Dieux, veillez sur ses jours, par mes soins conservés ! Dieux, que Sardanapale a trop long-temps bravés, Laissez-vous attendrir par les pleurs d’une mère ! Mon fils n’a point suivi les traces de son père. Cher et malheureux fils, l’amour que j’ai pour loi, Dans ce fatal palais me retient malgré moi ; C’est pour toi qu’en ces lieux, ignorée et captive, Je languis dans les fers du tyran de Ninive. J’ai caché tes destins sous le nom de Timur, Heureuse, si ce voile impénétrable et sûr, Qui d’un père inhumain trompa la barbarie, Aux dangers de ce jour dérobe encor ta vie ! Ô Ninus, si mes pleurs ont pu fléchir les Dieux, Quels soudains changements vont étonner tes yeux ! Pour te placer au trône où la vertu t’appelle, Le brave Paramis va signaler son zèle. La garde du palais obéit à ses lois, Et déjà se dispose à soutenir tes droits. C’est pour toi qu’Arbacès soulève la Médie ; Il croit venger sa fille indignement ravie. Tout semblera permis à son ressentiment : De mes desseins secrets il n’est que l’instrument. Il vient ; contre un barbare affermissons sa haine. Seigneur, voici l’instant de briser notre chaîne. Paramis vous promet un généreux appui : Le sang et l’amitié vous unissent à lui. S’il partage en effet l’affront de ma famille, Pourquoi m’a-t-il caché le malheur de ma fille ? Pourquoi, sans m’avertir ?...         Il l’ignorait, Seigneur. Le tyran d’Artazire indigne ravisseur, Prodigue les trésors des peuples ses victimes, Pour commettre sans crainte et pour voiler ses crimes. Moi-même, abandonnée à d’éternels chagrins, J’aurais de votre fille ignoré les destins ; Mais un danger commun produit la confiance ; Elle m’apprit son rang, votre nom, sa naissance. Dans quel climat désert, chez quel peuple inconnu, Le grand nom d’Arbacès n’est-il point parvenu ? Votre sang, vos exploits, soutiens de cet empire, Tout parle dans ces lieux en faveur d’Artazire : Vengez-la, vengez-vous.         Que j’apprenne du moins, Madame, à qui je dois de si généreux soins, Ce conseil important, cet avis salutaire, Si cruel à la fois, et si doux pour un père ; À qui je dois enfin l’espoir de me venger Des fureurs du tyran qui prétend m’outrager. Pourquoi, Seigneur, pourquoi chercher à me connaître ? Dès long-temps arrachée aux lieux qui m’ont vu naître. Étrangère, captive en ce séjour d’effroi, Hélas ! Est-il un rang, est-il un nom pour moi ? Ainsi de vous servir vous m’ôtez l’espérance ? Le salut de l’État sera ma récompense, Je l’attends de vous seul : mais il est temps, Seigneur, D’arracher votre fille aux mains du ravisseur. Aujourd’hui son épouse, et demain sa victime, Craignez même pour elle un lien légitime. Nul frein n’arrêterait ses coupables transports : Soupçonneux, violent et cruel sans remords, Il n’est point de forfaits que son coeur ne rassemble ; D’autant plus dangereux qu’il est lâche et qu’il tremble. Qu’il croit dans ses sujets voir autant d’ennemis, Que pour les opprimer tout lui semble permis : Tel est Sardanapale ; et ce monstre respire ! Et c’est lui que les dieux destinaient à l’Empire ! Prévenez leur justice en lui donnant la mort ; Quand vous l’aurez puni, vous connaîtrez mon sort. Qui peut vous arrêter ? Craignez la vigilance De tous ces délateurs vendus à sa puissance ; Craignez tous les périls attachés à vos pas ; Artazire, Seigneur, ne vous sauverait pas. Songez que tout délai peut devenir funeste, Et que mourir ou vaincre est l’espoir qui vous reste : Surtout, de Paramis assurez-vous l’appui ; Le destin de l’État, ne peut changer sans lui. Tyran, je te prépare un piège inévitable ; Le glaive est suspendu sur ta tête coupable. Ô Sparte ! Ô mon pays ! Mes yeux, mes tristes yeux Ne verront plus tes murs où régnaient mes aïeux ! Arrachée à tes bords dans la même journée Où s’allumaient pour moi les flambeaux d’hyménée, Réservée en ces lieux à de plus grands malheurs, J’ai d’un astre inflexible épuisé les rigueurs. Mais enfin, si j’en crois le transport qui me guide, Le jour est arrivé de punir un perfide. Quel doux pressentiment pour mon coeur outragé ! Tout opprobre finit alors qu’on est vengé. Sans doute avec mes voeux le ciel d’intelligence, Va s’armer...         Il est temps de rompre le silence... Madame. Un autre objet me retient dans ses fers.. Je vais , avec ma main, lui donner l’univers. Aux charmes d’Artazire un nouvel hyménée Va par des noeuds plus doux unir ma destinée. Ce séjour désormais doit vous être odieux ; Cet hymen, ces apprêts pourraient blesser vos yeux : Je veux vous épargner ce funeste spectacle ; À votre liberté je ne mets plus d’obstacle. Allez, loin de ces murs arrosés de vos pleurs, Sous un ciel plus propice oublier vos malheurs. Pour la première fois, je me plais à t’entendre. Combien à ce bonheur j’étais loin de m’attendre ! Ta bouche me l’annonce, et mon coeur satisfait Reçoit à peine encor l’espoir d’un tel bienfait. Qui, toi ? De mes destins adoucir l’inclémence ! Va, tu peux te flatter de ma reconnaissance. Que ne puis-je oublier ce détestable jour, Où, livrée aux fureurs de ton indigne amour !... Ô ciel ! Qu’attendais-tu pour frapper ta victime ! Mon déplorable fils fut le fruit de ton crime , Et l’avantage affreux que lui donnait, le sort, Pour cet infortuné fut un arrêt de mort. Sourd à la voix du sang, au cri de la nature, Inhumain par faiblesse, un songe, un vain augure, Le rendit au berceau l’objet de ta terreur : Tu craignis que le Ciel n’eût fait naître un vengeur. Heureux, en expirant, que ta main meurtrière Lui dérobât l’horreur de connaître son père ! Je m’attendais, Madame, à ces emportements, Dont l’audace indiscrète a duré trop longtemps ; Mais, libre désormais de choisir un asile, Vous trouverez à Sparte un destin plus tranquille. Allez, épargnez-vous d’inutiles regrets, Je ne vous retiens plus.         