Entrez, je vais sçavoir, si Celime est visible, Elle est depuis huit jours dans un chagrin horrible, Pour la bien divertir, & faire vôtre cour, Préparez-vous, dans peu je seray de retour. Ah Carlos !     Ah Julie !     Ah Marine!         Ah Tomire! Quels ennuis!     Quels chagrins !     J’en créve.         J’en soûpire ! Helas ! que nôtre sort.         Helas ! que nos malheurs ! Me va causer d’ennuis !         Me vont coûter de pleurs ! Si vous pouviez sçavoir, Julie, à quoy m’expose Le cruel desespoir d’en avoir été cause : Car, enfin, c’est moy seul que j’en dois accuser, C’est moy de qui l’orgueil crut pouvoir tout oser. De vos ressentimens rien ne me peut défendre ; Ma forte passion me fit tout entreprendre, C’est moy seul ; c’est, enfin, ce trop sensible Amant, Que l’amour fit résoudre à vôtre enlevement, Pour finir mon malheur, j’ay seul causé le vôtre ; Mais, enfin, vous veniez d’en épouser un autre, On vous avoit forcée à prendre cet Epoux, Vous m’aimiez tendrement, je n’adorois que vous, Malgré ce que l’Amour m’avoit semblé promettre, Dans son lit, dans ses bras l’hymen vous alloit mettre, Je voyois vos chagrins, vous entendiez mes cris, Quel autre en cet état n’eût pas tout entrepris ? Dans toutes ces raisons ne cherchez point d’excuse. Ce n’est que mon malheur, Carlos, que j’en accuse. Oüy, c’est moy, qui depuis cette funeste nuit, Où prémices cruels du malheur qui me suit, Sans égard pour mes pleurs une Mere inhumaine, Me venoit de livrer à l’objet de ma haine, Je sortois de l’Autel troublée, & dans mon cœur, Cet hymen avoit mis tant de crainte, & d’horreur ; Que sans considerer quelle en seroit la suite, Je crus que mon bonheur dépendoit de ma fuite. Marine m’en pressa, même elle me fit voir, Que fuïr ses Ennemis est le premier devoir, Et ses conseils…         Allons, mettons tout sur Marine, Voyons, qu’ay-je tant fait ? ça que je m’examine, Je vous voyois tous deux desesperez, mourans, L’un enrageoit dehors, l’autre pestoit dedans, L’un souhaitoit sa mort, l’autre juroit la sienne ; Vous me fîtes pitié ; car je suis trop humaine. Vous fûtes enlevée, il est vray, je conviens Que j’en facilitay, de ma part les moyens, Que je vous conseillay d’aller pour cette affaire A Cadix, où Carlos disoit avoir sa Mere ; Et que sans moy l’Hymen alloit se consommer ; Mais, quoy, sçavois-je moy que l’on iroit par Mer ? Et c’est ta faute, à toy, que le malheur engraisse, Chien de porteguignon, tu n’eus jamais de cesse, Que nous ne fussions tous embarquez, car enfin… Eh ! devinois-je, moy, qu’au milieu du chemin, Lors que l’on se croyoit le mieux dans ses affaires, Le Vaisseau seroit pris par ces Chiens de Corsaires, Et qu’ils nous meneroient captifs au port d’Alger ? .............................................................................. Doüaigne interessée, intriguante Courtiere, Il t’a toûjours falu quelque amoureux mystere, Quelque intrigue, & pour toy c’est un faire il le faut ? Car, enfin, on le sçait, on te pendroit plûtôt, Que tu n’eusses toûjours quelque intrigue en campagne. Que ne me laissois-tu vivre en paix en Espagne ; Je me vois sans Amis, là j’en avois un cent, J’y mangeois tous les jours comme un convalescent, J’y riois comme un fou, j’étois gras comme un Moine, J’y dormois en Abbé, j’y bûvois en Chanoine ; Que ne m’y laissois-tu, Traitresse, car c’est toy, Qui m’a mis en l’état fâcheux où je me voy. Laisse-nous en repos, & te tais , va Tomire. Cela vous est facile à vous autres à dire, Qui par bonheur pour vous instruits à bien chanter, Sçavez dire des Airs qu’on se plaît d’écouter ; Nôtre Patron chez luy s’en divertit, & même Tous les jours au lever de la beauté qu’il aime, Depuis que le destin sçût nous assujettir, Vous venez par son ordre icy le divertir. Vous ne manquez de rien, vous vivez à vôtre aise, Mais pour moy qui ne sçait rien faire qui leur plaise, Dés qu’un leger sommeil fait place à ma douleur, Un gros Coquin de Turc dont le diable auroit peur, Disant cent Carachou, se montrant à ma vûë, De dix coups de Gourdin sans façon me saluë. Moy j’ouvre de grands yeux, n’entendant pas ces mots ; Luy de vingt autres coups me chamarre le dos ; Disant sursa cauvé sursa, de son ton grave, Comme si devinant qu’on me feroit Esclave, J’avois dû par avance exprés avoir appris, A parler Turc, avant que le traître m’eût pris. Pour moy je ne sçaurois perdre encor l’esperance De revoir mon Païs.         Et sur quelle assurance ? Sur quoy ?         Je ne sçaurois croire que vôtre Epoux, Ou vôtre Mere n’ait quelque pitié de vous, Vôtre Mere vous aime, & je me persuade Que vôtre digne Epoux D. Brusquin d’Alvarade, Etant fort amoureux avec le bien qu’il a… Enfin le cœur me dit qu’il vous rachetera. C’est se vouloir flater d’un espoir chimerique, Qui leur auroit appris que je suis en Afrique ? Je ne puis plus vous rien cacher en cet état, Lors que nous fûmes pris, un certain Renegat, Touché de ma douleur voulut bien me promettre, Que si je luy voulois donner un mot de Lettre, Il trouveroit moyen de le faire tenir. L’as-tu fait !         La réponce en est prête à venir. Quel Demon ennemy du bonheur de ma vie, Pour me combler de maux t’inspira cette envie ? Tu te devois sur moy remettre du soucy… Ma foy, sauve qui peut, que diantre faire icy ? Et de plus, franchement, puis qu’il vous faut tout dire, Je craignois qu’en perdant l’occasion d’écrire, Quelques Turcs, comme on sçait qu’ils n’en font pas façon, Ne voulût à la fin quelque jour… que sçait-on Ce qu’il auroit voulu ?         Elle a raison, je pense Tenez, ces chiens de Turcs n’ont point de conscience. Où ta fausse pitié nous va-t-elle engager ? Fatiman mon Patron est Gouverneur d’Alger, Pour m’en faire estimer j’ay tout mis en usage, J’esperois par mes soins finir nôtre Esclavage, Mon Oncle…         Tout cela n’auroit rien fait pour nous, Vôtre Oncle tout au plus n’eût racheté que vous. Ah !         Zaïre paroît, cachez-luy vôtre peine. Celime va passer dans la chambre prochaine, Vous l’y pouvez attendre, & vous y concerter, Dépêchez, écoutez, n’allez pas luy chanter De ces Airs indolens qui font dormir le monde, Sa tristesse est déja si grande & si profonde, Que pour peu que vôtre Air soit grave & langoureux, Son chagrin se pourroit répandre sur vous deux. Je vous en avertis.         Nous vous en rendons grace. Elle est depuis huit jours d’un bourru qui me passe, Je ne la connois plus, tout luy déplaît ; Enfin Je me vois tous les jours en butte à son chagrin. Si j’ay de l’enjouëment, elle m’appelle folle : Si je suis sérieuse, elle m’appelle idole ; Si je la suis partout, je la mets en courroux, Si je ne la suis point, j’ay quelque rendez-vous ; Si je la veux servir, je fais la necessaire, Si je ne la sers pas, on ne me voit rien faire ; Si je dis qu’elle est bien, je me plais à flatter, Si je dis qu’elle est mal, je cherche à contester ; Prompte, j’ay trop de feu ; Lente, mon froid la gele ; Enfin je ne sçay point comment vivre avec elle, Son chagrin se répand jusques sur ses amours, Fatiman esperoit l’épouser dans deux jours, Il avoit son aveu, sa passion est grande, Maintenant elle dit, qu’elle veut qu’il attende, Et que pour bien juger de ses empressemens, Elle veut éprouver son amour quelque temps. Dés qu’il la veut presser, son chagrin renouvelle. Ah ! que si j’étois belle & bien faite comme elle, Et qu’avec moy quelqu’un voulût se marier, Je me garderois bien de me faire prier. Mais à propos, entrez, elle pourroit attendre. Fasse le juste Ciel qu’elle se puisse rendre Aux feux de Fatiman ; si l’Hymen concerté Se conclut, il me doit donner la liberté. Quand il donne parole, il la tient sans reserve. Qu’a-t’elle à differer, il faut que je l’observe, Pour sçavoir… Elle vient, son chagrin me fait peur. Ah ! qu’un nouvel amour met de trouble en un cœur, Sur tout lors que l’on craint d’avoir une Rivale ! Vous alliez, disiez-vous, passer dans l’autre Salle, Ces Gens vous attendoient pour vous y divertir, Mais puis que vous voilà, je vais les avertir. Non, demeure.         Eh ! souffrez que je les avertisse, De grace, & trouvez bon que l’on vous divertisse, Vous avez du chagrin, il ne sert qu’à laidir, Tenez, un petit Air vous va ragaillardir, Laissez-moy faire.         Non, avant qu’on les appelle, Je veux t’entretenir, Zaire.         Que veut-elle ? Tu vois icy Julie, & Carlos tous les jours, De quel air la voit-il, & quels sont leurs discours ? Leurs discours ? Jamais Gens autres que des Idoles Ne se sont expliquez avec moins de paroles : Tenez, voulez-vous voir, ce qui se passe entr’eux ; De temps en temps Julie un mouchoir sur les yeux, Pleure en gesticulant, ensuite elle est rêveuse. Elle pleure, gémit, rêve, elle est amoureuse, Et que répond Carlos à cet ennuy profond ? Luy ? tenez. Ah ! voilà tout ce qu’il luy répond. Sans doute, ils s’aiment ; mais quand leurs douleurs s’appaisent, A quoy s’occuppent-ils ? que font-ils ?         Ils se taisent, Jusqu’à vôtre réveil ils sont en cet état, Non jamais entretien de gens ne fut si plat, Et je ne croirois point, sans le voir d’ordinaire, Qu’une Femme jamais pût si long-temps se taire ; Il faut les avertir, je vais prendre ce soin, Ils vous réjoüiront, vous en avez besoin. N’étoit ce pas assez du destin qui me brave, D’avoir soûmis mon cœur à l’amour d’un Esclave, Sans que par un malheur que je ne puis dompter La jalousie aidât à me persecuter ? Si j’en crois leurs regards & ce qu’ils ont de tendre, Carlos… Mais cependant j’ay pû les mal entendre, Ma défiance peut avoir trompé mes yeux, Et le temps & mes soins m’en éclairciront mieux. Les voicy ; Pour sçavoir ce que je crains d’apprendre Avec des yeux perçans je m’en vais les entendre. Approchez, venez-vous, suivant mes volontez Sur les Européens me donner des clartez, De ces Peuples heureux révérez dans l’Afrique, Dont on ne sçait que trop la valeur heroïque ; Allez-vous me chanter par des tons animez Les diverses façons d’aimer & d’être aimez ? Nous allons vous tracer une legere image De ce qu’en ces climats l’Amour met en usage, Madame.         