JE beny cette nuict qui me donne le bien De goûter les plaisirs d’un si doux entretien. Puis que je vous cognoy je me tiens trop heureuse. Je me tiens de cét heur moy-mesme glorieuse, Chery cette rencontre, & vous dy sans mentir, Que ce lieu me plaist tant que je n’en puis sortir. Le voisinage joint à vos rares merites Me fera vous prier d’agréer mes visites. Je joüiray du bien que vous me promettez, Si vous daignez souffrir mes importunitez. Je sçay trop le respect où mon devoir m’engage, Non, non, vous n’aurez point sur moy cét advantage, Je vous previendray bien ; cependant s’il vous plaist, Je vous rendray chez vous, mon carrosse est tout prest. Le mien qu’un cavalier aura soin qu’on m’emmeine, Sera bien-tost icy, n’en prenez pas la peine, Voyez un peu Julie, il doit estre venu. Je ne sçay qui l’aura si long temps retenu, Le lacquais que j’attens ne m’a point advertie. Je me repens bien donc d’estre si tost sortie. Rentrons.     Je le veux bien.         Et toy demeure icy. Attens-y mon carrosse.         Et toy Pauline aussi. JE me réjoüys fort de voir que nos maistresses S’entr’ayment, & se font ainsi tant de caresses, Il nous faut contracter ensemble une amitié Qui surpasse la leur encor de la moitié, J’ay bien intention que nous rions ensemble. Nous en aurons souvent le loisir ce me semble. Est-ce depuis long-temps que tu sers là dedans ? J’ay servy la deffunte en mes plus jeunes ans, Et j’ay depuis sa mort tousjours servy la fille. Les biens n’y sont pas grands, mais c’est une famille Des plus nobles qui soient, & personnes d’honneur. Élize est-elle douce & d’agréable humeur ? Julie asseure-toy que jamais la Nature, N’a dans le monde encor formé de creature, Qui la passe en merite & l’égale en bonté, Et je n’aurois jamais si grande liberté Chez mes propres parens comme je l’ay chez elle. Elle me semble douce ; & parfaitement belle ; Mais ses yeux si charmants auraient-ils le pouvoir De donner de l’amour à tous sans en avoir ? On ne la sçauroit voir en effet qu’on ne l’ayme, Mais elle ayme un Amant cent fois plus qu’elle mesme, Un brave Cavalier qui l’adore & je croy, Qu’ils se sont engagez l’un et l’autre de foy. Et je souhaite fort cette heureuse journée, Qu’ensemble ils seront joints sous les lois d’Hymenée. Mais j’apprehende bien que selon leurs desirs Ils ne puissent sitost accomplir leurs plaisirs. Pourquoy ?         Parce qu’encor on n’en dit rien au pere. Elle a son pere encor ?         Ouy, son pere & son frere, Un jeune Cavalier.         Mais dy moy, son Amant, Comment le nomme t’on ?         Son nom est Clorimant. Aurois tu point conceu quelque amoureuse flame, Pour quelqu’un de ses gens ?         Tu lis dedans mon ame, Les voyants tous les jours si fort se mignarder, Serions nous entre nous oysifs à regarder ? Ce que j’ayme est plaisant, & de si bonne grace, Qu’il agrée à mes yeux quelque chose qu’il face ; Il reste peu de chose à nous mettre d’accord. Mais de nos actions si tu t’enquiers si fort, A present de tout point que tu cognois les miennes, Fay que je sçache aussi quelque chose des tiennes, Ta maitresse sans doute aura plusieurs galands. Quoy ? belle comme elle est, en l’age de vingt ans, Avec beaucoup de biens, & sans pere, & sans mere, N’en aurait elle point estant seule heritiere ? Mais elle est dans huit jours preste à se marier, Avec un galand homme, un brave Cavalier, Qu’elle ayme, & et dont elle est sans mentir adorée. Ton galand est à luy ?         Si tu t’es déclarée, N’aurois-je pas grand tort si je te celois rien ? Il est vray que je l’ayme, & qu’il me veut du bien, Le carosse est venu, j’advertis ma maitresse. Elles viennent ensemble.         Et bien quelle paresse ! Il est venu Madame.         Adieu je vous promets De l’envoyer chez vous.         Croyez moy qu’à jamais, Ce poinct m’obligera ; car je brusle d’envie De voir ce qui vous a la liberté ravie, Ce brave Cavalier que vous vantez si fort. Lors que vous l’aurez veu vous benirez mon sort, Je vous le loüe encor bien moins qu’il ne merite. Vostre depart m’afflige & me laisse interditte, Faites-moy s’il vous plaist la faveur de m’aymer, Vous me l’avez promis.         Je doy trop estimer L’honneur que je reçoy de vostre connoissance, Pour ne vous pas servir de toute ma puissance. Pauline, allons.         Julie au moins souvienne toy De ce que tu m’as dit.         Repose-toy sur moy. Vous vous estes, Monsieur, fait bien long-temps attendre. Quand vous estes au bal vous ne vous sçauriez rendre, Je pensois sans mentir estre encor arrivé Plutost qu’il ne falloit, mais vous avez trouvé Pour vous entretenir une du voisinage, Quel est ce digne object ? quel est ce beau visage Avec qui vous avez si long temps discouru ? C’est un sujet divin, je n’eusse jamais cru Qu’on eust pû rencontrer une beauté pareille, Un esprit adorable, une telle merveille, Un œil si gratieux, un entretien si doux. Quels estoient vos discours ?         Nous discourions de vous. J’ay dit que vous estiez un Cavalier qui m’ayme, Et que j’estime autant aussi comme moy-mesme. J’ay peint vostre merite, & je vous ay vanté Si plain de courtoisie & de civilité, Et l’esprit si bien fait qu’elle vous veut cognoistre. Apres tous ces discours je n’oserois paroistre, Car si je la voyois à cette heure, je croy Qu’elle se mocqueroit & de vous & de moy. Vous la verrez pourtant, elle s’appelle Elize. Elle est extrémement courtoise & bien apprise. Vous irez de ma part, & verrez ce que c’est. Entrons, je le veux bien, j’iray puis qu’il vous plaist. Bien que t’a-t-elle dit ?         Le Ciel vous est prospere, N’apprehendez plus rien, car son pere & son frere S’en vont tous deux aux champs, & sont prests à partir. Elle m’a commandé de vous en advertir. Bannissons desormais de chez nous la tristesse, Quoy ! te verray-je donc, ô ma chere maitresse ? Quoy ! de tant de tourmens me verray-je allegé ? Sortez d’icy souspirs, je vous donne congé, Je banny de chez moy la douleur & la plainte, Puis que je te puis voir sans obstacle & sans crainte, Adorable beauté qui causes mon tourment. Est-il dessous le Ciel un plus heureux Amant ? Tu dis qu’elle m’attend ?         Ouy, seule, & qui desire Vous parler à loisir.         C’est le but où j’aspire. Et qui rend à ce coup tous mes désirs contens : Mais allons de ce pas, ne perdons point de temps. Ils sortent, je les voy sur le pas de la porte, Ils vous verront, Monsieur, cachez vous.         Il n’importe. N’estant point cognu d’eux, puis-je pas sans soupçons Estre en la rue ?         Octave est un mauvais garçon, Que sçavons nous Monsieur, peut-estre qu’il nous guette. Elize ne vient point !         Elle est toute deffaitte, Avec certain chagrin.         Qui cause ce soucy ? C’est d’avoir trop veillé.         Retirons-nous d’icy. Nous pourrions en ce lieu causer des jalousies. Mais qui vous meine aux champs ?         Certaines fantaisies Qui troublent mon repos.         D’où vient cela Monsieur ? J’ay l’esprit agité pour l’amour de ta sœur. Comment ! ma sœur estant & vertueuse & sage, Quel subject avez vous d’en prendre de l’ombrage ? Pourtant elle me cause un estrange soucy. Je veux sur ce subject t’entretenir icy. Je ne m’estonne point qu’une fille comme elle, Honneste, vertueuse, & parfaitement belle, D’un esprit agreable en la fleur de ses ans, Resveille les esprits à plusieurs pretendans, Qu’elle soit poursuivie, & qu’elle soit priée. Je souhaitterois fort qu’elle fust mariée. Auroit-elle bien fait quelque legereté Qui peust faire une tache à sa pudicité ? Non, non tu me verrois parler d’une autre sorte, Le fait ne va pas là, car ce fer que je porte, Ayant fait quelque chose indigne de son rang, Auroit esté desjà trempé dedans son sang. Qui vous oblige donc à tenir ce langage ? Il fait bien en effet.         Non, non, Elize est sage. Mais je souhaitterois qu’il fust en mon pouvoir Pour beaucoup de raisons de bien-tost la pourvoir. Je ne crains pas pourtant, quoy qu’elle soit sans mere, Qu’elle face jamais chose qui degenere De la sage vertu de ses predecesseurs. Vous me mettez pourtant en l’esprit des frayeurs, Qui me font soupçonner qu’il en est quelque chose. Non, non, que ton esprit de tout poinct se repose. Tu sçauras ce que c’est. On m’a dit seulement Que son cœur respondoit aux desirs d’un Amant, Un peu plus librement qu’elle ne devroit faire. C’est veritablement bien déguiser l’affaire, Qu’appelez vous respondre en matiere d’Amour ? Respondre à quelque Amant qui pourroit quelque jour Si je le trouvois bon l’avoir en mariage. Laisseroit-elle donc pour cela d’estre sage ? Vous venez à propos m’entretenir du sien, Quand j’avois resolu de vous parler du mien. Te veux-tu marier ?         Avec vostre licence. Pourquoy ? n’est-il pas temps.         Et quelle est l’alliance Que tu nous veux donner ? je n’y contredy pas Si plutost que l’Amour, l’honneur guide tes pas. L’un & l’autre Monsieur, & de plus la richesse. C’est ce qui m’en plaist fort : mais quelle est ta Maistresse ? La cognois-je ?     Fort bien.     Dy donc.         Il est besoing De prendre auparavant la chose de plus loing, Vous vous souvenez bien, au moins il me le semble, Que nous fusmes tous deux un jour souper ensemble Au logis de Climante, où l’on me fit asseoir Vis à vis d’un objet qu’alors vous peustes voir. Seroit-ce bien Diane ?         Ouy Monsieur, c’est la mesme, C’est ce divin object, cette beauté que j’ayme, Mais plutost que j’adore, & je jure, & promets Si vous le trouvez bon de l’aymer à jamais. J’ayme ton choix, & loüe une telle entreprise, Pleust au Ciel que celui qu’a fait ta sœur Elize Fust aussi raisonnable, & que j’eusse cét heur, Tant ce party me plaist, de t’en voir possesseur. Pour mon consentement, oüy, va je te le donne, Quand son pere vivoit, je sçay bien que personne Ne pouvoit sur son cœur autant que je pouvois, Mais ce n’est pas assez que j’approuve ton choix, Tu sçais bien à present que cette Damoiselle N’a ny pere ny mere, & que tout dépend d’elle. As-tu par ton service acquis sa volonté ? Fait-elle quelque estat de ta fidélité ? Sans cela tu rendras tes pretentions vaines, Tu n’y feras que perdre & ton temps & tes peynes, Elle est riche & puissante, & voudra, que je croy, Non un homme mieux fait, mais plus riche que toy. Elle ayme un Cavalier qu’on appelle Clitandre, Mais je ne laisse pas pour cela d’y pretendre, Car il est si leger, & si lasche en Amour Qu’il fait à tous objets incessamment la Cour. Il est, à ce qu’on dit, jusqu’à tel poinct volage, Qu’on n’a qu’à luy monstrer seulement un visage Pour peu qu’il ait d’attraits qu’à l’instant il est pris. Croyez que ce rival trouble peu mes esprits, Et bien qu’en ce dessein je trouve cét obstacle, L’Amour peut, s’il le veut, faire un plus grand miracle. C’est l’entendre tres-mal ; car tout homme aujourd’huy A tort d’aller ainsi sur les traces d’autruy, Je n’en espere rien puis que la place est prise. Mais je veux revenir à te parler d’Elize, Et laisser ce discours pour une autre saison. Sitost que nous sortons hors de nostre maison, J’ay sceu de bonne part, qu’un certain Gentil-homme, Mais je n’ay peu sçavoir encor comme il se nomme, La visite chez elle, & que sa passion Fait remarquer à tous son inclination. Mon dessein à present n’est autre que d’attendre Qu’il vienne en nostre absence afin de le surprendre, Et ce qui me le fait encor plus soupçonner, Elize est demeurée, afin de luy donner Le moyen de venir discourir avec elle. Il n’y manquera pas, l’occasion est belle. Nous en le surprenant nous sçaurons quel il est, Son nom, sa qualité, si ma fille luy plaist, Et quel est son dessein. Car je ne veux pas croire, Quand mesme il voudroit faire une action si noire, D’attenter laschement sur sa pudicité, Qu’il se prist à des gens de nostre qualité. Si tout de bon il veut engager sa franchise J’accepteray ses vœux, loüeray son entreprise ; L’homme le meritant, & qu’avecque l’honneur Par mon consentement il luy donne son cœur. Et veux si ce ne sont que simples Amourettes Bannir hors de chez moy ces pratiques secrettes. Vous ferez sagement, allons, si son Amour Perd icy le respect, il en perdra le jour : Quand ce galand seroit un Prince, je vous jure Que ce fer vangeroit nostre commune injure. Il n’en faut