Bon, pour vous divertir, vous me faites un conte. Non ; point ; Ayant soupé l’autre jour chez Géronte, En tirant par hazard de ma poche un Mouchoir, Le Portrait que tu sçais que j’avois, vint à choir. De vostre Femme ?         Paix. Géronte le ramasse, L’ouvre, & jusqu’à son cœur l’éclat de ses yeux passe ; Il se sentit charmé des traits de sa beauté, Et de l’Original s’estant fort enquesté, Je luy dis que c’estoit une mienne Cousine Qui venoit à Paris. Je vis bien à sa mine Que nostre Homme en tenoit; je n’en témoignay rien ; Prestez-le moy, dit-il, pour quelques jours…         Hé bien ? Je luy laissay.         Comment, celuy de vostre Femme ? Paix. L’amour s’est si fort emparé de son ame, Qu’il baise à tous momens ce Portrait à genoux ; Jusques-là qu’il me vint hier au soir, entre nous, La larme presque à l’œil, prier avec instance, De vouloir avec luy faire cette alliance, Me disant qu’en moy seul il mettoit son espoir : Il a cent mille francs contens qu’il m’a fait voir, Qu’il veut en l’épousant luy donner.         A son âge, Ce Géronte, Monsieur, si sçavant et si sage… Il n’est ny l’un ny l’autre.         Est-il possible ? Il a Une Biblioteque où toûjours…         Tout cela Marque sa vanité plus que sa suffisance, A l’abry des Sçavans il met son ignorance, Et croit pour habiter le soir & le matin Un Cabinet farcy de Grec & de Latin, Passer pour Homme docte, & que chacun l’admire : Ses Livres sont fort beaux, mais il n’y sçait pas lire ; Depuis pres de vingt ans que nous sommes amis, Je connois sa portée,& sçais ce que je dis. Mais vous n’avez pas dû laisser croistre sa flâme ; Car dans une heure au plus Madame vostre Femme Arrivant d’Orleans, sera de nostre écot. Chut, Maraut; si jamais tu prononces ce mot… Vostre Femme, Monsieur, m’avez vous dit…         Ah Traistre, Te tairas-tu ?         Ma foy, je pense que mon Maistre Devient fou.         Que ce mot ne t’échape jamais, Ou crains que de cent coups…         Non, Monsieur, je me tais. Parle-moy d’autre chose, ou bien songe à te taire. Je me tais ; c’est, Monsieur, ce que je sçai mieux faire. As-tu mis en oubly qu’un Hymen clandestin… Non ; Je me souviens bien, Monsieur, qu’un beau matin Vous fûtes avec…la…faut-il que je devine… Quand tu voudras parler d’elle, dis ma Cousine. Avec vostre Cousine, assez pres d’Orleans, Sans avoir pris d’avis d’Amis, ny de Parens, Qu’un Curé, peu chargé d’argent & de scrupules, Vous maria, qu’on prit du Papier des Formules Pour faire le Contract, & que des deux costez On prit pour y signer, des Témoins apostez; Que pour vous obliger à conclure l’affaire, La Cousine vous dit qu’elle avoit certain Frere Qui vouloit de sa main luy donner un Epoux, Le tout pour vous forcer…         Point du tout ; Entre nous, J’ay sçeu de Gens de foy, que sans certain voyage, Son Frere auroit déslors conclu son Mariage. L’avez-vous veu ?         Jamais ; mais il sera content D’un Hymen…         Qu’est-ce donc qui vous allarme tant ? Ou laissez-moy parler, ou daignez m’en instruire. Ne sçais-tu pas…         Je sçay ce que vous voulez dire Que vous avez deux Fils en différent état, Que l’un est Medecin, & l’autre est Avocat, Mais tous deux chicaneurs, qui sur ce Mariage Vous auroient de leur bien demandé le partage ; Et que pour éviter ce desordre intestin, L’amour vous a fait faire un Hymen clandestin. La Cousine plus riche en appas qu’en monnoye, N’a de fond que je croy, qu’un fort grand fond de joye, Et vous estes content du present de sa foy ; Mais estant à Paris sur le pavé du Roy, Vos Fils dans Orleans, sans vous en faire excuse, J’ay crû que librement…         Non, c’est ce qui t’abuse : L’Avocat est celuy dont j’aurois plus de peur, Il est bruyant, actif, aspre au gain, grand hableur, Fort propre à son Mestier il faut qu’on le confesse. Pour George son cadet, c’est une pauvre espece, Il ne sera jamais qu’un Asne, & ne vaudra… Je l’ay fait Medecin à cause de cela : Mais outre la raison qui m’oblige à leur taire L’Hymen qu’à leur insçeu mon amour m’a fait faire, Je dois plus que jamais tenir le cas secret. Comme je te connois depuis longtemps discret, Je puis de mes projets te faire confidence : Cet Hymen clandestin, qui selon l’apparence Devoit estre un obstacle au bonheur de mes jours, Me flate d’un espoir qui m’est d’un grand secours, Et par une avanture à nulle autre commune, Me fournit un moyen d’établir ma fortune ; Et Géronte m’a fait promettre qu’aujourd’huy… J’acheveray tantost, j’entens du bruit chez luy, Il n’est pas à propos qu’en ce lieu je poursuive. Voicy l’heure à peu pres que le Carosse arrive, Ma Femme y sera ;cours la preparer un peu A l’effort que je veux exiger de son feu ; Dy-luy qu’il ne nous faut parler devant personne Sous les noms que le joug de nostre hymen nous donne ; Et que pour des raisons importantes enfin Je prétens à Paris passer pour son Cousin. Quel seroit son dessein? C’est une affaire faite. Ah Monsieur Trigaudin, est-il vray…         Quoy, Toinette ? Que nostre Maistre songe à se remarier ? Hé bien, trouvez-vous là de quoy vous effrayer ? Comment, c’est tout-de-bon ?         Eh cela pourroit estre. Hé bien…     Quoy ?         N’ay- je pas toûjours dit que mon Maistre Deviendroit fou ?         Comment, pour avoir de l’amour… Le moyen qu’il s’en sauve ? Aussi dés qu’il est jour Il s’enferme tout seul dedans la Chambre aux Livres, Et parfois il ne prend pas pour deux liards de vivres. Vous sçavez comme elle est ?         Pleine de haut-en- bas De Volumes dorez, de Cartes, de Compas, De Cilindres divers, d’Astrolabes, de Spheres… Et d’autres Instrumens aussi peu necessaires. Il dépense à cela plus d’argent qu’il n’est gros : Quelquefois en trois jours il ne dit pas trois mots, Tant ce chien d’attirail le rend triste & sauvage. Tout ce qui m’en déplaist, Monsieur, & dont j’enrage, C’est que tous nos Voisins me parlant de cela, Disent qu’il n’entend rien dans les Livres qu’il a, Que tout cela chez nous ne sert que de parade, Que mon Maistre à crédit rend son timbre malade, Et ne se plaist avoir chez luy tout ce butin Que pour nourrir des Rats de Grec & de Latin ; Qu’il en a dont jamais il n’a fait l’ouverture Et qu’il n’y connoist rien que par la couverture. Vous ne croiriez jamais les sottises qu’on dit… L’amour pourra donner relâche à son esprit ; Et sa Femme pourra, pour peu qu’elle le prie… C’est un Homme gasté, Monsieur, s’il se marie : On pourra luy trouver une Femme à souhait ; Mais quelque magazin de vertu qu’elle ait fait, Quelque amas de pudeur, quelque fonds de sagesse Que la Nature en elle ait joint à sa jeunesse, Si Monsieur met chez nous à profit tout son bois, Nous passerons l’Hyver sans souffler dans nos doigts, J’en suis seûre ; & Monsieur, s’il se met en ménage, En aura de son crû du moins pour son chauffage ; Son âge & son humeur ne l’en sçauroient sauver ; Et comme son Amy, pouvez-vous aprouver… Comment, connois-tu bien la Femme qu’on luy donne ? Non, Monsieur, voyez-vous, je ne connois personne, Mais je me connois bien, & ne jurerois pas, S’il vouloit m’épouser, qu’il n’en eut…         En ce cas Tu seras du mestier ;mais Femme qui s’emprunte… Helas ! Dieu fasse paix à la pauvre Défunte : Mais ne sçait-on pas bien le train qu’elle menoit ? Hé bien ?         Eh de Monsieur quand on l’entretenoit, Ses Galants (car parfois j’oyois leur conference) Luy disoient franchement que c’estoit conscience Qu’il ne fust pas Cocu, jurant tout de leur mieux Qu’il avoit pour cela des talens merveilleux, Qu’il estoit vieux, jaloux, défiant, incommode, Et que pour estre enfin tout-à-fait à la mode, Il manquoit à son front ce qu’ils vouloient qu’il eut : Bref chacun luy dit tant…     Hé bien ?         Qu’elle le crût. De sorte que la Belle apres cette assurance, Faisant d’estre Coquette un cas de conscience, En faveur du Galant décidant sur ce point… Laissons les Morts en paix, & ne médisons point : Mais pour mon Maistre enfin, dûssay-je estre chassée, Je ne puis m’empescher de dire ma pensée ; Et s’il se marioit cent fois, je gagerois Ma teste, que Monsieur seroit Cocu cent fois. Oh, oh, sçavez-vous bien, Madame la Coquine Que vostre Maistre épouse une mienne Cousine ? Ah Monsieur…     Qu’elle est sage, & que…         Je le croy bien. Pourquoy donc en parler ?         Par forme d’entretien. O le charmant Portrait !         Si jamais mesme audace… Mon Maistre vient. Monsieur, de peur qu’on ne me chasse… Allez, une autre fois soyez sage ; autrement… Je n’en parleray plus, Monsieur, assurément. Que ces yeux languissans,cet air tendre & modeste, Cette gorge… pourquoy n’a-t-on peint tout le reste ? Ah Monsieur Trigaudin, quel bonheur !qu’il m’est doux De pouvoir embrasser un Amy tel que vous ! Vous sçavez qu’à vous voir je n’ay pas moins de joye, Et que quand mon bonheur permet que je vous voye… Laissons ces vains discours où la sincerité A souvent moins de part que la civilité, Ces complimens farcis de pompeux verbiage, Dont le bon sens commence à reformer l’usage, C’est un soin dont tout l’art consiste en jeu de mots Qu’on ne peut pardonner qu’à des Provinciaux : Parlez-moy bien plutost, si ma peine vous touche, De cet Objet charmant, de ses yeux, de sa bouche, Tout en est merveilleux. Mais parlons franchement, Le Peintre a-t-il rendu ses traits fidellement ? Ne l’a-t-il point flatté ?car pour estre à la mode, Il faut qu’un Peintre flatte, & se rende commode, En vain la verité voudroit paroistre au jour ; Qui fait bien ressembler, fait souvent mal sa cour ; En dépit du bon sens, ce Sexe veut paroistre Moins tel que Dieu l’a fait, que tel qu’il voudroit estre ; Et quand dans un Alcove on plante un beau Portrait, Soit qu’il ressemble, ou non, il est toûjours bien fait. Non, morbleu, je voudrois qu’on menast aux Galeres Ces lâches Barboüilleurs, ces Peintres mercenaires, Qui par l’espoir du gain, corrompus la plûpart, Renoncent sans scrupule aux regles de leur Art, Dispensent leur Pinceau sujet à l’imposture Du tribut qu’en ce cas on doit à la Nature, De qui l’art sans respect se mesle en leurs Portraits De faire les Gens beaux, quand Dieu les a fait laids, Et chez qui tous les jours la plus laide Personne Est belle au pro rata de l’argent qu’elle donne. Les Loix à cet abus devroient un Reglement. Il est vray, mais l’usage en décide autrement : Si le Peintre en cecy me paroist peu fidelle, C’est que sans vanité ma Cousine est plus belle ; Ce crayon imparfait n’en est…         Que dites-vous, Plus belle ? Quoy, ses yeux…         Sont plus grands & plus doux. Son teint ?     Est bien plus beau.     Sa bouche ?         Plus vermeille. Sa gorge ?     Bien plus blanche.         