Commencez, je vais vous écoutez. De ce qu’ils vont chanter, tâchons de profiter. Dans ce vaste Univers sur tout ce qui respire, L’Amour étend son empire : Par des ardeurs toûjours nouvelles Le François se laisse enflâmer, Il ne ménage point les Belles ; Mais il sçait s’en faire aimer. Il signor Italien Aime assez bien, N’attrape rien. Il cherche les exploits qui sont de longue haleine, Et quand sous la fenêtre il va chanter sa peine, La signora Est ailleurs impedita. Pour tout secret de l’amoureux mistere L’Alemand sçait donner : C’est l’art de plaire. Et de ne pas aimer en vain, Il est constant toute sa vie Et traite une Silvie Comme un muid de Vin, Il en boit, il en boit jusqu’à la lie. Aussi fidele qu’amoureux, Aussi tendre que l’Amour même L’Espagnol sçait seul comme on aime Et merite seul d’être heureux. Cette diversité de passions m’enchante, Je suis de ce concert extrêmement contente. Vous m’avez plû : rentrez dans vôtre Appartement, Je veux demeurer seule en ces lieux un moment. A vouloir s’ennuïer c’est être industrieuse. Revenez, je me sens aujourd’huy curieuse Ce que je veux apprendre importe à mon repos, Que chacun se retire, il suffit de Carlos. Il suffit de Carlos ! que peut-elle prétendre ? Au Cabinet prochain, cachons-nous pour l’entendre. Carlos vous nous venez apprendre par vos chants Combien dans vos Amours vos cœurs ont de penchans : Mais vous ne m’avez point exprimé ceux des Femmes, Vous êtes connoisseur, vôtre Espagne a des Dames. De grace, apprenez-moy quand quelqu’une à son tour, Abandonne son ame aux charmes de l’Amour, Comment à son Vainqueur dans son ardeur extrême, Pour la premiére fois, elle dit, je vous aime. Madame, cet aveu, si charmant en effet Qui coûte tant à faire, & qui pourtant se fait Dans les occasions diversement s’exprime, Selon la qualité de celle qu’il anime. J’entens de ces beautez illustres par le Sang, De mon âge à peu prés, Carlos, & de mon rang. S’il se trouve en son choix plus ou moins de distances, Il faut ou qu’elle attende ou fasse les avances, Madame.         C’est à dire, en ces transports si doux, Que si celuy qu’elle aime est d’un rang au dessous, C’est elle qui se doit expliquer la premiere ? Oüy.         Mais de s’énoncer, comment est la maniere ? D’abord par ses regards, truchemens de son cœur, Elle le fait sçavant de son prochain bonheur, Invente des bienfaits, se plaît à les répandre. Et si le Cavalier ne veut pas les entendre. Personne n’est aveugle à cette passion, L’Amour voit clair, & plus encor l’ambition, Si le respect oblige à quelque retenuë, La Dame ouvre son cœur ; parle, elle est entenduë. Mais (car je prétens tout sçavoir) si par malheur, Le Cavalier ailleurs avoit donné son cœur. A son premier amour s’il veut être fidelle, Que dit à ce mépris la Dame, que fait-elle ? Malheur au Cavalier qui méprise ses vœux, Et plus encor malheur à l’objet de ses feux. Qu’en ce funeste état ces Amans sont à plaindre ! Dans sa fureur la Dame offensée est à craindre, Pouvant tout dans sa haine, elle n’épargne rien. Regardez-moy, Carlos, envisagez-moy bien. Sur mon front, dans mes yeux, lisez vôtre avantage, Je vous permets, Carlos, d’expliquer leur langage, Et de prendre pour vous ce qu’ils ont de douceur : Comptez sur mes bienfaits, comptez sur ma faveur. Vivre en sa liberté, dans ce climat barbare, Est le moindre des biens, que ma main vous prépare. Portez donc jusqu’à moy vos regards & vos vœux, Ma bouche vous l’ordonne ; Aimez-moy, je le veux ; Obeïssez, craignez d’irriter ma tendresse, Je puis tout en ces lieux, pensez-y, je vous laisse, Songez que vôtre sort dépend de mon repos, Vous me rendrez tantôt réponce. Adieu, Carlos. Elle aime cet Esclave ! Ah ! quelle extravagance ! Mais il faut la rejoindre, & garder le silence. L’ay-je bien entenduë, ou me suis-je abusé, A quel plus grand malheur pouvois-je être exposé ? Puis-je jusqu’à l’aimer, sans horreur me contraindre ? Et puis-je mépriser son ardeur sans la craindre. Helas ! mille dangers m’allarment tour à tour, Je crains également sa haine & son amour. Je me pers, & n’osant resister ny me rendre… Monsieur aprés cecy vous n’avez qu’à vous pendre. Qu’est-ce encore, que viens-tu m’annoncer ?         Un malheur A se desespérer, à mourir de douleur, Et, comme je vous l’ay déja dit, à se pendre, Et si vous m’en croyez, vous irez sans m’entendre… Julie est-elle morte, & le destin jaloux… Non.     Que me dis-tu donc ?         Qu’elle est morte pour vous. Qu’elle vit pour un autre, & que jamais œillade... Comment !         Vous connoissez Dom Brusquin d’Alvarade, Ce brave Dom Brusquin, cet obstacle à vos feux, Fantasque comme un diable, & jaloux comme deux, Maussade comme trois, avare comme quatre. Et bien ?     Il est icy.         Que d’ennuis à combattre ? Ah Ciel ! il est icy, qui te l’a dit ?         Mes yeux. Ne t’ont-ils point trompé ?         Non, je vous répons d’eux. Il est icy ?     Luy-même.         Où le Ciel me destine ! Voilà ce qu’ont produit les Lettres de Marine : Mais où l’as-tu trouvé ; comment sur son rapport ? Tout à l’heure, Monsieur, en allant vers le Port, Je l’ay vû d’assez loin descendre d’une Barque ; Et comme sa figure est assez de remarque, Les Turcs railleurs aprés l’avoir examiné, En luy riant au nez l’ont tous environné, J’ay fait comme eux, voulant m’éclaircir davantage ; Mais dés que de plus prés j’ay pû voir son visage, J’ay vû que c’étoit luy, je ne puis vous flater ; Sur tout quand il a dit, qu’il venoit racheter Sa Femme, qui depuis six mois en Barbarie, Etoit chez Fatiman sous le nom de Julie. Juste Ciel !         Vous sçavez qu’il ne vous connoît point ; Venez vous éclaircir vous-même sur ce point. Venez.         Et bien ! allons nous montrer à sa vûë, Il mourra de ma main si la chose est concluë ; Ou si Julie enfin doit partir de ces lieux, Je ne le verray point sans mourir à ses yeux. Si vous voulez, Monsieur, faire quelque folie, Ne m’allez pas mener avec vous, je vous prie, On met à la raison les mutins en ces lieux, Séparons-nous plûtôt ; car, enfin, j’aime mieux, Quoy que je sçache bien qu’il faudra que je meure, Etre Esclave cent ans, que pendu demi-heure, Je vous en avertis, examinez-vous bien. Autrement…         Vien, suis moy, Tomire, & ne crains rien. Fin du premier Acte. Si Julie encore vous est chere, Ne pensez point à la chercher Autre part que dans Alger. Son malheur en a fait le butin d’un Corsaire. Ah, morbleu !… Fatiman Gouverneur dans ces lieux Nous tient Esclaves toutes deux. En payant nos rançons, nôtre ennuy se termine, Ne perdez point de temps, secondez nos souhaits, Elle est plus belle que jamais, Et moy plus que jamais, & caetera, Marine. Quoy, Monsieur, sur le point de revoir en Julie, Aprés six mois d’absence, une Femme cherie, Quand à terre à couvert de l’orage, & du vent, Dont le bruit & la peur vous menaçoient souvent ; Je me flatois de voir Dom Brusquin d’Alvarade, Ne songer qu’à la joye & qu’à faire gambade, Vous êtes tout chagrin, & malgré tous mes soins, Je vous vois…         Malepeste ! on le seroit à moins, Tant qu’avec toy sur Mer a duré le voyage, Je n’avois dans l’esprit que la peur du nauffrage. La crainte du peril me donnoit des frissons, Et maintenant tout plein de mes jaloux soupçons, J’ay, quand je vois ces Turcs, leur port & leur allure, Des frayeurs pour mon front de fort mauvais augure. Oüy, quand je me remets que presque entre mes bras, Par un coup de Demon que je ne comprens pas, On m’a ravy Julie, & que je me rappelle, Le chagrin qu’elle avoit quand j’étois auprés d’elle, Les pleurs qu’elle versa, que j’étois son Epoux, La peine qu’eut sa Mere, à la fléchir pour nous, Et que de bonne foy, tout de bon j’examine, Que j’ay l’humeur bouruë, & que je péche en mine, Que chez un Turc la belle est à discretion, Que ce sont gens amis de la conclusion, Contre qui, sans miracle, une Belle captive, Soûtient mal-aisément six mois de négative, Certain instinc fondé sur beaucoup de raison, Me dit que ce sera grand hazard si mon nom, Occupant d’un Railleur le papier & la plume, Des Maris baffoüez ne grossit le Volume. C’est d’un pareil scrupule être trop combattu, Monsieur, Julie est sage, elle a de la vertu, Et vous devez enfin mieux juger en vôtre ame. Elle est sage, il est vray ; mais enfin elle est Femme, Et cette qualité seule peut là-dessus Servir de contre-poids à toutes les vertus. Mais si pour vôtre honneur vous aviez tant d’allarmes, Pourquoy venir si loin la chercher, par quels charmes, Craignant pour vôtre sort le fruit de ses Amours, Hazarder sur la Mer vôtre argent, & vos jours ? Ah ! j’ay pour mes pechez, pour elle un chien de tendre, Qui n’a jamais voulu me rien laisser entendre : Et mon penchant plus fort que toute ma raison, N’a pü faire avorter cette demangeaison. A peine un Matelot, que le Ciel extermine, M’eut confirmé l’avis que me donnoit Marine, Que le Diable ennemy juré de mon repos, Me fit mettre ma vie à la mercy des flots ; Comme si pour ces flots, ou pour Dame Fortune, J’avois un sauf-conduit signé du Dieu Neptune. Vous en repentez-vous ?         Je ne sçay ; mais je crois Que si j’étois chez moy, j’y songerois deux fois, Ce noir pressentiment où ma raison s’obstine, Me fait…         Mais il faut bien que cecy se termine. Vous en avez trop fait, pour ne pas achever, On sçait à quel dessein vous venez d’arriver, Et vôtre Femme, enfin, ou coquette, ou fidelle, En payant sa Rançon vous sera…         Bagatelle, Si je puis découvrir que ce Turc pour début Se soit fait de son chef icy mon Substitut, Qu’il se soit par ses mains, enfin, de quelque sorte Payé de l’interêt de l’argent que j’apporte ; Et que ma Femme enfin avec ce Fatiman, Ait mis son cœur à prix, & mon front à l’encan, Je dis, nescio vos, & m’en vais sans replique, Et l’affaire entre nous est fort problematique. Et qui sçaura cela chez vous, quand par vos soins... Pour n’être pas crû sot, un Homme l’est-il moins, Dis, Maraut ?         