Chère Eudoxe, fuyons cet horrible séjour... Le soleil a fini la moitié de son tour... Grand Dieu ! Sera-ce en vain qu’Antonine t’implore ? Tous les jours, je te dis : ce jour, qui vient d’éclore, Va t-il enfin me rendre un époux désiré ? Hélas ! Jusqu’à présent, rien n’en a transpiré : La nuit nous trouve en proie à nos mêmes alarmes, Et le jour le plus beau n’apporte que des larmes. Sous ces débris affreux, Eudoxe, chaque jour Nous verra vainement attendre son retour. Vous désespérez trop de notre destinée. Eh ! que puis-je espérer ? Depuis plus d’une année, En vain sur les chemins nous attachons les yeux ; Nul objet consolant n’a paru dans ces lieux, Où, toujours languissante et de larmes nourrie, Je n’ai, pour tout secours, qu’une fille chérie, Plus malheureuse encor, plus à plaindre que moi. Mais ce qui me remplit d’amertume et d’effroi, C’est mon époux flétri. Lui, que le peuple adore ! Bélisaire ! Un héros, que l’Univers honore, D’un complot criminel accusé d’être auteur ! Lui, défenseur zélé d’un ingrat Empereur ! Qui l’aurait jamais cru, vertueux Bélisaire, Que l’on te réservait cet indigne salaire ? Les fers étaient-ils faits pour avilir tes bras ? Était-ce là le prix de trente ans de combats, De conseils, de travaux, suivis de la victoire, Qui soutinrent le trône, et qui firent sa gloire ? Ah ! qu’on nous laisse au moins la consolation D’habiter avec lui dans la même prison ; De partager l’horreur de son âme attendrie. Ses discours vertueux ranimeraient ma vie ; Nos soins, nos tendres soins réchaufferaient ses sens, Engourdis par le poids de ses fers et des ans ; Il reverrait sa fille, espoir de sa vieillesse, Cher objet de mes pleurs, et de notre tendresse : Je le désire en vain, mes voeux sont superflus ! On nous laisse ignorer s’il vit, ou s’il n’est plus... Et pour comble, je crains que le plus noir des hommes, Bessas, le vil Bessas n’apprenne qui nous sommes. Nous verrions le barbare, enrichi de larcin, Prendre, à nous insulter, un plaisir inhumain, Lui, qu’autrefois, dans Rome, où régnait la famine, On a vu signaler sa puissance assassine, Et vendre, au plus offrant, le droit de subsister. Ce détestable monstre, indigne d’exister, À la rigueur des lois fut livré par ton père ; Mais, comme tous les Grands, il sut les faire taire. Du fruit de ses forfaits il jouit en ces lieux, Quand l’innocence éprouve un tel sort à ses yeux. Écoutez moins un coeur qui grossit sa misère. Malgré ses ennemis, on connaît Bélisaire. Le seul Justinien, affaibli par les ans, Entouré d’imposteurs, d’envieux, de méchants ; Devenu soupçonneux, séduit par l’artifice, Le seul Justinien ne lui rend pas justice. Bélisaire a sur lui d’irrévocables droits ; Mille bienfaits l’ont mis au rang des plus grand Rois ; Jamais on ne l’a vu cruel que pour mon père : Nous irons à ses pieds, conduites par Tibère, Exposer les vertus d’un Sujet innocent ; Il nous rendra mon père, heureux et triomphant. Peut-être ce sera sa plus belle victoire. Je te l’ai dit souvent, ne pourras-tu m’en croire ? Éloigne, chère Eudoxe, un espoir séducteur. Tes yeux n’ont jamais vu la Cour, ni l’Empereur. De ta simplicité quelle est la confiance ! Ainsi que toi, Tibère est sans expérience ; Vous ne connaissez point le manège des Cours. N’attends de l’Empereur, ni pitié, ni secours. Mais l’Univers entier connaît notre innocence. L’Univers ne saura que nous plaindre en silence. Ose-t-on aux Tyrans dire la vérité ? Et l’Empereur peut-il connaître l’équité ? D’un peuple de flatteurs environné sans cesse, Leur intérêt nourrit et séduit sa faiblesse : Ne voyant rien lui-même, on le trompe aisément. D’un favori perfide il n’est que l’instrument, Pour perdre la vertu, pour élever le crime. Malgré la calomnie, un juste qu’on opprime N’a-t-il donc pas des droits, qui parlent tôt ou tard ? Non : ses vils oppresseurs, pour lui, sont un rempart, Qu’il franchit rarement, quand il est leur victime ; Leur haine ne connaît rien que de légitime. Contre eux la vérité n’a ni force, ni voix, Et ne peut que pleurer l’injustice des Rois. Je n’en ai que trop fait la dure expérience, En voulant d’un époux embrasser la défense. Ce souvenir toujours me glacera d’effroi. Je courus à la Cour : Ne comptez pas sur moi, Je ne puis rien pour vous, me dit l’Impératrice : C’est ainsi que les Grands savent rendre justice. Cependant, jusqu’alors, j’avais eu sa faveur, Je m’en applaudissais, j’en faisais mon bonheur. Mais les grands n’aiment rien !.. Tout fuyait à ma vue. De nos meilleurs amis je n’étais plus connue. Je vins à mon Palais, pour y cacher mes pleurs ; Tu le sais : j’y trouvai de nouvelles douleurs. Par ordre du Tyran à l’exil condamnées, On nous ôta nos biens, et nous fûmes traînées Secrètement ici, pour que nos faibles voix Ne pussent, quelque jour, faire parler nos droits. Proscrites, pour jamais, dans le fond de la Thrace, Quelques amis, tout bas, plaindront notre disgrâce, Tandis que mon époux, aux fers abandonné, Au gré de nos Tyrans, se verra condamné. Quand on n’a plus d’espoir, on n’a plus de courage : Je me sens, chaque jour, affaiblir davantage. Eudoxe, je mourrai, sans revoir mon époux ; Il périra sans-doute... et que deviendrez-vous ? Auriez-vous oublié, qu’en un temps plus propice, Avant d’être livrée aux mains de l’injustice, Si je n’eus un époux, il me reste un amant, Lié par son amour, plus que par son serment ? Lorsque l’iniquité, combla notre misère, L’hymen allait m’unir au destin de Tibère : Rien n’a pu dégager ses serments et sa foi. Peut-il de ses grands biens faire un plus noble emploi, Que d’essuyer les pleurs que répand l’innocence, Succombant sous les coups d’une injuste puissance ? Il formera des noeuds qui seront notre appui. Il faut à cet hymen renoncer aujourd’hui : Tibère nous oublie...         Ah ! puisque je l’adore, Je n’en saurais douter, il m’aime... il m’aime encore. S’il eût, à notre place, éprouvé notre fort, J’aurais volé, bravant les tyrans et la mort, Soulager, ou subir le sort de ce que j’aime. Tibère est vertueux, il agira de même. Un doux hymen sera le prix de cet amour, Qui, malgré nos malheurs, s’est accru chaque jour... Je vois paraître un char.... Ah ! Si c’était mon père... Si c’était !?.. mon coeur n’ose...         Ô mon cher Bélisaire ! Après tant de malheurs, je pourrais te revoir ! Mais ne nous livrons pas à ce flatteur espoir. Croyez-en cet espoir qui me flatte et m’inspire. Ma fille ! Qu’aisément on croit ce qu’on désire !... Ah ! Que je porte envie à ta sécurité ! Oui : je m’afflige moins de ma calamité, Que du ressouvenir d’un destin plus prospère. Mon humeur s’aigrissait des conseils de son père, Qui voulait réprimer l’orgueilleuse hauteur Que m’inspirait alors une vaine faveur. Le Ciel d’un coup de foudre éclaira ma folie ! Je l’ai vue, en tombant, et j’en suis bien punie... Qu’elle est loin d’éprouver un semblable tourment ! Mon coeur est pénétré d’un noir pressentiment, Qui, depuis quelques jours, accroît encor ma peine... Mais, par mon trouble, hélas ! n’augmentons pas la sienne. Remarquez ce Guerrier sur un char éclatant : À son noble maintien, je crois voir mon amant. Pouvez-vous l’espérer ? Votre amant ! Ah ! Ma fille ! Se souvient-il encor d’une triste famille ? Depuis que nous vivons dans cet affreux séjour, A-t-il daigné montrer quelques marques d’amour ? Absent, put-il savoir où nous a fait conduire En secret l’empereur ?         Il a dû s’en instruire. Connaissez mieux Tibère et son coeur amoureux : Il est sincère et noble, autant que généreux ; Et son amour plutôt s’est accru par l’absence : Notre infortune encor m’assure sa constance. D’un mépris insultant mon coeur n’est point payé. Son coeur la trompe. Hélas ! nos maux l’ont effrayé... Laissons lui son erreur ; l’espoir est de son âge. Sa mère, en frémissant, entrevoit son partage... Peut-être, aux yeux de Dieu, j’ai mérité mon sort, Mais s’il faut le subir, je préfère la mort. C’est lui-même... C’est lui ! Le voilà qui s’avance. Vient-il nous apporter la mort ou l’espérance ! Est-ce bien Antonine ? En croirai-je mes yeux ? L’état où je les vois, m’annonce qu’en ces lieux Le triste Bélisaire a rejoint sa famille.... Enfin, je revois donc son épouse et sa fille !... Pourquoi m’avoir caché, Madame, quel séjour Dérobait à mes soins l’objet de mon amour ? Pendant que dans les camps, parmi le bruit des armes, De l’amour, loin de vous, j’éprouvais les alarmes, Je ne m’attendais pas que les plus grands malheurs, Au lieu d’un doux hymen, nous préparaient des pleurs. Mon retour a détruit ma plus chère espérance. Hélas ! Vous n’étiez plus dans les murs de Byzance ; Je trouvai Bélisaire en prison détenu... Tibère, que fait-il, et qu’est-il devenu ? Il est libre, Madame.     