MONSEIGNEUR, Il y a longtemps que je devrois vous avoir donné des marques de mon respect & de ma reconnaissance ; & je n’aurois pas tant diferé, si je ne m’estois mis en teste, qu’avant que de dédier une de mes Pieces à VOSTRE ALTESSE, je devois attendre que le temps & mes soins m’eussent rendu capable d’en mettre quelqu’une au jour qui meritât l’honneur de vous estre offerte : Mais quand j’ay fait reflexion sur ce beau dessein, je l’ay trouvé plus conforme à mon zele qu’à mes forces ; & l’empressement d’offrir cette Comedie à V.A. m’a semblé plus raisonnable, que l’esperance de luy faire jamais un présent digne d’elle. Je vous presente donc un Capitaine qui ne craint ny la Paix, ny la Reforme ; Il est si fier de l’honneur qu’il a eu de vous divertir & de vous plaire, qu’il n’a plus d’ambition que celle de se honoré d’une protection aussi glorieuse que celle de V.A. Il sçait que vous sortez d’un Sang si fertile en Héros, qu’il ne s’étonne point de voir en vous tant de valeur jointe à tant de vertu, ny tant de belles lumieres jointes à toutes les qualitez avantageuses qui peuvent rendre un Prince accomply. Il sçait que le merite que toute la France admire en V.A n’est pas renfermé dans des bornes ordinaires, qu’elle connoist parfaitement tout ce que les Muses ont de grace & de delicatesse, & qu’elle fait des jugements tres-judicieux de toutes sortes d’Ouvrages ; mais il est persuadé que vous estes aussi genereux qu’éclairé, & que V.A. n’a pas moins d’indulgence pour en excuser les defauts, que de facilité à les connoistre. C’est, MONSEIGNEUR, ce qui me fait esperer que si V.A. condamne la foiblesse de mon génie, elle aura peut-estre la bonté d’aprouver mon zele, & qu’elle regardera ce que je luy offre moins comme une production d’esprit, que comme une preuve de la passion respectueuse avec laquelle je suis, MONSEIGNEUR, DE V.A. Le tres-humble & tres-obeïssant Serviteur, MONTFLEURY Par Grace & Privilege du Roy, donné à Saint Germain en Laye le 17 jour de Decembre 1671. Signé, Par le Roy en son Conseil, D’ALENCE : Il est permis au Sieur Montfleury, de faire imprimer par tel Imprimeur ou Libraire qu’il voudra choisir, une Piece de Theatre de sa composition, intitulée LA FILLE CAPITAINE, & ce durant cinq années, à compter du jour que ladite Piece sera achevée d’imprimer pour la premiere fois : Et defenses sont faites à tous autres Imprimeurs ou Libraires, de l’imprimer ou faire imprimer, vendre & debiter, sans le consentement de l’Exposant, ou de ceux qui auront droict de luy, à peine aux contrevenans de cinq cens livres d’amende, confiscation des Exemplaires contrefaits, & de tous despens, dommages & interests, ainsi que plus au long il est porté par ledit Privilege. Registré sur le Livre de la Communauté, suivant l’Arret de la Cour de Parlement, le 30. Dec. 1671. THIERRY, Syndic. Achevé d’imprimer pour la premiere fois le 4. Janvier 1672. Je suis libre à present, & maistresse de moy, Cousine, & je m’en vais passer huit jours chez toy. C’est un honneur pour moy qui passe mon attente. Laissons-là ces honneurs; de Parente à Parente, Doit-on toûjours avoir le compliment en main ? Mon Père est ce matin party pour Saint Germain : Comme il entre en quartier dans deux jours, son absence Me permet de répondre à mon impatience. Et moy, j’attens mon Frere icy de jour en jour. Il faut nous divertir jusques à leur retour : Nous pourrons jusqu’au jour qu’il faut que je te quitte, Ou voir la Comedie, ou bien faire visite, A voir les Violons, masquer à petit bruit, Passer le jour au Jeu, et courir le Bal la nuit ; La Saison le permet ; & je veux bien te dire, Que jamais je ne fus tant en humeur de rire. Mais si ton Frere arrive icy lors qu’à souhait… Il n’est pas incommode, il est jeune & bien fait ; Sa preference bientost nous en rendra certaines ; Le Regiment du Roy n’a point de Capitaines Qui soient plus estimez, ny plus galans que luy. Pour nous divertir donc, il faudroit qu’aujourd’huy Ce Frere si galans, vint par Lettre de Change ; Car enfin les plaisirs demandent du meslange, Et nous n’aurons Damon qu’assez mal-aisément ; Les Dez, & le grand Jeu, l’occupent tellement, Qu’il n’est hors ce plaisir, rien qui le divertisse, Et les jours sont trop courts…         C’est luy faire injustice. Non, cet empressement n’est point si violent ; Damon aime le Jeu, mais Damon est galant ; Outre que la beauté dont le Ciel t’a pourveuë, Le rendra plus sensible au plaisir de ta veuë. Ne fais point avec moy la fine à contre-temps, Ce Chevalier t’en veut, je me connois en Gens ; Sur ce que j’en ay veu, je gagerois qu’il t’aime, Du moins c’est mon avis, & je crois qu’au tien méme Pour rendre ton bonheur à son amour égal, Le nom de ton Epoux ne luy siéroit pas mal. Cousine, j’aurois tort de t’en faire un mystere. Je veux bien t’avoüer que Damon m’a sçeu plaire, Que mon Frere revient, & qu’avec tant d’amour, Damon, pour m’obtenir, n’attend que son retour : Mais quoy qu’enfin sur tout ton humeur cherche à rire, Je le crois à couvert des traits de ta Satire ; Il est jeune, bien fait, galant, riche, & je crois Qu’on ne peut me blâmer d’avoir fait un tel choix. Il est bien malaisé qu’un tel Galant ne plaise : Ce moderne Adonis ne te vient voir qu’en Chaise, Du nom de Chevalier soûtient sa vanité, Contrefait à ravir l’Homme de Qualité ; Il ne tient presque rien de son peu de naissance, Il aime les plaisirs, & la grande dépense, Dans son ajustement ne veut rien de commun ; Il jouë à tous les Jeux, & ne gagne à pas-un ; De faire le Coquet ne fait aucun mystere, Et c’est pour un Epoux un fort bon caractere. C’est sur de tels sujets que ton esprit s’étend ; Sur le premier venu ta bile se répand ; Tu te plais à railler sans épargner personne ; Tu peux continuer sans que je m’en étonne ; Ton temps n’est pas venu, peut-estre quelque jour Tu pourras ressentir les effets de l’Amour. Plût au Ciel qu’un Hymen à tes yeux plein de charmes, Pour me vanger de toy, pût te coûter des larmes ! Pour lors la raillerie agiroit foiblement. Tu n’auras ce plaisir qu’assez mal-aisément. Quoy, tu prétens toûjours estre railleuse & fiere ? Je veux vivre toûjours, Cousine, à ma manière ; Et mon cœur ne sera pour l’Hymen attendry, Que quand on se pourra défaire d’un Mary Comme on fait d’un Habit qui n’est plus à la mode : Des manieres d’agir, j’aime la plus commode ; Sous un joug que je crains, mon esprit languiroit ; Je me fais des plaisirs que l’Hymen troubleroit ; On ne sçait ce qu’on fait souvent quand on se donne ; Pour n’aimer qu’un Mary, j’aime trop ma personne ; J’aime le Jeu, le Bal, la Dance, l’entretien, J’aime à troubler des cœurs sans engager le mien, A tourner d’un Amant l’ardeur en ridicule, A vivre sans attache, & railler sans scrupule, A flater vingt Galans de l’espoir de ma main, Et mesme quelquefois à dauber le prochain : Si bien qu’à ces plaisirs donnant mon ame en proye, Des sottises d’autruy je me fais une joye, Et ne veux point troquer par de semblables nœuds Tant de plaisirs certains, contre un plaisir douteux. Ce Portrait est galant ; & si rien ne t’engage… Celuy que j’aperçoy, te plaira davantage. Voicy ton Chevalier : & je lis dans ses yeux, Que si ton Frere estoit comme nous dans ces lieux, Au plaisir de te voir il seroit plus sensible. Est-ce ce qui vous trouble ? & seroit-il possible… Oüy, Madame, il est vray, ce long retardement Mettroit au desespoir le moins sensible Amant. Vostre Frere qui doit regler nostre Hymenée, M’en semble pour jamais éloigner la journée : Depuis pres de deux mois j’attens de jour en jour Que quelque heureux moment m’annonce son retour ; Mon cœur plein d’un amour combatu par la crainte, N’a pour se soulager, que l’espoir & la plainte, Et me force à conter dans l’ennuy que je sens, Le nombre de mes maux, par celuy des momens. Damon, ainsi que vous, vous m’en voyez surprise, Et sa derniere Lettre estoit assez précise. Quelque accident peut-estre altere sa santé. Ou quelque ordre impréveu l’a sans doute arresté. Mon Frere, si le Sort seconde son envie, Doit à la Garnison laisser sa Compagnie, Et venir à Paris passer le Carnaval, Et du moins en ce temps…         Nous aurons donc le Bal ! Pourveu que le succés mette fin à mes craintes, La joye & les plaisirs succederont aux plaintes : Mais s’il faut voir enfin mes feux sacrifiez… Eh mon Dieu, vous serez assez tost mariez : Quand au nom de Galant celuy d’Epoux succede, L’Hymen pour ces ardeurs devient un grand remede ; Et quelque soit l’amour dont vous brûliez tous deux, Un an de Mariage appaise bien des feux. Ah, pour diminuer, mes flames sont trop belles. Ah que pour vostre amour j’ay de bonnes nouvelles ! Nous irons à la Nopce, & l’Hymen achevé… Madame, vostre Frere est sans doute arrivé. Mon Frere est-il venu ? Le bonheur où j’aspire… Non, ce n’est pas cela que je voulois vous dire. Sçais-tu quand il revient ? & peux-tu là-dessus Nous aprendre…         Moy ? Non, je n’en sçay rien non plus. Que viens-tu donc nous dire ? elle est bonne, ou je meure. Que l’Esperance vient d’arriver tout-à-l’heure. Qu’est-ce que L’Esperance ? as-tu perdu le sens ? Un Valet que mon Frere avoit depuis longtemps, Et qu’il a fait Sergent dedans sa Compagnie. Puis qu’il revient sans luy, je crains bien qu’il n’oublie… Sçachons ce qui l’ameine, & puis qu’il est ainsi, Rentrons dans le Logis.         Madame, le voicy. Madame, Serviteur à vostre Compagnie, Fussiez-vous trente.         Bon ; j’aime cette saillie. Vostre Frere est gaillard, & ce Billet contient… Il se porte bien ?         Mieux qu’à luy n’apartient. Suivant l’ordre que j’ay d’avoir soin du Bagage, Je suis venu devant avec son Equipage. Gernidié, quels chemins ! Allez, nostre Mulet A dancé sur la route un diable de Balet. Ah le maudit Païs en Hyver, que la Flandre ! Mon Capitaine vient, qui pourra vous l’apprendre. J’aprehendois pour luy quelque incommodité. Bon ! Il beut l’autre jour tant à vostre santé, Que douze heures apres il estoit encor yvre. Fort bien. Enfin il vient.         Sa Lettre me délivre De la peine où j’estois. L’attendras-tu ?         Moy ? Non, Il faut que je retourne à nostre Garnison. Quoy, si-tost ?         J’en enrage, ou la peste me tuë. Mais quoy faire ?         Mordié, mener une Recruë : Mais avant que quitter les Fauxbourgs de Paris, Ma foy, je prétens boire avec mes bons Amis. Je veux renouveller certaine connoissance… Bonjour, Cato.         