Elle est donc sans pareille ; Car je ne doute point qu’avecque tant d’appas Le Ciel n’ait embelly ce qui ne paroist pas. Sa taille ?     Est à charmer.     Son humeur ?         Complaisante. Son esprit ?     Délicat.     Sa maniere ?         Engageante. Jeune ?     Cela se voit.     Modeste ?     Oh, oh.         L’air bon ? Majestueux & grand.     Douce ?         Comme un Mouton. Que voila bien mon fait ! Ah sur cette assurance, Quand arrivera-t-elle ?         Aujourd’huy, que je pense. Aujourd’huy, juste Ciel ! Si nous prenions le soin D’aller au devant d’elle ?         Il n’en est pas besoin Afin de ménager doucement chaque chose, Il faut qu’adroitement à tout je la dispose : L’air dont je luy prétens parler, vous proposant, Luy paroistroit suspect, si vous estiez present ; Et le Portrait enfin que je luy prétens faire, Estant fait sans témoins, paroistra plus sincere. Ah ! que ne doit-on point à de pareils Amis ? Oüy, comme il vous plaira ; mais vous m’avez promis Que je l’épouserois ; J’en meurs d’impatience. Vous m’avez répondu de son obeïssance, Et m’avez assuré que l’offre de sa foy… Oüy, je m’en souviens bien, reposez-vous sur moy, Sa main vous est acquise. Il faut qu’elle vous voye. Ah ce dernier aveu met le comble à ma joye. Quant aux conditions, vous sçavez mon dessein : Mais comme je m’oblige en luy donnant la main, Et que par un Contract avantager la Belle, Sans rien faire pour vous, c’est faire tout pour elle, Je veux que mon amour redevable à vos soins, Ait de tous mes transports les vostres pour témoins : Ainsi dés-à-present je m’oblige, & m’engage A vous donner…     Hé quoy ?         Ma Niéce en mariage. Vostre Niéce ? Fort-bien, voila ce qu’il me faut. Ah c’est sans intérest…         Venez-la voir tantost. Moy, me remarier ? Ah Monsieur, je vous prie, Qu’on ne me parle point de Femme de ma vie : Non, la mienne estant morte, il est hors de saison De croire que l’Hymen…         C’est par cette raison Qu’il en faut prendre une autre, & songer à luy plaire : Si la vostre vivoit, vous n’en auriez que faire. J’aime le Célibat.         Ce dessein changera ; Ma Niéce est un morceau… L’appétit vous viendra. Valere qui l’adore…         Il est vray ; mais Valere, A ne le point flater, n’est pas bien son affaire ; C’est un jeune éventé, faineant, & mutin, Et qui, pour parler franc, sent trop son libertin ; Ma Niéce est encor jeune, il luy faut un bon Guide, Un Mary qui soit meur, dont l’esprit soit solide ; Et vous trouvant enfin d’un modele achevé… Le Carosse, Monsieur, pourroit estre arrivé ; Je veux qu’en arrivant ma Cousine me voye Prompt a luy faire part du sujet de ma joye, Et je vay disposer cet Hymen concerté. Et moy pres de ma Niéce agir de mon costé. Que mon amour se sent fier de cette assurance ! Mon bonheur aujourd’huy passe mon espérance. Que mes jours qui sembloient au chagrin destinez, De joye & de repos vont estre assaisonnez ! Qui l’eust crû, qu’un Portrait d’une jeune Personne M’eut donné tout l’amour que celuy-cy me donne ? Et qu’un intime Amy, que tant d’ardeur surprend, Se fust à point-nommé rencontré son Parent, Pour se charger de faire agréer mes hommages ? Ah qu’il est vray qu’au Ciel se font les Mariages ! Et qu’un Homme à l’Hymen s’oppose vainement, Alors que son Etoille en ordonne autrement ! Le Ciel à mon bonheur visiblement travaille ; Car outre sa beauté, son esprit, & sa taille, Répondent, m’a-t-il dit…Mais, ma Niéce paroist ; Je dois de Trigaudin ménager l’intérest ; Et ma Niéce n’ayant de but que de me plaire, Je puis luy déclarer l’Hymen que je veux faire. Ma Niéce, aprochez-vous, & dans un compliment Renfermez tout l’effort de vostre jugement, Et me remerciez de la belle maniere D’un present que demain ma bonté vous veut faire. Vos bontez ont pour moy de si frequents effets, Que mes remercîemens ne finiroient jamais, Si mes soins, mon respect, & mon obeïssance, Ne marquoient mieux mon zele, & ma reconnoissance : Mais quel est ce présent ?         Je vous donne un Mary ; Vous en riez ?     Non ; mais…         Si-fait, vous avez ry ; Je n’en suis point fâché, n’en faites point la fine : Mais, ma Niéce, un Mary dont l’esprit & la mine Doivent plaire, & je croy que c’est bien vostre fait. Helas ! je reconnoy Valere à ce Portrait. Les Filles à ce mot ne se sentent pas d’aise. Pour me plaire, mon Oncle, il suffit qu’il vous plaise ; Mon cœur est trop instruit de ce que je vous dois, Pour oser appeler jamais de vostre choix. J’apréhendois qu’en vous l’embarras du ménage N’eust mis quelque dégoust touchant le Mariage, Et qu’enfin cet effort ne vous gesnast un peu. Non, mon Oncle ; & de plus quand pour un pareil noeu J’aurois quelque dégoust, je sçaurois vous le taire, Et le sacrifier au desir de vous plaire. Hé bien, s’il est ainsi, soyez preste demain A prendre pour Epoux…     Qui ?         Monsieur Trigaudin ! Monsieur Trigaudin !     Oüy.         L’embarras du ménage Me fait terriblement craindre le Mariage, Mon Oncle ; & si je puis…         Ah je voy l’embarras ; Le Mariage plaist, mais l’Epoux ne plaist pas. L’Hymen a tous les jours des suites si fâcheuses, Que nous ne nous sçaurions rendre trop scrupuleuses ; L’affaire est importante, & ce choix veut du temps. Ah ne déguisez point icy vos sentimens. Si j’ose vous ouvrir mon ame avec franchise, Oüy, mon Oncle, il est vray, vostre choix m’a surprise ; J’ay frémy, je l’avouë, au nom d’un tel Mary, Mon cœur en sa faveur ne peut estre attendry ; Cest Homme est un objet si choquant à ma veuë… C’est un Homme d’honneur, de probité connuë, Un Homme de bon sens, d’un mérite achevé : Mais je voy ce que c’est ; votre goust dépravé Aimeroit beaucoup mieux quelque teste éventée, Ma Niéce, & je vous voy de ces Gens entestée, Qui font, étudiant toutes leurs actions, Consister le bel air dans leurs contorsions ; Qui portent chez tous ceux qui les trouvent commodes, La charge d’un Mulet du fatras de vingt modes, Et de qui tous les jours, malgré ce qu’on en dit, Le fracas sert de Farce à tous les Gens d’esprit. Trigaudin, il est vray, n’est pas de ce modele, Il est sage, bien fait, plein d’honneur, plein de zele, Modeste en ses habits ; mais enfin tel qu’il est, Il sera vostre Epoux, ma Niéce, s’il vous plaist ; Et comme à cet Hymen ma parole m’engage, Je vay tout disposer pour vostre Mariage. S’il faut qu’à ce malheur mes jours soient reservez, Mon Oncle…         Taisez-vous, vous dis-je, & me suivez. Fin du premier Acte Et j’allois vous chercher, Monsieur, pour vous l’aprendre. Toinette, que dis-tu ?         Ce que je viens d’entendre. Il donneroit sa Niéce à Monsieur Trigaudin, Ce Pied-plat…         Il est vray que c’est un laid Mâtin. Qu’a dit Julie encor sur tout ce qui nous touche ? Cet ordre à son amour a-t-il fermé la bouche ? A-t-elle, en l’acceptant, perdu le souvenir De ces deux cœurs que rien ne devoit des-unir ? Geronte a-t-il trouvé son cœur sans Interprete, Son visage sans trouble, & sa bouche muette ? Dy-moy, qu’a t-elle dit pendant cet entretien ? Et qu’auroit-elle dit ? Elle n’a rien dit.         Rien ! Ah que ne dois-je point croire d’un tel silence ? Tout trahit mon amour.         Ma foy, Monsieur, je pense Que vous eussiez comme elle esté bien empesché ; Elle ne prévoyoit rien moins qu’un tel marché : Tenez, en vous trouvant vous-mesme à telle feste ; Il vous seroit venu des cornes à la teste, Que vous eussiez esté moins surpris, & la peur… Oüy, peut-estre.         Mon Dieu, je connois vostre humeur, Vous estes amoureux, violent, & je gage Que vous auriez joüé le mesme personnage. Et quand de Trigaudin reçoit-elle la main ? Quand doit-il l’épouser ?     Demain, Monsieur.         Demain ? Oüy, nostre Maistre veut que par cette alliance Sa Niéce soit le prix de la reconnoissance Qu’il prétend témoigner à Monsieur Trigaudin, Qui luy fait épouser sa Cousine demain. L’épouser ? & ce cœur verroit lors qu’il me quitte, Ma raison sans éclat, mon desespoir sans suite ? Non, non, je veux parler à cet Objet sans foy, Je veux luy reprocher…         Doucement, je la voy. Ah qu’un cœur à l’aspect d’une personne aimée… Je voy dedans vos yeux que vostre ame alarmée Se prépare à se plaindre, & veut me condamner, Sur le choix d’un Epoux que l’on me veut donner ! Mais sans perdre de temps en plaintes inutiles, Ecoutez, s’il se peut, des transports plus tranquiles, Sans m’en croire capable, ou venir sur ce bruit Consommer un temps cher en reproches sans fruit ; Tâchez, en me plaignant, de vous dire à vous-mesme, Satisfait du plaisir de sçavoir qu’on vous aime, Que tant que je pourray me choisir un Epoux, Je feray mon bonheur du plaisir d’estre à vous. Non, non, si cette Loy vous eust fait violence, Ce cœur en ma faveur eust rompu son silence. Sans la bouche & les yeux, sur quoy s’en assurer ? Vous en avez reçeu l’ordre sans murmurer ; Ce silence mortel au feu qui m’inquiéte, De l’aveu qu’on vouloit, s’est rendu l’Interprete ; Et l’Amant de ses feux tire bien peu de fruit, S’il se promet un cœur par le devoir séduit. Que vous estes cruel ! C’est avec trop d’étude Vouloir chercher matiere à vostre inquiétude ; Je vous aime, & l’aveu que je vous en ay fait, Doit rendre avec raison vostre amour satisfait : Mon Oncle m’a prescrit ce qu’on vous vient d’aprendre ; J’ay, pour le ménager, des mesures à prendre ; Et ma surprise jointe à la peur de l’aigrir, A causé mon silence.         Et vous pourrez souffrir… Parlez-luy, ménagez mon repos & le vostre ; Il sçait que dés longtemps nous brûlons l’un pour l’autre, Tâchez de l’ébranler, obtenez son aveu ; Et s’il veut jusqu’au bout contraindre un si beau feu, Soyez seûr que pour lors la peur de luy déplaire, N’aura rien dont mon cœur…         Tout-doux, il faut se taire, Madame, & détaler, je l’aperçoy qui sort. Je vous quitte.         Et je vay faire un dernier effort… Sa Cousine sans doute est venuë, & j’espere Que l’Hymen où j’aspire… Ah vous voila, Valere Qu’est-ce ? que dit le cœur ? Je vous voy bien pensif. J’allois vous chercher.     Moy ?     Vous-mesme.         