Mais pourquoy jusques en sa demeure? On me doit faire voir Marine tout à l’heure, Un Esclave en entrant me l’a promis ainsi, Moyennant…     J’entens bien.         Et je l’attens icy. Vois-tu, je veux sçavoir avant que de conclure, Sur quoy, par qui, comment, & par quelle avanture Julie est en Alger ? Car à te parler net, Je crains fort dans cecy quelque complot secret ; Je n’ay pû jusqu’icy penétrer ce mistere, Marine avecque moy n’est pas Fille à se taire, En la flattant un peu je puis être éclaircy De tout ce que je crains d’apprendre ; La voicy. Prens bien garde…     Suffit.         Vous voyez, je m’acquitte, Je vous suis obligé, Serviteur.         Je vous quitte. C’est luy-même, & d’abord je l’ay bien reconnu. Ah ! Monsieur.     Dieu te gard.         Soyez le bien venu. Bien ou mal, me voilà. Concluons.         Quoy ! vous-même Venir jusques icy !         Que veux-tu, quand on aime On est sot, on est fou de mettre tous ses soins… On seroit bien fâché que vous le fussiez moins. Passons.     Julie aura…         Comment se porte-t’elle ? Bien.         Comme de tous temps j’ay reconnu ton zele, Et que jamais pour moy tu n’eus rien de caché, Avant que de conclure icy nôtre marché, J’ay voulu te parler un peu sur cette affaire ; Sûr qu’avec ta franchise & ton zele ordinaire, Par amitié pour moy mettant la feinte au croc, Tu vas à cœur ouvert…         Oh ! cela vous est hoc. Parlez, je suis pour vous tout cœur.         Ta récompence Au reste passera de loin ton espérance, Et je t’ay préparé de quoy te voir un jour, Au dessus…. tu sçauras le reste à mon retour. Ah ! Monsieur, parlez donc.         Dis-moy, je te conjure, Comment, à quel dessein, & par quelle avanture Vous êtes toutes deux icy depuis ce soir. L’avanture, Monsieur, est aisée à sçavoir. On venoit de souper, la soirée étoit belle, Julie étoit chagrine, & je fus avec elle Faire un tour de Jardin, en attendant la nuit, Tout d’un coup regardant que l’on faisoit du bruit, Je vis des gens masquez, qui d’abord qu’ils nous virent, Sans être épouvantez de nos cris, nous saisirent, La porte du Jardin s’ouvrit en même temps, Un Carosse étoit là; l’on nous jetta dedans ; Touche Cocher, dit-on, l’embarras de la Nôce… Et vous êtes venus sur la Mer en Carosse ? Sur la Mer en Carosse ! Eh qui vous dit cela ? Ecoutez jusqu’au bout.         Lors qu’on vous enleva, Vous criâtes bien fort ?         Bien fort ? A pleine tête, Au voleur, au secours, au meurtre, arrête, arrête. Non, pour du bruit, jamais Femme n’en a tant fait. Il falloit que ces gens eussent quelque secret Pour avoir rendu sourds, pendant tout ce ravage Tous les gens du Logis, & tout le Voisinage, Car dedans ny dehors pas un n’entendit rien. Enfin, il est pourtant très assuré…         Fort bien. Passons.         Nous arrivons au Port, où cette Trouppe Du Carrosse nous mit dedans une Chalouppe, De là dans un Vaisseau qui n’attendant plus rien… Et que se passa t’il ? Car, enfin, l’on sçait bien Que quand pour s’exposer à diverses fortunes, On enleve les Gens, ce n’est pas pour des prunes. A peine eût-on été quelques heures en Mer Qu’on vit avec le jour les Corsaires d’Alger Prêts à nous attaquer, on voulut se défendre, On se battit long-temps ; mais il falut se rendre, On nous prit, & pour nous le Corsaire adoucy, Nous prit dans son Vaisseau, pour nous conduire icy, Où depuis…         Franchement je trouve cette histoire Peu possible ; mais bien tres difficile à croire, Que devinrent ces Gens masquez dont les efforts Avoient…         Apparemment ils sont captifs, ou morts, Mais comme pas-un d’eux ne montra son visage, Je ne vous en puis pas apprendre davantage. Fatiman étoit donc ce Corsaire d’Alger. Il en est Gouverneur, & ne va guere en Mer. Ce fut un autre Turc.         Comment, en sa puissance. C’est qu’il est Gouverneur.         Et quelle consequence ? En cette qualité par un droit peu commun, Des Esclaves qu’on fait, de huit il en prend un, Il nous vit, & d’abord nous prit pour son partage. Sans doute que ce Turc, comme c’est leur usage Avoit quelque Serail à meubler, sur ma foy… Toûjours prêt d’expliquer…         Tout doucement dis moy ; Tu sçay bien qu’il manquoit, lors que l’on prit Julie, A nôtre Mariage une Cerémonie. Quelle Cerémonie ?         Eh ! celle que l’Amour Ordonne à frais communs la nuit de ce grand jour. Celle chez qui des gens que l’on marie ensemble Fait un nœud gordien du nœud qui les assemble. Qui lors que l’on nous eut l’un à l’autre conjoint, Devoit le soir… Enfin, celle qu’on ne fit point. Eh bien ?         Je voudrois bien avant que de conclure, Sçavoir si quelque Turc épris de sa figure Ne s’est point….     Quoy ?         Chargé de la commission De mettre nôtre Hymen dans sa perfection. Quels contes ! Par ma foy, c’est grand dommage.         Ecoute, Tu crois donc qu’il ne s’est rien passé ?         Le beau doute ! Qu’auprés d’elle ce Turc n’a jamais entrepris De mettre sur mon frond les Armes du Pays, Que de force ou de gré pas un n’a rien eu d’elle ? Pas un.         Et qu’elle soit aussi sage que belle. Vous n’en sçauriez douter sans luy faire un affront. Vivat, je trouve icy sûreté pour mon front. Croyez-en mon rapport, & vous mettez en tête Qu’elle a toûjours trouvé Fatiman fort honnête, Fort civil, obligeant, même respectueux ; Outre que quand pour elle il eût senty des feux, Il eût perdu son temps, puis qu’enfin ma Maîtresse Sur ce chapitre là n’en doit rien à Lucrece. C’est à dire, entre nous, parlant de bonne foy ; Qu’à son défaut, ces Turcs se sont passez de toy. Quels discours ! N’avez-vous rien de meilleur à dire ? Va, je n’en diray rien, cecy me peut suffire. Fatiman vient, je sors…         Peste ! quel égrillard ! A son air je crains bien d’être venu trop tard ; Et que sur mon honneur, enfin, étant à même, Comme sur la capture il n’ait pris le huitiéme. Voilà cet Espagnol dont on vous a parlé. Salut, suis-je venu pour être contrôllé ? Messieurs, afin qu’icy personne ne l’ignore, Je prétend avec vous traiter de Turc à Maure. Vous avez pris sur Mer ma Femme sans façon, Rendez-la moy de même, en payant sa rançon : Çà répondez-moy juste au discours que j’entame. J’ay de l’argent, de plus j’ay besoin de ma Femme. Ta Femme, ce n’est pas Julie, apparemment ? Comment ? Est-ce la vôtre ? Hem ! parlez franchement. Non. Mais pour une Femme aussi bien-faite qu’elle, Franchement, je te trouve un Mary sans modelle, A ne te pas flater, car la beauté qu’elle a… Il n’est pas à present question de cela ; Pour ne pas chamarrer le dessus de ma lévre Comme l’on fait icy, d’une barbe de Chévre, Sçachez qu’étant un jour tête à tête au Pays, Nous ne manquerions pas… Bref chacun vaut son prix, Elle est pourtant ma Femme, ou peu s’en faut, je n’ose… C’est un malheur pour elle.         Ah ! parlons d’autre chose, S’il vous plaît.         J’y consens, je voy bien que tes vœux Vont à vous voir chez vous bien réünis tous deux. Tu meurs de la revoir, car je lis dans ton ame, Elle a de la beauté, tu l’aimes, c’est ta Femme ; C’est pourquoy je ne veux que six mille Ducats, Pour la mettre en tes mains.         Quoy ! vous n’y songez pas. Comment, pour une Femme ?     Ouy.         Peste, quelle Somme Combien faudroit-il donc vous donner pour un Homme ? A bien meilleur marché je vendrois leurs maris, Ce beau Sexe chez nous est un tresor sans prix. ........................................................................... Je vous conseille fort, pourtant, de n’en plus prendre. De Femmes ?     Ouy, sur tout des environs.         Pourquoy ? C’est que pour vous parler franc, & de bonne foy, Je vois force Maris qui passent pour tres-sages, Qui vous les laisseroient sûrement pour les gages, Et je vous suis garant qu’ils en seroient ravis. Faites-nous bon marché pour nôtre droit d’avis. Contentez-vous du tiers pour elle & pour Marine, C’est beaucoup. Il ne faut point tant faire la mine. Tu les veux toutes deux.         Ouy, je l’avouë aussi, Si l’on vendoit chez nous les Femmes, comme icy, Pour moitié de l’Argent que j’offre pour la mienne, J’en aurois, à choisir, du moins une douzaine. Finissons, je suis las d’un pareil entretien, Tu perds icy ton temps, j’en veux cinq mil, ou rien, Regle-toy là-dessus, & prens bien tes mesures, J’en demeure d’accord, ces Loix sont un peu dures ; Mais cependant il faut ne me voir desormais, Que l’Argent à la main, & me laisser en paix. Allez…         Quelle Somme ! Ah ! j’en ay la mort dans l’ame, J’aimerois presqu’autant qu’ils gardassent ma Femme. Ils pourroient s’en dédire, il faut se dépêcher. Ah, Chien de Turc !     Plaît-il ?         Je m’en vais vous chercher Les cinq mille Ducats.         Cette affaire est concluë. Allons voir si Celime est enfin résoluë A terminer l’Hymen qui me doit rendre heureux. La voicy.         Quel bonheur vous présente à mes yeux ? Qui vous ameine icy ?     Vous-même.         Moy, Madame. O Ciel! à quel dessein?         De vous ouvrir mon ame. Qui vous cause ce soin, Madame, est-ce l’Amour ? Je l’avouë, il me fait vous chercher à mon tour. Et l’Hymen suivra-t’il ce feu qui le devance ? Oüy, luy seul à present fait mon impatience. O trop heureux mortel ! O fortuné moment ! A qui dois-je, Madame, un si grand changement ? Je ne suis pas ingrate, & je vais vous l’apprendre. Tout ce que dans mes yeux vous remarquez de tendre, Ces feux qu’heureusement vous comprenez si bien, Me viennent d’avoir vû cet Esclave Chrétien. Quoy, Madame…         Jamais ; croyez, s’il est possible, Vous ne me pouvez faire un plaisir plus sensible, Que d’en avoir fait choix pour me dés-ennuyer, Dans ses Chants que jamais je ne veux oublier, Il a tant fait sentir à mon ame charmée, L’agréable douceur d’aimer & d’être aimée, Que mon cœur se dévouë à l’Amour desormais, Et d’un heureux Hymen je fais tous mes souhaits. Que ne luy dois-je point ? que ma surprise est grande. O Ciel !         