieux. Et les Dieux, & le Ciel, le Senat, & moy-méme N’écoutons point la voix d’un desespoir extréme : Ce sentiment Romain, que vous nommez couroux, Rien ne peut l’adoucir, ni le Senat, ni vous ; Le Peuple nous attend, & fera moins encore : Je vay perdre Fabie, & dans moy je l’adore ; Et mes sens genereux sont si fort combattus Que je puny son crime, admirant ses vertus. Elles parlent dans moy, leur puissance est bien forte, Elle attire mon cœur ; mais Rome enfin l’emporte ; C’est son interest seul qui combat sous le mien ; Je vay bien attaquer, mais deffendez vous bien. A quoy ce grand combat ? que sert cette deffense ? Je connoy que mon sort est en vostre puissance Que le Peuple ne peut….         Le Peuple en fin peut tout. Ouy, puis qu’il faut combattre, allons jusques au bout ; Remuons tout l’état pour le salut d’un homme, Et que Rome aujourd’huy combatte contre Rome ; Les services presens pouront bien soûtenir Un Vainqueur que l’on perd, de peur de l’avenir : Punir une victoire & certaine, & si grande, Pour un mal incertain, & que l’on apprehende ? Rome peut abolir de si timides loix, Ou du moins adoucir leur rigueur une fois ; Le fruict qu’elle en attend ne vaut pas l’avantage Qu’elle a déjà receu d’un si noble courage ; C’est avancer sa perte, augmenter son ennuy Que de faire perir un homme tel que luy, Et qui peut rendre à Rome un Monde tributaire ; Pour ce grand interest les loix doivent se taire. Si pour Rome la loy craint un mal incertain, Ce bien qu’on luy promet est encore plus vain : Laissons au Peuple à voir & juger de ces choses : Quoy que j’ay pû moy-méme estre Juge en mes causes, J’en ay permis l’Appel, pour vous favoriser. Mais que vous ne pouviez pourtant me refuser ; Puis que l’un de nos Roys ; c’est Tuelle, je le nomme ; Devant tout le Senat, à la face de Rome, Ceda bien à l’Appel, & montra le pouvoir Que le Peuple a parfois de juger & de voir ; Ce Monarque avoit lors une entiere puissance, Le Peuple moins de droict, luy plus d’independence. Tenez un Dictateur souverain comme luy. Mais Rome n’estoit pas ce qu’est Rome aujourd’huy ; Elle estoit sous les Roys ; maintenant elle est Reyne, Elle a sa liberté qui la rend Souveraine. Et cette liberté qu’elle met en nos mains Nous rend, plus que les Roys, puissants & Souverains : Il est vray qu’elle est libre à se donner un Maître ; Elle le fait ; après elle doit le connaître : Dittes, que peut le Peuple, & qu’a pû le Senat ? Ma dignité soufroit pour vous cet attentat ; Et contre mon pouvoir n’estant point de refuge, Vers le Peuple, au Senat je suis & Maître & Juge ; Quoy que pour ma décharge, & vôtre allegement, Je les fay compagnons dans ce haut Jugement. Vous n’avez sceu connaître une si grande grace : Mais je sçauray tantôt rabbattre cette audace. Voyez…..         Rien, Martian, que mes droits absolus : Je ne vous entends point, & ne les connoy plus. Allons au Peuple, allons ; c’est trop le faire attendre. Allons donc à la mort ; rien ne m’en peut deffendre. Non ; toutes ces raisons ne vont qu’à m’offenser ; Il est perdu, Camille, il n’y faut plus penser : Le Peuple & le Senat, impuissans l’un & l’autre, N’ont pas osé l’absoudre ; aussi ce droict est nôtre, La Dictature en moy treuve sa seureté ; C’est une souveraine & courte Royauté ; Je l’ay mise en sa force, & mon cœur l’a portée En un poinct où jamais elle n’estoit montée : De ce lieu si superbe, où vainqueur je la voy, Elle me rit, me plaît, elle est digne de moy : J’ay par un mème coup sauvé ma renommée, Et l’Ordre souverain, cette ame d’une Armée ; J’ay maintenu l’Empire, & le commandement. Et vous perdez Fabie en ce chaud mouvement. Je perds un Criminel ; il vaut mieux qu’il perisse Que cette autorité, les loix, & la Justice ; Quoy ? j’aurois veu décheoir par