Quel motif M’attire un tel honneur ? pourrois-je quelque chose… Pour peu que vous vouliez en deviner la cause, Quelque espoir dont ce cœur ait esté prévenu, Ce desordre où je suis vous doit estre connu ; Car vous n’ignorez pas jusqu’où vont ma tendresse, Mes respects & mes feux, pour votre aimable Niéce, Depuis quel temps je l’aime, & vos yeux sont témoins Du plaisir que j’ay pris à luy rendre des soins. Ensemble l’un & l’autre élevez dés l’enfance, L’Amour se résolut d’en troubler l’innocence ; Et soûmis à ses Loix, sans connoistre son nom, La tendresse en nos cœurs préceda la raison : Nos regards animez d’un feu tendre & timide, N’eurent de nos transports qu’un peu d’instinct pour guide ; Et tous deux de ces feux destinez à brûler, Sçeûmes aimer avant que de sçavoir parler. Quand l’âge nous permit d’aimer avec étude, Nous aimâmes par choix comme par habitude ; Et ce choix confirmant nos transports à son tour, Mit d’accord dans nos cœurs la raison & l’amour ; Le mien de ses ardeurs ne fit plus un mistere, J’aimay, je m’aplaudis du bonheur de luy plaire, Je luy rendis des soins ; vous pûtes l’observer, Vos yeux qui les souffroient, sembloient les aprouver : Cependant quand je n’ay que mon bonheur en veuë, Vous voulez par un choix dont la rigueur nous tuë, Nous forcer d’étouffer, luy donnant un Epoux, Un amour dés l’enfance élevé parmy nous. Ah voicy de mes Gens, des timbres sans conduite, Chez qui les beaux discours tiennent lieu de mérite, De ces Galans jurez, qui font leur capital De bien philosopher sur le nœud conjugal. Voila ce qu’a produit cette lecture fade De ces petits Romans dont Barbin fait parade, De ces Livres sans sel, aussi-bien que sans noms D’Ecrivains qu’en fureur fait pleuvoir Apollon. Lisez-moy, lisez-moy, pour vous faire un bon Guide, Quelque bon Philosophe, ainsi qu’estoit Ovide. Si vous cherchez en Vers quelque chose de bon, Lisez les Vers galants & tendres de Platon. Si vous aimez l’Histoire, achetez-moy par botte De bons Historiens comme estoit Aristote. Si chez les Orateurs vous trouvez plus de goust, Lisez-moy goulûment Plaute de bout en bout : Et si de Vers pompeux le torrent vous entraîne, Aprenez-moy par cœur tous ceux de Demostene. Voila, pour estre Docte, une Ecole où l’on peut… Il est vray ; mais, Monsieur, n’est pas Docte qui veut. Si je balance un jour sur le choix d’un bon Livre, Vos avis sont des loix que je pourray bien suivre : Mais comme c’est d’amour dont il s’agit icy, Si je m’explique bien, répondez juste aussy. Je le voy, vous voulez mourir avec constance Dans l’abisme où vous a plongé vostre ignorance : Hé bien, il faut répondre à vos intentions, Parlez, je répons juste, & tres-juste ; voyons. Se peut-il, connoissant mon cœur & ma tendresse, Qu’à Monsieur Trigaudin vous donniez vostre Nièce ? Oüy.         Qu’en nostre faveur rien ne vous ait parlé ? Non.         Vous sacifiërez le feu dont j’ay brûlé, Et vous le pourrez ?     Oüy.         Vostre ame combatuë Ne revoquera point un ordre qui me tuë ? Non.         Il épouseroit vostre Niéce demain ? Oüy.         Je n’aurois plus rien à prétendre à sa main ? Non.         Ah si d’un tel coup ma flâme est menacée… Ecoutez. Pour vous dire en deux mots ma pensée, Et vous faire un aveu dépoüillé d’intérest, De quel air vivez-vous, mon Cadet, s’il vous plaist ? Vous aimez le fracas, & portez l’équipage D’un Fanfaron nourry dans le libertinage ; Les plaisirs, les Cadeaux vont toûjours mesme train, On vous voit tous les jours des Cartes à la main, Et c’est un Almanac dont vous faites le vostre, Qui fait faire bien plus de jeusnes qu’aucun autre. Comme un Mestre de Camp il faut que vous portiez Une Epée au costé trop longue de deux piez ; Vous qui n’avez oüy, depuis qu’on vous éleve, Que les coups de Canon que l’on tire à la Greve ; Qui fuyant le Salpestre ainsi que les Lauriers, Imitez dans Paris nos Breteurs cazanniers, Nos braves Citadins, nos Heros de Ruelles, Ces paisibles Martyrs du caprice des Belles, Qui dans un Lieu public se campant fierement, D’un plaisir sans péril font leur retranchement, Et de qui tous les ans, malgré les railleries, Les Campagnes se font dedans les Tuilleries. Voila vostre Portrait, & c’est pourquoy je veux, Pour vous faire plaisir, vous séparer tous deux : Je voy que vous voulez dans ce libertinage, Tant que le permettront vostre argent & vostre âge, Chercher en étourdy, pour contenter vos feux, Quatre mois de plaisir, pour estre dix ans gueux ; Et qu’enfin vostre esprit qui sans choix se travaille, A l’exemple du fruit veut meurir sur la paille, Soit. Mais je dois songer à regler vostre espoir, Il faut un autre Epoux à ma Niéce, bon-soir. Que d’un pareil mépris ma flâme soit suivie ! Ah si je perds sa Niéce, il faut perdre la vie ; Suivons-le, mon amour ne se peut rebuter, Aussi-bien quelqu’un vient qui pourroit m’arrester. Mon Maistre à son retour met un assez long terme, La Cousine est venuë, & l’attend de pié ferme ; Je suis d’avis de voir ce qu’il est devenu, Il a quelque dessein qui ne m’est pas connu : Mais enfin par mes soins sa conduite observée… Monsieur…     Qu’est-ce, qu’as-tu ?         Madame est arrivée, Elle est dans l’autre Chambre.         Elle sçait bien qu’il faut… Sans doute.         Il faut la voir, & la voir au plutost, Pour luy communiquer l’affaire qui s’apreste ; J’entre, & luy veux parler un moment teste-à-teste. Je ne sçay quel dessein fait mon Maistre aujourd’huy ; Sans Toinette tantost je l’aurois sçeu de luy : Faire passer sa Femme icy pour sa Cousine, Me semble… Si c’estoit ce que je m’imagine… J’ay l’honneur de servir un aussi grand Fripon Qu’il s’en puisse trouver du Couchant au Japon ; Je connois son allûre, & ne me trompe guere, Je veux les écouter, & voir sur cette affaire… Les voicy.     Laisse-nous.     Si…         Ne replique pas. Je feins de m’éloigner, & reviens sur mes pas. D’où vient ce sombre accueil, & ce regard farouche, Ce trouble qui vous ouvre & vous ferme la bouche ? Vous le sçaurez bientost ; mais il faut visiter Cette Chambre où quelqu’un nous pourroit écouter. Nous sommes seuls, je puis m’expliquer sans scrupule ; Et sans vous ennuyer d’un trop long préambule, Je croy que vostre esprit content d’un tel Epoux N’a pas mis en oubly ce que j’ay fait pour vous. Mon ame est trop sensible à la reconnoissance, Pour oublier jamais…         Mais sur cette assurance Qui sent le compliment qu’on cherche à s’attirer, Quelle preuve de vous en pourrois-je esperer ? Tout ce qu’un cœur soûmis, tout ce qu’un amour tendre, D’une ame toute à vous, peuvent vous faire attendre. Prenez bien garde à quoy ce cœur va s’engager. Douter de mon amour, c’est n’en pas bien juger. La preuve que j’en veux est un peu singuliere, La matiere en est neuve, & mesme Cavaliere. Plus l’effort sera grand, plus j’impute à bonheur Le moyen de pouvoir vous prouver mon ardeur. Puis que d’un tel effort vostre vertu se pique, J’aime à n’en point douter. Je poursuis, & m’explique ; Il faut premierement, pour venir à ma fin, Ne nous nommer par tout que Cousine & Cousin. On me l’a déja dit, Monsieur ; & quelque peine Que fasse à ma tendresse un titre qui la gesne, Le plaisir de vous plaire où j’aspire en ce jour, Sçaura d’un tel effort consoler mon amour. C’est fort bien répondu. J’ay déja par avance Jetté les fondemens de cette intelligence ; Et soupant l’autre jour chez un Amy parfait, Où le hazard voulut qu’on vit vostre Portrait, Afin de parvenir au but que j’imagine, Je vous fis pres de luy passer pour ma Cousine. Vous avez vos raisons ; vous pouvez ordonner, Et je souscris à tout, sans les examiner. Fort-bien. Expliquons-nous, puis que rien ne l’arreste ; Cet Amy dont je parle, est bien fait, sage, honneste, Et vous allez vous-mesme en demeurer d’accord, Sçachant qu’il a chez luy dedans un Coffre-fort Cent mille francs contens qu’il m’a…         La preuve est forte ; Mais qu’importe pour nous…         Si fait il nous importe. Cet Amy donc bien fait, honneste, sage, & doux, A sur vostre Portrait pris tant d’amour pour vous, Qu’il ne respire plus qu’apres vostre présence : Du trouble de son cœur il m’a fait confidence, Et lors qu’à cet aveu je m’attendois le moins, M’a prié de souffrir qu’il vous rendist des soins : Mon amitié sensible à l’amour qui l’obsede, Au mal dont il se plaint a promis du remede, Et réduit pour raison à le favoriser, Je prétens dés demain vous le faire épouser. A moy, Monsieur ?     A vous.     Bon.     Comment bon ?         Vous dites Que vous avez promis…         D’agréer ses visites, De vous donner à luy pour Femme, & que ce point… La raillerie en est ?         Non, je ne raille point. Vous ne raillez point ?     Non.         C’est de quoy je vous blâme, Avez-vous oublié que je suis vostre Femme ? Non, je m’en souviens bien ; mais ce petit effort Nous peut donner acces pres de son Coffre-fort ; Et ce moyen enfin qu’il faut que l’on hazarde, Peut nous aproprier tout l’argent qu’il y garde. Vous vous divertissez sans doute, & ma vertu… Je parle tout de bon, & prétens estre crû. Vous pourriez, soûmettant mes sentimens au vostre, Voir ainsi vostre Femme entre les bras d’un autre ? Et vous perdant d’honneur, en disposant de moy, Faire par intérest commerce de ma foy ? Un Homme revenu des erreurs populaires, De scrupules pareils ne s’embarasse gueres ; Chez le plus régulier on voit mille fois l’an Et la vertu venduë, & l’honneur à l’encan. Vouloir de ces abus rectifier l’usage, Ce seroit s’entester d’un point-d’honneur sauvage ; Chacun pour s’agrandir, hazarde plus ou moins, Le Marchand son argent, le Praticien ses soins, L’Homme de Cour son sang, l’Artisan son adresse, La Coquette au besoin hazarde sa jeunesse, L’intérest sert par tout de guide à la vertu ; Mais de trop d’embarras l’esprit est combattu, Quand il faut sur l’espoir qui flatte cette envie, Risquer ses soins, son bien, son adresse, ou sa vie, Et c’est à bon marché joüir de son bonheur, Que d’en estre aujourd’huy quitte pour de l’honneur. A vous dire le vray, Monsieur, cette Morale Est nouvelle pour moy ; mais enfin le scandale Qui suivroit…         Vostre esprit se gendarme de peu. Craignez-vous qu’abusant icy de vostre aveu… Mais ce lien, Monsieur, par des Loix necessaires, Demande de l’Hymen les suites ordinaires ; Et je ne comprens pas comment vous accordez Cette suite & l’effet que vous en attendez. Ecoutez ; Nous pourrons rendre par nos adresses Vostre esprit satisfait sur ces délicatesses ; Mon dessein est de voir ces suites sans effet ; Voicy comment. Si-tost que l’Hymen sera fait, Pour n’avoir sur ce point aucun sujet de crainte, De quelque mal subit vous vous feindrez atteinte, Dont le prétexte adroit bornera quelque temps Au plaisir de vous voir, tous ses empressemens ; Tandis que de ma part je sçauray me résoudre A luy faire avaler douze grains d’une poudre Qui fait des Heritiers du soir au lendemain. Peste !         Quand j’auray fait reüssir mon dessein, Je vous sçauray sous-main, pour vous voir à la mode, De nos Veuves du temps éclaircir la méthode. Quoy, le faire mourir ?         