pas encor venir jusqu’à ce point. Octave taisez-vous, ne vous emportez point. Je veux voir aujourd’huy par cette experience Si l’Amour est plus fort que n’est l’obeyssance, Ou si l’obeyssance est maistresse d’Amour ; Ne tardons point, allons icy pres faire un tour. Je bruslois de desir dedans l’impatience Que j’avois de joüir de ta chere presence. T’imaginois-tu pas cher Clorimant aussi, Que j’estois de ma part en semblable soucy ? Ouy, tu me fais si bien cognoistre à nud ton ame, Que je serois ingrat de douter de ta flame, Et tu serois ingrate aussi de ton costé Si tu pouvois douter de ma fidelité. Je crains qu’avec le temps, mon cœur tu ne mesprises, Ainsi que plusieurs font, ces trop grandes franchises, Tu pourras m’accuser de peu de jugement De te laisser entrer ceans si librement. Mais ce seroit user d’une lâche vengeance, Si tu voulois par là tromper mon innocence. Ne serois-je pas bien de mon bon-heur jaloux ? N’y puis-je pas entrer en qualité d’espoux ? Je crains ton changement. Cela me met en peyne, Le temps change souvent un grand amour en haine, Et c’est ce qui me trouble, & me met hors de moy. Quoy ma belle, aurois-tu ces doutes de ma foy ? Quel sujet en as-tu ? je prie, & je conjure Le Temps, le Ciel, la Mort, & toute la Nature Qu’à l’instant que j’auray seulement le dessein De vouloir arracher cét Amour de mon sein Pour me faire oublier ta beauté que j’adore, Qu’ils conjurent ma perte, & qu’ils rendent encore Ma funeste memoire afin de me punir, Execrable à jamais aux races advenir. Ah tu m’offences trop par cette deffiance. Je te veux demander pardon de cette offence, J’ay tort si je croy rien capable desormais De faire desmentir les serments que tu fais. Pour toy tu sçais assez l’Amour que je te porte, Je ne sçaurois t’aymer d’une amitié plus forte. Ce cœur est à toy seul, en toute liberté Tu peux en disposer de plaine authorité, Je t’y cede tout droit, car ma pudique flame Te donne tout pouvoir sur tous ceux de mon ame. Je ne reserve rien, tu peux tout maitriser, Mais quant à ceux du corps, je n’en puis disposer, Ils ne sont point à moy, mon pere en est le maistre, Je les tiens tous de luy puis qu’il m’a donné l’estre. Ton pere te peut il deffendre de m’aymer ? Non, mais à son vouloir il me faut conformer : Je te puis bien aymer cher Clorimant sans feindre. Mon pere n’eut jamais pouvoir de me contraindre, Car je tiens des Dieux seuls ma libre volonté. Mais quelque Amour que j’aye, & quelque fermeté Je sçay ce que je dois aux droits de ma naissance, Je n’oserois manquer à cette obeyssance Que je dois à celuy de qui je tiens le jour, Quoy qu’il ne puisse pas destruire mon Amour ; Mais cette Amour, ô Dieux, ne sert rien qu’à nous nuire, Pour nostre commun bien elle ne peut produire Que des fleurs seulement, car mon heur qui me fuit Nous peut bien empescher d’en recueillir le fruit. Que ne declares-tu ton dessein à mon pere ? Que differes-tu plus ? qui t’oblige à te taire ? Si quelque rival vient traverser tes desseins, Que pourray-je pour toy ? mes efforts seront vains Si mon pere me dit : ma fille, je desire Te pourvoir en tel lieu, je n’auray rien à dire, Sans rien deliberer je suivray son dessein, Quand je devrois me mettre un poignard dans le sein. Ouy, ne m’en blasme point, Clorimant, je te prie. Avec cette pudeur on m’a tousjours nourrie. Le Ciel ne voudra pas me rendre malheureux Jusques à ruyner mes desseins Amoureux. S’il ne tient qu’à cela je te promets mon ame, Que ton pere sçaura mon amoureuse flame, Je me veux declarer à luy si tu le veux, Et bien-tost le prier d’esteindre tous mes feux. Ayant passé la nuit je te voy le teint fade, C’est pour avoir veillé, de peur d’estre malade Va reposer une heure, & moy durant ce temps J’iray faire une affaire.         Il est vray, je me sens L’esprit tout assoupi. Va, mais ne tarde guere. Sommes-nous pas d’accord ?         Parle donc à mon pere. Je n’oserois jamais sans son consentement, Quand je devrois mourir, recevoir un Amant. Ne tient-il qu’à cela ? Je le feray Pauline, Mais quand je reviendray, ne me fay pas la mine, Si tu ne veux soudain me mettre au desespoir. Va ne crains rien, & vien promptement me revoir. Fin du premier Acte Je me trompe, ou je voy Pauline dans la ruë ? Dy moy, que fais-tu là ?         Je suis icy venuë Expres pour vous attendre, elle est en grand soucy Pourquoy vous tardez tant. Madame le voicy. Approche, Clorimant, tu te fais bien attendre. J’estois en compagnie, & n’ay peû me deffendre De quelques miens amis qui m’ont entretenu. Je serois toutefois encor plustost venu, Si je n’eusse pensé te trouver endormie. J’ay sans mentir esté plus d’une heure & demie Sans pouvoir fermer l’œil, à ne resver qu’à toy, Je n’ay plaisir aucun que lors que je te voy. Ravy d’un tel bon-heur qui d’ayse me transporte. Madame, un Cavalier vous demande à la porte De la part de Diane.         Ah je sçay bien que c’est. Elle veut que je voye un Amant qui luy plaist, Qu’elle m’a fort loué, cache toy la derriere, De peur qu’il ne te voye, il ne tardera guere, Il n’est pas à propos qu’il te rencontre icy. Je fais ce que tu veux.         Et toy Geraste aussi. Pardonnez-moy, je viens de la part d’une Dame Qui vous baise les mains. Dieux je suis tout de flame, Vit-on jamais au monde une telle beauté ? Madame excusez moy, je suis si transporté En contemplant les traits d’un si parfait visage, Que je ne sçaurois pas achever mon message Je tremble devant vous, & me sens tout transy. Si Diane, Monsieur, vous fait venir icy Pour me faire sçavoir combien elle est heureuse De vous avoir acquis, & se dire Amoureuse D’un homme de merite, & bien fait comme vous, Qu’elle peut regarder en qualité d’espoux, Elle m’oblige fort, & je la tiens loüable. D’avoir sçeu faire en vous un choix si raisonnable, Et pour cette faveur je luy baise les mains. Je meurs, je n’en puis plus, ah destins inhumains Que voulez vous de moy, que pretendez vous faire ? Appelez-moy Madame, innocent, temeraire, Si j’ose devant vous, d’un cœur audacieux, Advoüer franchement que j’adore vos yeux, Devant que de vous voir Diane estoit aymable, Mais estant comparée au sujet adorable Que j’ay devant mes yeux, je jure qu’elle n’est Rien à mon jugement de ce qu’elle paroist. Heureux qui peut en vous engager sa franchise, Qui vit dessous les lois de la divine Elize. Elize qui n’est point des communes beautez Dont les foibles attraits gaignent les volontez, Ce n’est point un rayon qui d’un faux jour esclate, Nature n’a point fait ce miracle à la haste, Elle a dans ce chef-d’œuvre employé son pinceau, Pour mettre en ce sujet tout ce qu’elle a de beau. Ouy, Madame, j’advouë en ce peril extresme, Qu’on ne vous peut trouver sans se perdre soy mesme, D’abord on est à vous, & l’on n’est plus à soy. Tout ce discours ne tend qu’à vous mocquer de moy, Je souffre les effets de cette raillerie, Puis qu’elle vient de vous. Mais, Monsieur, je vous prie Laissons les compliments, & me faites l’honneur D’asseurer la beauté qui me fait la faveur De vous faire venir afin que je vous voye, Que je la veux payer en la mesme monnoye, En luy monstrant le choix que j’ay fait d’un espoux Qui sans vous faire tort vaut bien autant que vous. Ah Madame, il vaut mieux mille fois que moy-mesme, Puis qu’il a cét adveu de vostre ardeur extresme, Mais horsmis vostre amour, qui l’esleve à ce point Croyez-moy qu’en merite il ne m’égale point, Et beaucoup moins encor en l’amour qu’il vous porte. Geraste arreste toy, laisse il faut que je sorte, Que je vange l’affront que ce traistre me fait. Tout beau ! quoy voulez vous vous perdre tout à fait, Ne songez point à vous, considerez Elize. Pardonnez si je parle avec cette franchise, Vous me desobligez de discourir ainsi, D’un homme que j’estime, & qui m’estime aussi. Vous devez pour le moins avoir la complaisance De ne tesmoigner pas ce que vostre cœur pense, Puis que pour ce sujet je vous ay desjà dit L’estime que j’en fais.         Je suis tout interdit. J’ay les sens tout confus, permettez moy, Madame, Puis que vous possedez, & mon cœur, & mon Ame, Que je baise la main qui me donne la mort. Vous vous mocquez de moy, Monsieur vous avez tort, Ce n’est point mon dessein de vouloir estre aymée, Si quelqu’un survenoit serois-je pas blasmée : Car que penseroit-on de vous voir en ce lieu ? Allez vous en de grace, & me dites Adieu. Mon ame est dans vos fers tellement enchaisnée, Que s’il plaisoit au Ciel qu’un heureux Hymenée Nous peust joindre tous deux, quel seroit mon destin. Madame excusez moy tout tend à bonne fin, Si vous me rebutez mon esperance est morte. Mesprisez vous aussi l’amour que je vous porte ? N’aurez vous point pitié d’un miserable Amant Que vos beaux yeux ont peû charmer en un moment ? J’ay bien d’autres pensers dedans la fantaisie. Ces furieux transports dont vostre ame est saisie Ces offres de service, & ces feux vrais, ou feints, Ne peuvent qu’à la fin rendre vos espoirs vains, Laissez moy seule icy, retirez vous de grace. On appelle Madame.         Ah grands Dieux qui sera-ce ? Qu’on ouvre promptement.         Vous mocquez-vous de moy ? De me faire tarder. Mais qu’est-ce que je voy ? L’avois-je pas bien dit ?         Souffrez-vous cette injure ? Je suis perdu, grands Dieux !         Un homme icy ! je jure. Octave arrestez-vous, laissez-moy ce soucy, Sçachons ce qu’il demande, & ce qu’il fait icy. Parlez à moy, Monsieur, dites-moy quelle affaire Vous emmeine en ce lieu ?         Grands Dieux je desespere. J’estois venu Monsieur, de la part, arrivant ; Mais moy, quand elle fut, je suis auparavant. Qu’attendez-vous Monsieur ?         O fille mal-heureuse. En pareils accidents la force est dangereuse, Que faites vous icy ? Non n’ayez point de peur, Parlez sans vous troubler.         Je vous jure Monsieur, Croyez-moy s’il vous plaist, que jamais en ma vie, Je ne vous offençai, ny n’en ay point d’envie. Laissons-là ce discours, c’est assez je vous crois, Que faites-vous icy ?         C’est la premiere fois, Ou je puisse perir.         Je sçay bien le contraire. Ce n’est pas le moyen d’accommoder l’affaire, Si vous me déguisez ainsi la verité. Je vous la dy Monsieur.         Ah quelle fausseté ! Croyez qu’on ne peut pas aysément me surprendre : Mais quel est vostre nom ?         On m’appelle Clitandre. Le nom de vostre pere ?     Il est mort.         Mais comment Le nommoit-on ?         Son nom estoit Theodomant. Je l’ay cognu, c’estoit un homme de merite Et de condition ; mais vous qui vous incite A venir voir ma fille ? estes-vous engagé Sous les lois de l’Hymen ?     Non.         Je l’ay bien jugé. Pourquoy ces questions où la preuve est si claire ? A quoy bon ce discours ?         Tout beau, laisse moy faire. Venez çà, sçavez-vous que ce logis est mien ? Et que je suis son pere ?         Ouy je le sçay fort bien. Passez un peu deçà.         Dieux soyez à mon ayde, Il faut perir icy, la chose est sans remede, Ou souffrir un affront.         J’ay le cœur tout transi. Elize respons moy, quel est cét homme icy ? Celuy qu’il vous a dit.         Mais dy moy qui l’engage A te venir chercher ?         Il m’apporte un message De Diane qu’il sert.         