ma facilité La Justice, les loix, & cette autorité ? A ma honte, par moy, durant mon ministere Perir la Dictature, un si haut caractere ? Pour l’honneur de Fabie, & de ses deux combats, J’aurois veu perdre Rome, & tout l’Empire à bas ? Non ; j’ayme mieux couper ce mal en sa racine : Observateur des loix & de la discipline, Je fay pour l’avenir, je voy par le passé Le chemin que Manlie & Brute m’ont tracé. Par mon propre tourment pour te rendre obligee, Que n’est-il mon Parent, ô Rome protegee ! Ah ! Que n’est-il mon Fils, ce Gendre pretendu ! Je t’aurois plus donné, quand j’aurois plus perdu : Je soufre autant qu’un Pere, & ce grand coup m’étonne, Je l’ayme autant qu’un Fils, Rome ; & je te le donne. C’est un don en effect, qu’elle tiendra de vous ; Elle l’attend, Papyre & nous l’attendons tous : Chacun fait à Fabie un sort plus favorable, On l’attend en Vainqueur, & non pas en Coupable : On le demande tel, tel il nous soit donné, Puis que le Peuple enfin ne l’a point condamné. Il ne l’a point absous, c’est trop pour le confondre. Il le garde pourtant.         Et c’est pour m’en répondre: Pour ne l’irriter pas, je le laisse en ses mains. Vous avez le pouvoir : luy, l’amour des Romains. S’ils l’ayment, ces mutins ; ils craindront ma puissance ; Je laisse à leur orgueil cette ombre de licence, Et le temps d’aviser s’ils se rendront garants D’un crime à soûtenir par des crimes plus grands : Ils ne le feront pas ; ce soin est inutile ; Je suis Maître du Camp, je puis tout dans la Ville ; Le Peuple, qui me voit animé pour la loy, N’osera pas l’enfraindre, & méme contre moy ; Il connoît mon pouvoir, il connoit mon courage : Employons l’un & l’autre à ce fameux ouvrage ; Dans un juste dessein autant que rigoureux, Pour leur propre interest, opposons nous contre eux ; Refusant les Romains montrons que je les ayme, Et rendons Rome heureuse en dépit d’elle-méme ; Faisons son propre bien contre ses propres vœux ; Ne la regardons point, regardons ses Neveux ; Indulgente à son mal encor qu’elle soûpire, N’écoutons point sa voix, & gardons luy l’Empire ; Faisons un bien qui dure, & qu’on treuve aprés nous ; Perdons un Criminel, pour l’interest de tous. C’est perdre la Valeur, sous les loix opprimée ; Avec elle il faut donc perdre toute l’Armée, Qui dans ses interests entre & s’ose méler : Il n’est plus temps de feindre, & de vous rien celer : Tout le Camp se mutine, & prend part en ce crime, Que vous allez punir, qui contre vous l’anime ; Valere me l’a peint un Camp seditieux, Qui… Mais Comine vient ; peut-estre il le sçait mieux. Une triste nouvelle à vos yeux me r’ameine : L’Armée est en revolte, & tous les Chefs en peine : On y voit le desordre & la sedition, Legion opposée à l’autre Legion, Aigle contre Aigle, enfin dans l’émûte publique Homme presque contre homme, & pique contre pique, Le Camp prest de se battre, ou de se débander ; Personne n’obeit, nul n’ose commander ; Et cette Armée encor chaude & victorieuse, D’une insolente voix, superbe, injurieuse, Menasse, en demandant à Rome, à tous ses Dieux Pour prix de ses combats son Chef victorieux. Et bien donc, quelle l’ait, finissons la tempéte : Ils demandent Fabie, envoyons leur sa téte : Elle les instruira : qu’ils lisent, ces mutins, Dans sa punition leur crime, & leurs destins : Ils connoîtront quel est mon bras & leur attente; L’ordre n’ayant rien pû, qu’elle les épouvante. Mais sans vous oublier, sans punir à demy ; Vous, que son crime seul a rendu son Amy, Pour le vôtre & le leur montrant ma foudre préte Vous leur yrez porter & mon ordre, & sa téte : C’est vous punir assez par ce commandement ; Je m’en vay punir l’autre ; & partez promtement ; Sa téte, & vous, ferez ensemble ce voyage. Ouy, ouy, nous le ferons ; mais non pas ce message : Car pour accompagner la téte du Vainqueur On doit porter ensemble & ma téte, & mon cœur ; C’est ainsi qu’un Amy doit accompagner l’autre : Je feray mon devoir ; j’y vay : faites le vôtre. Fay le donc, insolent ; va, je feray le mien. Quel orgueil !         