Passons sur ces objets. Mais songez-vous, Monsieur, que de pareils projets Font pendre quelquefois ceux qui les effectuënt. Pend-on les Medecins, qui tous les jours en tuënt ? Pend-on les Avocats, pend-on les Procureurs, Qui font mourir de faim les trois quarts des Plaideurs Vous vous moquez de moy :toute la diférence Qui nous distinguera dedans cette occurence, C’est que pour s’enrichir, ces Messieurs moins humains Font crever par milliers ceux qu’ils ont dans les mains, Et que plus scrupuleux cent fois, & plus honneste, Je n’auray pour du bien, fait tomber qu’une teste. Voila, je vous l’avouë un méchant Garnement. Je ne puis revenir de mon étonnement, Car vostre bien suffit aux besoins d’une vie… Oüy, j’en puis vivre avec bien de l’oeconomie, Il est vray :mais aimer une tranquilité Que l’on ne peut trouver que dans l’obscurité ; N’avoir dans les plaisirs, par qui l’ame est émeuë, Que sa misere en teste, & sa bassesse en veuë, Et plein des mouvemens qui chatoüillent les cœurs, Subsister sans éclat du fruit de ses sueurs, En faire avec ses sens un si foible partage, C’est de la pauvreté se sauver à la nage, C’est estre à sa bassesse en Esclave enchaîné, Et ramper sans espoir dans un état borné : Quand on peut se vanger du Sort qui nous gourmande, Quelque effort que de nous l’occasion demande, Il faut sans balancer la prendre avec chaleur ; Et qui peut la manquer, mérite son malheur. Pour moy, je vous l’avouë, & je ne puis m’en taire, Je n’ay d’ambition que celle de vous plaire ; Je borne ma fortune au plaisir de vous voir Dans cet état tranquile, & ne puis concevoir Comment sur cet espoir…         L’occasion est belle. Vous exposez vos jours.         C’est une bagatelle Où je mettray bon ordre ; & lors que vostre foy M’aura mis…         Non, Monsieur, n’attendez rien de moy, Ce dessein me fait peur, j’en frémis.         L’Innocente ! N’attendez rien de moy, vous dis-je, il m’épouvante, Je n’y veux point entendre, & mon cœur en conçoit Une suite…         Et je veux morbleu que cela soit. Je ne m’y puis résoudre ; & quoy que l’on exige De mes soins…         Et je veux que cela soit, vous dis-je, Que vous suiviez en tout ce que je vous prescris, Pour trouver cet Amy, je vais à son Logis. Vous sçavez de quel air je veux qu’on le reçoive ; Secondez mon dessein, sans qu’il s’en aperçoive, Et que tous vos discours d’accord avec vos yeux, Ménagent comme il faut mon secret & ses feux : Enfin souvenez-vous, faisant vostre harangue, Que je donne vos jours en garde à vostre langue ; Dans une heure au plus-tard je vous l’amene icy, Faites-luy bonne mine, autrement…Songez-y. Cecy me semble un songe, & jamais ma surprise N’estoit venuë au point où ce discours l’a mise. Quoy, toutes mes raisons contre celle qu’il a, N’ont pû…         Le grand pendard de Maistre que j’ay là ! Tu l’écoutois.         D’icy, je venois de m’y mettre, Madame, & comme vous je ne puis m’en remettre : Le Fourbe ! marier sa Femme à son Voisin, Pour le faire crever, & piller son douzain ! Que résoudre ? je crains son humeur violente. Pour vous tirer d’affaire, & tromper son attente, Je m’offre à vous servir, si vous y consentez, Et je sçais une piece où toutes ses clartez… Je me trouve en état de risquer toutes choses, Plutost que de souffrir…Mais ce que tu proposes Pourra-t-il…         Vostre esprit en sera satisfait. Vien m’en entretenir, pour en presser l’effet. Fin du Second Acte Je vous cherchois, Monsieur ; on meurt d’impatience De sçavoir le succés de vostre conférence, Et j’allois pour sçavoir de vous en ce moment, Ce que nostre Oncle a dit à vostre compliment. Helas, Toinette !     Hé bien ?         Va dire à ta Maîtresse, Qu’il m’oste tout l’espoir qui flattoit ma tendresse, Que malgré tant d’amour tout trahit nos souhaits, Et que je vay demain la perdre pour jamais. Ah Monsieur !         Oüy, demain on contraindra sa flâme A souffrir Trigaudin, elle sera sa Femme. Helas !         Son Oncle en est tellement entesté Qu’il m’a presque laissé, sans m’avoir écouté. Mais de quel air encor voit-il vostre ame atteinte ? De quel air ? comme un Tigre insensible à la plainte, De qui l’ame inflexible, & le cœur endurcy, Fait répandre des pleurs sans en estre adoucy. Non, tant de dureté me confond, & la honte… De mon peu de bonheur va-t-en luy rendre compte, Peins-luy le desespoir d’un Amant qui la croit… Je n’ay garde, Monsieur, cela la fâcheroit. Pour moy, qui sans souffrir une douleur mortelle, Ne puis voir cet Hymen, je veux m’éloigner d’elle ; Je veux quitter ces Lieux où tout me fait horreur, Je le dois ; car enfin, Toinette, quand ce cœur Qui ne sentit jamais de feu pareil au nostre, La verroit sans mourir entre les bras d’un autre, Je ne répondrois pas que mon ressentiment Ne portast ma douleur à quelque emportement, Et que contre l’Epoux que l’on la force à prendre, Un juste desespoir n’osast tout entreprendre. Il vaut mieux m’éloigner.         Ah gardez-vous-en bien. Non, non, tous tes conseils ne serviront de rien ; La raison, mon amour, tout à partir m’oblige, Il faut…         Gardez-vous bien de la quitter, vous dis-je. Je veux partir, te dis-je ; éloigné de ses yeux… Ma foy, si Trigaudin me chassoit de ces Lieux, Comme Dieu m’a donné du panchant au vacarme, Je ne partirois pas sans luy donner l’allarme, Mais si chaude…     Comment ?         Je vous le dis tout net, Monsieur, j’irois le voir, & luy dirois son fait ; Et que si son amour à cet Hymen s’obstine, Je sçaurois … Mais tenez, le voicy qui rumine. Laisse-nous ; tout mon sang s’émeut à son abord, Je suivray ton conseil, & je l’aprouve fort. Quel Galant ! La figure en est-elle pas bonne ? Mon amour est confus du Rival qu’on me donne ; Et si pour m’en vanger, je suivois mon chagrin… Ah Monsieur.         Ah c’est vous, Monsieur Trigaudin. Pour vous servir, Monsieur.         Ecoutez…Eh de grace, Pour m’entendre un moment, suprimez la grimace. Encor ? Eh ces saluts ne sont pas de saison ; Et voulant avec vous en user sans façon, Vous pouvez vous couvrir : vous sçavez bien que j’aime ? Tout le monde le sçait.         Que l’on m’aime de mesme. Cela s’en va sans dire ; un Homme de vostre air… Pour l’Objet, il n’est pas besoin de le nommer ; Vous sçavez bien que c’est…         La Niéce de Géronte. Justement.     Oh.         L’on vient de m’en faire un sot conte, Et je ne sçay qu’en croire. On m’a dit qu’il prétend Luy donner pour Epoux un Homme dégoûtant, Sans naissance, sans bien, mal-fait de sa personne : C’est un bruit qui d’abord m’a surpris. On s’étonne De ce choix ; mais estant de ses Amis enfin, Sçauriez-vous point le nom de cet heureux Faquin ? Et sur un tel Portrait pourriez-vous point m’instruire… Sans vanité, c’est moy qu’on a voulu vous dire, Monsieur.     Qui, vous ?     Moy-mesme.         Aussi quand j’y songeois, J’y trouvois de vostre air, & beaucoup de vos traits ; Ainsi vous l’épousez, & l’espoir de luy plaire… Moy, Monsieur ?     Oüy.         J’ay trop de respect pour Valere : Géronte à cet Hymen semble s’estre attendu ; Mais loin de l’accepter, je m’en suis défendu ; Je connois vostre amour, Monsieur, & je devine Les ennuis qui suivroient…         Mais enfin s’il s’obstine A vouloir vous donner sa Niéce, & que son choix… Monsieur, je ne puis pas me marier deux fois ; Et ce second Hymen la rendant malheureuse, Pouroit avoir pour moy quelque suite fâcheuse. Cela pourroit bien estre.         Oh je me doute bien Que si je l’épousois, sans m’étonner de rien, Ce seroit m’exposer…& la chose est plausible, A passer par les mains d’un Homme aussi terrible… Sans-doute.         Et que mes jours, cet Hymen terminé, Courroient risque…         Ma foy, vous l’avez deviné. Bon, cela saute aux yeux.         Songez, en Homme sage, A ne vous plus flatter d’un pareil Mariage. Si j’aprens que vos soins l’importunent jamais, Et que vous prétendiez…         Non, Monsieur, je promets Que de quelque façon que Géronte me voye, Au feu dont vous brûlez je la cede avec joye, Et que de mes respects vous serez satisfait. Cela suffit ; Adieu, nous en verrons l’effet. Ce Geronte entesté de l’Hymen qu’il veut faire, Avec cet Etourdy me fera quelque affaire. Cherchons-le cependant, pour luy dire qu’icy Ma Cousine arrivée y peut… Mais le voicy. Je vous cherchois. Hé bien, vostre aimable Parente… Est icy.         Quel bonheur ! tout flatte mon attente. Peut-on la voir ?         Sans-doute ; elle n’attend que vous. Mais sans l’incommoder ?     Nullement.         Avez-vous Avantageusement parlé de la personne ? Vanté la mine & l’air de l’Epoux qu’on luy donne ? Sans-doute.         Avez-vous bien fait valoir le présent Que mon amour prétend luy faire en l’épousant ? Et parlé de l’argent…         Comme en ce Mariage L’heur de vous posseder est l’unique avantage Qui doit causer en elle un amour bien reglé, Cet Article est un point dont je n’ay pas parlé. Pourquoy ?         Quand l’intérest en un pareil rencontre Peut avoir quelque part dans l’ardeur qu’on nous montre ; Quand l’argent rend un cœur sensible à son aspect, Ce qu’il promet d’amour est un présent suspect : Il faut, pour s’aplaudir de l’ardeur d’une Femme, Ne pouvoir imputer qu’à soy toute sa flâme, Et se pouvoir enfin répondre en s’engageant, Que c’est nous qu’on épouse, & non pas notre argent. Fort-bien. C’est avoir sçeu me rendre un bon office. Mais avez-vous de moy fait un Portrait qui puisse… Si parfait, que son cœur charmé sur mon raport, Vous adore.         Déja ? Voila qui prend bien fort. Ainsi donc nostre Hymen sera chose facile ? Il dépendra de vous.         Allons voir si mon stile Ne diminuëra rien de cette opinion. Je m’en vay l’appeller.     Fort-bien.         Que me veut-on? Voicy nostre Homme.     Ah Ciel !         Ne faites pas l’Idole, Autrement…La voila, joüez bien vostre rôle. Qu’elle est belle ! jamais je ne vis rien d’égal, Et son Portrait n’est rien pres de l’Original : Souffrez que sur l’espoir de vous avoir pour Femme, Je vous livre un baiser pour gage de ma flâme. Il entre en ces baisers, sans un nœud solemnel, Des transports indécens d’un feu trop sensuel : On sçait qu’un nœud sacré comme le Mariage, Ne doit pas commencer par le libertinage, Et qu’on doit de ses feux marquer la pureté Par un retranchement de sensualité : Quand par les droits d’Hymen vous en serez le maître, Dans vos embrassemens vos feux pourront parestre. Jusques-là…         J’y consens : mais laissez-moy du moins Luy marquer mes transports par quelques petits soins ; Sur l’aveu du Cousin, j’ay crû que la Cousine Recevroit sans chagrin l’Epoux qu’il luy destine ; Qu’aimant ce cher Parent, vous pourriez trouver bon Qu’il disposast d’un cœur…         Vous avez eu raison, J’ay reçeu de sa main un Epoux que j’honore, Qui m’aime, & dont le cœur…         Ma Belle, il vous adore. Quelque trouble secret qui m’étonne aujourd’huy, Je fais tout mon bonheur du plaisir d’estre à luy ; Mon cœur à son amour s’est trouvé si sensible, Que pour le signaler, tout luy sera possible, Et ma raison ne peut résoudre ma pudeur A cacher un amour maître de tout mon cœur. Ah de trop de bontez c’est honorer ma flâme : Ainsi donc cet Epoux aura toute vostre ame ? Toute entiere !         