Ah Monsieur en effet C’est mon rival qui sert cét adorable objet Dont je vous ay parlé faictes que tout à l’heure Il espouse ma sœur ou souffrez que je meure ; Je n’en puis autrement jamais venir à bout. Laisse-moy ce soucy, j’accommoderay tout, Elize ne dy mot, il n’est point necessaire D’alleguer tes raisons, mais appren à te taire. Tu sçais combien je suis jaloux de mon honneur : Que ce jeune homme icy soit quelque suborneur, Qui tasche effrontement d’acquerir la victoire Sur tes chastes desirs, je ne le veux pas croire Ny luy faire ce tort ; ouy je tiens pour certain Que s’il entre ceans c’est avec bon dessein, Il tenteroit en vain cette infame poursuitte, J’ay trop d’opinion de ta sage conduitte, A tout ce que je vay resoudre sur ce point, Consens-y sans replique, & ne contredy point. Il faut bien se resoudre à prendre patience. Monsieur vous cognoistrez un jour mon innocence, Et que vous m’accusez en ceci sans raison. Cavalier je vous trouve icy dans ma maison, Avec ma propre fille, & ne suis point en peine De m’informer de vous quel sujet vous y meine, Je le cognois assez, j’en suis trop éclaircy. Qu’il soit honneste & saint, je le veux croire ainsi, Mais vous ne devez rien ce me semble entreprendre, Sans mon consentement de qui tout doit despendre. Si ma fille vous plaist, parlez-moy franchement, Aymez-là, servez-là, mais legitimement, Je cognoy vos moyens, je sçay vostre lignage, Si vous la desirez avoir en mariage Je vous l’offre, & vous donne un temps pour y penser : Songez-y, je n’ay point dessein de vous forcer, Car il ne seroit pas juste ny raisonnable. Monsieur si mon Amour est saint & veritable Cognoissez-le par là, je me tiens trop heureux Si je puis acquerir le tiltre glorieux, Non seulement d’Espoux, mais d’esclave d’Élize. Et si cette faveur aujourd’huy m’est acquise, Je n’ay plus rien au monde apres à souhaiter. Ce n’est pas mon dessein icy de profiter De cette occasion par trop precipitée, Avant que cette affaire entre nous soit traittée, Allez-vous-en chez vous, pensez-y meurement ; On ne doit pas ainsi traitter en un moment Une affaire de poids, & de tant d’importance : Je ne possede pas des biens en abondance, Mais je m’efforceray pourtant de la pourvoir, Non selon mon desir, mais selon mon pouvoir, Encor que la vertu d’Elize, & sa sagesse Peuvent bien suppléer au defaut de richesse Qui passe de beaucoup ce que je puis donner. Je l’adore Monsieur, & pour vous tesmoigner Que j’estime l’honneur d’une telle alliance Autant que son merite, allons en diligence En dresser les accords, & le contract passer. C’est parler comme il faut, je vous veux embrasser. Allons puis qu’il vous plaist, j’en ay l’ame ravie. Vous vous mariez donc ? d’où vous naist cette envie ? Pourrez-vous à Diane ainsi manquer de foy ? Elle aura patience aussi bien comme moy. Ingrate & fiere Elize a mon ame agitée Cent fois plus que la palme à ceux qui l’ont plantée, Croy que si ce rival eust tardé seulement A sortir de ceans l’espace d’un moment La mine auroit crevé, car mon ardante flame Auroit par cent endroits fait passage à mon ame Quand j’ay veu que Clitandre icy te caressoit, Que jusques à ce point ce traistre m’offençoit J’estois hors de moy-mesme, & je bruslois d’envie De vanger cét affront aux despens de sa vie. Mais ton honneur ingrate, en mon esprit jaloux, A moderé l’ardeur de mon juste courroux. Ne fay point tes efforts pour forger une excuse, La faute est à toy seule, & toy seule j’accuse, Que sert de me tromper par mille faux serments En feignant de m’aymer, je sçay bien que tu ments. Dy moy, ne crains-tu point que le Ciel te punisse, De rendre à mon Amour une telle injustice. Tout estoit concerté, tu l’as fait à dessein, Tu me plonges ingrate un poignard dans le sein, Contre moy vous estiez tous deux d’intelligence, Mais pourquoy me tromper d’une fausse esperance ? Pourquoy me faire voir en idée un bon-heur, Dont tu veux rendre ingrate un autre possesseur ? J’auray recours au Ciel punisseur des parjures, Pour chastier ton crime, & vanger mes injures. Tu l’as pris à tesmoin, tu m’as donné la foy, Devant luy de n’aymer jamais d’autre que moy. Pourquoy veux-tu destruire une si belle flame ? Pourquoy veux-tu souffrir que l’on force ton ame Qui dépend des Dieux seuls, & non point de celuy Qui veut injustement te contraindre aujourd’huy A recevoir les loix d’un fascheux Hymenée Et faire revoquer ta parole donnée ? Peut-on te rendre ainsi le courage abatu ? Pourquoy ne dis-tu mot, que ne me responds-tu ? Ah mon cher Clorimant ! Grands Dieux je suis troublée Par le nombre des maux dont je suis accablée, Je ne suis plus à moy, toutesfois je puis bien Alors que je te perds encor t’appeler mien ; J’ay promis il est vray, mais te faisant promesse, De t’aymer Clorimant, & d’estre ta maistresse, Je n’eusse jamais creu qu’un obstacle si fort Me deust faire aujourd’huy perir dedans le port. L’obstacle qui pouvoit esbranler ma confiance, Estoit comme tu sçais, la seule obeyssance, Ce seul point reservé, dispose à ton plaisir, De tout ce que je puis permettre à ton desir, Pour l’ame elle est à moy, mon cœur je te la donne, Mon pere ne peut pas la livrer à personne, Mais il m’a donné l’estre, & du corps il en peut Malgré moy, Clorimant, disposer comme il veut. Ne m’en veux point de mal, cher Amant je te prie, C’est où je ne puis rien, si par ton industrie, Tu peux trouver moyen de rompre cét accord En te satisfaisant tu destournes ma mort. Si tu peux empescher ce fascheux Hymenée, Je ne revoque point ma parole donnée, Dispose à ton plaisir de tout ce que je puis, Je te seray tousjours telle que je te suis. Elize te le jure.         Ah non ce n’est point elle, Elize ne sçauroit jamais estre infidelle, Ou celle maintenant qui se presente à moy Est ingrate, parjure, inconstante, & sans foy. Je sçay que la beauté que j’ay tant adorée Me garderoit la foy qu’elle m’avoit jurée, Puis qu’elle me renonce, & me traitte à tel point, Si c’est elle en effet je ne la cognoy point. Tu me fais tort mon cœur, non, non je suis la mesme Je suis comme je fus, cette Elize qui t’ayme, Croy ce que je te dis, & que je te promets, Quoy qu’il puisse arriver de t’aymer à jamais. As-tu droit Clorimant de me donner du blasme, Si tu vois malgré moy que l’on force mon ame ? Non, on ne peut m’oster ce qui n’est plus à moy, Je t’ay fait dés long temps un present de ma foy, Et tu t’abuserois si tu croyois qu’Elize Peust à d’autre qu’à toy soumettre sa franchise, Elle auroit peu d’esprit, & moins de jugement De vouloir preferer un autre à Clorimant, Je te l’ay dit cent fois, & te le dis encore. C’est ce qui te convainc, & qui te deshonore. Ta voix me favorise, ingrate, mais ton cœur Se livre absolument à ce nouveau vainqueur. Va ne t’en dédy point, poursuy ton entreprise, J’abandonne tes fers ingrate & fiere Elize, L’honneur me doit soustraire à tes trompeurs appas, A present que mon Prince a besoin de mon bras, Ce Monarque indompté s’avance à la campagne Pour abatre la force, & l’orgueil de l’Espagne, Allons l’accompagner, joignons nous à son sort ; Cherchons, s’il faut mourir, une honorable mort. Je conjure le Ciel ingrate, & déloyale, En arrivant au camp, que la premiere bale Laissant mon pasle corps sans force, & sans vigueur, Efface pour jamais ton portrait de mon cœur. Va si la guerre plaist à ton humeur mutine, N’as-tu pas en toy-mesme une guerre intestine ? L’Amour ne fait-il pas chez toy de tous costez, Mesme dedans ton cœur, des sujets revoltez ? Combats des passions celle qui te commande, Le peril est bien moindre, & la gloire plus grande. Quel exploit te rendroit des ennemis vainqueur, Si tu m’as dit cent fois que tu n’as plus de cœur ? Comment peux-tu jamais rien de bon entreprendre ? Si bien loin d’attaquer tu ne te peux deffendre ? Ne t’en va point mon cœur, ne m’abandonne pas. Veux-tu m’accompagner, veux-tu suivre mes pas ? Dieux ! es-tu raisonnable ?         Et pourquoy donc ingrate Veux-tu qu’en te croyant encore je me flate ? Quel scandale grands Dieux ! que diroit-on de moy ? Pense à ce que tu dis.         Ame lasche & sans foy. Tu me dis que je pense & que je considere ! En matiere d’Amour, celle qui delibere N’en a point, ou du moins s’il faut qu’elle en ait eu En parlant de la sorte elle l’a tout perdu. Avant que de partir escoute deux paroles. Ce ne seroit pour moy que des contes frivoles, Je me mocque à present des discours que tu fais, Si le vent les emporte, il me faut des effets. Non je n’escoute plus.         Geraste que t’en semble ? Que je m’enfuy de toy, que nous partons ensemble, Desloyale parjure, ame ingrate, & sans foy. Va qu’une balle passe à mille pas de moy, Et qu’entre deux treteaux je briffe en la cuisine Si tu me vois jamais infidelle Pauline. Va promptement Pauline, appelle Clorimant. Il n’ira pas bien loing, car sçachez qu’un Amant Qui fait le furieux en quittant ce qu’il ayme, Fait en cette action violence à soy-mesme. Je suis morte r’entrons, peut-estre un mot d’escrit Aura quelque pouvoir sur ce boüillant esprit. Clitandre s’entretient long-temps avec Elize, Crois-tu pas en effet qu’elle sera surprise, Et peut-estre jalouse en voyant que j’ay l’heur De posseder ce brave & galand serviteur. Il est vray que Clitandre a beaucoup de merite, Mais n’apprehendez rien d’une telle visite ; Car je sçay de certain qu’Elize ayme, & je croy Qu’elle a, si l’on dit vray, mesme engagé sa foy. J’oy du bruit, voy qui c’est.         C’est Clitandre, Madame. Qu’il est triste ? avez vous quelque trouble dans l’ame ? Vous estes ce me semble interdit de tout point, Que veut dire cela ? quoy vous ne parlez point. De divers sentiments, je sens mon ame atteinte. Qui vous rend interdit & muët ?         Une crainte. Une crainte avec moy ? Dieux ! pour quel suject ? Dites avez vous veu cét agreable object ? Ouy, c’est pour cét object que je suis tout de flame. Comment vous souspirez.         Je souspire, Madame. Ouy mon cœur, est-ce moy qui vous fait souspirer ? Ouy c’est pour un subject que je veux adorer. Ormin es-tu muët aussi bien que ton maistre ? En cette occasion, helas peussay-je l’estre ! Encor d’où venez-vous, qu’avez-vous ?         Je ne sçay, Madame, je ne puis vous dire ce que j’ay, Je viens de veoir Elize.         He bien quelle nouvelle ? Parlez-moy franchement, comment se porte t’elle ? Elle se porte bien.         Dites-moy donc mon Cœur, D’où vous naist ce chagrin, cette mauvaise humeur ? Vous a-t-elle pas dit combien je vous estime ? Madame excusez moy, je commettrois un crime Indigne de l’honneur de vostre affection, Si je vous celois rien en cette occasion. Je ne sçay toutefois comme je vous puis dire Cét estrange accident qui cause mon martyre ; Mais il le faut pourtant, oüy je l’ay resolu, Je n’ay fait qu’obéir, car vous l’avez voulu. Je viens de voir Elize, & je jure Madame, Que ce que n’auroit pû, ni le fer, ni la flame, Un sort injurieux contre ma volonté, M’a fait en mon Amour faire une lascheté. Considerez un peu l’excez de ma misere, A peine estois-je entré que son pere & son frere, M’ont surpris avec elle, & sur certain soupçon Ils m’ont forcé tous deux, mais de telle façon, Que quoy que j’aye dit, quoy que j’aye pû faire, Il m’a falu, grands Dieux, ce mot me desespere. Quoy donc ?         Il m’a falu sur l’heure l’espouser. Que dites-vous grands Dieux ?         Pouvois-je m’opposer Avec si peu de force à tant de violence ? On n’a jamais parlé d’une telle insolence, Si j’eusse d’un seul mot resisté seulement, Tous deux ne m’auroient pas laissé vivre un moment. Vit-on jamais au monde une telle surprise ? Mais à tout ce discours encor qu’a dit Elize ? Qu’auroit-elle pû dire ? en fin il a falu, Puis qu’elle a veu son pere à ce poinct resolu, Se resoudre elle mesme & prendre patience. M’osez vous bien parler avec cette impudence ? M’estimez vous si simple, & l’esprit si mal sain Que je ne puisse pas penetrer ?         C’est en vain. Vous me blasmez à tort, ouy je jure Madame Que vous n’avez point droict de soubçonner ma flame. Ce que j’ay fait n’est point par infidelité, Je suis tel à present que j’ay tousjours esté. Mais ce qui plus que tout encor me desespere Et me met hors de moy, c’est qu’Octave son frere, Vous le cognoissez bien, brusle d’amour pour vous, M’ayant dit qu’il estoit de mon bon-heur jaloux Et m’a contrainct de faire aupres de vous en sorte Que vous ayez esgard à l’amour qu’il vous porte, Et qu’un sainct Hymenée apres ces maux soufferts Esteigne tous ses feux & relasche ses fers. Madame accomplissons ce double mariage. Perfide, osez-vous bien me tenir ce langage ? Je vous entends tres-bien, vous estes je le voy, Tous trois d’intelligence, & liguez contre moy. Je voy bien ce que c’est Elize m’a trahie, Adieu, perfide ingrat.         Escoutez je vous prie. Que veux-tu que j’escoute, ame lasche & sans foy ? Ta presence aujourd’huy me cause de l’effroy. Sors, & n’espere pas de me voir de ta vie. Elle part en cholere.         Arreste-la Julie. Je ne le puis. Ormin tu t’en repentiras. Pauline aura pour toy de plus charmants appas, Imite cét ingrat, comme luy cours au change. Que ferons-nous Monsieur ?         Mon Elize est un Ange : Sortons, n’arrestons pas d’avantage en ce lieu. Allons revoir Élize. Adieu Diane, Adieu. Fin du second Acte Tout mon fait est-il prest ?         