Il est libre !         Ah ! Ma mère ! Il devrait être ici...         Je reverrai mon père ! D’un bonheur si charmant ne songeons qu’à jouir ; Et rendons grâce au Ciel, qui va nous réunir. Bélisaire triomphe ! Il écrase l’envie ! Tibère ! s’il est vrai, vous me rendez la vie... La force et le plaisir renaissent dans mon coeur. Parlez, instruisez-nous de tout notre bonheur. Puis-je dire à quel point je l’ai vu misérable, Sans leur porter au coeur un coup qui les accable ? Après l’avoir en vain si longtemps attendu, Tibère, mon époux me sera donc rendu ? Pourquoi, si notre sort encor vous intéresse, Pourquoi, sur votre front, vois-je de la tristesse Quand vous nous annoncez un suprême bonheur ? Au lieu d’en partager avec nous la douceur, Vous semblez renfermer quelque douleur amère. Êtes-vous effrayé de voir notre misère ? Ah ! De quel sentiment êtes-vous affecté ? Que Bélisaire arrive, et rende la santé A cette chère épouse, à la plus tendre mère ; Et vous verrez, Seigneur, qu’il n’est pas nécessaire De posséder les biens pour devenir heureux. Vous me voyez toujours brûlant des mêmes feux... Quelle que soit pour vous la fortune ennemie, Notre hymen seul fera le bonheur de ma vie. La fortune ennemie ! Hélas ! Tous vos discours, Loin de me rassurer... Parlez-nous sans détours. Que faut-il craindre encore ? Et serais-je déçue ? De Bélisaire enfin l’innocence est connue S’il est en liberté ?         Vous laisser cet espoir, Ce serait vous tromper ; vous allez le revoir. Madame, on n’a point fait justice à l’innocence ; Cet illustre héros ne doit sa délivrance Qu’à l’amour du soldat qui le redemandait ; On le rend à ses cris, parce que l’on craignait... Je voudrais vous cacher qu’on a fait Bélisaire Plus malheureux cent fois...         Il est libre, Tibère ! Il est libre et vivant, c’est tout ce que je veux. Qu’il revienne, et je suis au comble de mes voeux. En cultivant un champ, nous n’aurons rien à craindre. Loin du torrent des Cours, serons-nous plus à plaindre Que les simples mortels, habitants de ces lieux ? Avez-vous pu me croire à ce point odieux ? Moi, laisser Bélisaire à cet état indigne ! Ah ! Ce doute est, pour moi, l’affront le plus insigne. Et pourquoi donc, Seigneur ? Cette simplicité Fut celle des héros de Rome en liberté. Elle est digne de nous. L’illustre Bélisaire, Vainqueur comme eux, comme eux cultivera la terre. Son retard, vos discours, tout me rend mon effroi. On vient de ce côté.         Ma fille ! soutiens moi. Fuyons des inconnus l’approche curieuse, Leur stérile pitié me devient odieuse. Venez m’apprendre... et voir jusqu’où va mon malheur. Que ne puis-je parler ! Quel tourment pour mon coeur ! Je viens les consoler ; et je dois tout leur taire. Elle fuit... Ce n’est plus cette Antonine altière... Implacable ennemi ! Quel triomphe pour moi ! Les efforts de ta haine ont retombé sur toi. Ta famille, à mes yeux, en proie à l’indigence, Et ta mort expieront ton ancienne puissance. Ces objets à Bessas rendent l’exil bien doux ! Qu’à mon gré, mes amis ont servi mon courroux ! J’aperçois de l’un d’eux un esclave fidèle. Ah ! vient-il m’annoncer le succès dé leur zèle ? Parle, quel est le sort de mon fier ennemi ? Il est libre, Seigneur ; mon maître en a frémi. Et je m’applaudissais d’une heureuse vengeance ! Sa famille, en ces lieux, était dans l’indigence ! Quel plaisir j’aurais eu, chaque jour, à la voir ! Ce n’est que d’aujourd’hui que j’ai pu le savoir. À quel événement doit-il sa délivrance ? Des soldats révoltés on a craint l’insolence. Bélisaire, à leurs cris, est mis en liberté, Mais, par Justinien, privé de la clarté, Son aspect des mutins a redoublé la rage ; Ils ne respiraient plus que l’horreur du carnage. » Auprès de l’Empereur on a su me noircir ; Plaignez-le, leur dit-il, mais il faut le servir. Rejoindre ma famille est le bien où j’aspire : Je ne veux qu’un enfant qui puisse me conduire. » Ces mots des révoltés désarment la fureur ; Et Bélisaire part avec un conducteur. À deux milles d’ici, je l’ai vu qui mendie. Mais ce n’est point assez ; il est encore en vie ! Je connais l’ascendant qu’il a sur tous les coeurs : Il saura découvrir et punir nos noirceurs. L’amour a déjà fait ce que vous semblez craindre. Jusqu’où ce Dieu puissant ne peut-il pas atteindre ! De Tibère, Seigneur, vous connaissez l’amour. Qui l’aurait cru ! Tibère, au milieu de la Cour, Ose de Bélisaire attester l’innocence. L’Empereur de sa garde écartant la présence, S’abandonne sans crainte à cet audacieux. Dans un ancien château, qu’il a près de ces lieux, Le jeune homme, en ce jour, doit mener Bélisaire : Là, Justinien, seul et passant pour son père, Veut l’entendre et le voir, sans en être connu. Ce Tibère, sans doute, est le jeune inconnu. Voilà ce que j’avais, Seigneur, à vous apprendre. Peut-être à la vengeance, on peut encor prétendre ! Le succès de Tibère est encore douteux. L’Empereur a l’esprit facile et soupçonneux ; Si je puis lui parler, c’est fait de Bélisaire : Le bien, plus que le mal, est difficile à faire. Quand Tibère est aux pieds de l’objet de ses feux, Confondons ses projets, son espoir et ses voeux. Tibère est opulent et vient le soulager ; Mais de ses ennemis mon bras doit le venger.... Qu’à mon gré, ce héros lentement s’achemine ! Depuis que je suis libre, ô ma chère Antonine ! Je désire et je crains d’arriver en ce lieu. Quel coup va la frapper ! soutenez-la, grand Dieu ! Dieu puissant, qu’il invoque, arme aussi ta colère Contre ses oppresseurs et la nature entière ! Ô mon bon Général ! Je ne suis qu’un soldat ; Et depuis que j’ai vu le déplorable état Où l’injustice a mis votre auguste vieillesse, La vengeance m’inspire et m’agite sans cesse. Ce traitement horrible excite ma fureur ; Et j’aurai désormais ma patrie en horreur. Autant que j’en fus fier, l’ingrate ! la cruelle ! Je suis honteux d’avoir versé mon sang pour elle. Ami, dans quel pays voit-on les innocents Ne devenir jamais victimes des méchants ? Ce crime est sans exemple : il est trop effroyable. Les Tigres ! comme ils l’ont rendu méconnaissable ! Mais il est trop présent au coeur de ses soldats Pour oublier jamais ce qu’il fut aux combats : Il en sera vengé. Nommez-moi le perfide, L’exécrable bourreau de votre sang avide ; Dans ses coupables flancs, ma main cherchant son coeur, Ma main ira lui faire expier sa noirceur. La pitié que j’inspire, et t’aveugle et t’égare. Bélisaire ferait d’un brave homme un barbare ? Un perfide assassin d’un Soldat courageux ? Non.         Je l’ai résolu, je le dois, je le veux. Une telle vengeance au monde est nécessaire. J’ai quitté mes enfants, et ma femme, et mon père : Tout me déplaît : je hais les lieux où je suis né/ Quoi ! tu veux préférer le nom de forcené, D’infâme scélérat au nom si doux, si tendre, De fils, d’époux sensible ? Ah ! qu’oses-tu prétendre ! Va, calme ta fureur, et garde tes bienfaits ; Je serais digne alors des maux que l’on m’a faits. Ton discours a jeté le trouble dans mon âme. Reporte à tes enfants, à ton père, à ta femme, Les secours et les soins qu’ils attendent de toi ; Ceux que tu viens m’offrir sont indignes de moi. Pour un vieillard mourant, ton zèle est inutile : Retourne vers les tiens, et me laisse tranquille. Je rejette un forfait qui me glace d’horreur. Je veux à nos Tyrans inspirer la terreur. N’appelez point forfait une juste vengeance, Qui peut les empêcher d’opprimer l’innocence. J’irai, jusques aux pieds du trône et de l’autel, Dans leur barbare sein porter le coup mortel, En criant : périssez ! je venge Bélisaire. Ah ! quitte un tel dessein ; de quel droit, téméraire, Penses-tu me venger, et qui te l’a donné Ce détestable droit, qui te rend forcené ? Moi, qui suis l’offensé, je ne l’ai pas moi-même. Prétends-tu l’usurper sur le pouvoir suprême ? L’arracher à la Loi ?         