Il est noble : il part, & ne craint rien. IL faut plustôt tout craindre : à peine je respire. Qu’est-ce encor ? quel mal-heur ?         Figurez vous le pire : Pour tout dire en deux mots ; Craignez tout.         Craignez tout : Le Peuple est soûlevé.         Nous en viendrons à bout ; Est-ce là ce malheur, ce grand sujet de crainte ? Pour vostre interest seul nous en soufrons l’attainte ; Ce mal-heur vous regarde, & ne nous fait trembler, Qu’à cause qu’il vous presse & vous peut acabler. Déja le Peuple émû s’emporte….         Ah ! le Rebele ! Contre vous, pour Fabie ; il soûtient sa querelle. Soûtenir un coûpable ? & contre un Dictateur ? Quel desordre !         Il en est l’objet, non pas l’auteur : Le Peuple en le sauvant, de peur qu’il se hazarde, Contre luy, contre vous le deffend & le garde, Et craignant de sa main l’attentat genereux Luy semble par ses soins, plus que vous, rigoureux : Dedans sa noble ardeur & le regret de vivre Il se voit prisonnier, alors qu’on le delivre : La foule l’environne, & l’emporte à la fois : On le louë, on vous blâme & vos severes loix ; Et pour mieux resister contre vous & contre elles De tous côtez s’assemble un nombre de Rebeles Prests de se retirer sur le Mont Aventin, Pour conserver Fabie, ou suivre son destin. Nous-mémes avons veu, presque au sortir du Temple, Leur extrême fureur, & qui n’a point d’exemple : Demettons, disent-ils, ce rude Dictateur Jaloux de la victoire autant que de l’auteur ; N’ayant plus d’Ennemis, qu’est-il plus necessaire ? Deposons le : On diroit qu’ils sont prests de le faire. Le faire ? on ne le peut ; nous regnons pour six mois. Ne pouvoir vous demettre ? on a chassé les Roys. C’estoit pour leur orgueil, le crime, & l’insolence : Moy, j’affermy l’Empire, & maintiens sa puissance ; Moy, je puny l’orgueil, le crime, & l’attentat ; Moy, je soûtiens les loix, qui soûtiennent l’état : Je craindrois la revolte, & cette violence, Moy, qui rétably l’ordre & puny l’insolence ? Qu’il s’assemble, qu’il aille, & couvre l’Aventin ; J’yray seul m’opposer à ce Peuple mutin : Je sçay trop ce qu’il faut, dans ce peril extréme, Faire pour le Pays contre le Pays méme : J’yray voir violer les loix, & leur serment, Et de tout l’Aventin faire mon Monument ; Plustôt que relâcher il faudra que j’expire, Qu’on détruise tout l’ordre, & les loix, & Papyre. O coeur trop obstiné, trop genereux aussi ! Vous nous allez tous perdre en vous perdant ainsi : Jugez de quels excez les Romains sont capables. Quoy ? pour un Criminel faire mille Coûpables ? Que voy-je ?         En voicy deux ; le nombre en est moins grand ; Rome en deffendoit un, & ma main vous le rend : Plustôt que de la voir tomber dedans ce crime, Je l’allois égorger ; je vous l’offre en Victime ; Et prest de l’immoler au nom de Dictateur J’en viens estre à vos yeux le Sacrificateur. C’est trop vous disputer une juste puissance ; Et Rome en sa faveur a trop pris de licence : En horreur de ce crime, & pour l’en preserver, J’ayme mieux perdre un Fils, que je pouvois sauver, Que le voir glorieux, en la voyant Rebelle ; Non, je n’ay pû soufrir Rome si criminelle Joindre à son crime noir un crime triomphant ; Qu’elle soit sans remords ; je seray sans Enfant ; Mais son sang m’adoptant plustôt toute une Ville, Je n’en vay perdre qu’un, & j’en sauve cent mille ; Rome perd ma Famille, & l’augmente aujourd’huy ; J’offre mon Fils pour elle, elle s’offre pour luy. Elle s’offre en effect, & reconnoit sa faute ; Elle vous rend Fabie au poinct