MONSEIGNEUR, Apres l’estime que vous avez faite de cet ouvrage, je me persuade que je puis sans crainte l’exposer aux yeux du public, & que vous ne treuverez pas estrange la hardiesse que je prens de vous le dédier : Comme j’oze espérer que vous daignerez le recevoir, j’ay la vanité de croire que chacun l’estimera : & l’approbation que vous luy avez donnée me fait attendre celle de tout le monde. Ceux qui par de favorables violences l’ont arraché de mon cabinet pour en mieux voir la conduite par sa représentation, bien qu’ils m’ayent exposé parmy les orages furieux de l’envie & de l’ignorance, sçachant dans quel port je suis en seureté, & ce que j’ay gaigné auprès de vous, seront ravis de m’avoir fait hazarder si peu, pour acquérir de si grands trésors. Et certes en quelque degré éminent que la nature ayt eslevés les Princes, & quelques grands qu’ils se soient faits par eux-mesmes, comme il est asseuré que les affections des Rois, bien qu’elles n’augmentent ny leur vertu ny leur mérite, adjoustent de grands ornemens à leur gloire, & la font esclater avec beaucoup plus d’advantage. Il est aussi très véritable, que quelques excellens que soient les ouvrages du reste des hommes, que l’estime de ces Princes fait leur plus bel esclat ; & leur support, un puissant bouclier pour les mettre à couvert des trais de la médisance, & de la jalousie : Et quiconque se peut vanter comme moy de posséder ces faveurs, comme il n’a rien plus à craindre, il n’a rien plus à souhaiter. Ce n’est pas (MONSEIGNEVR) que j’eusse eu la témérité de croire que ce bien me pût arriver, ou que mon imagination se fust jamais flatee d’une prétention si haute, si vostre propre bouche ne m’eust asseuré que quelques petits & inutiles que soient mes devoirs &. mes services, ils vous seraient toutesfois agréables, & que je ne vous offencerois point en vous offrant une chose que vous avez estimée digne du jour : J'ay obey à cette voix, & je vous l’offre avec ma vie ; c’est peu pour un Prince : mais c’est tout ce que vous peut offrir, MONSEIGNEUR, Vostre tres-humble & tres- obeïssant serviteur, DE MONLEON. Si je t’avois donné cette Tragédie de la façon que Carcinome, ou Seneque l’ont traittee, peut-estre (Lecteur) y aurois-tu trouvé plus d’agreemens, & peut-estre aussi l’aurois tu estimée trop nue pour le Théâtre d’aujourd’huy. Les Grecs & les Latins ont fait à la Grecque, & à la Romaine, ce que je fais à la Françoise, & comme les esprits de ce temps embrassent davantage, il a fallu aussi dequoy davantage les contenter : J'ay tasché à le faire, non pas sans beaucoup de peine & de sueur, par l’entreprise d’un ouvrage ou plusieurs se sont lassez, et le peu de matière, et l’horreur du sujet ayant arresté leur plume ; m’ont fait prendre la mienne à dessein de rendre supportable aux yeux, & aux cœurs des moins cruels de la Nature, ce que la Nature mesme abhorre, & ce qu’on n’auroit jamais peu croire s’il n’estoit arrivé dans la race de Tantale. On m’a voulu persuader que cet effort avoit favorablement réussi : Mais quand je considère mes forces, et le grand personnage qu’il m’a fallu soustenir, soit dans la disposition de l’Histoire, dans les pensées, ou dans les raisonnemens, une frayeur me saisit ; je rends les armes premier que de combatre ; & si l’on tient pour fabuleux ce qu’Homère assure de ces Dieux qui combatoient pour les hommes, je n’ay pas dequoy soustenir leur opinion, & ma vanité ne m’aveugle pas jusques au poinct de les croire. Quoy qu’il en soit, (Lecteur) & quelque jugement que tu en fasses, apprens que la disposition du sujet est absolument mienne, et que j’ay eslevé sur le fondement de l’histoire & de l’antiquité un ouvrage à la moderne. Les enrichissemens que j’ay rencontrez parmy leurs matériaux en font l’embellissement ; et bien que je me sois rendu plus prodigue qu’eux à m’estendre, pour contenter les esprits de ce siècle, je n’ay pas toutefois voulu sortir de leurs estroites règles qui me semblent si judicieuses, & si parfaites, que sans elles, (quoy qu’au jugement de plusieurs, il s’en rencontre tous les jours) j’ay de la peine à croire qu’aucun Poëme puisse estre agréable. Regarde donc si j’auray péché contre mon dessein ; monstre moy charitablement mes deffauts, alors tu recognoistras par mes actions de grâce, & de combien je te seray obligé, & combien me sera douce cette correction. Je laisse dans leurs foiblesses, et leur bigearreries ceux qui s’estiment parfaicts, leurs cerveaux ont besoin d’hellébore, et tels esprits sont plus dignes de blasme que de louange : quand on présume moins de soy, on mérite davantage, & par la seule humilité nous nous eslevons au trosne de la gloire. Parle donc hardiment, je suis exempt de cette erreur, & de ce crime, & pour t’en asseurer, je sçay que je suis homme. Par grâce et privilège du Roy, il est permis à Pierre Guillemot Marchand Libraire à Paris, d’imprimer, ou faire imprimer un livre intitulé Le Thyeste, Tragédie, compose par le Sieur de Monleon : Et deffenses sont faites à tous Libraires & Imprimeurs d’imprimer, ou faire imprimer, vendre ny distribuer aucun desdits Livres, sans sa permission, ou de ceux qui auront droict de lui, & ce pendant le temps & espace de huit ans, à compter du jour que ledit Livre sera parachevé d’imprimer pour la première fois, à peine aux contrevenans, de trois mil livres d’amende, confiscation des exemplaires qui se trouveront contrefaits & de tous despens ; dommages & intérests, ainsi qu’il est contenu plus au long ausdites Lettres de Privilège. Donné à Paris le sixiesme d’Aoust mil six cent trente-huict. Par le Roy en son conseil, Signé CONRART. Achevé d’imprimer le 9. Aoust 1638, Page 81. il y a changer, il faut charger. Page 88. Scène 2. Criton sans voir Atree s’est estonné, il faut mettre est. Lecteur, je te laisse des fautes que je n’ai point reconnues, et qui sont miennes, tu les corrigeras, s’il te plaist : pour celles de l’imprimeur, elles sont les moindres, tu suppléeras en lisant quelques syllabes qu’il a obmises, et changeras plusieurs lettres qui font une autre prononciation. A la page 6, vers 6 il y a fefons pour fesons. Page 46, vers 1 noyoit dans, il faut dedans. Page 48. il y a deux fois ces, dans la page 93. A la marge, après trois ou quatre verres, il faut adjouster il se lesve : ainsi plusieurs autres de cette qualité, ausquelles on peut suppléer, & ce qui me semblent de peu d’importance. Qu'on estouffe à mes yeux ces objets de ma rage : Je veus manquer de foy plustot que de courage. Un daemon de colère enflâme tous mes sens : Avec les criminels perdons les innocens, Et faisons quelque chose en ce dessein funeste Qui soit digne d’Atree & digne de Thyeste. L'enfer tremble d’effroy, le ciel d’estonnement ; J'en ay moy-mesme horreur d’y penser seulement. J'ay treuvé, j’ay treuvé pour plaire à ma vengeance, Dequoy justifier Tantale & son offence : Son acte estoit clément, le mien est inhumain : J'ay treuvé des repas pour soulager sa faim : Mais des repas cruels, & dont son cœur perfide Aura de la frayeur voyant mon homicide : Toutes les cruautez qu’il jetta dans mon sein Sont les moindres rigueurs qui soient en mon dessein. J'adjouste à sa fureur une plus violente, Mon père la suivit, & mon frère l’augmente ; Son crime d’un inceste a surmonté le leur : Il eust plus de furie, & j’ay plus de mal-heur. Et souffrant plus qu’eus tous de honte & de disgrâce, Je ne suis point vengé si je ne les surpasse. Quel trouble furieux agite un si grand Roy ? Tu le sçauras, Criton, approche, approche-toy Fidèle confident de toutes mes pensées ; J'ay treuvé des tourmens pour les fautes passées, Qui vengeront l’inceste, & le tort qu’on m’a fait, Thyeste de sa main punira son forfait. Craignez qu’un bruit fascheus volant par la province. Ne trouble le respect que l’on doit à son Prince. Les Rois enfans des Dieus peuvent tout icy bas : Leurs plaisirs sont des Loys, & l’on n’oseroit pas Parler de leurs desseins, ny condamner leurs crimes, Toutes leurs actions passent pour légitimes. A suivre absolument ce qu’ils ont projette Ils forcent bien les corps, mais non la volonté. Autant que sa fureur fait un Roy redoutable, Autant sa courtoisie à tous le rend aimable. Ses noires actions font naistre son mespris, Et sa seule douceur luy gaigne les espris. Il doit bon-gré, mal-gré, prendre ce qu’on luy nie. Un règne est mal fondé dessus la tirannie, Et ce grand bastiment tombe bien-tost à bas, Quand l’honneur & la foy ne le soustiennent pas. Qu'ils sortent d’avec moy, qu’un Royaume périsse, Pourveu qu’on n’oste point Thyeste à ma justice ; La rage a dans mon cœur allumé ce dessein, Je veux l’exécuter.         Dieus qu’il est inhumain Contre un frère.         A-t-il craint d’attenter à ma vie De voiler la toison, & portant son envie Au delà des transpors d’un appétit brutal, De commettre un inceste en mon lict nuptial ? Il faut, il faut, Criton, avoir plus d’asseurance, Et moins de pieté pour venger ceste offence. Grand Roy je suis à vous, disposez de mon bras, Le perdrons-nous d’un coup ? non, il ne le faut pas, Songeons à des tourmens.         La mort est plus certaine. Tu me parles Criton, de la fin de sa peine ; Je la veus commencer, & qu’un estrange sort Apres mille langueurs le conduise à la mort. Auriez-vous jusques-là le cœur impitoyable ? A quel pris que ce soit je le rends miserable, Ma colère l’ordonne à mes ressentimens. Mais à quoy pensez-vous ?         A des contentemens Que déjà mon esprit dévore en son attente, Mon cœur en sa fureur treuve qui le contente, Il peut tout entreprendre, & tout crime est permis, Pour punir clignement celuy qui l’a commis. Voulez-vous par le fer en tirer la vengeance ? Ce supplice est trop dous pour punir son offence. Le feu suffira-t-il ?         Il est trop criminel, Il en faut un plus lent, & qui soit plus cruel. Où le trouverez-vous ?         