Quand des mains du méchant La Loi ne suffit pas pour sauver l’innocent ; Quand on voit hautement la haine et l’artifice, Levant un front altier, consommer l’injustice, Il est temPs d’abjurer de mercenaires Lois : C’est à nous à rentrer dans tous nos premiers droits. Jeune homme ! les brigands tiennent tous ce langage ; Tu cites leur excuse. Un homme honnête et sage Sans-doute n’aime pas à voir les lois fléchir ; Dans son coeur, en secret, il ne sait qu’en gémir : Il gémirait bien plus, s’il voyait l’insolence Oser les violer avec tant de licence. Tu ne veux, me dis-tu, qu’effrayer les Tyrans ; Et tu vas imiter des crimes révoltants ! Ne rends pas odieux, par un si noir délire, Le noble sentiment que mon malheur t’inspire. Si c’était un mortel dans le monde ignoré ! Si c’était moi qu’on eût flétri, défiguré ! Seigneur, de le souffrir j’aurais eu le courage. Mais non : c’est Bélisaire ! un héros ! à son âge ! Le soutien de l’état ! Quand on doit couronner Sa valeur, ses vertus !... Peut-on le pardonner ? Moi, je l’ai pardonné, je le souffre en silence. Si mon seul intérêt t’excite à ma vengeance, J’y renonce : Est-ce donc à toi d’aller plus loin ? Garde ce noble feu, pour servir au besoin : Ton Prince et ton Pays, et non pas pour le crime. L’assassin de ses coups est lui-même victime ; Les Lois en ont dicté l’équitable tourment. Si je n’eusse écouté que le ressentiment, Le peuple entier, qui m’aime, eût lavé mon injure Dans le sang ennemi de la noire imposture : Mais ce n’est pas la peine ; et, quel que soit mon sort, J’offrirai des jours purs au tranchant de la mort. L’excès de vos malheurs allait faire un rebelle : Vous devez m’excuser, en condamnant mon zèle ; Je suis confus, Seigneur, de mon emportement... Que pour l’humanité son sort est flétrissant ! Oui, la terre, à jamais, en doit être indignée. Nous devons obéir à notre destinée. Apprends qu’il est des maux qu’on ne peut éviter ; Et l’homme juste, doit ne les pas mériter : Quand ils tombent sur lui, souffrir avec courage, Savoir les supporter, c’est le devoir du sage. Si jamais les abus que commettent des grands, Si la prospérité des traîtres, des tyrans, Si le mépris des lois excitent ta colère, Rappelle-toi mon sort, et songe à Bélisaire. Oublie, à l’avenir, des transports violents, Et va prendre le soin d’élever tes enfants. Mon coeur, loin de ces lieux, ne serait point tranquille. Non, non : je veux rester autour de cet asile, Et savoir si bientôt, par d’utiles secours, Tibère adoucira le reste de ses jours. Épouse infortunée ! Et toi, fille ingénue ! Pourrez-vous supporter ma déplorable vue ? Hélas ! Si, sans mourir, vous pouvez me revoir, De longs gémissements, les cris, le désespoir Rempliront tous vos jours ; je les entends d’avance. La solitude encor, l’abandon, l’indigence Combleront tant de maux !... leur voix perce mon coeur. Mon père est arrivé !     C’est lui-même !         Ah ! Seigneur, Je vole dans ses bras.         Ô mon cher Bélisaire ! Le Ciel nous réunit.         Mais que vois-je ?... Ah ! ma mère ! Par votre désespoir, ne comblez pas mon sort. Ô Ciel ! En quel état !.. Dieu ! donnez-moi la mort, Ou de la force assez, pour en prendre vengeance. Les monstres !... les Tyrans !... voilà sa récompense !... Ô ma chère Antonine ! imitez votre époux ; Modérez ces transports d’un impuissant courroux. Sans lui, sans son appui, vingt fois leur tyrannie Sous les débris du trône était ensevelie ! Elle a vu, par lui seul, son règne prolongé : Il en subit la peine ; et le monde est vengé... Quelle férocité !.. Quelle horrible bassesse ! Ô ciel ! arme contre eux une main vengeresse.... Époux infortuné ! viens dans mes bras tremblants... Par-tout je marcherai sur tes pas chancelants, Et je les conduirai... Pour toi, meurs... Ô ma fille ! Laisse dans sa misère une triste famille. L’infamie a couvert le timide innocent ; Le bonheur, qui le fuit, recherche l’insolent, Et la prospérité court au-devant du vice... Est-ce ainsi donc, grand Dieu ! que vous rendez justice ? Êtes-vous sans pouvoir ?         Quel spectacle d’horreur ! Ah ! pour ne point parler, qu’il en coûte à mon coeur ! De nos maîtres ingrats, hélas, voilà l’ouvrage ! Leurs larmes tour à tour inondent mon visage !.. Ces sanglots sont pour moi le plus cruel tourment ; N’écoutez désormais qu’un plus doux sentiment. Sans vos gémissements, j’aurais l’âme paisible... Ah ! Que regrettez-vous, épouse trop sensible ? Les biens et les honneurs ? Un souffle les détruit ; À les apprécier le malheur nous instruit : Savoir les dédaigner, c’est la force du sage. Donnez, donnez-le moi ce vertueux courage Que m’ôte la fortune, en m’accablant de maux. J’aurais bien supporté les ennuis, les travaux, L’opprobre et les regrets qu’entraîne la misère. Mais, grand Dieu ! dans mes bras voir une tendre mère Mourante de douleur ; un père chargé d’ans, Privé de la clarté par la main des méchanTs... Ils n’ont que devancé ce qu’eût fait la vieillesse, En m’ôtant la lumière ; et quant à la richesse, Qui ne fait s’en passer en saurait mal jouir. Ah ! la perte des biens ne me fait pas gémir, Le Ciel m’en est témoin ; j’aurais trouvé des charmes Dans la pauvreté même...         Hé bien, sèche tes larmes. Au sein de l’indigence et des plus grands malheurs, Eudoxe, la vertu trouve encor des douceurs : Viens embrasser ton père... Et vous, chère Antonine, Dans les afflictions, que le Ciel nous destine, Tendre épouse, expiez vos anciennes erreurs ; Souffrez avec constance, et calmez vos douleurs. Je me plaignais tantôt dans mon impatience ! Alors, j’avais encore un reste d’espérance... Je n’en ai plus... Seigneur, je compte encor sur vous, Mais ce n’est plus pour moi : dites à mon époux Ce qu’en notre faveur vous dicte la tendresse. Et quel est ce mortel qui pour nous s’intéresse ? Qui, témoin de nos maux, veut bien y prendre part ? Il n’est point étranger, magnanime vieillard ! Permettez qu’avec vous il répande des larmes ; À sentir vos douleurs son coeur trouve des charmes : C’est un fils, que vous même avez daigné choisir Ayant tant de malheurs, qui vient les adoucir. A ces soins généreux, je reconnais Tibère. Ah ! Vous n’avez donc pas oublié Bélisaire, Lorsque tout l’abandonne, et qu’il n’a plus d’amis ? Que vous êtes heureux de n’être pas mon fils ! On vous eût confondu dans notre destinée. Je viens... Seigneur, je viens achever l’hyménée, Qu’en d’autres temps...         Vos soins y seront superflus : Ce serait pour mon âme une douleur de plus. Quoi ! Les engagemenTs pris avec ma famille.... Je vous rends votre foi ; renoncez à ma fille. Ne me condamnez pas à d’éternels regrets... Mais, Tibère, en ce jour conçoit d’autres projets.. Il faut sur mon amour observant le silence, À l’Empereur d’abord montrer son innocence. Seigneur, j’ai de grands biens : peut-être est ce un malheur. Il dépendra de vous que ce soit un bonheur. J’ai, non loin de ces lieux, une maison tranquille, Que je veux consacrer à vous faire un asile. Je vous entraînerais dans mon malheureux sort. Que la Cour ait raison, ou que la Cour ait tort, Elle ne revient point : elle oublie un coupable Justement condamné ; sa haine est implacable Pour le juste innocent qu’elle a sacrifié ; Le bien qu’on veut lui faire est encore envié... De cet événement ne craignez point la suite. Un sentiment secret me rassure et m’excite. Peut-être je saurai plaindre votre malheur, Et vous justifier auprès de l’Empereur. On l’a trompé, Seigneur ; il suffit qu’on l’éclaire. Le Ciel peut seconder un effort téméraire. N’y pensons plus. Hélas ! Tibère, c’en est fait. Il ne faut point ouvrir ses yeux sur un forfait Qui serait le tourment de sa triste vieillesse. Si vous lui pardonnez sa coupable faiblesse, Plus indulgent encor, plus grand, plus généreux, Épargnez-lui, Seigneur, le reproche honteux De vous avoir laissé languir dans la misère. Oui, l’état où je vois l’illustre Bélisaire, Est, pour les gens de bien, odieux, révoltant ; Et, pour tous vos pareils, triste et décourageant. Vous vous trompez, mon fils ; celui qu’il décourage, S’il se croit mon pareil, ne me fait qu’un outrage. Ne me revoyez plus : adieu, séparons nous. Jetez, Seigneur, jetez les yeux autour de vous... Mais que dis-je !         