Monsieur vostre valize, Est en fort bon estat.         Adieu perfide Elize, Je m’en vay de ce pas, je veux t’abandonner, Mes chevaux ?         Tout à l’heure on les doit emmener, Mais pourrez-vous quitter cét objet plain de charmes Pour qui je vous ay veu respandre tant de larmes ? En doutes-tu Geraste ?         Oüy j’ay lieu d’en douter, Vous feignez de parler, & de vous absenter, Afin de luy donner un peu de jalousie, Vous n’irez pas bien loing.         Dieux quelle frenaisie, Escoute, & si je ments, me punissent les Dieux. Un trait poussé de l’arc, un oyseau dans les Cieux, Ny l’esclair qui d’abord nous esbloüit la veuë Ne descendit jamais plus viste de la nuë Que je fuy de ces lieux, je suis trop irrité Pour souffrir les mespris d’une ingrate beauté. Quoy, Monsieur, seriez vous jusqu’à ce point farouche, Qu’un escrit de sa main, un soupir de sa bouche, Une larme d’un œil qui tellement vous plaist, Ne puisse retracter ce rigoureux arrest. D’un œil qui pour un autre a maintenant des charmes Pourrois-je voir pour moy jamais couler des larmes ? La main dont mon rival doit estre possesseur, Peut-elle rien tracer qui soit en ma faveur ? Un soûpir de sa bouche ? ah que plustost ma vie Soit d’affronts signalez & d’opprobres suivie, Si pour tous ces efforts je voulois seulement Retarder mon depart l’espace d’un moment, Va tu m’offenceras si tu veux d’avantage T’opposer au dessein d’un si juste voyage. Ne m’en parle donc plus.         J’ateste tous les Dieux Que le moindre soûpir, deux larmes de ses yeux, Quatre mots de sa main escrits avec tendresse, Car je cognois assez quelle est vostre foiblesse, Au milieu de la nuë arresteroient l’esclair, Le trait poussé de l’arc, & l’oyseau dedans l’air. J’entends quelqu’un frapper, ouvre-tost, c’est Pauline. Ils seront occupez, comme je m’imagine, Tous aux nopces d’Elize, à recevoir l’Espoux, Et vous pensez encor qu’elles songent à vous ? Dieux quelle extravagance !         Ouvre, c’est elle-mesme. Me doutois-je pas bien qu’en cette ardeur extresme, Le moindre compliment pourroit vous ébranler, Qu’est devenu ce trait, cét oyseau, cét esclair ? Est-ce pour ce subjet que vous faisiez le brave ? Ouvre, te dis-je.         Hé quoy ! vous faisiez tant du grave, Des larmes de ses yeux, des lettres de ses mains, Des souspirs de sa bouche ! à quoy bon ces dédains ? Veux-tu que tout de bon je me mette en colere ! En colere ? pourquoy ! vous n’auriez guere à faire. Elle entre icy, Monsieur.         O le brave soldat ! Quoy ? n’en vois-tu pas deux prests d’aller au combat ? Lisant des Espagnols la sanglante défaite, Tu verras plusieurs fois mon nom dans la Gazette, Nous ne partirons point sans doute de chez nous, Et serons dans Paris bien éloignez des coups. O Dieux qu’il est gentil, & qu’il a bonne mine, Où de grace allez-vous ?         A la guerre, Pauline. Que je ry de vous voir, que j’y prens de plaisir, De grace laissez-vous contempler à loisir. Satisfaits si tu veux à present ton envie, Car tu ne me verras je jure de ta vie. Mais Pauline que fais cette femme dy moy ? La nommez-vous ainsi ?         Je fay ce que je doy. Dy moy comment veux-tu qu’à present je la nomme, Si l’on donne ce nom à qui possede un homme En qualité d’Espoux, elle est en ayant deux Doublement femme, & moy doublement mal-heureux, Car par la loy du monde, elle appartient Pauline, A Clitandre, il est vray, mais par la loy Divine Elle ne sçauroit estre à nul autre qu’à moy. Je ne veux en cecy d’autre tesmoin que toy ; M’a t’elle pas cent fois la parole donnée D’estre à moy sous les lois d’un heureux Hymenée ? Qui la peut obliger à cette lascheté ? Mais que tardé-je plus ? le sort en est jetté. Fay ce que tu voudras, obeys à ton pere, Romps ta foy déloyale afin de luy complaire, J’y consens de bon cœur, ouy je te le promets ; Mais je sors de ces lieux pour ne t’y voir jamais, Tu t’en dois asseurer. Mais dy moy qui t’emmeine ? Un papier que voicy.         Quoy de cette inhumaine ? Elle me contera sa nopce en cét escrit. Si vous sçaviez le trouble où se voit son esprit, Pour conserver pour vous le tiltre de fidelle, Je croy qu’asseurément vous auriez pitié d’elle Une lettre d’Elize est un venin pour moy. Reporte-là de grace.         Ah justes Dieux pourquoy ? Voyez ce qu’elle escrit.         Que me peut-elle dire ? Bien pour l’amour de toy, Pauline, il la faut lire. LETTRE Pour avoir desiré garder l’obeyssance Que je dois à celuy de qui je tiens le jour, Pouvez-vous m’accuser d’avoir eu peu d’Amour ? D’avoir trahy vos feux, & manqué de constance ? Ah ! si vous penetriez jusqu’au fond de mon ame, Croyez-moy, Clorimant, que je vous ferois voir, Que malgré le respect mon cœur est tout de flame, Et que je puis aymer sans trahir mon devoir. Que la raison en vous demeure la plus forte, Mais si c’est un spectacle agreable à vos yeux, Avant vostre depart, de voir Elize morte, Vous n’avez qu’à parler d’abandonner ces lieux. Partez, & me laissez de tout poinct affligée, Mais avant donnez-moy le bon-heur de vous voir, Vostre Elize n’est pas tout à fait engagée, Et peut tomber encor dessous vostre pouvoir. Ouy j’ay grand tort Elise, & vous avez raison, Justes Dieux quelle noire & lasche trahison, Quel procedé perfide est aujourd’huy le vostre ? Cette main que bien-tost doit posseder un autre Veut-elle derechef exciter mon courroux Par ce style outrageux ?         De quoy vous plaignez-vous ? Allegue-t’elle icy raison en sa deffence Qui puisse d’un moment retarder mon absence ? Que je parle dit-elle ?         Ah vous avez grand tort. D’où vous naist dites-moy ce furieux transport ? Voyez-vous pas assez qu’Elize vous adore ? Que sous d’autre pouvoir elle n’est pas encore Me dit-elle l’ingrate.         Où songez vous grands Dieux ? Relisez cét escrit, considerez-le mieux, Voyez qu’il est remply d’Amour & de tendresse. Il me trahit Pauline il dément sa promesse, Cette lettre ne tend qu’à dégager sa foy, Elle tesmoigne avoir quelque pitié de moy, La perfide voyant l’excez de ma misere : Mais ce n’est point l’amour qui l’oblige à ce faire. Escrit, tu ris de moy, mais tu le payeras. Que faites-vous Monsieur ? ah ne le rompez pas. C’en est fait, c’est trop peu pour une ame offencée, Que ne tiens-je aussi bien la main qui l’a tracée. Ne respondrez-vous point ?         Tay toy, sors de ce lieu, Ne me parle jamais de cette ingratte, Adieu. Je reviendray tantost, vous estes en colere. Vous avez tort, Monsieur, mais que pensez-vous faire ? Songez qui vous attaque, & ne vous laissez point En cette occasion emporter à tel point. Pourquoy vous prenez vous à la mesme innocence ? Si Pauline obeït, Elize vous offence. C’est elle seulement que vous devez blasmer. Quoy traistre en ma presence, oses-tu bien nommer Encor cette perfide ?         En cette ardeur extresme, Si vous n’estes, Monsieur, du tout hors de vous-mesme Vous parroissez avoir perdu le jugement. Moderez-vous un peu, soyez moins vehement, Valoit-il pas bien mieux sans vous mettre en colere, Sans rebuter Pauline, et faire le severe, Respondre à cette lettre, & luy faire sçavoir Qu’avant que de partir vous iriez pour la voir Puis qu’elle le desire, & qu’elle vous en presse, Ce billet semble escrit avec tant de tendresse Que vous ne devez pas la condamner ainsi. Appelle-la, Geraste.         Elle est bien loin d’icy. Va promptement apres.     J’y cours Monsieur.         Arreste, N’y va pas.     Bien Monsieur.         L’action que j’ay faite Monstre que j’ay du cœur en ayant resisté Au desir d’aller voir cette ingrate beauté. Mais pourray-je souffrir d’estre un moment sans elle. Pauline n’est pas loing, cours apres & l’apelle. J’y vay Monsieur.         Que dis-je, escoute n’en fais rien. Vit-on jamais mal-heur qui fust esgal au mien ? La chose est resoluë, oüy sans plus de remise, Il faut absolument que j’aille voir Elize. La Cholere ne peut l’emporter sur l’Amour. Allons-y cette nuit.         Non, non, j’yray de jour. De jour, comment cela ?         Ne t’en mets pas en peine. Grands Dieux changez Elize, ou mon Amour en haine. Vous estes tout pensif, qu’avez vous ?         Je ne sçay. L’alliance d’Elize où je me voy forcé Me met, lors que j’y pense, en grande inquietude. Vous la trouviez si belle.         Ouy, mais n’est-il pas rude Qu’en fait de mariage & d’inclination On force un Cavalier de ma condition ? Vit-on jamais au monde une telle surprise ? La fille me plaist fort, car en effet Elize A beaucoup de merite, & des yeux si charmants, Qu’ils peuvent d’un regard captiver mille amants. Mais à ne point mentir le procedé m’en fasche ; Que dira-t’on de moy ? je passeray pour lasche, Quand on sçaura par tout, que pour m’avoir trouvé Seul avecque sa fille un pere m’ait bravé, Mais jusques à tel point, ah ce seul mot m’outrage, De m’avoir malgré moy fait faire un mariage. Vous n’avez pas raison, car vous l’avez voulu. J’ay feint de le vouloir, car il l’a bien falu. Mais, Monsieur, entre nous, souffrez que je le die, Vostre amoureuse ardeur s’est bien-tost refroidie, Je vous voyois tantost bouïllant, & tout de feu, Et je voy qu’à present vous en avez fort peu. Mais je ne trouve point en vous ce fait estrange, C’est vostre humeur, Monsieur, d’aller courir au change. On me donne trop peu, dy ce que tu voudras. Comment me contenter de six mille ducats Que le pere promet, moy qui les ay de rente. Vous deviez y songer, mais à l’heure presente, Vous n’avez pas raison, car vous ne deviez point, Pour vous en repentir leur accorder ce point. Pour attraper mon bien, croy moy qu’elle & son pere Ont fort adroittement mesnagé cette affaire, Ouy de me la livrer ils avoient fait complot, Mesme à ma premiere offre & de me prendre au mot. Pourray-je me sauver, & m’exempter de blasme ? Que dira-t’on de moy ?         Que vous avez pris femme Parfaite, belle, & sage, & qui pourroit je croy, Je dy sans la flatter l’estre mesme d’un Roy. Si l’on vous a surpris, cette surprise est belle, Mais que tardez-vous plus, on vous attend chez elle. Il le faut bien Ormin, alons n’y pensons plus, C’en est fait ces discours ne sont que superflus, Voy s’ils sont au logis, nous sommes à la porte. Monsieur songez à vous, gouvernez vous de sorte Qu’on n’ait pas de sujet de vous rien reprocher, La chose est sans remede, il n’en faut plus chercher. Je m’en vais appeler, mais faites que l’on voye Des marques sur ce front d’allegresse, & de joie. Tout est ouvert entrons.         Toute la Cour, Monsieur, Ayant sçeu que de vous je reçois tant d’honneur, De desirer entrer dedans nostre famille, M’a fait des compliments : mais j’ay peur que ma fille N’ait trop peu de merite, & trop peu de beauté, Pour posseder ce bien qu’elle a peu merité. C’est moy qui suis heureux d’asservir ma franchise Sous les divines loix de la parfaite Elize, Qui voy dans ce bon-heur tous mes desirs contents. Je m’estonne Monsieur, comme en si peu de temps On ait peû dans Paris sçavoir ce mariage. Pourquoy s’en estonner, Clitandre a l’advantage D’estre connu de tous, & chery d’un chacun. Croyez que dans Paris ce bruit est tout commun, Et qu’il s’est fait par tout bien promptement respandre. Je tiens quoy qu’il en soit, Clitandre pour mon gendre. J’y gagne seul, Monsieur.         Et moy seule j’y perds. Vous me mettrez aux Cieux.         Et moy dans les Enfers. Des sieges promptement.         Que j’ay l’ame ravie. Grands Dieux, c’est à ce coup qu’on attente à ma vie. Un Cavalier là bas vous demande, Monsieur. Qu’il entre. C’est quelqu’un qui me fait la faveur De vouloir prendre part à l’excés de joye, Que toute la Cour sçait que le Ciel nous envoye. Il n’en faut point douter.         Me trouvant fort pressé De faire un grand voyage où je me voy forcé. Ayant appris aussi qu’une importante affaire Vous tient tous assemblez, il n’est point necessaire De vous entretenir de discours superflus. Que voy-je justes Dieux ? que j’ay l’esprit confus. Seyez-vous donc Monsieur, mettez vous à vostre ayse ; Holà, que promptement on luy donne une chaise. Avant qu’agir du fait qui m’emmeine ceans, Je doy feliciter ces bien-heureux Amants, Puis qu’aujourd’huy l’Hymen joint vos deux destinées, Que ce soit s’il luy plaist pour un siecle d’années. Dieux quelle effronterie !         