Dans le mesme Thyeste. Quel est donc ce tourment si grand & si funeste ? Celuy qu’un seul Atree a pu s’imaginer. Et que tous les daemons ne sçauroient deviner. Mais d’où vient que mes yeux sont couverts d’un nuage Un trouble furieus transporte mon courage : La terre sous mes pas tremble d’estonnement ; Le Ciel tonne par tout, & de chaque élément Quelque funeste objet à mes yeux se présente : Mon despit se renflame, & ma fureur s’augmente Les Dieus mesme sçachant ce projet furieux, De crainte de le voir ont detorné les yeus. Je le veus, il me plaist, puis qu’il est si terrible. A vous oùir parler il faut qu’il soit horrible ? Je ne sçay toutefois, il me remplit d’effroy, Et je pense en ceci qu’il est digne de moy. Accomplissons-le donc, & dedans cet ouvrage Fesons voir des effets d’un généreux courage. Que Thyeste te venge, & ses crimes passes. Qu'il soit son seul bourreau : mais ce n’est pas assez, Et c’est trop laschement en tirer la vengeance : Que le sang innocent purge un sang plein d’offence, Qu'il treuve en ses enfens un délicat morceau ; Que son sein criminel leur serve de tombeau, Que la mère estoufant ce qu’elle a mis au monde, Monstre que ma fureur n’a rien qui la seconde. Vous en voulez beaucoup : mais comment l’atrapper ? Par les mesmes moyens dont il nous veut tromper : Ce traistre plein de fourbe en ces lieus s’achemine, Et prétend de treuver sa gloire en ma ruine : L'esclat de ma grandeur esbloùit ses espris, Et par ces faus appas nous l’avons comme pris. Thyeste contre vous a trop de deffiance. Un perfide est tousjours de légère croyance. Outre que dés long temps Merope entre mes mains Procure son retour sans sçavoir mes desseins : Mille bons traitemens dont je flatte son ame, Le désir de le voir, & l’amour qui l’emflâme : L'espoir que je luy donne avec mille sermens, De vouloir mettre fin à leurs fascheus tormens ; Mesme de me priver (puis que le Ciel l’ordonne) Pour les favoriser, d’elle & de ma coronne, Sont les charmes trompeurs dont j’amorce ses sens, Elle appelle Thyeste, & ses effors puissans Ont tellement réduit cette ame criminelle, Qu'elle vient sans contrainte où son malheur l’appelle. Peut-estre que la Reyne abuse vostre esprit. Reconnoy cette Lettre, & voy dans cet escrit Ce qu’il nous a promis. LETTRE DE THYESTE A ATREE. PVIS que vostre bonté m’est un lieu de refuge, Monarque aussi clément que je suis criminel, Et que ma partie & mon Juge Veulent qu’entre leurs bras je treuve mon Autel. Je quitte ces desers ; & ces prisons sauvages, Où mon crime & mon sort me tenoient arresté, Afin de rendre mes hommages, Et d’embrasser les pieds de vostre Majesté. Mais si deus innocens par une grâce extrême Qui m’ont fait treuver dous tant d’estranges malheurs, Et que j’aime plus que moy-mesme, Vous pouvoient tesmoigner quelles sont mes douleurs. Vous dire mes regrets, & vous servant d’ostage, Trouver auprès de vous leur pardon comme moy, Mon ame qui suit ce dous gage, Par eus vous monstreroit vostre gloire & ma foy. Joignez cette faveur, à la faveur première Que je reçois de vous ne le méritant pas : Et m’accordant cette prière, Ils me précéderont, & je suivray leurs pas. THYESTE.         Je plains son infortune. Je la veus faire esgalle, & la rendre commune. La mère & les enfans sentiront aujourd’huy Que Thyeste les rend coulpables comme luy. Mais c’est trop différer une si douce attente : Commençons ce beau coup, & que leur confidente Que je tiens dés long temps à ma dévotion Nous ouvre le chemin de leur punition. La fera-t-on mourir ?         Il faut que son courage Contente mon désir, & commence l’ouvrage. Elle les aime trop.         Elle s’aime bien mieus, Et n’irritera par mon esprit furieus ; Va la voir seulement, & soudain me l’ameine. Toutesfois ce dessein me donne de la peine : Quelque fascheus daemon qui pousse ma fureur, La pitié me fait voir ce crime plein d’horreur, Et mon honneur s’oppose à l’acte impitoyable : Il se faut seulement venger sur le coulpable : Car quel crime ont commis ces petits innocens, Et pourquoy s’animer contre des impuissans. Ils sont siens toutesfois, & c’est de son inceste Et de ses attentats le seul bien qui luy reste. Et quand il seroit mort, si dedans son trespas Ils ne le suivent point, Thyeste ne meurt pas. Toujours dans leur objet on verra sa figure, Et son sang dans leur coeur aura mis sa nature. Ses crimes ne sont pas des crimes personnels, Thyeste comme luy les a fait criminels. Qu'ils meurent, c’en est fait, & que ce sacrifice Luy fasse détester son crime & son supplice. Ame trop peu cruelle, où te retires-tu, Reprens tes premiers feus, anime ta vertu, Fais généreusement avecques plus d’audace, Ce que feroit un dieu s’il estoit à ta place ; Establis désormais ta vie & ton repos : Mais que ces deus amys arrivent à propos. Apres tant de bien-faits, si tu m’es infidelle Est-il pour te punir de mort assez cruelle ; Et si dans le besoin tu me manques de foy, Melinthe, qu’attens-tu de la fureur du Roy ? Tous les maus où me peut condamner sa justice, Et tout ce qu’a l’enfer d’horreur & de supplice. Ce courage me plaist en ce commencement : Mais garde de changer à mon commandement. Grand Prince, si ma vie asseure la couronne, Vous me l’avez donnée ; & je vous la redonne ; Melinthe treuvera son supplice fort dous, Et ne peut mieus mourir, que de mourir pour vous. Conserve-toy Melinthe, & conserve ma vie, Termine les malheurs dont elle est poursuivie, Et par un rare effect de ta fidélité Establis ta fortune & ma félicité. Apres les longs travaus d’une si dure absence, La Reyne que le sort a mise en ma puissance, Soit que le Ciel l’ait fait par un secret destin, Ou qu’il l’ait résolu son supplice & sa fin, Dans une coupe d’or glorieuse & contente, Avalle le poison que ma main luy présente ; S'asseure en mes discours, & son ambition Par un espoir flatteur trompe sa passion. Ses pleurs &. ses soupirs ont de vostre colère Estaint tous les flambeaus.         Ah croyance légère ! Crois-tu qu’après avoir d’un projet monstrueus Fait d’un throsne Royal un lict incestueus, Enlevé de ces lieus le trésor de mon père, Je la tienne en mes mains sans punir l’adultère ? Non, non, tous ces appas dont je me suis servy, C'est afin que ce bien ne me fust pas ravy, Que le temps me fournit des moyens favorables, De me mieus satisfaire en perdant les coulpables. Je les tiens, je les tiens, ils sont sous mon pouvoir, Vengeances, cruautez, faites vostre devoir. Escoute-moy Melinthe, & commençons l’ouvrage : Mais tu trembles, chetive, & tu pers le courage. J'appréhende, Grand Roy, ce funeste dessein, Mon cœur pour t’asseurer passera dans ton sein : Tu sçais bien que pour toy mon amour est extrême, Qu'il m’a déjà rendu plus à toy qu’à moy-mesme. Et c’est icy, Melinthe, où ton affection Doit seconder les veus de mon intention, Et par les beaux effets que tu feras paroistre, Ta haine ou ton amour se fera reconnoistre ; L'un te donne mon lict, & l’autre le tombeau ; Choùesis celuy des deus qui te semble plus beau. La mort pour vous servir me seroit glorieuse Mais ô vous qui portez une ame généreuse, Domptez ces passions qui domptent vostre cœur ; Faites les actions d’un Prince & d’un vainqueur. Melinthe, c’est en vain que ton discours me flatte. Je suis dedans un point qu’il faut que tout esclatte ; Un mal si furieus ne veut point d’appareil, J'ay besoin de la main, & non pas de conseil. Que peut pour vous, grand Prince, une main imbecille. Elle peut commencer un ouvrage facile ; Resous-toy seulement à complaire à mes veus : Escoute.     O Justes Dieus !         Il le faut, je le veus ! Que cette cruauté me semble détestable. Je voudrais qu’elle fust encor plus effroyable, Elle me plairait plus, & mon cœur en effet Se treuveroit vengé : mais non pas satisfait. Grand Roy !         Tous vos discours m’importunent, Melinthe, Que je n’entende plus de raison ny de plainte : Vous contestez en vain ; il est délibéré : Vous le ferez, Melinthe, ou de force, ou de gré ; Je veus qu’à mes désirs vostre ame s’abandonne, Et choüésissez des deus, la mort ou la coronne. Merope, ses enfans, Thyeste, & leurs désirs Traverseront tousjours ma vie & vos plaisirs : De leur perte aujourd’huy despend vostre victoire, Et vous seule debvez en mériter la gloire. Doncques résolvez-vous à perdre ouvertement Ce qui perd vostre gloire & mon contentement. Dieus quel commandement, quel barbare courage ! Pour esteindre le feu de son ardente rage, Doibs-je souiller mes mains d’un horrible trespas, Perdre des innocens, non je ne le dois pas ? Et de quelque grandeur dont on flatte mon ame, Je ne sçaurois tremper dedans ce crime infâme, Il est trop odieus. Toutesfois que dis-tu, En quelle extrémité te porte ta vertu : Tu les veus guarantir de ce mal-heur extrême ; Et tu ne le sçaurois sans te perdre toy-mesme : Tu crains que sa fureur ne les fasse mourir, Et crains de te sauver en les faisant périr. En cet estât fascheus où tout m’est si contraire, Honneur, ambition, crainte, que dois-je faire, Ma perte, ou vostre mort doit contenter le Roy : J'ay du zèle pour vous, mais de l’amour pour moy. Il est vray que l’horreur de ce coup m’espouvente Mais aussi mon trespas à mes yeux se présente Horrible, espouventable, & tel que mes espris De crainte & de frayeur entièrement surpris Pour esviter l’abord de ce monstre effroyable, Consentent aus effets d’un acte abominable, Mourez Princes, mourez, un interest plus fort Pour conserver ma vie ordonne vostre mort. Mais j’apperçoy, Criton, qui vient pour me surprendre, Contre un si noir dessein, feignons de nous deffendre : Et que forcée en fin, mais avec de l’effroy, On entreprend ce coup pour contenter le Roy Le voila près de nous.         En fin belle Melinthe, Vostre esprit genereus aura chassé la crainte Qui jettoit dans vos sens cette vaine terreur : Ces fruis vous feront-ils encore de l’horreur ? C'est par eus que se doibt establir vostre gloire, Et par eus vous vaincrés.         Dangereuse victoire ? Le Sceptre vous attend.         Et par le mesme sort Que je l’auray fait mien, je mérite la mort. Vous vous perdez, Melinthe, & refusant Atree, La mort que vous craignez vous est fort asseuree. Refusant à ce Roy de suivre ses transpors, Je change seulement en une mille morts. Ces fruis empoisonnés pouvant d’un coup esteindre Merope, & ses enfans, qu’avés-vous plus à craindre. Outre le desplaisir d’un remors éternel, Un supplice qui suit par tout le criminel. Dans le trosne d’un Roy vous estes asseuree. C'est là que ma douleur sera démesurée, Où personne n’osant m’attaquer en effet ; J'ay l’infortune à craindre, & ce que j’auray fait. Une vaine terreur se glisse dans vostre ame. Dittes plustost l’horreur d’un homicide infame. On doit suivre en tous points la volonté des Roys, Ce qui leur plaist est juste.         Inévitables loys. Faites donc une fois ce qu’elles vous commandent. Grand Roy, pardonnés-moy si mes sens appréhendent A porter cette mort, elle a de la terreur, Et mon esprit craintif redoutte sa fureur : Donne-moy ce présent.         Courage magnanime, Immolés, immolés cette douce victime Qui nous doibt apporter la victoire & la pais Mais en impatience il est dans le Palais, Qui veut sçavoir de vous sans aucune remise, Si vous accepterez cette belle entreprise. Je m’en vay le treuver.         Vous ferez sagement ; Ce Prince n’attend plus que ce contentement : Accordez sans contrainte à son ame agitée, Ce qu’elle veut de vous pour estre contentée. Si la gloire des Roys a quelque dous appas, Leur vie a des rigueurs que l’on ne connoist pas, Leur grandeur est un roc que la nature mine. Leur sceptre est de roseau, leur coronne est d’espine : Leurs coeurs sont traversés d’incroyables ennuis. S'ils ont quelques beaus jours, ils souffrent mille nuis : Les soubçons, les terreurs, les vengeances, les rages, Sans cesse font en eus de furieus orages. Heureus de qui l’esprit vit sans ambition : Il est Roy véritable, & sa condition Hors de tous les mal-heurs d’une vie importune, Surpasse des grands Roys la gloire & la fortune. Que j’arrive à propos en ces lieus désirés, Criton.     