Oh Madame, pour cette fois Dans cette île déserte il faut faire des Lois. Oui, nous en avons la puissance, Nous sommes dans l’indépendance. Si le peuple ose en murmurer, Des hommes pour jamais il faut nous séparer. Nous avons trop longtemps vécu dans la contrainte. Je sens que mon âme est atteinte De l’espoir le plus glorieux : Le sort favorise nos vœux. Nous échappons de l’esclavage De l’ennemi victorieux Dans notre ville saccagée Nos Gouverneurs sont arrêtés : Enfin dans cette île ignorée La tempête nous a jetés ; Nous y ferons des lois...         Nous pouvons y prétendre. Et puisque notre sexe a voulu nous choisir Pour ses chefs, il faut le défendre : C’est à nous à le soutenir. Les hommes vont bientôt apprendre Que nous pouvons comme eux tout entreprendre. Quel agréable souvenir ! Je vois déjà la Renommée De nos hauts faits charmée Voler dans les airs : J’entends retentir sa trompette Qui sans cesse répète Nos lois dans l’univers. Après cette victoire Que la postérité Nous place au Temple de Mémoire, C’est la seule gloire Qui mène à l’immortalité. Si le courage nous seconde, On parlera de nous jusqu’à la fin du monde. Mais gardez votre cœur, et craignez du Marquis Les airs complaisants et soumis. Je le fuirai, quoique je l’aime. Madame, il faut s’armer d’une rigueur extrême, Et que jamais l’amour ne puisse vous tenter. Et, Madame Clopin, tenez ferme vous-même, Et ne songez qu’à m’imiter. De l’amour du Marquis je ne saurais douter ; Mais je puis m’en défaire Plus aisément que vous De Monsieur votre époux. Qui, moi, voyez la belle affaire ! Je peux bien m’en passer. Un mari n’intéresse guère : Hélas j’en connais tant dont on ne sait que faire ; Il en coûte si peu pour s’en débarrasser. Je rencontre en ces lieux Thémire ! Je ne vous croyais pas si près : Il semble que l’amour exprès Dans ces lieux ait su me conduire. Le peuple rassemblé d’une commune voix Pour ses chefs vient de nous élire : Nous allons lui donner des lois ; Et Monsieur Clopin pense à ce qu’il faut prescrire. Pour lui donner des lois ! Ah, ah, Monsieur Clopin, Je ne vous croyais pas un esprit si sublime. L’intérêt du peuple m’anime, Et je vais par mes lois adoucit son destin. J’ai lu jadis le Code et le Digeste. Sans qu’on me le conteste, Je m’exprime aussi-bien Que Cujas, que Tribonien : J’ai l’esprit, la mémoire, Le port et le maintien De l’Empereur Justinien. Je ne m’en fais point gloire : Mais comptez-vous cela pour rien ? Le peuple, par-tout où je passe, Vient en foule se présenter ; Et l’on ne se lasse De me consulter. Non, vos prétentions sont nulles ; Le peuple nous choisit pour être son appui : Ainsi de vos lois ridicules Nous vous dispensons aujourd’hui. Ah, voilà du nouveau.         Mais la chose est certaine. Vous vous flattez, je crois, d’une espérance vaine. Ainsi que vous, Messieurs, nous en avons les droits, Et nous voulons faire des lois. Elles parlent de lois comme de bagatelles. Vous croyez donc avoir assez de jugement Pour conduire un Gouvernement ? Oui, nous en formons de nouvelles, Et nous nous expliquons intelligiblement. Madame, vous savez que ce n’est point l’usage. Nous jouissons ici d’un égal avantage : Quoi qu’il en soit, je le veux, c’est assez ; Si vous m’aimez, obéissez. Mon cœur qui dans l’amour ne prévoyait que peines, Avait su jusqu’ici se soustraire à ses chaînes. Je vous vis : de mon trouble il sut bien profiter, A vos regards vainqueurs je ne pus résister. De Mars j’abandonnai les armes, Je fus forcé de vous aimer. Quand on ressent le pouvoir de vos charmes, Pourrait-on ne pas s’enflammer ? Cependant à vos vœux je ne saurais souscrire : Exercez sur nous votre empire ; Mais ne nous prescrivez que d’amoureuses lois ; Nous les suivrons : ce sont vos droits. Je vous entends. Vous croyez que les femmes N’ont pas autant d’esprit