Bonjour, Monsieur de L’Esperance. Ainsi l’Hymen dans peu va flater vostre amour. Il me mande qu’il vient, sans en marquer le jour. Quand pourrons-nous joüir du plaisir de sa veuë ? Dés que le Commissaire aura fait la Revuë. On l’attendoit. Si-tost qu’il sera délogé, Ils sont vingt Officiers qui prendront leur congé. Allez, assurez-vous qu’il ne tardera guere. J’auray bien du plaisir à voir icy mon Frere : Mais vostre Oncle a-t-il sçeu de vous que vostre amour, Pour se donner à moy, n’attend que ce retour ? Car vous sçavez combien son aveu nous importe. Non ; mais enfin pour moy sa tendresse est trop forte, Pour ne pas aprouver l’éclat d’un si beau feu : Cependant comme il faut en ménager l’aveu, Je vais pour l’obtenir, me rendre à sa demeure. Je vous quitte à regret, & reviens dans une heure. Elles vont toutes deux jaser jusqu’à demain, Et je meurs de soif.     Viens dans le Logis.         En vain Ton amour s’alarmoit, & toute autre en ta place… Il est vray ; mais l’aveu de l’Oncle m’embarasse ; Je crains qu’il ne l’obtienne assez mal-aisément, Et qu’il ne soit surpris d’un pareil compliment. Parce qu’il a du bien, tu crains qu’il ne s’oppose ?... Ma crainte cesseroit, si ç’en estoit la cause : Cet Oncle m’est suspect, tu veux sçavoir pour quoy ? Oüy.         C’est que ce Parent est amoureux de moy ; Il m’aime, à ce qu’il dit, d’une ardeur peu commune ; Il me suit en tous lieux, par tout il m’importune, S’obstine à m’en parler, voyant que sur ce poinct… Quel est donc ce Parent ? ne le connois-je point ? Le bon sens avec luy paroist incompatible, Son abord est choquant, & sa mine risible ; Son air, quoy que Bourgeois, est fort particulier, Son entretien plaisant, & mesme familier. Ne me diras-tu point aussi comme on le nomme ? Monsieur le Blanc.         Ce doit estre un fort plaisant Homme ; Je ne le connois point, mais dessus ton recit… Son corps fait cependant honneur à son esprit ; Il m’a par ses discours divertie & surprise ; Il ne dit pas deux mots sans dire une sottise ; Il choque en se montrant, beaucoup moins qu’en parlant, Et je crois…         Ah, grands Dieux, le douloureux Galant ! Cousin, ordonne-luy quelques grains d’Elebore. Ce n’est pas encore tout.         Auroit-il pis encore ? Oüy sans doute, & ce Fou devroit estre lié. Que peut-il donc avoir ?         C’est qu’il est marié. Ce Magot ?         Il a mesme une Femme bien faite, Il m’en fait un mystere, & me conte fleurette, Comme s’il aspiroit à me donner sa foy. Et lors qu’impunément il se moque de toy, Je gage que tu fais la sotte, la honteuse. Oüy, certaines raisons me rendent scrupuleuse. Ah ! si j’en estois cruë, avant qu’il fût demain, Ce Monsieur le Galant verroit bien du chemin, Et je le bernerois de la belle manière. A suivre cet avis je serois la premiere ; Mais il est de Damon & l’Oncle & le Tuteur, Et tu vois…         Je voy bien ce qui te tient au cœur ; Tu crains aparemment que vangeant cet outrage, Ce Parent irrité ne nuise au Mariage. Il doit le ménager : outre qu’il a son bien, Tu sçauras que Damon doit heriter du sien : Comme il n’a point d’Enfans, tout ce bien le regarde ; Damon assurément le perd, s’il le hazarde, Et je ne prétens pas qu’il se prive pour moy… Sçait-il bien que son Oncle est amoureux de toy ? De peur de les broüiller, j’en ay fait un mystere ; Outre que c’est un feu que j’ay crû devoir taire. Le temps…         Si ce Parent refuse son aveu, Croy-moy, laisse-moy faire, & nous verrons beau jeu: Je me charge du soin de le rendre traittable ; Je sçay, pour le berner, un moyen admirable. Quel?     Je te le diray.         S’il n’y veut consentir, Il faudra l’éprouver, & nous en divertir. Voila Monsieur le Blanc.         Ah la bonne Figure ! Tu voudrois l’épargner ? ah c’est malice pure. Que j’auray de plaisir à rire à ses dépens ! Evitons-le, il pourroit m’aborder.         J’y consens. Où voulez-vous aller ? Je ne sçay point d’affaire… Ma divine Moitié, vous n’en avez que faire : Si vous voulez me plaire, il faut changer de ton. Il sera bientost nuit.         Et m’enlevera-t-on ? Si vous revenez tard ?         On m’ouvrira la Porte. On tua l’autre nuit un Homme.         Que m’importe ? A vingt pas du Logis, hyer on en vola deux Jusques à leurs Habits.         Hé bien, tant-pis pour eux. Ne vaudroit-il pas mieux…         Il vaudroit mieux vous taire. Quand on aime un Mary…         L’on fait ce qu’on doit faire. Si l’on vous attaquoit ?         Il faudroit financer. Et si l’on vous blessoit ?         Je me ferois penser. Cependant…         Cependant, en un mot, comme en mille, De vos si mal placez, la suite est inutile : D’un soin tout different nous voulons nous piquer ; Vous de me contredire, & moy de m’en moquer. Les momens, loin de vous, me semblent des années : Faut-il que sans vous voir je passe mes journées ? Et que loin d’un Epoux chery comme le mien… Penélope fut bien dix sans voir le sien. Quel chagrin croyez-vous que ce mépris me donne, A moy qui ne sors point, & qui ne vois personne, Qui toûjours renfermée, & seule, ne consens… Ouvrez vostre fenestre, & voyez les passans, Je ne l’empesche pas.         De l’humeur dont vous estes, Il vous falloit pour Femme une de ces Coquettes Qui pres d’elle toûjours eust quelque Favory, Tout prest à reparer l’absence d’un Mary, Qui se fist, vous montrant une tendresse feinte, Un sujet de plaisir, du sujet de ma plainte, Et pour qui vostre cœur foiblement convaincu… Je vous entens, j’ay tort de n’estre pas Cocu ; Je dois m’y préparer, ma Chere, & c’est dommage Qu’une Moitié semblable ait esté mon partage : Vostre honneur desormais ne me répond de rien, Et vous vous repentez d’estre Femme de bien. Mais enfin ?         Mais enfin, voila vostre Morale, Voila le but où tend vostre Mercuriale. Vous prenez mal la chose, & ce jaloux transport Explique à contre-sens…         Il est vray, j’ay grand tort ; Par ce raisonnement vous me faites connoistre Que je ne le suis pas, mais que je devrois l’estre, Et que vostre devoir consiste desormais A me faire porter…     Mais je dis…         Point de mais : Pour faire des Galans, le prétexte est honneste. Vous sçavez…         Laissez-moy, vous me rompez la teste, Vous me feriez encor quelque autre sot discours. Si…         Morbleu, laissez-moy, vous raisonnez toûjours. De pareils Animaux, la moitié d’une paire, Si l’on n’y tient la main, donne plus d’une affaire. Où diable a-t-elle pris ce beau raisonnement ? Veut-elle, concluant ainsi directement, Insinuer en moy, par ses raisons obliques, Le tranquille sang froid des Marys pacifiques ? Ou si quelque soupçon de mon nouvel amour L’a fait, pour m’imiter, servir de ce détour ? Mais voicy mon Neveu, je pense qu’il murmure. Qu’avez-vous, Chevalier de la triste Figure? Quelque sept-&-le va, vous a-t-il mal traitté ? Quelque coup de cornet auroit-il transplanté, Par un nouvel effet d’un malheur sans resource, Dans un Corps étranger, l’ame de vostre bourse ? Non.         D’un pic & capot, le desordre outrageant, Vous auroit-il laissé sans joye & sans argent ? Non.         Sur un trente & un, quelque indiscret quarante, Ne vous a-t-il point fait visite trop frequente ? Ou bien si c’est d’ailleurs quelque nouveau malheur Qui fait faire une éclipse à vostre belle humeur ? D’une autre passion mon ame sent l’atteinte ; Le Jeu n’a point de part au sujet de ma plainte ; Et je serois enfin heureux jusqu’à ce jour. Si le Jeu dans mon cœur n’eust fait place à l’Amour. Voila du fruit nouveau. Donques pour quelque Belle, Mon doucereux Neveu, vous en avez dans l’aisle ? Oüy, je cede, mon Oncle, à des charmes puissans, L’Hymen est le seul but du beau feu que je sens ; Jamais tant de vertu jointe à tant de mérites, N’a fait voir…         J’en croy plus encor que vous n’en dites, Et je croy que l’on doit voir devant ses appas Les Roses & les Lys mettre pavillon bas. Mais vous trouverez bon, mon Cadet, qu’on vous dise, Qu’il est toûjours trop tost pour faire une sottise, Et que quoy que l’Amour vous promette de doux, Le nombre des Marys n’est que trop grand sans vous ; Qu’il faut quand l’Hymen tient nostre cœur en balance, Ensevelir l’Amour dans un drap de prudence ; Que j’ay pour en juger, suffisamment vescu, Et que dans la Famille il suffit d’un Cocu. Vostre Femme est trop sage, & fait assez connoistre… Si je ne le suis pas, je suis en train de l’estre. Loin que d’un tel soupçon mon feu soit alteré, Mon Oncle, sa vertu m’est un gage assuré : Je veux bien vous ouvrir mon ame avec franchise, Estant vostre Neveu, c’est par vostre entremise Que je dois ménager…         Je voy tout le secret : Estant vostre Tuteur à vostre grand regret, Vous voulez que je parle au Père de la Belle. C’est un Frere qu’elle a, qui doit disposer d’elle ; Il arrive à Paris dans peu pour voir sa Sœur : Dés qu’il sera venu pour faire mon bonheur, Parlez luy, l’interest d’une ardeur peu commune, Joint à ceux de l’Amour celuy de ma fortune : Cette Belle a du bien ; ma vie & mon repos Dépendent du succés…         C’est à dire, en deux mots, Que ses biens à l’Hymen vous feront condescendre, Et que sur vostre front vous mettez, Place à vendre. Hé bien j’en suis d’accord ; mais sçaurons-nous son nom ? C’est Lucinde.         Comment ? Parlez-vous tout de bon? C’est…     Lucinde.         Morbleu, je meurs d’amour pour elle. Vous la pouvez connoistre, elle est jeune & belle. Cette Belle seroit bien lasse de sa peau; Et vous estes pour elle un plaisant Etourneau. Pourquoy ne faut-il pas que ma flâme y prétende ? Si son merite est grand, la gloire en est plus grande. Il est vray ; mais enfin ce seroit la tromper, Et dans un tel dessein je ne veux point tremper ; Car puis que vous voulez qu’enfin on vous le die, De quel air passez-vous & le temps & la vie ? Quoy que vous ne soyez que le Fils d’un Banquier, Vous vous faites nommer Monsieur le Chevalier, Et vous estes de ceux dont la Chevalerie N’eut jamais à Paris d’Ordre que l’Industrie ; De ces Gueux faineans, de qui l’air est cocquet, Dont le sort est écrit sur les os d’un Cornet, Dont les Commandeurs sont les Carmes & les Sannes, Et qui font chez Fredoc toutes leurs Caravannes Il faut que vous ayez toûjours dans vos Festins Des Escrocs qu’on ne voit que chez les Libertins, Des gosiers toûjours secs, puisqu’il faut qu’on s’explique, Des diseurs de bons mots, des brailleurs en Musique, De ces chanteurs oisifs, dont l’ardeur d’entonner Sur les charmes d’un Air hipoteque un Disner, Et qui payent chez vous, se trouvant dans leur centre, Aux dépens de leur voix, le tribut à leur ventre. Vous voulez faire en tout l’Homme de Qualité : Tanstot à la faveur d’un Carrosse emprunté, Bigarré du fatras de vingt modes nouvelles, Vous allez au grand trot, du Brelan, chez les Belles ; Et l’on vous voit au Cours, sur le déclin du jour, Aussi fier qu’un Bourgeois qui porte un deüil de Cour. Songez que mon amour…         Il n’est amour qui tienne, Vostre facon d’agir quadre mal à la sienne ; Vos parolis frequents, & souvent mal placez, Luy feroient bientost voir ses Loüis éclipsez, Et vous pourriez porter, vivant à vostre guise, Un bois de Cerf pour timbre, & J’en tiens pour devise. C’est un petit malheur dont je veux vous parer. Voulez-vous me reduire à ne rien esperer ? A l’amour que je sens devenez moins contraire Mais il n’en fera rien. & je n’en veux rien faire : Taisez-vous.         