Elle est au dernier point ; Madame est-il troublé ?         Non non il ne l’est point. Mes enfants respondez.         Pour cét honneur extresme Je vous baise les mains.         Et moy j’en fais de mesme. Pour ne vous tenir pas davantage en soucy, Je vous diray, Monsieur, ce qui m’emmeine icy. Je vay tout de ce pas en poste à Barcelone ; Pourriez vous me donner pour Beziers ou Narbonne Quelque argent à toucher, & me faire ce bien Avant que de partir de recevoir le mien Qui me peze par trop.         Ah ! cét homme Pauline Est venu pour me perdre ; hé Dieux il m’assassine. Dissimulez un peu.         Pauline je ne puis. C’est de quoy j’ay besoing en l’estat où je suis. J’ay sçeu que vous aviez de la correspondance Sur tous les lieux qui sont aux frontieres de France, Et vous ne voudrez pas, tant vous estes courtois, Me refuser ce bien.         Il est vray qu’autre fois Aysement j’eusse peû vous rendre ce service, Mais j’ay depuis dix ans quitté cét exercice, Et je suis fort marry de n’avoir point cét heur. Je suis trop mal-heureux.         Si vous voulez, Monsieur, Pour quelque peu de temps differer ce voyage Vous en pourrez trouver mesme avec advantage. Je le souhaitterois, Madame, extresmement ; Mais je ne sçaurois plus retarder un moment. Ce depart m’est sans doute un rigoureux martire, Mais mon mal en restant seroit encor bien pire. Sçaurois-je point pourquoy vous fuyez de ces lieux ? Nostre sexe, Monsieur, est prompt & curieux ; Excusez si je suis en ce point mal apprise. Est-ce ce Cavalier qui recherchoit Elize ? Ouy qui part de cholere.         Ah ! qu’il l’ait j’y consens Luy cédant de bon cœur le droit que j’y prétens. Dites-m’en le sujet, Monsieur, je vous supplie. Cette cause provient d’une melancolie, Je croy qu’en la sçachant je vous feray pitié ; J’avois fait en ces lieux une estroitte amitié Avec un Cavalier par trop digne de blasme : Car nous deux en deux corps ne possedions qu’une Ame. Pour l’autre nul de nous n’avoit rien de caché, De ce qui touchoit l’un, l’autre en estoit touché. Mais, Madame, escoutez ; justes Dieux quand j’y pense, Jamais ne fut au monde une telle inconstance ; Je vous en fait le juge, eut-il quelque raison D’user d’une si lasche & noire trahison Envers un qui l’adore ; ah ! je jure, Madame, Si, comme je l’ay dit, nous deux n’avions qu’une ame, Nous n’eussions possedé tous deux qu’un mesme corps, Je l’aurois exposé sur l’heure à mille morts. Ouy j’atteste les Dieux qu’il m’eust pris cette envie Pour vanger cet affront aux despens de ma vie. Madame il m’a quitté pour suivre un estranger, Qui, comme je l’ay fait, ne sçauroit l’obliger. Et qu’il ne cognoist point, & cette enorme offence, Il la veut paslier du nom d’obeyssance. Nom que je trouve injuste en un cœur obligé, Voyant que je ne puis estre à present vangé, De crainte tous les jours de les trouver ensemble, Bravans ma passion, le meilleur ce me semble, Est de les quitter là. Que je puisse voler Pour sortir de ces lieux viste comme un esclair. Si de vos differents vous me jugez croyable, Je ne vous trouve pas en ce poinct raisonnable ; Vous vous trompez peut-estre. Ouy je ferois serment Que vous le condamnez un peu legerement. Cét amy n’a vers vous commis aucune offence, Si tout ce qu’il a fait est par obeyssance, Comme vous confessez vous-mesme, & sans mentir Vous ne me pouvez pas sur ce poinct repartir. C’est avoir peu de soin ; car dites-moy de grace, Ce que vous avez fait pour recouvrer la place Que vous aviez acquise au cœur de cet amy ? Pourquoy vous estes-vous sur ce poinct endormy ? Employez en remedes, & non en larmes feintes, Les heures que sans fruit vous consommez en plaintes ; Et vous sçaurez voyant vos soupçons dissipez, Si vostre amy vous trompe, ou si vous vous trompez. Le sort en est jetté je ne m’en puis desdire. Ouy, de tous les affrons, le mespris est le pire, Je n’en ferois pas moins ; & vous avez raison De vous vanger ainsi de cette trahison. Croyez-moy, Clorimant, usez-en de la sorte. La passion, Monsieur, en ce poinct vous emporte, Vous vous delorez trop.         Nous nous entendons bien. Je ne veux pas, Messieurs, troubler vostre entretien, Je pren congé de vous.         Ah Pauline je pasme ! Vous vous delorez trop, moderez vous Madame. Pauline je ne puis.         Je suis au desespoir ! En cette occasion que je n’ay le pouvoir De vous servir, Monsieur, comme je le souhaite. Pardonnez s’il vous plaist la faute que j’ay faite, C’est abuser du temps qui vous doit estre cher. C’est ce qu’on ne sçauroit, Monsieur, vous reprocher. Adieu, je ne veux pas arrester davantage. Puissiez-vous revenir en santé du voyage. Ce Cavalier icy sans doute me prenoit Pour homme de trafic.         C’est ce qui l’emmenoit. Clorimant, dites-vous ? Est-ce ainsi qu’on le nomme ? Ouy, Monsieur.         Il paroist fort brave Gentil-homme. Pour quelque peu de temps pourrois-je vous quitter ? C’est ce qu’il doit, Monsieur, que je croy souhaitter Pour pouvoir discourir avecque sa maistresse. Donnons-luy le loisir.         Bien Monsieur je vous laisse, Il est juste, & mon fils a fort bonne raison. Disposez comme estant enfant de la maison. Vous me rendez confus par cét honneur extresme. Je ne sçaurois celer, Pauline, que je t’ayme. Ta maistresse & mon maistre estans tous deux rangez Dessous le joug d’Hymen nous sommes obligez De faire entre nous deux un second mariage. Ne t’imagine pas que je sois si volage, J’ayme, & je ne puis pas me desgager ainsi. Quoy ! ce nouveau soldat te met-il en soucy ? Ce procedé me semble extremement estrange, Car tu cognois assez que tu gagnes au change. Ce maraut ose-t’il seulement t’aborder ? Et sans trembler de peur peut-il me regarder ? S’il l’osoit je ferois.     Quoy ?         Dieux je desespere, N’excite point de grace à ce point ma cholere, S’il s’oppose jamais au bien que je pretends ! Ormin en ta cholere espargne les absens, S’il estoit devant toy tu serois ce me semble Un peu plus retenu, tel menace qui tremble, Ce courage estant seul, est grandement suspect. Apres un tel discours puis-je avoir du respect ? Mais à ce que je voy mon maistre & ta maistresse Sont muets, si j’osois prendre la hardiesse Je les resveillerois.         Pourquoy ? tu le peux bien. Oserois-je Monsieur troubler vostre entretien ? Aupres d’un tel object pouvez vous bien vous taire ? Ormin en luy parlant je crains de luy déplaire. Madame ne dit mot, & je me tais aussi. Vous paroissez, Monsieur, un amoureux transi. Madame si j’osois je prendrois la licence De demander congé pour chose d’importance, Mais quoy j’offencerois en ce point mon devoir. Vous estes maistre icy, vous avez tout pouvoir. Je sors donc, & ce soir je vous verray, Madame. Faites ce qu’il vous plaist.         Ah, Pauline, je pasme ! En cette occasion, qui me peut consoler ? Mais, Madame, il falloit icy dissimuler, Et luy faire à l’abord un peu meilleure mine, Vous contraindre un moment.         Je ne sçaurois Pauline. Que ferois-je grands Dieux ? puis-je agir autrement ? Il faut bien que je meure en perdant Clorimant, Il s’absente ; à ce mot Dieux je perds la parole, Il s’en va de ces lieux, mais plutost il s’envole. Il faut trouver moyen de le faire arrester. L’honneur me le deffend, mais je le veux dompter. Ouy pour toy j’ay tout fait, Honneur, je le proteste, Mais il faut que l’Amour joue icy de son reste. Madame voulez-vous vous resoudre à ce point, Laissez-m’en le soucy, ne vous tourmentez point. Faites choix d’une amie, à qui vous puissiez dire Quelle est la passion qui cause ce martire, Qui puisse vous servir en ce pressant besoing. Croy que pour la trouver je n’irois pas bien loing. Sans doute que Diane ayant perdu Clitandre M’en donnera du blasme, il luy faut faire entendre Que je n’ay point failly, qu’elle m’accuse à tort, Et qu’elle s’en doit prendre à la rigueur du Sort. C’est bien pensé, pourveu qu’elle vous soit fidelle, Il la faut supplier de le mander chez elle, Feignant adroittement qu’elle luy veut parler. Mais en fera-t’il compte, y voudra-t’il aller ? Il n’y manquera pas, vous avez tort de craindre, Et là vous luy direz que l’on vous veut contraindre ; Mais que nul envers vous n’en aura le pouvoir, Et que l’Amour l’emporte au dessus du devoir. Mon pere, c’en est faict, pardonnez cette offence, Mon Amour est plus fort que mon obeïssance. Fin du troisiesme Acte Est-il dessous le Ciel un plus heureux Amant ? Ce que je vous ay dit est tres-vray, Clorimant, Je quitte cét ingrat voyant qu’il me mesprise. Ah Dieux ! par quel moyen je me vange d’Elize. Va cheris ce Rival je n’en suis point jaloux, En possedant Diane en qualité d’Espoux. C’est moy qui doit cherir une telle alliance, Mais quoy que je m’y porte à present par vengeance, Pour punir cét ingrat, croyez que quelque jour Ma vengeance pourra se changer en Amour. Mais consultons un peu ce que nous devons faire. Que t’en semble Julie, es-tu point en cholere Aussi bien comme moy de perdre ton Espoux ? S’ils veulent se vanger, Geraste vangeons-nous ; Si pour l’Amour de moy tu veux quitter Pauline, Je quitte cét ingrat.         Mais ne faits pas la fine, Pour me quitter apres & te mocquer de moy ? Va sçache que je t’ayme, & que je suis à toy. C’est tres-bien advisé d’en user de la sorte. J’entends quelqu’un là bas qui frappe à nostre porte. Va voir qui c’est, Julie, & reviens promptement. Madame, c’est Elize.     Elize ?         Ah ! Clorimant Cachez-vous là dedans, il n’est pas raisonnable Qu’elle vous trouve icy.         Se connoissant coulpable, Elle vient pour vous voir afin de s’excuser. Cachez-vous donc de grace.         Il se faut exposer Encor à cét affront ; car l’honneur m’y convie, Quoy que pour me cacher j’ay hazardé ma vie. Madame j’obeys, & je me cache icy. Que deviendray-je moy ?         Va te cacher aussi. Parce que vous avez juste subject de plainte, Je n’ay point, chere amye, en cette rude atteinte De mon cruel destin, dont je ressens les coups, Voulu chercher d’asile autre part que chez vous, Ny qu’autres que vous sçeust les secrets de mon ame. Vous direz que je suis lasche & digne de blasme, De vous avoir traittée avec tant de rigueur, Qu’apres m’avoir ouvert vostre ame & vostre cœur, Je vous ay laschement ravy vostre Clitandre, C’est un crime, ô Dieux, dont je me veux deffendre. J’ay fait cette action contre ma volonté, Mon pere m’a reduite à cette extremité. Tout mon crime envers vous n’est qu’une obeissance, Il a sur mon esprit fait une violence, A quoy je n’ay pas eu pouvoir de resister, Mais mon amour m’oblige à present d’esclater. Chere amie, aprenez jusqu’où va ma foiblesse, J’adore Clorimant, & voyant qu’il me laisse, Qu’il s’enfuit de ces lieux de crainte de me voir (M’aymant comme il me fait) sous un autre pouvoir, Permettez qu’à ses yeux, & qu’en vostre presence, Je foule aux pieds l’honneur avec l’obeyssance, Je veux presentement, & dans vostre maison, Faire voir qu’on m’accuse à tort de trahison. Trouvez-le bon, Madame, & que je vous supplie D’envoyer promptement de vostre part Julie, Luy dire qu’à cette heure il vous vienne trouver, C’est l’unique moyen qui me pourra sauver. Vous verrez devant vous la chose terminée, Vous nous verrez rangez sous le joug d’Hymenée, Malgré l’obeyssance, & malgré le respect Qui peut rendre l’honneur d’une fille suspect. Vous vous estes, Madame, un peu tard advisée, Vous pouvez tout sur moy, la chose estoit aysée, Clorimant est party, croyez que c’est en vain, De penser à present retarder son dessein. Ouy je l’ay veu partir les yeux baignez de larmes- De regret qu’il avoit d’abandonner vos charmes, En passant il m’a dit, Diane obligez moy De rendre tesmoignage à chacun de ma foy : Dites je vous supplie à cette ame infidelle, Que je pars de ces lieux, que je m’esloigne d’elle, Que ce fascheux sejour m’est à present fatal, Que pour ne pas souffrir cét indigne rival, Caresser tous les jours cette ingrate à ma veuë, J’ayme mieux que l’ennuy de l’absence me tuë. Et sans m’avoir donné le loisir de parler, Il est party d’icy plus viste qu’un esclair. A ce triste discours Dieux que je suis surprise, Clorimant est absent & tu peux vivre Elize ? Ô rage ! ô desespoir ! ô rigueur de mon sort. Où Clorimant n’est plus tout pour Elize est mort. Rigoureux point d’honneur, fantosme ridicule, Execrable bourreau d’une ame trop credule, Pour observer tes loix je me prive du jour, Et pour t’avoir suivy j’ay trahy mon Amour. J’ay la vie en horreur, il faut que je m’en prive, Car Clorimant absent, croy-t’on qu’Elize vive ? Que n’ay-je, en bannissant les pleurs & les soûpirs, Lasché sans consulter la bride à mes desirs ? Tyranique devoir, respect, obeissance, Vous n’esbranlerez pas à ce point ma constance ; Il faut par une belle & hardie action, Faire paroistre icy quelle est ma passion. Il faut de tant de maux que la mort me delivre, Car Clorimant absent Elize ne peut vivre : On ne me peut forcer, mon pere ne peut point Separer nos deux cœurs que l’amour a conjoint. Qu’un ennemi commun attente sur ma vie, Que par mes propres mains elle me soit ravie Si je consens jamais à cette lascheté, Si je tiens des Dieux seuls ma franche volonté Peut on icy tenir ma liberté captive ? Et Clorimant absent, croy-t’on qu’Elize vive ? Que faites vous Madame ? ah Dieux songez à vous ! As-tu dessein icy d’exciter mon courroux ? Considerez un peu.         