Oüy vous avez querelle, et je sçay de certain Que vous vous allez batre, Adraste à quel dessein Vous cachez-vous de moy ?         L’estrange resverie ! Servez-vous de mon bras, cher Amy, je vous prie, Aussi bien d’aujourd’huy je ne vous quitte point : Et quoy méprisez-vous vos Amys à ce poinct ? Ah vous me contraignez.         Mon devoir me l’ordonne, Enfin de tout le jour je ne vous abandonne. En pensant me servir, vous nous perdez tous deux. Dites-m’en la raison.         Climante je le veux. Je ne m’en puis desdire, il faut pour me deffaire De vos civilitez enfin vous satisfaire : Oüy, vous avez raison, je ne le puis nier, Je m’en vay de ce pas trouver un Cavalier Que l’on a mal traitté, qui veut en ma presence, Tirer l’espee au poing raison de cette offence, Je ne suis que second, et fais ce que je doy ; Vous auriez grand sujet de vous plaindre de moy, Me trouvant l’agresseur, si j’en employois d’autres, Et fiois mon honneur en d’autres mains qu’aux vostres. S’il est vray, je vous laisse et sans plus contester, Je ne doy davantage ici vous arrester. Si je reviens vainqueur d’où l’honneur nous appelle, Vous sçaurez le premier cette heureuse nouvelle. Adieu donc cher Amy, puis que je ne puis mieux, Je vay faire pour vous des prieres aux Cieux.  Je le quitte à regret. Le sort douteux des armes Pour ce parfait amy me donne des alarmes. Qui t’ameine Carlin ?         Je vous viens advertir Que ce soir Leonor s’en va se divertir : Mais quoy ? recevez-vous avec si peu de joye Ce bien inesperé que le Ciel vous envoye ? Je vous le fais sçavoir par son commandement. Mais que veut cette femme ?         Elle vient brusquement. Protegez, Cavalier, une innocente femme, Qu’un jaloux sans sujet veut traitter en infame ; Je me jette à vos pieds, j’embrasse vos genoux, Sauvez-moy s’il vous plaist des mains de mon époux ; Et souffrez, que si c’est ici vostre demeure, Elle me serve au moins d’azile pour une heure. Mon jaloux furieux suit l’épee à la main Un jeune Cavalier, qui sans mauvais dessein Discouroit avec moy dans ma chambre, et je jure Qu’il n’a receu de luy, ny de moy nulle injure : Mais quoy ? c’est un brutal qui n’entend point raison. Ne craignez rien, Madame, entrez dans ma maison, Ou s’il veut contre vous quelque chose entreprendre Je ne manqueray point de cœur pour vous deffendre, Ny d’amis s’il m’en faut en ce pressant besoin, Y deusse-je perir, non laissez m’en le soin. Je vous devray, Monsieur, et l’honneur et la vie ; A la chaude je crains de me voir poursuivie, Cachez-moy seulement pour deux heures ici, Je ne crains rien apres, laissez-m’en le souci, J’ay moyen de me mettre en un lieu d’asseurance. Je prens de tout mon cœur en main vostre defense, Et donneray bon ordre à vostre seureté. Vostre cœur marque icy sa generosité. Quand de mille jaloux vous seriez poursuivie, Je vous garantirois où je perdrois la vie. J’accepte cet honneur, mais à condition Qu’encor je vous auray cette obligation, Que dans l’apartement où vous me voulez mettre, Nul n’entrera que vous, le voulez-vous promettre ? Non seulement je doy vous accorder ce poinct, Mais s’il vous plaist encor, je ne vous verray point. Madame, entrez, voila la clef que je vous donne, Enfermez-vous dedans, et n’ouvrez à personne, Je m’en vay voir dehors si l’on vous poursuit pas. Carlin, va la conduire.         O Dieux qu’elle a d’appas, Ou le masque me trompe, ou cet objet aimable Ne void rien dans Paris qui luy soit comparable ; Ah Dieux ! qu’elle a de grace à plaindre son malheur ? Et que je suis touché de sa juste douleur, Que contre ce jaloux ma colere s’irrite ; Je n’ay que d’un moment retardé ma visite. Pardonnez Leonor : Allons, suy-moy Carlin. En verité, Monsieur vous n’estes guere fin, Je viens à double tour de fermer la valise ; Comment laisser entrer avec tant de franchise Ces visages chez vous qui vous sont incognus ? J’ay mis en seureté ce sac de quarts-d’escus Que vous m’aviez donné pour faire la despense. Ces Nymphes pourroient faire avec eux cognoissance ; Dans Paris nous devons de tout nous deffier, Je ne laisserois pas à leur voye un denier, Je serois un niais si j’estois si credule, Puis vous m’accuseriez d’avoir ferré la mule. Ta deffiance icy paroist hors de saison, Considere leur mine, ah tu n’as pas raison. Ne nous fions, Monsieur, nullement aux visages, Chacun joüe à Paris d’estranges personnages, Et sans vous faire tort je cognoy des filoux Qui du moins ont la mine aussi bonne que vous. Quand aux Dames aussi, telle fait la doucette Qui sçait subtilement ployer une toilette. Laissons-là ce discours, tai-toy, sortons d’icy. Sont-ils partis, Dorise.         Ouy : Mais Dieux qu’est-cecy ! Veillay-je, ou si je dors ? quelle est cette advanture ? A-t’on jamais parlé de pareille imposture ? Vous estes fille encor, et d’un mary jaloux Vous fuyez la colere ! ô Dieux que dites-vous ! Lors que si brusquement vous estes descenduë, Laissant vostre carosse au coin de cette ruë, Faisant signe au cocher de vous attendre-là, Je n’ay peu deviner où tendoit tout cela : Vous avez d’un tel art appuyé cette fable Que j’ay creu, peu s’en faut, qu’elle estoit veritable, Et j’ay tourné les yeux plusieurs fois tout exprez, Croyant que ce mary vous poursuivoit de prez : Vous femme ! O Dieux qu’entens-je ? estes-vous insensée ? Il est force qu’icy je t’ouvre ma pensée, Puis qu’à chaque moment j’auray besoin de toy, Je t’en veux declarer la cause, escoute-moy, Dorise, tu sçais bien que je suis estrangere, Que je suis fille unique, et sans pere et sans mere, Et je puis declarer icy sans vanité, Qu’avec si peu qu’on dit estre en moy de beauté, Je possede de plus des biens en abondance, Lyon est, tu le sçais, le lieu de ma naissance, D’où je suis arrivée à Paris, à dessein D’y poursuivre un procez dont j’espere le gain, Qui m’importe beaucoup ; Mais qu’est-il necessaire De venir à present te conter cette affaire, Tu le sçais comme moy, brisons, venons au poinct, Et declarons un fait qu’encor tu ne sçais point. Jusques ici j’estois à l’Amour insensible, Mais en voyant Climante, il me fut impossible De resister aux traicts d’un si puissant Vainqueur, Je luy voulus offrir, et mes biens, et mon cœur : Mais avant que de faire un entier sacrifice De ce cœur à Climante, admire mon caprice : J’ay desiré sçavoir s’il estoit genereux, Afin de preferer à celle d’Amoureux Cette vertu que j’ayme en un cœur magnanime, Sans laquelle je fay des autres peu d’estime : Doutant s’il estoit tel, j’ay feint pour le sçavoir, Ce que tu viens d’entendre, et que tu viens de voir, Pour cognoistre en effet, s’il auroit l’asseurance De vouloir hazarder sa vie en ma defence : Ce qu’il a fait, Dorise, avec un cœur si franc, Qu’il n’a point hesité de prodiguer son sang, Il s’est offert à moi, mais de si bonne grace, Qu’ il n’est rien à present que pour luy je ne face ; Puis donc que j’ay cognu ce qu’il est aujourd’huy, Je n’ay plus qu’une chose à desirer pour lui. Quelle est-elle, Madame ?         Ah Dorise ! qu’il m’aime. Moderez les transports de cette ardeur extréme, Pardonnez si je dy que vous avez grand tort, Adraste qui vous aime, et vous cherit si fort Merite-t’il de vous un traitement si rude, De le vouloir payer de telle ingratitude ? Adraste est importun, il desplaist à mes yeux, Dorise, ses respects me sont tous odieux, Ses transports amoureux excitent ma cholere, Je ne le puis souffrir ;         Que pretendez-vous faire, Attendant que Climante ici soit de retour ? Seconde mes desseins, je t’en conjure Amour, Fay qu’en ce cabinet ma douleur se dissipe. Je crains bien que Climante ici ne s’émancipe, Vous vous embarassez l’esprit mal à propos. Va Dorise, tay-toy, si je perds le repos Avec la liberté, je n’ay point, ce me semble, Perdu le jugement.         Je le croy, mais j’en tremble. Qu’on fasse promptement avancer mon cocher. Je viens presentement de l’envoyer chercher, Car il n’est pas ici, ne croyant pas, peut-estre, Que vous vinsiez si-tost.         Voyez un peu le traistre, Me laisser à la ruë à telle heure qu’il est ? Rentrons,     Tout est fermé.         Madame, s’il vous plaist Venir en mon logis attendant sa venuë. Quoy ! demeurerions-nous à pied dedans la ruë A telle heure qu’il est ! allons je le veux bien. C’est à vingt pas d’ici.         Dieux ! il ne songe à rien ; Il ne se souvient plus de la Dame enfermée, Leonor seroit bien de cholere animée Venant à la trouver : Dieux tout seroit perdu ; Il l’en faut advertir ; Monsieur.         Que me veux-tu ? Vous ne songez à rien : craignez-vous point le blâme Qu’elle vous donneroit, en voyant cette femme Que vous tenez chez vous ?         J’ay les sens tous confus, Je proteste, Carlin, que je n’y songeois plus. Quel remede à present ? comment pourray-je faire ? Vous ne pourriez jamais appaiser sa cholere, Gardez-la d’y venir.         C’est ce que je pretends. Ce discours entre vous durera-t’il long-temps ? Dépeschons-nous, Climante, allons.         Non, non, Madame, On en pourroit causer, et vous donner du blâme, Le cocher va venir, attendons s’il vous plaist, Il seroit indecent à telle heure qu’il est Que l’on vous vist chez moy.         Grands Dieux, je desespere, Sans doute ce discours cache quelque mistere. Le cocher est venu.         Je creve de courroux. Il vaut donc mieux, Madame, aller tout droit chez vous. Je ne me repais pas d’une fourbe pareille, Carlin vous a parlé quelque temps à l’oreille, Dont vostre esprit confus paroist tout interdit, Sçachons ce qui vous trouble, et ce qu’il vous a dit. Madame il est bien vray que je le voulois taire : Mais si vous le voulez il vous faut satisfaire, Je vous l’ay teu de peur de vous inquieter, Adraste est mon Amy, vous n’en pouvez douter, Mesme il vous fut un temps serviteur tres-fidele : Je viens d’aprendre ici qu’il avoit eu querelle. Tu ments, et tu sçais mal couvrir ta trahison, Dissimulons pourtant.         Oüy vous avez raison : Allez à vostre Adraste offrir vostre service, Si je vous arrestois je ferois injustice, Vostre logis est prez, je m’en iray sans vous. Madame s’il vous plaist.         Je brusle de courroux. Non demeurez ici :         Que ce discours me picque. Vous me le commandez, j’obey sans replique. Mieux que nous n’esperions la chose a reüssi. Climante tarde trop, retirons-nous d’ici, Quelle peine grands Dieux à la mienne est egale ? Sans doute il s’entretient avec quelque rivale, Quelque objet plus puissant aura peu le charmer. Vous ne l’en pouvez pas ce me semble blâmer, Puis qu’il ne peut sçavoir que vous l’aimez encore. Helas si je me plains du feu qui me devore, Je n’en accuse ici que mon propre malheur. Parlez luy franchement, ouvrez luy vostre cœur. Ce seroit encor pis.         Que voulez-vous donc faire ? Il faut bien me resoudre à souffrir, et me taire, Puis que je ne voy point de remede à mon mal : Ah ! ce retardement est un signe fatal Que l’ingrat aime ailleurs, helas il me mesprise ! Sortons, fay r’aprocher mon carosse, Dorise. Demeurerez-vous seule ?         Oüy, que redoutes-tu ? Je croy bien que Climante est la mesme Vertu ; Mais pourtant.         A quoy bon d’avoir ces meffiances, Va va, je ne suis pas si seule que tu penses, J’ay bonne compagnie estant seule avec moy. Que fait vostre Maistresse ?         Elle n’a plus je croy Tant de troubles dans l’ame, elle est bien consolée Depuis qu’elle a receu la faveur signalée Qu’il vous a pleu.         