que vous ? Puisque vous regnez sur nos ames, Votre triomphe est assez doux. Non, ce triomphe est pour nous peu de chose : A nos desirs c’est en vain qu’on s’oppose. Madame, allons nous assembler : Il faut faire des lois qui les fassent trembler. Oui, notre gloire est parfaite. Monsieur le Marquis, suivez-moi : Je viens d’inventer une Loi. Que mon âme est satisfaite ! Eh vote, suivez-moi donc Où le devoir nous appelle. Il a perdu la cervelle. Oui, Démosthène et Platon, Thalès, Licurgue et Solon, N’en ont pas fait d’aussi belle. Je suis ravi de cela. Bientôt on vous apprendra Qui de nous l’emportera. C’En est trop, le Marquis m’outrage ; Je dois mépriser son amour. Je viens me joindre au légitime hommage Que tous les Citoyens vous rendent tour à tour. Ma mère enfin voici le jour, Où par un heureux mariage Lindor va couronner ma tendresse et mes feux. Non, non, n’y comptez plus : il faut briser vos nœuds. C’est à présent le parti le plus sage. Pourquoi ?         Je vous défends de penser à Lindor : Obéissez, Julie, ou craignez ma colère. Hélas ! Par quel malheureux sort Lindor aurait pu vous déplaire ? Je voudrais obéir à votre ordre sévere ; Mais mon cœur en secret n’y sera point d’accord. Un feu me trouble et m’agite Aussi-tôt que je le vois : Je sens mon cœur qui palpite, Et je l’aime malgré moi. Quand près de lui je soupire, Je ne connais point l’ennui. Est-ce un crime d’oser dire Ce que je ressens pour lui. En fuyant de notre patrie Pour éviter l’affreuse tyrannie, Nous avons débarqué dans cette île à bon port. Nos jours sont conservés ; je ne plains plus mon sort, Puisque j’épouse enfin mon aimable Julie. Le plaisir d’être aimé sans doute a des appas : Qui le cherche le plus souvent, n’en jouit pas. Mais le bonheur nous suit sans cesse, Lorsque dans les transports d’un légitime amour Pour prix de sa vive tendresse, On l’obtient à son tour. Nos Citoyens sur ce rivage Vont mêler aujourd’hui leur danse à nos plaisirs. Je ne puis remplir vos désirs : De ce que j’ai promis, Lindor, je me dégage ; En un mot, de Julie il faut vous séparer. Dieux ! que m’apprenez-vous ? daignez me rassurer. Quel obstacle nous sépare ! A l’hymen qu’on nous prépare, Vous vous opposez en vain : J’aime mieux perdre la vie Que d’abandonner Julie. Si mon malheur est certain Dans ce jour que l’Amour même A fixé pour mon bonheur, Éloigné de ce que j’aime J’expirerai de douleur. Vous nous avez donné, maman, votre parole : Pourriez-vous ne pas nous unir ! Ne vous laissez pas attendrir. Ne craignez rien. Lindor votre attente est frivole : Il n’est plus temps de compter sur sa foi. Lorsqu’à nos Citoyens qui vont ici se rendre, Nous aurons prescrit notre Loi, Alors vous pourrez y prétendre. Donnez-leur votre Loi, tout vous sera permis : Nos Citoyens vous sont soumis. N’avez-vous pas assez de l’éclat de vos charmes, De vos attraits vainqueurs ? Vous faut-il d’autres armes Pour soumettre nos cœurs ? Non, ce n’est point assez pour notre gloire, Nous secouons le joug de nos Législateurs : Nous voulons remporter une double victoire. Nos sages lois adoucissant nos fers Doivent embellir l’univers ; Et détruisant l’ambition fatale De notre liberté rivale, Dont les mortels ressentent mille maux, Dans l’une et dans l’autre hémisphère Devenus nos égaux, Nous ferons régner sur la terre Un éternel repos. Notre fierté méprise un encens ordinaire : Pour soutenir nos légitimes droits, Il nous est nécessaire D’établir de nouvelles lois. Nos âmes toujours asservies A la faiblesse de l’amour, Se trouvent souvent avilies Par un honteux retour. Celle qu’un noble orgueil rend à ceDieu contraire, Préfère sa grandeur au vain désir de plaire, Et de son cœur prévient l’échec. L’indifférence enchaîne un amant téméraire, Et force son âme au respect. Votre Loi n’est pas juste, et