Que l’on cherche Arbacès. Oui, je prétends le voir, et je veux que lui-même La dispose à fléchir sous mon ordre suprême. ; L’éclat de tant d’honneurs, qu’il n’eût osé prévoir, Va l’éblouir, sans doute, et charmer son espoir. Tu vois jusqu’où m’emporte une indigne tendresse, L’ascendant qu’une ingrate a pris sur ma faiblesse, Et qu’elle accroît encore en osant m’outrager : Reconnais-tu ce coeur si prompt à se venger, Ce coeur qui de l’amour a connu les délices, Mais qui devait toujours ignorer ses caprices ? Je commence à rougir de tant d’égarement : Son orgueil s’enhardit de mon aveuglement ; Mais elle doit enfin redouter son ouvrage. J’ai de ses fiers dédains trop dévoré l’outrage ; Il est temps qu’à son tour elle apprenne à gémir : Plus je me suis contraint, plus elle doit frémir. Et pensez-vous, Seigneur, qu’avec un front tranquille, Calciope...         Écartons une crainte inutile. Demain, lorsque la nuit aura fait place au jour, Calciope à jamais doit quitter ce séjour. Loin de la redouter, je lui laisse la vie : Qu’elle ne m’offre plus sa présence ennemie. Mes yeux sont dès longtemps fatigués de ses pleurs : Qu’elle retourne à Sparte y porter ses malheurs ; Ses plaintes sur mon coeur n’ont plus rien à prétendre. Mais je vois Arbacès ; Arsame, va m’attendre. Ciel, fais que le remords puisse entrer dans son coeur ! Seigneur, à vos genoux j’apporte ma douleur. L’espoir de mes vieux ans, le charme de ma vie, Artazire, eu un mot, ma fille m’est ravie. Ah ! Lorsqu’à Babylone on vint me l’arracher, J’ignorais qu’à Ninive il fallût la chercher. Ma fille en ce palais ! Que faut-il que j’espère ? Vous la rendrez sans doute aux larmes de son père ? Oui, je veux près de moi vous fixer pour toujours : À votre ambition donnez un libre cours ; Croyez, à quelque rang que votre orgueil aspire, Qu’il deviendra le prix d’un regard d’Artazire. L’Assyrie en ce jour va recevoir ses lois, Et ma main sur son front met le bandeau des Rois. Quoi ! Jusques-la, Seigneur , on vous verrait descendre ! Ce sont là les secrets que je devais entendre ! Nourri loin de la Cour, ce n’est point à mon sang De partager l’éclat de votre auguste rang. Artazire, Seigneur, je me plais à le croire, A dû vous rappeler le soin de votre gloire, Ne point ouvrir son coeur à des veux indiscrets, Et, par respect pour vous, refuser vos bienfaits, Voilà ce qu’à mon maître il faut que je réponde : Ce n’est qu’au sang des Rois à commander au monde. Ah ! C’est trop m’exposer à d’indignes refus. Pensez-vous m’éblouir par de fausses vertus ? Oubliez-vous enfin, quand votre orgueil me brave, Que j’ai pu dans la foule ignorer une esclave, Et que si je descends jusqu’à la couronner, Souverain absolu, j’ai le droit d’ordonner ? Vous pourriez vous permettre une injuste contrainte ! J’ignorais que l’amour dut inspirer la crainte. Seigneur, par vos genoux que je tiens embrassés, Par mes cheveux blanchis sous mes travaux passés, D’un guerrier suppliant écoutez la prière. Si mon bras de l’Ernpire étendit la frontière, Et si, toujours fidèle au devoir d’un soldat, J’ai prodigué mon sang pour vous et pour l’État, À mes bras paternels, aux voeux de ma famille, À ma juste douleur daignez rendre ma fille ; D’un père infortuné daignez remplir l’espoir. Tout empire périt par l’abus du pouvoir, Songez-y bien, Seigneur ; mes services, mon âge, Peuvent autoriser cet austère langage. C’est en les éclairant qu’on doit servir les Rois, Et tout l’État ici vous parle par ma voix. Je veux bien de ton zèle excuser la rudesse. Apprends qu’il faut des Rois ménager la faiblesse. Et ne m’oppose plus cet orgueil dangereux, Qui peut nuire à ta fille, et vous perdre tous deux. C’est à toi de choisir mes bienfaits ou ma haine : Artazire en ce jour doit être esclave ou reine : Si tu l’aimes, crois-moi, dis-lui que ma bonté Peut se lasser enfin de sa témérité. Va, crains plutôt, cruel, crains plutôt la tempête Qui bientôt par mes soins va fondre sur ta tête. Le moment est venu d’expier tes forfaits ; La vengeance et la mort assiègent ton palais. Le Ciel va sous tes pas entrouvrir un abîme ; Tyran, crains son courroux, il attend sa victime. Quoi ! Vous êtes ma mère, et vous m’abandonnez ! Disposez de ces jours que vous m’avez donnés ; Mais ne différez plus, dissipez mes alarmes, Et si je vous suis cher...         Tu vois couler mes larmes, Et tu peux en douter !         Non , je n’en doute pas ; Mais qu’il me soit permis d’accompagner vos pas ; Quoi ! Dans ce même jour qui m’apprend ma naissance, Il faudrait me résoudre à pleurer votre absence ! Ne m’auriez-vous, grands Dieux, découvert ces secrets, Que pour me préparer aux plus cruels regrets ? Hélas ! Quand la nature en mon coeur se déploie, À peine ai-je eu le temps de vous marquer ma joie. Seul espoir de ma vie, ô Timur, ô mon fils ! Ce nom cher à mon coeur m’est donc enfin permis ! La nature à tous deux vient de se faire entendre ; Je te vois pénétré d’un sentiment si tendre ; Mais laisse-moi, mon fils, dévorer mes douleurs ; Respecte mon silence, et commande à tes pleurs. Je m’éloigne à regret de ce séjour funeste ; Mon coeur doit obéir à des lois qu’il déteste ; Ton salut en dépend ; qui pourrait m’arrêter ? La nature est trop faible, il la faut surmonter- Hélas ! Depuis longtemps sa voix m’était connue- Qu’il est présent encore à mon âme éperdue Ce jour où Paramis me permit de vous voir ! D’un invincible attrait je sentis le pouvoir. Ah ! Sans doute, les Dieux me désignaient ma mère : Mais consolez un fils ; parlez, quel est mon père ? Le cruel au berceau voulut verser ton sang. Quoi ! Mon père ?         Il eût pu t’élever à son rang, Tu pouvais être un jour la gloire de l’Asie. Mais du moins son pays, quel est-il ? L’Assyrie.     Achevez.         Ne crois, pas m’arracher mon secret ; Je vois couler tes pleurs, j’y résiste à regret. Je te l’ai déjà dit, ton désespoir m’afflige ; Mais je t’aime, il suffit, ton intérêt l’exige, Je me tairai, mon fils. Il n’est pas encor temps D’oser approfondir ces secrets importants. Quel que soit le désert qui me cache à l’Asie, L’espoir de te servir y soutiendra ma vie. De grands événements semblent se préparer ; Le Ciel fit tes malheurs, il les peut réparer : Mais renferme en ton coeur ce que tu viens d’apprendre ; Ton intérêt, le mien, ta vie en peut dépendre. Que l’amitié, surtout, te prête son secours : Tu sais que Paramis a pris soin de tes jours ; Il peut faire encor plus, il peut servir ta flamme ; Ose lui confier les secrets de ton âme. La fille d’Arbacès est digne de tes voeux, Et quelque espoir du moins est permis à tes feux. Qui ! Moi ? J’aurais l’espoir d’obtenir Artazire ? Il se pourrait ?...         