Moy que je considere ? Quoy ?         Madame escoutez sans vous mettre en cholere, Vostre honneur.         Tes discours sont icy superflus. Le respect.         Je le perds, & je n’escoute plus. Non, non, je veux mourir, si je ne le puis suivre, Car Clorimant absent Elize ne peut vivre. Geraste laisse moy que je suive ses pas. Retenez vous, Monsieur, grands Dieux ne sortez pas. Vois-tu mon heur present, & qu’Elize m’adore, Va laisse moy sortir.         Il n’est pas temps encore. Je rentre maintenant en un gouffre d’ennuis, Qui me peut consoler en l’estat où je suis ? Non, non, il faut mourir, puis que le Ciel l’ordonne ; A quoy me sert le corps si l’ame m’abandonne ? Ah mon cher Clorimant ! tu peux me reprocher, Que j’ay paru trop lente à te venir chercher. Puis que ma mort te plaist assouvy ton envie : Car Elize sans toy ne peut aymer la vie. Madame je voudrois vous pouvoir consoler, Mais dans mon sentiment je ne sçaurois parler. Octave monte icy, Madame, avec Clitandre. Dieux il me faut cacher je ne m’en puis deffendre. Grands Dieux que faites vous ?         En cette occasion Il vous faut puissamment marquer ma passion, Dire que je l’adore, & que comme beau frere, Vous venez terminer cette importante affaire. Laissez moy ce soucy, je n’y manquerois point. Je vous trouve insolent jusques au dernier point, D’oser avec ce front, avec cette impudence, Vous offrir à mes yeux m’ayant fait une offence, Qui par aucun moyen ne se peut reparer. Ce violent courroux ne peut long temps durer, Madame si je prends beaucoup de hardiesse, Si j’ose entrer ceans, c’est qu’Octave me presse, Et c’est pour vostre bien que je vous viens trouver, Il m’accuse d’un fait dont je me veux laver. Madame excusez moy cette affaire m’importe, Vous ay-je pas parlé de l’Amour qu’il vous porte ? Vous ay-je pas priée avecque passion De vous rendre sensible à son affection ? Il veut de vostre voix recevoir la sentence, Et mourir de douleur, ou vivre d’esperance. Dieux je serois, Madame, au comble de mes vœux, Si vous pouviez souffrir cét homme ambitieux, Qui brusle de desir de vous dire luy mesme, Combien il vous honnore, & combien il vous ayme. Vostre arrest quel qu’il soit terminera mon sort, Et me donnant la vie, ou me causant la mort. De tant de soins, Monsieur, je me sens obligée ; Mais j’ay tantost ailleurs ma parole engagée. Avec qui ? justes Dieux, je demeure transi ! Avec un Cavalier qui n’est pas loing d’icy. Qu’on nomme ?     Clorimant.     Quel Clorimant ?         J’expire. Vous cognoissez fort bien celuy que je veux dire. Celuy que je cognois est absent de ces lieux. Madame, il a raison. Qu’entens-je justes Dieux ? Par ces inventions pretendez-vous, Madame, Exciter maintenant quelque trouble en mon ame ? Si vous avez dessein de me rendre jaloux Vous travaillez en vain.         Qu’ai je affaire de vous ? N’esperez pas perfide, ame ingratte & volage, Que je vous puisse voir & souffrir davantage. J’abhore tout de vous, jusques à vostre nom, Et demain vous verrez si je vous ments ou non. Clorimant est party, Madame, je le jure. Il n’est rien de plus vray.         Dieux l’estrange imposture ! Sçachez que Clorimant n’est pas bien loing d’icy. Il m’est assez aysé de m’en voir esclaircy. Je sçay bien son logis, allons y je vous prie. Allons je le veux bien, c’est une raillerie, Cela ne sçauroit estre en aucune façon. De grace esclaircissons promptement ce soupçon. Grands Dieux si ce discours estoit bien veritable Seroit-il un Amant qui fust plus miserable ? Si le Ciel me reserve à ce sensible ennuy, Je suis plus miserable & plus confus que luy. S’il est vray qu’elle soit à cét autre engagée, Peut-elle estre de moy plus puissamment vengée ? Sçauroit on jamais voir deux Amans plus honteux ? Vous les avez tuez d’un mesme coup tous deux. Justes Dieux quels dédains vous me faites paroistre, Qui vous oblige à fuyr ?         Veux-tu me laisser traistre. Considerez, mon Cœur, que de tous les Amans Je suis le plus fidelle.         Ah perfide ! tu ments. Oses-tu bien, ingrat, me tenir ce langage ? Qui vous peut obliger à ce cruel outrage ? Vous me venez chercher, & quand vous me trouvez, Vous fuyez ma rencontre, ou bien vous me bravez. N’excite pas encor à ce poinct ma cholere, Devrois-tu pas rougir, infidelle, & te taire, Apres t’avoir fait voir que je n’ayme que toy, Apres t’avoir rendu ces preuves de ma foy. Apres avoir cognu que je bruslois d’envie D’abandonner pour toy l’honneur mesme & la vie Le respect, le debvoir, estant ce que je suis, En te venant chercher perfide tu t’enfuys. Et pour mieux faire voir ton ame desloyalle Je te trouve caché chez ma propre rivale, Qui par la lascheté d’un traistre suborneur Pense eslever sa gloire, & bastir son bon-heur Par les débris d’autruy sur ma propre ruine. Quoy ! dois-je encor aymer celuy qui m’assassine ? M’inquieter pour luy, ne l’imagine pas, Va j’ay trop fait pour toy tu t’en repentiras. Pour t’oster tout espoir je te veux faire entendre Que je n’auray jamais d’autre espoux que Clitandre. Avant qu’il soit une heure, il recevra ma foy. Adieu perfide ingrat.         Madame escoutez moy. Que veux tu que j’escoute esprit lasche & volage ? Oses-tu repartir ? est-ce là ce voyage Que l’on ne pouvoit pas retarder d’un moment ? Madame ayez pitié d’un miserable Amant, Qui veut mourir s’il perd vostre beauté divine. Vous perdez vostre temps. Toy que dis tu Pauline ? Feras-tu comme luy ? Veux-tu m’abandonner ? Ne viens pas davantage icy m’importuner, Julie aura pour toy la grace plus charmante. Ay-je si peu de cœur que je ne me ressente D’une si detestable & noire trahison ? Puis que je t’ay trouvé caché dans sa maison. Je ne te veux ny voir ny parler de ma vie. Acheve-moy cruelle, assouvy ton envie. Madame permettez que je suive ses pas. Escoutez Clorimant.         Non je ne le puis pas. Madame il faut mourir, ou fleschir ma cruelle. Geraste que dis-tu ? veux-tu m’estre infidelle ? Veux-tu comme ton maistre estre ingrat.         Laisse moy. Je veux suivre Pauline & luy garder la foy. Que dis-tu de cela ? vois-tu comme on nous traitte ? Vous n’estes pas je croy plus que moy satisfaicte. Mais dites moy Madame, aymez vous Clorimant ? Clitandre est à mes yeux encore plus charmant. J’auray pour son subject tousjours mesme tendresse, Quoy qu’inconstant pourveu qu’Elize me le laisse. Pensez y mieux Monsieur, pourquoy desirez vous De deux hommes d’honneur exciter le courroux ? Ne leur avez vous pas la parole donnée D’accomplir aujourdhuy cét heureux Hymenée, Le sort en est jetté vous reculez en vain. Je leur ay demandé terme jusqu’à demain. Pour te dire le vray j’ay peine à m’y resoudre, Et je veux si je puis tascher à le dissoudre. Comment le pourrez vous ?         Je leur veux demander Plus qu’ils ne m’ont promis.         C’est mal y proceder. Cette action Monsieur n’est point d’un honneste homme, Vous ne leur avez point demandé d’autre somme Avant que de conclure, & maintenant pourquoy Sans raison voulez-vous desgager vostre foy ? Que dira-t’on de vous ?         Tout ce qu’on voudra dire, J’ay fait presentement dessein de leur escrire Que je suis resolu de ne l’espouser pas, Si l’on n’adjouste encor quatre mille ducats A la somme promise avant le mariage. Ils diront que je suis inconstant & volage, Perfide, desloyal, & lasche au dernier point, Qu’ils disent encor pis il ne m’importe point. Ouy je souffriray tout bien plustost que le blasme Que j’aurois d’avoir pris par contrainte une femme. Vous avez tort Monsieur, car vous l’avez voulu. Tay toy je suis, te dis-je, à ce point resolu. C’est d’Octave par trop irriter la colere. Octave, me dis-tu, que me sçauroit il faire ? Ma Diane a pour moy de plus charmants appas, Elle brusle pour moy, l’autre ne m’ayme pas. Allons la voir, allons repaistre nostre veuë, Des celestes appas dont le Ciel l’a pourveuë. Il est bien tard Monsieur, regardez qu’il est nuit. Allons soupper devant retirons-nous sans bruit. C’est fort bien dit Monsieur, je vais à la cuisine. Geraste escoute un mot, dis-tu pas que Pauline Te veut entretenir cette nuit ?         Ouy Monsieur, Mais j’y dois aller seul.         Que t’importe, as-tu peur ? Ouy, car facilement on vous pourroit cognoistre, Elle me doit tantost parler à la fenestre. Retirez-vous, Monsieur, on ouvre que je croy. Non, je luy veux parler Geraste au lieu de toy. Mais ce que vous voulez ne sçaurois-je luy dire. Comme moy tu ne peux exprimer mon martire. Geraste doit-il pas te venir voir icy ? Madame je l’attens & croy que le voicy. Retire toy ; je veux luy parler en ta place. Luy diray-je pas bien ?         Tu n’auras pas la grace D’exprimer ce que j’ay dans l’ame, cache toy. Est-ce pas toy Geraste ?         Ouy Pauline, c’est moy : C’est Elize à la voix je l’ay bien recognuë. C’est Clorimant sans doute, ou je suis bien deceuë. C’est luy mesme, voyez quel pouvoir a l’amour ? Je recognois Elize aussi bien qu’en plein jour. Dy que fait Clorimant, Geraste, mais peut-estre, Que tu ne voudras pas parler contre ton maistre. Je sçay que tu prens part dedans son interest, Estant aussi volage & perfide qu’il est. Quoy demander que fait cette ame desloyalle, Il trahit ma maistresse, il est chez sa rivalle. Sçavons nous pas que rien ne peut les desunir, Et tu viens cependant icy m’entretenir. Mais peux-tu bien, Geraste, abandonner Julie ? Mon maistre aymer Diane ? ah Dieux quelle folie. Tu te trompes Pauline, & crois qu’il n’en est rien. Pourquoy veux-tu nier ce que je sçay fort bien ? L’avons nous pas trouvé n’agueres avec elle ? Tu l’imites Pauline, en m’estant infidelle, Je sçay que tu cheris cét Ormin mon rival, A qui ce fer icy bien-tost sera fatal : Mais tay toy je sçay bien à qui je m’en dois prendre. Tu veux dire en effet qu’Elize ayme Clitandre, Mais peux tu bien, Geraste, excuser Clorimant S’il dit qu’il n’ayme pas Diane, asseurement : Tu sçais bien en ce point qu’il celle ce qu’il pense. Il mourroit de regret en cette longue absence, Et l’on verroit ses sens de tous points interdits S’il la quittoit l’aymant ainsi comme tu dis. Il ne s’en ira point :         Quoy Pauline es-tu folle Il ne s’en ira point ? non, car croy moy qu’il volle. Il est bien loing d’icy.         Te mocques-tu de moy ? Mais te suis-je suspect, doutes-tu de ma foy ? Si tu dis vray, pourquoy t’a t’il laissé derriere ? Il me laisse en ce lieu pour un certain affaire Qu’il m’a recommandé.         Ah Dieux ! comme aysément En cette occasion j’abuse Clorimant. Et luy tout au rebours croit de m’avoir trompée. Elle me croit absent, elle est bien attrapée. S’il pense me surprendre il l’entreprend en vain. Je m’en vay le trouver, je partiray demain, Si ta maistresse veut luy mander quelque chose Au moins sçache-le d’elle ?         Ah Geraste je n’ose, Elle s’en veut deffaire & le laisser aller, Elle ne veut jamais le voir n’y luy parler. Quoy demain sans faillir elle espouse Clitandre. La chose est resoluë.         Ah que viens-je d’entendre ? Elle espouse Clitandre ? est-il dessous les Cieux Homme plus miserable ; oze-t’elle à mes yeux, Commettre cette lasche & noire perfidie ? Dy luy.         