Et ses soins témoins de ses desirs… Me plairont.     Son amour ?         Fera tous mes plaisirs. Sa personne, hem ? parlez.         Me sera toûjours chere. Et ses transports ?         Croistront le desir de luy plaire. Son entretien ?         Pour moy sera plein de douceur. Ses caresses ?         Daignez épargner ma pudeur. C’en est trop ; & mon feu qui s’efforce à paraistre, De mon ravissement ne me sent plus le maître. Doucement, ces transports sont un peu trop fréquens : Je vous l’ay déja dit, un Homme de bon sens Ne doit point exposer, exigeant de ces preuves, La pudeur d’une Fille à de telles épreuves ; Il faut, quand nous pouvons donner tout à nos sens, Epargner les témoins de nos empressemens, De crainte d’exciter, par un soin condamnable, De petits mouvemens dont on est responsable. Tout ce raisonnement me semble bien subtil ; De petits mouvemens ! Comment se pourroit-il Qu’un Cousin pût avoir ces scrupules dans l’ame ? Que devant le Mary l’on caresse la Femme Tous les jours, sans qu’aucun…         Distingo, s’il vous plaist. Puis qu’elle me veut bien, & que je suis tout prest De l’épouser, pourquoy…         Monsieur, on vous demande, C’est vostre Procureur, qui par son Clerc vous mande Que jusqu’à son Logis vous alliez au plutost. Le fâcheux contretemps ! Je m’y rendray tantost. Il presse.     Qu’il attende.         Il dit que c’est pour faire… Ah Ciel ! il ne faut pas negliger cette affaire, Les laisser seuls, tandis que d’amour transporté Celuy-cy… Puis que c’est une necessité, Le Logis où je vay n’est pas loin, & j’espere Estre bientost icy, je ne tarderay guère. Madame, le hazard le force à vous quitter, C’est une occasion dont il faut profiter ; Vous sçavez…         C’est à quoy je suis bien résoluë : Laisse-nous seuls.         Enfin, malgré la retenuë Où ses yeux me forçoient, je puis en liberté Vous montrer tout l’amour dont je suis transporté ; Et ces mains…         Ce transport qui paroist légitime, Ne sçauroit de ma part estre souffert sans crime ; En vain vous prétendez devenir mon Epoux, Ne vous en flattez plus, je ne puis estre à vous. Ah que m’avez-vous dit, trop charmante mignonne ? Je ne puis estre à vous ? Est-ce que ma personne Vous déplaist ?         Non, Monsieur ; mais toutes mes ardeurs Se bornent au plaisir…         Ah vous aimez ailleurs, Traistresse ; & d’un Galant la flâme sera cause… Non, un Galant n’est pas ce que je vous oppose ; Un obstacle plus fort m’oblige à refuser Un honneur…         Vous voulez me voir agonizer : Ce refus coloré me cache une autre flâme ; Mais peut-on le sçavoir cet obstacle, Madame ? Oüy, Monsieur, je vous croy galant Homme, & discret, Vostre embarras me touche ; & comme ce secret, S’il estoit divulgué, pourroit bien me commettre, Je vous en feray part, si vous voulez promettre De faire aveuglement ce qu’on exigera De vos soins.         Je feray tout ce qu’il vous plaira. Mon cœur n’ose exposer sur si peu d’assurance… Faut-il par des sermens vaincre la défiance ? Il m’importe beaucoup de n’en pouvoir douter. Si quoy que de ma part vous puissiez souhaiter, Je balance un moment à vous rendre service, Qu’à mon premier refus tout l’Enfer me punisse, Que la foudre à vos yeux m’écrase, si je mens. Il suffit, je veux bien en croire vos sermens. Celuy qui vous a dit que j’estois sa Cousine Et qui vous fait sa Cour du cœur qu’il vous destine, Qui semble me porter à répondre à vos feux, Ce mesme Homme qui vient de nous quitter tous deux, Vous le diray-je…         Hé bien, ce mesme Homme, Madame… Est mon Mary, Monsieur, & vous voyez sa Femme. Vous, sa Femme ?     Moy-mesme.         Ah Ciel… Mais non, sur quoy Pourrois-je à ce discours adjouter quelque foy ? Il est de mes Amis ; Depuis dix ans, Madame, Je sçay bien qu’il est Veuf, & j’ay connu sa Femme, Et ce détour pour moy n’est pas bien concerté. Ah que de vostre erreur vous estes entesté ! Il l’entretient, vous dis-je, apres l’avoir causée : Il m’a près d’Orleans en secret épousée Et depuis quatre mois, pour des raisons qu’il a, Il cache cet Hymen clandestin.         Tout cela N’est qu’un conte à plaisir, une défaite honneste, Pour détourner l’Hymen où mon amour s’apreste ; Ma personne vous choque, & je voy clairement Que vous vous mitonnez un Epoux plus charmant. Non, vous dis-je.         Si fait, friponne de mon ame ; Par pitié pour mes jours recevez mieux ma flâme ; Croyez que vous pourrez, sans que j’en dise un mot, Disposer de mon bien, & regler vostre dot, Et que je vous en veux donner pour hypoteque Tous les Duplicata de ma Biblioteque. Quant aux plaisirs divers que vous pourriez avoir, Que je veux que l’effet surpasse vostre espoir, Et que je vous répons, vous livrant ma personne, Des ardeurs d’un Blondin sous un poil qui grisonne, Mille tendres soûpirs poussez de temps en temps, Viendront cautionner mes regards languissans ; Sans cesse ces soûpirs cherchant à se confondre… Ces offres sont fort beaux, mais je n’y puis répondre ; Et la douleur que j’ay de vous avoir connu, Est moindre que l’ennuy de vous voir prévenu : Mais lors que vous sçaurez…Vous avez des oreilles, Cachez-vous, vous allez entendre des merveilles ; Tous mes discours vous ont paru mysterieux, Mais mon Mary qui vient, vous en convaincra mieux ; Ecoutez seulement, prestez-nous grand silence, Et ne vous montrez point.     Hé bien, soit.         Il avance. Qu’est devenu Geronte ?     Il est sorty.         Fort-bien. Craignant que l’embarras d’un premier entretien Ne trahist un secret dont je fais grand mystere, J’ay pour quelques momens differé mon affaire, Et pressé mon retour ; outre que…         Je vous croy Content de mon début.         Tres-content ; & je voy Que cet Oyson, suivant ma premiere pensée, A dedans nos panneaux donné teste baissée. Et qui n’y donneroit ? Les Gens de bonne-foy Sont aisez…         C’est un Homme à berner, croyez-moy ; Et dont l’esprit n’est pas capable de reforme, La matiere chez luy fait honneur à la forme, Et ne presente aux yeux dans tout cet Animal, Qu’un corps d’Homme, animé de l’ame d’un Cheval. Il débute assez bien.         Mais ce que je propose… Quoy, voulez-vous plus loin, Monsieur, porter la chose ? Je croy m’estre avec vous expliqué sans détour. Comment, sans écouter la raison, ny l’amour, Avec un Inconnu marier vostre Femme ? Contraindre sa tendresse à ce commerce infame, Contre un de vos Amis écouter ce transport, Pour vous faire héritier de son bien par sa mort ? Comment diable ?         Et sans voir que mon honneur s’expose. Vous vous éfarouchez toûjours de peu de chose, Avecque vostre honneur. Je sçay que comme Epoux, J’y dois prendre toûjours mesme intérest que vous : Aussi vous ay-je dit, qu’épousant nostre Dupe, Il faut qu’absolument vostre adresse s’occupe A faire la Malade, afin que ce moyen Assure en mesme temps vostre honneur & le mien, Tandis que de ma part je sçaurois le résoudre A luy faire avaler douze grains d’une Poudre Qui fera tout l’effet que je m’en suis promis. Le Traistre !         Et vous pourrez consentir qu’à ce prix… Finissons : ces discours d’une ame trop commune Rendroient vostre Morale à la fin importune : Vous sçavez mon dessein, ne le combattez plus, Ou craignez… Je n’ay rien à dire là-dessus ; Je veux, quelque embarras que le Sort nous destine, Que vous passiez toûjours icy pour ma Cousine, Qu’à ce nom vostre amour s’efforce à se borner ; Que pour quelque raison qu’on puisse imaginer, Quelque coup impréveu qui pût troubler vostre ame, Vous ne disiez jamais que vous estes ma Femme, Et ne me nommiez pas mesme dans le Païs Vostre Mary, que quand je vous l’auray permis, Entendez-vous ? N’estant plus icy necessaire, Je retourne à loisir terminer mon affaire ; Préparez-vous sur tout à vous abandonner Aux ordres absolus que j’ay sçeu vous donner ; J’iray tantost trouver Géronte à sa demeure, Et pour l’Hymen qu’il veut, prendre le jour & l’heure. Croyez-vous à present que ce soit tout de bon ? Voila, je vous l’avouë, un dangereux Fripon ! Non, je ne veux jamais le voir ; sa perfidie… Il faut dissimuler, Monsieur, je vous en prie ; Appaisez, s’il se peut, ce transport indiscret. S’il sçavoit que ma bouche eut trahy son secret, Il me perdroit ; Je puis, sans attirer sa plainte, Tirer avecque vous quelque fruit de ma feinte ; J’ay besoin de secours, vous m’en avez promis, Je ne vous ay fait part du secret qu’à ce prix : Je voy bien qu’il prétend faire toûjours mistere De l’Hymen clandestin qu’il m’obligea de faire ; Et j’apréhende enfin, sur ce que je prévoy, Les bruits qu’un tel secret peut semer contre moy ; Outre que nostre Hymen concerté m’embarasse ; Et je puis par un tour que je veux qu’on luy fasse, Le forcer, sans qu’il ose ou puisse s’en fâcher, A déclarer l’Hymen qu’il s’obstine à cacher ; Et l’embarras enfin où je le prétens mettre, Peut nous vanger tous deux de luy sans nous commettre. Et si pendant ce temps il m’assaisonne un Plat De sa Poudre ? Ecoutez, c’est un grand Scélerat ; Il faut pourtant sçavoir, avant que s’en défendre, Quel est ce tour.         Venez, je m’en vay vous l’aprendre. Fin du Troisième Acte. Ouy Valere, oüy ma Niéce, ils n’ont que trop parlé, C’est un secret qui vient de m’estre révelé, Et j’en ay pour témoins mes fidelles oreilles, Qui m’ont fait sur ce point entendre des merveilles : Sans le secret aveu que sa Femme m’a fait, Trigaudin, pour venir au point qu’il se promet, M’auroit veu dans deux jours le Mary de sa Femme : Il me prestoit son corps aux despens de mon ame, Et m’eussent régalé tous deux à frais communs, De dix grains d’une Poudre à faire des Défunts. Ah le Scélerat !Non, je ne puis m’en remettre. Puis que vous voulez bien, mon Oncle, me permettre Que sur un tel sujet je parle en liberté ; Vous avez bien-souvent trop de facilité : Pour le premier venu, ce cœur plein de franchise, Doute, en se montrant tout, qu’un autre se déguise, Et croit aveuglement sur la foy du dehors, Qu’un vray zele par tout regle mesmes transports. La bonne-foy sied bien ; on peut estre sincere ; Mais enfin avec choix un Amy se doit faire. Nostre Siecle est fertile en Amis contrefaits, Dont la bouche & le cœur ne s’accordent jamais ; On ne trouve par tout sous ce dehors fantasque Que des Gens dont le cœur ne va jamais sans masque, Dont le plus grand chagrin seroit qu’on les connût, Et dont chaque grimace a toûjours quelque but. Vous le voyez, Monsieur, cet Amy dont le zele… Il n’est que trop constant, & je l’échape belle : Mais, comme vous sçavez, sa Femme attend de nous Un remede aux transports de Monsieur son Epoux ; Son Valet qui s’apreste à servir sa Maistresse, A besoin que nos soins secondent son adresse, Pour conduire le tour qu’il s’est imaginé : Il doit venir chez nous, & je suis étonné… Mais je le vois : Hé bien, est-il temps, l’Industrie ? Il faut se dépescher, Monsieur, je vous en prie, Le temps presse. Avez-vous fait chercher les habits… Oüy, mon valet est prest, qui t’attend au Logis ; Tu ne peux mieux choisir pour un semblable piege : Il perdit quelque temps autresfois au College, Et fut mesme depuis Clerc chez un Procureur : Il s’est fait sa leçon, qu’il sçait presque par cœur ; Et comme il n’est point sot, on peut sur ma parole Esperer que tantost il joüera bien son rôle. Voila bien nostre fait. Où m’attend-il ? chez vous. Mais il nous faut encor quelqu’un : Où prendrons-nous  Un Aigrefin bien dru, dont la mine soûtienne Ce que nous prétendons…         Te voila bien en peine ? Nous prenons la Forest.         