Tu sais ce que j’ai pu te dire. Un jour tous mes desseins te seront révélés : Le Ciel veut qu’à tes yeux ils soient encor voilés. Un rigoureux devoir me condamne au silence ; L’amour contre tes pleurs affermit ma constance : Cependant, si je puis dans cette affreuse Cour Prolonger quelque temps mon malheureux séjour, Ciel ! Que ne peut un fils sur le coeur de sa mère ! Je descendrai pour toi jusques à la prière, Oui, je te le promets.         Arbitres des humains, Grands Dieux ! Veillez sur elle, et changez ses destins. De son coeur maternel dissipez les alarmes. Quel serait le barbare insensible à ses larmes ! Venez, venez, Madame, augmenter mon bonheur : Le Ciel me voit enfin avec moins de rigueur : Apprenez ses bienfaits ; Calciope est ma mère. Que tu dois être heureux ! Que sa vertu m’est chère ! On eût dit qu’en secret un doux pressentiment Me faisait dans ta mère adorer mon amant. Mais toi-même, Timur, partage aussi ma joie : Mon père est en ces lieux, le Ciel me le renvoie ; Il daigne à ma faiblesse accorder cet appui. Sais-tu que le tyran ose compter sur lui ? Il ose se flatter de pouvoir le séduire ; Il pense que, frappé de l’éclat de l’Empirz, Mon père à ses desseins daignera consentir ; Par ses vaines grandeurs il croit nous éblouir. Que je hais, cher Timur, cette pompe importune ! Aurais-je pu sans toi porter mon infortune ? Hélas ! Quand je te vis pour la première fois, Quand Babylone en feu célébrait tes exploits, Lorsqu’imposant des lois aux Bactriens rebelles, Tu couronnais ton front de palmes immortelles, Quand mes yeux s’enivraient des feux de ton amour, Qui m’eût dit qu’en ces lieux nous nous verrions un jour ? Sans doute que les Dieux, touchés de mon injure, Voulaient me consoler par cet heureux augure. Est-ce ici que le Ciel devait nous réunir ? Mon amour n’y prévoit qu’un funeste avenir. Mon rival à vos pieds va mettre sa couronne ; Arbacès ne verra que le rang qu’il vous donne... Lui ? Mon père ! Il voudrait t’effacer de mon coeur, Quand sa bouche autrefois approuva notre ardeur ? Non, tu ne le crois pas. Non, je lui fus trop chère, Pour douter... Mais on vient. C’est lui-même : ô mon père ! Dieux, vous me la rendez, ma fille !... Et vous, mon fils ! Quoi ! Timur en ces lieux ? Quoi ! Tous deux réunis ? Je retrouve l’appui qu’implorait ma faiblesse ; Mais quand le Ciel plus doux vous rend à ma tendresse, Je frémis des périls que vous bravez, Seigneur. Ce palais m’est suspect ; le tyran, sa fureur, Ses détestables feux, tout me remplit d’alarmes. Le cruel ! De quel front a-t-il pu voir tes larmes ? Sous des égards trompeurs couvrant sa trahison, Il me cache mes fers ; sa Cour est ma prison. Ébloui de l’éclat d’un rang qu’il déshonore, Il croit que mon orgueil en secret le dévore. Ma fille, sur mes soins tu peux te rassurer ; Si tu me vois ici, c’est pour te délivrer. Seigneur, il en est temps, prévenons un barbare, . Faisons tomber sur lui les coups qu’il nous prépare. Hâtons son jour fatal trop longtemps différé : Qu’il périsse ; son régner a déjà trop duré. Votre vertu, mon fils, a devancé votre âge : Moi-même, j’ai guidé votre jeune courage. Babylone, témoin de vos premiers travaux, Place déjà Timur au rang de ses héros. Oui, je dois voir en vous l’appui de ma famille ; Oui, vous serez mon fils, vous vengerez ma fille ; Venez.         À me quitter vous pourriez consentir ! Mon père ?...         Vois ces lieux, tu ne peux en sortir : Des gardes, des soldats en défendent l’enceinte ; Mais Paramis nous sert, tu dois être sans crainte ; Mais j’ai su conserver d’intrépides amis, Contre tous les dangers dès longtemps affermis. Ils combattront pour toi ; j’attends tout de leur zèle ; Ils marchent vers Ninive où ma voix les appelle ; Ils sont près de ces murs, et le tyran s’endort : Que son fatal réveil soit l’instant de sa mort ! Tel est l’ordre du Ciel : ainsi de sa vengeance Il étonne les Rois frappés dans le silence. Ah ! Si jamais l’amour échauffa la valeur, Madame, s’il est vrai qu’il anime un grand coeur, S’il commande au succès dans les champs de la gloire, Tout doit sur mon rival m’assurer la victoire. Mes voeux impatients attendaient ce grand jour. Ma fille, il faut rentrer dans ce fatal séjour ; Un plus long entretien trahirait ta vengeance : Renferme tes douleurs ; je vole à ta défense. Je l’ai vu, ce tyran, je l’ai vu sans effroi ; Quel est, sans la vertu, le vain titre de Roi ! Plongé, dans les langueurs d’une indigne mollesse, Son front mal assuré décelait sa faiblesse ; Fier de son déshonneur, fantôme couronné, D’alarmes, de soupçons toujours environné, Voilà donc, cher Timur, l’ennemi qui nous brave Je croyais voir un Roi, je n’ai vu qu’un esclave ; Et c’est à son pouvoir que les Dieux ont soumis Les peuples de Bélus et de Sémiramis ! Nous rampons devant lui, malheureux que nous sommes ! Ce monstre était-il fait pour régner sur des hommes ? Il était notre Roi, Seigneur, il ne l’est plus ; Le titre de monarque exigeait des vertus, Il n’en connut jamais : nous étions ses victimes ; Chaque jour de son règne est marqué par des crimes : Plus son pouvoir est grand, moins on doit l’excuser ; Il n’a connu ses droits que pour en abuser ; Contre sa tyrannie, il n’est point de refuge : Nous rentrons dans nos droits, l’État devient son juge. Lui-même il nous apprit à ne rien ménager : Mais je vois Paramis.         Où va-t-il s’engager ? Les noeuds secrets du sang n’ont-ils rien qui l’arrête ? Vous qui d’un Roi barbare avez proscrit la tête, Guerriers, qui sous ses lois traîniez des jours obscurs , On peut nous observer, environnez ces murs. Arbacès, vous voyez si ce coeur est fidèle , Si je sais d’un ami partager la querelle. Nos vengeurs sont-ils prêts ?         