Si mon cœur à l’aimer destiné… Taisez-vous, vous dit-on, pupille suranné. Je metais; & de peur de vous mettre en colere, Je m’éloigne de vous.         Vous ne sçauriez mieux faire. Cecy n’est pas mon compte, & ce jeune Coquet A pû charmer Lucinde avecque son cacquet ; Puis qu’il l’aime à ce point, on peut l’aimer de méme. Cependant je l’adore, & depuis que je l’aime, Je n’ay point de repos, je maigris tous les jours, L’Amour a mis chez moy la Raison en decours; Je la suis en tous lieux ; mais quoy que l’on en die, Je veux absolument rompre cette partie. Le dessein que je fais est un peu dangereux, Mais il faut hazarder, si l’on veut estre heureux ; Je l’aime, elle le sçait, mes soins l’ont fait connoistre : Voyons-la ; Que sçait-on ? je lui plairay peut-estre. Quoy, ce Monsieur le Blanc fait l’amoureux de vous, Comme s’il esperoit devenir vostre Epoux ? Et quoy que marié, ce Magot vous fait croire, Qu’à se donner à vous il met toute sa gloire ? Qu’il veut vous épouser ? Le Fourbe !         Chaque jour Il me suit, il m’aborde, il me parle d’amour, Et mesme à nostre Hymen Damon dit qu’il s’opose. Je m’en estois doutée, & j’en sçavois la cause. Mais enfin ce chagrin n’est pas fort de saison ; Vostre Cousine va vous en faire raison ; Le piege qu’on luy tend, flate vostre esperance, Je le trouve plaisant, & j’en ris par avance. Le hazard semble exprés pour cet Amant transy Envoyer les Habits de vostre Frere icy ; La Cousine en met un, en attendant qu’il vienne : Vous la verrez tanstot faire le Capitaine ; Elle est d’un enjoûement qu’on ne peut exprimer, Dans ce nouvel habit elle va vous charmer ; Et si Monsieur le Blanc est Homme de parole, Vous m’allez voir joüer un assez plaisant rôle. Sçait-il…         Oüy, je luy dis à la Porte hyer au soir, Qu’à quelque heure aujourd’huy je prétendois le voir. Je feignis de l’aimer, je luy fis bonne mine, Et je suivis en tout l’ordre de ma Cousine. Dieu sçait s’il va venir au Rendez-vous en feu, De l’humeur dont il est, apres un tel aveu. Ce Singe vous croyant fole de sa Figure, Voudra venir au fait, avant que de conclure, Et croira que ceans dés la premiere fois Il n’aura qu’à soufler, & remuer les doigts. Que nous pourrons donner, apres cette avanture, Aux Hommes trop coquets, de bonne tablature ! On leur garde, ma foy, des Filles de quinze ans ! C'est bien à des Marys à faire les Galans! Encor si ce Magot estoit un Homme à plaire… Hé bien…         Eh… L’on verroit ce que l’on pourroit faire. Sa Femme doit servir au stratagéme aussy, Et Damon s’est chargé de l’emmener icy ; Et comme dans la chose elle est interessée, Elle y contribûra, du moins c’est ma pensée. Reposez-vous sur nous du succés de vos feux, Nous allons le berner, en vous servant tous deux : Prenez-vous-en à moy, si vous n’estes contente. Mais Damon vient, je pense, avecque sa Parente. Voila ce qui se passe, & ce que l’on résout ; En nous divertissant, nous en viendrons à bout. J’en fus, en l’aprenant, surpris comme vous l’estes. Il faut la recevoir. L’honneur que vous me faites, Me reproche en secret une civilité Dont mon respect pour vous devroit s’estre acquité ; Et les soins du Mary n’ont plus rien qui m’irrite, Puis qu’à son amour seul je dois cette visite. Je ne m’étonne plus de voir dans mon Epoux, Pour moy tant de froideur, & tant d’amour pour vous : Vostre beauté, Madame, à qui tout est possible, Peut forcer à se rendre une ame moins sensible : Vos appas sont si grands, & leur éclat est tel… Ce qu’on en voit en vous, le rend plus criminel. Ces discours obligeans font voir de part & d’autre Des soins que vostre Sexe usurpe sur le nostre. Je pourrois, pour l’entendre, estre assez complaisant : Mais comme un autre soin nous occupe à présent, Allons voir si tanstot vostre aimable Cousine Executera bien tout ce qu’elle imagine, Et si son enjoûement pourra bien soûtenir… Il n’en est pas besoin, car je la voy venir. On ne peut estre mieux, & j’aurois de la peine… L’ Esperance ? mes Gens ?         Plaist-il, mon Capitaine ? Bon cela. Souviens-toy…     Je sçay bien.         Chevalier, Dites-moy, sentons-nous un peu nostre Officier ? Que dites-vous de nous ? Ce port, cette manière, A vostre avis, ma Chere, est-elle Cavaliere ? Avons-nous le bon air ? Croyez-vous que le Roy Ait bien des Officiers qui soient faits comme moy ? Qu’elle est bien !         Elle a l’air, dedans cet équipage, De ces petits Fripons qu’on fait sortir de Page, Pour envoyer à Malte aprendre leur Mestier. Monsieur le Blanc, de moy, n’aura pas grand quartier. Aparemment, voila vostre belle Parente, Je suis son Serviteur, & mesme sa Servante : Pour peu que vous vouliez seconder nos desseins, Vostre Epoux va tomber en d’assez bonnes mains ; Et ce tour doit vous faire admirer nostre zele, Puis que c’est un moyen de le rendre fidelle. J’ay promis à Damon de suivre vos avis. Qu’est-ce ?         Monsieur le Blanc est proche du Logis ; On m’avoit commandé de voir par la fenestre, Et si-tost qu’il viendroit, d’en avertir mon Maistre. Fort-bien. Cato, c’est toy qui dois le recevoir. Je sçay bien ma leçon, je feray mon devoir. Mais si par mon Mary vous estes reconnuë… Comment me reconnoistre ? il ne m’a jamais veuë, Ny mon Cousin non plus : Que craindroit on de luy ? Tout est bien concerté ; je prétens aujourd huy Vous donner un plaisir qui n’ait rien qui l’égale. Mais je les vois venir, entrons dans cette Salle. Oüy, Madame Cato, vous m’en voyez charmé ; Et je viens de plaisir & de joye affamé, Voir si par un bonheur qui passe mon mérite, Je puis faire ceans une heureuse visite. Vous sçavez que Lucinde a souhaité vous voir, Et qu’elle vous le dit elle-mesme hyer au soir. Oüy, ma Chere, dy-moi, penses-tu qu’elle m’aime ? Ah Monsieur…     Quoy ? poursuis.         Cent fois plus qu’elle-méme! Mon air luy plaist ?         Helas ! il luy semble si doux… Elle m’aime ?         Elle meurt, Monsieur, d’amour pour vous. La Friponne ! Instruis-moy de toute sa tendresse. Elle parle de vous, & soûpire sans cesse ; Elle passe les nuits à vous faire pitié ; Moy-mesme, de ses maux je soufre la moitié : Elle se plaint si fort, que la nuit toute entiere Je l’entens, & ne puis en clore la paupiere. Va, va, si le succés peut feconder mes vœux, Je vous feray bientost mieux dormir toutes deux : Je veux que par mes soins vous soyez soulagées, Et que…         Nous vous serons, Monsieur, bien obligées. Avec un peu de temps, je veux pourvoir à tout : Mais puis qu’à me souffrir Lucinde se résout, Ne la verray-je pas…         Dans la Chambre prochaine Je croy qu’elle entretient Monsieur le Capitaine. Un Capitaine ! D’où ?         Du Regiment du Roy. Son Frere ; Il est icy pour quelque temps je croy. Il vint, pour nos pechez, hyer au soir.         Quel Homme est-ce ? Un petit enragé, qui ferraille sans cesse : Jamais Homme ne fut de si méchante humeur, Car il est étourdy, mutin, fier, querelleur, Brave comme un César, mais brutal, & capable… Ces pestes d’Officiers sont querelleurs en diable. Quand la fougue le prend, Monsieur, pour moins d’un rien Comme on tuë un Poulet, il tuëroit un Chrestien : Mais aussi quelque jour il joüera de son reste ; Il en a tué dix depuis dix mois.         La peste ! Avec de tels Bréteurs il faut filer bien doux. S’il me voyoit ceans…         Ce seroit fait de vous, Monsieur, il vous tuëroit, & toute nostre adresse… Je m’en vais faire un tour, & verray ta Maistresse Quand il n’y sera plus.         Quoy, sortir sans la voir ! Ah ce seroit, Monsieur, la mettre au desespoir. Pourquoy vous éloigner ?         Ne t’en mets point en peine. Mais si Lucinde sçait…         Mais si le Capitaine Vient à voir ma Figure, & se tient insulté, Je me garantis mort à perpetuité. Si ce n’est que cela, vous la pouvez attendre ; Je me garderay bien de vous laisser surprendre : Au pis aller, Monsieur, il faudra vous cacher. Allez, rassurez-vous, je m’en vay la chercher ; Si son Frere paroist, cachez-vous, je vous prie. Hé bien va. Tout cecy passe la raillerie ; Je crains dans mon calcul de m’estre méconté. Ah que mal-à-propos le Diable m’a tenté ! Si je m’y connois bien, ce maudit Capitaine Ne feroit pas façon d’ensanglanter la Scene. Ouf, je tremble de peur dés que j’entens du bruit ; Le cœur me bat, je croy que c’est luy qui me suit. Que c’est bien employé ! N’ay-je pas une Femme Honneste, s’il en est ? qui m’adore dans l’ame ? Belle, & dont la vertu ne se peut contester ? Quelle démangeaison me prend de coqueter ? Et de venir chercher, par une sotte envie, Un moment d’entretien aux dépens de ma vie ? Ah dessus ce sujet que j’ay mal raisonné ! Mais si l’on m’y retient, je veux estre berné, Car j’en auray la fievre au moins une semaine. Ah morbleu, je suis mort, voicy le Capitaine. O Dieux ! Monsieur le Blanc, vous estes-vous blessé ? Je dançois la Bourrée, & le pied m’a glissé. Ce n’est rien : Mais que fait Monsieur le Capitaine ? Je pense qu’il écrit.         Prends garde qu’il ne vienne. Vous voyez jusqu’où va ma tendresse pour vous, Et combien le plaisir de vous revoir m’est doux : Vostre merite est tel, que quelques reprimandes… Mon merite est petit, mais vos bontez sont grandes. Verray-je tant d’amour fecondé par vos soins ? Vous ne répondez rien.         Je n’en pense pas moins ; Mais je crains qu’on ne trouble un bonheur dont je doute, Et la peur quelquefois met la joy en déroute. Douter de mon amour ? lors que le vostre obtient… Ah Monsieur, cachez-vous, le Capitaine vient. Le facheux contretemps !         Sur peine de la vie, Gardez de vous montrer.         Je n’en ay pas envie. Je vous quitte à regret.         Tréve de compliment, Où faut-il me cacher ?         Dans cet Apartement. Je me fie à Cato, qui me trahit peut-estre. Ecoutons-les sans bruit, je pourray le connoistre. Cato, je te cherchois, & depuis mon retour A peine ay-je eu le temps de te dire bonjour. Il ne me souvient point de t’avoir embrassée. Il n’est pas sorty.     