Qu’est-ce que la Forest ? C’est mon Valet de Chambre ; il est déja tout prest, Et son humeur folâtre a de quoy satisfaire. D’accord ; mais avec eux voyez ce qu’il faut faire, Ce que leur soin demande ou du vostre, ou du mien, Et si pour ce projet ils n’ont besoin de rien. Puis-je de quelque espoir flater…         Allez, vous dis-je, Je sçay ce que de moy vostre tendresse exige : Mais comme il faut songer à ce qu’on veut de nous, Rentrez, & soyez seûr que ma Niéce est à vous. Ouy, ma Niéce, je veux que l’Hymen vous unisse, Et qu’avec mes refus vostre peine finisse, Et que tous deux (pourveu qu’il te plaise s’entend) Car si…         Tout m’en plaira, quand vous serez content. C’est, en s’expliquant bien, répondre avec adresse : Mais je voy Trigaudin tout resveur, qu’on nous laisse. He bien, vous avez veu ma Cousine ?     Oüy.         Comment La trouvez-vous ?         Comment ? Belle admirablement, L’œil modeste, l’air grand ; l’Hymen qui nous doit joindre… Sa beauté n’est pour vous que ce qu’elle a de moindre. Non, son esprit m’enchante, & j’en suis tres-content. Sa tendresse est pour vous un point plus important ; Elle vous aime.     Moy ?         De l’amour le plus tendre Qu’un cœur… Avec le temps vous le pourrez aprendre. A quoy l’avez-vous veu ?         Depuis vostre entretien, Elle resve toûjours, sans s’occuper à rien ; Mille petits soûpirs dont elle se console, Prononçant vostre nom, luy coupent la parole : Tantost s’apercevant que je puis l’observer, Elle parle de vous, en cessant de resver, Me vante vostre esprit.     Mon esprit ?         Vostre mine. Ma mine ?         Et d’un soûpir l’entretien se termine, Disant, Ah qu’il est doux d’avoir un tel Epoux ! Un tel Epoux ? Le Fourbe !         En luy parlant de vous, J’exagere avec soin, avant qu’elle me quitte, Ce qu’en vous la Nature assemble de mérite. Enfin je n’obmets point à dire ce qu’il faut, Pour croistre…         Je le crois. Ah l’effronté maraut ! Seûr d’un cœur qui n’a rien que le vostre n’obtienne, Je croy que vostre ardeur répond fort à la sienne. Oüy ; mais l’amour qui joint l’esprit devant les corps, N’ayant rien de si doux que ses premiers transports, Que ces momens lardez de fréquens teste-à-teste, Ces tendres avantgousts d’un Hymen qui s’apreste, Je me trouve d’humeur, pour mieux m’y disposer, De faire un peu l’amour avant que d’épouser. Ces préludes galants font lors que l’on s’engage, Que se connoissant mieux, on s’aime davantage ; Et le feu dont je voy l’exemple avec plaisir, Doit, pour durer longtemps, s’alumer à loisir. Ainsi je suis d’avis de prendre une quinzaine Pour mettre doucement ma tendresse en haleine : Cela fait…         Ces plaisirs dont on est aveuglé, Sont des échantillons d’un feu trop déreglé, Monsieur, & c’est vouloir dans le libertinage Epuiser les douceurs qu’on trouve au Mariage. Le plaisir ne se peut jamais justifier, Si l’Hymen ne prend soin de le purifier ; Et tous ces avantgousts où l’honneur se hazarde, Sont des tentations dont il faut qu’on se garde. Que si pour des raisons vous voulez quelque temps Différer vostre Hymen, différez, j’y consens : Mais pour ne point nourir une flâme indécente, Dispensez-vous de voir jusque-là ma Parente. La vertu n’admet point de semblable complot. Ah qu’il seroit penaut, s’il estoit pris au mot ! Non, si de ce delay vostre vertu s’offence, Concluons cet Hymen, & faisons diligence ; Vos avis sont des loix que je veux m’imposer, Et dans deux ou trois jours je la veux épouser. Hé bien soit, pour régler une union si belle, Je vous attens ce soir à souper avec elle : Rendez-vous de bonne heure, & je prendray le soin. Fy, cecy sent la Poudre, & j’évente de loin ; Je ne sçaurois…         Pourquoy l’amour qui vous possede… Je veux prendre demain certain petit Remede, Et par précaution me coucher sans manger. D’accord ; mais n’allez pas demain vous engager, J’auray soin du Disner.         Il seroit inutile ; Demain je suis prié d’aller disner en Ville, Et cela ne se peut.         Si je ne puis vous voir, Je feray préparer le Soupé pour le soir, Et nous vous attendrons…         N’en prenez pas la peine, Je fais Collation trois jours de la Semaine, Et demain en est un. Ah l’effronté pendard ! Je tiens sa Poudre un mets où j’aurois bonne part. Mais il faudroit…         Cessez de vous en mettre en peine, Je me charge du soin qu’il est besoin qu’on prenne, Et je vay de ce pas donner ordre aux Habits, Au Festin…         C’est bien dit. Moy, je rentre au Logis Aprendre à ma Cousine une telle nouvelle. Adieu, dans peu de temps je me rendray près d’elle. Qu’il est dupe ! Allons voir… Mais ma Femme paraist. Qu’avez-vous ?     Du chagrin.         D’où vient-il, s’il vous plaist ? On m’écrit d’Orleans…         Qu’a-t-on pû vous aprendre ? Que dans deux ou trois jours mon Frere s’y doit rendre. Hé bien ; qu’avez-vous tant à craindre sur ce point ? Je dois apréhender que ne m’y trouvant point, Ignorant nostre Hymen, un peu de défiance ; Ne le fasse pas bien juger de mon absence. Qu’un semblable chagrin ne vous trouble jamais ; Je sçay bien le secret de faire vostre paix ; Et nostre affaire enfin en ce lieu terminée, Il pourra s’appaiser, sçachant nostre hymenée. Oubliez pour un temps ce chagrin mal fondé, Pour sçavoir le détail de tout mon procedé ; Tout flate nos desseins, le Destin les feconde, Et nostre affaire prend le meilleur train du monde. Ce Géronte charmé de l’éclat de vos yeux, Prétend vous épouser dedans un jour ou deux ; Et tant de joye enfin flate son espérance, Qu’il se charge du soin de toute la dépense : Des Habits, du Festin ; & sa crédulité Nous répond à tous deux de nostre seûreté. Enfin c’est sans retour, & sur vos entreprises, Sans consulter que vous, vos mesures sont prises, Monsieur, & ma priere enfin est un secours Que je m’efforce en vain de prester à vos jours : Vostre esprit à ce noeu veut me voir résoluë, Vous me le commandez de puissance absolüe, Et toûjours entesté du titre d’Héritier, Vous en prenez sur vous le risque tout entier. Oüy, je prens tout sur moy, vous dis-je, & vous dispense Du soin de m’expliquer quelle en est l’importance : Ce dessein sans péril se peut exécuter, L’occasion nous rit, il en faut profiter ; Et puis que c’est pour vous un moyen de me plaire… Hé bien, Monsieur, hé bien, il faut vous satisfaire ; Puis que ce sont pour moy des ordres absolus, Me voila preste à tout, je ne resiste plus. Ah que je suis content de vous voir disposée… Il faudra, l’Hymen fait me feindre indisposée ? Oüy, de peur que son feu n’eust, devenant trop promt, Des suites qui pouroient incommoder mon front… Mais si dans les transports d’une ardeur violente, Il exige…         Feignez que vostre mal augmente : Mais ce point au Logis pouroit estre agité Avec plus de loisir & plus de liberté, Entrons pour y songer, car je me persuade… La Forest, la voila, va luy donner l’aubade. Ma Sœur, vous dans Paris !     Ah mon Frere !         Sa Soeur! Secondez comme il faut ma feinte. Quel bonheur ! Pour me faire enrager, d’où diable sort ce Frere ? Vous trouver dans Paris ! Que venez-vous y faire ? La curiosité de voir ce beau Sejour, Me pressoit dés longtemps d’y venir faire un tour. Quelques Amis communs qui sçavoient cette envie, M’avoient, pour y venir, mise d’une partie ; Et pour m’accompagner, Monsieur mesme est venu, C’est un de nos Cousins qui vous est inconnu, Galant, spirituel, sur tout civil aux Dames. Cousin ! de quel costé ?         C’est du costé des Femmes. De quelque endroit que vienne un Parent tel que vous, Monsieur, assurément c’est un honneur pour nous, Qui nous sera bien cher : Mais, mon Cousin, je pense Que comme entre Parens on se fait confidence, Je puis à cœur ouvert, touchant nostre bonheur, Faire part devant vous d’un secret à ma Sœur. Si suspect…         Non, pour faire au Païs une Nôce, Je viens de retenir deux places au Carosse. Bon, le Beaufrere va nous quitter le terrain. Mais puis que vous voila, je change de dessein, Je ne pars plus.     Comment ?         Ce mesme Personnage Qui vous fit demander, quand je fis mon voyage, Plus que jamais épris du feu qu’il sent pour vous, M’a prié de soufrir qu’il devint vostre Epoux. J’ay donné ma parole, & nous partions ensemble Pour aller terminer cet Hymen.         Ah je tremble. J’allois le retrouver ; mais sans aller plus loin, Puis que nous voicy tous, on peut prendre le soin… Comment, vous prétendez marier ma Cousine ? Oüy, je vais, si l’Hymen à mon choix se termine, La voir Femme demain, sans attendre plus-tard, D’un fameux Avocat nommé Monsieur Braillart ; Monsieur Braillart autem a la mine engageante, Son nom fait son éloge, & son mestier sa rente. Je ne le connois point, & c’est à mon égard… Vous ne connoissez point Maistre Martin Braillart, Fils de Thibaut Braillard, ce torrent d’éloquence, Dont la voix faisoit peur aux Gens à l’Audiance, Dont les doctes Ayeuls connus de toutes parts Donnerent au Barreau tant d’Illustres Braillarts ? Non. Où se sont-ils veus ? sur quelles assurances… Venant dans Orleans pour prendre ses Licences, Maistre Martin Braillart prit chez nous tant d’amour, Qu’il promit d’épouser ma Sœur à son retour. Il faut songer, avant que l’Hymen se consomme… Maistre Martin Braillart, Monsieur, est bien son Homme. Mais pour faire un tel choix, il faut prendre du temps. Comment ? je ne pourois mieux choisir en cent ans. Un Avocat est-il un si grand avantage, Qu’on doive tellement haster ce Mariage ? Ma Cousine est bien faite, elle a de la beauté ; Il faudroit à loisir, s’estant bien consulté, Joignant à ses appas quelque legere somme, Luy chercher pour Mary, Cousin, quelque honneste Homme, Qui…         Comment donc, Cousin, est-ce qu’un Avocat N’est pas un honneste Homme ?         