Sçachez si je la pourrois voir. Je croy qu’oüy, Monsieur, je m’en vay le sçavoir. Ce Cavalier, Madame, est ici qui desire… Tai-toy, je sçais assez ce que tu me veux dire, Je me masque, et je sors.         Je commençois Monsieur, D’estre en peine de vous, et je mourois de peur Que mon jaloux Mary.         Je n’ay rien veu, Madame, Mais mon retardement merite un peu de blâme, Le devoir m’a forcé de vous quitter ainsi. Il est tard, permettez que je sorte d’ici, Je n’ay plus rien à craindre, adieu, je vous rends grace : Va trouver ma cousine, et luy dy qu’elle fasse Aprester son carosse ; il fait desja bien noir, Il me faudra coucher chez elle pour ce soir. Bien, j’y cours ;         Il n’est pas si tard comme vous dites. Des lieux d’où vous venez de faire vos visites, Le temps vous a semblé beaucoup plus court qu’à nous. Je l’aurois mieux passé sans doute auprez de vous. Où voulez-vous aller, quelle affaire vous presse ? Certes pour cette nuict vous serez mon Hostesse, Disposez du logis.         Il est bien plus seant D’aller où l’on m’attend.         Obligez-moy devant De me permettre au moins d’avoir cet avantage De contempler les traits de ce parfait visage. Vous faites là, Monsieur, un fort mauvais souhait, Et vous en allez estre assez mal satisfait. Toutesfois pardonnez, on frappe à cette porte : Grands Dieux, j’aymerois mieux mille fois estre morte Qu’un autre homme que vous me vist dedans ces lieux. C’est Adraste, Monsieur.         Adraste, justes Dieux ! Quel estrange accident vous cause cette veuë. Si cet homme me voit, Monsieur, je suis perduë, Il est proche parent du Mary que je crains. R’entrez, et là dedans vos soubçons seront vains, Ne redoutez, Madame, ici nulle surprise. Dieux que je suis surpris ! seroit-ce bien Dorise Que j’ay veuë en entrant ? non, non, cela n’est pas : Car quel Demon pourroit conduire ici ses pas ? Non, ma veuë aisément se peut estre trompée, Et ma peur en ce lieu doit estre dissipée. Dorise, justes Dieux ! pourquoy sortir d’ici ? Non cela ne peut estre.         Adraste, vous voici ? J’en suis ravi, comment s’est terminé l’affaire ? Nous avons eu tous deux la Fortune prospere : Entrons au cabinet.     N’entrez pas là.         Pourquoy ? Ainsi que vous n’avez rien de caché pour moy, Je n’ay pour vous, Adraste, aucun secret en l’ame. Quoy qu’on m’ait defendu de le dire, une Dame Est là, qui ne veut point que vous sçachiez son nom, Ny que vous la voyez.         Mais pour quelle raison ? Je vous diray que c’est.         Dites tost je vous prie Il faut en ce besoin user de menterie. Cher Adraste, je veux vous parler franchement ; Leonor est entrée en cet apartement, Qui d’autre que de moy ne veut point estre veuë : Elle est preste à sortir.         Je vay donc dans la ruë Attendant qu’elle sorte.         Allez-y faire un tour. Courage, tout va bien, je te rends grace, Amour, Que ce soit Leonor, et non pas Isabelle. Vous me permettrez bien de r’entrer avec elle. C’est Adraste qui sort de chez luy.         Qui va là ? C’est moy, c’est Leonor.         Que veut dire cela ? Leonor, est-ce vous ?         Vous m’avez mise en peine, C’est vostre seul sujet, Adraste, qui m’emmeine, Je me réjoüy fort de vous voir en santé. Quelles illusions ! quoy donc suis-je enchanté ! Pouvez-vous estre ici (Dieux cela m’épouvante) Et dans un cabinet encor, avec Climante ? Adraste, révez-vous ?         Luy-mesme me l’a dit. Ah ! je m’en doutois bien, Adraste, on me trahit. Mais moi-mesme, ah l’ingrate ! ah Dieux l’ame infidelle ! Allons droit de ce pas au logis d’Isabelle ; Madame, je vous quitte ; ah ! j’en eusse juré. Que fait ton Maistre ?         Il est, que je croy, retiré. Ouvre, je le veux voir.         La chose est sans remede. Tout est perdu, Monsieur :         Dieux soyez à mon aide : Quel excez de faveur à ces heures ici ? Ne vous estonnez pas, j’en dois user ainsi. Je ne puis oublier qu’Adraste m’a servie, Et comme il a couru fortune de la vie, Comme vous m’avez dit, je veux sçavoir comment S’est passé son affaire.         A son contentement. Sans mentir, cette chambre est curieuse et belle, Cette tapisserie est de façon nouvelle ; Où sont vos beaux Tableaux ?         Dedans mon cabinet. Entrons, je les veux voir.         Madame, il n’est pas net : Demain asseurément je prendray plus de peine Pour le mieux ajuster.         Cette raison est vaine, Qu’importe :         Ah je meurs ! Non vous n’entrerez point. Climante, je vous trouve interdit de tout point ; C’est pour ce seul sujet que j’en ay plus d’envie, Je verray ce que c’est, ou je perdray la vie. Pour cause, n’entrez point.         Je veux sçavoir que c’est : Sans doute on me trahit.         Le carosse est tout prest, Madame on vous attend.         Ce message s’adresse A d’autre.         Je pensois parler à ma Maistresse ; Qu’est-elle devenuë ?         Ah que je suis confus ! Ce Cavalier pourra respondre là dessus. Dy perfide, à present que tu n’es pas un traistre ? N’es-tu pas convaincu ?         Je vous feray paroistre Que je suis innocent, Madame, croyez-moy. Comment pourrois-tu l’estre, ingrat ? dy moy pourquoy ? Tu tiens au cabinet une femme enfermée : Crois-tu tromper mes sens comme à l’accoustumée ? Vous m’accusez à tort, et vous avez raison : Un Amy m’a tantost demandé ma maison Pour pouvoir librement parler à sa Maistresse : Ils sont seuls là dedans.         Il ment avec adresse ; S’il est vray j’ay grand tort.         Madame, asseurément Il n’est rien de plus vray.         Je proteste qu’il ment, Climante, à quel dessein une telle imposture ? Et m’y faire servir de pretexte ?         Ah ! parjure, Auras-tu bien le front encor de repartir ! Croyez qu’asseurément je la vay démentir. Ne nous déguisez rien, au nom des Dieux, Madame, Dites pour quel sujet.         Ah le traistre ! ah l’infame ! A-t’il encor le front de vouloir contester ? Suffit-il point, Climante, ici de m’affronter, Sans me faire mentir ?         Dieux quelle effronterie. Pouvez-vous soustenir ?         Climante, je vous prie De ne m’obliger point maintenant à parler, Car quand on me dément je ne puis rien celer. Parlez, je ne crains rien.         Voyez un peu l’audace. Je m’en vay donc parler, escoutez-moy de grace, Je vous dis franchement, si vous voulez sçavoir Qui m’emmeine en ce lieu : c’est luy, c’est pour l’y voir. Comme nous discourions, et nous tenions ensemble Quelque propos d’Amour, un Amy ce me semble, Est venu pour le voir : luy tout surpris me met Pour me cacher de luy dedans ce cabinet. Incontinent apres vous estes arrivée, Qui pensiez me braver, mais je vous ay bravée : Ma servante est venuë incontinent apres M’advertir devant vous, qu’un carosse ici prez M’attend pour me mener ; Madame je vous cede Le bien que j’y pretends ; Quoy que je le possede Ne m’en sçachez pas gré, c’est peu vous obliger De vous faire un present d’un Amant si leger. Que leur confusion encor est redoublée : Mais ils sont moins confus que je ne suis troublée. Madame, prenez garde aux sermens que je fais. Traistre, n’espere pas de me revoir jamais. Allons mamie, allons ;         J’ay la clef de la porte, La rendray-je ?         Non pas, ainsi que toy j’emporte Celle du cabinet.         Va, tu n’es qu’un trompeur. Ce sont gages des lieux où je laisse mon cœur. Madame demeurez, escoutez-moy de grace. Si c’est avec dessein que je me satisface, Je ne le suis que trop de vos perfides traits ; Adieu, perfide, ingrat.         Carlin, courons apres, Car ma vie en dépend.         Voyez quelle malice, Si je m’en deffiois c’estoit avec justice. Courons, cette impudente a destruit mon amour. L’adrette, la matoise, ô Dieux le plaisant tour ! Fin du premier Acte. Quoy, Climante n’est pas en son logis, Ariste ? Non, mais desirez-vous estre ainsi toûjours triste ? Reprenez une fois vos esprits : quoy Monsieur, Voulez-vous toûjours estre en si mauvaise humeur ? Qu’est devenu ce cœur jadis plein de constance ? N’estes-vous point guery de cette deffiance ? J’y suis plus que jamais, Ariste, et je ne puis Retirer mon esprit de ce gouffre d’ennuis, Je ne cognoy plus rien capable de me plaire, Je ne sçais que te dire, et je ne puis que faire. Puis-je estre moins confus et moins embarassé ? N’as-tu pas sceu de moy tout ce qui s’est passé ? Tout ce qu’hier au soir m’arriva chez Climante ? Ariste plus j’y pense, et plus mon mal s’augmente. Il est vray que Climante a fait tout son effort Pour bannir ces soubçons qui me donnoient la mort ; Mais quoy qu’il puisse dire, et quoy qu’il puisse feindre, J’ay bien moins de sujet d’esperer que de craindre, Bien loin de m’esclaircir, son excuse m’aigrit, Me gesne, m’embarasse, et me trouble l’esprit : Je voy dans ce cahos mes raisons confonduës : Doy-je douter encor des choses que j’ay veuës ? Et dans ce grand malheur que je craignois le moins, Doy-je accuser mes yeux d’estre deux faux témoins ? Avec mes Ennemis sont-ils d’intelligence ? Mais doy-je croire aussi que Climante m’offence ? Non, non, je ne doy point soubçonner en effet, Rien qui puisse offencer un Amy si parfait, Il aime Leonor, il meurt d’amour pour elle, Et je ne pense pas qu’il cognoisse Isabelle. Non, non, mes faux soubçons m’ont tres-mal adverti, Et quiconque m’en dit autant qu’eux a menti ; Vous vous trompez, mes yeux, et Climante sans doute M’a dit la verité : non vous ne voyez goute, Vous l’accusez à faux ; mais hier en effet, Climante embarassé fut pris dessus le fait, Son mensonge d’abord me parut manifeste ; A quoy bon me mentir ? puis quand je pense au reste Je me trouve surpris d’une estrange façon, Et le tout joint ensemble accroit bien mon soubçon : Je fus hier au soir au logis d’Isabelle, Et je vy que fort tard elle r’entroit chez elle ;  Lors sans me faire voir je rebroussé chemin, Je fus revoir Climante, et je luy dis enfin Ce que j’apprehendois, je luy fy mon histoire, Et luy dy que j’avois juste sujet de croire Qu’il estoit mon Rival, et que cette beauté Qu’il m’avoit fait passer sous un nom emprunté, Estoit mon Isabelle ; il me jure au contraire Que ce n’estoit point elle, et me conte un mistere Tellement esloigné du sujet de ma peur, Qu’il la fit dissiper ainsi qu’une vapeur ; Il me jura cent fois pour m’oster cet ombrage, Qu’il n’avoit jamais veu les traits de son visage, Qu’elle fuyoit des mains de son Mary jaloux, Et de plus que j’estois parent de son Espoux ; Si Climante dit vray, cette histoire est estrange. Mais seroit-il point homme à vous donner le change ? Helas je n’en sçay rien, j’ay les sens tous confus : Attendons que le temps m’instruise là-dessus. Mais à tout ce discours, que dit vostre Isabelle. C’est ce qui fait ma peine, Ariste, la cruelle D’ici s’est absentée, et j’oserois jurer Qu’elle l’a faict exprez pour me desesperer. Dès la pointe du jour la cruelle est partie Pour aller à Lyon, pour m’arracher la vie, Avec dessein je croy, de n’en partir jamais, Afin de rendre vains tous les vœux que je fais. Quel est donc donc vostre but au mal qui vous possede ? Mourir, puis que ce mal est sans aucun remede ; Si Climante avec qui je viens me consoler N’est point à sa maison, il nous en faut aller : Nous reviendrons tantost ; Dieux soyés-moi propices ! Ne payez pas si mal mes fidelles services ; Ou me donnez la mort, si je ne puis un jour Recueillir aucun fruit de ma parfaite Amour. Songez-y mieux, Madame, et que pensez-vous faire ? Je veux que cela soit, Pamphile, il se faut taire, Puis que tu me cognois resoluë à ce point, Fay ce que je t’ordonne, et ne replique point. Tout beau, j’entends quelqu’un.         