l’amour véritable Inspire ce respect durable. Un Amant conduit par l’honneur Qu’un tendre sentiment anime, Selon vous commet donc un crime De faire hommage de son cœur ? Hélas ! Peut-on être insensible Quand on a vu Julie ? Une chaîne invisible Me force de céder : la douceur de ces fers Me les fait respecter, et me les rend plus chers. Il m’attendrit ; mais reprenons courage. Lindor, ç’en est assez : je romps ce mariage. De l’amour qui soumet nos cœurs, Nous faisons une Loi de mépriser l’empire. À tous les Citoyens nous allons la prescrire : Nous pourrons dans la suite adoucir ses rigueurs, Quand les hommes moins fiers méritant nos tendresses, De guider leur raison nous laisseront maîtresses. Quelle Loi ferez-vous pour remplacer l’amour ? Point du tout.         Il faut donc te perdre sans retour. Ah Julie ! ton absence Offre à mon cœur d’affreux instants. Si de ta chère présence Ta mère me prive longtemps, A l’ombre d’un épais feuillage Ton amant, loin de tes attraits, Pour compagne aura ton image Qui ne le quittera jamais. Quand Lindor vous ouvre son âme, Et lorsqu’à vos yeux sans détour Il fait l’aveu de la plus rendre flamme, Vous le payez d’un tel retour ; Oui votre Loi me désespère. Avec peine mon cœur digère L’affront d’un pareil traitement. En quoi le trouvez-vous coupable ? Son ardeur autrefois vous était agréable. Pourquoi m’empêchez vous d’épouser mon Amant ? L’art de feindre me semble un vice Que l’on ne saurait trop blâmer : Je parle ici sans artifice, Je ne puis vivre sans l’aimer ; Et mon cœur innocent, qui ne peut point connaître Les lois que vous voulez former, À celles de l’amour aime mieux se soumettre. Quoi ! se soumettre ?         Avec Lindor ; Nous serons sans cesse d’accord. Nous nous affranchissons de ce dur esclavage. Julie, au printemps de votre âge Il faut penser plus noblement. Jouissez mieux de l’avantage Que vous avez reçu de soumettre un Amant. Nos femmes, pour vous reconnaître, Et pour obéir à vos lois, Vous offrent ces bouquets d’une commune voix. Il nous eut suffi de paraître Avec le simple éclat que donne la vertu. Ce faste n’est point superflu, C’est une nouvelle parure. De ce que produit la nature, Rien ne flatte plus que les fleurs ; Mais vous en effacez les plus vives couleurs. Leur éclat n’a qu’un temps, il ternit, il se passe : Jamais le vôtre ne s’efface ; Il conserve toujours cet empire charmant, Ce feu qui brÛle un cœur de glace, Cet attrait qui fixe un Amant : Celui des fleurs ne dure qu’un moment. Les Dieux vous l’ont donné pour vaincre et pour soumettre Des mortels qui sont nés pour l’être. Votre gloire et l’honneur doivent vous exciter À remplir vos projets.         Oui, je vais m’acquitter De mes promesses : je vous jure Que du sexe opprimé nous soutiendrons les droits. A tous les Citoyens, malgré qu’on en murmure, Nous allons publier nos lois. Pourquoi les hommes seuls en ont-ils la puissance ? N’avons-nous pas comme eux la même intelligence On nous dit au sein du berceau : Ma fille, apprenez le ménage, Obéissez et soyez sage ; Après on nous donne un fuseau. Voyez donc le plaisant ouvrage Auquel nous employons le temps. La raison est notre partage, On nous refuse le bon sens. Les hommes prennent soin d’élever notre enfance Dans la plus stupide ignorance ; Malgré cela, nos esprits pénétrants Sont redoutés de nos tyrans. Quoique nous n’ayons pas autant d’expérience, Nous passons du moins auprès d’eux Les moments les plus doux, les jours les plus heureux. Que sert d’envier leur puissance ? Pour régner sur leurs cœurs, les équitables Dieux Nous ont fait les objets de leurs plus tendres vœux. Quand l’Amour nous prête des armes, L’esprit, les grâces, la beauté Versent sans cesse sur nos charmes Les attraits de la volupté. Au tendre Amant qui nous adore, Nous inspirons mille désirs : Dans son cœur nous faisons éclore Le germe de tous ses plaisirs. Celui que la tendresse enchaîne, Ne connaît point l’art de trahir : Il cède au penchant qui l’entraîne, Et sans les lois sait obéir. Si nous livrons nos cœurs à la tendresse, Ne blâmons que notre faiblesse. Les hommes savent nous tromper Par d’agréables soins : avoir l’art de leur plaire, Savoir leur inspirer une flamme légère Qu’un seul instant voit dissiper, Selon leurs goÛts les satisfaire, Voilà le seul objet qui peut nous occuper. Bien loin de mépriser leurs flammes indiscrètes, Nous nous laissons séduire au discours d’un amant, Et du frivole honneur d’être toujours coquettes Nous nous entêtons follement : Mais revenons de notre égarement, Faisons des lois comme les hommes, Et ne retombons plus dans l’avilissement. Je viens peut-être en cet asile Troubler votre tranquillité : Des Citoyens de cette île Je suis l’illustre Député. Quoi que mon cœur soit épris de la gloire, Je rends toujours hommage à vos divins appas ; Et sans m’enorgueillir d’une injuste victoire, Mon devoir porte ici mes pas. Mais comment résister au pouvoir de vos charmes ? Qui pourrait contre vous oser prendre les armes ? De l’Amour méprisant la voix, Comment peut-on oser vous imposer des lois ? Les Citoyens sans doute ont daigné nous élire Pour leur donner des lois ? À la fin je respire. Eh bien poursuivez donc.         Quelle vivacité ! Mon cœur s’était toujours flatté Que nous devions avoir sur eux la préférence. Voici le contenu de certaine Ordonnance... Comment, que veut dire cela ? Aurait-on fait pour nous cette Ordonnance-là ? L’an mille ... et cetera. Passons cet article-là ... Très hauts et très puissants Seigneurs De cette île Gouverneurs, Faisons défenses à nos Dames, Veuves ou filles ou femmes, De prescrire aucunes lois ; Et pour soutenir nos droits, Et la Loi que sur la terre Le sexe avec soin révère, Leur enjoignons, Et ordonnons L’obéissance ; Et que la présente Ordonnance Soit mise en exécution, Nonobstant opposition Et quelconque appellation. L’obéissance ? Quel outrage ! Madame, quel affront !         Si j’en croyais ma rage, Je t’apprendrais....         Pourquoi vous emporter ? De ce qu’on m’a prescrit, je viens pour m’acquitter. Voyez l’insolent personnage ! Tiens à présent tu peux leur rapporter Cette impertinente Ordonnance. Non, ce n’est point assez pour remplir ma vengeance, Tu n’échapperas pas.         Je vais le retenir. Oui, tu vas recevoir la juste récompense Que mérite ton insolence. Modérez ce courroux, et daignez vous fléchir : Je sais que l’Ordonnance est injuste et profane. Si nos Législateurs veulent vous asservir, Pourquoi voulez-vous m’en punir ? De cette Loi que je condamne, Dont je voudrais vous affranchir, Je ne suis ici que l’organe Oui, tu mérites la mort Pour avoir eu cette audace. Vous devez me faire grâce, Madame, si je n’ai pas tort. Hélas, quelle est ma disgrâce, Si je perds mon cher Lindor ! Il faut qu’il meure, Et tout à l’heure Nous allons terminer son sort. Ah, ç’en est fait de ma vie. Que mon ame est attendrie ! Faut-il ainsi finir mes jours ? Monsieur Clopin, à mon secours. Quel désordre affreux ! Ah Julie, Que ce funeste jour va te coûter de pleurs ! Au milieu de ces bois, d’une agréable vie Tu ne goÛteras plus le charme et les douceurs. Au tendre Amant dont mon âme est ravie, Ce jour allait m’unir .... Une cruelle Loi Nous sépare, et l’oblige à s’éloigner de moi. D’un légitime amour victime infortunée, Je m’abandonne à mon malheur. Je laisse aux Immortels régler ma destinée, Puisqu’à fuir ce que j’aime on veut forcer mon cœur. A quel destin dois-je m’attendre ?.. Ma mère peut-elle prétendre Que je n’aime plus ? Elle a tort : Plus elle veut me le défendre, Plus je sens que j’aime Lindor. Une mère a beau nous contraindre, Quand on est