Puis-je pour luy vous faire une demande, C’est de sa liberté ; me l’accorderez-vous ? Moy, Madame, je vais luy rendre un bien si doux. J’y cours.         Non, laissez-moi ce petit soin. Zaïre, Vous l’entendez, Carlos est libre ; allez luy dire, Et par vôtre discours faites-luy concevoir, Qu’aprés ce grand bien-fait, il songe à son devoir. J’y vais, Madame.         Aprés ce que je viens de faire, Je puis donc me flater de l’Hymen que j’espere ? Je puis…         Si le destin favorise mes pas, Vous verrez des transports que vous n’attendez pas, Adieu.         De mon amour la confiance fidelle, Enfin va remporter…         O la fine Femelle ! Qui, Celime ?     Oüy.         Comment, au lieu de la loüer… Quoy, vous ne voyez pas qu’elle veut vous joüer ? Elle ?     Elle aime Carlos.         Ah ! quelle perfidie ! Ciel ! elle aime, dis-tu, Carlos ?         A la folie. D’où sçais-tu cet amour dont elle brûle en vain, Dis-moy ?         Tantôt cachée au Cabinet prochain, J’ay de ses feux naissans, entendu le mistere, Dans l’aveu qu’à Carlos, sa bouche en a sçu faire, Elle luy promettoit des biens en quantité, Dont le moindre à ses yeux étoit la liberté, Et c’est pour ce sujet qu’elle l’a demandée. De quelle passion est-elle possédée ! Et Carlos qu’a t’il dit ? tu l’as bien entendu ? Interdit & confus il n’a rien répondu. De ce complot maudit je veux sçavoir la suite, Zaire, j’en commets le soin à ta conduite. Va trouver Dom Carlos, comme elle te l’a dit. Acheve exactement ce qu’elle t’a prescrit. Observe adroitement ses yeux, sa contenance Ses gestes, ses discours, & même son silence ; De peur d’être surpris dans cet Appartement, Tu viendras dans le mien m’instruire promptement, Vole, ta liberté que ma bouche a jurée, Sera par ce service encor plus assurée. Pour redevenir libre, allons trouver Carlos. Zaire ?… Elle me fuit, tout nuit à mon repos, Je cherche en vain Carlos pour adoucir ma peine. En vain… Mais le voicy, mon bonheur me l’ameine. Carlos me laissez-vous en proye à mes douleurs ? Venez avecque moy détourner mes malheurs ; Pour empêcher ma mort, allons trouver Celime. Ah ! quel empressement de la voir, vous anime ? Madame.         Dom Brusquin est icy dés ce jour, Avecque Fatiman il traite mon retour. Par ce rachat cruel livrée à ce barbare, Demain nôtre malheur pour jamais nous separe, Et Celime pourroit auprés de Fatiman… Ah ! nous sommes perdus, s’il faut son agrément. Et plus que Dom Brusquin, elle est nôtre Ennemie. Comment ?         Vous le diray-je, helas ! belle Julie, Pour cet infortuné, par un instinc jaloux, Elle a le même cœur, les mêmes yeux que vous. Elle vous aime ? helas !         Elle a sçû me le dire. L’aimez-vous ?         Moy ! Madame, ah ! plûtôt que j’expire A vos genoux…         Allons pour consommer cela… Que voy-je icy ? ma Femme !     Ah !         Que faites-vous là ? Parlez, travaillez-vous tous deux pour nôtre honte. Je ne suis pas icy pour vous en rendre compte. Me voilà, quel accüeil ! Quoy sans sçavoir nâger, Quand de la Mer pour vous je brave le danger, Je ne vous vois pour moy remüer pié ny patte. Vous ne pouvez, du moins me dénier ingrate, Que vous voyez en moy vôtre Liberateur. Je ne puis voir en vous, que mon Persecuteur. Suis-je pas un grand Sot d’aimer cette Traîtresse ? Mais puis que rien ne peut guerir tant de foiblesse, Et que le Diable épargne enfin si peu de fronts, Hazard à mon marché, concluons & partons. Fin du second Acte. D’un air brusque, augmenté par sa mélancolie, Le brave Dom Brusquin pour rachetter Julie, Vient de nous délivrer les cinq mille Ducats. Impatient de voir sa Femme entre ses bras, Pour partir promptement il demande Audiance, Il est proche d’icy ; vous plaît-il qu’il avance ? Non, lors que je voudray le voir, il entrera. Luy diray-je le temps, quand…         Quand il me plaira, En faveur de Carlos, je prétens, quoy qu’il die, D’avec ce Dom Bouru démarier Julie. La remettre, Zaire, à cet heureux Amant, Pour prix d’avoir été sincere à Fatiman. Oüy, ce qu’il m’a fait voir pour moy contre Celime, L’assure pour jamais de toute mon estime. Quant à l’Ingrate, enfin, je veux jusques au bout La suivre, la surprendre, & la confondre en tout. Par des Airs concertez & chantez devant elle, Insulter, irriter son ardeur criminelle ; Toy, comme je l’ay dit, agis de ton côté, Sûre que mes bienfaits suivront ta liberté. Pour me voir libre, allons trouver… Elle s’avance. Je ne puis resister à mon impatience ; J’ignore si Carlos a remply son devoir, Je brûle de l’apprendre, & crains de le sçavoir, Zaïre est paresseuse &… La voicy. Zaïre, De la part de Carlos que venez-vous me dire, A-t’il avec transport reçû sa liberté, De quels regards, Zaïre, a-t’il vû ma bonté ? Je voudrois, dans l’état où j’ay trouvé son ame, Que de vos propres yeux vous l’eussiez vû, Madame. Pour en être surprise autant que je la suis. La joye est éclatante aprés de longs ennuis. Il t’a, je m’imagine, avec peu de conduite, Fait des remercimens par des discours sans suite, Et qu’il viendroit bien-tôt redevable à mes soins Embrasser mes genoux.         Luy ! Madame, rien moins. A le voir interdit, rêveur, muet, stupide, Le regard égaré, le visage insipide, D’une froide sueür il a paru trempé, Comme si du Tonnerre il eût été frappé. Un bien qu’on n’attend pas surprend & saisit l’ame, Enfin il a parlé ?         Rien moins encor, Madame : De rompre le silence en vain je l’ay pressé, Plus je montrois d’ardeur, plus il étoit glacé, Et sur son teint, du Rouge ayant perdu les charmes, Grosses comme des poix j’ay vû couler ses larmes. On pâlit de surprise, & la joye a ses pleurs. Non, si je m’en rapporte au langage des cœurs, Les siennes à Julie exprimoient le contraire. Quoy, Julie… Au récit que tu luy viens de faire Elle était donc présente ?         Ils ne se quittent pas, Madame.         Le crois-tu charmé de ses appas ? Seroit-il aimé d’elle, est-ce un plaisir qu’il goûte ? Il ne m’en a jamais parlé, mais je m’en doute. Un desir curieux me porte à le sçavoir, Et je veux… Mais quel Homme icy viens-je de voir ? C’est Tomire, autrefois son Valet.         Va luy dire, Que je veux luy parler, & qu’il vienne.         Tomire Viens, on veut te parler.         J’allois chez Fatiman, Courir executer l’ordre & l’empressement Du brave D. Brusquin, qui demande audience, Vous voyant, par respect, je retournois.         Avance Vien. Autrefois Carlos étoit servy par toy ? Parle.         Il n’a jamais eû d’autre Valet que moy. Et tu l’aimes ?         Autant qu’un Valet aime un Maître. Il est noble en Espagne ?         Oüy, tout ce qu’on peut l’être. Quelle honte ! j’admire étant de qualité, Comment par sa Famille il n’est pas racheté ! En Europe souvent, quoy qu’ils soient en estimes, Madame, noble & gueux sont termes synonimes ; Carlos auroit ces noms sans l’espoir singulier D’un Oncle riche & vieux dont il est heritier, Dieu mercy.         Mais ayant cet Oncle, est-il croyable Qu’il l’abandonne ?         Il est avare comme un Diable ; Madame, & nous verroit plûtôt crever tous deux, Que de donner un soû.         Sa mort proche, étant vieux, Enrichira Carlos d’une assez grande Somme. Il est vray qu’il est vieux, mais comme c’est un Hõme Qui depuis le berceau pour nous faire enrager, Ne s’est fait, ny seigner, ny droguer, ny purger, Et qu’il ne veut point voir de Medecins, je doute Qu’il meure encor.         Parlons d’autres choses, écoute Carlos t’ouvroit son cœur, te connoissant prudent ? J’ay toûjours, quoyqu’indigne, été son Confident. Conte-moy ses Amours ?         Oh ! Ces Historiettes De mysteres galants, d’intrigues, d’amourettes, Comme vous jugez bien sont de petits secrets, Qu’un Valet bien discret, ne révéle jamais. Ainsi, vous voulez bien me dispenser, Madame, De découvrir icy le secret de sa flâme. Ce Dom Carlos dont j’ay ménagé les Amours, Fut mon Maître, & je veux m’en souvenir toûjours. Tel que vous me voyez, j’ay pour luy tant de zéle, Que je veux être un jour cité comme modéle, D’un Valet achevé, malheureux, mais nazard ; Et je ne haï rien tant qu’un Valet babillard, Qui veut à tous venans, même sans les connoître, Conter de but en blanc les Amours de son Maître. Carlos est bienheureux que sa condition Luy conserve un tel zéle ; & ta discretion Me paroît à la fois si rare, & si loüable, Que le plaisir que j’ay de t’en trouver capable, Est payé de ce prix.     Oh ! C’est…         Prens, j’aime à voir Que rien contre Carlos n’ébranle ton devoir. Son interêt m’est cher : qu’à l’avenir ton zéle, Ne démente jamais une ardeur si fidelle, Tu sçais tous ses secrets, garde-toy d’en parler, Et meurs plûtôt cent fois que de les reveler. Oh !         Quant à ses Amours qu’on auroit peine à croire, Carlos m’en a conté tantôt toute l’Histoire. Ce n’est plus à present un mystere pour moy, Il m’a dit qu’il aimoit Julie.         Ah ! je le croy, Cela n’est pas nouveau.         Qu’une ardeur mutuelle Rendoit malgré leurs Fers leur Amour éternelle ; Par quel hazard ils ont perdu la liberté, Leurs traverses, leurs pleurs…         Il vous a donc conté Comment il l’enleva du logis de sa Mere ; La rencontre qu’il fit de ce Vaisseau Corsaire ? Ouy, vôtre Embarquement, & comment on vous prit. Le desespoir qu’il eut.         Il vous aura donc dit, Là… que la chose fut justement accomplie, Dans le tems qu’on venoit de marier Julie, Qui haïssoit à mort l’Epoux qu’on luy donnoit, Que deux heures plus tard l’Hymen se consommoit. Il m’a dit tout cela de point en point, Tomire. Il faut que sur son cœur vous ayez grand empire, Pour s’être ouvert à vous ainsi, j’en suis surpris, J’estime fort Carlos.         