Qui frappe à cette porte ? C’est moy qui voudrois bien que vous fissiez en sorte Que je visse Madame.         Attendez un moment. Je suis ici venu par son commandement. Je m’en vay de ce pas faire vostre message : Madame va descendre ; ah Dieux quel beau visage ! Vous nous obligez trop.         Mon bon-homme, est-ce ici Cette fille qui vient pour servir ?         La voici : C’est ma fille, Madame, et fort vostre servante C’est moy qui suis la sienne, ah qu’elle me contente ! Attendez, je m’en vais de ce pas l’avertir Qu’elle est fort agreable, elle s’en va sortir. Nous attendrons ici : Mais dites-moy, Madame, Je ne puis m’empescher de vous donner du blâme. Quel peut estre le but de ce déguisement, Ce caprice nouveau m’estonne extrémement ; Je le voy, je le touche, et j’ay peine à le croire : Vous ne m’avez rien dit de cette estrange histoire Que peu de chose en haste, il faloit m’avertir, Au moins si l’on m’enquiert, comme il faut repartir : N’estant pas bien instruit, on me pourroit surprendre. Contez-moy, s’il vous plaist, et me faites entendre Pourquoy vous desirez entrer en cet habit Pour servir Leonor ?         Je ne t’ay pas tout dit. Sçache donc que j’adore un homme incomparable Qui n’a rien que de grand, qui n’a rien que d’aimable, Que Leonor aussi cherit extremement : Il l’aime, et c’est de là d’où naist tout mon tourment, Et le sujet aussi de ces metamorphoses ; Voy comme en peu de mots je t’ay dit bien des choses, Sa generosité m’est cognuë à tel point, Que si je meurs pour luy, ne t’en estonne point : Je desire aujourd’huy par cette extravagance, De ce couple d’Amans rompre l’intelligence : Je leur avois joüé cette nuit d’un beau tour, Qui pouvoit de tout point destruire leur Amour : Mais quoy, cette union qui leurs deux cœurs assemble A fait qu’ils ont bien-tost refait leur paix ensemble : Mais ce Dieu tout-puissant qui regarde en mon sein Me fera bien venir à bout de mon dessein. J’ay fait courir le bruit, comme tu sçais Pamphile, Que j’ay de grand matin abandonné la Ville, Pour aller à Lyon, autant pour destourner Adraste qui me vient sans cesse importuner, Que pour mieux asseurer par ma feinte retraite Cette fourbe qui doit me rendre satisfaite. J’ay sçeu que Leonor qui meurt d’amour pour luy, Cherchoit une servante, on m’y place aujourd’huy, On m’a peinte à ses yeux de cent graces pourveuë, Je n’ay plus qu’à la voir pour estre bien receuë : Juge si ta Maistresse a de l’esprit ou non, Pour mieux y parvenir j’ay déguisé mon nom ; Souvien-toy qu’on me nomme à present Dorotée : Pour Dorise, j’ay fait qu’elle s’est absentée, Je l’ay dés le matin mise chez un Bourgeois, Pour mieux favoriser le dessein que j’avois, Ce qu’elle a fait sçavoir au valet de Climante ; Il l’aime dés longtemps, dont je fais l’ignorante, Et Carlin mesme aussi croit que je n’en sçay rien, Et ne me cognoit pas ; Voy si par ce moyen, Pamphile, estans ainsi nous deux en sentinelle, Je pourray pas sçavoir ce qui se fait chez elle : Pour toy, pren un logis assez proche d’ici, Tu te diras mon pere, et me verras ainsi. Toubeau, j’entens qu’on ouvre, observe bien Pamphile L’ordre que je te donne.         Il n’est pas difficile, Vous estes sans mentir estrange en vos desseins. Si belle, me dis-tu ?         Plus que je ne la peins, Madame la voilà, suis-je pas veritable ? Lucille tu dis vray, Dieux qu’elle est agreable ! Madame, l’on m’a dit que ma fille a l’honneur De vous venir servir : c’est pour elle un bonheur, Dont possible quelqu’un en vain l’aura flatée. Comment l’appelle-t’on ?         Son nom est Dorotée : Ma fille, approchez-vous, parlez, ne craignez rien, Quelle peur avez-vous ? Vous l’excuserez bien, Madame, devant vous elle est toute honteuse. Vous ne laisserez pas d’estre respectueuse, Quoy que vous témoigniez un peu de liberté. Faites la reverence avec civilité. N’as-tu jamais servi ?         Personne que mon pere, Madame, mais voyant tout rempli de misere, A cause de la guerre, et des malheurs du temps, Mon pere desja vieil, pauvre, et chargé d’enfans, J’ay desiré chercher une honneste Maistresse Pour soulager un peu son extréme vieillesse : M’en informant à Laure, elle m’a tant vanté Vostre grande douceur, vostre extréme bonté, Que mes maux sont finis, si j’ay cet avantage Que de vous pouvoir plaire.         Elle paroist bien sage. Madame, pardonnez si j’ose la loüer, Quoy que pere, je suis forcé de l’avoüer, Elle a beaucoup d’esprit, et vaut plus qu’on ne pense, Je la feray rougir parlant en sa presence : Pour dresser le ménage, et arrivant chez vous, Elle mettra d’abord tout, c’en-dessus dessous. Plus que vous ne voudrez j’agiray de courage Et d’adresse.         Dy moy, fais-tu point quelque ouvrage ? Oüy, Madame, j’en fais, et de toutes façons : Feu ma mere autrefois m’en a fait des leçons, Je couds bien, je travaille à la tapisserie, Et sçay d’autres secrets, dont la galanterie Vous pourra divertir, et vous estonnera, Et dont la nouveauté je croy vous surprendra ; Je puis en vous servant aussi me satisfaire, Le temps vous fera voir ce que je sçauray faire. Sa bonne humeur est propre à chasser mon ennuy. M’habilleras-tu bien ? sçais-tu comme aujourd’huy L’on se coiffe à la Cour ? te rendras-tu capable De me bien ajuster, pour me rendre agreable Aux yeux d’un Cavalier qui se dit mon Amant ? (Pour te faire paroistre un monstre)         Asseurément, Quoy que j’y sache peu, j’y tâcheray, Madame : Toutesfois vostre Amant m’en donneroit du blâme, Pensez-vous que je puisse adjouster au parfait, Et faire plus en vous que Nature n’a fait ? Non, Madame, en formant les traits de ce visage, Elle a de l’artifice en vous banni l’usage : Quand je n’en sçaurois pas ny l’art, ny le moyen, J’y pourrois reüssir merveilleusement bien. Qu’elle a l’esprit joli, qu’elle est douce et bien née. Combien demandes-tu pour servir par année ? Ce qu’il plaira, Madame, à mon pere : je doy Vouloir tout ce qu’il veut, il dispose de moy. Madame, si ma fille a l’honneur de vous plaire, Je ne desire point de plus ample salaire, Vous en disposerez ainsi qu’il vous plaira, Et la satisferez comme elle servira. Va, si tu me sers bien, croy que la recompense Surmontera, ma fille, encor ton esperance ; Tu ne serviras pas chez moy bien longuement, Sans estre mariée à ton contentement. C’est, à n’en point mentir, le seul but où j’aspire, Vous m’offrez en ce point tout ce que je desire ; Je parle hardiment, mais c’est vostre bonté Qui m’oblige, Madame, à cette liberté. Bien, va, je te reçoy, Laure qui t’as produite M’a tantost respondu de ta sage conduite : N’ayant jamais servi, Lucille t’instruira. Madame, je feray tout ce qu’il vous plaira, Dans le desir que j’ay de vous estre agreable, Il faudra peu de temps à m’en rendre capable. Je r’entre, l’heur m’en veut, j’ay si bien rencontré, Que servante jamais ne fust plus à mon gré. Pren congé de ton Pere, et luy dy qu’il s’en aille. Tu me vois à present dans le champ de bataille, Amour, assiste-moi, fay-moy voir dans ces lieux Que tu passes par tout pour le Maistre des Dieux : Favorisant mes vœux, donne-moy l’avantage Que je puisse égaler ma force à mon courage ; Qu’authorisant l’ardeur qui couve dans mon sein, Je puisse executer mon genereux dessein : Faisons voir ce que peut une fille Amoureuse, Qui meurt de jalousie, et se voit malheureuse, D’aimer sans estre aimée, et de voir que son cœur Adore les appas d’un incognu vainqueur. Mais quand je souffrirois un tourment cent fois pire, Le sort en est jetté, je ne m’en puis dédire ; Allons jusques au bout.         Helas ! je voy venir Climante ; justes Dieux que doy-je devenir ? Il faut dissimuler.         Je ne tarderay guere, Atten moy.     Bien, Monsieur ;         Que pretendez-vous faire ? (J’ay les sens si confus que j’ay peine à parler) Comment ? sans dire mot où voulez-vous aller ? Voulez-vous que pour vous Madame me querelle ? Dites-moy, s’il vous plaist, comment on vous appelle, Et j’iray demander si l’on le trouve bon. Mais vous, qui vous oblige à demander mon nom ? Je doy sçavoir qui vient visiter ma Maistresse ; Je sers ici, Monsieur.         J’ay tort, je le confesse, O Dieux qu’elle a d’appas ! quel beau teint ! quels beaux yeux ! Excusez-la, Monsieur, elle est neuve en ces lieux, Et l’oyant contester contre vous dans la ruë, Je suis à vostre voix aussi-tost descenduë. Madame, pardonnez.         Tu fais ce que tu dois, Ne le cognoissant point : mais pour une autrefois Pour ne t’y point tromper, appren à le cognoistre ; De ce logis ici, sçache qu’il est le Maistre, Et que ceans il peut encore plus que moy. Madame, c’est assez.         Va , ma fille, je croy Que tu ne manques point du tout d’intelligence, Et que tu ne sçaurois pecher par ignorance. Depuis quand l’avez-vous ?         D’aujourd’huy seulement, N’est-elle pas jolie ?         Oüy bien asseurément, On auroit peine à voir un plus parfait visage. Ce discours est, Monsieur, trop à mon avantage, Vous me faites rougir.         Je n’en dy pas assez. Mais Madame, il est tard, plus que vous ne pensez, Vous plaist-il pas venir ?         Ne soyez point en peine, Nous avons trop de temps : que bien-tost on m’emmeine Mon carosse, r’entrons, il n’est pas que je croy, Si tard que vous pensez.     J’en suis content.         Suy moy. Je m’en vay seulement dire un mot à mon pere. Ce visage n’est point un visage ordinaire, Il me faut l’accoster. La belle, Dieu te gard. N’entres-tu pas aussi ?         Je me tiens à l’écart, Il faut attendre ici, mon Maistre me l’ordonne, On ne desire point estre oüy de personne Alors qu’on fait l’Amour.         Ils sont donc Amoureux ? Ils sont d’accord, et vont se marier tous deux. Mais ce que tu me dis est-il bien veritable ? Il n’est rien de plus vray.         Que je suis miserable ! Mais ce ne sera pas durant que je vivray : Climante, asseurément je t’en empécheray. Comment t’appelles-tu ?         Moy, comment je m’appelle ? Je ne m’appelle point : mais si tu veux, ma belle, Sçavoir comme on me nomme, on me nomme Carlin. A quoy te sert ici de faire le badin ? Carlin, si tu le sçais, dy moy je te supplie, Pour divertir l’effet de ma melancolie, En quel endroit ils vont ?         Je te le diray bien, Ce n’est point un secret, non, non, je ne crains rien. Leonor va disner au logis de mon Maistre, Qui luy fait dans sa chambre orner une fenestre, Pour voir passer le Roy, qui couvert de Lauriers Revient accompagné de mille Cavaliers, Pour rendre grace au Ciel comblé d’heur et de gloire D’avoir sur l’Espagnol emporté la Victoire. Dy moy, puis que mon Maistre est bien-tost sur le poinct D’espouser Leonor, l’imiterons-nous point ? Mon cœur faisons comme eux, marions-nous ensemble, Je suis assez bien fait : mais dy moy que t’en semble ? Me refuseras-tu ?         La Fortune me rit ; Dieux ! quelle invention me naist dedans l’esprit. Respond donc ?         Permets-moy que je parle à mon pere, Je ne puis differer : car c’est pour une affaire Qui m’importe beaucoup.         Tout ce que tu voudras. Pamphile, parle à moy, va-t’en droit de ce pas : Mais la chose m’importe ; il faut en diligence Que tu trouves Dorise, ou je perds l’esperance De pouvoir arriver au bien que je pretens Donne-luy ces deux clefs, et ne perds point de temps, Ces deux clefs, sont les clefs du logis de Climante Que nous prismes hier ;         cours, et te diligente, Car l’affaire me touche, et crois asseurément Que ma vie ou ma mort dépendent d’un moment. J’entends bien, mais par là que pretendez-vous faire ? Si la chose succede ainsi que je l’espere, Je suis malgré le sort au bout de mon espoir, Et Leonor verra bien pis qu’hier au soir. Mais, Madame, s’il faut.         