Oui, mes braves soldats, Du sein de la Médie, ont marché sur mes pas ; Ils accourent en foule, et déjà leur courage N’attend que le signal pour voler au carnage. Sous un joug odieux indignés de fléchir, Tous ont juré de vaincre et de s’en affranchir. Amis, cet heureux jour, si le sort vous seconde, Va remettre en vos mains cet empire et le monde. Du hasard d’un combat votre destin dépend ; Découverts, ou vaincus, l’échafaud vous attend : À la postérité vous servirez d’exemples. Bélus, qui parmi nous a mérité des temples. Placé par la victoire au rang des plus grands Rois, Eût, par un seul revers, vu flétrir ses exploits. D’un destin si douteux la formidable image Peut d’un guerrier vulgaire ébranler le courage : Un grand coeur prévoit tout ; et l’aspect du danger, Loin d’arrêter son bras, sert à l’encourager. Il voit d’un oeil serein la mort qui l’environne : Le héros s’enhardit où le faible s’étonne. Eh ! Que pourriez-vous craindre ? Un Roi voluptueux, De faiblesse et d’orgueil mélange monstrueux ? Ciel, si tu disposais de la grandeur suprême, Verrait-on des tyrans souiller le diadème, La vertu loin des Cours exilée à jamais, Et toujours le pouvoir du côté des forfaits ? Eh bien, marchons sans crainte où l’honneur nous entraîne. Le succès est douteux, mais la gloire est certaine. Mon père, (un nom si cher me doit être permis) À ces nobles projets qu’il m’est doux d’être admis ! Je brûle de vous suivre aux champs de la victoire. Nous savons à quel point Timur chérit la gloire ; Mais je dois vous guider, mon fils. C’est dans ces lieux Qu’animé par ma voix, combattant sous mes yeux, Vous devez nous prêter un appui salutaire ; Et si jusqu’à ce jour je vous servis de père, Souffrez que l’amitié vous impose une loi. A la garde du trône attaché près de moi, Et sur mes seuls avis réglant votre courage, Vous attendrez mon ordre au moment du carnage. Mon coeur, toujours soumis à votre autorité, Vous est garant. Seigneur, de ma fidélité. Amis, si parmi nous un conjuré timide, Effrayé du péril, ou, peut-être perfide, Par de justes soupçons pouvait nous alarmer, Quelques droits que sur nous il osât réclamer, Jurons tous de punir, d’immoler le parjure ; Jurons de nous venger par sa mort.         Je le jure : Que les Dieux sur le traître épuisent leur courroux ! Timur, à vos serments nous nous unissons tous. Autant que je l’ai pu, fidèle au diadème, J’ai défendu ses droits, et ceux du tyran même ; Je respectais en lui le sang des demi-Dieux ; Ma fortune est un don de ses nobles aïeux, Et s’il avait un fils digne de sa naissance, Qui d’un règne plus doux nous permît l’espérance, Qui sur le bien public élevant sa grandeur, Dût rendre à nos destins leur antique splendeur, Ce bras qui s’est armé contre un Roi sanguinaire, Combattrait pour le fils en punissant le père. Il suffit.         Vous, rentrez ; songez que votre foi Vous interdit l’espoir de rien tenter sans moi. Et vous, hors de ces murs témoins de votre outrage, Allez de vos guerriers enflammer le courage. Par les noeuds des serments enchaînés tous les coeurs. Vous, suivez votre chef, et revenez vainqueurs. Où s’engageait Ninus ? Ô devoir !... Ô nature ! Hélas ! Jamais son coeur n’a senti ton murmure. Roi perfide et cruel, tu n’entends pas ses cris : Ce tendre sentiment n’est pas fait pour ton fils. J’ai conservé ses jours, j’ai trompé ta colère : Méritait-il, hélas ! un si coupable père ? Ne laissez pas, grands Dieux, votre ouvrage imparfait ; Vengez Ninus et vous, sans permettre un forfait. Daignez de mes desseins seconder la justice ; Mais ne le forcez pas d’en devenir complice. Avant que ce palais se referme à ma voix, Pesez vos intérêts pour la dernière fois, Madame ; de mes voeux on a dû vous instruire : Votre père à l’autel viendra-t-il vous conduire ? Acceptez-vous l’Empire ? Et puis-je me flatter Qu’un tel hommage au moins ait de quoi vous tenter ? Ce n’est plus sur l’amour que mon espoir se fonde ; Mais j’ai lieu de penser que le trône du monde, Offert à vos appas par la main d’un époux, Présente à votre orgueil un triomphe assez doux. Seigneur, je rougirais pour vous et pour moi-même, Je croirais profaner l’honneur du diadème , Si j’osais accepter le don de votre foi, Et ce superbe rang, trop élevé pour moi. Si j’en crois Arbacès, tous ces titres sublimes N’exemptent pas toujours des remords et des crimes. Je respecte les Rois sans chercher leurs grandeurs ; La Cour la plus brillante a souvent ses douleurs : L’ambition sur moi n’aura donc point d’empire. Un bonheur sans orage est le trône où j’aspire ; Et si jamais mon coeur se laissait enflammer, Seigneur, c’est la vertu que je voudrais aimer. Vous m’éclairez, Madame, et je crois vous entendre ; Jusqu’à vous à regret vous me voyez descendre : La paix que vous cherchez n’habite point ma Cour, Et la seule vertu mérite votre amour. Cessez de me braver : dites plutôt, cruelle, Dites qu’à mes bontés vous seriez moins rebelle, Si l’un de mes sujets, plus fortuné que moi, N’osait point à mes voeux disputer votre foi. Quoi ! Vous pourriez penser ?...         Oui, je crois tout, Madame, Et tremblez du soupçon qui s’élève en mon âme. Il n’évitera point, ce rival abhorré, L’oeil jaloux d’un rival par sa haine éclairé. Vous me deviez, dit moins, épargner cette injure ; Il fallait de mon coeur ménager la blessure ; Ce coeur à vous punir n’est que trop excité ; Ne lassez point, Madame, un reste de bonté. Je pourrais mesurer la vengeance à l’outrage ; Redoutez des fureurs qui seraient votre ouvrage ; Si je n’écoute enfin que mon juste courroux, Si je suis sans pitié, n’en accusez que vous. Cesse de me parler d’un feu que je déteste : Va, tyran, ton courroux me semble moins funeste. L’amour prit-il jamais les traits de la fureur ? Quel étrange moyen pour captiver un coeur ! Que ses transports jaloux m’ont causé d’épouvante ! Dérobez-lui, grands Dieux, le secret d’une amante, Prenez pitié du trouble où mes sens sont livrés, Et protégez des feux par vous-même inspirés ! Hélas ! Notre bonheur lui paraîtrait un crime, Je te perdrais, Timur, tu serais sa victime. Dieux, s’il