Oüy, mais un tel Etat N’est point, selon mon sens…         Pouroit-il vous déplaire ? Si j’ose m’expliquer en Parent bien sincere, A vous dire le vray, ce choix ne me plaist pas, Cousin ; & la plûpart de tous ces Avocats Sont des Gens, entre nous, dont toûjours l’alliance Laisse quelque scrupule aux Gens de conscience ; Des Causeurs qui sans cesse, outre la liberté Qu’ils prennent de tout dire avec impunité, Font commerce au Barreau, comme en une Boutique, Du pétulent babil dont chacun d’eux trafique ; Et font chercher au Juge, yvre de leurs dictons, Comme la verité, la justice à tâtons. Le desordre public grossit chez eux la presse, Ce sont des nourrissons que la Discorde engraisse, De qui le plus fameux & l’Esprit le plus net, Doit aux debats d’autruy sa Robe & son Bonnet. C’est à trop de mépris joindre trop de franchise, Ce sont d’honnestes Gens, Cousin, quoy qu’on en dise. Je m’en vay l’avertir, & je suis assuré… Ah que vous allez voir un Homme bien timbré ! Vous en serez surpris, & vous pourez connoistre, Cousin, si dans ce choix mon bon goust sçait paroistre. Maistre Martin Braillart est proche de ce lieu, Chez certain Magistrat, pour y faire un adieu’ Mais en habit décent, & je luy cours aprendre Un bonheur impréveu qui poura le surprendre, Et que je n’ay pas dû si longtemps luy cacher. Où demeurez-vous ?     Là.         Je m’en vay le chercher. Mais je le voy qui vient, ma course seroit vaine. Je vay changer d’habit.         N’en prenez pas la peine. Ma Sœur qui dans Paris se rencontre au besoin, Nous oste l’embarras de la chercher plus loin, Nostre voyage est fait, la voila.         Quelle joye ! Madame, le Cheval qu’on fit entrer dans Troye, Est un don qui figure intelligiblement La suite de nos feux, & leur commencement : Cette crédulité qui l’admit dans la Ville, Figure à vous aimer combien je fus facile ; Et les Gens qui sortoient de ses flancs tenébreux, Figurent les Braillarts qui naistront de nous deux ; Le desordre où la nuit cette Ville fut mise, Figure nettement mon trouble & ma surprise ; Et le feu qui brûla ce Cheval plein de coups, Figure les ardeurs dont je brûle pour vous. Ce début de ma part demanderoit des suites ; Mais tant d’esprit paroist en tout ce que vous dites, Qu’un discours si galant & si bien figuré, Doit n’estre interrompu, que pour estre admiré. Je suis ravy de voir qu’il ait de quoy vous plaire ; Mais je sens qu’il me faut préparer à me taire. Madame, vostre esprit étonné de cecy, N’en voit peut-estre pas la raison, la voicy. Comme les divers temps ont diverses maximes, Les Anciens ostoient la langue des Victimes, Que la bonté du Ciel, que leurs vœux imploroient, Leur faisoit immoler aux Dieux qu’ils adoroient : L’Amour suivant pour moy cette mode ancienne, En m’immolant à vous, semble m’oster la mienne ; Et vous ne verrez plus, le Sacrifice fait, Dedans Martin Braillart, qu’un Avocat muet. Hé bien, Cousin ?     Cousin !     Oüy.         J’ay honte, Beaufrere, De l’incivilité que vous me laissez faire, Et vous deviez plutost me l’avoir dit, Monsieur. Si de vous saluer je n’ay pas eu l’honneur, Du moins en bon Parent, faites-moy la justice, De croire en ma faveur, qu’aux offres de service Que mon zele vous fait, je prétens joindre encor Tout le respect pour vous, qu’on eust pour le Veau d’or. Ma foy, Martin Braillart n’est qu’un Sot, une Beste, Que je garantis tel des pieds jusqu’à la teste. C’est dequoy vous pouvez vous tenir assuré. Pour prendre mon discours où j’en suis demeuré, Je fais voir clairement, qu’on doit (sauf revérence) Adjuger vostre main à mon impatience, Et par provision établir mon repos, Et ce par deux moyens que j’explique en deux mots : Le premier est l’aveu de Monsieur vostre Frere, Cy present qui bien loin d’estre à mes vœux contraire S’oblige à garantir l’espoir qu’il m’a permis : Il peut s’inscrire en faux contre ce que je dis, Si j’impose ; La Loy naturelle & civile, Rendroit sans son aveu vostre choix inutile ; La disposition de la Loy Nuptia Décide sur ce fait, paragrapho neque ; En cela son suffrage est necessaire au vostre. Ce moyen est assez prouvé, je passe à l’autre. L’espoir dont vostre amour a sçeu flater le mien, Madame, en quatre mots, fait mon second moyen. On ne sçauroit nier, quoy qu’ait promis ce Frere, Que vostre aveu pour moy n’ait esté volontaire ; Et je ne puis douter des suites qu’il aura, Sur ce que, volenti non fit injuria. Entre les Gens d’honneur, sans qu’il soit besoin d’Acte, La parole devient une espece de pacte ; Mes soins à le prouver deviendroient superflus, On le sçait : c’est pourquoy je finis, & conclus, A ce que faisant droit d’abord sur ma demande, Vous direz à l’instant, si haut qu’on vous entende, Que sans avoir égard aux vœux d’aucuns Galans, Vous me prendrez demain pour Epoux, sans despens. Belle conclusion !         Une pareille affaire Dedans un autre lieu veut qu’on en délibere. Nous pourons là-dedans en parler à loisir. Entrons, elle a raison ; je me fais un plaisir… Mais…     Je vous suis.         Allons, Monsieur, je vous en prie. Entrons, notre Cousin est sans cerémonie. Vous voyez l’embarras où vous vous estes mis, Et vous pouvez juger de la peine où je suis : Mais ne pouvant qu’à vous en imputer la cause, C’est à vous à songer à quoy cecy m’expose, Car je ne pense pas que vous soyez d’avis Que je sois aujourd’huy Femme de trois Maris. Voyez par quel moyen il sera necessaire De me tirer du pas que vous m’avez fait faire ; Et pour vous épargner des conseils superflus, J’entre, & j’attens chez nous vos ordres là-dessus. Sur tout cet embarras que faut-il que je fasse ? Je tombe de mon haut, & tout cecy me passe. Quoy, lors qu’en mes desseins tout semble prendre part, Il faut qu’à point-nommé Maistre Martin Braillart Escorté par un Frere, & plein d’amour dans l’ame, Se prépare à se voir le Mary de ma Femme ? Quel party faut-il prendre ? Ah Ciel ! tout me fait peur : Declarer nostre Hymen, c’est me perdre d’honneur ; Passer pour Scélerat dans l’esprit de Géronte, Ne le point déclarer, c’est me couvrir de honte ; Car ce Frere obstiné, peut-estre dés demain, Fera prendre à sa Sœur un Epoux de sa main. Cet obstacle impréveu trouble tout le mystere : J’enrage ; tout m’alarme, & tout me desespere. Que résoudre ? que faire ? Entrons pour y resver, Et voyons quel remede on y poura trouver. Fin du Quatrième Acte. Jusqu’où doivent aller vos belles entreprises ? Vos résolutions, Monsieur, sont-elles prises ? Mon sort est en vos mains. Quand vous en ordonnez, Peut-on sçavoir à quoy vous vous déterminez ? Oüy, vous l’allez sçavoir, il faut vous satisfaire : Je prétens voir jusqu’où peut aller cette affaire ; Sans trahir mon secret, je veux voir jusqu’au bout, Et faire à petit bruit guerre à l’œil ; mais sur tout, Mettez-vous dans l’esprit, que de vostre silence Dépend tout le succés de nostre intelligence ; Et qu’il faut préparer, secondant mes transports, Vostre discretion à de nouveaux efforts. Attendray-je à parler, trahissant vostre flame, Que de Monsieur Braillart l’Hymen me rende Femme ? Et trouvez-vous enfin bien de la seûreté A pousser ma tendresse à cette extremité ? Non. Si dans l’embarras que son amour nous cause, Sa perte à nos desseins servoit de quelque chose, Ou que l’on vous forçast à répondre à ses feux, Je crois avoir assez de Poudre pour eux deux. Telles Gens à l’Estat sont si peu necessaires, Qu’un millier, plus ou moins, ne l’affoibliroit guéres ; Et le Barreau, qui doit sa gloire à d’autres soins, N’en iroit pas plus mal, pour un Braillart de moins. C’est de quel œil je voy de pareils Personnages ; Mais ce n’est pas mon but ; & tous les Mariages Où l’on voit tous les jours les Parens disposez, Ne s’accomplissent pas, pour estre proposez, Outre que je prétens ou détourner ce Frere, Ou dégoûter Braillart de l’Hymen qu’il veut faire. Vous pourez librement, vous expliquant tantost, Dire qu’un tel Party n’est point ce qui vous faut, Et combattre ses feux d’assez de répugnance, Pour les faire douter de vostre obeïssance. Je sçauray de ma part ménager le surplus ; Allez-y travailler.     Mais…         Ne repliquez plus. Si vostre amour du mien veut encor cette preuve, Je veux bien essuyer cette derniere épreuve ; Vos ordres sont des loix que je veux m’imposer. Mais prenez garde à quoy vous m’allez exposer ; Car enfin si malgré toute vostre conduite A recevoir sa main je me voyois réduite, Je ne vous répons pas que contre vostre espoir Ma flâme & ma vertu ne fissent leur devoir ; Et quoy que de ma part vous pussiez vous promettre… C’est à quoy j’auray soin de ne vous pas commettre : Vostre Frere est tout seul ; quoy qui puisse arriver, Gardez-bien le secret, & l’allez retrouver. Pour peu qu’à différer son refus les engage, Je feray de ce temps un assez bon usage : Tandis qu’elle se va charger de ce soucy, Allons voir si Géronte est chez luy. Le voicy. He bien, conclurons-nous l’Hymen que je propose ? Avez-vous meûrement reflechy sur la chose ? Et sur un choix qu’on doit avoir examiné, Vous sentez-vous, Monsieur, la …bien déterminé ? Si-fort, que je voudrois l’épouser tout-à-l’heure ; Je ne souhaite point de fortune meilleure ; Et je borne mes vœux, charmé de tant d’appas, Au plaisir de la voir aujourd’huy dans mes bras. S’il est ainsi je puis établir vostre joye ; Mais cependant, Monsieur, je n’en sçay qu’une voye. Si pour la posseder ce cœur ne se résout… Parlez ; pour l’obtenir, je vous répons de tout… Pour rendre sur ce choix vostre ame satisfaite, Il faut tenir d’abord la chose un peu secrette ; Et donnant vostre main en recevant sa foy, Cacher pour quelque temps cet Hymen.         Et pourquoy L’épouser en secret ? Est-ce…         C’est un mistere Que je ne me suis pas attendu de vous taire : Mais comme il se fait tard, & qu’il faudroit du temps, Il faut, pour en parler, prendre d’autres momens. Afin que sans éclat la chose se termine, Je meneray chez vous, sur le soir, ma Cousine : Donnez, en achevant cet Hymen au plutôt, Pour le tenir secret, tous les ordres qu’il faut. Oüy, oüy, je vay songer à regler cette affaire. Le Fourbe jusqu’au bout soûtient son caractere. Ce dessein est hardy, mais bien imaginé ; Et cet Hymen enfin une fois terminé, Quoy que puisse entreprendre ou Braillart, ou le Frere, Je sçay bien le moyen de me tirer d’affaire. Je vay les disposer tous deux adroitement A différer d’un jour cet Hymen seulement, Tandis que je sçauray… Mais le Beaufrere avance. Ouy, je me moqueray de vostre resistance, Et vous l’épouserez.         