Ah ! tu veux qu’on s’explique ! Je veux estre obeye ; or sus, va sans replique. Bien, Madame, j’y cours.     As-tu fait ?         Oüy, dy moy Tout ce que tu voudras.         Je veux sçavoir de toy T’aymant, si je pourrois t’avoir en mariage ? Oüy, si tu m’aimois bien : mais tu n’es qu’un volage Qui t’offres en cent lieux.     Moy ?     Toy ;         Qui te l’a dit ? Mais voyez l’inconstant comme il est interdit. N’es-tu pas amoureux d’une jeune servante Qu’on appelle Dorise ?         Ah ! cela m’épouvente ! Sans doute elle est sorciere, elle ne pourroit pas Le sçavoir autrement.         Comment donc ? tu fais cas De si peu de sujet, d’un si chetif visage ? Croy que si je m’en sers, ce n’est pour autre usage Que pour blanchir mon linge ; est-elle égale à toy ? Hors d’ici tu pourras en dire autant de moy : Mais quittons ce discours, et parlons d’autre chose, Je me resjoüis fort d’avoir appris la cause Qui fait que ma Maistresse aujourd’huy va chez toy, Je brusle de desir, Carlin, de voir le Roy : Le voudra-t’elle bien ? dy moy ce qui t’en semble, Je ne l’ay jamais veu.         Mot, ils sortent ensemble. Qu’on fasse donc venir le carosse ?         Il est prest, On l’emmeine, Madame.         Allons puis qu’il vous plaist. Ils sont prests à partir, Dieux que je suis surprise, Il les faut arrester : car sans doute, Dorise N’aura pas eu le temps encor de s’habiller. Madame, l’on m’a dit que vous voulez aller Aujourd’huy voir le Roy, Dieux que j’en suis ravie, Je ne le vy jamais, et j’en brusle d’envie : Mais vous resolvez-vous d’aller en cet estat ? L’ornement des beautez en rehausse l’éclat, Je veux voir d’un chacun les vostres adorées, Si tost que de ma main je les auray parées : Souffrez que je vous coiffe un peu plus proprement. Quoy tu sçais bien coiffer ?         Madame, aucunement : Quoy que j’aye vêcu long-temps à la Campagne, Une tante que j’ay cousine de Champagne, Là dessus autrefois m’a fait quelques leçons, Je sçay coiffer, Madame, et de plusieurs façons. Il faut que maintenant j’éprouve ton adresse : Mais tu vois qu’il est tard, et Climante me presse. Je m’en iray devant, vous avez tout loisir. R’entrons, je le veux bien, ayons-en le plaisir, Si de ce coup d’essay dignement tu t’acquittes. Auray-je bien le temps de faire deux visites ? Je n’ay qu’un mot à dire.         Allez où vous voudrez. Le disné sera prest si tost que vous viendrez. Tout m’arrive à souhait, grands Dieux je vous conjure De donner à Dorise une heureuse adventure. Fin du second Acte. Pamphile m’a trouvée avec un grand hazard, Qui m’a donné ces clefs ; Dieux viens-je point trop tard ! Pourray-je executer l’ordre de ma Maistresse ? Considerez un peu la merveilleuse adresse Qu’elle a pour parvenir au but de ses desseins ! Prez d’elle Leonor tous vos efforts sont vains. Dieux ! je voy ce me semble, Adraste dans la ruë ; Mais de qui que ce soit pourray-je estre cognuë ? En l’estat où je suis que doy-je redouter ? Non, non, ne craignons rien, entrons sans consulter. N’est-ce point Leonor Maistresse de Climante, Qui prez de son logis à nos yeux se presente ? Je ne le pense point, car elle n’en a pas Ny le port, ny la taille.         Où s’adressent ses pas ? Elle est bien familiere entrant de cette sorte : Elle entre avec la clef, sans frapper à la porte, Que veut dire cela ?         Climante a sans mentir Pour tout le jour chez luy dequoy se divertir Allons, ne troublons point cette bonne fortune, Ma visite aujourd’huy luy seroit importune : Je serois bien marry si je l’avois trouvé. Climante, à vostre avis sera-t’il arrivé ? Quand je suis un moment sans le voir, Dorotée, Je suis d’inquietude et d’ennuis agitée : Je t’ouvre franchement les secrets de mon cœur, Car tu parois discrette.         Ah ! ce m’est trop d’honneur ! Mais vous me commenciez maintenant une histoire Qui m’est, à dire vray, bien difficile à croire ; Vous vistes cette femme, et vous prisez sa foy ? Je la vy, Dorotée, ainsi que je te voy. Apres un tel affront, pouvez-vous bien, Madame, Va, ne m’en parle plus, j’ay leu dedans son ame, Et ce Dieu qui sur moy l’a rendu si puissant, M’a fait cognoistre enfin, qu’il estoit innocent. Madame, vostre amour sans mentir est extréme ; De prendre ainsi plaisir à vous tromper vous-méme ; S’il cognoist une fois cette foiblesse en vous, Et s’il peut appaiser si tost vostre courroux, De tout avec le temps il se rendra capable, Et puis avecque luy vous serez miserable. Sans doute tu dis vray, mais je l’ayme, tay-toy, Le voici, je l’entens.         Il est vray, je le voy, L’agreable sujet du trouble de mon ame. Vous avez bien tardé ?         Pardonnez-moy, Madame, J’use de vos bontez un peu trop librement, Vous excuserez bien ce long retardement, Un importun Amy rencontré dans la ruë, De vos rares beautez m’a dérobé la veuë. Quelque Dame, peut estre, a bien eu le pouvoir D’empécher que si tost vous ne me vinsiez voir. Ah ! vous offencez trop une constance extréme ! Et vous faites injure à vostre beauté mesme : Vous sçavez qu’elle peut tous les cœurs enflamer, Et que qui la cognoit, ne peut ailleurs aimer. Helas ! si tu dis vray, je perds toute esperance. Encor que ce discours marque plus d’eloquence Qu’il n’a de verité, je le veux croire ainsi, Pour vous faire plaisir, et m’obliger aussi. Mais entrons, il est tard.         Que cette chambre est belle, Elle paroist au jour bien plus qu’à la chandelle, Dans l’espoir de l’honneur dont vous m’avez comblé Je devois faire voir mon logis mieux meublé ; Ma chambre devoit estre un peu mieux ajustée : Mais la chose, Madame, estoit precipitée, Vous m’excuserez bien, je n’appris qu’hier au soir Que j’aurois ce matin l’heur de vous recevoir. Certes vous estes propre autant qu’on le peut estre. Je viens d’oüyr là bas gronder Monsieur le Maistre, Il dit que tout se gaste, il est midy sonné. Madame nous deussions avoir desja disné : Car j’apprens que le Roy doit passer dans une heure. Dînons quand vous voudrez.         Servez-nous sans demeure. En attendant qu’on serve, allons voir vos tableaux Dedans ce cabinet, on dit qu’ils sont fort beaux. Y tenez-vous encor quelque vive peinture ? Non, car vous m’attendiez.         Ah ! c’est me faire injure ! Vous aviez tant promis de ne m’en parler plus ? Quoy donc ! tous mes sermens ont esté superflus ! Si vous sçaviez combien ce discours là m’offence ? Entrons, je voulois rire, on sçait vostre innocence. Ouvre.         Sçavez-vous pas que cette Dame là Emporta hier la clef ?         Tu dis vray, mais voilà L’autre que j’ay sur sur moy.         Je ne sçaurois comprendre Pour quel sujet, Climante, on me fait tant attendre ? Sommes-nous enchantez ? est-ce une illusion ? Mais pourquoy tant de monde en cette occasion ? Dieux ! parla-t’on jamais de telle effronterie ? Ah ! je m’en doutois bien.         Madame, je vous prie, Dites-moy le sujet qui vous emmeine ici ? Que faites-vous ceans ? et me dites aussi Qui vous a peu chez moy tenir la porte ouverte ? Comme il fait l’estonné ?         Tout conspire à ma perte. Il m’attend, il me traitte, et ne peut un seul jour Bannir l’infame objet d’un impudique Amour. Estes-vous si surpris que vous témoignez l’estre, Climante ? et feignez-vous de ne me pas cognoistre ? Qui moy ? je vous cognoy ?         Que voy-je ! justes Dieux ! Madame, souffrez-vous cette injure à vos yeux ? Non, non, il a bien fait de ne pas se contraindre, C’est de moy seulement qu’enfin je me doy plaindre. L’impudence est notable.         Ah ! qu’est-ce que je vois ? Ombre, Fantôme, Esprit, femme, ou qui que tu sois, Par quel moyen as-tu cette porte charmée ? Et que faisois-tu là toute seule enfermée ? La question est belle, ah grands Dieux quel affront ! Apres un tel mespris, peut-il avoir le front D’oser paroistre encor ? Madame, il en fait gloire, Je le voy de mes yeux, et j’ay peine à le croire. J’atteste tous les Dieux.         Si jamais je te voy, Perfide, desloyal.         Madame, escoutez-moy. Va te cacher, infame, oses-tu bien paroistre ? Fuyons, on m’en fait signe, on me voudroit cognoistre. Madame, voulez-vous me mettre au desespoir ? Ecoutez mes raisons, et je vous feray voir Avant que vous sortiez, quelle est mon innocence. Non, je n’écoute rien d’un traistre qui m’offence. Vous n’échaperez pas, la belle, c’est en vain, Non, je vous veux cognoistre.         Ah ! s’il a ce dessein Il ruinera tout.         Vien, suy-moy, Dorotée. Madame, sans sujet vous estes irritée. Qu’importe, monstrons-nous.         Ecoutez mes raisons Non, non, je vous veux voir.         Va, va, tes trahisons Ne paroissent que trop.         C’est moy, c’est ta Dorise. Qui te vien voir, Carlin.         Ah Dieux ! quelle surprise. Madame, au nom des Dieux.         Tu n’es rien qu’un ingrat, Va ne m’oblige pas à faire plus d’éclat. Laisse-moy je te prie.         Encor, de quelle sorte Je te prie, as-tu peu sans clef ouvrir la porte ? D’où te vient cet habit ?         J’ay haste, en autre lieu Je te conteray tout ; Ne me suy pas. Adieu. Ecoutez-moy.         S’il faut que mon Maistre le sçache ; Ah Dieu ! c’est fait de moy !         Serois-je pas bien lâche D’arrester un moment apres ta trahison ? Puis que cette impudente est dedans ma maison, Faisons-luy confesser qu’elle vous a trompée. C’est temps perdu, Monsieur, elle s’est échapée. Pourquoy, traistre, pourquoy l’as-tu laissée aller ? Voyez, s’il est adroit à bien dissimuler, Comme s’ils n’estoient pas tous deux d’intelligence? La belle, vous prenez ici trop de licence. Cours viste apres, Carlin, elle n’est pas bien loin. Je sçay fort bien qui c’est, il n’en est pas besoin. Cette peine, Climante, est assez inutile. O l’esprit inventif ! ô la fourbe subtile ! J’y veux aller moy-mesme.         Où courez-vous si fort ? Vous imaginez-vous qu’on creust vostre raport ? Desirez-vous, Madame, en estre bien certaine ? Je prendray de bon cœur, s’il vous plaist, cette peine, Et vous rapporteray fidellement qui c’est. J’y consens.         En ce fait je n’ay nul interest, A quoy bon m’éclaircir ? non, il faut que je sorte. Qui que ce soit, allons.         Puis qu’il ne vous importe, Permettez-moy du moins par curiosité, De sçavoir qui vous brave avec impunité, Faites-moy ce plaisir, car j’en brusle d’envie. S’il faut que l’on le sçache, ah c’est fait de ma vie. Elle prend grande part dedans vos interests. Elle fait son devoir.         Dieux ! elle court apres. Attendez pour le moins qu’elle soit revenuë, L’innocence à vos yeux paroistra toute nuë. Non, non, je ne puis faire ici plus grand sejour, Adieu.         Vous offencez une innocente Amour, Le Ciel vous punira d’une rigueur si grande. Suy-moy, Lucille, allons puis que je le commande. Ah ! je meurs de regret ! je brusle de courroux. Vous ne trouverez rien dequoy dîner chez vous. Allons, la Ville est bonne.         O Dieux ! quelle surprise ! Que t’en semble, Carlin ?         Que c’estoit là Dorise ? Il faut bien sur ce point m’empécher de parler. Qui m’a fait cet affront ? qui m’en peut consoler ? Dieux ! que je suis confus, quels troubles j’ay dans l’ame. Mais soubçonnes-tu point qui seroit cette infame ? Sçavez-vous bien, Monsieur, qui je soubçonnerois ? Qui ?         Je croy la cognoistre à l’habit, à la voix. Qui ?         