faut que la mort nous sépare aujourd’hui, Accordez-moi du moins de mourir avant lui ! On vient... C’est mon amant, c’est Timur qui s’avance. Que j’ai souffert, Timur, pour un moment d’absence ! Le tyran... que mon coeur désirait ton retour ! Le barbare est venu me vanter son amour. Tu l’aurais vu passer de la plainte à l’audace, Mêler à ses soupirs l’injure et la menace. Je ne voyais que toi. Dans l’exil, dans les fers, Timur me tiendrait lieu de sceptre et d’univers. Avec quel froid mépris j’ai bravé sa colère ! Mon coeur s’applaudissait d’avoir pu lui déplaire. Mais n’as-tu rien appris sur ton sort, sur le mien ? Au nom de notre amour, ne me déguise rien, Parle : sur nos malheurs as-tu quelque espérance ? Les verrons-nous finir ? Mourrons-nous sans vengeance ? Oui, sans doute, les Dieux protègent nos desseins, Sans doute ils vont livrer la victime à nos mains. Les pièges de la guerre environnent la ville, Et le tyran trompé goûte un sommeil tranquille. Du sein des voluptés, il ne soupçonne pas Le glaive menaçant armé pour son trépas. Mais si le Ciel enfin nous promet son supplice, Promet-il à nos voeux un destin plus propice ? Je n’ose l’espérer. D’affreux pressentiments, Dont la terreur s’accroît de moments en moments, Accablent mes esprits d’un trouble involontaire. Je ne sais quel effroi semble agiter ma mère ; On la croirait livrée à quelque Dieu vengeur ; Le flambeau de ses jours s’éteint dans la douleur. Sur son coeur gémissant mes pleurs n’ont plus d’empire : Elle veut me parler, se détourne et soupire. Dans cette obscurité dont vous couvrez mon sort, Grands Dieux, guidez mes pas, ou donnez-moi la mort ; Écartez loin de moi ces présages funèbres. Hélas ! Je fais des voeux, pour sortir des ténèbres, Et peut-être il importe au bonheur de mes jours De m’ignorer moi-même, et d’y rester toujours. Quels sont donc ces malheurs que tu crains de connaître ? J’ignore de quel sang les destins m’ont fait naître ; Je n’ose approfondir ces horribles secrets. Ma mère avec douleur écoute mes regrets, Mais ne veut point encor, soit rigueur, soit prudence, Lever le voile affreux qui couvre ma naissance. Vous-même, à ces récits, vous vous attendrissez : Ah ! Ne me cachez point les pleurs que vous versez. Que me réserve donc la céleste colère ? Je désire et je crains de connaître mon père ; Malgré moi, cette crainte imprime dans mon coeur Un sentiment confus d’amertume et d’horreur. Eh quoi ! Dois-tu frémir aux yeux de ton amante ? Rassure-toi, Timur, ta douleur m’épouvante. Ingrat, je sens à peine, alors que je te vois, Le fardeau des malheurs appesanti sur moi. Belle Artazire, hélas ! Si le Ciel moins sévère N’eût réservé qu’à moi les traits de sa colère, S’il n’en eût pas sur vous étendu les rigueurs, Qu’aisément à vos pieds j’oublierais mes douleurs ! Mais un tyran cruel vous tient sous sa puissance : On sait à quel excès il porte la vengeance ; Par de nouveaux forfaits il pourrait prévenir La justice des Dieux, trop lents à le punir. Calciope le hait, et si j’en crois ses plaintes, Si j’en crois mes soupçons, il a part à ses craintes. Dans son sang odieux, que ne puisse en ce jour Satisfaire à la fois la nature et l’amour ! Va, le Ciel par tes mains doit venger nos outrages, Et nous rendre la paix du sein de ces orages. Quels que soient tes destins, je les veux partager ; Songe qu’en un moment tu peux les voir changer : Que dis-je ? Leur rigueur est déjà moins cruelle... Mais ta mère paraît, je te laisse avec elle. Je te cherchais, mon fils, et tu vois par mes pleurs Que je viens à regret t’annoncer des malheurs. Voici l’instant fatal où je sens ma faiblesse. Que n’ai-je point osé pour remplir ma promesse ! Mais de mes vains efforts que pouvais-je espérer ? C’en est fait, ô mon fils, il faut nous séparer ; Et tu dois bien sentir à mes tendres alarmes, À ces regards éteints et voilés de mes larmes, Tu dois juger, Timur , au trouble de mes sens, Que de grands intérêts, des motifs bien puissants, Imposent à mon coeur cet affreux sacrifice. Le destin le commande, il faut qu’il s’accomplisse : Mais ce sont des secrets que tu dois ignorer ; Tu frémirais d’horreur, tremble, d’y pénétrer. Je ne puis (quel supplice, hélas ! pour une mère !) Te déclarer ton rang, ni te nommer ton père : Tout doit m’en détourner.         Ma mère, au nom des Dieux, Levez ce voile obscur étendu sur mes yeux ; Prenez pitié d’un fils.         Ciel vengeur que j’atteste ! Parlez.         Non, ce secret te serait trop funeste. N’abuse point, mon fils, du trouble où tu me vois, Obéis-moi du moins pour la dernière fois. Dieux ! Quel est mon malheur ! Je dois craindre mon père. Ignorer mes destins, vous perdre, vous, ma mère ! Quoi, vous m’abandonnez ?         Ah ! Ce cruel effort, Timur, ce coup affreux va me donner la mort. Tes regrets dans mon coeur font gémir la nature, Je dois, pour te sauver, étouffer son murmure. Je te laisse, mon fils, au milieu des dangers, Au séjour d’un tyran, dans des bras étrangers. Que cette Cour, grands Dieux, ne lui soit point fatale ! Souviens-toi de ta mère... et crains Sardanapale. Qui ? Moi ! Craindre un tyran ! C’est à lui de trembler. Il ne voit point les traits dont on va l’accabler ; Le barbare est tranquille au sein de la tempête ; Il croit braver les Dieux, mais leur vengeance est prête. C’est lui dont la fureur ose vous outrager ; Dans son perfide sang ma main va se plonger. Dans son sang ? Toi, mon fils ! Je frémis de t’entendre. Ah ! Laisse à Paramis le soin de le répandre. Crois-moi, fuis le tyran, renonce à ton dessein : Non, ce n’est pas à toi de lui percer le sein. Sur mes tristes destins daignez être tranquille ; Les chefs des conjurés vont entrer dans la ville. Verrai-je, sans agir, éclater leur courroux ? Eh ! Qui doit au tyran porter les premiers coups ? Qui doit plus que Timur abhorrer son empire ? Il vous force à la fuite, il m’enlève Artazire ; Le cruel la retient sous son pouvoir fatal ; Et je verrais un autre immoler mon rival ! Un autre vengerait mon amante et ma mère ! Ciel, quel nouveau malheur me gardait ta colère ! Que vas-tu faire, hélas !         