Cher Lycostene.         En fin presque expirés Dans un exil fascheus, sous le fais des miseres, Nous sommes de retour au séjour de nos pères. Fassent les dieus puissans que nos maus terminés, Nous vivions désormais un peu plus fortunés. Fassent les dieus puissans, fidelle Lycostene, Qu'un éternel repos succède à vostre peine, Et qu’après les erreurs d’un long bannissement, Vous treuviez en ces lieus un plus dous élement. Les dieus qui l’ont promis pour terminer nos peines, Conduiront dedans peu Thyeste dans Mycenes, Et je viens de sa part en advertir le Roy. Il est trop genereux pour manquer à sa foy. Deus Princes, mais deus dieus qui suivent mon message En plaigeant ma parole, & luy servant d’ostage, Tesmoigneront au Roy quels sont ses desplaisirs. Justes Dieux, comme tout succède à nos désirs ! Mais sont-ils esloignez ?         Theombre les amené, Et je les ay laissez au milieu de la plaine. Et Thyeste les suit ?         Il attend mon retour. Ah fortuné succez ! incomparable jour, Allons treuver mon Prince, on ne peut davantage Sans crime luy celer un si plaisant message. Fin du premier Acte. Amy pardonnez-moy si j’ay trop demeuré. Un bien n’est pas perdu pour estre différé. Ravy par les transpors de son amour extrême, Ce Prince en m’escoutant presque hors de soy-mesme, M'engagea mille fois dans le mesme propos. Et je leus dans ses yeus l’espoir de son repos. Doncq il est satisfait.         Autant qu’on le peut estre Et l’excès du plaisir qu’il me faisoit paroistre S'imaginant d’avoir ces enfans en depost, M'a tenu si long-temps.         On revient assez tost Quand on revient porteur d’une bonne nouvelle. Connoissés doncq l’excès d’une Amour fraternelle, Jugés de ses plaisirs par son ravissement, Et sçachez que l’objet de son contentement Consiste à caresser un frère qu’il adore. Vous la-t-il asseuré ?         Luy-mesme veut-encore Vous le dire de bouche.         Incroyable bonté, Qui peut assez louer ta générosité, Et dire la valeur de ce cœur qui t’anime. O des Roys le plus dous & le plus magnanime ! Desja pour recevoir le Prince à son retour, Il envoyé au devant, il fait parer la cour ; Et vous l’auriez icy sans ce soing qui le presse Mais le voila qui sort, voyez son allégresse. Bons Dieus, que ton message augmente mes plaisirs, Que j’ay d’impatience, & que j’ay de désirs De me recompenser de cette longue absence. Va donc le retreuver, & dy luy qu’il s’advance S'il désire advancer les dous contentemens Que je puis recevoir dans ses embrassemens. Dy luy que mon amour mille fois l’en convie, Que j’estime cest heur le plus dous de ma vie, Et qu’il ne craigne rien, sinon qu’entre ses bras Un excès de plaisir me donne le trespas. Monarque genereuse, dont la valeur extrême Paroist incomparable à se vaincre soy-mesme : Que cette pieté va mériter d’autels, Et que vous estes dous envers des criminels. II est vray qu’un regret joinct à leur pénitence Mérite aucunement cette juste clémence. Je sçay bien que l’exil, la faim & les travaus, En ce cœur ont esté les moindres de ses maus : Qu'ils n’ont jamais touché cet esprit magnanime, Et qu’il n’a que souffert par l’horreur de son crime. Ses regrets & ses maus vous l’ont pu faire voir. Ne diffère doncq plus, achevé ton devoir, Soulage ses ennuis, & mon impatience Redonne à mes plaisirs son aimable présence. Comme un mesme destin semble vous approcher ; Atree est aujourd’huy ce qu’il a de plus cher. Et Thyeste aujourd’huy tout ce que je désire. Vous le verres bien-tost.         Il est temps qu’il expire, Son crime dure trop, & son ambition Doit rencontrer sa fin dans sa punition. Mais toy de qui le cœur plein d’une ardeur fidelle, Dans les occasions m’a tesmoigné ton zele. Amy le plus parfait & le plus genereus, Qui suit & ma fortune & mon sort malheureus : Voy-tu pas que le Ciel entreprend ma deffence, Et qu’en tout ce qu’il peut il aide à79 ma vengeance. Thyeste en mes liens vient se précipiter ; Ses enfans que mes yeus ne sçauroient supporter, Qui portent sur leur front son inceste & ma honte ; De leurs malheurs passés viennent me rendre compte : Melinthe les attend, j’attends ce desloyal, Et ce jour à tous deus nous doit estre fatal. Je crains.     Quoy, que crains-tu ?         Que Melinthe craintifve N'empesche qu’aujourd’huy vostredessein n’arrive. Son esprit résolu presqu’autant que le mien, Sçait que de là despend ou son mal ou son bien, Et l’espoir de mon lit a chatouillé son ame. J'ay crainte toustefois, Melinthe est une femme. Ce sexe audacieus en son ambition, N'admet point de milieu dedans sa passion. Quand elle a de l’amour, son amour la transporte, Et la haine qu’elle a la traitte de la sorte. Et j’oserois jurer que son cœur & son bras, Par un autre respect ne s’esbranleront pas. J'espère dedans peu d’en voir l’expérience. Mais ne voyez-vous pas la Reyne qui s’avance. Cachons les mouvemens de nos cœurs agitez, Allons la recevoir. Reyne dont les beautez Impriment dans les cœurs une amour incroyable, Et de qui la vertu n’est pas moins adorable. Le Ciel en fin lassé de vos longues douleurs, Pour bannir vos regrets, & finir nos malheurs, Et ne se monstrer plus à nos veus si contraire, Vous donnant un espous, me redonnent un frère. Vous faites son destin, Monarque genereux, Il peut vivre contant, ou vivre malheureus, Ordonnez son retour, commandez sa retraitte. Que cette obéissance est louable & parfaite : Non, je veus embrasser cet objet plein d’amour ; Qu'il quitte les desers, qu’il revienne à la Cour : Car je veus qu’aujourd’huy mon sceptre se partage, La Nature & l’Amour en font son héritage, Il doit vivre en ces lieus plein de gloire & d’honneur. ………………………………………………………… Mais qui s’en vient à nous ?     Oronte.         Son visage, De quelque heureux succez nous porte le présage. Approche cher Oronte, & le plus promptement, Fais nous sçavoir l’excès de ton contentement. Deux Princes arrivez en toute diligence, Vous viennent (ô grand Roy) faire la révérence, Et desja leur désir les rend impatiens. De quel âge & quel port ?         Le plus vieil de sept ans. Beaus.         Comme le Soleil, quand on voudrait encore, Adjouster à ses trais les beautez de l’aurore. Mère trois fois heureuse, ô Roy trop glorieux, Allez Criton allez leur dire qu’en ces lieux, Ils nous viennent donner leur aymable présence, Et qu’ils sont attendus avec impatience. En fin nous les verrons ces enfans desirez, Un excès de malheur nous avoit séparez, Un excès de bon-heur aujourd’huy nous rassemble, L'Amour, l’estonnement paroissent tout ensemble ; Et dans un mesme cœur font voir leurs mouvemens : La pitié se vient jondre à mes contentemens : Et par les dous plaisirs que le Ciel nous envoyé, Attire des soupirs & des larmes de joye. Que ces ressentimens & ces traits amoureus Procèdent bien d’un cœur Royal & genereus ; Que par cette action vostre gloire s’augmente. Mais ô Roy sans pareil, j’aurois l’ame contente Si ces deux innocens que l’on fait appeller, Dont le plus raisonnable à peine sçait parler, Ne pouvant exprimer ce que Thyeste endure, Pouvoient dessus leur front en porter la peinture, Vous verriez son esprit cruellement pressé Par les cuisans remors dont il est traversé, Souffrir mille langueurs, vivre en impatience, Faire une mer de pleurs, y laver son offence, Et reclamer au nom d’une saincte amitié, Avecques son pardon vostre extrême pitié. Je sçay que ses regrets sont plus grands qu’on estime, Et que ses desplaisirs ont effacé son crime : Son cœur m’est trop connu. Mais trefve à ce discours, Un plus heureus succès en doit rompre le cours. Et par mille plaisirs soulager nostre peine : Parlons de ces enfans que le Ciel nous ramené. Ne les voyez-vous pas qui s’en viennent à vous ? Embrassez chers enfans, embrassez les genous Du plus juste des Roys, & du plus pitoyable : C'est luy qui veut changer cet estât misérable, Où l’exil & le sort vous avoient confinez. C'est luy de qui l’Amour rend vos jours fortunez, Et qui pour relever désormais vostre gloire, Emporte sur luy-mesme une belle victoire ; Et vous promet un sort digne de vos ayeus, Demandez-luy pardon de la langue ou des yeus. Reyne dont la vertu nous paroist sans exemple ; Et plus je vous entends, & plus je vous contemple, Plus je me sens ravir par vos perfections, Et plus j’adore en vous ces belles passions. Mais vous chers héritiers que le Ciel me redonne, Embrassez, embrassez mon sceptre & ma coronne ; Donnez mille baisers à ces biens préparez, Car j’espère par vous qu’ils seront asseurez. Ces excez de faveurs qui vous sont ordinaires, Sont pour des criminels de trop amples salaires. Parlez, parlez enfans.         Grand Roy, mille pardons ! Thyeste les implore, & nous les demandons. Cette innocente vois vient à blesser mon ame, Et je sens dans le cœur une excessive flame, Dont l’ardeur me consomme ? Ah gage precieus ! Que vous rendez Atree aujourd’huy glorieus. Grand Roy, c’est le depost que Thyeste vous donne Pour monstrer que jamais contre vostre coronne Son cœur n’a projette de sinistres desseins, Elle ne peut jamais estre mieus qu’en vos mains ; Vous la possédez seul avec un juste tiltre, Seul vous estes aussi son légitime arbitre : Le désir seulement de vous crier mercy, Ameine le coulpable, & le conduit icy. Qu'on ne me parle plus de cette repentance, En accusant Thyeste, on m’accuse & l’offence, Atree a seul fally, mon frère est innocent, Il a suivy le cours d’un destin tout puissant, Et je n’ay pas connu que ceste violence, Estoit un coup du Ciel & de sa prévoyance. Vous me le faites voir adorables enfans, C'est par vous que mes jours se rendront triomphans, Et par vous que mon Sceptre asseurera sa gloire : Ceuillez, cueillez les fruicts d’une belle victoire, Venez entre mes bras : mais c’est vous arracher, D'un lieu qui vous doit estre & plus dous & plus cher. Doncques Reyne vueillez conserver cet hostage, Caressez ce présent & gardez moy ce gage, Qui de tous mes trésors m’est le plus précieux, Prenez mille baisers sur sa bouche & ses yeux. Dans l’excès des plaisirs où je me voy plongée, La fortune à mon gré si promptement changée, Et son ame inconstante en tous ses mouvemens, Me fait appréhender de soudains changemens. Qu'en dittes-vous, Melinthe ?         