Non.         J’ay l’ame embarassée, Et je me sens reduit à te dire en deux mots. A propos.         D’où vient donc, Monsieur, cet A propos ? Avant que de porter plus loin la confidence, Je veux sçavoir de toy, si pendant mon absence Ma Sœur sortoit souvent, ou bien si quelque Amant Ne la visitoit point un peu trop frequemment ? Je tremble.     Non, Monsieur.         Une Fille à cet âge Est ordinairement plus coquette que sage. Elle estoit toûjours seule, & jamais ne sortoit, A moins que…         Par la mort, si quelqu’un s’y frotoit, Je lui feroit passer un fort méchant quart-d’heure. On n’a garde, Monsieur.         On fait bien, ou je meure. Elle est trop vertueuse, & l’on le sçait trop bien. Changeons donc de discours. Dy-moy, par ton moyen, Ne sçaurois-je revoir cette jeune Bourgeoise… Je vous entens, Monsieur ; Pourquoy non ?         La Matoise, Est de plus d’un Mestier.         Cato, depuis deux ans J’ay songé mille fois à tous les doux momens Que j’ay passé pres d’elle, & de toutes les Belles… Elle m’a demandé vingt fois de vos nouvelles. M’aimeroit-elle encor ?     En doutez-vous ?         Hélas ! La verray-je ?         Pourquoy ne la verriez- vous pas ? Cette Belle, ma foy, seroit bien dégoûtée, Si vous ne luy plaisiez ; Car pour moy…         L’éfrontée ! Mais puis-je en esperer…         Je vous répons, Monsieur, Qu’elle vous recevra du meilleur de son cœur. Cato, va, s’il se peut, sçavoir de cette Belle, Si je la pourray voir ou ceans, ou chez elle. Pour chez elle, Monsieur, neant.         Et pourquoy non ? C’est que je ne sçay point son Logis, ny son nom ; Comme elle est mariée, elle craint le scandale. Comment faisois-tu donc, lors que par intervalle Tu l’amenois ceans ?         La Veuve d’un Bourgeois Chez qui j’allois apprendre à coëffer autrefois, Quand je luy veux parler, va chercher cette Belle, Tandis que je l’attens, & pour raison, dit-elle, Taist son nom. Vous sçavez que par honnesteté Il faut garder en tout de la fidelité. Ce que je sçay le mieux de cette belle Brune, C’est qu’elle a pour Epoux un Chercheur de fortune, Un Pié-plat qui la fuit, & qu’on dit pour la voir, Qu’on va pour la coëffer.         Que j’en conçois d’espoir ! Ne pers donc point de temps ; & si ton soin m’oblige, Sois seûre…         Vous aurez contentement, vous dis-je ; Cele ne pourra, si je n’en viens à bout. J’y cours, & je vous viens rendre raison de tout. L’obligeante Cato luy va chercher la Belle. Morbleu, fut-il déjà dans sa Chambre avec elle. L’Esperance ?     Monsieur ?         Il ne sort point d’icy. Viença.         Le grand Fripon que paroist celuy-ci ! As-tu veu mon Cousin ? a-t-il fait ma Recruë ? Oüy, je vous en répons.         Mais enfin l’as-tu veuë ? M’a-t-il fait vingt Soldats comme il m’avoit promis ? Il n’en a que dix-neuf, mais ils sont bien choisis ; Il ne faut point, Monsieur, apres eux, qu’on en cherche ; Ils sont, mordié, tretous aussi grands qu’une perche, Je les ay fait toiser moy-mesme dans sa cour, Ils ont six pieds de haut, & trois grands pieds de tour, Et des barbes, morbleu, qui les rendent plus graves… Sont-ils braves, à voir ?         Morgué, s’ils n’etoient braves, Les voudrois-je emmener ?         C’est parler de bon sens : Mais à la Garnison il faut mener ces Gens ; Comme tu ne m’es plus à Paris necessaire, Tu partiras…         Demain, & j’en fais mon affaire ; Préparez de l’argent.         C’est fort bien raisonné. Votre œil est aujourd’huy bien emmerillonné ! Vous avez vostre conte.         Oüy, j’ay l’ame contente ; Cato me fait revoir, pour flater mon attente, Cette jeune Beauté que tu vis une fois… Je sçay bien, je sçay bien, la Femme d’un Bourgeois, Qui venoit quelquefois vous tenir compagnie. Elles-mesme, & je dois…         Peste, qu’elle est jolie ! Dieu sçait si le Mary… plaist-il, Monsieur ?         Tay-toy, Quelqu’un vient, laisse-nous, c’est elle que je voy. A Vingt pas du Logis, j’ay rencontré Madame. Que mon bonheur est grand !         La peste ! C’est ma Femme ! Depuis que j’eus l’honneur de vous voir en ce Lieu, Rien ne m’a tant touché que ce funeste adieu ; L’absence a fait sentir à mon ame amoureuse Tout ce qu’elle a de rude.     Est-il bien vray ?         La Gueuse ! Mais puis que mon bonheur me fait vous retrouver, C’est en vous embrassant que je le veux prouver : Je veux, puisque pour moy vostre ardeur s’intéresse, Que mon empressement seconde ma tendresse. Là-donc, comme elle fait la prude aupres de luy ! Quand vous ne nous seriez jamais veus qu’aujourd’huy. La Coquine !         Je crois en deviner la cause ; L’amour pour vostre Epoux, à mon bonheur s’opose. Helas ! quelque charmant que peut estre un Epoux, Que ne souffre-t-on point d’un Homme comme vous ? Ah ! si jamais le Sort secondoit mon envie… Hé bien ?         Je vous verrois tous les jours de ma vie. Fort-bien.         Pour un Amant qui meurt pour vous d’amour, C’est & trop de bontez & de joye en un jour. J’ay pour vous une ardeur qui n’a rien qui l’égale : Mais comme tout le monde aborde en cette Salle, Ce Lieu n’est pas fort propre à vous bien recevoir, Et pour y souffrir, je sçais trop mon devoir. Entrons, puis que le Sort permet que je vous voye. Cato ?     Monsieur ?         Voila la Marchande de joye : L’affront que l’on me fait, ne m’est que trop connu, Et l’aveu qu’on en fait, n’est que trop ingénu. Voila de ces Serpens, de ces Pestes publiques, Qui trafiquent l’honneur par de sourdes pratiques, Et dont l’art secondant les soins d’un Favory, Feint de coëffer la Femme, & coëffe le Mary. Et vous, nostre Moitié, qui devenez commune, Vous avez donc des Gens qui vous cherchent fortune ? Pour le premier venu vous vous laisser tenter, Et souffrez sans façon qu’on vous vienne emprunter ? Eh parbleu, vous irez entre quatre murailles De vos foles amours faire les funerailles, Et vous irez aprendre en une autre Maison A mettre de niveau l’Amour & la Raison. Peut-estre qu’au moment que je tiens ce langage, Monsieur le Capitaine & ma Femme… Ah j’enrage. Ne nous contraignons plus, faisons du bruit, je veux Et les chercher & leur chanter poüille à tous deux. Mais s’il alloit me tuer ? Non, perdons cette envie, Il est plus d’une Femme, & l’on a qu’une vie; Il est mutin en diable, & Cato me l’a dit. Taisons-nous, attendons qu’elle… J’entens du bruit. Il faut faire sortir nostre Amoureux.         C’est elle, Sortons ; assez longtemps c’est estre en sentinelle. Il s’est fallu, Monsieur, contraindre jusqu’au bout : Mais vous vous estes bien ennuyé ?         Point du tout. Le moyen ? quand on voit des intrigues si drôles. Avec de jeunes Gens on fait d’étranges rôles. Oüy sans doute, & cela ne se peut autrement. N’en faites point, Monsieur, de mauvais jugement, J’ay sur le point-d’honneur trop de délicatesse : Mais vous sçavez que quand on sert de la Jeunesse, Et qu’on y fait son compte, il vaut mieux consentir… Bon ! ne sçay-je pas bien qu’il faut se divertir ? Monsieur le Capitaine aime fort cette Belle ? Cela n’est pas croyable.         Et cette Damoiselle L’aime fort ?     Oüy, Monsieur.         Presentement… je crois… Ils se sont embrassez déjà plus de cent fois. Ta Maistresse sçaura, si tu luy veux apprendre, Que je suis son Valet.         Mais, Monsieur, où vous prendre, Si l’on vous veut parler ? Où logez-vous ?         Trop loin. Je vous irois chercher.         Il n’en est pas besoin. Dites vostre Logis, ma Maistresse est capable, L’ignorant…         On le sçait trop bien, de par le Diable. Que l’on me laisse aller, je la verray dans peu. Puis que vous le voulez, adieu, Monsieur.         Adieu. Il meurt de jalousie, & de colere ensemble. J’ay bien joüé mon rôle ; & voila, ce me semble, Pour un commencement, assez bien débuté. Allons songer au reste, & rire en liberté. Cato ?     Que luy veux-tu ?         Qu’est-elle devenuë ? Tu l’apelles en vain.         L’auroit-on retenuë ? Je ne crois pas.     Comment, nous suivoit-elle ?         Non. Elle estoit avec nous chez la Sœur de Damon. Il est vray ; mais je viens de l’envoyer en Ville, Et le soin que tu prens, Cousine, est inutile. Et quoy faire ?     Chercher Monsieur le Blanc.         Pourquoy ? Pour lui rendre un Poulet de ta part.         Mais, dy-moy, Que contient-il ?         Il est fort galant, & fort tendre. Ton enjoûment, Cousine, a dequoy me surprendre. Ecoute, laisse-moy ménager ton amour ; Je veux me divertir tout le reste du jour, J’en sçay bien le moyen. Toy, sans me contredire, Ne t’informes de rien, & ne songes qu’à rire. On peut sur ton début croire qu’avec le temps… Nostre Monsieur le Blanc a bien donné dedans ; Il croit de bonne-foy sa Femme…         Je t’avouë Que ton air goguenard merite qu’on te louë : Il seroit malaisé de mieux faire l’Amant, Et tu devrois estre Homme avec tant d’enjoûment. Si le Ciel m’avoit fait Homme, comme il le pense, Ma foy, j’aurois esté Coquet à toute outrance ; J’aurois sçeu, pour vanter ma peine & mon ardeur, Mentir en Courtisan, & jurer en Joüeur ; J’aurois, pour me pouvoir rendre maître d’une ame, Apellé les Cadeaux au secours de ma flâme ; J’aurois veu fréquemment les Belles sans témoins, J’aurois esté flateur, j’aurois rendu des soins, Et pressé de si pres les Blondes & les Brunes, Que j’aurois eu ma part des meilleures fortunes. Tu pourrois te tromper.         Je ne sçay ; mais enfin, Un cœur pour m’échaper, m’auroit semblé bien fin. Mais puis que tu prétens porter plus loin la chose Avec Monsieur le Blanc, & que l’on s’y dispose, Il falloit retenir sa Femme.         Point du tout ; Pour juger du dessein, attens jusques au bout. Outre qu’elle pouvoit nous estre necessaire, Son Mary pourroit bien chez luy, dans sa colere, Prenant ce qu’il a veu pour une verité, En venir avec elle à quelque extremité. Damon prendra ce soin : il la mene, & se flate, En la justifiant, d’empescher qu’il n’éclate ; Il n’est pas violent, il connoit son humeur, Outre que leur défaite est preste.         J’aurois peur… Tay-toy, je l’aperçois, évitons-le, & pour cause. Allons dans le Logis préparer chaque chose. Ma Femme ne vient point, elle se trouve bien, Et son honneur, je croy, fait bon marché du mien : Mon affront est certain, je sçais trop qu’on m’offence, Mais je ne sçay comment j’en dois tirer vangeance. Si je fais de l’éclat, tout Paris le sçaura, Et d’un doigt, pour le moins, chacun me montrera. Si je feins d’ignorer son amour & ma honte, Demain, sur nouveaux frais, j’en auray pour mon conte. Si je la fais raser de mon autorité, Elle se pourvoira contre ma cruauté : Les Juges là-dessus sont sans miséricorde. Si je la fais mourir, il y va de la corde. Comment diable punir un semblable Animal? Le remede par tout est pire que le mal. Chacun vit des effets dont on souffre les causes ; Car si, comme on devroit, on mettoit ordre aux choses, Pour le bien du public, n’établiroit-on pas Des Cocus consultants, comme des Avocats ? Leur conseil au besoin…Mais j’aperçoy la Belle, Et Monsieur l’Officier n’a plus que faire d’elle : Mon Neveu l’accompagne. Il faut dissimuler. Serviteur.         