Vous venger ou mourir. Prends pitié des tourments que tu me fais souffrir, Mon fils !         Le désespoir est peint sur son visage : La mort dans ses regards a tracé son image. Je frémis.         Quel secret il lui faut dévoiler ! Que dites-vous ?         Mon fils !... Je ne puis lui parler. Je tremble pour tes jours ; tu connais sa furie. Il est beau de mourir pour venger sa Patrie. Timur... il est ton Roi.     Lui ? Ce monstre ?         Ah ! Mon fils. Expliquez-vous, parlez.         Il est... Ciel ! Je frémis. Je me jette à vos pieds.         Sa douleur m’intimide. Avec tant de vertus, il serait parricide ! Je ne me connais plus ; ses larmes, sa terreur, Et mes justes soupçons redoublent ma fureur. Quel est donc ton dessein ?         Je cours venger ma mère , Immoler un tyran.         Mon fils... il est ton père. Lui !         J’ai frémi du coup que tu veux lui porter / Au bord du précipice il fallait l’arrêter. Poursuivez, désormais rien ne peut me surprendre. Eh quoi ! Tu peux encor désirer de m’entendre ? Ah ! Laisse-moi, Ninus, dévorer, mes ennuis, Et te cacher ma honte et l’horreur où je suis ! Elle me quitte : ô Ciel ! Ô jour épouvantable ! Arrachez-moi, grands Dieux, au malheur qui m’accable ! Cruels, si la lumière est un de vos bienfaits, Vous deviez au berceau m’en priver pour jamais. Qui, moi ! Fils et rival du tyran que j’abhorre ? Je le sais, j’en frémis, et je respire encore. Un moment peut finir ton déplorable sort ; Timur, ce fer suffit pour te donner la mort. Tu voulais le plonger dans le sein de ton père : Punis, par ton trépas, ce crime involontaire. Mais non... fais un effort plus grand, plus généreux ; Tu voulais t’immoler, ose être malheureux. Embrasse en frémissant la vertu qu’il faut suivre, Commande à tes destins, fais-toi l’effort de vivre. Ton père est inhumain ; mais tu dois le servir, Et c’est alors, Timur, que tu pourras mourir. Enfin, j’ai tout appris, les malheurs d’une mère, Son opprobre, le mien, et les forfaits d’un père ! Ah ! Quand j’ai désiré de connaître mon rang, De connaître la source où j’ai puisé mon sang, Quand je faisais des voeux pour creuser cet abîme, Ces mystères cachés sous les ombres du crime, Aurais-je cru, grands Dieux, ressentir tant d’effroi ? Quoi ! Le nom de mon père est un malheur pour moi ! Ô toi, dont la rigueur a trahi mon attente, Ô Ciel, à mes regards dérobe mon amante ! Cet amour, ce feu pur qui régnait dans mon coeur, Ne doit plus éclater dans ce jour de terreur. Dans ce jour, où brillait un rayon d’espérance, Je me vois donc réduit à craindre sa présence. Mon père, mon rival ! Noms de haine et d’amour ! Dans mon coeur éperdu je vous sens tour-à-tour. Où fuir ? Où me cacher ? Ah ! Ciel ! C’est Artazire. Tu veux me fuir, Timur ?         Que pourrais-je lui dire ! Parle, sur tes destins n’as-tu rien découvert ? Hélas ! Tout est connu, ce jour affreux nous perd. Artazire !...     Poursuis.         Ce tyran qui vous aime, Qui vous offrit ses voeux, sa main, son diadème, Lui dont vous dédaignez l’amour et la fureur, Le même à qui mon bras allait percer le coeur... Eh ! Bien, sa cruauté va-t-elle être assouvie ? Veut-il trancher mes jours ?         Il m’a donné la vie ! Qu’ai-je entendu, grands Dieux ? Ô destin plein d’horreur ! Est-il bien vrai, Timur ?         Croyez-en ma douleur. Mais quels sont tes garants ?         Les larmes de ma mère, L’aveu de Calciope.         Ô trop fatal mystère ! Ranimez, Dieux puissants, mes esprits abattus. Toi, fils de ce barbare, avec tant de vertus ? : Mais pourquoi si longtemps te cacher ta naissance ? Un intérêt trop cher la forçait au silence. Mon père à mon aurore avait proscrit mes jours : Il croit que par son ordre on a tranché leur cours ; Paramis à ses coups déroba la victime : Plût aux Dieux que sa main eût achevé le crime ! Et quel est ton dessein ?         De lui tout découvrir. Je veux par mon respect tâcher de l’attendrir, Aux ordres de mon père obéir sans murmure, Dans son coeur, s’il se peut, éveiller la nature. Un sentiment si doux dans, un coeur si cruel ! Fût-il plus inhumain, dois-je être criminel ? Tu n’adouciras point son affreux caractère. Altéré de ton sang, ce barbare...         Est mon père. Tu ne peux le servir sans trahir notre amour. Chère Artazire !....     Eh bien ?         Je vous perds sans retour ! Tu peux m’abandonner !         Je n’ai plus d’espérance. Tu trahis Arbacès, ses projets, ma vengeance : Tu connais ses desseins, il t’a cru généreux ; Tu trahis tes serments.         Ces serments sont affreux. Par eux, sans le sentir , j’outrageais la nature, Et mon premier devoir me commande un parjure. Tu veux me voir, Timur, expirer à tes yeux. Je veux vous mériter de mon père et des Dieux. Malheureux ! À t’aimer penses-tu le contraindre ? J’aurai fait mon devoir, j’en serai moins à plaindre ; Et si rien n’adoucit son injuste courroux, J’aurai montré du moins, un coeur digne de vous. Viens, pour mieux signaler un dévouement si rare, Viens me livrer toi-même aux fureurs du barbare ; Que tes yeux...         Demeurez. Je ne suis plus surpris De l’imprudent orgueil qu’affectaient vos mépris. Tout est connu, Madame ; un téméraire, un traître, D’infidèles sujets s’arment contre leur maître. Je viens de pénétrer dans leurs complots obscurs : Arbacès est leur chef, il marche vers ces murs. Il ose s’emporter à cet excès d’outrage ; Qu’il tremble, mon courroux vous retient pour otage. Eh ! Quel droit avez-vous d’accuser des sujets Que le Ciel autorise à venger les forfaits ? Arbacès, qui pour vous a prodigué son zèle, Mérite peu ces noms de traître et de rebelle. Les Rois ont des devoirs imposés par les Dieux ; Respectez-les du moins, ou connaissez-les mieux. Songez...         