Les yeux ! Il n’en a plus Tibère ; Et même il a perdu les entrailles d’un père. En faveur de son sang rien ne peut le fléchir Hé bien ! barbare époux, je n’ai plus qu’à mourir. Toi, ma fille ! en ces lieux, qu’il a couverts de gloire, Où son bras tant de fois enchaîna la victoire, Désormais Bélisaire, appuyé sur ta main, Partout de porte en porte, ira chercher du pain. Pour prix de tant de sang versé pour la patrie, L’aumône soutiendra les relies de sa vie. Quelle horreur pour ta mère, à son dernier moment !... Moi, je supporterais cet avilissement, Après avoir perdu mon amant et ma mère ! La mort est moins affreuse.... Ô mon père !... Ah ! Tibère ! Je ne me connais plus... je cède à la fureur... Je veux,... le désespoir me déchire le coeur... N’est-il aucun moyen de venger tant d’outrage ? Imitez Bélisaire, il voit ses maux en sage. J’admirais, chère Eudoxe, avec quelle vertu Vous l’attendiez tantôt.         Je ne l’avais point vu : Je ne connaissais pas route la destinée Qui devait accabler sa fille infortunée... Imitons, s’il se peut, les vertus d’un héros. Le malheur, le travail ne nous sont pas nouveaux ; Nous saurons en tirer le simple nécessaire ; Et nos mains fileront des habits à mon père. Je ne survivrai pas à ce fatal retour, Ma fille !.. Nous, Seigneur ! Oublions un amour, Qui put vous convenir, en un temps plus propice ; Ce n’est pas de mon coeur le moindre sacrifice. Cet amour, chère Eudoxe, est le même aujourd’hui. Non : la seule vertu doit être notre appui. Quelle est cette vertu, farouche, impitoyable Dont la fierté repousse une main secourable ? Je saurai la fléchir, avant la fin du jour. Je vais chercher mon père ; et jusqu’à mon retour, Suspendez les douleurs dont le poids vous accable : Nos efforts réunis le rendront plus traitable. Épargnez son grand coeur : ce malheureux Héros, Après tant de fatigue, à besoin de repos. De ces deux inconnus évitons la présence. Je me rassure un peu fur tant de bienfaisance. Un tel refus rendra l’Empereur curieux : Sans doute je pourrai l’amener en ces lieux. Ô ciel ! Fais qu’aujourd’hui la vérité l’éclaire ! Il suffit. Je connais le dessein de Tibère : Je suis sûr de le rompre, et je ne crains plus rien. Je n’ai pu parvenir à voir Justinien ; Loin de m’en affliger, ma joie en est extrême. J’imagine à l’instant, un nouveau stratagème. J’ai déjà fait partir un Esclave en secret Pour avertir Batès de mon premier projet. Des lieux, où l’Empereur ordonne de l’attendre, La garde qu’il commande, aujourd’hui doit se rendre Près des murs du château qui cache l’Empereur. Il en va sortir seul avec son conducteur, Qui hâte le succès de ce que je médite. Des esclaves armés, marchant sous ta conduite Les saisiront tous deux, au milieu du chemin, Et les menaceront d’une prochaine fin. Avec adresse, alors que ta troupe se rende Où seront les Soldats que ton maître commande. Il paraîtra sauver l’Empereur abusé. On vous arrêtera : Bélisaire, accusé D’avoir contre ses jours armé votre furie, Tombera sous nos coups, et payera de sa vie. Tout me semble annoncer le plus heureux succès. L’or et la liberté combleront tes souhaits. Ta fuite est assurée, en instruisant ton maître, Qui peut facilement te faire disparaître. Ne perdons point de temps. Il me tarde, Seigneur, De pouvoir vous montrer mon zèle et mon ardeur. Devancer mon retour avec empressement ! Je ne puis revenir de mon étonnement. J’en mourrai de plaisir ! divine impatience ! Qui couronne les traits de votre bienfaisance. Voilà donc le réduit de ce fameux vainqueur ! D’un héros qui, vingt fois, fut mon libérateur ! Ce que tu m’en as dit serait-il bien possible ? Ah ! S’il est vrai, je suis un exemple terrible D’erreur, d’ingratitude et d’inhumanité.... Mon ami ! Qu’ai-je fait ? J’en suis épouvanté. Mon appui, mon vengeur, l’innocent Bélisaire Par mes ordres cruels a perdu la lumière, Sa gloire, son état, ses honneurs et son bien !... Au nombre des Tyrans voilà Justinien ! L’horreur de l’injustice accable ma vieillesse... Je ne saurAis trop tôt réparer ma faiblesse. Que cet emprelTement la répare à mes yeux ! Vous, qui voulez régner, mortels ambitieux ! Jetez les yeux sur moi, sur ce qui m’environne : Redoutez les erreurs que commet, sur le trône, Un Prince, dont les voeux ne tendirent jamais Qu’à faire son bonheur du bien de ses sujets. Seigneur, écoutez moins un remords légitime. Sans doute votre erreur n’est pas un si grand crime ; Et puisque vous pouvez l’effacer aisément, Pourquoi, Seigneur, pourquoi vous en faire un tourment ? Je pourrais l’effacer ! tu m’abuses, Tibère ! Je puis rendre, il est vrai, son rang à Bélisaire : Est-il en mon pouvoir de lui rendre les yeux ? Pour l’en avoir privé, suis-je moins odieux ? Ce forfait seul serait l’opprobre de ma vie. Mais ce forfait, Seigneur, est celui de l’envie ; Et sans elle, jamais vous ne l’eussiez commis. C’est ce qui fait ma peine, et de quoi je gémis. En vain donc pour le bien une volonté pure Remplit le coeur des Rois ; sans cesse l’imposture, Pour exercer par eux la noire iniquité, Écarte de leur Cour la simple vérité. Puissé-je la trouver loin d’une Cour perfide ! Je m’abandonne à toi, Tibère, sois mon guide. Qu’un éclaircissement allure mon repos. Entendons Bélisaire ; et si c’est un Héros Injustement flétri, ce que j’ai peine à croire, Qu’il recouvre ses biens, ses honneurs et sa gloire ; Aux yeux de l’univers montrons mon repentir : Heureux, s’il peut éteindre un fatal souvenir Eudoxe, m’as-tu dit, ne connaît point ton père ; Éloigne cependant et la fille et la mère. Il s’avance...         À mon trouble il n’est rien de pareil. Cherchons vers le couchant les rayons du soleil ; Il ne m’éclaire plus, mais il m’échauffe encore : C’est le tableau vivant de l’être que j’adore. Ô ciel !... En le voyant, mes sens sont confondus, Suis-je digne de voir le jour qu’il ne voit plus ? Est-ce là ce Héros qui savait me défendre ? Tibère, soutiens-moi !         Quel cris viens-je d’entendre ? C’est mon père, Seigneur, qu’un tendre sentiment Retient, à votre aspect, dans le saisissement. Qu’il approche, Tibère, afin que je l’embrasse... Je le touche avec joie... Ah ! modérez de grâce Cet excès de pitié qui vous trouble tous deux. J’admire les vertus de ce fils généreux : Elles consoleront votre heureuse vieillesse. Espoir délicieux !         Oui.... si... dans sa jeunesse... Vous daignez... lui donner.... de prudentes leçons Qui préservent son coeur des funestes poisons Du vice et de l’erreur, qui sont notre partage. Que lui puis-je enseigner, qu’un père honnête et sage N’ait appris à son fils, avant mes faibles soins ? Il apprendra de vous ce que je sais le moins. Je connais peu la Cour, et Tibère y doit vivre. Les usages, les moeurs, le ton qu’il y faut suivre, Autant que pour mon fils, sont étrangers pour moi ; Puisque vous rejetez ses présents et sa foi, Du chaos de la Cour daignez au moins l’instruire. S’il est jamais admis aux conseils de l’Empire, L’art de bien gouverner lui sera moins nouveau. Bientôt Justinien va descendre au tombeau ; Et plus heureux que lui, son successeur peut-être Recevra, par mon fils, les leçons d’un tel maître. Ah ! que ne puis-je encore, une fois seulement, Du bien de mon pays devenir l’instrument ! Ô mon fils, profitez de mon expérience : Mais sur tous mes discours j’exige le silence. Pourquoi ?         Pour épargner un Prince malheureux, Dont je trouve déjà le sort trop rigoureux. Le mal dont il m’accable, il l’a fait par faiblesse ; Et je ne voudrais pas affliger sa vieillesse. Cruel Justinien ! Quelle honte pour toi ! Son crime est seulement d’avoir ajouté foi Aux discours séduisants de la basse imposture. Parlez avec respect, Seigneur, je vous conjure, D’un Monarque abusé qu’il ne faut point haïr : Il est lui-même à plaindre, en me faisant souffrir. Ma gloire en est plus grande au sein de la misère. Mes amis, connaissez le coeur de Bélisaire. Quelqu’affreux que paroisse à vos yeux mon état... Quoi ! vous pouvez ainsi ménager un ingrat, Qui de tant d’infamie a payé votre zèle ? Seigneur, on l’a trompé sur un sujet fidèle. Nourris dans l’indolence, enivrés de l’encens De mille adulateurs et de leurs courtisans, Les Rois n’entendent point la vérité timide Qui se plaint vainement d’un oppresseur avide. Ô ciel !         