Et vous a-t’il appris Que ce vieux Singe, à qui l’on maria Julie, Est pour la rachetter dés hier en Barbarie, Et qu’avec Fatiman il a fait son marché ? Je le sçay, & Carlos m’en paroît si touché, Que sensible à l’ennuy qu’il m’en faisoit paroître… Hé bien ! voyez un peu le caprice d’un Maître, Il l’a dit, il n’auroit point cessé de crier, Si j’en avois ouvert la bouche le premier. Le monde est ainsi fait.         Cette triste nouvelle, Me donne pour Carlos, une douleur mortelle, Car il perd sa Maîtresse, & l’ennuy qu’il en a… Ne vous affligez point, si ce n’est que cela ; Depuis une heure ou deux tout a changé de face. Quoy ! ne me cache rien, dis-moy ce qui se passe. Je n’en suis pas encor tout-à-fait informé, Mais je viens de laisser Carlos joyeux, charmé, Parlant de se voir libre, & vous nommant, Madame, Avecque des transports qui découvrent son ame. Vous m’en aviez, Zaïre, informée autrement. J’ay dit ce que j’ay vû, Madame, assûrément, Carlos étoit chagrin & triste en ma présence. C’est donc qu’il a voulu vous cacher ce qu’il pense ; Car c’est un fin matois, à le dire entre nous, Mais maintenant avec Julie, à ses genoux, Sa bouche tendrement sur ses mains attachées, Il les baise d’un air dont vous seriez touchée ; Je m’en vais leur conter, Madame, avec ardeur Combien vous témoignez de joye à leur bonheur. Non, laisse-moy ce soin, & ne dis rien, Tomire. Je me tairay, Madame, & vous n’avez qu’à dire. M’estes-vous infidelle, & me tromperiez-vous, Zaïre ?     Moy, Madame, ah !         Craignez mon courroux. Vous sçavez qui je suis ; malheur à qui m’offence. Et quel seroit le fruit de cette intelligence ? Je retourne de prés les examiner mieux. Non, je n’en veux plus rien sçavoir que par mes yeux. Demeurez ; Mais qui vient me chagriner.         Madame, Fatiman pénétré du bonheur de sa flâme ; Pour devancer l’Hymen qui doit le rendre heureux, Et répondre aux transports de son cœur Amoureux, Vous offre ce Coffret remply de Pierreries. Je suis bien obligée à ses galanteries. Tenez, Zaïre, adieu.         Dans ce même moment Il vous fait préparer pour divertissement, Un Opera chanté par Carlos, & Julie ; Mais il craint toutefois que ce chant vous ennuye. Non, non, j’ay des raisons pour m’y bien divertir Si-tôt qu’il sera prêt, qu’on me fasse avertir. Elle n’est pas sensible à l’Amour legitime. J’ay peur que Fatiman… il vient.         Comment Celime A-t’elle envisagé mon present ?         Froidement. Et que t’a-t’elle dit du divertissement ? Avec beaucoup d’ardeur elle m’a fait connoître Qu’il luy feroit plaisir, & qu’elle y vouloit être : Qu’elle avoit des raisons pour s’y bien divertir, Et quand il sera prêt, qu’on la fasse avertir. Elle y trouvera moins de plaisir qu’elle pense, Fais venir Dom Brusquin, qu’il vienne à l’Audience. Je vais pour obliger Julie, & Dom Carlos, Contraindre ce Magot de signer leur repos. Ça, Seigneur Fatiman, concluons je vous prie, Aussi bien je commence à voir que je m’ennuye ; J’ay demandé ma Femme, & l’on m’a fait sçavoir Que c’est de vôtre main, qu’il la faut recevoir, Je veux partir, enfin ; en un mot, comme en douze ; J’ay livré mon Argent, livrez-moy mon Epouse. Elle est libre, & de plus contre nôtre Traité, Je prétens luy donner gratis la liberté. La rendre sans Argent, & qu’elle se retire… Quel excés de bonté ! Sans Argent, c’est à dire, Que ce Drôle voyant qu’elle quittoit ce lieu, S’est payé par ses mains en luy disant adieu. De ses bontez pour nous voilà la récompense, Et je vais sur mon front en porter la Quittance. Que feray-je à cela, passons ? Apparemment Nous pouvons donc partir ; tréve de compliment, Puis que vous voulez bien sans Argent me la rendre, De peur de vous fâcher, je m’en vais la reprendre ; Si vous venez chez nous, vous me ferez honneur, Reste à vous dire adieu but à but, serviteur. Avant que de partir il faut qu’avec Julie, Vous soyez le témoin d’une Cérémonie, Et que vous me donniez icy quelques momens. C’est pour une autre fois, nous n’avons pas le temps, A nous faire partir, vôtre honneur vous oblige. Vous ne sçauriez partir qu’après cela, vous dis-je, Il faut qu’absolument vous y soyez tous deux. Vous raillez.         Il le faut, vous dis-je, & je le veux. Dites-moy donc quelle est cette Cérémonie, Qui veut & ma présence, & celle de Julie, Sans indiscretion peut-on vous en prier ? C’est que je veux ce soir…     Hé bien !         La marier. Julie ?     Elle.         Expliquons s’il vous plaît ce langage, Est-ce qu’on doute icy de nôtre mariage. Et que craignant en Mer pour son honnêteté On veut nous marier pour plus de sûreté ? Non.     Non ?         Non, je sçay bien que tu l’as épousée, Que toûjours à ta flâme elle s’est refusée, Que rien ne vous unit, enfin, que quelques mots Qui n’ont point eu d’effet ; Ainsi pour son repos Et même pour le tien, il vaut mieux, ce me semble, Vous separer tous deux, que vous unir ensemble, L’usage le permet icy, comme chez vous, Et je luy vais ce soir donner un autre Epoux. A ma Femme ?     A ta Femme : Et de plus….         Quel Negoce. Ton Argent servira pour les frais de la Nôce. Nous nous entendons mal assurément tous deux. Vous prétendez ce soir marier à mes yeux, Qui, dites-vous, Julie ?     Ouy.         Ma Femme : ah ! j’enrage, De quel droit, s’il vous plaît, rompre mon mariage ? J’ay de deux Marabous pouvoir pendant dix ans, De démarier ceux qui ne sont pas contens. Vous ? Si cela se sçait, un jour il faut qu’il fonde, Des Maris en ces lieux des quatre coins du monde. Et si vous pouvez mettre à profit tout ce temps, Cela vous vaudra mieux que vingt Gouvernemens. Sans doute, & pour ne pas differer davantage, J’en fais ce soir l’essay par ton démariage. Vous y serez présent, vous en verrez le fruit. Moy ! Ciel ! à quel malheur me vois-je icy réduit ! Qui l’eût dit ? Quand chez moy je partis plein de flâme, Que c’étoit pour venir aux Nôces de ma Femme ; Et que me souhaitant des aîles aux talons, Je viendrois de si loin payer les violons ; Est-ce un Arrêt pour moy sans appel ; & ma bourse Ne peut-elle adoucir ?…         L’affaire est sans ressource. Je luy donne un Epoux malgré tous tes discours. Sera-ce pour long-temps ?         Ce sera pour toûjours. L’a-t’on dit à Julie ?         Ouy, je luy viens d’apprendre. Que dit-elle à cela ?         Qu’elle est prête à se rendre, Et qu’elle aimeroit mieux en te manquant de foy, Estre aux Fers avec luy, que Reine avecque toy. Ah ! me voilà donc veuf du vivant de ma Femme. Et quel est ce beau Fils qui cause tant de flâme ? Est-ce un secret pour moy ? ne le puis-je sçavoir ? Tu le sçauras tantôt, je te le feray voir. Scelerat ! Est-ce ainsi que vous me percez l’ame ? Vous me coupez la bourse, & me volez ma Femme. Vous pouviez l’avoir fait, sans m’avoir attendu Mais si j’y suis présent, je veux être pendu. Je pars, & vais, pleurant des malheurs incroyables, Donner cent fois le jour les Turcs à tous les Diables. Il a beau se hâter, il n’ira pas bien loin. Suivez-le, Stamorat ; Allez, prenez-en soin. Je ne voy rien encor préparé pour la Fête, Qui retient le Concert, qu’est-ce qui vous arrête ? Je ne croyois jamais être assez tôt icy, Et je ne vois encor Personne.         Les voicy, Madame.         Qu’allez-vous, Carlos, nous faire entendre ? De deux Amans heureux, une Scéne assez tendre. En vain l’on conspire Pour séduire Un cœur amoureux, Tout ce qu’on fait pour le surprendre Ne sert qu’à le rendre Plus fidele & plus tendre, Pour ses premiers feux. Les présens, les faveurs N’arrêtent pas toûjours les cœurs, En amour il faut se contraindre, Quand on a sçû charmer ; C’est un feu qu’il faut feindre, Et ce qu’on fait pour l’allumer, Sert bien souvent à l’éteindre. Les présens, les faveurs N’arrêtent pas toûjours les cœurs ; Mais je crois que l’Amour… Taisez-vous, Dom Carlos, vôtre chant m’étourdit ; Mais que fais-je, où m’emporte un trop juste dépit ; Ils s’aiment, je ne puis l’ignorer. O vengeance, Prête-moy tous tes traits, pour punir cette offence. Il paroît que ces Chants qui me semblent si doux, Madame, ne font pas le même effet sur vous. Je ne sçay par quel Air leurs voix ont sçû vous plaire, Je crains d’en pénétrer l’injurieux mystere : Et si je m’en croyois… Mais il vaut mieux sortir. Et qui peut vous avoir causé ce déplaisir ? Madame, expliquez-vous.         J’aurois peur d’en trop dire, Je ne suis pas assez à moy ; je me retire. Je ne souffriray point que vous quittiez ces lieux Sans que vôtre courroux s’explique, & qu’à vos yeux Un châtiment soudain n’étouffe vôtre haine. Non, vous souffririez trop, je n’en vaux pas la peine ; A l’affront qui m’est fait vous avez trop de part. Je jure…         A ces sermens prononcez au hazard, Pour peu que vous vouliez que je donne croyance, Il faut pour satisfaire à ma juste vengeance, Que vous chargiez de Fers, sans aucune pitié, Ces Esclaves Objets de mon inimitié, Qu’en des lieux séparez, accablez de misere, Ils sentent le malheur de m’avoir sçû déplaire. Madame…         Obéïssez, remplissez mes souhaits Ou bien résolvez-vous à ne me voir jamais. Seigneur de ses fureurs sauvez nôtre innocence. Je veux voir jusqu’où peut aller son insolence, Et luy dresser un piége adroit, ingénieux : Mais allons-en parler ailleurs que dans ces lieux, Et toy cours la trouver, Zaïre, va luy dire Que je vais accomplir tout ce qu’elle desire. Fin du troisiéme Acte. Zaïre, je vous ay confié mon secret, J’ay crû ne le pouvoir dans un sein plus discret ; Si je vous vois répondre à cette confiance, Zaïre, attendez tout de ma reconnoissance ; Mais si de me trahir vous cherchez le moment, Zaïre, craignez tout de mon ressentiment. J’entre dans vos secrets, Madame, sans contrainte, Et de vôtre courroux je ne crains point l’atteinte, Si la peur maintenant se renferme en mon sein, Si je tremble, ce n’est que pour vôtre dessein. L’Amour qui l’entreprend guidera l’entreprise. Et c’est de cet Amour, que mon ame est surprise, Madame, est-il bien vray que vous aimiez Carlos ? Si je l’aime ! l’ingrat, que trop pour mon repos. Emprisonné, Madame, & trahy par vous-même, Vous le persecutez, est-ce là comme on aime ? As-tu vû ses tourmens, sçais-tu son desespoir ? Dans l’abime profond du cachot le plus noir, Mains, & piés enchaînez, éloigné de Julie, Il faut voir ses clameurs.         