Apres de longs supplices, Les biens les plus communs nous semblent des délices. La misère, l’exil, & tant de maus souffers Vous font trouver tout dous au respect de vos fers. Mais si vous regardés quel est cet advantage, Vous verrez que le Ciel ne fait que le partage D'un sceptre qui devoit tomber entre deux mains, Et qu’il veut le repos de deux frères germains. Que le Sceptre, Melinthe, est une chose aimable ! Vous le posséderez,         Cet estât desplorable Sous lequel aujourd’huy le sort nous a soubmis, Me deffend d’espérer.         Le Roy vous l’a promis. Il est entre ses mains bien mieus qu’entre les nostres. Il veut vous le donner pour vous & pour les vostres. Donc c’est pour vous, enfans, que l’on l’a préparé, Par vous nostre malheur aujourd’huy terminé, A nos longs desplaisirs fait succéder la joye : Thyeste a son pardon, & le Ciel nous l’envoyé, Vous estes dans mes bras, dous excès de plaisir ; Il faut que je vous baise & rebaise à louesir, Que ma lèvre se colle à vostre lèvre humide, Et que pour satisfaire à mon cœur plus avide, Vous donnant mon esprit, j’expire doucement, Et que vous me donniez le vostre esgallement. De ses plaisirs perdus, elle prend les usures. Vous ne me dittes mots, petites créatures : Parlez-moy de Thyeste, où l’avez-vous laissé ; Vous a-t-il dit adieu, l’avez-vous embrassé ? Pour vous cent & cent fois.         Il faut donc à mon aise Que pour luy mille fois aujourd’huy je vous baise, Mais ils s’en vont à toy ?         Je les puis recevoir. Dieux que ces fruits sont beaux, chacun les veut avoir, Donne moy ce présent, j’en feray le partage, A qui dois-je des deux en donner davantage, Aux deux esgallement ayant donné le jour : Si Theandre a mon cœur, Lysis a mon amour, Toutefois un désir plus avant dans mon ame, L'emporte dans les lieux, où s’envole ma flame. Que faict mon cher Thyeste, où le laissastes-vous ? Sur le poinct de partir aussi tost comme nous. Songe-t- il à Merope ?         Autant comme à luy-mesme. Ah Prince sans pareil ! que ton amour extrême Mérite d’autres vœus que ceux que tu reçois : Bons Dieus ! pouvois-je faire un plus louable chois : Mais je ne puis souffrir sa trop longue demeure. Vous l’auré dans ces lieux au plus tard dans une heure. O trois & quatre fois favorable retour ! Madame, icy Madame !         Ah ! lamentable jour. Détestables faveurs.         Courez icy Madame ! A quelle fin grands Dieus reservez-vous mon ame, Quelle est vostre justice, & quels sont mes mal-heurs, Pourquoy ne puis-je pas partager mes douleurs, Ah Lysis ! mais où vais-je, ah ! rigueur trop cruelle, Je cours à toy Lysis, & Theandre m’appelle, Ah Theandre ! ah Lysis ! dous objets de mes voaus, Amour en mesme temps m’appelle à tous les deus, Et mon nouveau malheur en ce poinct est extrême, Que je ne puis choûésir des deux celuy que j’ayme. Madame, ces transpors ne sont pas de saison, Avecque vos enfans vous perdez la raison, Songeons à leur salut, leurs pous donne espérance De quelque guarison.         A fascheuse apparence ! Espoir foible & cruel ?         Avec tous ces discours, Nous resterons icy sans force & sans secours. Quels fascheux accidens troublent ainsi la Reyne ? Emportez ces enfans dans la chambre prochaine, Vous sçaurez leur malheur : Madame suivez-les, De tout cet accident vous verrez le succez. Helas ! que mes malheurs sont bien fort manifestes Que verray-je de plus dans ces objects funestes Que l’effet d’une haine, &. l’horreur du poizon Que ma perte asseuree, & que ta trahison. Justes Dieus qui voyez une ame si perfide, Vengez, vengez pour moy ce cruel homicide ? Vous m’accusez à tort : mais le temps ne veut pas Que je me justifie : Allez, suivez leurs pas : Je cours au Médecin.         Ces véritables plainte Donnent à mon esprit de sensibles atteintes. Et quelque advantageus que me soit ce forfait, Je sens secrètement que c’est moy qui l’a fait : Un remors dans le cœur va m’objectant sans cesse, Que j’ay trahy ma foy, trahissant ma Princesse. Mais que mon repentir me semble furieus : Je les ai veus mourir tous deux devant mes yeus. Par leur mort seulement j’ay conservé ma vie : Par leur mort j’ay repris ma liberté ravie, Et ces enfans perdus asseurent mon repos. La volonté d’un Prince est de tous mes complos C'est luy qui m’a portée à ce cruel office ; C'est luy qui doit payer mon fidelle service, La coronne m’attend après ces beaux desseins, Je veus que ces effets se trouvent inhumains, Que je passe par tout pour ingrate & perfide, Et que mon crime soit pire qu’un parricide, Un diadesme peut couvrir tous mes deffauts, On feroit pour régner mille fois plus de maux, Et ce coup en tout cas n’est que trop légitime, Pour que je ne préviens que Merope en son crime. Fin du Second Acte. Perfides sentimens, mouvemens déréglez, Où voulez-vous porter mes esprits aveuglez ; Quelle lasche pitié, vient esbranler mon ame ; Quelle foible raison veut estaindre la flame Qu'une noire furie allume dans mon sein : Achevé, achevé, achevé un si noble dessein, Porte ta passion au poinct qu’elle désire. Merope est en tes mains, & l’infâme respire ; Elle voit le Soleil avec les mesmes yeus Dont elle a veu Thyeste & trahy tous nos Dieus : Elle seule a produit ses infâmes vipères Qui dévoient en naissant faire mourir leurs pères. Il est temps, il est temps qu’Atree & ses espris Se vangent hautement de ton lasche mespris : Qu'ils se soullent du sang d’une ame desloyale, Qu'ils reparent l’affront de sa couche Royalle, Et qu’en te prévenant dans tes désirs secrets, Il asseure sa vie, & perde tes projets. Ta main perdra Lysis, ta main perdra Theandre, Un mesme sort t’attend, & tu le dois attendre Sur les bords d’Acheron : ces idoles sans corps Languiront sans passer au Royaume des morts ; Erreront sans treuver la fin de leur misère, Et me demanderont pour victime une mère : Puis-je leur refuser un si juste trespas ! Non, il est résolu qu’elle suivra vos pas, Et l’effroyable objet d’un horrible carnage Fera périr Thyeste ou d’Amour ou de Rage ; Son esprit dans ces lieus aux vostres se joindra ; Et chacun de vos corps dans le sien s’espandra. Ainsi remply de vous autant que de son crime, Vous aurez un tombeau, luy son sort légitime. De ses transports tousjours vostre esprit agité, Médite sa vengeance, & quelque cruauté. L'un & l’autre me plaist, & tous deux, s’il me semble, Pour mon contentement doivent se joindre ensemble. Vengeance, cruauté, violence, transports, Perfidie, homicide, & les sanglans efforts Où nous pousse la Rage alors qu’elle est extrême ; Meslons le sacrilège avecque le blasphème, Et tout ce que l’enfer ne peut s’imaginer : Ce qui le fera craindre, & les Dieus estonner, Ce qu’ils n’ont jamais peu trouver dans leurs supplices, Seront pour m’obliger d’agréables délices. Et si mesmes les Dieus consentoient à ce tort, Contre eux mon bras feroit un plus sanglant effort ; Tant je veux surpasser le crime de mon père. Justes Dieux ! appaisez l’ardeur de sa colere Sur ce cœur furieus estendez vostre main. Hé ne vous souillez plus de ce crime inhumain. C'est par là que je veus obtenir la victoire. C'est par là que je veus qu’une estrange mémoire Conserve à nos neveus jusqu’aus derniers momens L'horreur de ma vengeance & de mes sentimens ; Que le Soleil s’en cache en des cavernes sombres, Je ne veus avec moy que de funestes ombres ; Et je seray contant si je fais en effet Ce qu’un frère voudroit contre nous avoir fait. Estrangepassion.         Nécessaire & loüable. A qui veut se venger d’une injure semblable, Il ne faut point flatter un tel ressentiment Et l’on ne doit jamais se venger laschement. Ordonnez, je suis prest.         J'estime ta franchise, Capable seulement d’achever l’entreprise. Monstre toy donc icy fidelle & valeureus, Ne m’abandonne pas en ce coup genereus ; Ton courage me plaist, ta vertu me contente, Et j’espère des deus l’effet de mon attente. Mais que joyeusement Melinthe vient à nous. Vivez grand Roy, vivez, la victoire est à vous ; Ma main sans redouter ce sanglant sacrifice A généreusement achevé son office. Donc ces enfans sont morts ?     Ouy.         Las que me dis-tu ? Que je suis redevable à ta rare vertu : Ils sont morts ? Justes Dieus ! quel coup plus favorable Pouvoit me rendre heureux, & Melinthe adorable ? Ils sont morts ?     Ils sont morts.         Mais dy moy de quels yeus Elle a pu voir l’effet de son crime odieus ? Des yeux que la douleur noyoit dedans leurs larmes. Quels furent ses discours ?         Tous tels qu’en ces allarmes Arrache malgré nous par ses effors puissans, La Rage qui maistrise & le cœur & les sens. C'est tout ce qu’il falloit à cette ame perfide : Mais elle mesme a fait de sa main l’homicide. Elle mesme.         Et tu pus luy donner ce poison. A propos.         O trois fois heureuse trahison ! Généreuse Melinthe, en ce bien-fait extrême Mon repos s’establit, & ta gloire est suprême ; Fais nous donc le récit de tout cet accident. Voyant ses deux Soleils dedans leur occident. Elle s’en vint à toy.         Son amour partagee Fit voir comme à tous deux elle estoit engagée Et que le sang faisoit une commune loy. Elle alloit vers Theombre, & puis couroit à moy ; S'arrestoit incertaine, & son cœur & son ame Brusloient pour tous les deux d’une pareille flame. En fin tout succéda selon nostre désir. Sire, vous le sçaurez tantost plus à louesir. Je fus au Médecin pour me retirer d’elle. Criton vit le spectacle.         Ah l’aimable nouvelle ! Amy, satisfaits donc à mon contentement : Quels furent les transpors d’un dueil si véhément ? Dy, quels furent ces pleurs, quelles furent ces plaintes ? Reconnoissant au vray les mortelles attaintes, Qui forçoient ces esprits de sortir de ces lieus ; Le poison achevant vos desseins glorieus ; Et Merope voyant ce qu’elle pouvoit craindre, S'arrache les cheveus, & commence à se plaindre : A tous ces mouvemens sa main s’abandonnoit : De ses tristes sanglots la chambre resonnoit, Et ses yeus presque estains, & son pasle visage, Faisoient voir de sa mort le funeste présage. Si ce commencement causa tant de douleurs, Que fit-elle voyant l’objet de ses malheurs. Trois fois en se pasmant elle voulut les suivre : Mais son cruel destin trois fois la fit revivre : Trois fois elle voulut finir par leur trespas. Trois fois la mort l’approche & ne la touche pas. En fin & la Douleur, & l’Amour, & la Rage, Luy ravirent le pous, l’esprit & le courage, Elle s’esvanouyt comme le Médecin Entre dedans la chambre.         Acheve : cette fin L'estonne, le surprend, & fait qu’il se propose De chercher dans ces corps & l’effet & la cause : On les ouvre aussi-tost, on treuve le poison, La Reyne se resveille & sort de pasmoison. Et d’une voix qui sort à peine de sa bouche, Elle veut exprimer la douleur qui la touche. Puis retournant les yeus de larmes tous couverts, Ainsi qu’elle apperçoit ces deux corps entr'ouverts, Une estrange douleur s’emparant de son ame, Pour la quatriesme fois encor elle se pasme. Que fistes-vous après ?         Nous emportons son corps, Et laissons seulement, Oronte avec les mors Pour faire.         