dans l’âge d’aimer ; Si quelque amant sait nous charmer, C’est en vain qu’elle croit éteindre L’amour qui vient nous enflammer. Lorsque je vois Lindor paraître, Que ce moment est séducteur ! Je sens aussi-tôt dans mon cœur Un plaisir que lui seul fait naître, C’est le présage du bonheur. Que vais-je devenir dans cette île sauvage ?... J’entends des cris... Quel bruit ! Fuyons de ce rivage. Ah ! Je suis mutilé, J’ai le corps accablé. Toutes ces femmes en furie Ont pensé m’arracher la vie : Elles m’ont harcelé. Si je n’eusse bien vite Pris la fuite, Elles m’auraient étranglé. Peut-on nous faire une pareille offense ? Elles l’ont mis dans un piteux état. Vingt femmes contre un homme user de violence ! Oui, c’est une affaire d’État. Vous deviez avoir peur.         Le cœur encor me bat. Je ne veux jamais plus vous servir d’émissaire ; Il en coûte trop cher d’essuyer leur colère. Nous allons vous venger. Eh bien, Monsieur Clopin, Qu’avez-vous résolu ?         Je crois qu’avec justice Il conviendrait de mettre fin Aux progrès furieux d’un étrange caprice. Cela ne laisse point que de m’embarrasser : J’ai tant d’affaires à penser. Pourquoi les obstiner ? il vaut mieux se soumettre. N’avons-nous pas toujours nos mêmes droits ? Non, il ne faut jamais permettre Que les femmes fassent les lois : Ce serait renverser l’ordre de la nature. Ce serait cependant la route la plus sure Pour obtenir plutôt la paix. Messieurs, n’y consentons jamais. A mon âge on n’est point timide. Quand le flambeau de la raison nous guide, Dans le danger On ne craint point de se plonger. J’ai plus que vous d’expérience ; Et par ma science Si vous voulez me seconder, Vous les verrez bientôt céder. Je ris de leur vaine colère ; Je ne suis pas un sot ; Je veux les faire taire, En leur disant un mot. Plus on brave le sexe, et plus il est à craindre : Celui qui tombe sous ses coups, Des mortels est le plus à plaindre. Vous ignorez encor jusqu’où va son courroux. Du trône de l’orgueil et de la jalousie Lançant les traits d’une aveugle furie, Ce sexe impérieux, lorsqu’il peut se venger, Ne sait rien négliger. Son cœur suit aisément les lois de l’inconstance ; Et pour la plus légère offense On perd à jamais ses faveurs. Quand pour se venger d’un outrage, Sa colère inflexible a tout mis en usage, Les charmes séduisants de ses feintes douceurs Sont un serpent caché sous d’agréables fleurs. Ah ! Messieurs, les voici. Je tremble... Toutes les femmes sont ensemble. Si nous allions apPeler du secours. Ces femmes-là sont obstinées. EH bien, Messieurs, vos lois sont-elles terminées ? A nous donner des lois persistez-vous toujours ? Nous allons nous faire connaître. Madame, imposez-nous les lois qu’il vous plaira. Monsieur Clopin ne veut donc pas permettre Que nous fassions les lois ?         Je n’en suis plus le maître. Allons, battez tambour.         Que veut dire cela ? Lisez, Monsieur : ceci vous l’apprendra. « Arrêt qui nous sépare Des hommes pour jamais. » Cet arrêt est bizarre, Et j’en crains les effets, « Mais s’ils veulent faire la paix, Il faut qu’ils nous promettent De n’avoir plus d’autorité, De nous donner la liberté, Et qu’à nos lois ils se soumettent ». Tels sont nos sentiments, c’est à vous à choisir : Avec nous à ce prix vous pouvez vous unir. Cet arrêt n’est point légitime, Et partout il sera proscrit. On l’exécutera. Peut-on nous faire un crime De faire briller notre esprit ? L’Univers ne doit plus en être la victime ; Nos sages lois vont l’éclairer. Madame, c’est trop endurer De mépris et de résistance. On dédaigne nos lois, il faut nous séparer. Que risquons-nous de nous soumettre ? C’est le moyen de les fléchir. Eh bien, feignons de le paroître. Allons, j’y veux bien consentir. Vous l’emportez, belle Thémire ; Régnez sur roue ce qui respire : Nous nous soumettons