Allons, allons ; le temps s’avance. Je ne m’amuse pas ; et vous pouvez le voir. Quel tracas nous auront ce soir ! Mais aussi, nous ferons bombance. C’est la ton seul plaisir.         Dam ! Chacun a son goût. Pourquoi faire cette dépense ? À quelle occasion ?         Je n’en sais rien du tout. Mais par quelle raison éloigner tout-à-coup Et sa fille et ton secrétaire ? Mamsel’ Lisbeth ? Je crois que son notaire Est mieux instruit que nous.         Sur quoi le penses-tu ? Depuis une heure au moins, il est seul avec elle. Et tu conclus de là ?         Pardi ! Qu’il est venu Pour marier Mademoiselle. Extravagant !         Celui qui gagerait Qu’on donne ce festin pour la noce....         Perdrait. Hé ! Pourquoi donc inviter sa famille? Hé ! Pourquoi donc faire partir sa fille ? Hein ?         Pour la faire revenir. Avec son futur.         Qu’il est bête ! Vous m’en direz deux mots ce soir après la fête. Et quel est ce futur ?         Dam ! Je ne la sais pas. Mais, qu’importe ? En Hollande on n’y regarde guerre, Et la qualité qu’on préfère Dans un mari, c’est beaucoup de ducas. Ah ! Tu ne connais pas Madame ! C’est bien le meilleur coeur ! C’est bien la plus belle âme ! Elle sait réunir la gaîté des Français À la candeur des Hollandais. Bonne amie, excellente mère ; À son coeur sa fille est trop chère Pour la sacrifier à de vils intérêts. Et comme la petite est naïve et sincère, Si quelqu’un avait su lui plaire, Certainement je le saurais. Et je n’ai jamais vu...         Vous ne voyez donc guère. Hem ? Qu’entends-tu par là ?         Qu’à ce pauvre Mirval. Ce mariage là va faire bien du mal. Ah ! Vraiment l’idée est nouvelle ! Un Secrétaire !         C’est égal ! Il est instituteur de notre Demoiselle ; Et tu fais tort à ce jeune Français ; Il pense avec délicatesse; Il est honnête, et modeste a l’excès. Dans ses leçons, il donne à ma maîtresse Les préceptes de la sagesse, Et ne s’en écarte jamais. J’ai de bons yeux.         Vas, tu t’abuses. En fait d’amour, les filles ont des ruses ! Mais, tu sais qu’aux leçons j’assistais tous les jours. Les moments s’écoulaient...         Et leur semblaient trop courts. Mirval est fort exact.         Jamais elle ne tarde. Elle lui parle peu.         Mais elle le regarde. Ils ne se cherchent point.         Ils se trouvent toujours. Adélaïde, simple et sans expérience, Ne m’a jamais caché ce qu’elle pense. Gouvernante de la maison J’ai su l’élever sur ce ton : Et je ne pense pas qu’elle change de note. Mon cher Fridric, regarde-moi ; Et lu verras si j’ai l’air d’une sotte. Lorsque l’on voit un couple adolescent Se sourire en sa regardant, On dit... C’est un enfantillage ; Mais lorsqu’en rencontrant leurs yeux, Ils sont tout-a-coup si honteux Qu’un grand feu leur monte au visage. Alors, bien fermement je crois Qu’ils ont tous deux l’autour en tête. Mamsel Lisbeth, regardez-moi, Et vous verrez si j’ai l’air d’une bête. En tout cas, cet amour serait bien malheureux. Bon ! En les mariant tout deux, Cela s’arrangerait.         Ô la belle chimère ! Et pourquoi donc ?         Je sais que ce jeune étranger A sauvé du plus grand danger Ma jeune maîtresse et sa mère. Mais il en est, je crois, assez récompensé. On peut récompenser de plus d’une manière. Celle-ci serait singulière : Nourri, logé, vêtu, prévenu, caressé ; Il a, de la maison, la confiance entière. Mais, si Madame a pu s’apercevoir Qu’il en conte à ton écolière, Nous pouvons nous attendre à ne plus le revoir. Ce serait bien fâcheux !         Oui, tout le monde l’aime ; C’est le meilleur garçon.         Hé ! Le voici lui-même. Comment, c’est vous mon cher Mirval ? Bonsoir, mes bons amis.         Bon, vous serez du bal. De vous revoir, je suis vraiment ravie. Fridric , vas prendre les paquets. Depuis votre départ, tenez, je parierais Que Mademoiselle t’ennuie !... Faites ce qu’on vous dit.         