La mesme qui vint hier au soir si troublée Vous demander secours, et masquée, et voilée. Elle emporta les clefs ; et n’auroit autrement Jamais peû se couler en cet apartement. Je croy que tu dis vray : mais pourquoy, je te prie, Use-t’elle envers moy de telle effronterie ? Que veut-elle de moy ? pourquoy vient-elle ici Aux heures seulement que l’autre y vient aussi ? Elle ne me dit mot. Ah ! toutes deux ensemble Sont d’accord pour troubler mes desseins, ce me semble. Ma Maistresse, Monsieur, est-elle encor ici ? Non, et c’est le sujet qui me met en souci, Je n’ay peu l’appaiser, ny flechir sa colere. Elle a fait en cela ce qu’elle devoit faire. Si tu t’es éclaircie en la suivant, pourquoy En cette occasion juges-tu mal de moy ? Dy moy qui c’est ?         J’aurois bien de la hardiesse, D’oser ainsi joüer ce tour à ma Maistresse, Je croy qu’elle le doit sçavoir premierement. S’il ne tient qu’à cela, je te fais un serment De n’en parler jamais : oblige-moy de grace. Ah Dieux ! je suis perdu s’il faut qu’elle le fasse. Et pour l’amour de moy, tien, reçoy ce present. (Tout m’arrive à souhait.)         Que feray-je à present ? Bien, je suis resoluë à trahir ma Maistresse, Pourveu qu’en ce faisant vous me teniez promesse, Comme vous m’avez dit, de n’en parler jamais, Je ne celeray rien.         Oüy, je te le promets, Parle.     Ah ! je suis perdu.         Dy donc, depéche viste. Pour dix coups de baston j’en voudrois estre quitte. J’ay trouvé là dehors en sortant de ceans, Un superbe carosse, enrichi par dedans, Et doré par dehors, environné de Pages, Remply de tous costez de plusieurs beaux visages ; Où la Dame qui vient de sortir hors d’ici Entroit le cœur rempli de peine et de souci. Me voyant en humeur de courir apres elle, Elle fait arrester, me caresse, m’appelle, Et me dit d’un ton doux : Ton dessein est, je croy, Ma fille, de me voir, et de parler à moy, Je le veux, sçachant bien le sujet qui t’emmeine ; Oüy je veux t’éclaircir, entre donc, pren la peine De monter prez de moy, car je n’ay pas loisir D’arrester en ce lieu. Moy bruslant de desir De sçavoir au certain ce qu’elle vouloit dire, J’entre, et m’ostant son masque, elle fait que j’admire Un œil si gracieux, un visage si beau, Qu’il peut mettre d’abord mille Amans au tombeau : J’en suis, encor que fille, amoureuse, et proteste Que plus que de l’humain elle tient du Celeste. Mais dy moy, l’as-tu veuë ?         Oüy, de mes propres yeux, Dequoy te mesles-tu ?         Je rends graces aux Dieux Qui me donnent ici la force de me taire, Où la parole encor seroit si necessaire ; Oüy, je brusle d’envie ici de repartir ; Mais non, je feray mieux de la laisser mentir. Comme est faite à peu prez cette fille adorable ? Comme son poil, sa taille à la mienne est semblable : Elle m’a dit alors me prenant par la main, D’un visage riant : Si vous avez dessein De me voir de la part de cette belle Dame, Je vous veux découvrir les secrets de mon ame ; Ma fille, faites-luy, s’il vous plaist, ce discours, Que Climante est l’objet de mes chastes Amours ; Que je confesse aussi que je suis celle mesme, Qui desirant de voir ce Cavalier que j’ayme, M’enfermé dans sa chambre où je laissé mon cœur Dés que j’eus admiré cet aimable vainqueur : Mais vous luy pouvez dire, encore que j’adore Cet homme genereux, qu’il est vray qu’il l’ignore ; Par honte et par respect, je n’ay jamais osé Luy declarer les maux que ses yeux m’ont causé. Et voulant passer outreo, un orage de larmes Qui tomboit de ses yeux, accreut encor ses charmes : Car j’eus pour l’amour d’elle un excés de pitié, Qui me la fit trouver plus belle de moitié. Je dis adieu sur l’heure à ce parfait visage, L’asseurant à l’instant de faire son message Derriere le carosse, en sortant j’aperceu Un Page qui la suit, qu’autrefois j’ay cognu : Si c’est ce que je pense, asseurez-vous Climante, Qu’elle a beaucoup d’honneur, qu’elle est riche et puissante ; Je ne sçay pas son nom, mais pour sa qualité, Croyez qu’elle est plus grande encor que sa beauté. Adieu, Monsieur, je vay retrouver ma Maistresse, C’est tout ce que j’ay sceu, tenez vostre promesse, Vous estes Cavalier si sage et si discret, Que vous sçaurez garder comme il faut le secret. Ne doute point de moy, je te seray fidelle. Cette histoire, sans doute est estrange et nouvelle, Amour de ce cahos vien dégager mes sens. Quels contes fabuleux sont-ce ici que j’entends ? Je pren congé de vous.         Atten, je te supplie, Si tu veux que par tout ta bonté je publie, Fay moy cette faveur ; je sçay que tu le peux, Puis qu’aussi bien je voy qu’on méprise mes vœux, Que Leonor me croit injustement volage ; Que j’ay au moins le bien de voir ce beau visage, Je suis lâche, ou je doy respondre à son desir. Je vous verray, Monsieur, avec plus de loisir, Et nous en parlerons. Adieu donc, je vous laisse : Que me commandez-vous de dire à ma Maistresse ? Vos liberalitez m’obligent tellement Que je prefere au sien vostre contentement. Dy luy de point en point comme la chose passe, Dy tout, puis qu’aussi bien je suis dans sa disgrace ! Qu’elle rit de ma peine, et que tu me cognois Bien voulu d’un sujet qui vaut mieux mille fois ; Mais sçache si tu peux où cet Ange demeure. Vous en aurez, Monsieur, nouvelle dans une heure, Je vais y travailler.         Tout va bien jusqu’ici : Dieux ! faites-moy le bien que tout s’acheve ainsi. Que te semble, Carlin, de cette étrange histoire ? Est-il possible, ô Dieux ! que vous la veuilliez croire ! Je jure que jamais je n’oüy tant mentir ; Parlons, quand je devrois cent fois m’en repentir, La langue me demange, et je ne me puis taire. As-tu dessein, maraut, de me mettre en colere ? Au contraire, Monsieur, ne vous y mettez point, Et je vous conteray le tout, de point en point. Si vous me pardonnez.         Oüy va, je te pardonne, Parle donc promptement.         Cette insigne friponne, Avec son beau langage, en ce quel a conté N’a pas dit, je vous jure, un mot de verité. Celle qu’elle vous peint, si belle, si charmante, Et si riche, n’est rien qu’une pauvre servante, Aussi gueuse que moy, qui depuis ce matin Sert un certain Marchand.         Te mocques-tu Carlin ? Si c’est pour te railler, et pour me faire rire, Tu prens fort mal ton temps.         Quoy que vous puissiez dire, Je dy la verité : car comme je vous voy, Mille fois je l’ay veuë.         Encor dy moy pourquoy, Et comment elle a peu sans clef ouvrir la porte ? Je le sçauray tantost.         Mais encor, qui la porte A s’enfermer chez moy ? j’en suis tout estonné ? C’est pour l’Amour de moy, vous m’avez pardonné ; Depuis un mois ou deux, cette servante mesme Que vous venez de voir, Vous le diray-je, m’aime, Et moy je l’aime aussi ; Je vous fay donc sçavoir Qu’elle n’est là venuë exprez que pour m’y voir ; Sans penser toutefois vous devoir mettre en peine Comme elle vous a mis.         Que ta raison est vaine, Une Suivante a-t’elle un si superbe habit ? Pour trouver dans ma grace encor plus de credit, Elle en a vestu un de ceux de sa Maistresse. Voy comment à mentir tu monstres peu d’adresse : La femme d’un Marchand, ainsi que tu l’as dis, Pourroit-elle porter ces superbes habits ? Et quand tout seroit vray, comment se peut-il faire Que cet autre m’ait fait un discours si contraire ? Monsieur, c’est sans sujet que vous vous étonnez, Peut-estre elle vous veut tirer les vers du nez : N’ayez je vous supplie aucune deffiance, Ce que je dis est vray.         Grands Dieux ! quelle apparence ! Non, cela ne peut estre, et je sçay que tu ments. Monsieur, écoutez-moy, laissons là les serments, Je vous veux faire voir que je suis veritable ; Qui pourroit m’obliger à vous dire une fable ? Il faut que sur ce fait je vous rende éclairci, Je vous veux emmener cette Servante ici, D’elle vous sçaurez tout.         Fay donc que je la voye, Depéche, si tu veux qu’à la fin je te croye. Je viens dans un quart-d’heure, et plutost si je puis. Grands Dieux ! delivrez moy de la peine où je suis. Fin du troisiesme Acte. Mais encore, Carlin, que veux-tu que je fasse ? Dy luy de point en point comme la chose passe. Mais pourquoy l’as-tu dit ?         Afin de garentir Mon Maistre d’une fourbe, il falloit dementir Et faire cet affront à certaine rusée Qui vouloit nous dupper ; la chose est tres-aisée ; Allons trouver mon Maistre, et luy dy franchement La chose comme elle est, que l’impudente ment, Mais le voici qui sort : Que rien ne t’épouvente. Ay-je menti, Monsieur ? voici cette Servante Dont je vous ay parlé, qui n’aguere chez vous A fait en autre habit un esprit bien jalous. Est-il vray ce qu’il dit ? es-tu la mesme femme Qui tantost nous a mis tant de troubles en l’ame ? Que nous avons trouvée enfermée, et chez moy ? Parle-moy librement, je te jure ma foy De te le pardonner, sans me mettre en colere. Puis que vous le voulez, il faut vous satisfaire. Je suis celle, Monsieur, je le dy franchement, Qui m’estoit enfermée en vostre apartement ; J’ay peché contre vous : mais ce qui me console, Est que vous estes homme à me tenir parole, Vous estes trop remply de generosité. Et bien, qui de nous deux a dit la verité ? Mais declare-moy tout, car la chose m’importe : Dy qui t’a peû donner la clef de cette porte ? Quel estoit ton dessein en t’enfermant chez moy ? Va, ne redoute rien.         Monsieur, puis que je voy Qu’il vous plaist me parler avec tant de franchise Je ne doy point ici craindre aucune surprise ; Et puis, pourquoy craindroy-je ? il n’y va rien du mien. Declare-moy donc tout, et ne me cele rien. Sçachez doncques, Monsieur, qu’une Dame fort belle : Mais je n’ay peu sçavoir encor comme on l’appelle, En tres-bon équipage, avec force Laquais, Dans un riche carosse alloit vers le Marais. Ayant sçeu qui j’estois d’une sienne Suivante, Qui me cognoit fort bien, et qui souvent me hante, Elle a fait arrester son carosse, et m’a dit, Va t’en dire chez moy qu’on te donne un habit Des plus beaux que je porte, et sans qu’aucun le sçache Va t’en droit au logis de Climante, et te cache Dedans son cabinet : ces deux clefs que voici T’en donneront l’entrée, et si tu fais ceci D’adresse, en composant ton geste et ton langage, Jusqu’à pouvoir d’abord donner un peu d’ombrage A certaine beauté qui trouble mes desseins, Ne crains pas que pour moy tes offices soient vains, Je t’offre cent escus. J’apprens vostre demeure, Luy promets de le faire, et la quitte sur l’heure. Vous sçavez que la fourbe a fort bien reüssi, Cette Dame est contente, et je le suis aussi ; J’ignore quels secrets peut cacher ce mystere, Mais j’en ay le profit, je ne m’en sçaurois taire, Je vous dis en trois mots tout ce qu’elle m’a dit. Après m’avoir payée elle a repris l’habit, Et puis j’ay pris congé de ce parfait visage : Je ne sçaurois, Monsieur, en dire davantage. Sans doute Dorotée a dit la verité, Tout est tel en effet qu’elle me l’a conté, Desja plus qu’à demy mon ame est éclaircie : Bien loin d’estre fasché, va je te remercie, Et pour te tesmoigner que tres estroitement Je me sens obligé, reçoy ce diamant, Encor est-ce trop peu pour un si bon office. Quand j’auray le moyen de te rendre service Ce sera de bon cœur : va t’en, et fais estat Qu’en moy l’on n’obligea jamais un cœur ingrat. Monsieur, je vous rends grace.         