Que veux-tu donc encor que je luy die ? Qu’elle trahit, Pauline, un tres-fidelle Amant Qu’elle est …     Tout beau Geraste.         Ah je suis Clorimant, Que la perfide Elize à sa fureur immole. Qui Clorimant absent, qui Clorimant qui vole. Qui s’enfuit de ces lieux plus viste que le vent. J’estois absent d’Elize, encore que present, Car l’oubly se peut bien comparer à l’absence. Elize m’oubliant, c’est une consequence Que j’estois absent d’elle, & que je perds le sens Songeant à cette injure, & pour toy qui m’entends Qui voit mon desespoir dis à cette infidelle Qu’il n’est rien plus volage & plus inconstant qu’elle, Qu’elle est une perfide une …         Tout beau c’est moy. Je te cognoissois bien, ame ingratte & sans foy, J’ay feint de m’en aller, perfide, je le jure Que ce que j’en disois n’estoit qu’une imposture, Je te quitte à present me sentant outragé, Mais croy qu’auparavant je veux estre vangé, Et pour ne garder rien d’un esprit si volage Tien voilà tes escrits que j’immole à ma rage Tes cheveux, ton pourtraict.         Monsieur que faites vous ? Pourquoy me retiens tu ?         Moderez ce courroux, Et ne les rompez pas, apres cette cholere Vous mourriez de regret.         Quand je le considere Tu dis vray, mais as-tu quelques papiers sur toy. J’ay des cartes, Monsieur.         Bon, bon, donne les moy. Tien je romps le pourtraict de cette ingratte Dame, Que je veux encor mieux effacer de mon ame. Et ces escrits tesmoings de ses legeretez, Pleins de discours trompeurs, pleins d’infidelitez, Qui me reprocheroient à toute heure ton crime, A ma juste fureur serviront de victime. Tout ce que j’ay de toy, je le laisse, & je veux Jetter encor au vent tes indignes cheveux. Et pour plus grand mespris je veux avoir la gloire De bannir de mon cœur jusques à ta memoire. Adieu perfide, adieu, je sors de ton pouvoir, Et n’imagine pas de jamais me revoir. Ne t’en va pas mon cœur, escoute une parole. Non je ne l’entends point d’une qui la viole. Et toy Geraste aussi, veux-tu quitter ce lieu ? Ouy perfide, & te dire un eternel adieu. Tien voilà ton pourtraict, pour avec ton image Perdre le souvenir d’un objet si volage, Tes escrits, tes rubans, tes indignes cheveux, Et je vay dans le vin esteindre tous mes feux. Tu t’en repentiras, je jure aussi bien qu’elle. Il est le seul coupable & me fait criminelle. Ils sont partis Madame.         Ah si je ne sçavois Que ce n’est pas, Pauline, icy la seule fois Qu’il fait le furieux, qu’il part & qu’il demeure, Je croy qu’assurément je mourrois tout à l’heure. Il n’ira pas bien loing, ce n’est rien qu’un destour, Pour faire rapprocher de plus pres son amour. C’est comme un papillon qui fuit & bat de l’aile, Et qui se vient en fin brusler à la chandelle. Il a devant les yeux un trop obscur bandeau, C’est comme un ciel couvert qui nous menace d’eau Dont pourtant on ne voit jamais tomber la pluye. Ah ! Pauline, je crains.         Ne craignez pas qu’il fuye. Mais il vient à mes yeux de rompre mes escrits, C’est ce qui me surprend, & trouble les esprits, Je ne le celle point, cela me met en peine. Il ne s’en ira point la chose est tres-certaine, Il est trop enchaisné de vos divins appas. De peur d’un accident, va promptement là bas, Ramasse ces escrits ; grands Dieux je desespere ! Ils pourroient aysément estre veus de mon pere. Bien Madame, j’y vay.         En l’estat où je suis, Grands Dieux retirez moy de ce gouffre d’ennuis. Est-il possible, ô Dieux ! qu’il m’ait fait cette injure, Ramasse ces papiers.         Des papiers je vous jure Que je n’en voy pas un.         Qu’est-ce que je voy là ? Une carte rompuë.     Aporte.         Là voilà. Que porte-t’elle ?     Rien.         Ah Pauline regarde. Je voy bien ce que c’est.     Quoy ?         C’est la hallebarde Du Valet de carreau.     Que dis-tu ?         Que voicy Le bas du Roy de trefle.     Et l’autre ?         C’est icy L’as de cœur.         Vois-tu point quelque pourtrait, Pauline ? Ouy, je tiens une teste elle s’appelle Argine. Madame c’est le haut de la Dame de cœur. Sans doute Clorimant est de jolie humeur, Il se mocque de nous la chose est evidente. L’invention, Madame, est certes excellente. Monte, viens te coucher.         Me coucher ! il est jour. Clorimant tu ne peux desmentir ton amour. Va je ne te crains plus, & croy, quoy que tu faces, Qu’à present je me ry de toutes tes menaces. Fin du quatriesme Acte D’où vient que je vous voy, Monsieur si tost levé ? Comme je m’esveillois ce matin, j’ay trouvé Ce billet que voicy, de la part de Clitandre, Je croy que tu seras aussi surpris d’entendre Ce qu’il m’escrit que moy, lors que tu l’auras leu. Encore que mande-t’il ?         Je n’eusse jamais creu Qu’un Cavalier d’honneur fust parjure ny lasche, Et procedast si mal, mais ce qui plus m’en fasche, Est que tout Paris sçait maintenant nostre accord. Sçauray-je point que c’est ?         Ah Clitandre a grand tort. Allons trouver ta sœur, tu sçauras devant elle Le sujet qui me trouble, & me met en cervelle, Elle sera surprise aussi bien comme moy. Il est un peu matin, & ma sœur que je croy Ne peut pas à cette heure estre encor esveillée. Mais la voicy qui sort, mesme toute habillée. Ma fille quel sujet vous fait veiller ainsi ? Je ne sçaurois dormir.         Si c’est pour le soucy Que vous cause l’amour de vostre Espoux Clitandre, Ma fille je vous veux en trois mots faire entendre Que vous n’y pensiez plus. Voyez ce qu’il m’escrit. N’importe cét amour trouble peu mon esprit. Mais encor que dit-il ?         Sçachez que cét infame Plus amoureux cent fois des biens que d’une femme Vous veut bien espouser, mais à condition (Voyez jusqu’à quel poinct monte sa passion, Et de quelle façon il vous cherit Elize) Qu’il veut avoir de plus, que la somme promise, Quatre mille ducats.         Grands Dieux que dites-vous ? C’est ce que par ce mot me mande vostre Espoux. Ah l’infame qu’il est de cét esprit volage, Pouvez-vous esperer, Monsieur, un moindre outrage. Il ne me surprend point, il use tous les jours De mesme perfidie & d’aussi lasches tours. On me l’avoit bien dit.         Voilà comme il vous ayme. Je ne le celle point, la surprise est extresme, Mais que resolvez vous en cette extremité ? Que sçaurois-je respondre à cette lascheté ? Il faut bien quitter-là ce traistre, ce parjure. Mais qui reparera nostre commune injure ? L’affaire est d’un tel poids, qu’elle merite bien D’y songer meurement, & de n’espargner rien. Sçachez que cét affront passe la raillerie, Il y va trop du mien, ah Monsieur je vous prie, De considerer mieux ce qu’on dira de moy. Chacun sçait dans Paris qu’il m’a donné la foy. Qu’aujourd’huy l’on devoit terminer l’hymenée, Dont nous avons tous deux la parole donnée, Qui pourroit empescher un chacun aujourd’huy De faire un jugement advantageux pour luy. Qui me pourroit combler de honte & d’infamie ? Je serois bien, Monsieur, de moy-mesme ennemie, Si je pouvois souffrir qu’un traistre, un affronteur, Par discours médisants offençast mon honneur. Monsieur, à deux genoux j’implore vostre grace. Mais, ma fille, dy moy que veux-tu que je face ? Accordez-luy, Monsieur, tout ce qu’il veut avoir. Elize, sçais-tu bien si j’en ay le pouvoir ? Vous ne pouvez, Monsieur, de ce point vous deffendre : Vostre honneur vous y force.         Il me faudroit donc vendre Jusques à ma maison pour y pouvoir fournir. Où me tiendrois-je apres ?         Vous vous pouvez tenir. Aysément avec moy.         Mais que dira ton frere ? Ne laissez pas, Monsieur, de terminer l’affaire, Si Diane est à moy je me tiens trop heureux. Bien doncques j’y consens, vous le voulez tous deux, Mais où si promptement puis-je avoir cette somme ? Laissez-m’en le soucy, je cognois bien un homme, Si vous vous obligez, qui nous rendra contens ; Cét homme a de l’argent.         Va, ne perds point de temps. Puis va-t’en aussi-tost au logis de Clitandre, Dy luy que pour avoir l’heur de le voir mon gendre, J’ay fait tous mes efforts pour le rendre content, Que je luy veux donner la somme qu’il pretend, Mais à condition que sans plus de remise, Il sera ce matin joint à ta sœur Elize. Je m’en vay convier mes amis de ce pas, Fay qu’il vienne avec toy.         Je n’y manqueray pas. Puis que ta lascheté se fait ainsi paroistre, Amour fay qu’aujourd’huy je me vange du traistre. C’en est fait me voilà maintenant desgagé, J’ay d’Elize & du pere aujourd’huy pris congé, Ma lettre que je croy leur aura fait entendre Qu’ils ne doivent plus rien esperer de Clitandre, Non, non, ce n’est plus vous, Elize, que je sers, Je me vay renchaisner dedans mes premiers fers. Tout bien consideré, ce procedé m’estonne, Songez à vous, Monsieur, je sçay bien que personne N’approuvera jamais une telle action. Il n’importe, il suffit, je suy ma passion. Que sert plus d’y penser puis que la chose est faite ? La conduisent les Dieux ainsi que je souhaite. Entrons donc chez Diane.         Elle sort je la voy. Que veut dire cela ? Clitandre entrer chez moy ? Avez-vous bien encor assez de hardiesse ? Apres avoir acquis Elize pour Maistresse, Apres m’avoir traittée avec tant de mespris, D’oser entrer ceans ? vous vous estes mespris. Vous prenez ce logis pour la maison d’Elize ? Considerez, madame, avec quelle franchise Je vous dy mes pensers, & vous ouvre mon cœur. Je rentre sous les fers de mon premier vainqueur, Elize n’eut jamais pour me vaincre des armes, Qui peussent égaler le moindre de vos charmes : Aussi n’ay-je jamais eu rien de mon costé Qui peust porter mon cœur à l’infidelité. J’adore vos appas, tant qu’il m’est impossible Que pour un autre object je devienne sensible. Je confesse avoir feint d’aymer en autre lieu, Mais j’ay brisé mes fers, je viens de dire adieu. Me voilà delivré de ce fascheux servage Qui m’avoit pres de vous fait passer pour volage. Ne traittez pas Clitandre avec tant de rigueur, Et luy rendez la place acquise en vostre cœur. Acceptez derechef sa nouvelle franchise, Et ne luy reprochez jamais l’amour d’Elize, Puis qu’il proteste icy, madame, à deux genoux, Qu’il meurt pour vos appas, & n’adore que vous. Comment pourrois-je croire, ame ingrate & volage, Qu’on peut en un moment dissoudre un mariage ? Un contract bien passé ? sans doute tu pretends De nouveau m’abuser, & surprendre mes sens. J’ateste les beautez qui vous rendent aymable, Que je ne vous dy rien qui ne soit veritable. Et vous puis asseurer qu’il ne tiendra qu’à vous Que je ne vous possede en qualité d’Espoux. Je ne me repais point de ces discours frivoles, Comment ? je me fierois encor à tes paroles ? Ne t’imagine pas que je puisse en effect Te pardonner ainsi l’affront que tu m’as faict. Madame, au nom des Dieux calmez vostre colere, Accordez-moy ce poinct.         Non, je ne le puis faire. Je suis trop irritée.         Et bien posons le cas Que j’aye justement merité le trespas, Demandant à genoux pardon de mon offence Ne l’obtiendray-je point ?         Clitandre quand j’y pense Je ne sçaurois pour tout endurer ces mespris. Mais si tu veux un peu remettre mes esprits, Dy moy du mal d’Elize.         Ah justes Dieux ! Madame, Pourquoy desirez vous que j’endure le blasme Que l’on me donnera de la traitter ainsi. Clitandre je le veux, & te l’ordonne aussi Pour refaire ta paix, c’est l’unique remede. J’obey donc, Madame, Elize est sotte & laide, Élize n’eut jamais de grace ny d’attraits. Elle déplaist de loing, mais encor plus de prez. Je suis son ennemy, je fais gloire de l’estre, Nul homme ne sçauroit l’aymer, & la cognoistre, Et pour dire en un mot, Elize est à la Cour Un objet de pitié, bien plustost que d’Amour. Je te pardonne tout.         