J’y vais. Lisbeth, pourquoi ces apprêts ? Ne m’interrogez point là-dessus, je vous prie. D’où vient ?         Soit par caprice ou par bizarrerie, Ma maîtresse, de ses projets, Ne m’a pas dit un mot.         Quelle plaisanterie ! Je ne plaisante pas du tout : depuis longtemps, Rendant justice à ma prudence, Elle me faisait confidence Des secrets les plus important. Hé bien, dans cette circonstance, Soit Caprice, soit méfiance, Sans prendre mon avis elle a tout ordonné. Et vous serez plus étonné Quand vous saurez que sa fille chérie Ne sait pas un mot de ceci. Mais, comment se peut-il ?         Comment ? Elle est partie Peu de jours après vous.         Elle n’est point ici ? Non : c’est une cachotterie !... Sa mère m’avait fait partir Pour terminer d’importantes affaires, Sans m’avoir fait passer les papiers nécessaires. Elle m’écrit de revenir, Et son ordre est précis.         Voulez-vous bien permettre ? « Mirval, au reçu de ma lettre, Vous partirez sans perdre un seul instant ; ............................... Abandonnez toute autre affaire. Je suis, etc. » ; et toujours du mystère ; Sur mon honneur, c’est révoltant. Vous connaissez votre maîtresse; Elle a trop de bon sens ; elle a trop de sagesse Pour n’avoir pas un motif important. On croit qu’en rassemblant aujourd’hui sa famille, Elle a dessein...     De quoi ?         De marier sa fille. Il a pâli : son amour est réel. Cachons mon déplaisir mortel. Puis-je entrer ?         Non, elle est chez elle. Mais ton Notaire est avec elle. Ciel !         Je ne puis donc lui parler ? Je ne sais pas si la chose est possible, Car elle a défendu qu’on aille la troubler ; Mais peut-être pour vous elle sera visible. J’y vais.     Pauvre garçon !         Je me flattais en vain. Tout espoir est perdu : mon malheur est certain. Cette tendre amitié que me montrait sa mère, N’était donc qu’un appât trompeur, Qui devait rendre ma douleur Et plus cuisante et plus amère ? Mirval ? Elle n’est point cause de ton erreur, Et cette femme respectable A des droits sacrés sur ton coeur : En le donnant sa confiance entière, Elle a compté sur ta candeur. Respecte Adélaïde. Elle est ton écolière : Ne te prépare point la honte et les regrets, Supporte le malheur avec une âme fière, Et ne le mérite jamais. Par bonheur, je n’ai point encore Fait éclater mes sentiment secrets ; Adélaïde les ignore : J’ai vu naître, former, embellir ses attraits : Dans ses yeux sans expérience J’ai cru quelques fois entrevoir Ce premier sentiment si cher à l’innocence, Et que le coeur éprouve avant de le prévoir ; Mats sacrifiant tout à ta reconnaissance, Il faut étouffer l’espérance Et n’écouter que le devoir. Sauvons-là d’elle-même, et partons dès ce soir. Je veux surmonter ma tendresse, Dussai-je en périr de douleur. J’aime mieux mourir sans bassesse Que de végéter sans honneur. Attendez, elle est en affaire, Mais elle vont fera venir Dès qu’elle aura renvoyé son Notaire. Aurez-vous la bonté de me faire avertir ? Je vais monter chez moi.         J’irai : soyez tranquille. Allons tout préparer et quittons cette ville. Tu disais vrai, Fridric ; il a beau s’efforcer, Il ne peut cacher sa tristesse. Dam, quand on est prêt à danser À la noce de ta maîtresse, Ce n’est pas régalant.         Sa douleur m’intéresse. Je veux avec Madame avoir un entretien. Je l’attends de pied ferme.         Hé bien ? Je la retournerai de toutes les manières : J’emploierai tour-à-tour reproches et prières : Enfin, je m’y prendrai si bien Pour savoir son secret...         Que vous ne sauriez rien. Pourquoi donc, s’il vous plaît ?         Vous sériez en colère Si je vous disais le pourquoi. Point du tout.     Jurez-en.         Ma foi. Pour causer avec son notaire, Madame était dans son boudoir. J’étais contre la porte ; ils ne pouvaient me voir, Et je les regardais, comme je vous regarde ; Madame a dit...         