Que mon ame est ravie. Je ne vous comprens pas.         Dans ses cruels ennuis Il reconnoît sa faute, il voit ce que je puis, Plus de son noir Cachot la rigueur est extrême, Plus il sent qu’il n’en peut sortir que par moy-même, Et de sa liberté redevable à mes soins, Il m’aimera, peut-être, il le feindra du moins. Vous l’allez donc remettre en sa faveur premiere ? Ouy, Fatiman rompra ses Fers à ma priere. Mais ne craignez-vous point, l’en pressant trop souvent, Que Fatiman ne sorte enfin d’aveuglement ? Fatiman veut ma main, il s’empresse à me plaire. Il m’aime, j’en feray ce que j’en voudray faire. Il vient.         He bien, Madame, est-ce aujourd’huy le jour Où je verray l’Hymen couronner mon amour : Mon cœur impatient d’en celebrer la Fête, Remplit tous les devoirs dûs à vôtre conquête. Allons, Madame, aux yeux d’Alger & du Divan Joindre à jamais Celime à l’heureux Fatiman. Avant que d’achever cette Cerémonie, Guerissez, s’il vous plaît, mes soupçons sur Julie. Avez-vous accomply toutes mes volontez ? Vos ordres sont déja, Madame, executez. Dans un cachot obscur gémissant sous la chaîne, De vous avoir déplû, Carlos souffre la peine. Et Julie ? Avez-vous pas la même rigueur ? Non.     Non !         Je l’avouëray, touché de son malheur, Des graces, des beautez, comme vous le modele, J’ay respecté les droits, de vôtre Sexe en elle, Elle est libre.         Ah ! voilà mes soupçons confirmez, Vôtre cœur m’est connu, perfide, vous l’aimez. Je l’aime !     Vous.     Moy !         Vous. Enfin ma jalousie Pour être moderée est trop bien éclaircie. De ces Chants concertez je vois la verité. Eh… quelle erreur, Madame, & quelle pauvreté ! A mon Accusateur j’avois dequoy répondre ; Mais mon cœur l’entreprend, & je veux vous confondre, Pour gagner vôtre cœur, pour avoir vôtre main, Pour remplir vos desirs, que faut-il faire, enfin ? Non, non, je ne veux pas que pour moy l’on se gêne, Et l’execution vous feroit trop de peine. Non, non, pour satisfaire à ce que vous voulez ; Je ne conçois plus rien d’impossible, Parlez. Il faut à son Epoux que vous rendiez Julie, La bannir de vos yeux pour toute vôtre vie. Hé bien ! tantôt, Madame, à vos yeux, devant vous, Je remettray Julie aux mains de son Epoux, Et je vay de ce pas répondre à vôtre attente. Ce n’est pas tout, encor, pour me rendre contente, Et me débarrasser d’un visage odieux, Que pour jamais Carlos abandonne ces lieux, Et qu’à peine sorty des Fers de l’esclavage, Ce soir, avec la nuit, il quitte ce rivage. Vous serez obeïe.         Avant que de partir Que je luy parle, il faut, & c’est tout mon desir, Qu’il connoisse pour luy le fond de ma pensée, Pour ne pas voir ma haine, il m’a trop offensée. Que l’on fasse venir l’Esclave à ses genoux. Demain vous connoîtrez ce que je sens pour vous. Elle embrasse un dessein que je ne puis comprendre, Observons-la de prés, cachons-nous pour l’entendre. L’ay-je amené, Zaïre, au point où j’ay voulu ? Je me sers assez bien du pouvoir absolu. Dans les rusez détours d’une Œuvre mercenaire, Fatiman est bon Turc, grand pilleur, franc Corsaire, Mais dans ces tours d’esprit aux Amans destinez, C’est un Homme à ne voir pas plus loin que son nez. Il est vray ; mais, Madame, ou j’ay peu de lumiere, Ou je ne comprens pas ce que vous voulez faire. L’infortuné Carlos est aimable à vos yeux, Et vous voulez ce soir qu’il parte de ces lieux. Ouy ; mais de mes desseins acheve de t’instruire, Toutes deux avec luy nous partirons, Zaïre. Nous !         J’ay tout préparé, pour ce prochain départ, Un Bâtiment Anglois est gagné de ma part, Mon bien est en Argent comptant ; dans ma retraite Je ne laisseray rien icy que je regrette. Il falloit pour sortir facilement du Port, Du Seigneur Fatiman avoir un Passeport, Sa bonté me l’accorde, & par son entremise, Demain de sa tendresse il verra la sottise. Tu peux t’en assurer…         Et malgré ces apprêts, Si Carlos est toûjours rebelle à vos souhaits ? A me plaire, Zaïre, il mettra son attache, Il sçait ce qu’il en coûte, alors que l’on me fâche, Et puis quand seul à seul, nous nous verrons sur Mer, Quand il se verra loin de qui l’a sçû charmer, Faite comme je suis, il n’est pas impossible Que son cœur à mes feux ne devienne sensible. Le voilà.         Je le plains des maux qu’il a soufferts, Zaïre approchez-vous, que l’on ôte ses Fers. Qu’on me laisse. Restez, vous. Hé bien ! téméraire, Tu vois quel est le fruit de m’avoir sçû déplaire ; Je suis absolument maîtresse de ton Sort : La plus aimable vie, ou la plus dure mort Sont à ton choix.     Madame.         En l’état déplorable, Où Julie a réduit ton destin miserable, S’arracher d’un Objet qu’on aime tendrement, N’est pas, je le sçay trop, l’ouvrage d’un moment ; Aussi, je laisse au temps à faire cet office ; Mes soins te forceront à me rendre justice. Pour gage d’un Amour dont mon cœur est garant, Accepte ces essais de ma tendresse, prend. Prens, dis je, je te laisse, écoute, & crois Zaïre, Elle connoît pour toy quel mouvement m’inspire. Fais, voyant ce que peut mon courroux dangereux, Ce qu’elle te dira, si tu veux vivre heureux. Adieu.         Ciel ! Je… Mais vous à ce qu’elle souhaite, Prêteriez-vous les mains ?         M’en garde le Prophete. Allons chez Fatiman luy…         J’ay tout entendu Au Cabinet prochain ; étonné, confondu, De voir à quel excés elle poussoit l’outrage, Indigné de l’affront, inspiré par la rage, Je me suis vû tenté de la perdre à vos yeux, Et je n’ay differé que pour la punir mieux. Je crois que d’un Amant la fureur est extrême, Quand il se voit trahy par la Dame qu’il aime. Je l’aime ! Environné de soins, sur mon retour, Né dans le sein des Flots, suis-je fait pour l’Amour ? Son bien, plus que ses yeux, me la rendent aimable. Et je benis du Ciel le moment favorable, Qui me montrant l’abîme où j’allois me plonger, Me fournit les moyens encor de me vanger. Voyons quel est l’essay de ses galanteries. Le voilà.         Ce Coffret. Comment, mes Pierreries ! L’usage qu’elle en fait m’inspire le dessein, D’inventer des tourmens qui perceront son sein. Va la trouver, Zaïre, & pour flater son ame, Feins-luy que son Amant peut répondre à sa flâme, Qu’à la suivre déja tu l’as vû balancer, Le reste me regarde, & je vais y penser. Nous… Qu’est-ce ?         Je venois, Seigneur, l’ame contente Raconter à mon Maître une Histoire plaisante : Mais…     Dis-moy ce que c’est.         L’illustre D. Brusquin, S’en alloit vers le Port fort outré de chagrin : Donnant les Turcs au Diable, & résolu sur l’heure De se remettre en Mer, pour changer de demeure, Lors que huit ou dix Turcs luy couppant le chemin, Qu’il prenoit pour se voir maître de son destin, En se moquant de luy, le traitant d’Excellence, Ont fait en l’abordant chacun la reverence ; Puis aprés un d’entr’eux faisant l’Ambassadeur, L’a salüé fort bas, luy disant, Monseigneur, Sçachant que de Julie un bonheur tres-insigne Vous a fait, cy-devant le Mary tres-indigne, Fatiman préposé pour pourvoir aux abus, Que des gens mal sensez commettent là-dessus ; Pour vous démarier de bonne intelligence, Et la remarier, vous prie, avec instance, De vouloir, terminant la chose avec éclat, Assister à la Nôce, & signer le Contrat. Moy signer au Contrat ! Traître, qu’il aille au Diable , A-t’il dit, suis je icy pour luy servir de Fable ? Qu’on me laisse partir, & que ce Suborneur, Se contente d’avoir… Mais, enfin, Monseigneur, A dit d’un ton soûmis l’autre, vôtre Excellence, Sçait que Fatiman prie, & qu’un refus l’offence, Et si de ce plaisir vous allez le priver, Il aura du regret…. puisse-t’il en crever, Le Scélérat qu’il est, a dit l’autre en colere. Puisqu’il ne vous plaît pas, Monseigneur, d’en rien faire, A dit le Turc, cherchant dessous son Casaquin, Respectueusement trois quartiers de Gourdin Dont il s’étoit muny ; Voicy d’une racine, Qui met à la raison l’ame la plus mutine, Vous en ferez l’essay, s’il vous plaît. A ces mots Le Drôle de vingt coups a chamarré son dos. Ah ! quartier, a-t’il dit, voulez-vous que je meure ? Je suis prêt d’aller voir Fatiman tout à l’heure ; Ne pouvant de vos coups me sauver qu’à ce prix. Là-dessus ils ont pris le chemin du Logis, Il demandoit venant, le desespoir dans l’ame, Si l’on n’est pas content de luy voler sa Femme, D’où vient que, malgré luy, l’on le rameine icy, Et si ce Fatiman veut l’épouser aussi ? On l’ameine.         A ses yeux tu ne dois point paroître, Que quand il sera tems de te faire connoître, Laisse-moy.         Le voilà plaisamment consterné. Hé bien ! me trouvez-vous suffisamment berné ? Ah Traitres ! à quoy bon avec vos Excellences En me roüant de coups, toutes ces revérences ? Non jamais un mortel, à parler Franchement Ne s’est vû mieux battu, ny plus civilement. Vous voyez Fatiman, vîte, la revérence, A son aspect : Bas, bas, plus bas.         