Si je pouvais oublier son audace, Ce serait par vos mains qu’il obtiendrait sa grâce. Venez : la foudre encor pourrait se détourner ; Mais ce n’est qu’aux autels que je veux pardonner. Qui, toi ! Lui pardonner ? Crains plutôt sa vengeance. Les Dieux, dont tes forfaits ont lassé la clémence, Te menacent enfin d’un éternel courroux. Tremble ; c’est aux tyrans de tomber sous leurs coups. Va, ton règne est passé ; redoute leur justice, Redoute les enfers armés pour ton supplice. Je vois sans m’effrayer les horreurs de mon sort ; Je n’attends plus de toi que des fers et la mort. Je ne m’abaisse point à fléchir ta colère : Prononce mon arrêt ; mais crains encor mon père. C’en est trop, que son sang...         J’embrasse vos genoux ; Le malheur d’Arbacès rejaillirait sur vous. S’il faut, pour le ravir au destin qui l’accable, Livrer à votre haine un objet plus coupable, Il est, Seigneur, il est un autre criminel : Il vient, pour le sauver, s’offrir au coup mortel. Plus dangereux pour vous, cependant plus à plaindre, C’est lui, c’est son erreur que vous auriez du craindre. Il adore Artazire, il a reçu sa foi ; Il servait Arbacès.     Et quel est-il ?         C’est moi. Qui ? Vous !         Je vous apprends ce funeste mystère : Je reconnais mon crime ; il fut involontaire. Un penchant trop flatteur brava tous mes efforts. J’en suis assez puni ; vous voyez mes remords. J’aimais, et mon amante approuvait ma tendresse. Ce sentiment si pur égara ma jeunesse. Artazire !... Seigneur, elle était à mes yeux D’un prix !... J’aurais osé la disputer aux Dieux. Moi-même, j’irritai les chagrins de son père ; Moi-même, à se venger j’excitai sa colère. Je ne vis plus en vous qu’un injuste rival, Et j’allais sur mon Roi porter le coup fatal ; J’allais frapper : grands Dieux ! Vous m’entraîniez au crime. Ma mère ouvrit mes yeux sur le bord de l’abîme ; Calciope eut horreur du projet de son fils. Toi ! Fils de Calciope !         Oui, Seigneur, je le suis. Le Ciel m’avait marqué du sceau de sa colère : Proscrit dès ma naissance, et par l’ordre d’un père, Il ne sait point encor que les Dieux m’ont sauvé. À de plus grands malheurs ces Dieux m’ont réservé. Ciel !         J’étais aveuglé ; c’est ma mère, c’est elle Qui vous rend un appui dans un sujet rebelle. Je vous cède Artazire, adorez-la toujours : Artazire aurait fait le bonheur de mes jours ; Mais, Seigneur, que du moins la pitié vous fléchisse. Je fais en gémissant ce cruel sacrifice ; Mais si le Ciel enfin, apaisé par mes pleurs, De vos sujets soumis vous ramenait les coeurs, Pour prix de mes remords, songez que la clémence Fait adorer les Rois, désarme la vengeance ; Que traités désormais avec moins de rigueur, Vos peuples consolés... Vous vous troublez, Seigneur ! Hélas ! Dois-je poursuivre, ou garder le silence ? Ciel ! Il est donc instruit ! Il connaît sa naissance ! Je le vois trop, ses yeux de larmes obscurcis... Cruel, tu peux encor méconnaître ton fils ! Toi, mon fils ?         À ce nom, d’où naissent les alarmes ? Quoi ! Tu crains la nature, et mes pleurs sont ses armes ! Les monstres des forêts sont soumis à sa voix. : Ne peux-tu feindre, au moins, d’en respecter les droits ? Apprends à triompher d’une injuste colère : Quand j’ose être ton fils ; crains-tu d’être mon père ? Mon coeur (j’en fais l’aveu) n’aspirait qu’à ta mort ; J’ignorais, et ton crime, et l’horreur de mon sort ; J’allais venger les Dieux, ma mère, l’Assyrie : Je ne vois plus en toi que l’auteur de ma vie. Le jour que je respire est un de tes bienfaits ; Il ne m’appartient plus dé juger tes forfaits. J’immole mon amour, je te cède Artazire : Vois combien sur les coeurs la nature a d’empire ! Elle impose à ton fils ce rigoureux devoir : Cruel, à mes remords, reconnais son pouvoir. C’en est fait... à ta voix mon courroux doit s’éteindre : Embrassons-nous, mon fils, et cessons de nous craindre. Je rends grâce au destin qui prit soin de tes jours : Sur de vaines terreurs j’avais proscrit leur cours. Je sens que tôt ou tard la nature est vengée : Ne me reproche plus de l’avoir outragée. Va mériter les droits et le nom de mon fils, Va soumettre ou punir nos communs ennemis. Mon amour te répond du salut d’Artazire : C’est à toi de veiller à celui de l’Empire. Oui, je cours vous défendre, ou verser à vos yeux Ce sang infortuné qui vous fut odieux. Que je vais dissiper les craintes de ma mère ! Dieux, mes voeux sont remplis, vous me rendez un père ! Va, malheureux, ton sort est encor plus fatal. Que je suis satisfait ! Je connais mon rival. La nature entre nous n’a rien que de funeste ; Plus il paraît soumis, et plus je le déteste ; La pitié fut toujours étrangère à mon coeur : Qu’il m’a fallu souffrir pour cacher ma fureur ! Avant de l’immoler, je veux que son courage Remette en mon pouvoir un sujet qui m’outrage. Arbacès, si le sort se déclarait pour toi, Du moins à mes fureurs tu connaîtras ton Roi. Tu frémiras d’horreur au choix de la victime, Traître, je t’apprendrai comme on punit le crime. Est-il bien vrai, grands Dieux ! Mes maux sont-ils finis ? Il s’est laissé fléchir par les pleurs de son fils ! Un changement si prompt n’a rien qui me rassure ; Le traître a trop longtemps outragé la nature. A-t-il pu la sentir, et passer en un jour Du crime à la vertu, de la haine à l’amour ? Aux regards de Ninus il a pu se contraindre ; Si c’est un artifice ; il en est plus à craindre. Mais ne puis-je goûter un instant de bonheur ? Les Dieux, les Dieux sans doute ont pu changer son coeur ; Aux larmes de mon fils tout doit être possible. Ah ! J’aurais plus d’espoir, si j’étais moins sensible. Pour comble de douleur, je crains les conjurés ; Ils vont porter sur lui leurs bras désespérés ; Ils ignorent, hélas ! le sang qu’ils vont répandre. Déjà, près de ces murs, leurs cris se font entendre. Dieux, écartez de lui leurs homicides bras, Veillez à sa défense, et conduisez ses pas ! Paramis ne vient point. Qu’est devenu son zèle ? Il devait du combat m’apporter la nouvelle. À déchirer mon coeur tout conspire aujourd’hui. Osons tenter du moins... Mais que vois-je ? C’est lui. Ah ! Paramis, l’effroi peint sur votre visage, Ne confirme que trop un douloureux présage ; Je vois dans vos regards les horreurs de mon sort ; Mon fils n’est plus !         