C'est assez à tout cecy, Theombre. Presque tout immobile, & plus pasle qu’une ombre, Il a recours à moy, je flatte son ennuy, Et dedans cette tour je m’asseure de luy. Vertueuse conduite, amy trop véritable, Mais que vos passions, Melinthe incomparable, Me donnent de désirs de les recompenser. Il faut Melinthe, il faut cent fois vous embrasser, Et puis que vous m’avez tenu vostre promesse, Satisfaire à la mienne, & vous faire Princesse. Toutesfois ce bon-heur doit estre différé, Il faut avoir le Sceptre, & le rendre asseuré. Que vous reste-t-il plus ?         A faire deux conquestes, Pour nous mettre à l’abry des vens & des tempestes, A faire ce qui peut un jour nous contenter Mais ce que vostre cœur ne sçauroit supporter. Melinthe cependant sera-t-elle inutile ? A tout autre qu’à moy la chose est difficile, Où dois-je donc aller ?         Dans des lieux préparez Aux dous contentemens qui nous sont asseurez, Où nous devons jouyr d’une gloire parfaite. Le palais du jardin sera vostre retraite. Tu vois comme en tous poincts la fortune me rit : Voila comme il falloit attrapper cet esprit, L'amorcer doucement, & par mille artifices Le prendre & l’obliger à ces sanglans offices : La seule ambition dont son cœur fut espris, Pour tous mes sentimens anima ses espris, Et fist qu’à tous mes vœux son ame s’abandonne. On pesche bien pour moins que pour une coronne. Crédule, penses-tu que j’y sois obligé, Que par cette action mon honneur engagé Pour la recompenser de son juste salaire, Doive un si beau présent à ce cœur mercenaire ? Vostre honneur vous oblige à tenir vostre foy. J'en manque pour un frère, il en manqua pour moy : Elle n’en a point eu pour servir sa Princesse ; Et je n’en auray point pour tenir ma promesse. Donc son obéissance a causé son malheur. Elle seroit sans crime, & ma juste douleur Seroit sans fondement contre cette perfide, Ayant tant seulement trempé dans l’homicide, Nous vivrions engagez sous une mesme loy ; Je perirois plutost que luy manquer de foy ; Mon Sceptre entre ses mains seroit son héritage, Et je serois heureux d’en faire le partage : Car quoy qu’elle eust commis en l’empoisonnement, Elle l’auroit commis par mon commandement ; Et je serois ingrat si son obéissance N'obtenoit à l’instant sa juste recompense. Mais ?         Certes ce secret me faisoit estonner. Il faut auparavant sa vie examiner, Et deux mots sur ce poinct nous la feront connoistre, Lors que par mille morts ma main faisoit paroistre Un Atree invincible au milieu des combats : Thyeste impunément prenoit tous ses esbats, S'enyvroit de plaisirs dans le sein d’une infâme, S'approprioit mon sceptre, & contentoit son ame : Mon absence leur sert, & leurs cœurs triomphans S'estiment asseurez pour avoir deux enfans, Que Melinthe en secret porte chez la nourrice Pour mieux continuer son détestable office. Peut-estre le fit-elle à dessein de cacher Ce que tous ses efforts ne pouvoient empescher ? Surprise par l’amour & les dons de Thyeste, Elle seule porta Merope à cet inceste. Vous la pouviez punir la tenant en vos mains. Cette punition rompoit tous mes desseins : Tu sçais que ma valeur par d’invincibles charmes Obligea la Fortune à seconder mes armes, Et qu’admirant par tout & mon cœur & mon bras, La victoire a suivy l’honneur de mes combats, Quand proche de gouster d’incroyable délices, Un funeste démon m’apporte des supplices. On me dit que Thyeste apprenant mon retour, Avoit avec Merope abandonné la Cour : Emporté la Toizon, craignant que ma colère Ne punist sur tous deux un infâme adultère. Je cours pour l’attraper : mais inutilement ; Je cherche ces enfans : mais un mesme eslement, Les avoit guarantis : & seulement Melinthe Que je sçavois desja du mesme crime attainte, Par un secret destin tombe dans ma prison : Sur elle je pouvois punir leur trahison. Je pouvois soulager ma rage en quelque sorte : Mais c’estoit se vanger d’une personne morte : Outre que le pardon me donnoit les moyens De la pouvoir un jour la mettre dans mes liens. Cinq ans se sont passez depuis que je luy jure Que mon esprit a mis en oubly cette injure, Et que mon cœur touché d’une estrange pitié, Voudrait de leurs malheurs endurer la moitié. En fin j’ay si bien fait qu’ils sont en ma puissance, Et qu’il ne reste plus qu’à tirer ma vengeance. Je ne puis excuser son infidélité. Le Ciel luy donnera ce qu’elle a mérité : Et pour la mieux punir, & payer son service ; Je veux pour quelque temps différer son supplice ; Et je l’ay fait descendre à dessein dans ces lieux. La Reyne vient à vous,         Monarque glorieux, A qui tout l’Univers doit eslever des Temples, Et de qui les vertus n’eurent jamais d’exemples. Je ne sçaurois souffrirce discours odieux, Dittes le plus honteux qui vive sous les Cieux. Apres tant de lauriers, de palmes & de gloire, On a troublé l’honneur de toute ma victoire. Il est vray, deux enfans dedans vostre maison Ont ressenty l’effort d’un funeste poison ; Aussi tost arrivez une main desloyalle A souillé de ce crime une maison royalle. Je jure tous les Dieux, que celuy qui l’a fait Ne survivra jamais une heure à son forfait, Et quiconque en ces lieux se soit monstre perfide, Se punira soy-mesme en son propre homicide. Ah prudence incroyable ! Ah Justice de Roy ! Dittes, dittes plustost inévitable Loy ; Ce que je vous promets est fort inviolable : Et juste ou non il faut qu’on le treuve équitable. Vengez vos héritiers !         Je n’en ay point perdu, Ce tiltre ny ce nom ne leur estoit pas deu : Ils sont à vous, Merope, & leur père est Thyeste. Ah grand Prince ! ah Merope ! ah response funeste ! Vous les avez receus au pardon comme nous. Et je feray pour eus autant comme pour vous. Helas ! ils ne sont plus, & leur sort vous demande. Ce qu’ils auront bien tost.         Que mon ame appréhende, Et conçoit à ces mots de crainte & de soupçons. Justes Dieus ?         Mais à quoy ces estranges façons ? Et pourquoy doubter tant d’une chose asseuree ? Estes-vous pas Merope ? & suis-je pas Atree ? Vous Testes, & mon cœur n’en a jamais doubté, Je ne l’ay que trop veu par l’extrême bonté Dont tant de criminels ont fait l’expérience : Mais ces deux Princes morts vous demandent vengeance. Je l’ai desja promise, & puissent tous les Dieus A jamais contre moy se monstrer furieus, Si l’effect dedans peu ne vous rend asseuree, Que vous estes Merope, & que je suis Atree. Dois-je avoir de l’espoir ?         Il seroit superflus, Et vostre seul espoir est de n’en avoir plus. Las par combien de morts mon ame est deschiree ! Estes-vous pas Merope, & suis-je pas Atree ? Il est vray, je la suis, mes estranges malheurs Me le monstrent assez, & mes vives douleurs De l’autheur de mon mal me rendent asseuree. Estes-vous pas Merope, & suis-je pas Atree ? Mais un Tygre ?         Ces noms me sont indifferens, Mais que je vienne à bout de ce que j’entreprens Que je venge un affront. Qu'estes-vous devenue, Inviolable foy ?         Me l’avez vous tenue ? L'inviolable foy que vous implorez tant : Vous l’avez violée, & j’en veux faire autant ; Ma puissance n’est pas moins grande que la vostre ; Vous avez fait un crime & j’en veux faire autre, Si je suis criminel de suivre un mouvement, Où l’équité me porte & mon ressentiment. Il falloit, il falloit pour paroistre équitable, Sauver les innocens, & perdre la coulpable Ces victimes estoient indignes de vos cous. J'ay trouvé dans leur mort quelque chose de dous. Oyez terres ! Oyez ce désir tyrannique ! Escoutez les fureurs d’une ame frénétique. Pour un commencement tu festonnes beaucoup. Détestable assassin.         Toy-mesme as fait le coup, Melinthe t’a servie en cette felonnie : Toy-mesme m’as vengé, toy-mesme t’es punie ; Et dans les mesmes lieux où ces enfans sont nez, Dedans les mesmes lieux ils sont empoisonnez. Ta main qui fit ce meurtre en doit estre asseurée. Connoy-toy donc Merope, & reconnois Atree. Il n’en faut plus doubter, ce tyran furieux Est le seul instrument de ce crime odieux ! Sa rage a commencé ce dessein si funeste, Afin de l’achever par la mort de Thyeste. Divertissons ce coup, & ne permettons pas Qu'il triomphe jamais d’un si noble trespas ? Merope, c’est à toy d’en esviter l’orage : C'est toy qui l’as perdu. Mais ô Dieux, quelle rage S'obstine incessamment contre des malheureux ? Las ! pour te secourir je n’ay rien que des vœux, Tous ces lieux sont fermez, je n’ay point de passage, Je manque de pouvoir, mais non pas de courage, Insolentes fureurs du sort qui m’est fatal : Quoy, me reservez vous encor à quelque mal ? Mon exil n’a-t-il point contenté vos caprices ? Est-il pour me punir de plus cruels supplices, Apres avoir trahy Thyeste &. mon amour, Estouffé deux enfans que j’avois mis au jour. Avez-vous, avez-vous quelque chose de pire Pour me faire souffrir tandis que je respire. J'ay veu de mes deux yeux ces objects estendus, Sans pous, sans mouvement, & je les ay perdus, Et je ne suis pas morte ? Ah mère détestable, Que ton impieté te rend abominable ! Tu survis à ce coup plein de rage & d’horreur, Tu manques de courage en ta juste fureur : Apres avoir commis un si grand parricide, Contre qui pouvois-tu te monstrer plus perfide ? Ah nature ! ah pitié que faisiez-vous alors ? Que ne m’assistiez-vous avec tous vos efforts, Pour ne survivre pas à l’action cruelle, Ne me trouviez-vous pas encores criminelle, Falloit-il adjouster à mon crime odieux, La mort de mon Thyeste & le mespris des Dieux ? Et premier que ma mort expiast mon offence, Me faire reconnoistre Atree & sa vengeance. M'exposer aux fureurs de ce Tygre inhumain, Du sang de mes enfans ensanglanter ma main, Perdre des innocens, destruire mon ouvrage, Ah Dieux ! fut-il jamais une pareille rage ? Mais vous à qui ce bras a servy de bourreau, Devois-je en vous perdant faire un crime nouveau ? Et falloit-il qu’un Roy pour se rendre effroyable, Vous perdist par ma main, & sauvast la coulpable ? Madame, ce grand Roy que vous blasmez à tort, Des esprits affligez l’azyle & le support, Voyant de vos douleurs l’extrême violence, Vous exhorte par nous à quelque patience. Ce grand Roy, dont le cœur & lasche & furieux, Horreur de la nature & la haine des Dieux, Nous assouvy du sang d’une tendre jeunesse, Veut encor esprouver mon cœur & sa foiblesse : Fidelles confidens de cet empoisonneur, Qui venez à dessein de tenter mon honneur, Dittes-luy que j’auray dans ce malheur extrême, La resolution qu’il doit avoir luy-mesme. Pourveu que ces transpors cèdent à la raison, Il treuvera la sienne en vostre guarison. Et c’est cette raison qui doit à cet infâme Faire voir en mes maus les bourreaux de son ame. Pour empescher ce coup vous vous devez guarir. Un moment, un moment me pourra secourir. Un seul coup finira ma vie avec ma peine. Certes vous commencez d’estre moins inhumaine ; Et pour