Si quelquefois, par un heureux hasard, Le mérite aux faveurs arrache quelque part ; Bientôt l’intrigue sourde et la haine couverte Unissent leurs efforts pour consommer sa perte. Le Prince, par degrés, se prête à leur noirceur, Et sort du doute enfin, pour tomber dans l’erreur. Pour n’être point trompé comment doit-il donc faire ? Si le Prince, Seigneur, désire qu’on l’éclaire, Qu’il n’interroge pas, au fond de son Palais, Des courtisans flatteurs le cercle trop épais : C’est de la vérité la constante barrière : C’est-là que l’imposteur, levant sa tête altière, Répand adroitement son funeste poison ; C’est-là qu’enfin les Rois sont dans une prison. Mais qu’ils sachent quitter leurs brillantes entraves ; Qu’ils osent s’échapper des mains de leurs Esclaves, Pour aller du public interroger la voix ; Le public est le juge et l’oracle des Rois : C’est l’appréciateur du talent, du mérite. Un Prince affable, ainsi, l’encourage et l’excite ; L’homme simple du peuple en parle en liberté, Et le brusque Soldat lui dit la vérité : Il ne l’entend jamais du courtisan avide : Le mensonge, à sa Cour, l’obsède et le décide. Qu’on ait pu vous noircir auprès de l’Empereur, Vous, qui fûtes, trente ans, son appui, son vengeur, C’est ce qui me confond ; je ne puis le comprendre. Rien ne fut plus facile, et je vais vous l’apprendre. Vous verrez comme un Prince est séduit aisément. Votre fille s’avance avec empressement. La verrai-je toujours les yeux baignés de larmes ! Que ne puis-je hâter la fin de ses alarmes ! Ma mère s’affaiblit et désire vous voir. Elle est plus agitée ; et dans son désespoir, Elle veut quelquefois attenter à sa vie. Mon sort a révolté cette épouse chérie. Amis, permettez-moi de la voir un moment, Pour tâcher de calmer son vain emportement. Qu’attendez-vous, Seigneur ?...         En cet instant, Madame, Qu’il serait doux pour moi de soulager votre âme Du poids de l’amertume où je la vois languir ! Que n’en puis-je effacer jusques au souvenir ! Et c’est aussi l’objet des souhaits de mon père. Je le répète encor, trop généreux Tibère ! Je ne puis accepter vos dons ni votre foi : Ce serait vous plonger dans l’abîme avec moi. Oui, Seigneur, renoncez à l’hymen de ma fille, Et ne désolez pas votre heureuse famille. Laissez, laissez la mienne en proie à ses douleurs ; Ne les augmentez point par vos propres malheurs. Ce n’est pas là le prix que le Ciel me destine. N’en parlons plus, Seigneur. Allons voir Antonine. Il fut aimé du peuple ! Et toujours ses amis Des Maîtres des humains furent craints et haïs ; Leur état cependant est d’en être les pères. Que ces réflexions pour les Rois sont amères ! Ah ! rien n’est plus certain ; contre lui, cet amour Donna prise, Seigneur, aux noirceurs de la Cour. Mon cher Tibère, hélas ! dis à ma jalousie. On me le faisait craindre... Ô trop funeste envie ! Quel heureux repentir ! Seigneur, n’y pensez plus ; Et sans vous occuper de regrets superflus, Accourons soulager cette auguste famille. Touche depuis longtemps des charmes de la fille, Je borne tous mes voeux à mériter son coeur. Venez-vous éclaircir, et hâter mon bonheur. S’il ne m’a point trahi, quel sort pour Bélisaire ! Tout ce qu’il nous a dit te paraît-il sincère ? Pourquoi refuse-t-il ta main et tes bienfaits ? A-t-il, pour subsister, quelques moyens secrets ? Hélas ! mon coeur encor n’est pas sans défiance. Je réponds de son zèle et de son innocence... Je voudrais, avant tout, entendre le récit Qu’il allait commencer de ce qui le perdit. Contre la vérité c’est trop de résistance. Daignez voir seulement leur extrême indigence. Ah ! ne différez plus. Il est temps de finir Les malheurs inouïs qui les ont fait gémir.... Seriez-vous sans pitié ? vous avez vu les larmes, Le mortel désespoir, et la crainte, et les charmes... Tout jette dans mon coeur plus de confusion, Et rien, jusqu’à présent, n’y détruit le soupçon. Mais je te l’avouerai, malgré ma défiance, Mon coeur avec le tien est trop d’intelligence... J’ai différé longtemps de le sacrifier : Pourquoi n’a-t-il, alors, pu se justifier ? Par où sortir, hélas, du trouble qui m’accable !... Va dire à Bélisaire, ( innocent ou coupable ) ... Va lui dire... en un mot, va les consoler tous. Dieu ! quel emploi flatteur ! Et pour moi qu’il est doux ! C’est trop d’incertitude, et ma bonté s’en lasse... Sur la voix de mon coeur j’ai dû lui faire grâce. Je reçois un avis qui vous touche, Seigneur, Et fait taire, à présent, l’intérêt de mon coeur. Quand vous daignez combler les voeux de ma tendresse, Votre danger, Seigneur, est le seul qui me presse. Partons, sans différer ; et pour sauver vos jours, Laissons des malheureux sans espoir de secours. J’apprends que dans la plaine, on a vu des Bulgares. Redoutons de tomber aux mains de ces barbares. Bélisaire a souvent défait ces furieux ; Demain... Mais non, plutôt demeurez en ces lieux. Oui, Seigneur, demeurez, c’est le Ciel qui m’inspire : Ils n’y chercheront point le maître de l’Empire. Cependant j’irai faire avancer vos Soldats. Consultez Bélisaire ; au défaut de son bras, Ses conseils montreront son ardeur et son zèle : Vous connaîtrez, Seigneur, s’il fut traître et rebelle. C’est assez : vole, ami, le temps est précieux. Je vais récompenser le zèle Officieux Du Soldat... Vers Batès ce Soldat me devance. Je le suis : vous, Seigneur, consolez l’innocence. Ah ! Seigneur ! Arrêtez ; vous courez à la mort. Que mon exil m’est doux ! que je bénis mon sort ! Ô jour trop fortuné, qui va faire connaître Mon pur attachement pour mon souverain maître ! Hélas ! Seigneur, tremblez ; et connaissez Bessas. Tibère dans ces lieux ne conduisait vos pas, Que pour vous immoler aux fureurs d’un barbare. Bélisaire a lui-même appelé le Bulgare Pour mieux exécuter ses insolents projets. J’espère en détourner le funeste succès. Le traître, cependant, croit consommer son crime : Et pour faire, à ses pieds, expirer sa victime, Tibère a feint d’aller avertir vos Soldats. Vous verrez, que, bientôt revenant fur ses pas, Il allait seulement informer les Bulgares. Mes soins heureusement, devançant ces barbares, Ont prévenu Batès, qui marche vers ces lieux : Le voile de la nuit, qui va couvrir les cieux, Dérobera sa marche à la horde ennemie. Pour mettre cependant à couvert votre vie, Sans différer, Seigneur, il faut les prévenir. Mes Esclaves armés sont prêts à les punir : La nuit, pour cet effet, nous sera favorable ; Et vous ne craindrez plus l’un et l’autre coupable, Avant que sur vos jours leur bras ait pu tenter L’exécrable projet qu’ils osent méditer. Je l’ai prédit, Seigneur !         Perfide téméraire ! Renfermez les transports d’une juste colère : Dissimulez, Seigneur, et qu’il vienne avec vous. L’ennemi s’avançant partout autour de nous, De tous côtés, Seigneur, offre un sur esclavage ; Mais, à l’instant, la nuit va m’ouvrir le passage. Que vois-je ? Quels regards ! ils me glacent d’effroi. Ah ! Seigneur,         Il suffit. Tibère, suivez moi. Le hasard m’a servi bien mieux que la prudence ; Au gré de mes souhaits, il hâte ma vengeance. De mon père, un moment, évitons la présence. Tandis qu’avec ma mère il s’afflige en silence, Ô nuit ! à la faveur de ton obscurité, Ne pourrai-je, loin d’eux, gémir en liberté ? Tibère n’a pas vu sa déplorable amante Dans les bras affaiblis d’une mère expirante... Qui peut avoir fait fuir et le père et le fils ? Nous accableraient-ils d’un insultant mépris ? Eudoxe !... Elle nous fuit...         C’est la voix de mon père. Elle pleure en secret... Courage, Bélisaire : Ton coeur est sans reproche aux yeux de l’éternel. S’il le voit sans pitié, qu’il est dur et cruel ! Eudoxe ! Je t’entends... Tu nous caches tes larmes. Viens plutôt dans mon sein déposer tes alarmes ; Invoque, avec ton père, un Dieu consolateur. Ah ! s’il est vrai qu’il lit au fond de votre coeur, De ce coeur sans reproche, il commet l’injustice. Ma fille ! Quelle erreur !         Il protège le vice. Eudoxe ! il le punit.         Les méchants sont heureux. Leur bonheur est il fait pour des coeurs vertueux ? L’éclat de leur richesse est un triste avantage : La crainte et le remords sont toujours leur partage. Le nôtre est la douleur, la mort, la pauvreté... Quel prix de la vertu ! quelle étrange bonté ! Hélas ! qu’un tel discours afflige ma vieillesse ! Ce murmure obstiné redouble ma tristesse ; Et ce n’est que par vous que je suis malheureux Au milieu de ces maux, qui vous semblent affreux. Dieu ! de les supporter donnez-moi le courage. Ah ! je sens que ces pleurs, qui baignent mon visage, N’ont plus la même cause.... ils rassurent mon coeur ; Ma fille, dans mes bras, gémit de son erreur. Hé bien ! mon père, hé bien ! souffrons donc sans murmure. Mais du moins permettez des pleurs à la nature ; Pour des maux si cruels faible soulagement ! Verse-les dans mon sein, ces pleurs du sentiment : La peine partagée, à porter plus facile, Rend bientôt la douleur plus douce et plus tranquille. Les offres de Tibère...         