Quoi donc ? Ne fais pas le discret. Qu’elle vous confierait volontiers ton secret, Si vous n’étiez pas si bavarde. Impertinent.         Ah ! C’est bien fait. Je ne devais pas vous instruire. Ce soufflet est bien mérité. Je savais que la vérité N’était pas toujours bonne à dire. Mon notaire oubliait ces papiers importants. Cours après lui, Fridric, et passe en même temps Chez mon bijoutier.         Pour quoi faire ? Donnes-lui ce billet... Dis-lui que je l’attends, Et reviens au plutôt.         Je ne tarderai guère, Mais je vais avertir, avant de m’en aller, Mirval, qui voudrait vous parler. Lisbeth ira.     C’est bon.         En conscience ; Sans manquer à la bienséance, Et sans oublier mon devoir ; En ce moment je crois pouvoir Me plaindre amèrement de votre méfiance. En quoi donc ?         Vous donnez une fête ce soir : M’en cacher la raison c’est me faire une offense ; Mon zèle a quelques droits et votre confiance. Il est bien dur pour moi...         Tu voudrais donc savoir Le motif de ce bal ?         J’en meurs d’impatience. Il fallait donc m’en avertir. C’est que je craignais...         Quelle enfance ! Vous aurez donc la complaisance... En satisfaisant ton désir, Puis-je compter ?...         Sur un profond silence. Si je donne une fête avec magnificence...... C’est que tel est mon bon plaisir. Comment.         Ne vas pas me trahir : Te voilà dans ma confidence. La confidence est belle, et...         Va vite avertir Mirval que je l’attends.         Discrète autant qu’habile. Sur la discrétion, va, je suis bien tranquille. En vérité, Madame.         Allez chercher Mirval. Oh ! Gardez vos secrets, cela m’est bien égal. Elle s’en va bien en colère. Mon silence lui cause un violent chagrin. Mais lui confier mon dessein C’est le dire à toute la terre • Et j’ai besoin du plus profond mystère Pour réussir dans mon projet. Mirval ose manquer à la reconnaissance ; Il adore ma fille ; elle l’aime en secret ; J’ai surpris leur intelligence ; De leur amour j’ai suivi les progrès ; Dans l’âge heureux de l’innocence Un premier sentiment ne se masque jamais : L’une trompe sa mère, et l’autre son amie ! Cette double réserve a droit de m’affliger. Elle a porté le trouble en mon âme attendrie. Voici l’instant de m’en venger. Pour les punir tous deux de n’être pas sincère, J’espère leur donner ce soir avec succès Une leçon forte et sévère, Mais sans la porter a l’excès, Je veux me venger... mais en mère. Je me rends à votre ordre.         Ah ! Vous voilà Mirval ? Tant mieux ; vous m’étes nécessaire Pour faire les honneurs du bal. Comment ! Vous donnez une fête ? Oui, mon bon ami.     Quand ?         Ce soir : J’ai su tout régler ; tout prévoir; Vous verrez si j’ai de la tête. À se bien divertir ici chacun s’apprête : J’en donnerai l’exemple ; et vous allez me voir D’une gaîté ! D’une folie ! Je ne veux pas sitôt renoncer au plaisir : Plus on voit approcher le terme de la vie, Et plus on doit se hâter d’en jouir. Avec l’ennui j’ai fait divorce : Je deviendrais laide demain, Sans en avoir le plus léger chagrin. Hé ! Que me fait à moi l’écorce, Tant que le fond sera bien sain. Le temps pourra m’ôter ma force, Courber mon corps ; rider mes traita, Mais mou humeur ne changera jamais. Les petits jeux sont pour l’enfance ; Dans l’âge mûr il faut de la raison ; Mais la gaîté naïve et pure Est un présent de la nature Qui convient à chaque saison. Cet aimable enjouement qui vous caractérise... Est le garant de ma franchise, Jusqu’au fond de mon coeur il est aisé de voir. Mais pourquoi donnez-vous cette fête ce soir ? À quelle occasion ?         Doucement, je vous prie, Mirval ? C’est mon secret que vous voulez savoir. Je n’ai pas prétendu.         Gardons chacun les nôtres. Vous ne m’avez jamais communiqué les vôtres. Ah ! Madame ! Croyez...         