Pour rentrer en ta grace, Dy moy ? qu’est-il besoin à present que je face ? Dy du mal de Pauline, & puis je suis à toy. Pauline je le jure est un objet d’effroy, Son visage basty d’une façon estrange, Me semble long & large, ainsi qu’une lozange, Et croy que je pourrois tant je le trouve laid En quatre coups de serpe en former un mieux fait. Ses gestes tout contraincts sont de mauvaise grace, Elle ne peut ouvrir la bouche sans grimace, Elle est, & plate, & seche, & grande comme un four, Et croy qu’on oublia lors qu’elle vint au jour, À luy faire une bouche, & qu’apres la Nature, Sous le nez d’un razoir luy fit cette ouverture, Quand elle rit son nez en grandeur nompareil, Peut marquer sur ses dents un quadran au soleil, Son corps sec & ridé ressemble un vray squelette, Elle a la taille faite ainsi qu’une levrette, On peut innocemment avec elle coucher, On n’y trouveroit pas un seul morceau de chair. Et croy qu’en luy coupant le derriere & la pance, On pourroit l’enterrer dans l’estuy d’une lance. Pourveu que tes discours, Ormin, ne soient pas feints, Qu’elle soit à tes yeux comme tu la dépeins, Je n’y puis resister, ta grace t’est acquise. Je ne vous trouve pas trop bien deffait d’Elize, Si l’on luy donne encor quatre mille ducats. Quand mesme il le voudroit, son pere ne peut pas. J’entens monter quelqu’un, Madame, c’est Octave. Il vient pour m’attaquer, il vient faire du brave. Comme je vous cherchois, quelqu’un m’a dit Monsieur, Que vous estiez ceans, pourrois-je avoir l’honneur De luy dire deux mots, avec vostre licence. Ouy pourveu que ce soit, Octave, en ma presence. Madame je le veux, il ne m’importe pas. Vous demandez encor quatre mille ducats, Quoy que ce procedé me semble fort estrange Voyant que tous les jours vous vous portez au change, Je n’examine point si fort vos actions, Ny quel est le motif de vos intentions. Il suffit seulement de dire que mon pere, Quoy qu’il puisse arriver veut terminer l’affaire, Et si vous estimez tellement l’interest, Venez avecque moy vostre argent est tout prest ; Mon pere veut avoir absolument pour gendre Un tel homme que vous ; & sçachez, cher Clitandre, Qu’à ce dessein ma sœur l’a puissamment porté, Il est advantageux pour vous. De mon costé, J’ay tant que je l’ay peu secondé cette envie, Il ne m’importe pas de moins que de la vie. Vous m’entendez assez, & vous sçavez pourquoy, Mais il vous faut venir promptement avec moy, Car ma sœur vous souhaitte avec impatience. Qu’en dites vous Madame ?         Ah Dieux quelle impudence ! Osez vous sans rougir me tenir ce discours ? Si vous n’estes encor l’object de mes amours, Que je puisse perir. Mais voulez vous, Madame, Qu’en cette occasion je passe pour infame ? J’ay donné ma parole, & croyez s’il vous plaist, Que ce n’est point l’Amour, moins encor l’interest, Quoy que vous en pensiez, qui m’oblige à ce faire. Impudent imposteur.         Vous estes en colere ; Je souffre tout de vous, mais Madame escoutez, Car je ne diray mot si vous vous emportez. Dites moy, voulez vous qu’à present je viole Les serments que j’ay faits, j’ay donné ma parole : Et cette lascheté seroit à reprocher, Aux personnes d’honneur qui n’ont rien de plus cher. Vous brassiez dés long temps une telle alliance, Vous estiez contre moy tous trois d’intelligence : Je vous entends fort bien :         Madame au nom des Dieux Moderez ces transports, & tournez ces beaux yeux Vers moy qui vous adore, & qui brusle d’envie De hazarder pour vous, & l’honneur & la vie. Voyez sans envier le bon-heur de ma sœur, Si Clitandre à present en devient possesseur. Faites qu’à tant de bien aujourd’huy je succede, En me cédant ses droicts qu’Octave vous possede. Si Clitandre Monsieur, n’en avoit point parlé, Je vous escouterois, mais il s’en est meslé, Et le sujet qui fait que je n’y puis entendre, Est que je ne veux pas m’allier de Clitandre. Je ne perds pas l’espoir, Madame, quelque jour, Vous recompenserez un si fidelle amour, Ne l’importunons plus, sortons d’icy mon frere. J’en suis au desespoir, mais je n’y puis que faire. Julie en te quittant je fay ce que je doy Tu n’aurois pas raison de te plaindre de moy, Pourrois-je justement abandonner mon maistre ? Je n’attendois pas moins d’un perfide & d’un traistre. Encor que dites-vous de cette lascheté ? Pense-t’il me braver avec impunité ! Ah Dieux, vit-on jamais femme plus outragée ? Le perfide se vange, apres m’estre vangée, Ah que n’ay je traitté cét infidelle Amant Aussi bien à la fin comme au commencement ? Qu’en cette occasion j’ay paru mal habile, Hé Dieux que nostre sexe est leger & fragile, Et que celle de nous qui prend le plus de soins D’agir avec esprit, monstre en avoir le moins. Qui doy-je maintenant implorer à mon ayde ? Clorimant est parti, la chose est sans remede, C’est luy seul en ce cas qui pourroit me vanger, Mais puis qu’il est absent, il n’y faut plus songer. Madame le voilà.         Te mocques tu Julie ? Ma joye est à present de tout point accomplie. Quoy vous estes icy Clorimant ? justes Dieux ! Madame je feignois de partir de ces lieux, Afin de me vanger d’une Dame infidelle. Mais je suis appaisé, je ne me plaints plus d’elle. J’ay sceu que l’on avoit forcé la volonté De cette incomparable & parfaite beauté : Mais que je n’en dois plus avoir aucun ombrage, Madame on a rompu ce fascheux mariage, Qui nous causoit icy tant de peine à tous deux : Je vois en ce moment renaistre tous mes feux, Puis que je voy renaistre un rayon d’esperance, De recueillir les fruits de ma perseverance. Vous y participez, madame, que je croy. Justes Dieux ! Clorimant, vous mocquez vous de moy ? Vous ignorez encor comme va cette affaire, Vous estes bien trompé, car Clitandre & son frere Vous sçavez bien qui c’est, je nomme Octave ainsi Ne font presentement que de sortir d’icy, Qui de telle façon sont concertez ensemble, Qu’ils ne se peuvent pas separer ce me semble. Le pere vouloit rompre, estant fort irrité Du refus de Clitandre & de sa lascheté. Mais Elize a tant fait, que sur l’heure son pere, En dépit qu’il en eut a terminé l’affaire, Et dans une heure au plus Clitandre …         Ah taisez vous. Sera n’en doutez point son legitime espoux. A ce mot justes Dieux, je manque de parole, Mais si facilement Elize s’en console. Quoy que d’un feu cuisant je me sente brusler, Je l’imite Madame, & me veux consoler. Si vous l’estes d’Elize, ah je vous fais entendre. Que je le suis encor beaucoup mieux de Clitandre. Si je vous veux aymer, dites, m’aymerez vous ? Et vous puis-je pretendre en qualité d’Espoux ? Je vous l’ay dit tantost, & vous le dis encore. Je suis trop glorieux, ô beauté que j’adore, De nouveau je me veux avec vous engager. C’est l’unique moyen de nous pouvoir vanger. Ouy Madame en un mot j’ay l’ame traversée De voir une amitié si mal recompensée. Cette legereté m’offence & je suis las, De me voir tous les jours dans un tel embarras, Je vous donne la main, & demande la vostre. Monsieur je suis à vous ; & renonce à tout autre. Madame allons au temple ; & faisons devant eux Accomplir nostre hymen.         Clorimant je le veux. C’est ainsi que je veux me vanger de ce traistre. Julie où songes tu ? ferons nous pas parestre Qu’aussi bien comme ils font nous nous pouvons vanger ? Ouy va je suis à toy, si tu veux m’obliger De m’aymer à jamais, & de m’estre fidelle. Ouy je te le promets.         Dis à cette cruelle Que je suis à Paris & ne l’ay point quitté. Qu’icy j’ay recognu son infidelité. Qu’elle espouze Clitandre, & dy qu’à son exemple, Avecque mes parents à present dans le temple, Dessous les mesmes loix je m’en vay me ranger, Et me joindre à Diane afin de me vanger. Des sieges promptement, sçachez mon cher Clitandre, Que le desir que j’ay de vous avoir pour gendre, Et le ressentiment de tant d’affection Que ma fille tesmoigne à vostre occasion M’ont fait faire un effort par dessus ma puissance, Et puis que tout le monde en avoit cognoissance Je luy serois peut-estre un subjet de mespris Si je n’achevois pas cét hymen entrepris. Jamais pour desirer des biens de la fortune Je n’eusse fait Monsieur de demande importune, Mais l’advis des parents qui sont interessez Ont contre mon amour mes sentiments forcez. Laissons ces differents & terminons l’affaire. Quoy Geraste à Paris, hé que pense tu faire, Qui t’emmene en ces lieux ?         Pauline escoute icy Je te veux dire un mot.         Courage les voicy. Messieurs nous n’attendions pas vostre compagnie, Afin d’authoriser cette ceremonie. Je vay trouver Elize, attend.         Assayons nous, Il ne manque plus rien nous sommes icy tous. Ma maistresse m’a dit que je te face attendre. Allons donc promptement, vous plaist-il pas Clitandre. J’en suis content.         Monsieur avant que de jouir De ce bien, faites moy la faveur de m’ouir. Parlez je vous entends.         Monsieur j’ay lieu de craindre Que Clitandre à la fin n’ait subject de se plaindre : Car pour dire le vray vous n’aviez pas raison, Pour l’avoir rencontré dedans une maison, Pour la premiere fois de le vouloir surprendre Pour par force aujourd’huy l’avoir pour vostre gendre. Ou je jure que luy ny moy ne songions point. Il est tres-important de resoudre ce point. Puis qu’il faut tout conclure, & que l’heure est si proche, Mettez moy s’il vous plaist à l’abry d’un reproche Que Clitandre pourroit me faire justement, Il se plaindroit de moy d’avoir legerement Fait contre son vouloir ce fascheux Himenée, Dont par force il m’auroit la parole donnée. Dites luy donc qu’il est en pleine liberté, Que vous ne voulez point forcer sa volonté, Que tout despend de luy, qu’il est en sa puissance De rompre entierement ou noüer l’alliance. Vostre demande est juste, & bien qu’en dites vous ? Ouy Monsieur je confesse en presence de tous Que volontairement je soubmets ma franchise Dessous les douces loix de la parfaite Elize. Que je suis satis-faict de ce qui s’est passé, Et qu’à ce mariage on ne m’a point forcé. Vous ne pouvez, ma fille, esperer davantage. Monsieur je desirois avoir cét advantage, Par la confession qu’il me fait aujourd’huy, De monstrer que c’est moy qui ne veut point de luy, Puis que je le cognois jusqu’à ce poinct infame, De faire plus de cas des biens que d’une femme. Ah, Madame, est-ce ainsi ?         Lasche retirez-vous. Ma fille moderez ce violent courroux, Vous faites trop de perte en rebutant Clitandre. Si je perds cét ingrat, je vous redonne un gendre Qui sçait priser Elize, & trouve plus d’appas En la vertu que j’ay qu’en dix mille ducats. En fin c’est Clorimant.     Il est absent.         Mon pere, Il n’est pas loing d’icy. Cours & ne tarde guere. Geraste appelle-le.         Bien Madame j’y cours. Consentez-vous, Monsieur à de si lasches tours ? Apres tant de devoirs & tant de complaisance. Ce n’est pas mon dessein d’user de violence, Je luy souffre en ce cas d’agir comme il luy plaist. Je cherche mon repos, & vous vostre interest. Par vostre mandement je suis venu, Madame, Pour vous dire combien je sens d’ayse en mon ame D’avoir sçeu qu’il vous plaist me faire la faveur De me rendre aujourd’huy bien-heureux possesseur De vos rares beautez sous la loy d’hymenée. Quoy donc pour ce subject m’avez vous emmenée ? Madame pardonnez si maintenant mon cœur Se range sous les loix de son premier vainqueur. Monsieur je mets en vous toute mon esperance. Si Monsieur veut entrer dedans vostre alliance, Il nous honore trop, non non, je ne sçaurois Jamais avec raison desapprouver ton choix. Si Monsieur m’eust parlé plustost, j’eusse sur l’heure Terminé cette affaire.         Ah Clorimant ! je meure Si je suis de vostre heur aucunement jaloux. Diane je veux estre aujourd’huy vostre Espoux, Je rentre dans vos fers, & j’abandonne Elize. Je ne veux point de vous, Monsieur, je suis promise. À qui ?         Ce Cavalier n’est pas bien loing d’icy. Madame resvez-vous ? me raillez vous ainsi ? Je ne vous raille point, Monsieur. Parlez Octave M’estimez vous encor ?         Dieux je suis vostre esclave. Monsieur je suis à vous, & vous donne la main. Vous mocquez vous Madame, à quoy bon ce desdain ? Clitandre j’ayme Octave, & je hay l’inconstance. Elle a raison d’user d’une telle vangeance, Les voulant toutes deux Monsieur, vous voyez bien Qu’en voulant tout avoir vous ne possedez rien. J’y perds beaucoup pourtant puisque je perds Julie : Car ne croyez jamais qu’à d’autre je m’allie. Ormin tu m’as quittée & je te quitte aussy. Va je te veux pourvoir laisse m’en le soucy. Un homme qui me sert est ton fait ce me semble. Monsieur voulez vous pas nous marier ensemble, Pauline & moy j’entends.         Ouy Geraste je veux Aussi bien que les miens esteindre tous tes feux. Amour vous m’octroyez tout ce que je souhaite. Que vois-je ? Justes Dieux ! est-ce ainsi qu’on me traite ? Certes nous meritons à ce que je cognoy, Qu’on se mocque, Monsieur, & de vous & de moy. FIN