sans retour. Votre esprit et votre naissance Ont vaincu notre résistance : De nos cœurs et de mon amour Vos lois triomphent tour à tour. Faites des lois, Madame, et soyez la maîtresse, Je dois vous obéir : usez de tous vos droits. Oui, mon cœur à Julie obéira sans cesse, Je serai trop heureux de recevoir ses lois. Au feu qui dans vos yeux semble peindre votre âme, L’Amour a tant de fois allumé son flambeau, Qu’il vous doit en ce jour un tribut de ma flamme, En donnant à vos lois un triomphe nouveau. Vous devenez donc plus traitables. Oui, nous sommes tous vos sujets. Pour vous rendre plus raisonnables. Vous pouvez commander, vous en êtes capables ; J’en suis que trop certain, je l’ai bien éprouvé. A présent par nos lois l’amour est approuvé. Lindor peut s’unir à Julie : Mais avant que l’hymen avec elle le lie, Qu’on s’empresse de toutes parts De rassembler ici nos Citoyens épars. Je vais parcourir ce rivage. Au Député. Vous, suivez-moi.         J’imagine un projet Qui va bientôt rabaisser leur courage. VOus régnez dans cette île, je n’ai d’autre objet Que de m’unir à ce que j’aime. Ne suis-je pas trop indiscret D’oser prétendre à ce bonheur suprême ? Ne blâmez plus l’amour dont je brÛle en secret : À vos lois mon âme docile Ne doit plus étouffer ses amoureux soupirs. Que les ris, les jeux, les plaisirs Habitent ce champêtre asile ! Des Citoyens soumis adoucissant le sort, Faites renaître ici le temps de l’âge d’or. Ai-je jamais pu me défendre De vous témoigner mon amour ?... Ô ciel ! Quel bruit se fait entendre ! Ah, mes amis, fuyons sans plus attendre ? Nous sommes perdus sans retour. Faisons-leur peur.         Qui cause vos alarmes ? Hâtez-vous de prendre les armes, Et suivez-moi sans balancer. Qui peut vous effrayer ?         Des troupes de Sauvages Ont inondé cette île, et font mille ravages. Dieux ! Des Sauvages...     Ciel !         Il faut les terrasser. Suivez-moi, Citoyens ; je brave leur menace... Mais quelle est mon audace ! Mes Dames, vous régnez, allez les repousser. Quel effroi me saisit !     Je meurs.         Mon sang se glace. Madame, partez, je vous suis. Venez vous mettre, à notre tête, Les Citoyens à vos lois sont soumis. Eh, mes Dames, qui vous arrête ? Allons, montrez-nous votre cœur ? Thémire, commandez.         Ma foi non, j’ai trop peur. Commandez pour nous deux.         Non, j’ai trop de frayeur. Eh bien, Madame, où font es grands courages ? Si vous vouliez porter cet arrêt aux Sauvages, Je suis assuré qu’ils fuiraient Au même instant qu’ils le verraient. Vous allez remporter les plus grands avantages. Ne plaisantez plus, cher époux : Pour l’amitié que j’eus toujours pour vous, À ma place allez les combattre. Non, non, Madame, il faut vous battre, Puisque vous avez fait des lois. Je n’en ferai jamais.         Nous vous cédons nos droits. Je vous avais bien dit, ma mère, Qu’il nous convenait mieux de soumettre nos cœurs, Que de vouloir faire la guerre. Nous revenons de nos erreurs. Soyez sensible à ma tendresse, J’ose implorer votre secours. Je vous obéirai sans cesse, C’est à vous seul que j’ai recours. Cher Lindor, sauvez-moi la vie. Rassurez-vous, chère Julie : Lindor conservera vos jours. Qu’elles sont séduisantes, Complaisantes ! Je me sens attendrir ; Je n’y peux plus tenir. Ne vous effrayez plus, rassurez-vous, Thémire : Ne suivons que l’ardeur que l’amour nous inspire. Vos pleurs sont ici superflus : Les Sauvages n’existent plus. C’était un simple stratagème ; Vous nous avez forcé malgré nous d’en user, Pour vous apprendre à mépriser L’orgueil d’un ridicule extrême. Sur les cœurs des faibles mortels, Qui brûlent tous les jours l’encens sur vos autels, Que vos yeux remplissent de fiâmes, Vos puissants attraits ont des droits. Régnez sans cesse sur nos âmes, Mais ne faites jamais de lois.