exécuter un si noble désir, Voicy dequoy Madame, & vous pouvez chouesir. Objects doux & charmans, presens incomparables, Qui devez terminer mes maux insupportables, Favorable ennemy, Monarque glorieux, Qui fais pour mon repos autant que tous les Dieux. Tu sçays qu’après ces morts je ne sçaurois plus vivre, Que mon amour m’invite, & m’oblige à les suivre, Et que pour mieux punir ma lasche trahison, Ainsi qu’eux je devois finir par le poison. Il le faut, je le dois, ça, prenons ce breuvage ? En retardant son coup j’offence mon courage. Mais soyez les tesmoins comme je le reçoy, Voyez avec quel front & quels yeux je le boy, Et dittes à ce Roy dont je foulle la haine, Que Merope mourant, mourut comme une Reyne. Le voila ; c’en est fait, il est victorieux, Et mon esprit contant va sortir de ces lieux. Allez luy rapporter de si douces nouvelles, Je vay suivre les pas de ces ombres fidelles. Enfans je suis à vous, attendez un moment, Thyeste me retarde en ces lieux seulement. C'est moy qui t’ay perdu, c’est ta seule Merope, Qui dedans ses malheurs aujourd’huy t’envelope. Ah trop crédule amant ! j’expie en ce trespas Tous mes forfaits passez, & ne te sauve pas. Contre toy leur furie ose tout entreprendre, On m’oste les moyens de te pouvoir deffendre. Espere toutesfois, mon esprit hors du corps, Premier que de passer au Royaume des morts, Où que tu sois, Thyeste, ira joindre ton ame, Et te rendre les vœux de sa dernière flame. Il s’en va, c’en est fait, Ministres généreux, Monstrez-moy mes enfans, que j’expire sur eux ; Vous ferez à Merope un agréable office, Et vous augmenterez l’horreur de son supplice. Fin du troisiesme Acte. Apres les longs travaux d’un exil rigoureux, Où mon crime & le sort me rendoient malheureux : Je vous revoy beaux lieux, où jadis ma jeunesse Fist admirer de tous sa force & son adresse. Agréables Palais, superbes bastimens, Doux & puissans sujets de mes contentemens, Où les objets charmans d’une rare structure, Semblent avoir lassé & l’art & la nature. En fin ma destinée après un long courroux, A calmé ses fureurs, & me conduit à vous : Tout le peuple d’Argos se présente à ma veuë ; De mille doux plaisirs mon ame entretenuë ; S'imagine en soy-mesme, & pense de le voir, Reconnoistre son Prince, & faire son devoir. Atree à bras ouverts vient embrasser son frère : Atree ? Ah que dis-tu, crains plustost sa colère, Abandonne ces lieux, cherche un autre élément, Reprens le premier cours de ton banissement, Visite des forests les cavernes plus sombres, Et préfère à ce lieu la retraite des ombres, Afin que ny l’esclat, ny la pourpre des Rois, Ne vienne à t’esblouyr pour la seconde fois. Mais d’où vient qu’aujourd’huy mon esprit s’espouvante, l’art et la nature ont tant travaillé. Que mon trouble s’accroist, & ma fureur s’augmente, Et mal-gré moy m’emporte.         Estrange mouvement, Grand Prince, d’où vient ce transport véhément ? Tu chancelles, mon ame, & ton inquiétude Te jette & te retient dedans l’incertitude ; Ton frère & son Royaume ont troublé ta raison ; Sous des morceaux dorez tu manges du poison, Et tu n’apperçois pas la malice couverte De ces deux ennemis qui conspirent ta perte. Crains-tu, crains-tu des maux autrefois supportez Et que ta patience a desja surmontez ? Retire-toy d’icy, ton repos te l’ordonne, Esvite les malheurs qui suivent la coronne. Ce soudain changement rend mes sens esbahys ; Quel accident vous force à quitter le pays : Tout le monde vous veut, un frère vous demande, Son sceptre vous attend.         C'est ce que j’appréhende. Craignez-vous le repos qui vous est présenté ? Je crains de trop avoir n’ayant rien mérité. Craindre sans fondement.         Il est vray, Lycostene, Je souffre sans sçavoir la cause de ma peine ; J'ignore le soupçon qui me va tormentant, Je ne vois rien à craindre, & si je crains pourtant De mesme qu’un navire approchant du rivage, Se voit porter ailleurs par les vens & l’orage. Quand je voy ce séjour plein d’amour & d’appas, J'avance, & malgré moy je porte ailleurs mes pas. Surmontons les dangers, suivons nostre fortune, Et foulons sous les pieds cette crainte importune. Les pensers d’un exil troublent vostre bon-heur ; Voyez que ce retour vous prépare d’honneur, Vous pouvez estre Roy.         Je puis mourir encore. Un Prince est comme un Dieu que tout le monde adore. Il ne faut qu’un Soleil pour esclairer les cieux : Un seul bras pour un sceptre.         Ah desseins furieux ! De deux conditions faut-il choüesir la pire. Pensant trouver son bien, on trouve son martyre, Tousjours dans la grandeur comme dessus les flots, Un orage inconnu trouble nostre repos. Ah ! qu’il est bien plus doux, sans crainte de personne, De se nourrir des fruicts que la nature donne, De prendre ses repas en toute seureté, Loin de la perfidie & de la vanité, Qui dedans ces Palais où le luxe & le crime Régnent impunément ; & font tout légitime. J'en sçay l’expérience, & que la trahison Dans une couppe d’or nous donne du poison, Nous prépare la mort, & par ses artifices, Nous la fait avaller avec des délices. Que c’est bien acheter un sceptre chèrement ; Lycostene, croy moy, tout le contentement Est de pouvoir régner sans sceptre & sans coronne. Pourquoy les refuser quand le ciel nous les donne ? Pourquoy les desirer ?         Quand un frere le veut, Luy feriez-vous ce tort ?         Mais quand il ne se peut. Par ses plus grands désirs, son cœur vous en conjure. Ses vœus me sont suspects, & je crains quelque injure. Pourriez-vous bien douter encores de sa foy ? Vous la-t-il point donnée en qualité de Roy, Et par tous ses escrits si sainctement jurée : Est-il pas vostre frère ?         Il est de plus Atree. Il vous aime.         Ah ! sortez d’une si grande erreur, Je sçay quel est Atree, & quelle est sa fureur. Que craignez-vous si fort ?         Tout ce que l’on peut craindre : Car sa haine est un feu qu’on ne sçauroit esteindre, Il hait autant qu’il peut.         Que peut-il contre vous ? Rien du tout.         Pourquoy donc craindre tant son courroux ? Ayant entre ses mains le seul bien qui me reste, Je crains pour mes enfans, & non pas pour Thyeste. Lors que dans des liens le sort nous a jette, Il n’est plus temps de craindre une captivité, Il la fallait prévoir.         Tu dis vray, Lycostene : Mais l’amour m’aveugla pour complaire à ma Reyne ; Et ce Dieu maintenant fait voir à mes esprits Des objects de terreur.         C'est luy qui vous a pris, Luy seul vous doit sauver.         Mon mal est sans remède, Suivons la volonté du sort qui nous possède : Contre sa violence en vain je me deffens, Nature, amour, pitié, Merope, chers enfans, Où m’avez-vous traisné, vostre estât misérable Eut peut-estre pour vous esté moins déplorable. Bons Dieus, il est icy plus tost qu’on ne pensoit, Advertissons le Roy, mais il nous apperçoit, Allons sans différer luy rendre nostre hommage. Prince aussi vertueux que remply de courage, A qui le sort devoit un traitement plus doux. Il est temps que le Ciel nous approche de vous, Que nous donnant un calme après tant de tempestes, Il augmente par vous l’honneur de nos conquestes. Cavaliergénéreux, si ma captivité Augmente en quelque poinct vostre félicité : Atree a ce qu’il veut, son ame généreuse De Thyeste aujourd’huy se rend victorieuse : Apres de longs ennuis & tant de maux souffers, Je seray glorieux de vivre dans ses fers : S'il veut ma liberté, s’il désire ma vie, Je viens rendre à ses vœux l’une & l’autre asservie, Et mettre entre ses mains un trésor pretieux, Un bien incomparable, un frère !         Ah justes Dieus ! Vous luy pouviez donner tout le monde en partage Mais vous ne pouviez pas l’obliger davantage. Toutesfois,     Que crains-tu ?         Qu'il ne soit estonné De vous voir en ces lieux sans estre accompagné. Je sçay que sa grandeur a passé l’ordinaire, Et fait trop d’appareil pour recevoir un frère. Mais certes tous ces gens que j’ay vus de mes yeux Amy, ne songent pas que je sois en ces lieux : Ces trouppes que tu dis cherchent dedans la pleine Celuy que tu vois seul avecque Lycostene. Vous avez donc trompé leurs soings & nos désirs, Et mon Roy se verra frustré de ses plaisirs. Ce superbe appareil à mon exil contraire Eust offencé mes yeux plustost que de leur plaire ; Inconnu m’esquivant par un autre chemin, J'ay fuy de leur présence, & suivy mon destin : Ainsi tu me vois seul.         Trop heureuse rencontre, Que le Ciel à nos yeux favorable se monstre : Mais il faut que mon Roy sçache vostre retour, Et qu’appaisant l’ardeur d’une excessive amour, Il soulage son cœur, & contente sa veuë ; Je cours l’en advertir.         Ah faveur impreveuë ! Je veux pour le surprendre accompagner tes pas. A moins de l’offencer, vous ne le devez pas, Ayez, grand Prince, encor un peu de patience. Soit, je l’attends icy.         Comme vostre présence Remplit ces lieux d’amour & de contentement ; Jugez donc de la fin par ce commencement. Ainsi sous la beauté du lys & de la rose, Et l’espine se cache, & le serpent repose. Sinistres sentimens.         Que veux-tu ; sans dessein Je nourris le Vaultour qui me ronge le sein : Peut-estre je me plonge en une erreur extrême, Et je suis sans raison ennemy de moy-mesme, Puis que dans les faveurs qu’aujourd’huy je reçoy, Mon trouble semble injuste, & ne vient que de moy, Je l’advouë, il est vray, mais de quelque advantage Dont le destin m’oblige & flate mon courage, Je le veus, & ne puis esloigner de mon cœur Les trais que je ressens d’une injuste langueur : Asseuré je crains tout, & mon ame agitée Par de troubles secrets se voit espouvantee. En fin, il est à nous, & les Dieux immortels Conduisent la victime aux pieds de nos autels ; Son crime qui ne peut éviter son supplice L'entraîne, & le fait cheoir au fond du précipice. Lycostene, voy-tu dans ce tableau, Il semble que le ciel par un secret nouveau Ayt fait peindre mon sort, regardez-en l’image. C'est un prince trahy.         