Il n’y faut plus songer. Nos cruels ennemis lui seraient partager, Pour prix de ses bienfaits, le sort qui nous accable. Voudrais-tu, comme nous, le rendre misérable ? EUDOXE. Ciel ! mets un autre prix à ses foins généreux ! Mais je connais Tibère ; il sera malheureux En voyant, sans secours, languir votre vieillesse. Je ne veux recevoir que ceux de ta tendresse. J’ai peu de jours à vivre. Avec peu de besoins, Pour moi, pour Antonine, il suffit de tes soins. Vivez, vivez longtemps ! Votre fille chérie Vous consacre, à ce prix, le reste de sa vie, Renonce à son amour, et fera son bonheur, S’il se peut.... En est-il au comble de l’horreur !... Ah ! laissez-vous fléchir à la voix de ma mère... Une épouse touchant à son heure dernière, Avant que d’expirer, veut disposer de moi ; Avant tant de malheurs Tibère avait ma foi, Et son amour, depuis, s’est augmenté sans cesse : Quand il ne veut pour dot qu’une égale tendresse, Pourquoi le refuser ? Tibère est vertueux ; De me donner la main il se croirait heureux ; De recevoir sa foi je le serais moi-même, Puisque j’arracherais à la misère extrême, À sa mort, et bien plus... à la mendicité.... Mon Dieu ! rendez le calme à son coeur agité ! Il n’est point d’infortune à la nôtre pareille... C’est lui-même....         Quel bruit a frappé mon oreille ? Un poignard à la main des monstres furieux !... Ah ! Bélisaire encore fait-il des envieux ? Ses cruels ennemis, comblant leur infamie, Viennent nous arracher les restes de sa vie. Hé bien, monstres, frappez ! Par un forfait nouveau, Confondez sa famille en un même tombeau. Ne pouvant espérer ni secours, ni vengeance, Puisque le Ciel se plaît à perdre l’innocence, Mourons... Il faut toujours compter sur sa bonté. En proscrivant Bessas, tu l’as bien mérité. C’est ici le séjour de ce grand Bélisaire. L’aspect de ces débris excite ma colère. Qu’on le cherche, Soldats : Ce malheureux héros Ne peut-être fâché qu’on trouble son repos, Quand vous l’aurez instruit du sujet qui m’amène : Annoncez-lui qu’un Roi vient pour servir sa haine. Qu’elle doit être forte !... Après ce qu’il a fait, Se voir ainsi traité !... Quel horrible forfait ! Quel opprobre pour toi, vil Tyran de Byzance ! Mais il ne mourra point sans en tirer vengeance. Je vais, contre ton trône, armer son bras vainqueur. Sans doute ce Héros, outré de son malheur, Cherche tous les moyens de venger son outrage ; Je saurai, pour te perdre, en tirer avantage : Oui, ton règne est fini, faible Justinien ! Pendant trente ans entiers, seul il fut ton soutien... Contre tes ennemis défendant ton Empire, Il a su l’élever, il saura le détruire... Que ce brave Soldat soit mis en liberté. Quel est ce Roi, sensible à ma calamité ? Ah ! viens, mon père, viens ! C’est le Roi des Bulgares. Tu verras si c’est nous qui sommes les barbares. Quand il n’est plus pour toi d’asile en ton pays, Tu trouveras en nous des vengeurs, des amis. En ce moment, Seigneur, envoyés par l’envie, De lâches assassins attentaient à sa vie. Pour auteur de leur crime ils ont nommé Bessas : Votre heureuse présence a retenu leur bras. Bessas, l’affreux Bessas craint encor ma misère. Parle, où faut-il chercher ce monstre sanguinaire ? Seigneur, dans ces lieux même, en un vaste Palais, Ce Tigre dévorant jouit de ses forfaits. Allez, qu’on le saisisse. Il n’est pas nécessaire De parler des malheurs qu’éprouve Bélisaire Pour exciter son coeur à venger son affront. Non, mon père, je lis ton courroux sur ton front, Et je viens le servir : de ton coupable maître Le crime est inouï, le châtiment doit l’être. Sois mon guide : apprends-moi, magnanime vieillard, À vaincre ce Tyran : il n’a point de rempart Qui puisse résister à ta voix vengeresse ; Il ne t’a point ôté les yeux de la sagesse. Puisque tu fus longtemps son unique soutien, De le vaincre aisément tu connais le moyen. Montrons à l’Univers sa puissance écrasée. Sous les débris sanglants de sa ville embrasée, Il faut l’ensevelir avec les imposteurs Qui tramèrent ta perte et firent tes malheurs. Ou bien, si ton grand coeur répugne à le détruire, Au-delà de nos mers reculons son Empire. Commande à mes Soldats, dispose de mon sang ; Et si ce n’est assez pour toi du second rang, Partageons les honneurs du sacré diadème ; Et que Justinien, dans ce désordre extrême, Avant que d’expirer, voie encore une fois Le triomphe, à Byzance, honorer tes exploits. Dieu ! vous écoutez donc la timide innocence ! Ah ! portons à ma mère une douce espérance. Tu vas payer ses pleurs, cruel Justinien ! Il demeure interdit, et ne me répond rien ! S’il eût aimé, Seigneur, le carnage et le trône, Bélisaire a deux fois refusé la couronne ; Carthage et l’Italie ont prévenu mes voeux : Je pouvais l’accepter, sans me rendre odieux ; D’en jouir plus longtemps j’étais alors dans l’âge. Quoique dès lors en but à la haine, à la rage Fidèle à la patrie, au Prince, à mon devoir, Rien n’a pu m’entraîner...         Quoi ! L’absolu pouvoir, L’amour de la vengeance....         Ah, Seigneur ! je l’abhorre. Le noeud qui me liait alors, subsiste encore, Rien n’a pu le trancher ; quand j’ai donné ma foi, Prévoyant qu’on serait trop injuste pour moi, Je n’ai pas réservé le droit de me défendre. Quel étrange refus ! Et devais-je l’attendre ! N’attendez rien de moi contre Justinien ; Je serais contre vous encore son soutien, Si, dans mon triste état, je pouvais quelque chose : Au défaut de mon bras, ma voix défend sa cause. Ah ! Loin de le chercher, moins en Roi qu’en brigand, Pour le plaisir cruel de répandre du sang, Un Prince, tel que vous, sage, vaillant, auguste, Peut former un projet, et plus noble et plus juste. Le bon Justinien ne veut plus d’ennemis ; Et vous méritez d’être au rang de ses amis : Il est très-peu de Rois que ce titre n’honore. Moi ! que je sois l’ami d’un Tyran que j’abhorre ! Peut-on lui pardonner sa conduite envers toi ? Mais veux-tu te venger, et régner avec moi ? Que parlez-vous, Seigneur, de sceptre et de vengeance ? Vous ne connaissez pas le prix de l’innocence : Quand elle sait souffrir, rien n’égale ses droits. Dans ma prospérité, j’ai su vaincre les Rois, Je les ai soutenus, et n’ai pas voulu l’être ; Et s’ils m’ont condamné, j’en suis plus grand peut-être. Quelle étrange vertu !         Malheur à vous, hélas ! De la trouver étrange ; et ne voyez vous pas Qu’elle est le fondement de tout pouvoir suprême ? Que nul homme n’est juge et vengeur de soi-même, Ou l’on verrait bientôt renverser les états. Si vous donniez, Seigneur, ce droit à vos soldats, Pourriez-vous soutenir le poids de la couronne ? Mes Soldats ont ce droit, sans que je le leur donne, La crainte les retient ; mais toi, que craindrais-tu ? Qui peut te retenir ? Répond moi !         La vertu : Je n’espère plus rien, je n’ai plus rien à craindre. Dans l’état où je suis, je vous parois à plaindre ; Et vous êtes, Seigneur, plus à plaindre que moi. Regardez les sujets qui sont sous votre loi, Qui, pour votre malheur et celui de la terre, N’ont point d’autre métier que de faire la guerre : Toujours nourris de sang, ils ne goûtent jamais Les tranquilles douceurs, ni les biens de la paix ; Dans la destruction cherchant leur nourriture, Ils foulent à leurs pieds les lois de la nature : Quand ils quittent leurs toits, pour désoler nos champs. Vous conduisez leur fer dans nos malheureux flancs, Êtes-vous si cruel que de trouver des charmes À vous baigner toujours dans le sang, dans les larmes ? Ah ! Seigneur, pardonnez je pense avec effroi, Qu’avoir de tels sujets ce n’est pas être Roi ; C’est être le fléau de la nature humaine ; Je préfère à ce titre, et mes maux et ma peine. Est-ce toi que j’entends ? toi, dont le bras vainqueur En cent combats divers signala sa valeur ? Bélisaire fait trop que l’amour de la guerre Est le plus grand des maux qui ravagent la terre : De son terrible éclat je suis bien revenu ; Et je voudrais, Seigneur, ne l’avoir point connu. Dans les camps, il est vrai, j’ai prodigué ma vie, Mais ce fut pour défendre ou venger ma patrie ; Et jamais, altéré de rapine et de sang, Les peuples ne m’ont vu les chercher en brigand : Moins heureux qu’affligé du succès de mes armes, La victoire toujours m’a fait verser des larmes. Qu’il est triste, Seigneur, d’embraser des maisons, D’égorger des humains, de brûler des moissons, Et d’arroser de sang les pays qu’on désole ! Ah ! Malheur au coeur dur