Je ne vous blâme en rien. Chacun peut à son gré disposer de son bien, Sans que personne s’en offense : Je ne prétend point arracher Le secret qu’on veut me cacher. Mais celui qui croit par prudence Devoir me déguiser les siens, Ne doit jamais prétendre à connaître les miens : Méfiance pour méfiance. En me comblant de vos bienfaits, M’avez-vous, une fois, demandé mes secrets ? On peut avec reconnaissance Recevoir une confidence ; Mais on te l’exige jamais. Sans vouloir vous tromper j’ai gardé le silence. Mon père, intéressé dans un commerce immense, Vit tout-à-coup change son sort. Un revers accablant engloutit sa fortune : La vie alors lui devint importune ; Il oublia son fils, et se donna la mort. Resté sans appui sur la terre ; Redoutant le mépris qui s’attache au malheur, Je vins ici cacher ma honte et ma misère. Vous avez de mon sort, adouci la rigueur ; Et je dois tout à votre bienfaisance. Dites plutôt, mon cher, et ma reconnaissance. Mais je savais déjà cela.         Vous le saviez ? Sans doute, et vous voyez par là À quoi peut servir le mystère. Avec ses vrais amis il faut être sincère. Vous savez mes secret... •     Bien vrai ?         Je n’en ai plus... Cherchez là         Madame, ils vous sont tous connus. Tous, c’est un peu fort.     Je vous jure...         Ne jurez pas. Mais...         Gardez-vous-en bien. Je plains la méfiance et je hais l’imposture. À qui veut m’offenser, je pardonne une injure ; À qui veut me tromper, je ne pardonne rien. De ce qu’elle me dit que faut-il que j’augure ? La crainte quelquefois...         On peut se méfier, De celui que la crainte arrête : Tout sentiment a cessé d’être honnête Dès qu’on rougit de l’avouer. Ah ! Mon coeur s’ouvre à l’espérance. Souvent la crainte d’offenser... Jamais la franchise n’offense : Mais la réservé peut blesser ; Entre de vrais amis la sotte défiance Est ridicule et fait pitié : L’attachement sans confiance N’est que l’ombre de l’amitié. Ô comme c’est joli !         Maman que je t’embrasse. Viens, mon enfant.         J’étais bien lasse De ton absence... Mais pourquoi Me laisser huit jours loin de toi ? Tu le sauras dans peu.         Qu’est-ce donc qui se passe ? Pourquoi l’appartement est-il orné partout ? Trouves-tu cela de ton goût ? C’est charmant ; mais pourquoi ces apprêts ?         Patience, Tu seras instruite ce soir. Ce soir ? Oh ! C’est trop long ! Je voudrais tout savoir À l’instant même.         Ah ! Quelle pétulance ! Plutôt, plus tard ; c’est bien égal. Ah ?     Comment ? Qu’as-tu donc ?         Mirval. Je ne vous voyais pas.         Si pour te satisfaire Il faut absolument t’apprendre ce mystère, Je vais te contenter.         C’est mal. D’abandonner votre écolière. J’étais...         Tu vas savoir des détails importants Que, malgré moi, j’ai dû te taire. J’ai perdu mes leçons...     Pendant dix jours.         Le temps M’a paru bien plus long.         J’espère Que tu m’écouteras.         C’est que je m’ennuyais ! Mais où donc étiez-vous ?         J’étais à votre terre. Pardi, c’était bien nécessaire. Il fallait venir où j’étais. J’obéissais à votre mère. Et moi je n’ai pu travailler Pendant ces dix grands jours !         Elle mourait d’envie De savoir mon secret.... Hé bien ? Elle l’oublie : Quand il s’agit de babiller, Quelle tête folle et légère ! Quand mon maître est absent, je ne puis plus rien faire. Hé bien, le voilà de retour. Depuis que j’ai pris l’habitude De prendre leçon chaque jour ; Vous n’imaginez pas combien j’aime... l’étude. Mais mon enfant, ce que lu sait déjà, Quelques leçons de moins ne peuvent le détruire. Oh ! C’est égal : j’aime à m’instruire. Hé ! Laisse faire, il t’instruira. Dans votre chambre allez m’attendre. Mon cher Mirval, je veux publiquement Vous donner aujourd’hui la marque la plus tendre De mon sincère attachement. Allez.         À peine je respire. Toi, j’ai quelque chose à te dire Qui t’intéresse vivement. Allez, mon franc ami. Qu’a-t-elle donc à rire ? Leur embarras m’amuse infiniment. Pourras-tu m’écouter à présent ?         