Quelle arrogance ! Le Traître de mes coups, rit, entre cuir & chair, Et pour comble de maux je n’ose m’en fâcher. Le brave D. Brusquin de civile maniere, Devant tes yeux, Seigneur, paroît à ta priere. Je vous suis obligé d’avoir tant eû d’égard Pour les gens qui vous ont salüé de ma part. Brisons là, ce n’est pas le fruit de leur Harangue ; Et leurs coups de bâton ont plus fait que leur langue, Ils m’ont roüé de coups, & n’auroient pas cessé… Ils ont tort. Mais, enfin, oublions le passé. Cela n’est rien, il faut qu’une amitié sincere… Quoy que mal-aisément tout cecy se digére, Puis qu’on fait à mon dos une necessité, De vous rendre aujourd’huy le maître du Traité ; Soyez-le, j’y consens, les beaux yeux de ma Femme Ont mis, je le vois bien, du désordre en vôtre ame. Vous voulez la garder, hé bien ! soit, gardez-la, Faites-en… faites en tout ce qu’il vous plaira. Vous n’y manquerez pas ; mais que l’on me renvoye, Qu’on ne me rende point témoin de vôtre joye, Je n’auray, sans mes yeux, que de trop bons Témoins ; .................................................................................... Hé bien ! puis que ton cœur a tant de répugnance A souffrir que l’Hymen se fasse en ta présence, Je veux bien t’obliger, & t’accorder ce point ; Je te feray partir, tu ne le verras point, Mais à condition…         Quel est ce nouveau Pacte ? Qu’avant que de partir, on mettra dans un Acte, Que te trouvant indigne, & n’étant pas le fait De Julie, & voyant qu’un Hymen sans effet, Te fit contre son gré l’Epoux de cette Belle, Tu t’es démis du droit qu’on te donna sur elle. Que volontairement vous consentez tous deux, Que d’un pareil Hymen quelqu’un brise les nœuds : Que Julie en cecy consentit la derniere ; Que c’est pour t’obliger, & même à ta priere : Qu’à cet effet pour toy sa bonté se résout, Que même à tes dépens.         Le Papier souffre tout, Que l’on y mette tout ce que l’on voudra mettre, Pourrois-je l’empêcher ? Je veux bien m’en remettre Sur les soins que je crois que vous-même en aurez. Il faudra le signer, & puis vous partirez. Moy le signer.         Ouy toy, la chose étant écrite, Il faudra bien signer.         Ah le chien d’hypocrite ! Quoy, vouloir qu’en signant un pareil Concordat, Je passe pour un Sot sur mon Certificat ; Et que pour ma Moitié par écrit je convienne, Que je consens qu’un Turc en fasse icy la sienne : Dûssay-je être témoin de tout ce qu’on voudra, Je ne signeray rien de ce qu’on y mettra. Ouy, je vous mets au pis, vous avez beau me dire, Pour signer contre moy, je ne sçay point écrire. C’est t’emporter en vain, tu n’y veux pas signer ; Hé bien ! soit, je consens à ne te point gêner. Mais comme tout est prêt pour la Cérémonie, On ne laissera pas de marier Julie, Tu verras pour cela ce qui s’est concerté. Et comme je luy veux donner la liberté, Il faudra te résoudre, en souffrant qu’il se fasse, A demeurer Esclave en échange à sa place ; Jusqu’à ce que la mort finissant tes regrets, Ait pris l’un de vous d’eux pour laisser l’autre en paix, Quiconque restera…         Moy Captif ! & le vôtre ! Ira porter chez luy les nouvelles de l’autre. Tu feras cependant quelque voyage en Mer, Par divertissement, pour t’apprendre à ramer. Qui, moy, ramer !     Toy-même.         Ah Ciel ! quel coup de foudre ! Souviens-toy que tu n’as qu’une heure à te résoudre. S’il est passé ce tems, constant dans ses refus, Qu’on le mette à la Chaîne, & qu’on n’en parle plus. Nous irons l’embarquer Forçat sur les Galeres, Qui des Côtes d’Alger partiront les premieres. Justement. J’en sçauray tantôt le résultat. Ah ! Canaille maudite ! ah Traître ! moy Forçat ! Quoy donc ? Il faut finir mes jours en Barbarie, Ou la rame à la main, ou noté d’infamie ? Aux dépens de mes bras m’épargner un affront, Ou bien les soulager aux dépens de mon front ? Ah ! Bourreaux qui sur moy faites ces violences ! Il faut aller plus loin faire tes doléances. Croyez-vous que mon cœur sans douleur souffrira ? Va, songe à te résoudre, & l’on te répondra. Fin du quatriéme Acte. Il faut attendre icy Celime à son passage. De la bouche, des yeux, du geste, & du visage, Songeons à suivre en tout l’ordre de Fatiman. Que ne ferois-je point pour ce bon Musulman ? Sur l’ardeur de mon zéle, il peut compter, Tomire ; Mais de nôtre bonheur achéve de m’instruire. Le Frere de Carlos vient d’arriver icy, M’as-tu dit, & son Oncle est mort ?         Ouy, Dieu mercy. Le bon Homme est défunt, & pour longues années, Nous allons voir bien-tôt changer nos destinées. Que diable ! pour mourir, qu’est-ce qu’il attendoit ? Que la peste le créve en quelqu’endroit qu’il soit. Le vieux Renard qu’il est.         Ton dépit me fait rire, Pourquoy le maudis-tu ?         Je le puis bien maudire. Si quelques mois plûtôt ce Singe eût trépassé, Mon gros Diable de Turc ne m’eût point tant rossé. Il avoit force Argent, & le Frere en apporte Dequoy payer trois fois la rançon la plus forte. Carlos l’a de ces Turcs tres-amplement instruit, Et puis chez Fatiman il l’a d’abord conduit. Et je ne doute point que cette conjoncture Ne rende leur marché fort facile à conclure. Ainsi, comme tu vois, il ne faut plus songer Qu’à nous bien réjoüir, & bien-tôt déloger. Celime ne vient point, Tomire, qui l’arrête ? Tant mieux ; nous en aurons un plus long tête à tête, Il s’offre rarement, tâchons d’en profiter. Vois-tu, le cœur m’en dit, & je t’en veux conter. Toy ? quelle vision ! vraîment l’audace est belle, M’en conter !         Ouy, comment est-ce chose nouvelle ? Avant que ta Maîtresse eût eu son Sot Epoux, Est-ce que je manquois jamais au rendez-vous ? Et tandis que mon Maître entretenoit Julie, N’allois-je pas les soirs dedans la Gallerie, Te faire bec à bec mille petits Rébus, Entrelassez de la… tu ne t’en souviens plus ? Il m’en souvient que trop, mais depuis six mois, Traître, Que nous sommes icy, que m’as-tu fait paroître, Pour me faire la cour, qu’as-tu fait, qu’as-tu dit ? Quelques mots en passant par maniere d’acquit. Quand on aime, on en parle.         En étois-je capable ? J’avois pour Directeur un cœur impitoyable, Qui depuis le matin jusqu’à minuit sonnant, Querelle à lettre vûë, & rosse argent comptant. Il me roüoit de coups, & pour ne te rien feindre, Je n’avois que le tems qu’il falloit pour me plaindre. Et je ne sçache rien, Marine, tout de bon, Si contraire à l’Amour, que les coups de bâton ; Mais, enfin, à présent qu’un rayon d’espérance Nous flate, & qu’on nous traite avec plus d’indulgence, Comme jamais pour toy mon Amour n’a cessé, Je veux récompenser un peu le temps passé, Et folâtrer un peu sur nouveaux frais ; je meure Si mon cœur…         Et demain, peut-être, ou dans une heure, Si les coups de bâton surviennent là-dessus, Tu ne me diras rien, ou ne m’aimeras plus. Je prétens qu’un Amant, en pareille avanture, Conserve un cœur plus tendre en une peau plus dure, Et je me mocque, moy, de cet Amour poltron, A qui la peur des coups fait faire le plongeon. Entens-tu ?         Cependant, à regret je m’en vante ; Mon amour n’est point ladre, & la peur l’épouvante : J’en conviens, c’est pour moy, si tu veux, un malheur ; Mais j’ay la peau fort tendre, aussi-bien que le cœur ; Enfin, pour abreger un discours qui t’ennuïe ; Et te faire ma cour, sçais-tu bien que Julie M’a tantôt promis...     Quoy ?         Que nous serions unis. Il vaudroit mieux pour toy que je te l’eus promis. Chut, Celime paroît         Elle parle à Zaïre. Ecoutons, & songeons à ce qu’il nous faut dire. Pour le départ, Zaïre, hé bien tout est-il prêt ? Avant que de partir, j’en ay vû tout l’apprêt. As-tu de mes trésors chargé le Capitaine ? Ils sont en bonne main, n’en soyez point en peine. Et Carlos ?         Avec vous il s’apprête à partir. Dis-moy, son cœur est-il touché de repentir ? En luy parlant de moy, l’as-tu vû se confondre ? A vos desirs, Madame, il m’a paru répondre. Je viens de sa promesse avertir Fatiman. Qu’il est temps qu’il réponde à mon empressement, Qu’avecque son Epoux je veux revoir Julie, Pendant que se fera cette Cérémonie. Dans les cris, le tumulte, & l’ombre de la nuit, Moy, Dom Carlos, & toy, nous partirons sans bruit. Que voy-je ? quelle Fille icy s’offre à ma vuë ? Elle est à Julie.         Ah ! m’auroit-elle entenduë ? Je ne crois pas, Madame, elle est trop loin.         Voilà Le Valet de Carlos aussi ! Que fais-tu là ? Sauf ce qui vous est dû, du meilleur de mon ame, Je ris dans mon petit particulier, Madame. Quoy ?         Marine est en place à se désesperer. Et mon petit Esprit rit de la voir pleurer. Elle pleure ?     Ouy, Madame.         Eh pourquoy ? qu’est-ce à dire ? Je pleure de dépit que j’ay de le voir rire. Ces contrarietez que vous me faites voir, Ont d’autres fondemens ; & je les veux sçavoir. Madame, à dire vray pour moy, c’est que mon Maître, Joyeux, charmé, ravy, tout ce qu’on sçauroit l’être, M’a dit que nous étions tous deux en liberté, Que rien n’étoit égal à sa felicité ; Et depuis ce moment je ris, ne vous déplaise, A gorge déployée, & ne me sens pas d’aise. Zaïre, il est enfin sensible à mes ardeurs. Et toy, parle, quelle est la source de tes pleurs. Un chagrin qui ne peut finir qu’avec ma vie. Aux vœux de D. Brusquin, Fatiman rend Julie. Cet Hymen renoüé produit à nos regrets Une source de pleurs à ne tarir jamais. Quel plaisir, de pouvoir tourmenter sa Rivale ! Zaïre, ç’en est un pour moy, que rien n’égale. Mais qui vous fait venir, dans mon Appartement Donner chacun l’essort à son temperamment. Mon Maître dans ces lieux m’ordonne de l’attendre Pour un fait d’importance il doit venir s’y rendre, Il m’a recommandé que cecy fût secret. Madame, vous sçavez comme je suis discret ; Ma langue est morte, & j’ay cadenacé ma bouche. Carlos se rend, Zaïre, & mon amour le touche. Et moy je viens icy, Madame, à vos genoux ; Vous prier d’empêcher que ce vilain Epoux, A l’amour de Carlos n’arrache ma Maîtresse. Elle mourroit, ayez pitié de sa tendresse. De cette impertinence osez-vous me prier ? Moy ! que j’aide Julie à se démarier ? Sortez, à mon courroux dérobez vôtre vie. Zaïre, en ce moment que mon ame est ravie ! Tout va bien.         Le voilà, que l’on le mette aux Fers. Dans mon Appartement ? devant moy ?         Quels revers ? Helas !         