N'en dis pas advantage : Un plaisir inconnu me vient entretenir Et mon esprit se peut à peine contenir, Tant la douleur l’agite et la fureur l’emporte. Mais il faut devant lui paroistre d’autre sorte ; Feindre mille regrets, & l’œil couvert de pleurs Tesmoigner qu’on prend part à ses justes douleurs. En vain pour eschapper ce prince s’esvertuë : Voy comme en le baisant ce perfide le tuë. Pour le faire abhorrer ce crime est ainsi feint. Il semble que son cœur de frayeur soit atteint : Voyez comme il commence à paroistre sauvage, Son crime et son exil sont peins sur son visage. Mais je diffère trop à m’approcher de luy. Donc cher frère, je puis après un long ennuy T'embrasser mille fois, & mille fois encore. Te voila de retour, cher frère que j’adore, Et malgré les efforts d’un sort malicieux, La clémence du ciel te redonne à mes yeux. Oublions, oublions nos colères passées, Effaçons ces objects qui troublent nos pensées. Estouffons ces bourreaux qui nous percent le flanc, Et que la pitié se mesle avec le sang. Vostre amour m’a vaincu, je suis sans résistance ; Si vous estiez moins doux, je serois sans offence. En excusant ma faute un Dieu seroit pour moy, Et mon ame forcée auroit suivy sa loy ; Le Ciel à m’assister se rendrait favorable, Si vostre excez d’amour ne me faisoit coulpable. Mais puis qu’à mon malheur pour estre criminel, Il suffit seulement que vous m’avez creu tel ; Il n’est point de forfait dont je ne sois complice, J'ay plus que d’une fois mérité le supplice, Et sans la pieté que vous avez pour nous, Je ne meritois pas un traictement si doux. Je l’implore, mon frère, & si mes justes larmes Manquent pour l’attirer de puissance & de charmes, Par ces pieds que j’embrasse, & ce front glorieux, Perdez le souvenir de mon crime odieux, Octroyez un pardon qu’un frère vous reclame. Comme la passion vient à troubler mon ame, Une juste pitié fait mouvoir tous mes sens ; Je ne puis plus souffrir ces discours languissans. Ah mon frère ! Ah Thyeste ! Ah destin favorable ! Embrassons, embrassons un frère tant aimable, Que par mille baisers & par mille plaisirs, Et le sang & l’amour contentent leurs désirs, Gouvernez avec moy toute cette Province, Quittez ces vestemens indignes d’un grand Prince, Et faictes que mes yeux ne soient pas offensez, En voyant quelque object de vos malheurs passez. Vostre exil est finy comme vostre misère, Vous estes dans Mycene, & je suis vostre frère ; La coronne aujourd’huy se partage entre nous, Prenez un ornement qui soit digne de vous : Je le dois, je le veux, & ma gloire est extrême, De remettre en commun, un commun diadesme : Le sort nous donne un Sceptre en nous favorisant, Et c’est une vertu que d’en faire un présent. Que le Ciel recompense un Monarque invincible : Mais à tous vos presens mon cœur est insensible : Ce front couvert de honte, & plein d’estonnement, Ne sçauroit plus porter un si digne ornement : Cette main fuit le sceptre, & mon cœur solitaire Parmy tant de grandeurs commence à se desplaire. Le Royaume est à deux, & vous y succédez. Le Royaume est à moy quand vous le possédez. Dieux, à qui fust jamais cette grâce importune ! Et qui la hait :         Celuy qui connoist la fortune : Qui sçait son mouvement, & son cours incertain ; Aujourd’huy flatte-t-elle, elle trahit demain. Quoy ? me frustrerez-vous du bien de mon attente. Vostre gloire est parfaite, & mon ame est contente Donc vous ne voulez pas une fois m’obliger, Ce faiz est trop pesant, je ne m’en puis charger. Mesprisez la coronne, & je quitte la mienne. Je l’accepteray donc : mais quoy que je la tienne, Ne pensez-pas mon frère, avoir un autre Roy, Vous seul commanderez, je suivray vostre loy. A peine mon esprit se contient dans la joye, Acceptez les presens que le Ciel vous envoyé, Allons sur les autels d’un cœur devotieux, Pour cet heureux retour rendre grâce aux Dieux. Mais pour plus dignement célébrer cette feste, Criton, soyez soigneux que le festin s’appreste. A ce commandement, je frissonne d’horreur, Et mon esprit saisi de crainte & de terreur, Tremble de s’effrayer contre son ordinaire : Ce funeste dessein commance à me desplaire ; Ma trahison s’arreste au milieu de son cours. Mais quels sont tes pensers, & quels sont tes discours, Quels remors sans raison veut engager ton ame A se perdre à jamais dans la honte & le blasme : Tu sers un Roy qui t’aime, & ta timidité Veut perdre son repos par une lascheté. Sa foy s’est plainement sur la tienne asseuree, Et tu crains d’asseurer la coronne d’Atree. Ah Criton !         Tousjours triste & tousjours soucieux. Amy, qu’un bon démon t’a conduit en ces lieux. Que voulez-vous de moy ?         Qu'achevant ton office Tu tiennes préparez la table & le service, Le Prince est de retour.         Il est tout prest. Adieu ! Je voile dans le Temple, & te quitte en ce lieu. Seroit-il survenu quelque accident funeste ? Non, mais pour l’esviter il veut tromper Thyeste : Tu sçais bien qu’il devrait estre de ce repas : Mais c’est ce qu’il ne peut, & ce qu’il ne veut pas ; Soit que ne pouvant point maistriser son courage, Il se vit obligé de complaire à la rage Qu'allume dans nos coeurs un object odieux, Où qu’estouffant Atree il fust moins furieux : Soit qu’un frère estonné de voir son abstinence, Contre luy justement n’entrast en deffïance, Et voyant les transports de son coeur agité, Il ne vist ruiné ce qu’il a projette. Il se resoult. A quoy ?         A feindre une foiblesse, Et monstrant que l’excez de la douleur le presse, Il se fera conduire en un lieu de repos. Que deviendra Thyeste ?         Apres quelques propos Et quelques complimens, nous conduirons à table Ce Prince infortuné.         Prudence inimitable. Fin du quatriesme Acte. Quel bon-heur fut jamais à mon bon-heur pareil ? Quel Monarque aujourd’huy regarde le Soleil Avecque plus de gloire & moins de jalousie ? Ny l’excez du plaisir dont mon ame est saisie, Ny l’extrême douceur de son ravissement, N'ont rien à souhaiter dans leur contentement. Je suis presque assouvy ; cette belle victoire Establit mon repos, & fait naistre ma gloire : Thyeste est en mes mains, mal-gré tous ses effors Merope & ses enfans sont au nombre des morts ; Et ma félicité qui n’a point de seconde, Me rend le plus heureux & le plus grand du monde. Mais tu raisonnes mal, ton sort n’est point changé, Puis que ton cœur n’est pas entièrement vengé, Tu vis infortuné, ta gloire est imparfaite, Tenant à ce captif ta vengeance secrette : Si tu veux triompher monstre luy ses malheurs, Ta victoire despend de ses seules douleurs. Voy-tu pas que le jour dans de profondes abysmes S'est caché seulement pour mieux cacher nos crimes ? Le Soleil ne luit plus, & cette obscurité Sollicite ton ame à cette cruauté. Achevé Atree, achevé un dessein si funeste, Employé à te venger la fureur qui te reste, Le temps te le permet ; & si tu ne peux pas Devant des Dieux craintifs exposer ce repas, Contente-toy qu’un père en ces lieux détestables, Voye en despit du jour ces objets effroyables. Retire cet esprit de son aveuglement, Fais luy, fais luy sentir son crime et son tourment, Que de ces doux objects on contente sa veuë, Et qu’il voye à quel poinct ma vengeance est venue. Quel nuage importun nous desrobe le jour, Le Soleil se retire au milieu de son tour, Une profonde nuict couvre toute la terre. Tu vois, Criton, tu vois comme je fais la guerre ; Le jour s’en est caché, les Dieux en ont horreur, Et je n’ay qu’à demy contenté ma fureur. Voy donc combien sera ma vengeance effroyable, Lors que j’auray rendu Thyeste misérable. Les Roys qui n’ont jamais de foibles sentimens Doivent aux desplaisirs esgaller les tormens, Comme à recompenser leur douceur et extresme, Il faut qu’à nous punir leur rigueur soit de mesme. Si le courrier du jour n’eust rebroussé ses pas, Il eust vu ma vengeance en ce noble repas, Où mon cœur a rendu sa fureur manifeste, Esgaller pour le moins le crime de Thyeste. Mais pour ne laisser rien aujourd’hui d’imparfait, Nous avons de tous poincts à vos vœux satisfait, Il ne soupçonne rien.         Agréable service, Que ta fidélité m’a fait un bon office : Mais il ne nous faut point travailler à demy, Il faut parachever, incomparable amy, Et dans l’occasion redoubler son courage. Qu'une excellente fin coronne nostre ouvrage. Que reste-t-il à faire après tant de trépas ? Tout ce que ton esprit ne s’imagine pas, Et qui ne peut tomber que dessous ma pensée, Ou d’une autre à l’esgal de la mienne offencee. Qu'as-tu fait seulement ?         Ce qu’on m’avoit prescrit. As-tu subtilement endormy cet esprit ? Que voulez-vous de plus, si son ame est contente, Et s’il ne vous a point frustré de vostre attente ? Que fait-il ce perfide ?         Il finit son festin, Et s’enyvre de joye.         Ah fortuné destin ! Que je te dois de vœux, que ta faveur est grande, Tu l’as réduit au poinct où mon cœur le demande, Près de sentir des maux plus fascheux que la mort, Tu flattes ses malheurs en luy monstrant le port, Mais pour la vive ardeur qui presse ma vengeance, Tant de discours ne sont qu’une foible allégeance ; Il jouyt trop long-temps de ce contentement, Il faut le retirer de son aveuglement, Cet aymable désir sollicite mon ame, Et mon cœur embrazé d’une si douce flame, Condamne à tous momens, les momens que je perds. Il est temps, il est temps que tout cet Univers, Qui sçait de mes despits la cause sans exemple, Dedans mes cruautez aujourd’huy me contemple : C'est assez se soulier d’un horrible repas, Il troubleroit ses sens, & je ne le veux pas : Car pour punir son crime, & venger mon offence, J'ay besoin de Thyeste & de sa connaissance. Amy, voicy dequoy nous rendre triomphans, Ce breuvage amassé du sang de deux enfans, Pour me faire raison, dans ce cœur plein de rage, Sous la couleur du vin treuvera son passage. Allons donc de ce pas assouvir tous nos vœux ; Ce ne m’est pas assez de le voir malheureux, Mon despit est plus grand, &. plus grand mon ouvrage, Je veux voir en naissant sa misère & sa rage. Toutesfois mon dessein se verrait imparfait Si je l’interrompois.         Il aura bien tost fait. Va donc l’entretenir, & dy luy qu’il espère Dans un moment d’icy de boire avec son frère : Que je me rends à luy : mais cache ce présent, Et verse au lieu de vin ce breuvage plaisant. Alors que l’invitant à faire le semblable, Par ce dernier devoir nous fermerons la table. Je m’en vay le treuver.         Je te quitte à dessein. Dieux ! de quelle liqueur veut-il remplit son sein Incroyable fureur.         Mais ce Prince repose, Il est dessus le lict le front couvert de rose. Dieux qu’il est bien changé de port & d’ornement, De celuy qu’il estoit dans son bannissement. Destin, que tes coups sont secrets, Qu'ils trompent nostre prévoyance, Et qu’en vain nostre résistance S'obstine contre tes décrets. Tu peux tout dans le Ciel, tu peux tout sur la terre, Et si tu veux la paix, ou si tu veux la guerre ; Il faut à ce vouloir conformer tous nos vœux. Mourons s’il faut mourir, & vivons s’il faut vivre, Tu ne changes jamais, & tout ce que tu veux Une nécessité nous oblige à le suivre. Demon plaisant et rigoureux, Qui jadis causa mon martyre, Et qui maintenant me retire De l’abysme des malheureux. Aveqmille appas &. mille nouveaux charmes, Ta douceur tarissant mes soupirs & mes larmes, D'honneur & de plaisir rend mes sens enchantez, Et pour chasser mes maux n’offre qu’à ma mémoire L'excez de ma grandeur, ou celuy de ma gloire, Ou les plus doux objects de mes félicitez. Ces lieux de plaisirs &. d’amour Où ce Dieu fait voir sa merveille, Ont une grâce sans pareille A me parler de mon retour. Tout rit à mes souhaits, tout flate mon courage, Dans une mer d’oubly mes maux ont fait naufrage, Et mes vœux aujourd’huy n’ont rien à souhaiter. Atree entre tous deux partage la coronne, Je suis Roy corne luy, sa puissance l’ordonne, Et je ne puis plus haut où prétendre ou monter. Mais de quelque contentement Dont le destin flatte mon ame, Un bourreau contre-elle s’enflame, Et l’attaque secrettement. Elle se ressouvient de sa faute passée, Et tousjours mon exil revient en ma pensée, Mes yeux sans y songer laissent couler des pleurs ; Et lors que le plaisir attire ma parole, Un soupir sans dessein avec elle s’envolle, Et je croy qu’il m’annonce encores des malheurs. Et bien, suivons ces loix qu’on ne sçauroit enfraindre, Tu t’avises trop tard, il n’est plus temps de craindre. Approche cher Criton, & pour m/obliger mieux Parle avec ta bouche, ainsi qu’avec tes yeux ; Si je ne me deçoy, je lis en ton visage Les marques & les trais de quelque heureux présage : Le Roy repose-t-il ?         