Ah ! je bruslois en l’ame Du desir de sçavoir quelle estoit cette Dame. Quoy, tu me trompois donc en me faisant sçavoir Qu’en ce lieu tu venois tout exprez pour me voir ? Je découvre, Dorise, à present ta finesse, Mais à n’en point mentir j’admire ton adresse. Je n’avois pas alors loisir de te parler, Vois-tu pas qu’il falloit feindre et dissimuler ? J’attendois à te voir pour t’en conter l’histoire. Sans doute elle est étrange, et j’ay peine à la croire ; Voilà, certes Dorise, un grand hazard pour toy, Estant riche à present, voudras-tu bien de moy ? Penses-tu que je sois jusqu’ à ce point volage ? Mais cette fille ici me donne de l’ombrage, C’est à toy qu’elle en veut, elle te vient chercher. Tu n’as pas en ce point sujet de te fascher, Elle cherche mon Maistre, et n’ay que faire d’elle. Elle plaist à tes yeux, je n’y suis pas si belle, Si je te soubçonnois d’aucune trahison ? Tu m’accuses à tort, va tu n’as pas raison. Un bel œil pour me vaincre est une faible amorce, Ta bague, et tes escus ont beaucoup plus de force. M’en doutoy-je pas bien, desloyal, imposteur, Que tu me trahissois ?         Ah Dieux ! je meurs de peur : Si je me plains ici, c’est de trop de fortune, Les voulant toutes deux je n’en auray pas une. Quoy ! l’empécherés-vous de suivre son desir S’il me prefere à vous ?         Il sçait bien mieux choisir, C’est bien effrontément parler en ma presence, Vous l’emportez sur moy, mais c’est en impudence. Pensez-vous le gagner pour parler ainsi haut ? Va, je te traitteray, volage, comme il faut. On me l’avoit bien dit, que j’avois bonne mine, Tout le monde m’en veut.         Vien-ça, tai-toy badine, Va, je n’en veux qu’à toy, ne le vois-tu pas bien ? Vien-ça, que luy dis-tu ?         Moy, je ne luy dis rien. Or sus declare-toy, dis à qui tu veux estre, Je veux sçavoir ici si tu n’es pas un traistre. Parle donc promptement.         J’ay les sens tout confus, L’une est belle, il est vray, mais l’autre a des escus, Je voudrois bien avoir toutes les deux ensemble. Comment ? tu ne dis mot, parle donc, que t’en semble ? Dorise, vois-tu pas que je n’en veux qu’à toy ? Ecoutez ce qu’il dit ?         Que dis-tu ? parle à moy. Je dy que c’est à toy seule à qui je veux plaire. Je suis bien empesché de ce que je doy faire. Je te montreray bien, traistre, que tu n’es pas Où tu penses encor, tu t’en repentiras. Je t’atraperay bien, je t’en donne parole. Va, laisse-la parler, ce n’est rien qu’une folle. Adieu, ton Maistre vient.         Va, je n’aime que toy. Je ne souffriray pas qu’on se mocque de moy. De quels excez d’ennuis mon ame est agitée ? As-tu bien peu trouver mon logis, Dorotée ? Hé bien, fulmine-t’on encore contre moy ? Leonor doute-t’elle encore de ma foy ? Elle est depuis tantost cent fois plus animée ; Certes, c’est une fille indigne d’estre aimée, Plus on vous justifie, et plus elle s’aigrit, Elle a trop de chagrin, c’est un fâcheux esprit ; Elle n’aura jamais un Amant si fidelle, Et j’en suis, je vous jure, en colere contr’elle : Car j’ay receu de vous aujourd’huy tant de biens, Que je veux preferer vos interests aux siens : Si j’estois que de vous, sans consulter personne, Je la quitterois là comme elle m’abandonne. Enfin, ne cele rien, dy tout, s’il faut perir Acheve promptement de me faire mourir. Puis qu’il faut dire tout, l’ingrate ailleurs s’engage, Et sans mentir, c’est trop pour un leger ombrage, Je n’ay rien oublié pour luy faire sçavoir Que vous n’avez en rien choqué vostre devoir : Mais tant plus mes raisons prouvoient vostre innocence Tant plus ce cœur altier montroit son insolence ; Car sans considerer vostre fidelité, Ny vostre extréme Amour, ny vostre qualité, Cette arrogante a tort se croyant outragée, Dessous le joug d’Hymen aujourd’huy s’est rangée Avec un autre Amant, ou, pour n’en mentir point, Si cet Hymen n’est pas accomply de tout poinct, La chose est resoluë.         Elle s’est bien hastée : Mais comment nommes-tu ce rival, Dorotée ? On l’a nommé, mais quoy ! je ne m’en souviens plus. Ah ! je suis interdit si jamais je le fus ? J’ay fait mille sermens, mais quoy ! cette volage, (Vous me dispenserez d’en dire davantage ) Elle n’aima jamais, on aime foiblement Quand on ne reçoit pas l’excuse d’un Amant, Ou son amour pour vous estoit bien delicate, Pour moy, je quitterois tout à fait cette ingrate. Mais, Dorotée, encor, que veut-elle, dy moy ? Elle ne le sçait pas elle-mesme, je croy. Ne vous estonnez pas de ce que je vay dire, Au lieu de me fâcher, je n’en ferois que rire Cognoissant son humeur : Elle m’a mis en main Ces Lettres que voici,         me commandant soudain De vous les apporter, et de plus, de vous dire, (Mais avec un mépris qui ne se peut décrire :) Que vous les brulassiez, et qu’elle veut bannir Toutes choses de vous jusques au souvenir, Et que puis qu’elle vit dessous les loix d’un autre, Vous oubliiez son nom comme elle a fait le vostre. Voyez ce qu’il vous plaist respondre là dessus. Ah Dieux ! vit-on jamais un homme plus confus ? Je l’ay sensiblement touché, mais il n’importe. La cruelle veut donc me traiter de la sorte ? Ma chere Dorotée, où gist tout mon appuy, Pourveu qu’elle te veuille encor oüyr, dy luy Qu’elle s’est en effet bien promptement vangée D’un homme qui ne l’a jamais desobligée : Car je prens tous les Dieux pour temoins devant toy Que sans luy faire tort j’ay conservé ma foy. Mais puis que sans sujet cette ingrate se vange Et puis qu’elle a couru si promptement au change, Dy luy qu’elle m’a mis en telle extremité Que je veux l’imiter en sa legereté, Que je suis inconstant, puis qu’elle est infidelle, Et que je vais aussi me marier comme elle. Vous marier ? à qui ? (je tremble justes Dieux ?) Au plus parfait objet qui soit dessous les Cieux. Dites-vous vray, Monsieur ? (Dieux que je suis en peine.) Non, non, je ne ments point, la chose est tres certaine. Puis-je sçavoir son nom ?         Ce visage si beau, Qui met, comme tu dis, tant d’Amans au tombeau, Celle que tu m’as peinte, et si riche, et si belle, Et qui m’aime si fort.         Ah ! l’heureuse nouvelle ? Quelle aprehension, grands Dieux ! viens-je d’avoir ? Fay moy doncques le bien que je la puisse voir, Va tost, informe-toy du lieu de sa demeure : Car je veux, le sçachant, l’aller voir tout à l’heure ; Ma fille, oblige-moy.         Tout m’arrive à souhait, Vous serez dedans peu sur ce point satisfait, Je pourray bien sçavoir par le moyen du Page Le nom et le logis de ce parfait visage : Il est vray toutefois, qu’à peu prez je le sçay. Dy-le donc, satisfais au desir que j’en ay. Est-il heur sous le Ciel qui mon bonheur égale ? Dans un des Pavillons de la Place Royale : Mais je ne sçay lequel, allez-y sur le soir, J’iray trouver le Page, et luy feray sçavoir, Il en avertira sa Maistresse amoureuse Qui s’en reputera parfaitement heureuse, Et vous fera venir.         Que n’est-elle à mes yeux Aussi belle ?     Que qui ?     Que toy.         Que moy ! grands Dieux ? C’est comparer, Monsieur, le diamant au verre, Le Soleil à l’estoille, et le Ciel à la terre, Quoy qu’elle semble avoir quelque peu de mon air. S’il est vray, c’est un Ange, il n’en faut point douter. De vous trouver ici, Climante, c’est merveille. Mais que voy-je ? en effet, révé-je, ou si je veille ? Il m’a veuë, ah grands Dieux ! que doy-je devenir ? D’où cet étonnement vous peut-il provenir ? Si je suis interdit, et si le teint me change, Ne trouvez point, amy, cette surprise estrange, Mon admiration est tres-juste.         Pourquoy ? Quel est ce beau visage ? amy, dites-le moy. Faut-il tant s’étonner pour voir une Suivante Qui sert chez ma Maistresse ?         Est-il bien vray, Climante ? Certes, je suis surpris d’une estrange façon. En me cachant deluy, j’accroistrois son soubçon, Il vaut mieux dire adieu sans faire l’étonnée. Si cette affaire ici peut estre terminée, Vous me tiendrez parole, et songerez à moy. Ma fille, ne craint rien, je t’engage ma foy Que je te donneray bien plus que tu ne penses. N’en doute nullement.         Donc sur ces esperances, Parce qu’il se fait tard, je pren congé de vous. Veux-tu point, Dorotée, appaiser ton courroux ? Me dis-tu point adieu ?         N’en dy pas davantage, Va, va, je te cognoy, tu n’es rien qu’un volage. Quoy ? cette fille ici sert donc chez Leonor ? Seroit-il bien possible ?         En doutez-vous encor ? Je jure qu’il est vray.         Pardonnez je vous prie Si je tiens ce discours pour une réverie, Cela ne peut pas estre.         Encor dites pourquoy Vous voulez sur ce point vous deffier de moy ? Que m’importeroit-il ?         Parce que ce visage Est, ou je suis charmé, la veritable image D’une Dame que j’ayme, et hors l’habillement Qui peut tromper mes yeux, mais non mon jugement. Je n’ay veu sans mentir rien qui fust si semblable. Ay-je tort de trouver cette chose admirable ? Quand cela seroit vray qui si fort vous surprend, Je ne trouverois pas un miracle si grand De voir qu’une personne à quelqu’autre ressemble : Mais, Amy, vous diray-je au vray ce qui m’en semble ? Oüy, vous m’obligerez, parlez-moy franchement. Vous estes, cher Adraste, un si parfait Amant, Qui portez tellement imprimé dedans l’ame L’adorable portrait de vostre belle Dame, Que tout ce qui paroist devant vos yeux charmez Vous semble estre aussi-tost l’objet que vous aimez. Ces sentimens estans arrivez à mille autres, Ne vous estonnez point si je blâme les vostres, Je vous tiens, cognoissant vostre complexion, Capable plus qu’aucun de cette impression. N’eussiez-vous pas juré que cette mesme Dame Qui nous mit hier au soir tant de troubles en l’ame, Estoit le mesme objet dont vous estes espris ? Il est vray, je l’ay creu : mais quoy, je fus surpris. N’est-il pas encor vray, que jusqu’à sa Suivante Vous pensiez que ce fust celle de vostre Amante ? Et vous juriez quasi l’avoir veuë.         En effet, J’ay creu que c’estoit elle, et j’en avois sujet, Et d’autre que de vous j’aurois bien peine à croire Que ce fust une fable, et non pas une histoire. Vous vous trompiez pourtant en vostre opinion, Celle que vous aimez est allée à Lyon, Comme vous m’avez dit, et l’autre sur ma vie Est encor à Paris, et n’en est point sortie. Puis que l’on m’a promis dans une heure d’ici De me la faire voir, et luy parler aussi. En quel lieu se tient-elle ?         A la place Royale. S’il est vray, ma beveuë est ici sans égale, A vous seul je me rends, quoy que fort estonné. Adraste, une autrefois soyez moins obstiné. Mais si vous allez voir cette belle Maistresse, Qui de nouveau vous picque, il faut que je vous laisse, l’Amour, vous le sçavez, ne veut point de témoins. J’ay deux heures encor de loisir pour le moins, En puis-je estre picqué ne l’ayant jamais veuë ? Allons en attendant faire un tour par la ruë, Nous nous separerons quand vous l’ordonnerez. Je le veux, nous ferons tout ce que vous voudrez. Pensez-y mieux, Madame.         Ah Lucille, es-tu folle ? Qu’on ne m’en parle plus, j’ay donné ma parole, Deussé-je mille fois moy-mesme me trahir, Mon oncle me l’ordonne, il luy faut obeyr, Je le veux espouser.         