Venez-vous de vous faire enrôler ? Comment donc ?         Venez-vous de voir faire Reveuë ? Les Belles du Marais font-elles leur Recruë ? Avez-vous mis en vain ces Mouches & ce Point? Et la Coëffeuse enfin…         Je ne vous entens point. Taisez-vous, éfrontée !         Eh, mon Oncle, de grace… Mon Dieu, mon cher Neveu, ce mystere vous passe, Vous parlez sans sçavoir : Taisez-vous ! vous ferez, Quand vous serez Cocu, comme vous l’entendrez. A de pareils discours je ne puis rien comprendre. Mais si vostre dessein est de vous faire entendre, Expliquez…         Je commence enfin à m’échauffer. Une Femme chez qui l’on aprend à coëffer, Ne vous ménage pas les lieux où l’on vous meine. Vous ne sortez jamais, & certain Capitaine Vous embrassant d’abord, bras dessus, bras dessous, N’a pas tanstot chez luy… Plaist-il : m’entendez vous ? Pour flater son amour, j’aurois trahy le vostre ? Qui peut vous avoir fait de tels discours ?         A l’autre. Vous plaist-il de vous taire ? Enfin jusques au bout Vous pensez vous tirer d’affaire, en niant tout ? Vous croyez que quelqu’un, pour se faire de feste, M’a fait recit du bois dont on charge ma teste, Et que j’en fais grand bruit, quand je le crois le moins ; Mais voila la Partie, & voila les Témoins : J’ay veu de ces deux yeux leur abord & ma honte : C’est par moy que je sçay que j’en ay pour mon conte. Elle faisoit la Belle, il s’en disoit charmé ; Et la Friponne enfin l’a si bien empaumé, Que ce beau Capitaine a sans cerémonie Commandé, moy present, chez luy, sa Compagnie. D’un endroit où j’avois pris soin de me placer, Je les ay veu tous deux se parler, s’embrasser, Et cherchant à se voir une secrette voye, Faire de cent baisers un prologue à leur joye. Cela n’est pas possible ! Un projet si hardy Auroit pû s’estre fait…         Peste de l’étourdy : Cette teste à l’évent me prend pour quelque Gruë. Hé bien, qu’en dites-vous ?         Que si vous m’avez veuë, Sans venir faire icy cet éclaircissement, Vous pouviez me confondre assez facilement ; Qu’il faloit vous montrer, cette voye estoit seûre. Que ne paroissiez-vous ?         Ah voilà l’encloüeûre. Il est vray, vous deviez vous montrer, & tout haut Luy dire…         Mallepeste, il y faisoit trop chaud ; Quand on risque sa vie, il n’est Femme qui tienne, Et j’avois ma raison, comme elle avoit la sienne. Il l’a resvé sans doute, & ne se souvient plus Que c’est l’effet d’un songe.         A d’autres là-dessus ; Je ne sçay que trop bien ce qu’il faut que j’en pense. Rentrez, morbleu, rentrez, & craignez ma vangeance, Je suis de vos amours un assez bon témoin. Mon Oncle…         Mon Neveu, vous prenez trop de soin. On doit pour une Femme avoir quelque scrupule. Il est vray, je devrois avaler la pilule, Et dire galamment, sans me rendre importun, Que le mal n’est plus mal, quand il est si commun ; Me rendre sur ce point traitable comme un autre. C’est vostre sentiment, mais ce n’est pas le nostre ; De ces conseils benins, l’usage est bel & bon : Cependant…         Cependant sur un simple soupçon Vous…         Vous estes un fat, & vostre esprit s’érige… Mais…         Vous estes un sot avant terme, vous dis-je. On vous dit qu’on a veu.         Sur la foy de ses yeux, Croit-on que ce qu’on voit, soit ce qu’on sçait le mieux ? Il faut, pour avérer une semblable offence, D’avec la verité détacher l’aparence, Ne pas croire toûjours des sentiments si bas. Et que croiray-je donc, ce que je ne voy pas ? Parbleu, vostre morale est d’un admirable Homme ! Lors que je parle à vous, faut-il vous croire à Rome ? Ou gager fortement, sur vostre beau discours, Que vous estes muet, quand vous jazez toûjours ? J’ay tout veu ; mon offence est-elle assez prouvée ? L’étrange opinion ! Où l’aurois-je trouvée, Pour luy donner la main, & la conduire icy ? En quelque Lieu d’honneur où vous estiez aussy, Ce n’est pas pour tous deux une chose nouvelle. Je sors de chez ma Sœur, où j’estois avec elle : Elle n’a veu que nous, depuis qu’elle est dehors. Et vous en répondez ?     J’en répons.         Corps pour corps ? Elle a trop de pudeur, & trop de retenuë, Pour souffrir…         Comment diable, aurois-je eu la berluë ? Outre que j’en répons, elle sçait son devoir : Vos yeux se sont trompez, vous avez crû la voir, Vous avez sans sujet blessé son innocence, Sans doute, & c’est l’effet de quelque ressemblance ; Non que si cet affront estoit bien avéré, Ce courroux, à mon sens, ne fût trop modéré : Mais quand on blâme à tort des Femmes vertueuses, De semblables éclats ont des fuites fâcheuses. Des exemples du temps, faites-vous des leçons ; Les soupçons mal fondez, sont toûjours des soupçons ; Ces doutes indiscrets dont l’ame est obsédée, De l’affront qu’on se fait, laissent toûjours l’idée, Il n’est dans les esprits jamais bien effacé; Ce bruit fait son effet, quand on le croit cessé ; Sur la foy d’un Mary, le monde s’abandonne A taxer la pudeur de celle qu’il soupçonne, Et ne peut présumer, s’il a trop éclaté, Qu’elle ait de la vertu, puis qu’il en a douté. Comme vous dites.         Si depuis peu sa conduite, D’un amour aparent vous fait craindre la suite, Eclaircissez-vous-en sans vous mettre en courroux ; Tâchez de la convaincre, & pour lors vangez-vous. Il a presque raison.         De peur de vous détruire, Ne faites jusques-là rien qui puisse vous nuire ; D’un repentir sans fruit épargnez-vous l’ennuy. L’avis n’est point mauvais, & je puis aujourd’huy La convaincre de tout avec un peu d’adresse, Et je sçais un moyen… Serviteur.         Je vous laisse. Il raisonne assez bien, je puis m’estre trompé, Et la peur peut enfin m’avoir préoccupé: La voyant de costé, la moindre ressemblance A pû de mes soupçons causer la violence: Je n’ay pû la bien voir ; mais je sçauray bientost Si l’amour conjugal est chez elle un defaut. Quelque précaution qu’elle mette en pratique, J’ay trouvé le secret de la voir sans replique: J’imagine le tour qu’elle prévoit le moins, Tâchons de voir Cato, j’ay besoin de ses soins, L'éclat de mes Loüis la tentera sans doute, Et je veux m’éclaircir enfin, quoy qu’il m’en couste; Cherchons-la, je prétens, en sortant de ces lieux, Que…Mais tout-à-propos elle s’offre à mes yeux. Je vous ay tant cherché, que j’en suis hors d’haleine : Ma foy, depuis une heure, & plus, je me proméne, Monsieur ; & graces à vostre opiniâtreté, J’ay bien esté grondée, & j’ay bien arpenté. Pourquoy ?         Pour n’avoir pû dire vostre demeure, Lucinde s’est d’abord emportée, & sur l’heure M’a donné ce Billet, & m’a bien defendu De rentrer au Logis, qu’il n’ait esté rendu. Quoy que pour l’apaiser je ne sçeusse où vous prendre, La peur de l’irriter m’a fait tout entreprendre, Et m’a fait regarder d’icy jusques chez nous, Vingt Courtauts sous le nez, que je prenois pour vous, Ce Billet vous dira si sa peine est cruelle, Et si l’on doit…         Voyons du style de la Belle. Depuis vostre depart je suis au desespoir, Et d’un ennuy si grand vostre absence est suivie, Que j’aime autant perdre la vie, Que l’esperance de vous voir. Venez me rassurer, si ma perte vous touche, Rétablir mon repos d’un mot de vostre bouche ; Et vous ressouvenez, pour ne m’alarmer plus, Et de me faire regler mon amour sur le vostre, Que les momens qu’on passe éloignez l’un de l’autre, Sont autant de momens perdus. LUCINDE. Le Billet est pressant, & la Sœur tient du Frere ; Tous deux aiment l’intrigue, & tous deux sans mistere Cherchent secrettement à ménager leurs feux, Et la bonne Cato sert d’Agente à tous deux. Bien loin de s’en fâcher, elle n’en fait que rire. Il seroit à present trop tard pour en dédire ; Ils m’ont prise chez eux, Monsieur, pour estre à tout. Mais ne viendrez-vous pas ?         Il faut voir jusqu’au bout. Oüy, oüy, j’iray. Ma Femme y reviendra peut-estre, Et nous verrons beau jeu : Mais prens garde à ton Maistre, Il m’a tantost pensé faire mourir de peur. Ne craignez rien de luy. Jusqu’au revoir Monsieur. Viença, viença, j’ay bien autre chose à te dire. Comme tu fais plaisir à quiconque aime à rire, Et que tu sçais enfin, en faveur des galans, Ce que chaque Quartier a d’honneurs chancelans, Serois-tu bien d’humeur à chercher une voye De ménager pour nous un quart-d’heure de joye. Que veut dire cela ?         C’est à dire, en deux mots, Que la Coëffeuse peut beaucoup pour mon repos ; Que pour elle & pour toy je seray sans reserve, Si vous voulez… Enfin il n’est qu’un mot qui serve ; Voicy la question. J’aime autant qu’on le peut Cette belle Bourgeoise à qui ton Maistre en veut : Oüy, sa beauté tantost m’a charmé, je l’adore, Et je meurs du desir de la revoir encore. Si tu veux établir ton bonheur & le sien, Fais que j’aye avec elle une heure d’entretien ; Tu peux, pour me servir, employer ta Compagne, Ma Chere, mets pour moy la Coëffeuse en campagne. Quoy, vous aimez Lucinde, & vous voulez en conter ? Si, comme tout se sçait, elle se peut douter De vostre amour nouveau, que pourra-t-elle dire ? Rien, ma pauvre Cato ; Va, ce n’est que pour rire, Je ne luy veux parler qu’un moment.         Je ne puis, Cette Femme n’est pas…         Je donne dix Loüis, Et ma Bague.         On verra ce que l’on pourra faire. Que tu fais de façons pour conclure une affaire ! Songe à bien ménager…         Vous serez satisfait. Dy-moy, quand ce projet aura-t-il son effet ? Le plutost vaut le mieux. Quand verray-je la Belle ? Penses-tu que pour nous elle soit fort cruelle ? Je ne croy pas, Monsieur ; & si vous luy parlez… Où la verray-je enfin ?         Chez vous, si vous voulez. Elle n’y viendroit pas. Non, non, chez la Coëffeuse Je feray mieux l’aveu de ma flâme amoureuse. Je le veux.         Je prévoy sa honte à mon aspect, Quand je verray ma Femme en quelque Lieu suspect. Je voy plus d’un Mary rire à teste levée, A qui mesme avanture est peut-estre arrivée. Cato, cela vaut fait.         