que la gloire en console ! Il faut trop acheter le nom de conquérant : Un Prince, aimant la paix, est mille fois plus grand. Hé bien, n’en parlons plus. Mon âme se déchire. Ô malheureux vieillard ! Je respecte et j’admire. Cette fidélité, digne d’un autre prix ; Et pour Justinien que je sens de mépris ! Mais il n’en est pas moins l’objet de ma colère. Ah ! qu’il s’est fait de mal, en perdant Bélisaire ! Plaignez-le donc, Seigneur, plaignez les souverains, D’être obligés d’agir par d’infidèles mains. Oui, sachez les juger avec plus d’indulgence ; Le mensonge souvent égare leur puissance. Je connais bien les cours ; et croyez moi, Seigneur, Par degré l’imposture a séduit l’Empereur. Enfin, puisque ton coeur excuse sa faiblesse, Que mes présents, au moins, soulagent ta vieillesse. Puis-je les accepter ? Vos présents sont les biens Pris sur vos ennemis, sur mes concitoyens ; Ce n’est que la dépouille, hélas ! de ma patrie ; Et ma gloire, Seigneur, en serait trop flétrie. Je suis reconnaissant d’une telle bonté ; Mais laissez Bélisaire à sa calamité : Je préfère à vos soins l’oubli de mon injure. Adieu : j’ai des devoirs à rendre à la nature : Mon épouse succombe au poids de ses douleurs, Et ma fille m’attend pour essuyer ses pleurs. J’admire ta fierté, mais elle est trop cruelle. Ta famille gémit : sois sensible pour elle ! Je rends grâce à vos soins : dans ces premiers moments, Vous m’en tenez, Seigneur, éloigné trop longtemps. Je reste confondu... Quelle âme ! quel courage ! Faible Justinien, je t’en hais davantage ! Amis, semons partout l’horreur et le trépas ; Et commençons d’abord par l’infâme Bessas. Vous le voyez, Seigneur ; le voilà ce perfide, De ses concitoyens, des héros homicide. Ils vont être vengés d’un coeur lâche et sans foi. Sa présence m’inspire et l’horreur et l’effroi. Sous le fer, à l’instant, que ce monstre périsse, Ainsi que ce vieillard, sans doute son complice ! Ah ! Seigneur ! Permettez qu’avant d’exécuter... Soldats ! Qu’on les entraîne !         Ah ! daignez arrêter. Frappez le vil Bessas, mais épargnez mon père. Nous sommes l’un et l’autre amis de Bélisaire, Et nous étions liés avant tous ses malheurs. Nous venions aujourd’hui soulager ses douleurs, Et ma famille allait s’unir a sa famille, Au gré de mes désirs, par l’hymen de sa fille. Quand j’espérais toucher au comble de mes voeux, Vous avez apporté l’épouvante en ces lieux. Dans le château voisin, fuyant votre esclavage, Nous avons rencontré cet hôte plein de rage, Qui violant les droits de l’hospitalité, Attente avec audace à nôtre liberté, Nous accusant, Seigneur, d’être d’intelligence Avec vous, pour trahir l’Empereur de Byzance. On vous fera, Seigneur, remettre la rançon... Nous l’avons retiré d’une affreuse prison. Ce vieillard, qu’il défend, nous a paru coupable, Seigneur, avec Bessas nous l’avons pris à table. Qu’on les garde ! Il suffit. S’il dit la vérité, Que tous deux, sans rançon, soient mis en liberté, Ou sinon, qu’on punisse et le fils et le père, Demain, quand vous aurez consulté Bélisaire ; Il a déjà dicté l’arrêt du vil Bessas. Gardes ! Sans différer, qu’on l’entraîne au trépas ? Il semble que la nuit ait prolongé son cours, Et veuille retarder le dernier de mes jours. Ma fille ! La fureur a ranimé ta mère. À de pareils secours préférer la misère ! Ce refus me révolte, et c’est trop le souffrir : Je veux les accepter, Eudoxe, ou bien périr. Engageons ton amant à venger tant d’outrage. Cet espoir me soutient et me rend du courage. À se joindre au Bulgare, il le faut exciter ; S’il est digne de toi, s’il veut te mériter, Pour venger son amante il doit tout entreprendre. À l’insu de ton père il faut ici l’attendre. Du moins, par ton hymen, puissé-je, avant ma mort, Arracher ma famille à son funeste sort ! Ô Ciel ! Aide nos mains à punir l’injustice !... Seconde-t-il nos voeux ? Nous devient-il propice ? J’aperçois des soldats qui marchent vers ces lieux... Oui ?... Ce sont nos amis... Tibère est avec eux. Je vais l’entretenir, retournez vers mon père ; Qu’il ignore un projet à ses voeux si contraire. Il n’en soupçonne rien ; servons-le malgré lui. Puissé-je y réussir, ou mourir aujourd’hui ! Venez, mon cher Tibère, avec impatience La malheureuse Eudoxe attend votre présence... Ils vous ont mis aux fers !... Mais ils sont nos amis. Bulgares, délivrez et le père et le fils ! Nous devons, sur leur sort, entendre Bélisaire. Gardez-vous de troubler le repos de mon père ! Ils sont libres, Madame : on va les détacher. Si nous manquions d’égards pour ce qui vous est cher, Ce serait mal servir un Roi qui vous honore. Bulgares, un moment ; daignez attendre encore. Ils nous offrent aussi des secours généreux ; Tibère voudrait-il, de concert avec eux, Réparer les malheurs du triste Bélisaire ? Ah ! disposez de moi : parlez ; que faut-il faire ? Mais non ; sans ces brigands, avant la fin du jour, Je saurai vous prouver mon zèle et mon amour ; Et comptez qu’aujourd’hui l’état seul d’Antonine Peut troubler le bonheur que le Ciel nous destine. Il est entre vos mains. En disposant de moi, Elle va vous donner, et ma main et ma foi, Si vous voulez...         Après des faveurs aussi rares, Vous n’avez plus besoin de l’appui des Bulgares ; J’en serais trop jaloux, et je puis bien, sans eux... Ils viennent nous venger d’un tyran odieux. Si vous aimez Eudoxe, il faut, mon cher Tibère, Seconder leurs efforts, pour servir Bélisaire : Ma main est à ce prix.         Ô Ciel ! qu’ai-je entendu ! Vous voyez votre amant, interdit, confondu... Tibère a-t-il trompé ma plus chère espérance ? Il n’est point mon amant, s’il craint, ou s’il balance. Je suis trahi !     Seigneur !         Après tant de fierté, Ah, tout autre que moi n’en aurait pas douté ! Le traître Bélisaire est l’ami des Bulgares ! C’était pour me livrer aux mains de ces barbares, Qu’il feignait de me plaindre, hier, en me parlant ! Éloignez vos soucis et ce doute accablant ; J’en suis bien sûr, Seigneur, vous n’avez rien à craindre. Ô Ciel ! Avec quel art le perfide sait feindre ! Quel piège on m’a tendu ! Puis-je voir sans effroi, Avec combien d’audace abusant de ma foi, Cet imposteur parvient à consommer son crime ! Bélisaire, à ses pieds, veut frapper sa victime ; Il veut être témoin de mon dernier soupir, Ma mort, s’il ne l’entend, est pour lui sans plaisir. Qu’on me livre aux tourments, Seigneur, s’il est coupable ! Mais si de vous trahir Tibère était capable, Il n’aurait qu’à parler ...         Jeune homme audacieux ! Mes Gardes ne sont pas éloignés de ces lieux ; Hâte-toi, scélérat, d’assurer ta vengeance, Ou je pourrai bientôt punir ton insolence : Ils sont prêts d’arriver, et mon juste courroux Sur qui m’aura trahi fera tomber ses coups. Ah !... vous êtes encore au pouvoir du Bulgare !... Oui : vous même, craignez que l’amour ne m’égare. Révoque, chère Eudoxe, un ordre si cruel ! Ton coeur m’est trop vendu, s’il me rend criminel. À quel prix est ta main !... J’aperçois Bélisaire, Il va me décider.         Il me cherche !... Ah ! ma mère ! L’espoir de nous venger ne nous est plus permis. Je vais l’en informer.         Oui, ce sont mes amis, Mes chers consolateurs au milieu de mes peines. La voix de votre fille a fait tomber leurs chaînes. Et le fer, de Bessas a terminé le sort. Pour toute sa noirceur, c’est trop peu d’une mort ! Votre main, par mes voeux, n’y fut point excitée ; Je le plains seulement de l’avoir méritée. Il suffit, mes amis, allez, je suis content. Pourrez-vous croire, enfin, qu’il était innocent ? Il me prend pour ton père, et mon trouble est extrême... Éclaircissez vous donc, il est la vertu même. Ô Bélisaire !         Hé bien ! Êtes vous rassurés ? Comme, avec promptitude, il nous ont délivrés Quel zèle, quelle ardeur votre nom leur inspire ! Comment connaissez-vous ces fléaux de l’Empire ? Ne soyez plus surpris de ce qu’ils font pour moi ; Sachez que j’ai passé la nuit avec leur Roi. Ce Monarque, touché de ma misère extrême, Est venu, cette nuit, m’en consoler lui-même. Cette horde Bulgare, avec les Byzantins, En ce moment, Seigneur...     Hé bien !         Ils sont aux mains ; Et l’on entend d’ici, les cris, le choc des armes. Chaque mot, chaque instant redouble mes alarmes ! Demeurez en ces lieux...         