Il vit ; mais il cherche la mort. Il vit ! Il ne vient point pour consoler sa mère ! Puis-je porter sans lui le poids de ma misère ? N’importe, expliquez-vous.         Arbacès est vainqueur ; Il marche vers ces murs sans prévoir son malheur. Votre fils dans les rangs s’est ouvert un passage ; J’ai frémi des périls que bravait son courage : Des soldats, énervés dans les bras du repos, Conduits par sa valeur, se changeaient en héros, Et, quoique mal formés au grand art, de la guerre, Semblaient des conquérans prêts à dompter la terre. Je l’ai vu, l’oeil en feu, seul, entouré de morts, Se faire en combattant un rempart de leurs corps, Et trois fois Arbacès entraîné par sa suite, S’est vu prêt à chercher son salut dans la fuite : Mais contre, un camp nombreux, que pouvait la valeur ? Que pouvait un héros et des bras sans vigueur ? Les pâles habitans d’une ville alarmée ? Que pouvait votre fils, lui seul contre une armée ? De glaives menaçans son père environné, De tous ses défenseurs se voit abandonné : Pressé de toutes parts , et privé d’espérance, Il veut en expirant signaler sa vengeance ; Il veut par son trépas couronner ses forfaits. Il est un édifice écarté du palais ; Là sont tous ces trésors :, ces tributs que l’Asie Rend avec l’univers à la Cour d’Assyrie, Aux besoins de l’Etat consacrés par nos lois,. Trop souvent prodigués au vain luxe des Rois. Là, fuyant tous les yeux, le tyran se retire, Et la flamme à la main, seul avec Artazire, Lui-même sans frémir allume un feu vengeur, Sur ce fatal bûcher l’entraîne avec fureur ; Et craignant de tomber sous les coups d’un rebelle, Croit se venger du moins en mourant avec elle. Il immole Artazire ! Ah, grands Dieux ! u’ai-je appris ? Je ne reverrai plus mon déplorable fils. Sans doute il est instruit des fureurs de son père. On n’a pu lui cacher ce funeste mystère. À l’affreuse lueur de cet embrasement , Pâle d’effroi, troublé d’un noir pressentiment, Il accourt, il frémit. Ô spectacle terrible Pour les regards d’un fils, d’un amant trop sensible ! Il voit encor ces murs, il veut s’en approcher, Et déjà ce palais est un vaste bûcher. J’arrive, je le suis, il me voit, il m’évite. Dans la flamme aussitôt vole et se précipite ; En vain j’appelle encor ce prince furieux ; Un nuage confus le dérobe à mes yeux. Il suffit ; mes regards seront témoins du reste. Je ne survivrai point à ton malheur funeste, Ô mon fils ! Puisqu’enfin je n’ai pu te venger, Jalouse de ton sort , je veux le partager/ Quel est donc son dessein ? Que prétend-elle faire ? Ô Dieux ! Voulez-vous perdre et le fils et la mère ? Je crains son désespoir.         Ah ! Père malheureux ! Artazire... Timur !... Qu’avons-nous fait tous deux ? Qui ? Timur ? Ce cruel par qui ma fille expire ! Sans lui nous allions vaincre, et venger Artazire ; Oui, j’ai pu la soustraire aux cruautés du Roi ; Trop barbare Timur, elle eût vécu sans toi. Sans toi, sans tes fureurs, je serais encor père. Ah ! Servez mes transports, secondez ma colère : Comme moi, Paramis a promis de punir Celui des Conjurés, qui pourrait nous trahir. Vous connaissez le traître, en seriez-vous complice ? Si vous ne l’êtes point, ordonnez son supplice. Mais non, pour l’immoler il suffit de mon bras ; Que l’odieux Timur ne nous échappe pas. Eh quoi ! Vous frémissez au seul nom du coupable ? Quelle indigne terreur vous trouble et vous accable ! Je prétends pénétrer dans ce mystère obscur. Arbacès !...     Ah ! Parlez.         N’accusez point Timur. Quoi ! Loin de ressentir une injure commune, Vous...         Quand vous connaîtrez toute son infortune, Quand ses destins affreux vous seront éclaircis, Lorsque vous apprendrez de qui Timur est fils, Dans quel sang...     Achevez.         Le tyran fut son père. Timur, fils de ce monstre ? Ô trop affreux mystère ! Lui ! Le fils du Tyran qu’il promit d’immoler ? Ce terrible secret vient de se révéler. Triomphez ; Arbacès, votre fille respire. Vous devez à Timur le salut d’Artazire. Dieux ! Et par quel prodige ?         Ah ! Croyez mes transports, Ou plutôt de Timur les généreux efforts. En proie à la douleur où se livrait son âme, Furieux, il s’élance au milieu de la flamme ; Un Dieu, sans doute, un Dieu lui prêtait son appui. Le bûcher se disperse et s’écroule sous lui. À travers les débris et la flamme expirante , Ce héros aperçoit son père et son amante ; Timur s’applaudissait d’avoir sauvé leurs jours, Quand le Roi s’en indigne ; et trompant son secours, D’une main que poussait une aveugle furie , Lève un poignard, s’en frappe, et retombe sans vie. Timur désespéré prend ce fer, et soudain Votre fille, Seigneur, l’arrache de sa main : Cependant mille cris dans les airs retentissent, En faveur de mon fils les voeux se réunissent ; Le peuple accourt en foule, et couronnant Timur, Le force de monter sur le trône d’Assur. Oui, Peuple, vous voyez l’héritier de l’Empire ; Ce guerrier généreux, protecteur d’Artazire, Ce héros par vos mains aujourd’hui couronné, C’est Ninus par son père à périr condamné : C’est moi qui le sauvai, moi dont la vigilance Aux fureurs du tyran déroba son enfance. Dieux ! Je revois ma fille ! Ah ! Timur, ah ! Seigneur ! Je viens à vos genoux expier mon erreur. J’osais vous accuser de mon destin contraire, Quand ma fille à vos soins doit ce jour qui l’éclaire. Que sa main soit le prix d’une si noble ardeur ; Artazire appartient à son libérateur, Au vengeur, à l’appui de ma triste famille. L’amour met à vos pieds et le père et la fille. Le Trône où vous montez ne fut point mon objet : Reconnaissez en moi votre premier sujet. Des Peuples révoltés qu’excita mon outrage, Arbacès désarmé vous offre ici l’hommage. De joie et de douleur, ô sentiments confus ! Artazire !... Mon père !...         Écartons, cher Ninus, Écartons à jamais ce souvenir funeste. Osons mieux de ce jour employer ce qui reste : Ce même jour vous place au rang de vos aïeux ; Faites-y respecter la justice et les Dieux : Régnez, et des vertus donnez à tous l’exemple. Vous, veillez sur sa vie ;         Et vous, courez au temple, Et rendez grâce au Ciel qui, par de justes lois, Affermit sur le trône, ou renverse les Rois.