qu’elle vous l’ôte, Et remettant en vous sa grace & son appuy Elle implore pardon & pour elle, & pour luy. Comme elle a fait ce crime afin de me deffendre, Mon sang suffit pour tous, & je le vay répendre ; Et quand vostre pitié donneroit grace au mien, Je ne m’en ferois pas moy-méme pour le sien. Si le crime de Rome a vostre ame enflamée, Mourez, mourez encor pour celuy de l’Armée : Le Camp est en revolte, & l’infidelité A suivi de bien prés vostre temerité : Voila le second pas contre la Discipline ; Un exemple a fait l’autre, & Rome se mutine. Mais vous en répondrez ; & pour les punir tous, Il ne faut qu’un supplice ; ils soufriront en vous ; Vostre honteuse mort sera leur infamie, Punira mon Armée, & Rome vostre Amie ; Ils verront, ces Soldats, punir leur faction Sur l’auteur criminel d’une noble action ; La honte du supplice en tous lieux publiée Me rend Maître en mon Camp, & Rome châtiée. Je sçauray prevenir cet infame trépas. Non, quand il n’auroit point ni de cœur, ni de bras ; Quand mon bras, quand mon cœur se treuveroit si lâche De soufrir en mon sang cette honteuse tache ; J’espererois au Ciel, & croirois que les Dieux, Pour l’enlever là haut, descendroient en ces lieux ; Ou, si j’espere trop, lanceroient une foudre, Pour laisser de ses os une honorable poudre : Le sang des Fabiens est trop noble & trop beau, Pour craindre le supplice, & la main d’un Boureau : On n’en voit point la trace ailleurs qu’à la campagne ; La victoire le suit, ou l’honneur l’accompagne ; Il ne sçauroit couler si ce n’est noblement, Pour servir son Pays, dont il est l’ornement ; Il fut toûjours de Rome un glorieux partage, Ou pour la secourir, ou pour son avantage. Pour la servir encore en cet évenement, Pour empécher son crime & son soûlevement, Au milieu de Tribuns, dans la place publique Ce bras n’alloit-il pas tuer mon Fils unique ? Mon courage l’eust fait, & le doit faire icy : Pour vous j’ay calmé Rome ; & c’estoit mon soucy. Maintenant c’est mon cœur, c’est Rome repentie Qui donne en sacrifice une si grande hostie : Mais Rome à se punir veut quelque coup nouveau, Un Sacrificateur, & non pas un Boureau : Autre que moy ne peut luy rendre cet office ; J’ay droict sur la Victime, & sur le Sacrifice ; Mon bras seul peut verser un sang que j’ay donné ; Que par luy soit son sort & mon Nom terminé ; Ma maison par soy-méme est digne de s’éteindre : Ce coup ne me verra ni pleurer, ni me plaindre ; Et j’auray pour le moins ce triste reconfort Que le Nom Fabien par un Fabie est mort : Pour expier ton crime, & le sien que je louë, Un Pere tuë un Fils, ô Rome, & te le vouë. C’en est fait ; il le faut : prononcez donc l’arrest ; Et vous verrez bien tôt comme mon bras est prest. Arrétez, inhumain ; quel coup voulez vous faire ? Digne d’un Fils si noble, & digne d’un tel Pere : Rome, connoy nos cœurs, voy si l’acte est Romain ; Il te donne son sang, je te préte ma main. Pour achever ce coup genereux & barbare, Si vous versez son sang, que le mien le repare ; Qu’une Fille en cet acte entre, & prenne un beau rang ; Quelle pleure en Romaine, & ses pleurs soient du sang. Arrétez ces transports, ô Fille genereuse. Elle ne seroit plus, sans mon adresse heureuse, Qui d’un Epoux sauvé luy faisant le rapport De toutes deux au Temple a détourné la mort. Quoy ? pourois-je avoir moins de vertu que ma Fille ? Verrez-vous, sans pitié, perir vôtre Famille ? Pere & Mary cruel !         