Mais vient-il en ces lieux Verser avecque vous ce que l’on doit aux Dieux ; Boire le dernier coup,         Ah faveur incroyable ! La Reyne le suit-elle ?         Elle est encore à table. L'a-t-on fait advertir que j’estois à la Cour ? Le Roy pour la surprendre a tu vostre retour. La verrons-nous bien tost ?         Il veut que Lycostene Pour augmenter sa joye, en augmentant sa peine, Luy dise qu’on ne peut vous voir encore icy : Si vous le permettez,         Et je le veux aussi, Allez donc pomptement faire ce qu’on désire : Voyez ces doux objects pour qui mon cœur soûpire, Dites leur que le sort est devenu plus doux, Qu'il travaille pour eux : mais le Roy vient à nous. Puis que dans les faveurs que le Ciel nous envoyé, Aujourd’huy tout nous parle &. d’amour &. de joye, Que tout porte nos cœurs à ces ressentimens, Cher frère, par l’excez de nos contentemens, Et par les doux plaisirs où le sort nous appelle, Rendons de ce beau jour la mémoire éternelle ; Finissons nos malheurs, & goustons désormais Les aymables douceurs d’une immortelle paix. Ma gloire est sans seconde, & vostre grâce extrême : Mais pour faire aujourd’huy que tout en soit de mesme Et rendre nos plaisirs de nos maux triomphans, Que la Reyne mandée ameine ses enfans. Noble ressentiment, affection d’un père, Vous voulez vos enfans, vous les aurez mon frère, Jamais ils ne seront de vos bras arrachez ; Ces objets à vos yeux ne seront point cachez, Et baisant à louezir leur aymable visage, Vous vous en soullerez : mais tandis que ce Page, Ira leur tesmoigner quel est vostre dessain : Noyons tous nos soucis, prenons la couppe en main, Renouvelions l’amour que le Ciel renouvelle. Acceptons le présent d’une amour fraternelle, Et versons dans ces lieux qui serviront d’autels, Les honneurs que l’on doit aux mânes paternels. Mais d’où vient que ma main en ce beau sacrifice, Refuse à mes désirs un si divin office ? Ce fardeau la surcharge, & croit à tous momens, Le vin fuit de ma bouche, & les contentemens S'esloignent de mon cœur ; ce tremblement de terre M'est l’augure certain de quelque horrible guerre : Les Astres retirez laissent le firmament. Ah grand Dieu ! sur ce corps vengez-vous seulement, Pardonnez aux enfans, rendez-moi ces doux gages. Vous aurez dedans peu ces précieux hostages. Las ! qui dedans mes sens excite tant de flots, Quel secret desplaisir trouble ainsi mon repos ? Sous le fais des douleurs mon ame est abbatuë, Et mon cœur est chargé d’un fardeau qui le tuë : Je pleure sans pleurer, & les plainte que j’oy, Quoy qu’elles soient dans moy, ne viennent pas de moy. Merope, chers enfans, de vostre seule veuë Despends la guerison du regret qui me tuë. Mais d’où me parlent-ils ?         Que ne tends-tu les bras ? Ils sont desja venus ne les connois-tu pas ? Je reconnois mon frère, ame noire &. perfide ; Terre, peux-tu souffrir ce cruel homicide ? Que n’ouvres-tu ton sein afin de l’engloutir : L'un ou l’autre de nous devoit desja sentir Dans le fond des enfers &. de leurs précipices, Pires que leurs ayeuls, de plus cruels supplices. Si le Ciel pour punir leurs crimes odieux, Pour eux tant seulement n’a point fait d’autres lieux ; Ta masse incessamment roulant dessus nos testes, Et du noir Acheron les plus noires tempestes, Et d’un fleuve de feu les sablons consommans, Sont pour nous chastier de trop foibles tormens : Mais tout à mon malheur insensible demeure, Je le vois, & le Ciel ne veut pas que je meure. Mon frère que ton cœur soit un peu plus remis ; Tu veux tes chers enfans, je te les ay promis : Reçoy sans différer l’effet de ma promesse. Voila les noirs effets d’une ame vengeresse, D'une haine brutale ; & d’un Prince sans foy. Je ne demande pas ce qui fait contre toy, Ou qui puisse empescherta vengeance exécrable, Mais de ces innocens le reste desplorable : Non point pour conserver ce trésor précieux, Mais afin de le perdre, & le perdre tes yeux. Ton ame injustement contre ma foy déteste, Tu vois ce que j’en ay, tu tiens tout ce qui reste. Sont-ils point les repas des loups et des corbeaux ? Ou les reserve-t-on à des monstres nouveaux ? Pourquoy veux-tu sçavoir ma vengeance & ta rage ? Tu les viens de manger, en veux-tu davantage ? Et c’est là le sujet qui force tous les Dieux De s’esloigner de nous, & de quitter ces lieux, Et qui changeant le jour en une nuict obscure, A confondu les loix de toute la nature, Fait naistre dans mon cœur un soudain changement, Et jette mes esprits dans l’espouvantement. Helas ! quelles douleurs monstreront mes attaintes, Et quels cris suffiront à faire voir mes plaintes : Leurs pieds, leurs mains, leurs bras que l’on m’avoit cachez, Et leur chefs innocens de leurs troncs arrachez, N'ont pu soulier ma faim, ny dedans mes entrailles Treuver un monument propre à leurs funérailles. Le reste encor vivant m’agite incessamment, Et mon crime à sortir s’efforce vainement, Il me ronge le sein, quelle estrange advanture, Donne un mesme cousteau, j’en feray l’ouverture, Encores criminel & rougy de leur sang, Il transpercera mieux ce détestable flanc. Augmente tes forfaits de cet acte loüable, Et monstre toy clément à m’estre impitoyable : Tu ris de mes douleurs, tu ris de mes dessains, Au refus de ce traistre assistez-moy mes mains. Mais helas ! pardonnons à ces ombres fidelles, Que rien que mon amour n’a faites criminelles, Et blasmons seulement ce destin rigoureux. Quel père fut jamais à ce point malheureux ? J'ay mangé mes enfans ? horreurs ! forceneries ! Tu te pouvois venger par de moindres furies. Si je t’avois puny moins rigoureusement, Ma vengeance serait sans son contentement : Je n’ay fait qu’à demy ce que je voulois faire : Il falloit, il falloit, pour soulier ma colère, Et pour plaire aux transpors qui me vont assaillant, T'enyvrer de leur sang tout fumeux & bouillant, Leur livrer à tes yeux milles nouvelles géhennes, Et les faire passer tous vivans dans tes veines. Mais tous ces vains propos, & si remplis d’horreurs, Ne sont que les tesmoins de ma juste fureur. J'ay moi-mesme arraché le cœur à ces infames ; J'ay moi-mesme allumé les charbons et les flames, Sur qui j’ay vu rostir les mets qui t’ont repu ; Un père l’eust mieux fait, mais il ne s’est pas pu, Et de ce doux plaisir ma vengeance est frustrée. Il est vray que soullant sa faim démesurée, Lui-mesme a deschiré ces morceaux delicats ; Mais c’estoitsans douleur ne les connoissant pas. Apres ces actions & ces desseins funestes Serois-tu pas sans cceur d’en laisser quelques restes ? Soulle-toy de ton crime, & l’achevés sur moy. Non, ton juste remors me vengera de toy, Et ton regret qui va jusqu’où j’avois envie, D'un excez de plaisir rend mon ame ravie : J'estois vaincu, Thyeste estant moins affligé, Et sans cette douleur, je n’estois pas vengé. Tes pleurs et tes soupirs me donnent la victoire, De ton cceur abbatu je voy naistre ma gloire, Et ton affliction apporte à tous momens, A mes ennuis passez mille soulagemens. J'estime ma valeur, & croy qu’on me redonne Plus qu’on n’avoit ravy d’honneur à ma couronne. Ah Merope !         Il est vray qu’avec juste raison Tu la peux accuser de cette trahison, Elle les a perdus mais voy comme la peine A suivy le forfait de cette ame inhumaine. Demon noir & sanglant.         Adjouste à ce discours Le juste punisseur de tes lasches amours. Détestable assassin, qu’avoit fait l’innocence Pour souffrir d’une telle vengeance ? Des enfans, Que la mort met hors de mes liens. Estoient-ils criminels ?         Non : mais ils estaient tiens. Mets triste & furieux, estrange nourriture. Mais l’unique moyen de venger mon injure. Grands Dieus, vangés pour moy cet horrible repas. Et les Dieux de l’Hymen ne me vengent-ils pas ? Qui compensa jamais un crime par un crime ? Moy, moy ; mais ce n’est pas la cause légitime Du despit furieux qui trouble tes esprits ; Tu voulois prendre Atree, &. c’est luy qui t’a pris : Tu voulois le premier exposer sur sa table Ce présent gratieux, ce mets incomparable ; Et ta douleur n’est pas de l’avoir dévoré, Mais de voir ce repas sans l’avoir préparé : Tu t’en es retenu le croyant à Thyeste, Et tu n’as pas songé qu’il estoit d’un inceste. Quel père fut jamais en l’estat où je suis ? Toy seul des immortels qui connois mes ennuis, Et qui vois de mon sort la violence extrême, Monstre icy les effets de ton pouvoir suprême ; Que tous les elemens soient sans ordre & sans rang ; Fais gresler des cailloux, & fais pleuvoir du sang, Permets à tous les vens de se faire la guerre, Cependant que ta main avecque ce tonnerre, Dont Offe et Pelion malgré tous leurs démons, Et leurs cruels Tytans aussi grands que leurs mons, Furent fais les tombeaux de ces corps que la foudre, Pour punir leur orgueil avoient réduis en poudre, Puniront leur forfait de ce monstre odieux Qui ravit le Soleil & le Ciel à nos yeux : L'un & l’autre de nous est assez détestable, Et si tu me veux seul, je suis le seul coupable. Tonne, esclaire, fouldroye ; un corps si malheureux Ne sçauroit ressentir un coup trop rigoureux : Que ton feu me consome, & me réduise en cendre. Aussi bien si tu veux que Lys/s & Theandre Reçoivent les faveurs de ce doux élément, Tu me dois consommer, je suis leur monument, Leur sang est dans mon sang ; ils parient par ma bouche ; Escoute, escoute-les, que leur plainte te touche, Merope t’en conjure, objets pleins de pitié. Merope, Enfans, Amour, partagés par moitié Ce cœur, ce corps, Thyeste, horreurs insupportables ! Je chéris des objets qui me sont effroyables. Merope, Enfans, Amour, quel est mon desespoir, Je ne vous puis quitter, & je ne vous puis voir. Et bien, ne vois-tu pas l’effet de mes promesses ? Soulle-toy, soullez-les de tes douces caresses. Dieux qui voyez l’horreur d’un crime si nouveau, Je vous laisse à punir cet infâme bourreau. Contant d’avoir porté ma vangeance à l’extrême, Je laisse à tes enfans à te punir toy-mesme. FIN