Je vous répons de tout. J’iray tantost chez toy. Feignons jusques au bout. Je vais revoir ma Femme, & veux à l’amiable A son honneur douteux faire amande honorable, Et feindre d’un discours, & d’un air composé, Pour la mieux abuser, d’estre des-abusé. A la fin, Dieu mercy, j’ons tout ce qui nous faut, Et je pourrons partir, si je voulons, bientost : J’ons Mousquets, Baudriers, Epées, Bandoulieres, Habits, Chapeaux, Souliers, avec dix-neuf bons Freres Qui ne cherchent qu’à rire ; & j’espere demain, Quand j’aurons bû trétous six coups de chaque main, Prendre joyeusement le chemin de la Flandre. Mon Capitaine, icy, m’avoit dit de l’attendre Un jour, ou deux; mais zeste, il viendra justement Comme je dance ; Il fait en quelqu’endroit l’Amant, Il cajole par tout & petites, & grandes ; Dieu sçait ce qui s’ensuit. Par ma foy, ces Flamandes Sont de bonne amitié. Quand je les visitons, Leurs Marys sont, morgué, plus doux que des Moutons : Il n’est point d’Officiers qui ne trouvent fortune ; Et jusqu’à leurs Valets, chacun à sa chacune. Le bon Païs que c’est, pour une Garnison ! Mais ce raisonnement n’est pas fort de saison, Allons tout préparer, & faisons diligence. Ah, Cato, ton Valet.         Ah, bonjour, L’Esperance. On te cherche par tout, & tu dois nous aider… Que veut-on ? me voila.         Faut-il le demander ? C’est pour Monsieur le Blanc. Angelique elle-méme Prépare à le berner, un nouveau stratagéme : Pour en venir à bout, elle a besoin de toy. Je suis prest à bien faire, & tu verras…         Dy-moi, N’a-t-elle pas joüé bien plaisamment son rôle Avec nostre Galant ?         Elle est, morgué, trop drôle : Elle m’a bien fait rire ; & le pauvre lourdaut… Tay-toi, nous parlerons de tout cela tantost. Je le veux, aussi-bien il faut que je t’en conte. C’est pour une autre fois ; ils sont tous là-haut ; monte Pour voir ce qu’on te veut.         Je te l’ay déjà dit, Mon amour est bien las de te faire crédit : Depuis plus de dix ans, tu sçais bien que je t’aime ; Pour un baiser, ou deux, veux-tu…         Veux-tu toy-méme Me laisser en repos ?     L’Esperance ?         Monsieur ? Va.         Tu n’en es pas quitte. On y va. Serviteur. Peste du gros lourdaut ! voyez, qu’il prend de peine. Tu n’as qu’à revenir. M’en voilà hors d’haleine. Qu’il me tarde de voir nostre Galant icy ! Sa Femme, m’a-t-on dit, devoit s’y rendre aussy. Cependant l’heure approche, & je ne voy personne ; Il nous payera bien la peine qu’il nous donne. Le tour qu’on luy prépare est plaisant, sur ma foy ; Sa Femme devroit bien venir… Mais je la voy. Je craignois bien qu’icy vous ne pûssiez vous rendre. A quoy passe le temps, Lucinde ?         A vous attendre. Et moy, j’attens aussi que Monsieur vostre Epoux Vienne, comme il l’a dit, tantost au Rendez-vous. Angelique & Damon joindront leurs soins aux vostres. Que son humeur me plaist !         Elle plaist à bien d’autres. Je brûle de les voir, pour sçavoir quelle peur On luy veut faire encor.         Si vous estiez d’humeur A garder un secret…         Parle, je sçais me taire. Je puis vous confier une assez bonne affaire ; L’occasion vous rit, & je sçais un moyen, Si vous me promettez que vous n’en direz rien, De ménager pour vous…         Ah ce doute m’offence. Vous sçaurez donc…     Hé bien ?         Qu’un Galant d’importance Est amoureux de vous, & que pour vous gagner Il est dans le dessein de ne rien épargner : Outre ce que pour vous il aura de tendresse, Il a des tas d’écus dont il vous fait maistresse ; Et son cœur & son bien sont à vous aujourd’huy, Si vous voulez passer une heure avecque luy. Je me suis engagée à vous porter parole, Et crû vous obliger.         Depuis quand es-tu folle ? Veux-tu qu’en profitant de tes bonnes leçons, Je donne rendez-vous…         Mon Dieu, que de façons ! Pourquoy non ?         Tu prétens que son argent m’oblige, Malgré ce que je dois…         Oüy, ce Galant, vous dis-je, Verra par des faveurs récompenser son choix, Et ce ne sera pas pour la premiere fois. Pour la premiere fois ! Tu peux…         Il me le semble, Et vous avez passé de bons momens ensemble. Je commence à trouver ce discours ennuyeux : C’est porter un peu loin l’insolence à mes yeux ; Mais tu peux t’assurer que devant que je parte… Nous ne jurons de rien, mais nous sçavons la Carte. Cependant le Galant, pour vous voir, doit venir; J’ay donné ma parole, & prétens la tenir : Il m’a fort bien payée, & m’a donné sa Bague, Et des Loüis forts bons ; voyez si j’extravague. Montre, je la connois… Je croy…         Cela se peut. Qu’elle est à mon Mary.         C’est luy qui vous en veut. Depuis qu’il vous a veuë en ce lieu si docile, Il croit que vous allez chercher fortune en Ville, Qu’à faire des galans vous avez du panchant, Que c’est par mon moyen que vous trouvez Marchand ; Et prétend, pour régler son amour sur le vostre, Estre pour son argent, bien venu comme un autre. Hé bien, le verrez-vous tantost ?         Helas ! je crains Qu’il n’ait contre mes jours fait d’étranges desseins, Et que l’on ait trop loin poussé la raillerie. On va, pour l’apaiser, changer de batterie, Ne vous allarmez point. Dans une heure d’icy Vous en verrez l’effet. Mais quelqu’un vient icy, Rentrez, c’est vostre Epoux. Dites à ma Maistresse Qu’elle songe à son rôle.         Il suffit, je te laisse. Comment va nostre affaire ?         Eh tout ira fort bien. Bon : Et le Capitaine ?         Allez, n’en craignez rien. Ce n’est pas sans sujet que ma peur est extréme ; Et tu sçais que tantost…         Oh ce n’est pas de mesme, Il est hors du Logis, & pour tout aujourd’huy Il est avec un tas de Vauriens comme luy, Pour faire la débauche, & Dieu nous en délivre : Il faudra que tantost il creve, ou qu’il s’enyvre ; Et je croy, comme enfin il n’en fait pas façon, Que quand nous le verrons, il sera beau Garçon. Mais comme de Bacchus Vénus aime l’aproche, As-tu pour son retour, quelque Mignonne en poche ? De l’humeur dont il est, tu dois prendre ce soin. Ma foy, je ne croy pas qu’il en ait grand besoin : C’est pour vous que je veux employer mon adresse. C’est bien fait : Mais, dy-moi, verray-je ta Maistresse ? Pourray-je luy parler, & veux-tu t’employer… Oüy, Monsieur, attendez, je vay vous l’envoyer. Pour finir l’embarras d’un amour qui me gesne, Je veux tout hazarder, pour soulager ma peine : Aussi-bien, tost ou tard, Lucinde peut sçavoir Que c’est pour la tromper, que je cherche à la voir ; Et si le Capitaine en aprend quelque chose, Je suis un Homme mort ; Ainsi je me propose De voir si sur l’espoir d’estre ma Femme un jour, Lucinde me voudroit prester un peu d’amour ; Tâcher de l’engager, voir si par ma morale Sa sagesse pourroit avoir quelque intervalle ; Essayer si de nous rien ne la peut tenter, Et selon le succés, la suivre, ou la quitter. Lucinde est Fille & jeune, innocente, ingénuë, Peu de chose souvent leur donne dans la veuë ; Et quand on se prévaut de leur simplicité, On peut… Mais reprenons un peu de gravité, La voicy.         Revenu d’une frayeur mortelle, Je ramene à vos pieds un Protestant fidelle, Passablement poltron : Mais nous autres Bourgeois, Qui faisons volontiers l’amour en tapinois, Nous n’aimons pas le bruit, & pour sauver la vie… La vostre assurément vous eust esté ravie : Mon Frere est si brutal, que je bénis le Sort D’avoir par ce moyen empesché vostre mort, Et je ne puis assez loüer vostre conduite : Mais comme ce malheur peut avoir quelque suite Qui feroit de l’éclat, empeschons-en le cours ; Faites, sans diférer, l’aveu de nos amours ; De grace, proposez nostre Hymen à mon Frere. S’il s’opose…         Et pourquoy nous seroit-il contraire ? Vous estes riche ?     Un peu.     Bien fait ?         Sans vanité. Nous avons le bon air. Pour de la qualité… Ah je regarde en vous vostre seule Personne. Luy proposerez-vous… Dites donc ?         Oüy, Mignonne. S’il y veut consentir, si rien ne le retient, Quand épouserons-nous ?         La Semaine qui vient. C’est l’unique bonheur où mon amour aspire. Quoy, je serois à vous ?         Cela va sans dire. Si par quelque accident qu’on ne peut pas prévoir, Cet Hymen se devoit ou remettre, ou surseoir, Nous pourrons établir entre nous, sous silence, Un commerce galant d’Hymen de conscience, Diférer pour un temps les Bancs & le Festin, Payer au Dieu d’Hymen un tribut clandestin, En faveur de nos feux nous rendre un peu credules, Brûler de bonne-foy d’un amour sans scrupules, Faire moins un présent qu’un troc de nostre cœur, Laisser tranquillement meurir nostre bonheur, Et par quelques douceurs où nous puissions prétendre, Nous consoler souvent du déplaisir d’attendre. C’est un expedient qui peut nous rendre heureux. Il est vray, c’en est un, mais il est dangereux : Un pareil Mariage…         Ah c’est le plus commode, Le moins embarassant, & le plus à la mode. Quand d’un Hymen en forme on avance l’effet, Le jour qu’on se marie, on ne sçait ce qu’on fait. Dedans l’ardeur que cause un feu qui vient de naistre, On s’engage à l’Hymen, sans la sçavoir connoistre ; Et le bonheur enfin s’y trouve rarement, Quand le caprice agit sans le discernement : Autant que l’on le peut, on doit, quoy qu’il arrive, En matiere d’Hymen, faire une tentative. Devant tous les Humains, je soûtiens qu’il est vray, Que qui tend à l’Hymen, en doit faire l’essay, Que la joye à ce Dieu doit servir d’entremise, Et que faire autrement, c’est faire une sottise. Que vous raisonnez juste !         Oh, oh. Cela posé, Nous pourrons contracter un Mariage aisé ; Sans rien précipiter, nous pourrons, quoy qu’on die, Ordonner à loisir de la Cerémonie, Du Cadeau, des Habits : Quant à vos interests, Vous en déciderez, ainsi que des aprests. Rien n’est plus obligeant.         Si vous estes contente D’un Epoux possedant deux mille écus de rente, Je suis vostre Homme, & puis vous en faire present Quand je voudray, demain, ou bien en épousant ; Et pour vous faire voir à quel poinct je vous aime, Vous ferez le Contract, si vous voulez, vous-mesme ; Et vous pourrez de plus y mettre à vostre choix, Si vous le souhaitez, la clause des six mois. A vous dire vray, j’entens peu les affaires : Mais comme je vous crois enfin des plus sincéres, A suivre vos avis, mon amour se résout. Comment…vous consentez…         Oüy, je consens à tout. Dés ce mesme moment vous avez une Femme. Elle a raison. Que c’est de gloire pour ma flâme ! Vous voyez que pour vous je fais un grand effort : Mais pour m’en dispenser, mon amour est trop fort ; Vostre discretion jointe à vostre tendresse, Seront, si vous m’aimez, le prix de ma foiblesse. Oüy, je proteste icy de n’aimer rien que vous, Et que pour mériter des sentiments si doux, Je seray moins sans vous que le corps n’est sans ombre : Je veux pour le prouver, par des baisers sans nombre, Devorer à genoux & ces mains, & ces bras. Alte-là, vieux Magot, vous vous baissez trop bas. Morbleu, je suis perdu !         