Il paroist en couroux. Je vous feray bien voir…         Mon Cousin, qu’avez-vous ? Je parlois à ma Sœur.         L’affaire est importante, Puis qu’un si grand couroux…         C’est une Impertinente. Eh, Parent, doucement.         L’Impudente, là-haut, M’a dit qu’un tel Party n’est point ce qu’il luy faut. Comment, de ce couroux sa répugnance est cause ? Oüy.         J’ay crû que c’estoit, Cousin, toute autre chose. Comment donc, ce motif n’est-il pas assez fort ? Oüy ; mais je ne voy pas qu’elle ait eu tout le tort… Vous prenez contre moy son party ?         Je n’ay garde : Mais si par cet Hymen son bonheur se hazarde, Voulez-vous la forcer de prendre cet Epoux ? Et que luy manque-t-il ?         Ecoutez, entre nous, Vostre Martin Braillart, Cousin, est d’un modelle A ne pas allumer bien de l’amour en elle : Le cœur de vostre Sœur peut-estre prévenu, Et vous devez enfin vous estre souvenu, Qu’un cœur…         Je me souviens que j’ay donné parole ; Ma Sœur avecque vous estoit en bonne école : Mais avec moy, Cousin, il faut changer de ton, Elle l’épousera, j’en suis seûr.         Que sçait-on ? Que sçait-on ? Contre moy prendre party pour elle ? Vous en pourez sçavoir dans peu quelque nouvelle, C’est un point que je vay décider de ce pas. Tout cet emportement ne m’épouvante pas : Mais j’aperçoy Braillart qui paroît plein de flâme, Je veux le dégoûter de l’hymen de ma Femme ; Mon discours peut avoir l’effet que j’en prévoy. Un mot, Monsieur Braillart ?         Que voulez-vous de moy ? Quoy que je doive au Sort l’honneur de vous connoistre, Le mérite qu’en vous tant d’esprit fait paroistre, Me force à vous montrer par ma sincérité Combien à vous servir je me trouve porté. Cela n’est point produit par un zele ordinaire ; J’estois intime Amy de Monsieur vostre Pere, C’estoit un Avocat fameux, dont les Ecrits… Il faisoit des Souliers mieux qu’Homme de Paris, Tres-fameux.         C’est pourquoy, Monsieur, la conjoncture D’un Hymen que demain vous prétendez conclure, Me contraint à vous dire un mot sur vos amours, Qui peut estre important au bonheur de vos jours. Comme il est à propos qu’à son tour on s’explique, Je demande, Monsieur, quatre mots de replique, Pour oposer, afin de n’estre point surpris, Et pares aquilas  pila minantia pilis . J’y consens.         C’est beaucoup d’honneur que vous me faites. Et pour vous parler franc du Mestier dont vous estes, Quand un Homme n’est point sur un pied d’étourdy, Monsieur, prendre une Femme, est un coup bien hardy. Les soins d’un Avocat, ses fréquentes absences, Font qu’une Femme prend quelques fois ses licences ; Et tandis qu’un Mary tourmenté d’un Procés, Malgré tous ses efforts, perd sa Cause au Palais, Pour peu que sa Moitié souffre qu’on l’entretienne, Le Galant au Logis gagne souvent la sienne, Et contre l’Avocat venant d’abord au fait, Met des Cornes dessous, comme sur son bonnet : Outre que cette affaire est assez d’importance, Ma Cousine a l’esprit fort coquet, & je pense, Si vous en échapiez, que vous seriez bien fin. Elle aime à cajoler le soir & le matin ; Et s’il arrive un jour que par quelque caprice, Au pouvoir d’un Epoux elle s’assujettisse, Je doute que celuy qui l’aura souhaité, Y trouve pour son front bien de la seûreté ; Et je ne pense pas qu’un jour, à ne rien taire, Vous fussiez bon marchand d’une pareille affaire. Songez-y meûrement, Monsieur, c’est entre nous, (Ce que je ne dirois à nul autre qu’à vous) On cache entre Parens ce qu’on a de foiblesse : Mais pour vous cependant mon zele s’intéresse, Et je ne puis souffrir qu’on vous trompe.         Monsieur, Comme noui∫simè vous m’avez fait l’honneur De m’avoir concedé quatre mots de replique, Par un raisonnement succint & juridique, Je prouve que malgré ce discours plein d’aigreur, Un Avocat doit prendre une Femme. Monsieur, Outre qu’avec les Loix, la Nature & l’Usage, Ont parmy les Mortels admis le Mariage, Qu’il est de tous les temps, & que cette union Etablit icy-bas la Propagation, C’est pour un Avocat un nœud si necessaire, Que qui peut l’éviter, dément son caractere Et son devoir. Primo, l’on sçait qu’un Avocat Est un Homme en tout temps necessaire à l’Etat ; Que de peur qu’on en manque, il doit quoy qu’il se fasse, Avoir soin de laisser au Barreau de sa Race : De plus, qu’estant contraint d’estre souvent dehors, La Femme doit intus seconder ses efforts, Conserver au Logis par son oeconomie Le fruit de ses travaux, comme de son génie : C’est pourquoy l’Avocat se doit plus tost que tard Indispensablement marier. A l’égard Du bois dont vous parlez, qui si l’on vous veut croire, De l’Hymen parmy nous devient un accessoire ; Et pour répondre mesme au peu de seûreté Que vous trouvez pour moy dans l’Hymen concerté, Je replique, Il est vray, c’est un abus qu’en France N’aprouverent jamais les Loix, ny l’Ordonnance ; L’usage des Galants dont on est entesté, Ne trouve dans le Code aucune autorité : Mais enfin sans vouloir feüilleter de Volume, Il est autorisé, Monsieur, par la Coûtume. C’est dans un Avocat, dont le cœur s’est fixé, A la Profession un malheur annexé. Si la Belle, malgré toute ma prévoyance, Me destine à porter du bois à l’Audiance, Comme il n’est pas toûjours à propos d’éclater, Je me consoleray de pouvoir me flater Du plaisir de me voir, par des Loix necessaires, Semblable à quantité de Messieurs mes Confreres ; Et je ne pense pas, parlant de bonne-foy, Puis qu’ils en portent bien, qu’ils se moquent de moy. Quoy, vous pouriez, malgré tant de sujets de craindre… Ce mal est parmy nous trop commun, pour s’en plaindre. Mais l’affront…         Pour la voir, je retourne au Logis. Je vous suis cependant obligé de l’avis : Mais de grace, Monsieur, n’en parlez point à d’autre, Mon honneur en cecy se trouve joint au vostre ; Car la Belle ne peut offencer son Epoux, Sans qu’un pareil affront se répande sur vous. Maistre Martin Braillard dit plus vray qu’il ne pense, Son front d’un pareil nœud craint peu la consequence, Et je voy que malgré tout mon raisonnement, Il traite tout cecy fort cavalierement : Je voy qu’il faut bientost changer de batterie, Pour ne pas m’exposer…Mais je voy L’Industrie. Ecoute, va chez nous promptement de ma part, Dire à ma Femme…Il faut la tirer à l’écart, Et sans estre entendu, t’efforcer de luy dire, Que je l’attens icy.         Je m’en vay l’en instruire. Il faut agir ; Cecy me semble un peu gaillart, Et sur ce que je voy, Maistre Martin Braillart Pouroit m’inquiéter, & je veux tout-à-l’heure Voir Géronte, & mener ma Femme à sa demeure : Il conclûra d’abord. Mais c’est luy que je voy, Il faut…         Ah lâche Amy, sans honneur & sans foy ! Qu’auroit-il ?     Fourbe !         Helas il sçait toute l’affaire. Qu’avez-vous ?         Ce que j’ay, traistre ? Puis-je le taire ? Quoy, quand de bonne-foy je m’attens d’épouser Vostre Cousine…     Hé bien ?         On peut me mépriser, Jusques à luy donner celuy qu’on me préfere ? Et lors que tout est prest, on me dit qu’un sien Frere L’est allé marier en secret quelque part Avec un Avocat nommé Martin Braillart. La marier ? Qui peut vous avoir fait entendre… C’est de vostre Valet que je le viens d’aprendre. L’Industrie, est-il vray qu’ils sont…         Ils sont partis. Le Laquais de Braillart, Monsieur, m’a tout apris : C’en est fait ; & de l’air qu’il m’a conté l’affaire, S’ils ne sont mariez, il ne s’en faudra guére. Ils seroient mariez ? Ah Ciel, quel embarras ! Mais parle, en quel endroit ?         C’est ce qu’on ne sçait pas. Ma Femme mariée ? Ah funeste journée ! Maudite soit la Poudre, & qui me l’a donnée. Ah que si je me puis tirer d’un pareil pas, Je me garderay bien d’un semblable embarras. Mais c’est à mon insçeu, Monsieur, qu’on se propose… Son Frere vient, & va nous éclaircir la chose. En vain vostre refus s’obstine à me fâcher ; C’est différer la chose, & non pas l’empescher. Qu’est-ce, Cousin, a-t-on marié ma Cousine ? Preste à prendre l’Epoux que mon choix luy destine, Elle a pour l’éviter trouvé, mais vainement, Un prétexte qui veut un éclaircissement : Mais à sa honte icy ce secret va paraistre, Et ce qu’elle nous dit enfin ne peut pas estre ; Personne ne m’en peut éclaircir mieux que vous. Que vous a-t-elle dit ?         Se jettant à genous, Et feignant de sentir un grand trouble dans l’ame, Elle nous a juré…     Quoy ?         Qu’elle est vostre Femme. Oüy, Monsieur, me voyant en cette extremité, Je n’ay pû me résoudre à cette indignité : Un Hymen clandestin nous a joints l’un à l’autre. Si mon silence a sçeu mal seconder le vostre ; Si j’ay trahy malgré les ordres d’un Epoux, Un secret dont j’estois convenuë avec vous, Avec le mouvement qu’a produit ma tendresse, Accusez-en, Monsieur, mon trouble & ma foiblesse, Pardonnez-m’en la faute, & croyez qu’à regret Mon cœur s’est veu réduit à trahir ce secret. Qu’il est confus ! le sang au visage luy monte. Vous estes donc, Monsieur, son Epoux à ce compte ? Oüy, Monsieur.         Scelérat ! vous estes son Epoux ? Et quand de bonne-foy j’agissois avec vous, Vous vouliez en secret me la donner pour Femme ? Croyez…         Ah nous sçavons le secret de vostre ame, Fourbe, & que si plus-tard l’on m’en eust fait l’aveu, Vostre Poudre chez nous auroit joüé beau jeu. Auriez- vous…         Oüy, craignant un pareil Mariage, Pour vous ouvrir les yeux, j’ay tout mis en usage ; J’apréhendois pour vous, & vostre aveuglement Vous cachant le péril de cet engagement, J’ay tout dit, & j’ay crû que dans cette occurrence Mon adresse feroit plus que ma resistance ; Que pour vous empescher de faire un mauvais pas, Vous me pardonneriez ce petit embarras, Et que je me pouvois servir d’un stratagéme, Puisqu’on doit tout risquer pour sauver ce qu’on aime. Vous voyez dans vos jours ce qu’on a pris de part. A ce compte, Messieurs, Maistre Martin Braillart N’est qu’un Homme aposté ?     Justement.         Et ce Frere ? Est mon Valet de Chambre.         Aprochez-vous, Valere. Quelque trouble où je sois, je dois vous avoüer, Que loin de vous blâmer, je vous en dois loüer : Me tirer d’un péril où me mit mon caprice, C’est avoir sçeu me rendre un signalé service ; Et je veux oublier ce tour dés cet instant, Pourveu qu’en ma faveur Géronte en fasse autant. D’accord ; je suis sans fiel, & veux vous satisfaire ; Mais je vay marier ma Niéce avec Valere. Ah de trop de bontez c’est combler mon espoir. Ne songeons qu’à la joye. Et pour vous faire voir Qu’à tout mettre en oubly je veux bien me résoudre, Vous serez du Festin, mais sur tout point de Poudre. FIN. Permis d’imprimer ce 10 Mars 1674. DE LA REYNIE.