Oui, ma mère. Sais-tu ma fille à quel point tu m’es chère ? Maman ? Mets la main sur mon coeur, Il te répondra.         Ton bonheur Tient trop au mien pour que je le diffère ; C’est mon plus doux plaisir, c’est ma plus grande affaire ; Et lui seul peut combler mes voeux. Ô ma bonne maman !         J’ai mandé mou notaire, Et j’attends nos parents, nos amis.         Pourquoi faire ? Pour t’assurer le sort le plus heureux. Tout cela n’est pas nécessaire : Pour être heureux avec ma mère, Je n’ai jamais eu besoin d’eux. Tu vas changer d’état.     Comment ?         Je te marie. Ne badine pas, je t’en prie, Le coeur me bât terriblement. Et j’ai voulu, ma bonne amie, Te surprendre agréablement. Ah ! Si c’était ce que je pense ! Depuis longtemps avec prudence J’étudiais les goûts afin de les saisir... Elle a lu dans mon coeur.         Ma tendre complaisance N’a consulté dans cette circonstance Que ce qui peut contenter ton désir. Ô combien je dois vous chérir ! J’ai sondé les replis de ton âme ingénue : Quand je me suis bien convaincue Que ton coeur était libre...         ... Et que tu n’aimais rien. Que la parure et la magnificence... Moi, ma mère ?         Tu vois que je te connaît bien. Mais...         Il fallait en conséquence Te ménager ure riche alliance, Et c’est à quoi je viens de travailler. Vous avez, dites-vous ?...         Hé ! Oui, tu vas briller ! Tu vas nager dans l’opulence ! De la félicité mon coeur jouit d’avance. Écoutez-moi.         C’en est assez. À vos pieds...         Lève toi, ma fille, Quand sur ton front le plaisir brille, Mes soins sont trop récompensés. Quoi ?...         Dans tes yeux ton coeur se déploie. Mais, regardez-les donc.         Que ces larmes de joie Me payent bien...     Écoutez.         Non : Ma chère enfant, je te dispense ; De ces remerciements qui sont hors de saison. Si vous vouliez m’entendre !         Eh ! Mais je sais d’avance Ce que tu me dirais.     Mon coeur...         C’est bon ! C’est bon. Ô quel charmant espoir elle vint de détruire ! Me voilà maintenant dans un bel embarras ! Mais comment ne sait-elle pas Que Mirval a mon coeur ? Tout a dû l’en instruire. Car c’est aussi clair que le jour. Il ne m’a point encor parlé de son amour, Mais nos yeux devant elle en avaient le langage, Et quand elle voyait notre tendre embarras. Un doux sourire animait son visage. On ne doit pas rire à son âge De ce que l’on n’approuve pas. Elle nous a trompé tout les deux... comment faire ? Si je lui disait fermement : « Je ne veux que Mirval pour époux, pour amant : Je l’aime : et vous aurez beau faire.... » Qui, moi ? Résister à ma mère ! Moi l’affliger un seul moment ! Eh ! Pourrai-je éprouver un plus cruel tourment Que le malheur de lui déplaire ? Non : non... Si je parlais de Mirval ;... le voici. Oh ! Comme il est rêveur !         Elle est encore ici ? Je ne puis l’éviter.         Que n’ai-je assez d’adresse Pour le faire expliquer !         Cachons-lui ma faiblesse ; Et prenons garde de nous trahir. Je ne pourrai jamais lui parler sans rougir. Pourquoi restez-vous là Mirval ?         Mademoiselle, Je cherche voire mère.         Elle ra revenir. Vous savez qu’à vous voir elle a bien du plaisir. Restez.         Sa bonté naturelle... Et vous savez aussi que je pense comme elle. Croyez que mon respect...         Je n’oublierai jamais Que c’est à vous que je dois mes progrès. De mes soins assidus ils sont la récompense. Ils vous donnent des droits à ma reconnaissance, Ainsi qu’à ma tendre amitié. Ô ciel !         