Comment ! en ma presence Vous luy baisez la main, Faquin ? Vostre insolence A mon insçeu, ceans, attente à mon honneur, Et vous venez chez moy pour suborner ma Sœur ? Et ma honte, & ta mort, également certaine, Feront voir…         Ah tout doux, Monsieur le Capitaine. Mon Frere…         Je croyois avoir la teste à bas. Avant que m’écouter, ne vous emportez pas! Que faut-il écouter ? Coquette que vous estes, Vous prestez donc ainsi l’oreille à ses sornettes ? Vous aimez ce vieux Singe ? il vous baise la main ? Par la mort… Vous sçaurez…         Je le niërois en vain. On me l’avoit bien dit, que contre ma defense Vous voyiez un Pié-plat ceans en mon absence, Et que de vos amours on murmuroit tout-bas. Oüy, mon Frere, il est vray, je ne m’en défens pas : De grace, à cet amour soyez plus favorable, Il m’a rendu des soins, il m’a trouvé aimable, Il m’adore, je l’aime, & vous pouvez sçavoir Ce que c’est que l’Amour, & quel est son pouvoir. L’amour dont il s’agit, aprend-il qu’une Fille, Et de nobles Parens, & d’illustre Famille, Doit faire un tel affront à tout une Maison ? L’Amour prend-il toûjours avis de la Raison ? Ah pour vous en punir, je prendray peu des vostres : Ce galant servira d’exemple à tous les autres. Helas !         Vous aprendrez à respecter en moy Un Capitaine en pied du Regiment du Roy, Dieu me damne : Et pour vous, je vous tiendray bien fine, Si vous faites jamais l’amour à la sourdine. Non, non, j’attens de vous une plus douce loy ; J’espere que le sang vous parlera pour moy ; Que malgré ce courroux, vos bontez que j’implore, Donneront à mes pleurs un Amant que j’adore. Non, je ne puis penser que vous blâmiez ce choix, Sur tout quand vous sçaurez que c’est un bon bourgeois Qui m’aime d’une ardeur & sincére & constante, Qui m’offre, avec son cœur, deux mille écus de rente, Qui prétend m’épouser, & me donner la main, Si vous y consentez, mon Frere, & dés demain. Monsieur a, dites-vous, deux mille écus de rente, Et veut vous épouser ?     Oüy.         Vous estes contente De l’avoir pour Epoux ?         Mon amour affermy… En ce cas, je rengaîne, & je suis son amy. Excusez le transport qu’une douleur mortelle A causé contre vous.         C’est une bagatelle. Nos affaires vont mieux.         Vous aimez donc ma Sœur ? Feignons.     Terriblement.         Et nous faites l’honneur De la vouloir choisir pour estre vostre Femme ? Ah l’honneur m’en demeure.         Il est bon, sur mon ame. Vous avez amassé de grands biens par vos soins ? Deux fois vingt mille écus parisis, pour le moins ; Et pour les augmenter, tous les jours je m’occupe. Le drôle croit avoir déjà trouvé sa dûpe. Bien loin de m’oposer à des feux si constans, Je veux contribuer à vous rendre contens : J’aime à voir tant d’amour, & déjà par avance Je vous aime en Beaufrere.     Ah trop d’honneur.         Je pense Que pour l’Hymen mes soins ne vous déplairont pas. Tant-s’en-faut.         Je vais tout disposer de ce pas : Et pour vous faire voir combien je veux vous plaire ; L’Esperance?     Monsieur ?         Va querir un Notaire. Je vous fais marier dans ce mesme moment. Me marier ? Monsieur L’Esperance ?         Comment ? Ne précipitons rien, s’il vous plaist.         Cette voye, En nous comblant d’honneur, assure vostre joye, Et quand l’amour est fort, il est hors de raison. N’importe, diférons de grace, & pour raison. Et pourquoy diferer ? Va, depesche, & l’ameine. Ah me voila gasté ! N’en prenez pas la peine. Demeurez. Attendez. Ah, morbleu, que d’ennuis ! Quelle est vostre raison ?     Monsieur…     Hé bien ?         Je suis Un Homme… qui…         Comment ? quelles mines vous faites ! Je vous dis que je suis…         Ma Sœur dit que vous estes Un honneste Bourgeois ; & m’assure de plus, Que vostre revenu monte à deux mille écus. Il est vray.         Je n’en veux pas sçavoir davantage. Mais, Monsieur… vous sçaurez…     Cela suffit.         J’enrage. Mais pour estre assuré de ma Sœur & de vous, Je prétens qu’à l’instant vous soyez son Epoux : C’est vous parler François, si vostre amour m’oblige. Ces détours à la fin…         Monsieur, je suis, vous dis-je… J’ay pour certaine affaire… un certain embarras… Attendons à demain.         Cela ne se peut pas ; Demain je prens la Poste, & je retourne en Flandre. Ma Sœur, ainsi que moy, se lasseroit d’attendre, Et je veux aujourd’huy vous la voir épouser. Ah je voy bien qu’en vain je veux temporiser. Hé bien, si vous voulez en sçavoir davantage, Je suis…     Quoy ?         Marié, Monsieur, & j’en enrage. Vous avez une Femme, & subornez ma Sœur ? Ah ventre, vous mourrez !     Ah la vie.         Eh Monsieur, Quartier.         Moy l’épargner ? Non, non, il faut qu’il meure. Misericorde ! helas !         Comme ce vieux Fou pleure. Il mourra de ma main.         Eh ne le tuez pas : Morgué, vous sçavez bien qu’il nous faut vingt Soldats, Je n’en ons que dix-neuf, qu’il fasse le vingtiéme, Il portera fort bien un Mousquet.     Moy ?         Vous-mesme. Je suis trop pacifique, & c’est mon grand defaut. Hé bien, j’en suis d’accord, qu’on l’enrôle au plutost, Et le conduis demain avecque la Recruë A nostre Garnison.         Ah cet ordre me tuë. Me mener à la Guerre ! Ah j’aime autant périr, J’y mourray tous les jours de la peur de mourir. Monsieur, de bonne-foy, je suis poltron en diable, Ayez pitié de moy, je suis inconsolable. Tu répondras de luy.         J’aime autant le trépas, Que d’aller à la Guerre.         Hé bien, tu n’iras pas, Tu seras satisfait ; & je te vais, infame, Faire à travers ton corps, un passage à ton ame. J’iray, Monsieur, j’iray, quoy que poltron & vieux ; Et mourir pour mourir, le plus tard vaut le mieux. Vous avez une Femme ?         Evitez ma presence, Coquette, & redoutez l’éclat de ma vangeance. Tu prends le bon party.         Qu’on le fasse sans bruit Partir devant le jour, ou mesme cette nuit. Fais-le équiper de tout.         J’auray soin de l’aubade, Reposez-vous sur moy. Suivez-moy, Camarade. Camarade ? Le Gueux ! Ce Goujat, sans façon, Vit avec moy déjà de pair & compagnon. Je suis parbleu ravy que vous soyez des nostres. Fort-bien. Avec le temps nous en verrons bien d’autres. Est-il bien vray, Madame?         Oüy, je viens de sçavoir Que mon Frère, au plus-tard, arrivera ce soir. Mon malheur désormais n’a plus rien qui m’étonne; Et charmé de l’espoir que ce retour me donne, Je me flate de voir que mon cœur et mes soins, Apres un tel aveu, ne vous plairont pas moins; Qu’en faveur d’un amour que vous avez fait naistre, Vous voudrez bien permettre au vostre de paraistre, Et soufrir que j’adjoûte, en me donnant à vous, Au nom de vostre Amant, celuy de vostre Epoux. Si je sçay jusqu’où va pour moi vostre tendresse, Vous connoissez pour vous combien je m’intéresse. Je ne puis jusques-là vous rien dire de plus: Mais sans perdre le temps en discours superflus, Voyons par quel moyen nous pourrons faire en sorte D’avoir pour cet Hymen l’aveu qui nous importe; Ma Cousine est là haut, et sans sortir d’icy, Nous en pourrons sçavoir…         Madame, la voicy. Vous craignez?         Oüy, je crains quand vous serez connüe… Ne vous allarmez point, je réponds de l’issuë. Vostre Cousine sent son petit Libertin. Hé bien ay-je bon air à faire le mutin? Oüy, sans doute. Que fait Monsieur le Blanc? Je pense… Il est entre les mains du brave l’Espérance: Il est, quoy que grossier, assez dépaïsé; Il en rendra bon compte.         Il sera donc aisé… Je vous ay tanstot dit ce que vous devez faire. Il m’en souvient, Madame, et j’en fais mon affaire. Cato secondera vos soins. Quant à l’effet… L’Espérance paroist, sçachons ce qu’il a fait. Ce que j’ons fait? Morgué, j’avons fait des merveilles: Si quelqu’un l’entend mieux, je donne mes oreilles. Vostre Monsieur le Blanc est un drôle de corps! Il voudroit, pour un bras, pouvoir estre dehors; Je viens de l’enrôler et d’orner sa Figure, En me divertissant, d’un bon Habit de bure; De l’équiper de tout: Mais le régal estoit De voir, en l’habillant, comme il se tourmentoit; Pour en venir à bout, il falloit des machines, Et c’estoit le plaisir car il faisoit des mines Et des contorsions qui vous auroient fait peur: J’en ay ry tout mon soû. Je voudrois de bon cœur Que vous l’eussiez pû voir, la peste me renie; Cela valoit morgué mieux qu’une Comédie. Il tâche à se resoudre, et croit que de pas… Mais où l’as-tu laissé?         Je l’ay laissé là-bas Avec ces aigres-fins que je mene à l’Armée, Qui luy souflent au nez du tabac en fumée; Plus ils faisaient les fous, plus il est sérieux. Il est bien étonné de se voir avec eux. Oüy, ma foy, car ce sont d’assez bonnes Figures. Ah que pour mon dessein j’ay mal pris mes mesures! Avecque mon épée il blessera quelqu’un. Bon ; Son épée, et rien, Madame, c’est tout un: Vous verrez là-dessus son attente trompée; J’ay tantost fait river le bout de son épée. Le brave L’Esperance entend à demy-mot. Je ne nous mouchons pas de la patte d’un Sot, Madame, et Dieu mercy j’y mettons bien la nostre. Il faut que ce discours fasse place à quelqu’autre. Commençons.         Je l’entends, il a fait bande à part. Si vous voulez bien rire, écoutez-le à l’écart. Quel équipage, helas! ma peine est sans seconde; Il faut aller en Flandre, ou bien en l’autre Monde, Me voir en Garnison, pour me sauver de pis, Et quitter pour jamais la vie, ou mon Païs. C’en est fait, me voilà, malgré ma résistance, Soldat de la façon de Monsieur L’Espérance; Ce Fripon m’a donné deux écus malgré moy, M’a fait boire sans soif à la santé du Roy, A paré vingt Pié-plats de semblables jaquettes, A mis en marmotant mon nom sur ses tablettes, A troqué de son chef, sans consulter mon choix, En habit de Goujat, mon habit de Bourgeois; S'est moqué du malheur où mon amour m’expose, Et s’est fait mon Parain, pour m’appeler la Roze. Si pour me consoler, et pour servir le Roy, Tous les Cocus venoient en Flandre avec moy, Je pourrois me vanter, malgré la raillerie, D’aller en Garnison en bonne compagnie. Si je trouvois moyen de sortir de ceans…. Mais j’aperçoy Cato, prenons mieux nostre temps. Elle pleure, je croy. Qu’as-tu, ma Chere? écoute; Vous avez mis ceans, Monsieur, tout en déroute; Et nostre Maitre….     Hé bien?         Il est pis qu’enragé, Là-haut, en vous quittant, il a tout ravagé; Lucinde auroit sans nous essuyé sa colere, Il la vouloit tuer. Voyez la belle affaire! Il n’en a rien fait?         