Dictateur mal-heureux, Qu’empèche la Vertu d’oüir ces genereux ! Helas ! avant le coup ce mesme coup me blesse. Mais quel helas ? arriere amour, pitié, foiblesse : Rome, que doy-je faire ? ô Rome, qu’as-tu faict ? C’est trop punir. C’est trop retarder cet effect ; N’écoutons plus amour, ni pitié, ni tendresses : Je vous entends, ô loix ; vous serez les Maîtresses. Rome seule doit l’estre ; elle implore pour tous ; Et c’est pour triompher qu’on la voit à genoux: Vous tenez à vos pieds cette noble Arrogante ; C’est la premiere fois qu’on la voit suppliante, Elle, qui peut marcher sur la téte des Roys, Elle enfin qui les fait est au dessus des loix. A ces termes si hauts, aprês tant de furie, On voit bien, Martian, que c’est Rome qui prie. Levez vous, ses Tribuns, & ne confondez point Son Maître, & son Enfant, de la voir à ce poinct ; Dans ces devoirs honteux humble à mes pieds reduite Ma vertu la regarde, & n’en est point seduite ; Cet êtat trop indigne & d’elle & de ces lieux Ne domte point mon cœur ; mais il blesse mes yeux. Voyez voyez, Tribuns, où vous l’avez jettée, Où vous la descendez, où vous l’aviez montée ; Regardez son orgueil, & son abbaissement ; Comme elle m’a traité ; comme elle se dement : Mais regardez plustôt ce qu’elle me demande, Et quel fruict mal-heureux il faut qu’elle en attende. Rome prefere un homme à ce grand interest, Et demande un Heros, tout criminel qu’il est ; Elle vous en veut estre à jamais obligée ; Et retombe à vos pieds, cette grande Affligée : Pouvez-vous refuser à Rome un seul Romain ? Elle prie, & jamais ne doit prier en vain. C’en est faict ; sa priere a ma force abbatuë. Et bien tu m’as fléchi, Rome, & je t’ay vaincuë ; Voy ton Victorieux : Mais non, ce n’est pas moy ; C’est l’Ordre souverain, c’est l’Empire, & la Loy. Fabie est convaincu ; tu veux qu’on luy pardonne : Tout Criminel qu’il est, prens le ; je te le donne ; Je le donne aux Tribuns, dont l’importunité L’emporte par priere, & non d’autorité : Un important exemple eust fait voir ma puissance ; Un exemple plus doux montrera ma clemence. Vy doncque, vy Fabie, en ce point plus heureux Que le Peuple Romain, de ton crime amoureux, Contre ses propres loix a deffendu ta gloire : Cette insigne faveur vaut plus que ta victoire. Et vous la ferez croître encore de moitié, Si je r’entre en ce cœur & dans vôtre amitié. Quoi qu’ait fait mon devoir, quoi qu’ait fait vôtre audace L’amitié vous gardoit en mon cœur mesme place ; Avec elle sans feinte il vous a combattu ; J’aymois, & poursuivois un Gendre, & sa vertu ; Et vostre crime est tel, qu’en mon rang vôtre Pere Armé contre son Fils n’auroit osé moins faire. Ouy, je l’aurois perdu ; vous luy fûtes trop doux : Et je ne le tiens plus que de Rome, & de vous : Quand la mort me l’ôtoit, vous daignez me le rendre ; Vous me l’avez donné.         Mais c’est pour le reprendre : Soufrez qu’avecque vous je puisse partager Un Fils si glorieux après un tel danger ; Et pour joindre d’amour l’une & l’autre Famille ; Voicy mon Fils, Fabie ; & voila vostre Fille. Quel charme à mes esprits ! ô doux ravissement ! Vous deviez l’acquerir un peu plus seureument. Pour un si noble prix doit-on conter la peine ? Ce prix vous estoit dû ; ma mort estoit certaine ; Je devois estre à vous ou vivant ou mourant, Faire mon sort du vostre en un peril si grand : Un plus heureux succez a mon amour suivie ; J’estois vostre en la mort, je suis vostre en la vie. Et vous serez par tout maîtresse de mon sort : O le naufrage heureux, qui treuve un si beau port ! Allons par leur hymen achever cette joye. Non ; le Camp revolté veut que je le revoye. Comine, allez devant, annoncer mon retour. Moy plustôt….         Demeurez ; je veux avoir mon tour ; Vous ne combattrez point ; tout ce qui reste à faire Est peu pour mon triomphe, & m’est trop necessaire : Dans Rome joüissez du fruict de vos combats ; Soufrez qu’un Dictateur marche dessus vos pas ; Attendez mon retour, comme vostre hymenée. Aprés, chargez d’honneurs, la guerre terminée, Un méme jour verra triompher deux Guerriers, L’un couronné de myrthe, & l’autre de lauriers. FIN.