Pour vous prouver toute ma confiance, Je veux vous faire confidence De mes chagrins... vous en aurez pitié. Daignez m’écouter je vous prie. Votre coeur pur et sans détour Ne veut pas offenser une mère chérie ? Me révéler ce qui vous contrarie, C’est un vol fait à son amour. Ah ! Vous savez combien son amitié m’est chère ! Elle tient à mon être ; elle m’est nécessaire : Et malgré des rapports si doux, Je ne sais pas trop entre nous En quoi notre amitié diffère ; Mais celle que j’ai pour ma mère N’est pas celle que j’ai pour vous. Et je ne puis parler ! Ô contrainte cruelle ! Vivat, vivat ! Grande nouvelle ! Qu’est-ce que c’est ?         Je l’ai dit ce matin, « Il faut que le fait soit certain, Puisque l’on donne une veillée ». J’ai de l’esprit comme un lutin ! Vous allez être émerveillée ! Et de quoi donc ?         Quand vous verrez cela ! Ceci par ci, cela par là ! Il faudra que chacun admire ; Et puis ensemble on s’écriera... « La bonne maman que voilà ! » Et puis au bal comme on va rire ! Et walz, et walz : et houp ça ça. Du sujet de ta joie il faudrait nous instruire. Mais sans doute.         Je le veux bien. Votre mère m’a dit, mais sans m’expliquer rien, Vas porter promptement ces papiers, cette lettre. À qui ?         Voulez-vous bien permettre ? Je vous expliquerai le fait de bout en bout. J’ai porté les papiers... ensuite Chez l’autre j’ai couru bien vite : Mais quand je me suis trouvé là, Ah ! Bon dieu !     Quoi donc ?         De ma vie. Je n’ai rien vu comme cela ! Et vous en serez éblouie : Oh ! Vous pouvez vous en fier à moi : C’est superbe !         Superbe ! Quoi ? Un petit moment, je vous prie. Il m’a tout étalé pour me faire tout voir. Quoi donc ?         Vous voulez le savoir ? Eh ! Sûrement ; j’en meurs d’envie. Pendant que j’admirais cela Il a relu la lettre.     Eh ! bien ?         Je vous annonce... Après ?         Que je m’en vais en porter la réponse : Hé wals, hé wals, hé houp ça, ça ! Il est devenu fou.         Qu’annonce ce mystère ? En vérité, je n’en sais rien. Mais vous, Mirval, serez-vous plus sincère ? N’en doutez pas.         Sur quoi roulait votre entretien Quand je vous ai trouvé tantôt avec ma mère ? Nous parlions de sincérité ; Pour elle cette qualité À plus d’une autre est préférable. Elle a raison, rien n’est plus agréable ! Elle ajoutait avec bonté : « Jamais un coeur pur ne déguise Les accents de la vérité. » Mirval ? De ces leçons avez-vous profité ? Sans doute.         Hé bien, parlons avec franchise. Voyons ; expliquons-nous.         Nous expliquer ? Sur quoi ? Vous m’impatientez.         Ô devoir trop sévère. Hé bien, Mirval, conseillez moi. D’abord ; apprenez que ma mère Veut me marier dès ce soir. Je m’en doutais.         Fort bien.... Elle ne fait pas voir Ce beau mari !         Sur sa sagesse Vous devez fonder votre espoir : Vous connaissez pour vous jusqu’où va ta tendresse, Et vous savez votre devoir. Et si cet homme est haïssable. Votre mère est trop raisonnable Pour avoir fait un choix dont elle pût rougir. Ah ! Croyez que l’époux qu’elle a sua vous choisir... Mais quand il serait adorable, Si je ne puis pas le souffrir ? Que dois-je faire alors ?         Agir Comme une fille raisonnable, Qui craignant d’affliger sa mère respectable, A le courage d’obéir. Oh ! Vous êtes insupportable ! Ne vous mettez pas en courroux. Quel raisonnement est le vôtre ! Eh ! Comment voulez-vous que j’en épouse un autre, Lorsque mon coeur est tout à vous ? Quoi ! Vous m’aimez !         Allons, feignez de la surprise. Hum ! Vous le saviez bien !     Jamais...         Qu’il est menteur ! Ah ! Pour connaître mon bonheur... Il fallait que je vous le dise ? Eh bien ! Vous devez le savoir, Je vous l’ai dit.         