Non; mais devant qu’il soit nuit, Il la veut du Logis faire emmener sans bruit, Et veut que... La douleur m’empesche la parole. Hé bien, dis, que veut-il?         Elle fait bien son rôle. Qu’elle aille pour pleurer ses funestes amours, Passer dans un Couvent le reste de ses jours. Quel malheur! Je croyois que tu m’allois apprendre Qu’il eust fait enrôler, pour l’envoyer en Flandre. Où voyez-vous qu’un Homme à qui l’on s’est fié, Cherche à tromper les Gens, quand il est marié? Mais où diable vois-tu, toy qui me fais la mine, Qu’on enrôle les Gens, pour aimer leur Voisine? Sans vous flater, Monsieur, vous le méritez bien. Vous estes bien heureux…         Quittons cet entretien, Et me dis, aussi bien le souvenir me blesse, S’il n’est aucun moyen de tenir ta promesse Touchant cette Beauté qui venoit visiter… Elle est là-haut, Monsieur, elle y vient de monter. Elle vient visiter Monsieur le Capitaine? Voyant qu’à l’adoucir nostre adresse estoit vaine, Ne sçachant plus que faire, ou dequoy m’aviser, Je la viens d’amener, afin de l’apaiser. Si tu veux voir mes maux meslez de quelque joye, Cato, fait, s’il se peut, qu’un moment je la voye. Tu m’as fait espérer…         Comment faire, Monsieur? Que fait le Capitaine?         Il est avec sa Sœur. Profitons de ce temps, Cato.         Comment s’y prendre? Comment? Va de sa part la prier de descendre; Dy-luy qu’il est icy.         Ne verra-t-elle pas… J’éteindray la chandelle, et luy parleray bas. Je n’attens pour partir, dedans cette occurrence, Que la commodité de Monsieur L’Espérance: Il est nuit; à mes feux cesse de t’oposer, Va…         Je n’ay pas le cœur de vous rien refuser, Je risque tout pour vous; Je vais querir la Belle; Quand vous nous entendrez, éteignez la chandelle. Mieux que je n’esperois, mes soins ont reüssy, Et j’auray le plaisir de partir éclaircy. Il vaut mieux, à mon sens, quelque soin qu’il en coûte, Estre seur une fois, qu’estre toûjours en doute ; Cet éclaircissement peut-estre produira… Eh, la Roze?     Plaist-il ?         Que diable fais-tu là? Ah j’enrage, mon Corps va changer de demeure. Je nous en vons partir.     Quand partir?         Tout-à-l’heure. As-tu ce qu’il te faut dedans ton Havre-sac? T’es-tu fait acheter des Pipes, du Tabac? Non, & n’ay point mangé depuis que l’on me traitte… Va, je boirons un coup tanstot à la Villette; Marche à moy.         Comment donc, partir si promptement? Diférons, s’il se peut, d’une heure seulement. Il est morgué plaisant ! Veux-tu que pour te plaire, Avec mon Commandant je me fasse une affaire? Marche.     Mais…         Marche donc, ou tu seras traitté… Prenez ces trois Loüis pour boire à ma santé, Et ne me forcez point…         Ah Monsieur de la Roze, Deux heures plus ou moins, ne font rien à la chose; Je partirons tanstot, puis que vous le voulez; Je m’en vay boire un coup en attendant.         Allez. Sans argent, mille coups relançoient ma prière. J’entens venir quelqu’un, éteignons la lumière. Monsieur, voilà Madame.         Il suffit, laisse-nous : Ecoutons.         Vous voyez ce que je fais pour vous; Je fais tous mes plaisirs, du bonheur de vous plaire. C’est elle, c’est la voix. Dieu me damne, ma Chère, Je brûlois de vous voir, & ce dernier aveu Va porter à l’excés ce que je sens de feu; Vos bontez me font voir qu’il n’a rien qui vous blesse. Non, vous ne sçavez point jusqu’où va ma tendresse, Combien de vous aimer je me fais une loy, Ny combien votre amour a de charmes pour moy. Jamais…         Pour le bonheur que vostre amour m’anonce, Souffrez que ce baiser me serve de réponce. L’éfrontée! elle croit estre avec son Amant, Et reçoit ses baisers fort amiablement. M’aimerez-vous toûjours? Helas! que j’aprehende… Si je vous aimeray? La plaisante demande! On dit que vous avez un singe de Mary; N’auriez-vous point pour luy le cœur trop attendry? Sur quelque empressement que mon espoir se fonde, C’est vostre Epoux.         Hors vous, tous les Hommes du Monde, Quelque soin que l’on prît à me prouver leurs feux, Ne peuvent rien avoir de charmant à mes yeux : Enfin vous estes seul le maistre de mon ame, Mon cœur ne sent d’amour que pour vous.         Ah l’infame ! Vous passerez la nuit ceans; & vostre Epoux… Je le veux bien pourveu que ce soit avec vous. C’est parler sans enigme, & j’en ay pour mon conte. Ton sang, ame sans foy, va reparer ma honte; Je suis suffisamment instruit de tes amours. Le voila cet Epoux.     Au secours.         Au secours, A l’aide. Ces transports vous sont-ils ordinaires? Estes-vous fou, Monsieur?         Chacun sçait ses affaires. Vous, insulter ceans une Femme d’honneur? Qui cause un tel desordre en ce Logis?         Monsieur. Mon Oncle?     Vous sçaurez…         En un tel equipage! Vous, aller à la Guerre!     On m’a fait…         A vostre âge! Un notable Bourgeois, un Homme de bon sens, Quitter, à nostre insçeu, Maison, Femme, Parens! C’est un tour…         Auriez-vous quelque méchante affaire? Quel desespoir vous chasse avec tant de mystere? C’est un affront, vous dis-je…         Ah non, vous n’irez point. Peste du babillard.         Je suis ferme en ce poinct. Je n’ay pû m’en dédire, on m’a pris…         Il n’importe, Vous ne sçauriez avoir raison assez forte. Je prétens me vanger…         Vangez-vous autrement. Ah le maudit causeur!         Et songez seulement Que vous devez…         Je scay tout ce que je dois faire, Avant que vous fussiez le Fils de vostre Père, Pedagogue importun, dont le zele indiscret Me fait, malgré mes dents, gardien d’un secret. On vous dit que ceans on me fait violence, Qu’on m’a fait enrôler malgré ma resistance, Qu’avec une Recruë un certain grand Pendard M’alloit mener en Flandre un quart-d’heure plus tard. Qui l’a fait enrôler?         Monsieur le Capitaine. Je m’en vais luy parler.         N’en prenez pas la peine, Je le vais avertir.         L’auriez-vous insulté? Jamais: Mais vous sçaurez que ce jeune éventé… Le voicy, vous allez en sçavoir davantage. Je suis faché, voulant me vanger d’un outrage, Que le sort soit tombé sur un de vos Parens; Mais je vous en viens faire l’excuse, & vous le rens: Malgré ce qu’il a fait, je vous en fais le Maistre, Et l’auroit épargné, s’il se fut fait connoistre. Qu’a-t-il fait? quel outrage? & surquoy cette peur? Comment! venir ceans pour suborner ma Sœur? Chez moi, morbleu, chez moi, la Sœur d’un Capitaine? Par la mort… Mais enfin je consens qu’on l’emméne Ou chez vous, ou chez luy, prest à nous allier; En faveur du Parens, je veux tout oublier; Je l’aime, sans sçavoir mesme comme on le nomme, Sa Figure me plaist, je le trouve brave Homme, Au rang de ses Amis je me mets aujourd’huy, Et veux, morbleu, casser un Verre avecque luy. A l’hymen de ma Sœur puisqu’il n’est plus contraire, Qu’on la fasse venir?         Il n’est pas nécessaire. Ne consentez-vous pas à une telle union… Il est vray, j’y consens, mais à condition… Faites que promptement…         Dites-nous, qu’elle est-elle? Quelque difficulté…         C’est une bagatelle; Mais jamais mon Neveu ne sera son Epoux, Qu’il ne se soit coupé la gorge avecque vous. C’est la condition que je mets à la chose. D’un tel emportement, qui peut estre la cause? Mon Oncle, voulez-vous me mettre au desespoir? J’ay mis la Belle à prix, & c’est à vous de voir… A vouloir son trépas, quel motif vous engage? En avez-vous reçeu quelque sensible outrage? Oüy.         J’ay, pour vous vanger, le cœur assez hardy; Mais je prétens sçavoir…         C’est que cet étourdy, Qui fait le goguenard, qui rit, & qui se cache, Me fait…     Hé bien?         Cocu, puis qu’il faut qu’on le sçache. Luy? Vostre Femme a pû…         Je répons de sa foy, Tant qu’elle n’aura point d’autre Galant que moy. Cependant je le suis, & Monsieur la gouverne… Si c’est de ma façon, je veux que l’on me berne; Vous le meriteriez, mais un certain defaut… Fort-bien. Vous n’avez pas une Belle là-haut, Qui vous vient visiter, qui souffre vos caresses? Nous autres Officiers manquons-nous de Maistresses? Il est vray, j’en conviens, mais…         Mais enfin sçachons… Elle n’est point sa Femme, & je vous en répons. Non, car elle est la vostre.         Il faut la voir, & prendre… Je le veux bien. Cato, qu’on la fasse descendre. Si de la Belle en fait je me trouve l’Epoux, Hem?         Vous l’emmenerez tout doucement chez vous. Je serois assez sot…         Calmez cette colere: Je veux vous faire voir combien j’ay sçeu luy plaire, Vous montrer jusqu’où vont les transports des Amans, Que vos yeux soient témoins de nos embrassements, Luy donner devant vous des marques de ma flame, En avoir des faveurs : Et si c’est vostre Femme, Lors que quelque autre Objet aura sçeu me charmer, Que las de ses faveurs, ou cessant de l’aimer, Pour m’en débarasser, je voudray vous la rendre, Vous serez trop heureux encor de la reprendre. Hé bien, vous l’entendez?         C’est un jeune emporté; Mais nous luy rabattrons tanstot sa vanité: Quand nous aurons de tout une entiere assurance, Vous verrez quelle part je prends dans cette offence. Je l’entens, vous serez à l’instant satisfait. Qu’en dites-vous?         Je croy que c’est elle en effet. Permettez qu’à leurs yeux, quelque soin qui les touche, Je prenne deux baisers sur cette belle bouche. La baiser à mes yeux! Ventre.         Dans sa Maison! Oüy, je veux tout tuer.         Vous n’avez pas raison. Qu’importe ? ame sans foy, peste de ta Famille. Pouvez-vous me blâmer, de baiser une Fille? Une Fille!         Oüy, ma foy, c’est à mon grand regret; Aussi-bien est-il temps d’éventer ce secret. Quoy, c’est une Fille?         Oüy, la chose est assurée. Ah si je l’avois sçeu, que je l’eusse bourée! Mais pourquoy, s’il vous plaist, ce beau déguisement? Pourquoy? pour vous montrer à faire le Galant, Et vous aprendre, ayant une Femme bien faite, A n’aller point ailleurs debiter la sornette, A vous tenir content du nom de vostre Epoux, Sans chercher à tromper les Gens plus fins que vous. Elle a parbleu raison, & l’avanture est drôle; Elle a, pour l’en blâmer, trop bien joüé son rôle: Mais puis-je m’assurer, Parent, que cet aveu Ne soit point un moyen de mieux couvrir leur jeu? Non, vous pouvez l’en croire, apres cette assurance. Il seroit bon de voir, la chose est d’importance. Il n’en est pas besoin, voila vostre Garent. Songeons à son repos, pour celuy qu’il me rend. Mon Frere est arrivé, nous voila hors de peine. Comment, le Capitaine?         Encore un capitaine! Je pense qu’il en pleut. Vostre Hymen se fera, Mais ce sera demain, ou quand il vous plaira; J’y consens : Cependant je vay reprendre haleine; Et saluë humblement LA FILLE CAPITAINE.