L’aveuglement extréme, Voulez-vous vous vanger vous mesme de vous mesme ? En espousant Adraste, il est vray que j’ay tort, Je l’ay hay sans doute à l’égal de la mort : Mais que veux-tu, Lucille, à present que je fasse ? Je suis de feu pour l’un, et pour l’autre de glace, Climante avoit mon cœur, je ne le cele pas, Mais puis que ce perfide en fait si peu de cas, Je veux fouler aux pieds sa cruelle arrogance, Mespriser ses mespris, et braver son offence. Il est vray que Climante est perfide et leger : Mais de qui maintenant pensez-vous vous vanger ? Vous vous rendez vous mesme un tres mauvais office, Vous pleurerez long-temps l’effet de ce caprice, Dont le plaisir ne peut vous durer qu’un moment, Et dont le repentir dure eternellement. Lucille, tu dis vray, mais je suis si piquée, De voir ma foy trahie, et mon Amour mocquee, Qu’il faut que je me vange, en deussé-je sentir Le reste de mes jours un cuisant repentir. Le plaisir que j’auray de me sentir vangée, Adoucira l’aigreur de mon ame outragée, Et ce nouveau sujet de joye en mes douleurs, Calmera ma tristesse, et sechera mes pleurs. Quoy ? vous desirez donc pour punir son offence Vivre en pleurs eternels ? ô la belle vengeance ! Par là vous contentez de tout point ses plaisirs, Car n’ayant plus d’obstacle à ses ardents desirs, Vostre rivale arrive au comble de sa gloire. Aussi sur mon Amour j’emporte la victoire, En dépit de ma flame il faut favoriser La recherche d’Adraste, oüy, je veux l’épouser, Je dois à son amour cette recognoissance : Et puis nous songerons apres à la vengeance Contre cet inconstant qui m’a manqué de foy. Leonor vient d’entrer. Toy, Pamphile, dy moy, As-tu trouvé Lizene ? as-tu donné ma lettre ? Croyez que de sa part vous vous pouvez promettre, Si vostre heur en dépend, entiere guerison, Elle vous laisse libre aujourd’huy sa maison, Afin d’y recevoir, comme estant la Maistresse, Qui bon vous semblera.         J’estime ton adresse, Dorise, portes-y promptement mon habit, Pour me vestir chez elle, ainsi que je t’ay dit. Je n’y manqueray pas, mais que voulez-vous faire ? Ne t’en informe point, c’est une estrange affaire, Que tu verras sans doute, aujourd’huy reüssir, Et lors tu te pourras aysément éclaircir, Par ce que tu verras de l’esprit d’Isabelle. Mais Leonor paroist, elle sort de chez elle, Retirez-vous tous deux.         Dorotée, est-ce toy ? As-tu veu cet ingrat ? que dit-il ? respond-moy. Si je ne l’avois veu, j’aurois bien peine à croire Qu’un homme si bien fait eust une ame si noire. Acheve, je te prie.         Il est homme, et l’estant, Se doit-on estonner de le voir inconstant ? Comme il vous avoit pleu me commander, Madame, J’ay remis vos écrits aux mains de cet infame ; Mais luy sans s’estonner, avec un faux sousris, Signe trop évident d’un apparent mespris : Va dire, m’a-t’il dit, à cette glorieuse, Qui tranche de la Reyne, et de l’Imperieuse, Et dont j’ay, grace au Ciel, presque oublié le nom : (Mais d’un air arrogant, et d’un superbe ton) Que d’elle je reçois avec beaucoup de joye Ces écrits que j’ay fais, et qu’elle me renvoye, Qu’elle m’oblige fort en pensant m’irriter : Car je ne voulois pas qu’elle se peust vanter, Comme par ces écrits elle l’auroit peu faire, Qu’elle eust esté jamais capable de me plaire. Avec cette impudence ?         Il m’a dit cent fois pis ; De peur de vous fâcher, croyez que j’adoucis Autant que je le puis son indigne response. Le perfide qu’il est ! va, va, je le renonce : Mais qu’as-tu reparti ?         Je crains de vous fâcher : Comme par mes discours je voulois le toucher, Cette Dame qu’il ayme, est aussi-tost entrée Ce que voyant, soudain je me suis retirée, M’estant bien aperceuë, ainsi comme je croy, Qu’ils se mocquoient tous deux, et de vous, et de moy. Encor cela de plus ? écoute, Dorotée, Me voyant de ce traistre indignement traitée, Je ne ressemble point à ces lâches esprits Dont l’Amour aveuglé s’accroist par le mespris, Il n’est rien qui me picque, et qui plus me rebute, Oy donc un beau dessein qu’il faut que j’execute : Me voylà resoluë à vivre sous les loix D’un jeune Cavalier, que mon oncle autrefois Contre mon sentiment m’a conseillé de prendre : Mais je desire avant que d’y vouloir entendre Me vanger puissament de ce manque de foy. S’il ne tient qu’à cela, reposez-vous sur moy, J’en viendray bien à bout ; Oüy, je pourray, Madame, Par un subtil moyen que je conçoy dans l’ame, Rendre dessus ce poinct vos desirs satisfaits. Ma fille, espere tout de moy si tu le fais. Oüy, oüy, je vengeray puissamment cette offence : Mais entrons là-dedans, avec plus d’asseurance Nous en pourrons parler, et tenez pour certain Que je viendray sans peine à bout de mon dessein. Entrons, je le veux bien, mais que pretens-tu faire ? Laissez-moy comme il faut ménager cette affaire. Je croy que ton esprit peut entreprendre tout, Et si je ne me trompe, en venir bien à bout. Fin du quatriesme Acte. Le Ciel me favorise, et certes aujourd’huy J'ay lieu de me loüer plus que jamais de luy De vous trouver ici.         Dites-moy quelle affaire Vous porte à me chercher ?         Une tres-necessaire, Vous seul avez pouvoir de terminer mon sort, J'attens de vostre bouche, ou la vie, ou la mort. Adraste, devez-vous me traitter de la sorte ? On veut faire revivre une esperance morte, Et tout dépend de vous, ainsi que l’on m’a dit. Vous estes trop heureux si j’ay tant de credit, Oüy, disposez de moy, vous en estes le maistre. Je benirois le Ciel si cela pouvoit estre. Voyez où vous avez besoin de mon secours. On veut renouveller mes premieres Amours, En vous quittant tantost j’ay rencontré Timandre Oncle de Leonor, lequel m’a fait entendre Que sa niepce à present brusle d’amour pour moy, Qu'elle est preste aujourd’huy de m’engager sa foy ; Que vous avez rompu tout à fait avec elle, Dont il venoit exprez me donner la nouvelle ; Que si j’ay conservé quelque reste d’Amour, Je n’ay qu’à convenir et de l’heure et du jour Pour faire les accords de nostre mariage ; Je n’ay que faire ici d’en dire davantage ; Vous m’avez fait sçavoir tantost que contre vous Leonor ce matin a vomi son courroux ; Et comme je cognoy ces riottes legeres Qui parmy les Amans sont assez ordinaires, J'ay creu que ce dépit mourroit dans un moment, Mais il m’a bien conté cette histoire autrement, Car il m’a protesté que sa Niepce offensée Vous avoit pour jamais banni de sa pensée, Qu'elle avoit pour moy seul autant de passion Qu'elle avoit cy-devant conceu d’adversion, Qu'il ne tiendra qu’à moy que dans cette journée, Nous ne soyons unis sous les loix d’Hymenée ; Qu'au lieu de traverser nostre contentement, Vous mesme y donnerez vostre consentement, Sans quoy je ne voudrois jamais rien entreprendre : Dites donc, cher Amy, ce que j’en dois attendre, Pour Dieu ne tenez plus mon esprit en suspends. Vous ne sçauriez, Amy, mieux prendre vostre temps, Rebuté des mépris de cette glorieuse, Qui pour un faux soubçon fait tant la dédaigneuse, De bon cœur je la cede, et je ne pretens pas Vous obliger beaucoup en cedant ses appas ; Puis que j’ay fait dessein de servir cette Dame, Pour qui je vous ay dit que j’estois tout de flame : Je ne la vy jamais, mais on m’a tant vanté Sa beauté, sa noblesse, et sa civilité, Le tout accompagné d’une extréme richesse, Que je suis resolu d’en faire ma Maistresse : Vous rendant Leonor pour vous, je ne fay rien, C'est restitution, je vous rends vostre bien, Et quand je l’aymerois, mon heur seroit extréme De la voir posseder par un autre moy-mesme. Je n’esperois pas moins d’un genereux Amy, Qui n’oblige jamais ceux qu’il ayme, à demy. Puis que de son Amour son mépris vous dégage, Je m’en vay terminer cet heureux mariage Leonor est à vous, je n’y pretens plus rien, Adieu, de mon costé je vay penser au mien. Allons, Carlin, allons visiter cette belle. Vous vous allez, Monsieur, brusler à la chandelle, Arrestez je vous prie, où courez-vous si fort ? Estes-vous asseuré de demeurer d’accord ? Et que cette beauté qu’on vous peint adorable, Ne soit point à vos yeux quelque objet effroyable ? C'est avoir, croyez-moy, le jugement mal sain, D'abandonner ainsi le seur pour l’incertain : Vous faites à vous mesme une trop rude guerre, Entre deux beaux coussins d’estre le cul en terre. Dorotée a dit vray, va Carlin, je la croy Puis qu’elle m’en asseure, elle est digne de foy. Qu'en dites-vous, Madame ?         Il est vray, Dorotée, Que la fourbe est subtile, et tres-bien inventée : Mais j’ay peine pourtant, à me persuader Que tu viennes à bout.         Cessez d’apprehender, Reposez-vous sur moy, la chose est tres-aisée. Il le faut confesser, tu t’es bien déguisée, Cet habit te sied bien, mais crois-tu qu’aisément Climante soit duppé par ce déguisement ? Et quoy ? crois-tu passer prez de luy pour Lizene ? Mais, Madame, pourquoy vous mettez-vous en peine ? Blâmez-moy si je manque, et si je ne fais bien, Il suffit qu’aujourd’huy vous ne hazardez rien, C'est moy seule qui cours risque de toute chose. Sçache qu’à tout peril pour cela je m’expose, Tu ne le cognois pas comme je le cognois ; Climante est fort rusé.         Le fust-il plus cent fois Il n’échapera pas des mains de Dorotée. Mais dans ce beau dessein, t’es-tu point mécontée ? Car Lizene n’est pas la Dame qu’il cherit. Avez-vous oublié ce que je vous ay dit ? Il est vray que Climante adore cette Dame Dont vous avez soubçon ; mais non pas comme femme, Il ne la tient chez luy que pour passer son temps, Et vous l’avez deux fois trouvée à vos despens : Mais au nom de Lizene il a rendu les armes, Il meurt pour ses attraits, il adore ses charmes : Enfin de ses grands biens estant bien adverti, Il meurt de posseder un si riche parti. Moy, sçachant de certain qu’il ne l’a jamais veuë, L'invention soudain dans l’esprit m’est venuë De passer prez de luy sous ce nom emprunté, Bien que comme en esprit je luy cede en beauté : Lizene m’ayme fort, et je suis asseurée Qu'elle nous servira, je l’ay bien preparée, Ce soir elle me preste à dessein son logis, Et m’a par ma cadette envoyé ses habits Qui me viennent bien mieux que n’eussent fait tous autres, C'est le sujet pourquoy je n’ay pas pris les vostres, On diroit que ceux-cy sont fait exprez pour moy. Tu ne pourras jamais l’abuser que je croy, Il te recognoistra, tout le jour il t’a veuë. Laissez-moy faire, ô Dieux ! vostre soubçon me tuë, J'ajusteray ma mine à mes pompeux habits. Quand bien tu passerois pour celle que tu dis, Sans s’informer de toy, penses-tu qu’il souhaite T'espouser sur le champ ?         Je tiens la chose faite. Vous en aurez sans doute aujourd’huy le plaisir. La vengeance seroit conforme à mon desir, Ayant, comme il a fait, refuse la Maistresse, S'il prenoit la Suivante.         Adieu donc, je vous laisse, Vous ferez ma fortune en vous vengeant de luy, Et sçaurez ce que vaut Dorotée aujourd’huy. Dieu veüille seconder cette belle entreprise Qui vange mon honneur ; Va, le Ciel te conduise. Je meine pour Servante avecque moy ma sœur. Ciel, donnez-luy la force aussi bien que le cœur. Allons, ma sœur, allons. Au coin de cette ruë, Quand tu ne seras plus de personne aperceuë, Retourne à la maison.         Je m’en vay m’échaper ; Grands Dieux ! que cette fille est facile à tromper ? Dépéche-toy, Carlin venant avec son Maistre, Ne manqueroit jamais, sans doute à te cognoistre. Le hazard est bien grand que vous allez courir. Ne sors pas du logis, je t’envoyeray querir. Voicy l’heure, sans doute, à mon bonheur fatale, Nous sommes assez prez de la Place Royale, Quel sera le logis de tous ceux que je voy ? Mais pourquoy voulez-vous, Monsieur, adjouster foy Aux discours imposteurs de cette Dorotée ? Ne voyez-vous pas bien que c’est une effrontée Qui ne fait que mentir ?         Non, tant que je vivray Je croiray Dorotée, elle a toûjours dit vray. Pour se mocquer de vous, elle s’est advisée De cette fourbe ici : Monsieur, elle est rusée Plus que vous ne pensez.         Que m’importe ? apres tout, Car si de mes desseins je ne viens pas à bout, Toûjours la promenade est belle en cette place ? Elle est belle pour vous, mais pour moy je me lasse, Entrons, et me croyez dans quelque cabaret, Pour nous desalterer allons-y boire un trait, Quel plaisir de marcher à vuide dans la ruë ? Je me lasse, Monsieur, à faire ici la gruë. Quoy maraut ? suis-je un homme à hanter en tels lieux ? Qui m’y viendroit chercher ?         