Par des ingrats je suis trahy, Madame. Malgré tous mes bienfaits, pleins d’une noirceur d’ame, N’écoutant qu’un esprit au crime abandonné, Pas un endroit sensible ils m’ont assassiné. Me voilà découverte. O rigueur inhumaine ! Mais Carlos le premier en va porter la peine. Sous les tourmens divers que j’ay fait préparer, Venez le voir, Madame, à vos yeux expirer. Suivez moy.     Juste Ciel !         Vous semblez chancelante, Venez le voir mourir.         De son crime ignorante Je cherche en mon esprit, confus, embarrassé, Par quel endroit il peut vous avoir offensé. Ce seul témoin suffit pour convaincre vôtre ame, On l’a trouvé saisi de ce Coffret, Madame. Hé bien !         Ces Diamans entre ses mains tombez, Prouvent qu’il vous les a sûrement dérobez. Luy, dérobez !         Comment puis-je ne le pas croire ? Prendrois-je des soupçons honteux à vôtre gloire ? Les auroit-il reçûs de vôtre main ? Parlez ? Vous a-t’il confessé qu’il les avoit volez ? De frivoles raisons il vouloit se défendre ; Mais mon juste courroux n’a pas voulu l’entendre. Zaïre, ce que c’est que d’être malheureux ! Un Homme qui se trouve en cet état affreux, Est soupçonné de tout, tout ce qu’il fait offence, On le croit criminel, même dans l’innocence. Qu’entendez-vous par là ?         Dom Carlos en fait foy. Tu sçais que ces bijoux luy sont donnez par moy. Ouy, Madame.         Il les tient de vous? Qu’osez vous dire ? Et tu n’ignores pas à quel dessein Zaïre ? Non, Madame.         Et tu vois comment il est traité ? Madame, où poussez-vous ma curiosité ? De ce dessein, de grace, expliquez la manœuvre. Voyant ces Diamans assez mal mis en œuvre, Desirant les voir mieux ; de Carlos j’ay fait choix, Pour les porter à ce Lapidaire François ; Qui de tout vôtre Alger s’est attiré l’estime. Il est de ses Amis, Seigneur, voilà son crime. Mais pourquoy le vouloir charger de cet employ ? Vous pouvez vous servir de vos gens ou de moy. Me servant de mes gens on auroit pû l’apprendre, Et je vous l’avouëray, je voulois vous surprendre. Vous vouliez me surprendre, & vous m’avez surpris : Mais bien-tôt vos bontez en recevront le prix. Dans un moment Carlos alloit cesser de vivre : Mais étant innocent ; courez, qu’on le délivre. Ayant presque causé, moy-même, son trépas, J’y veux moy-même aller, & reviens sur mes pas. Plus loin & plus long-tems peut-on pousser l’audace ! Mais je seray vangé, tout va changer de face : Elle va recevoir le prix de sa noirceur, Et d’avance déja j’en goûte la douceur. Dom Brusquin vient, ses cris le font assez connoître. Ecoutons ses discours, avant que de paroître. Messieurs, que faites-vous, je suis prêt à signer, L’heure n’est pas sonnée ?         Elle vient de sonner. Et c’est ta faute, au lieu d’aller au necessaire, Tu veux moraliser, ou tu ne fais que braire, Tu crois qu’on soit payé pour t’entendre crier. Je te l’ay déja dit vingt fois ; point de quartier. Eh de grace ! Monsieur, en pareille matiere, Un moment plus ou moins ne fait rien à l’affaire, Au nom de Belzebut, vôtre digne Patron, Voyez Fatiman, vous, ou vôtre Compagnon, Dites-luy, que soûmis à la loy qu’il m’imppose, Je luy donne ma Femme à Bail emphithéose. Et que s’il veut du sang, je signeray du mien, Que de cent ans & plus je ne demande rien. Il n’est plus tems, te dis je, & l’heure est expirée. Nôtre ordre est positif & ta priere usée. Il ne revient jamais, quand il a décidé. Ah Chien d’honneur, pourquoy m’as-tu tant obsedé ? N’importe, par pitié, des peines que j’endure, Parlez à Fatiman, allez, je vous conjure, Dites-luy que d’abord j’avois pris mon party. Ne verra-t’il pas bien que nous aurons menty ? N’importe, donnez-moy cette derniere joye. Il va me renvoyer.         Eh bien, s’il vous renvoye, Vous ferez lors de moy tout ce qu’il vous plaira : Voyons de quel secours mon Argent me sera. Tenez, prenez cecy, pour vous donner courage. Attendez, je vay voir ; mais s’il vient, soyez sage. Helas ! à mes dépens je connois, mais trop tard, Qu’un Homme est un grand Sot quand un coup du hazard, Le défait d’une Femme un peu Coquette & belle, D’aller passer les Mers pour courir aprés elle. Ah ! que je vois par tout de gens mal satisfaits, Qui rendroient grace au Ciel d’en être ainsi défaits ! Quelqu’un vient, je crains fort, & je ne m’en puis taire, Que mon retardement ne m’ait fait quelque affaire. ....................................................................... Me voilà ! je feray tout ce qu’il vous plaira, Et signeray, plûtôt que vous mettre en colere ; Pour moy, pour mon Ayeul, & pour défunt mon Pere, Que nous avons été des Sots de Pere en Fils, Et même si l’on veut pour tous mes bons Amis, Je laisse le champ libre à qui voudra m’en croire. C’est quelque chose ; Mais si j’ay bonne memoire Je ne t’avois donné pour régler ton départ, Qu’une heure, & ce choix vient, ce me semble un peu tard. C’est que j’ay quelque tems, parlant de vôtre flâme, Entretenu vos gens du bonheur de ma Femme, Du plaisir que j’avois à vous trouver d’humeur, De vouloir consentir… de me faire l’honneur, D’en recevoir tantôt, sans qu’elle y soit forcée, Ce qu’elle… ils m’écoutoient, & l’heure s’est passée. Ainsi, tu signeras ce qui t’est ordonné ? Qu’on me fasse partir, je donne un blanc signé. Outre ce blanc signé, ton amitié s’engage A payer, sans chagrin, les frais du Mariage. Si j’en ay, je sçauray ne le point faire voir. Que tu seras présent à leurs Nôces ce soir, Et qu’à table auprés d’eux tes discours ordinaires ; Pour cela décomptez.         Décomptez ! aux Galeres. Quartier, Messieurs, s’il faut cela pour m’en sauver, Je boiray leur santé, quand j’en devrois crever. Je vous en laisseray possesseur fort tranquille. Comme pour ton repos cet Hymen est utile, Et que l’Epoux, enfin, que je luy veux donner ; Peut avoir, quelque peine à se déterminer. A moins que ton aveu ne seconde sa flâme, Il faudra le prier d’avoir soin de ta Femme ; Et de la recevoir de ta main, autrement… Ah ! faites-moy credit d’un si sot compliment, De quel air voulez vous que pour le satisfaire... Quoy, cela te fait peine ?     Ouy, sans doute.         En Galere, Allez, c’est trop vouloir marchander avec moy. Je suis soûmis à tout, & vous donne ma foy De faire exactement sur chaque circonstance, Ce qu’on exigera de mon obéïssance. Qu’on luy fasse signer tout ce qu’il me promet. Venez remercier D. Brusquin, s’il vous plaît, Belle Julie, enfin, d’une indulgence extrême, Il renonce à ses droits, & vous rend à vous-même. En faisant cet effort sur son cœur aujourd’huy, Il fait beaucoup pour moy ; mais encor plus pour luy. Ouy, c’est beaucoup pour moy que d’abaisser mon ame, A signer le Contrat du Mary de ma Femme, Quel honteux personnage on me fait joüer là ! Je t’entens murmurer, que veut dire cela ? Non, j’ay signé, tout est à vos ordres conforme ; Jamais Homme ne fut Sot en meilleure forme. Maintenant qu’à mes vœux, tu veux bien consentir, Je vais pour t’obliger, & te faire partir, Te faire voir l’Epoux que je donne à ta Femme. Comment, ce n’est pas vous ?         Non, sans doute, & sa flâme N’ayant pû se cacher, son cœur s’est declaré En faveur de celuy qu’elle t’a préferé : Et touché d’une ardeur si tendre & si fidelle, J’ay voulu les unir par amitié pour elle. J’entens bien ; & pour prix d’une telle faveur, Vous ne vous réservez que le droit du Seigneur, Mon front est à l’enchere, & ma Femme au pillage. Il est temps désormais d’achever vôtre Ouvrage. Pour le voir accomplir, je rameine Carlos. A tant d’infortunez assurez le repos, Qu’il soit libre, rendez un Epoux à Julie, Et qu’ils prennent congé tous de la Compagnie. Ainsi dit, ainsi fait, Julie approchez-vous, Recevez de ma main Carlos pour vôtre Epoux. Quoy, Carlos ! est-ce ainsi que mes ordres…         Perfide, De l’odieux amour qui vous charme & vous guide, Grace à mes bons destins le projet m’est connu, Mais de vous en punir le moment est venu, Ingrate, rougissez.         O Ciel ! je suis trahie. Qui vous portoit Cruelle, à cette perfidie ? Peux-tu le demander, je l’aimois, je te hais ! Aprés mon procedé contre tous mes souhaits, D’être unie à Carlos je n’ay plus l’espérance ; Mais ne crois pas me voir briguer ton alliance, Je vais sortir d’Alger, pour ne te voir jamais. Non, devant le Divan instruit de vos forfaits, Il faut qu’auparavant, vous soyez confonduë, Qu’on l’ôte de ces lieux, elle blesse ma vûë. Ils blessent tous la mienne, allons, sortons d’icy. Seigneur en faveur…         Non, n’ayez nul soucy. Aprés tous les travaux d’une longue constance, Venez de vôtre amour cüeillir la récompense, Vous êtes à Carlos, & Julie est à vous. D. Brusquin y consent.         Quoy ! c’est là cet Epoux ? Ouy, c’est luy, qui charmé des beaux yeux de Julie L’enleva de tes bras, c’est luy qu’en Barbarie, L’Amour pour te l’ôter fit Esclave, & c’est luy, Qu’on va faire à tes yeux son Epoux aujourd’huy. Quoy ! c’est là le Paris, de cette belle Heleine ? On me livra sans peine à l’objet de ma haine, Il vous plût de souffrir qu’on en usât ainsi, On vous force à me rendre, & je le souffre aussi. O Giornata Fortunata ! Ringrasciar Mahometa, Mi donnar la libertà, Di tonar in Patria Allegria. Hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, Hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, hà, Mi rompir Catena, Ti donar Femina, Allegria. Hà, hà, &c. Libertà. Voglio casciar d’amar vaga belta L’amore fa penar E tropo sospirar La crudeltà. Libertà, libertà, &c. O le bon Païs que la Turquie, Si l’on y bûvoit du Vin, Si-tôt qu’une Femme ennuïe, Sans autre cérémonie, On la donne à son Voisin. O le bon, &c. S’il ne falloit que passer la Mer, Et se rendre en Alger, Pour rompre un Mariage, Plus de la moitié des Maris Qui sont aujourd’huy dans Paris, Feroient dés demain le voyage. Helas, tous mes Amis se moquant de ma flâme, Ne m’appelleront plus que le Mary sans Femme ; Mais que ferois-je, enfin, il faut s’en consoler ; Bien des gens que je vois, voudroient me ressembler. On reprend icy le même divertissement. FIN.