Nous volons aux combats. J’irai, d’un pas tremblant, y chercher le trépas. Il me sera plus doux d’y finir ma carrière, Que d’expirer aux pieds du traître Bélisaire. Ô Malheureux humains ! Quelle est votre fureur ! Quand la tranquille paix vous offre le bonheur. Ami ! Quelle clameur destructive et cruelle ! Ami ! L’entendez-vous ? Mais en vain je l’appelle ; Sans doute il a suivi les traces de son fils.... De ma famille, hélas ! J’entends aussi les cris. Ce tumulte effrayant vient jusqu’à son oreille... Est-il une infortune à la mienne pareille ? Tous ces cris rassemblés dans le fond de mon coeur Y redoublent sans fin l’amertume et l’horreur. Ah ! Combien je maudis cette horrible journée ! Que me réservez-vous, barbare destinée ? Je sens plier sous moi mes genoux affaiblis... Le tumulte s’approche ;... on redouble les cris... Je n’ai pu, vers les miens, trouver aucune issue. L’âge a glacé mes sens, et mon âme éperdue... Je vous entends, Seigneur, et bénis ce retour. Dieu puissant que j’implore en ce funeste jour, Daigne écouter mes voeux ! Si la vertu t’est chère, Garde un fils vertueux à son vertueux père ; Éteins la soif du sang au coeur des combattants, Fais succéder la paix à ces affreux instants, Et par tes seuls bienfaits signale ta puissance ! Ne puis-je, cependant, assurer ma vengeance ? Dans son perfide sein portons le coup mortel, Et je mourrai vengé...         Enfin, grâces au Ciel ! J’entends crier : victoire aux Soldats de l’Empire. Vive Justinien !         Ah, votre fils respire ! Je respire, et je touche au comble de mes voeux ! J’ai laissé les vainqueurs se partager entre eux Des Bulgares défaits la dépouille sanglante. La nouvelle est, Seigneur, heureuse et consolante. Ah ! Qu’il en coûte aux Rois pour voir la vérité ! Triste Justinien, quelle est ta cruauté ! Jusqu’où s’étend l’excès de ton ingratitude ! Quels remords pour ton âme, et quelle inquiétude ! Où chercher des amis, après de tels forfaits ? N’ose plus espérer d’en retrouver jamais ! Une pareille erreur ne flétrit point sa gloire : Je vous l’ai déjà dit, et vous devez m’en croire. L’art de nuire, Seigneur, est adroit dans les cours ; Pour prendre sa victime, il a mille détours. L’intrigue est assidue, active, insinuante : Ce n’est pas tout d’un coup qu’on la voit triomphante. Hélas ! Depuis longtemps, ma perte est son objet : Mon entrée à Carthage en dicta le projet. Mais, sans vous rappeler mes succès d’Italie, Sans vous faire en entier l’histoire de ma vie, Apprenez, mes amis, qu’après avoir trente ans Bien servi ma patrie, et bravé les méchants, Je croyais être enfin au bout de ma carrière ; Et je n’attendais plus que mon heure dernière. Jouissant de ma gloire et de ma liberté, Je l’attendais sans crainte, avec tranquillité, Quand les Huns, tout-à-coup, s’emparent de la Thrace. L’Empereur en danger, quoique l’âge me glace, Armant encor mon bras, couvre mes cheveux blancs De mon casque, rouillé d’un repos de dix ans. Je marche vers les Huns ; et bientôt la victoire, Couronnant mes efforts, vient augmenter ma gloire. Les honneurs excessifs qu’on me rendit alors, Préparèrent ma perte, et firent tous mes torts. L’Empereur était vieux. La faiblesse à cet âge, Des malheureux humains est le triste partage. Il crut qu’on était las de son règne et de lui ; Qu’on voulait qu’il cédât le trône à son appui. Sans autre fondement, il craint, il s’inquiète, Il me croit dangereux ; je reçois ma retraite. Elle me fit plaisir, je n’espérais plus rien. Alors, on conspira contre Justinien. Ah ! Seigneur, connaissez les ressorts de l’envie ! On prit les Conjurés, qui perdirent la vie, Sans déclarer leur chef au milieu des tourments. Leur silence obstiné, par de vils courtisans Fut pris pour un aveu qui me rendait coupable. On m’accuse de l’être ; on m’arrête ; on m’accable ; On me charge de fers.. Mais le peuple s’en plaint. Ma trop longue prison le révolte ; on le craint. L’Empereur, à ses cris, obligé de me rendre, Ne s’imaginant pas qu’on ait pu le surprendre, Croit, en m’ôtant les yeux, punir un ennemi.... Et je ne fus jamais que son meilleur ami... Le Ciel m’en est témoin....         Et voilà mon ouvrage ! Il voit les coeurs : les Rois n’ont pas cet avantage. L’Empereur qui m’opprime, est coupable à vos yeux ; Soyez plus indulgent ; la voix des envieux, Ainsi que lui, Seigneur, vous eût séduit peut-être. Ah ! Seigneur, il est temps de vous faire connaître ! Il fut trompé !.. sans doute ;.. et c’est un grand malheur. Et qui peut vous causer ce transport de douleur ? C’est le juste tourment d’une âme déchirée, À la honte, aux remords, à l’opprobre livrée... Mortel trop vertueux ! ce maître criminel, Ce barbare Tyran, ce souverain cruel.... Il manquait deux témoins à la reconnaissance : Mais vers ces lieux, Seigneur, Antonine s’avance ; Je cours aider Eudoxe à soutenir ses pas... Ô mon fils ! Promptement, conduis-les dans mes bras. Tremble, cruel époux, et connais ton ouvrage ! Il fallait me donner ton féroce courage, S’il n’était à nos maux aucun soulagement. Il en est ; et le sort, Madame, en ce moment, Pour combler tous nos voeux attend votre présence ; Vous voyez, en ce jour, triompher l’innocence. Rien ne s’oppose plus. Madame, à mon bonheur. Sans doute, c’est à vous... O Ciel ! c’est l’Empereur ! Lui ! Le Tyran ! vient-il voir expirer ma mère ? Vient-il pour s’assouvir des malheurs de mon père ? Va, je mourrai vengée... et je n’attendrai pas Le secours incertain d’un trop timide bras. Ah, Madame !         Arrêtez ; sachons ce qu’il médite. Qu’on m’éloigne de lui, sa présence m’irrite. Grand Dieu ! Quai-je entendu ? quels cris et quels transports ! Vous faites, pour le fuir d’inutiles efforts... Il venait réparer l’ouvrage de l’envie. Ah ! s’il te faut du sang, arrache moi la vie, Femme indigne de moi ! frappe ; dans ta fureur, De te sentir coupable épargne moi l’horreur. Pardonnez à celui qui fit votre disgrâce, À l’auteur de vos maux...         Quoi ! C’est vous que j’embrasse ! Justinien !... C’est vous ! O Ciel ! à tant d’horreur Comment peut succéder un aussi grand bonheur ! Qu’il m’est doux d’être aveugle ! un spectacle si rare, Quoi qu’on m’ait fait souffrir, l’efface et le répare : Vous pleurez une erreur !         Ah ! laissez m’en subir Tout l’opprobre à vos pieds ; et que mon repentir L’efface, s’il se peut... trop indigne du trône Que mes mains ont souillé, je quitte la couronne... Oui, foulez à vos pieds et mon sceptre et mon front ; Punissez mes forfaits, et vengez votre affront. Cette erreur, croyez-moi, Seigneur, fût-elle un crime, Ne doit rien vous ôter de votre propre estime. Bélisaire est aveugle ? Et vingt peuples divers Par vos armes, Seigneur, ont vu briser leurs fers ; Vos mains ont réparé les horribles ravages Des fléaux qui longtemps frappèrent nos rivages ; Trente ans d’un règne heureux, marqué par vos bienfaits, De l’Univers entier ne s’oublieront jamais : Est ce ainsi qu’un Tyran se conduit sur le trône ? Bélisaire est aveugle ? Hé bien, il vous pardonne. Un plus long repentir troublerait la douceur Dont cet événement vient de remplir mon coeur. Ah ! peut-être qu’enfin je mourrai moins coupable ! Tibère, c’est à toi que j’en suis redevable. Ô mon fils ! c’est à toi !         Mon ami, quels bienfaits, Quel prix d’un tel bonheur l’égaleront jamais ! Je l’avouerai, Seigneur, toute votre puissance Ne pourrait acquitter votre reconnaissance ; Chargez-en Bélisaire, il est trop riche encor ; Et, tout pauvre qu’il est, il possède un trésor, Plus précieux pour moi que tous ceux de l’Empire. Tibère, je préviens ce que vous voulez dire. Ce trésor est ma fille : hé bien, il est à vous. En ce jour fortuné devenez son époux. Ô jour tant désiré !         Viens, famille chérie, Partager les transports de mon âme attendrie ! Ah, Seigneur ! tous mes sens ont passé dans mon coeur ; Il éclate, et ne peut suffire à mon bonheur Et je vais le troubler,         Mais à ma chère épouse En vain je tends les bras ; serait-elle jalouse.... Ah !         Madame !         Quels cris, et quels transports nouveaux ! Ma mère !         Je verrai la fin de tant de maux ! Pardonnez mes transports... Ô Dieu, qu’allais-je faire ! Cachez-moi vos regrets... Ô mon cher Bélisaire ! Aurais-je trop vécu !         Vivez, mon cher époux !... Ah ! mon dernier instant est pour moi le plus doux... Oui : soyez tous heureux, je le verrai sans peine. Je vis assez longtemps pour serrer votre chaîne... Les flambeaux de l’hymen vont éclairer ma mort... Mes chers enfants !... Je meurs... contente de mon sort.