Il falloit pour le mieux, Luy donner rendez-vous dedans l’Echarpe blanche ; Je jeusne ici, mais là j’aurois eu ma revanche, Je ne me plaindrois point de mon mauvais destin, Quand mesme j’y serois du soir jusqu’au matin : Mais à pied dans la ruë on me fait trop attendre. Souffrez la liberté, Monsieur, que j’ose prendre ; Estes-vous pas Climante ? …         Oüy, l'on m'appelle ainsi. Venez donc, ma Maistresse assez proche d'ici. Vous attend à la porte, elle s'en va descendre. J'obeys, et te suy s'il te plaist de m'attendre. Quel heur pour moy : Carlin, dis-tu pas qu'elle ment ? Si la fin peut respondre à ce commencement ; (Mais j'en doute bien fort) j'auray menti moy-mesme. Vous ayant fait sçavoir, Monsieur, que je vous ayme, Et que d’un autre objet mon cœur estoit jaloux, Puis-je bien sans rougir paroistre devant vous ? De quelle illusion est mon ame enchanté ? Cognois-tu ce visage ?         Ah Dieux ! c’est Dorotée ? C'est elle, mais, Monsieur, en different habit. Vous estes donc muet ? vous estes interdit ? Quoy Monsieur, traitez-vous les Dames de la sorte ? Et vous offencez-vous de l’Amour qu’on vous porte ? L'excez de cet honneur me surprend tellement, Que je ne puis ouvrir la bouche seulement. Mais sous un autre habit ne vous ay-je point veuë ? Non, mais c’est à la voix que vous m’avez cognuë Vous m’avez peu parler seulement une fois Qui fut hier au soir.         Carlin, j’en jurerois. Expliquez-vous, Monsieur, car ce discours m’estonne. Vous ressemblez si fort à certaine personne, Que si ce beau visage, et le sien en sont deux, On n’a jamais rien veu de si miraculeux. Voyla son œil, son poil, sa parole, son geste, Sa taille et sa façon : Oüy Carlin, je proteste Que ce l’est elle-mesme.         Il n’en faut point douter, C'est elle, et je me ry de vous voir consulter. Et vous nommez, Monsieur, celle-là ?         Dorotée, Qui sert chez Leonor, Dame que j’ay hantée, Et pour qui j’ay mesme eu de l’inclination. Vous n’estes pas tout seul de cette opinion ; L'ayant veuë aujourd’huy par la ruë, il me semble A moi-mesme qu’elle a quelque air qui me ressemble. Si je ne l’estois pas, je serois bien duppé. Cet habit me surprend.         C'est luy qui m’a trompé. Brisons-là, pour vous dire ici que je vous aime, Je le dy librement, et que je suis la mesme Qui me refugié chez vous hier au soir, Pour avoir plus long-temps le bonheur de vous voir. Je feigny que j’estois d’un mary poursuivie, Qui vouloit en cholere attenter sur ma vie : Mais je suis fille encor, je mentois à dessein. Elle mentit hier, et mentira demain, Vous l’écoutez encor ?         Maraut te veux-tu taire ? Pour mettre Leonor justement en colere, Sçachant qu’elle venoit chez vous pour voir le Roy, J'emporté vos deux clefs, et mandé que chez moy On fist vestir sur l’heure une adroite friponne D'un de mes beaux habits : Aussi-tost je luy donne Vos deux clefs dans la main, avec commandement De venir s’enfermer dans vostre apartement. Vous voyez que c’estoit pour donner de l’ombrage ; Je ne puis pas, Monsieur, en dire davantage, Vous avez veu le reste, et vous pouvez sçavoir Si cette jeune fille a bien fait son devoir. Mais à tous vos desseins pouvois-je rien comprendre ? Madame, sans parler, pouvois-je vous entendre ? Non, pour moy Dorotée en a pris le souci, J'ay sceu depuis tantost qu’on l’appelloit ainsi, A qui j’ay declaré mon amoureux martyre, Afin de m’epargner la honte de le dire. Dorotée en effet m’a dit la verité. Informez-vous, Monsieur, quelle est ma qualité, Et vous recognoistrez, sans doute, qu’en noblesse, Je passe Leonor aussi bien qu’en richesse, Et pleust à mon destin que je peusse en ce jour La surpasser en grace aussi bien qu’en amour Pour vous estre agreable.         Ah ! beauté que j’admire ? Dans ma confusion je ne sçay que vous dire. C'est moy qui doy, Madame, implorer à genoux L'heur de vous posseder en qualité d’espoux : Je me tiens glorieux, et renonce à tout autre Si vous offrant ma main vous me donnez la vostre. Me voici, je l’avoüe, au bout de mes souhaits, Mon cœur est trop content, pourveu que desormais Leonor ne soit plus en pouvoir de me nuire. Elle épouse à ce soir Adraste, et je desire Luy montrer qu’ayant sceu briser tous ses liens, J'ay mesprise ses fers comme elle a fait les miens. Allons-y, vous verrez quelque chose d’estrange, Adraste vous dira que vous gagnez au change. Il me cognoist fort bien, allons-y de ce pas. Non, croyez-moy, Monsieur, et ne la croyez pas. Voyez-vous pas que c’est une fourbe inventée ? Mais quoy ! chez Leonor verrons-nous Dorotée Sans qu’on charme mes yeux ? sans qu’on trompe mes sens ? Je vous la feray voir.         Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Et mesme devant vous je la verray paroistre ? Oüy, tres-asseurément.         Cela ne peut pas estre. Vous l’y verrez.         Allons, j’en veux estre éclairci : Soyez juges, mes yeux, de ce prodige ici. Mais est-il bien certain, Monsieur, j’ay peine à croire Que je sois à present si proche de ma gloire. Ne me croyez-vous point ? en doutez-vous encor ? Allons sur ce sujet consulter Leonor. Mais la voicy qui sort.         Beauté plus que mortelle, Je suis trop glorieux si ma fortune est telle Que vostre oncle me dit, et beny l’heureux jour Qu'en vostre cœur la haine a fait place à l’Amour. Ma Niepce méprisant cent indignes conquestes, Et recognoissant mieux l’honneur que vous luy faites, Vous reçoit maintenant en qualité d’Epoux. Puis-je bien sans rougir paroistre devant vous ! Ayant fait plus d’estat d’un perfide, et d’un traistre, Que d’un fidelle Amant que je n’ay peu cognoistre ? Mais en me tesmoignant qu’au lieu de vous vanger Par un excez d’amour vous voulez m’obliger ; Je jure de n’avoir desormais autre envie Que de vous obliger tout le temps de ma vie. Apres tant de faveurs que dois-je aprehender ! Timandre, accordez-moy l’heur de la posseder. Regardez, Leonor, ce que vous voulez faire. Puis qu’il vous plaist, Monsieur, je le veux satisfaire. Je conjure le Ciel que selon vos desirs Rien ne puisse jamais alterer vos plaisirs : Entrons, nous serons mieux au logis qu’en la ruë. Ces gens viennent à nous, attendons leur venuë. Je viens pour prendre part à vos felicitez, Et non pour rendre hommage encor à vos beautez : Je sens dedans mon cœur une joye infinie, De voir à vostre hymen si bonne compagnie. Ce bel objet que rien ne sçauroit égaler, Me peut, si je vous perds, aysément consoler. Que vois-je, justes Dieux ! que mon ame est ravie ! Si vous considerez mon bonheur sans envie, Sans aucun déplaisir je voy le vostre aussi. Madame, justes Dieux ! que veut dire cecy ? Voyla cette beauté que je croyois absente. Adraste, taisez-vous, c’est ici ma Suivante, Vous allez, sans mentir, bien passer vostre temps. Oyez sans dire mot.         Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? De quel trouble d’esprit est mon ame agitée ? Faites-moy, s’il vous plaist, appeler Dorotée. Que luy voulez-vous donc ?         La voir tant seulement. Et bien, qu’en dites-vous ? c’est elle asseurément, Il la tient par la main, et vient s’informer d’elle. Je m’en vais vous aprendre une heureuse nouvelle, Elle n’est pas bien loin, je vous la vay montrer, Elle est ici presente, et feignez l’ignorer. Dorotée, allez tost me querir ma cassette Où sont tous mes escrits : (elle fait la muette) Madame, approchez-vous.         Parlez-vous donc à moy ? C'est elle asseurément, ah ! qu’est-ce que je voy ? C'est à toy que je parle, il n’est plus temps de feindre, Ma fille, respons-moy, va, tu n’as rien à craindre. Ah perfide ! ah volage ! indigne de pitié, Le Ciel me vange bien de ton peu d’amitié, Tu quittes la Maistresse pour prendre la Suivante. Dieux ! quelle trahison ?         N'en croyez rien, Climante, Je ne veux plus tenir tant de monde en suspens. Je me veux declarer, oüy Madame il est temps : Pensant tromper autruy vous vous trompez vous mesme. J'ay feint, pour posseder ce Cavalier que j’ayme, Mon nom, et mon habit ; En ay-je dit assez ? Je ne suis nullement celle que vous pensez : Adraste que voyla, sçait bien comme on m’appelle, Qu'il dise franchement s’il cognoit Isabelle ? S'il sçait quel est mon bien et mon extraction ? J'ay veritablement trahy sa passion, Je me suis à ses vœux montrée inexorable, Mais je le cognoy bien, il est trop raisonable Pour desirer par force estre maistre d’un cœur Qui confesse tout haut le nom de son vainqueur. Vous mocquez-vous de nous par ces contes frivoles ? Madame, elle dit vray, croyez à ses paroles, Je la cognoy fort bien, c’est veritablement Ce sujet tant vanté, cet objet si charmant Qui rangea sous ses loix ma liberté ravie, Quand je vous vy si fort contraire à mon envie : Mais je r'entre content dedans mes premiers fers, Je ne me souviens plus des maux que j’ay soufferts : Car je sens de nouveau renaistre dans mon ame Le mesme embrazement de ma premiere flame, Que vostre seul mépris, Madame, avoit esteint. Vous, cher Amy, croyez si vous estes estreint Du saint nœud d’Hymenée avec cette merveille, Que c’est une faveur qui n’a point de pareille, C'est le plus digne objet qui soit dessous les Cieux. Climante, souffrez-vous qu’on nous jouë à vos yeux ? Puis que je voy qu’ici la chose est sans remede, Qu'y ferois-je, Madame ? il faut bien que je cede : Mais Adraste a dit vray, je suis tres-satisfait, Et ne me repens point du beau choix que j’ay fait. Le Ciel fait bien paroistre aujourd’huy sa justice ; Adraste jusqu’ici m’a tant fait de service, Que ce seroit luy faire un trop indigne tour, De ne seconder pas un si fidelle Amour. Apres un tel adveu, je suis ingrat, Madame, Si je me plains du Ciel.         Pour moy, si j’ay du blâme, De vous avoir fourbez, de vous avoir trahis, Il en faut accuser l’Astre à qui j’obeys : Mais pour rendre à mes vœux ce Cavalier sensible, J'aurois tout fait, Madame, et jusqu’à l’impossible. Tant s’en faut que j’en garde aucun ressouvenir, Que j’en beny le Ciel qui m’a voulu punir, Et m’offre à vous servir de toute ma puissance : Mais pardonnez, Madame, à mon extravagance. Je devois bien juger, voyant ce que je voy, Que je devois servir, vous, commander chez moy. Cet excez de faveur surpasse mon attente : Mais quoy ! vous me traitez comme vostre servante. Laissons ces complimens, songeons à terminer Ce double mariage, il nous faut couronner Ce beau couple d’Amans d’une immortelle gloire, Afin que nos Neveux en celebrent l’histoire. Tu me quittes cruelle, et je t’ayme si fort. En effet il est vray, Dorotée a grand tort. Au lieu d’elle Carlin, je te donne Dorise, Elle me sert, je veux qu’elle te soit acquise, Tu sçais bien son logis, fay-la venir ici. Pourveu qu’elle ait sa bague et cent escus aussi. Va, je t’en donne mille, en veux-tu davantage ? Pourrois-tu souhaitter un plus beau mariage. Je seray plus heureux que mon Maistre à la fin. Je veux aussi donner mil escus à Carlin, Et devant qu’il soit nuict je veux qu’on les fiance. Puis que je voy chez nous et bagues et finance, Je veux d’orénavant qu’on m’appelle Monsieur, A quantité de gueux on fait bien cet honneur, Qui n’ont point tant d’escus ny si belle Maistresse. Puis-je pas y pretendre avec tant de richesse ? Oüy, je rompray le col, j’en fais un bon serment, A quiconque osera m’appeller autrement. Fin de la Comedie de la Dame Suivante.