Adélaïde, Je serais un ingrat : je serais un perfide Si je vous laissais entrevoir La plus faible lueur d’espoir. Pourquoi donc ? Ma mère vous aime, Tantôt encor, comme elle m’assurait Avec une tendresse extrême, Que mon bonheur seul l’occupait. J’ai cru que c’était vous qu’elle me destinait. Eh mais ! la chose est impossible ! Sans état ; sans appui ; moi qui n’ai pour tout bien Qu’une âme tendre, un coeur sensible... Et vous comptez cela pour rien ? Étouffez un penchant que votre mère ignore, Et que vous ne devez jamais lui révéler. Vous ne m’aimez donc pas ? Qui, moi ? Je vous adore. Ah ! Cela s’appelle parler. Juste ciel ! Quel est mon délire ? J’oublie, en osant vous le dire, La reconnaissance et l’honneur. Madame Wanberk se retire et ferme doucement la porte. Hé non ! Vous êtes dans l’erreur. Ah ! Loin d’encourager ma criminelle ardeur, Condamnez moi vous-même au plus cruel martyre : Défendez-moi de vous offrir mon coeur. Eh ! Défend-on ce qu’on désire ? Adélaïde !     Hé bien ?         Vous nous perdez tous deux. Que l’on conduise ici Mirval et mon notaire. Je fuis !         Non ! Demeurez... je veux, Devant vous, tout dire à ma mère. Je n’oserai jamais...         Hé bien, laisses moi faire. J’ai du courage, moi.         Ah ! Vous êtes ici ? Je vous faisais chercher : vous m’êtes nécessaire. Le bonheur de ma fille est ma première affaire. Mais cependant il faut aussi Qu’envers vous Mirval, je m’acquitte. Je sais que je vous dois beaucoup. Que vous avais-je dit ?         C’est moi qui vous doit tout. Ma fille tient de vous ce qu’elle a de mérite. Ses talents, par vos soins, peuvent encore gagner. Il est temps de vous témoigner Jusqu’où va ma reconnaissance ; Elle surpassera je crois voire espérance ; Je m’en flatte du moins.         Comme le coeur me bat ! Madame...         Oui : je veux assurer votre état : Mais veut me promettez d’achever votre ouvrage •, C’est une clause du contrat. Du contrat : c’est bien clair.         Sans consulter l’usage, Sans prendre avis de mes parents. Je vous ai fait un avantage Qu’on n’accorde qu’à ses enfants, Et vous voilà de la famille. Ah ! Madame !     Ah ! Ma mère !         Écoute-moi, ma fille, II est temps à présent de te faire savoir Ce secret désiré.         J’ai rempli le devoir D’une mère prudente et sage : J’ai bien conduit l’affaire, et vous allez le voir. Le plus riche parti de tout le voisinage, Qui réunit par un double avantage Et l’opulence et le pouvoir ; Homme puissant.     Hé bien ?         Vient t’épouser ce soir. Moi ? J’épouse...         Un seigneur, et du plut haut parage. Vous, Mirval, vous allee signer. À son contrat de mariage. Je crois que cet honneur n’est pas a dédaigner. Quel coup !         Il change de visage. Je m’en vais lui parler... calmez votre chagrin. Pardon, maman... mais...     Quoi ?         Je pense... Que vous pouviez, par complaisance, Interroger mon coeur avant d’offrir ma main. Pourquoi donc, mon enfant ? Le mien était certain De la parfaite indifférence. Qui vous l’assure ?         Ton silence. Quoi ? Mon silence ?...         Oh ! Je ne risquais rien. Répondez franchement.         Hé bien ? Vous seriez-vous mise en colère Si je vous avais dit : « Quelqu’un a su me plaire, Et ce quelqu’un n’a pat de bien ? » Ah ! Loin de prendre un ton sévère, Ton choix, tel qu’il put être, aurait été le mien. Mais j’étais sûre du contraire. Bien sûre ?         Ah ! Mon enfant, je croirais t’outrager, Si j’osais supposer qu’une fille si chère Eut quelques secrets pour ta mère. Du plus faible penchant, du goût le plus léger, Tu m’aurais sur-le-champ fait un aveu sincère. Oh !!!         Les détours sont faits pour les coeurs corrompus Que la honte retient, que le grand jour offense. Mais lorsqu’au sein de l’innocence, On chérit à la fois sa mère et les vertus, On dit hardiment ce qu’on pense. Que le reproche est dur, quand il est mérité. J’allais dire la vérité, Mais quand on est coupable on n’a plus de courage. Va, mon cceur du lien est si sûr, Qu’en arrangeant ce mariage... Ce coeur...         Est franc, sensible et pur. Le soupçonner est un outrage. Votre notaire.     Ô ciel !         Mets cette table ici. Je vous attendais.         Me voici. Notre affaire est-elle finie ? J’ai stipulé le tout au gré de voire envie : Je ne veux pas être vanté. Mais je puis assurer avec véracité Que dans tous les contrats que j’ai fait en ma vie, Jamais ma perspicacité, N’a saisi les objets...         Finissons, je vous prie. Un moment s’il vous plaît : ne m’avez-vous pas dit Qu’il fallait expliquer clairement...         Au contraire, Je vous ai prié de vous taire. Non pas, dans le contrat cela n’est point écrit. Ô quelle tête !         En fait d’affaire, On prend le parti le plus sûr ; Donc, j’ai joint au nom du futur... Hé, taisez-vous.         ... Le titre de la terre Qui vient de vous coûter deux cents mille florins. Eh ! Paix donc !         D’après vos desseins, J’ai rédigé l’article, et je vais vous le lire. Mais vous extravaguez, je crois ! Si quelqu’un extravague ici, ce n’est pas moi. Écoutez moi.         Toujours se cacher ! Quel martyre! Je vous aime... ce soir je puis encore le dire ; Mais si l’on engage ma main, Je ne le pourrai plus demain. Profitons du moment... J’ai tort avec ma mère ! Tout ce qu’elle m’a dit me l’a trop fait sentir ! Prévenons sa juste colère ; Tâchons, par un aveu sincère De la toucher, de l’attendrir. Et si malgré nos pleurs elle reste inflexible, Promettons tous deux de remplir Un devoir sacré ! Mais pénible. Quel sera le mien ?         D’obéir. Le vôtre, Mirval ?         De vous fuir. Ajoutez-y cela.         Cela ?... Quoi, je vous prie ? Asseyez-vous.         Que diable signifie ?... Enfin, voici l’instant le plus doux pour mon cceur. Je vais partager mon bonheur, Et celle tâche m’est bien chère. Viens : en attendant ton époux, Signes toujours.         Je tombe à vos genoux. Pardon ! pardon !         Mon dieu ! Qu’as-tu pu faire Qui te fasse à ce point redouter ma colère ? Et ce n’est pas votre courroux Que je crains.     Et quoi donc ?         C’est d’affliger ma mère. Toi, m’affliger, mon enfant ? Toi ! Oui, moi-même... Cet homme à qui l’on me marie... N’obtiendra que ma main.         Pourquoi ? Expliques-toi donc, je t’en prie. C’est que mon coeur n’est plus à moi. Qu’ai-je entendu ? Ma fille ! À peine je le crois. Quoi ? Dans le coeur d’Adélaïde Un secret a pu m’échapper? Ah ! Moins coupable que timide, Je me taisais sans vouloir vous tromper. À cette méfiance aurais-je pu m’attendre ! Me cacher ton penchant, n’est-ce pas me trahir? Tu voulais donc priver la mère la plus tendre Du droit le plus sacré, celui de te servir ; Celui de te guider et de te rendre heureuse ? Pour un coeur maternel, épreuve douloureuse ! Venez, mon cher Mirval, venez me secourir ; Contre un coup si cruel venez me soutenir. L’exemple de cette âme et franche et généreuse, Suffit pour te faire rougir. Son amitié sincère et tendre N’éprouvera jamais ni remords ni regrets. Si son coeur avait des secrets Ce serait dans mon sein qu’il viendrait les répandre. Ah ! De grâce, arrêtez : vous déchirez mon coeur. Loin d’avoir mérité cet éloge flatteur, Je suis mille fois plus coupable... Qui, vous Mirval ?         Je vais vous faire horreur. J’ai mérité les noms d’ingrat, de suborneur. J’adore Adélaïde.         Ô crime épouvantable ! Ce dernier trait m’étourdit et m’accable. Je dois être un monstre à vos yeux. Quand les attentions, les soins officieux De ma conduite étaient les guides, Loin de me payer de retour Je n’ai trouvé, pour prix de tant d’amour, Que des coeurs ingrats et perfides. Madame...     Ayez pitié.         Laissez moi, laissez moi. Mais le contrat qu’elle-même a fait faire Ne cadre point du tout avec cette colère. Je vais savoir la vérité. Madame, expliquez moi.         Silence ! Soumettez-vous ma fille à mon obéissance, Rien ne peut plus changer ma volonté ; Mais n’accusez de ma sévérité Que votre peu de confiance. Ah ! Différez du moins, et que voire bonté... Hé bien... je ne veux pas te faire violence : Tu peux choisir en liberté. Entre ces deux partis celui qui peut le plaire. Sans connaître l’époux que je t’ai destiné, Qu’à l’instant de ta main ce contrat soit signé, Ou renonce à jamais à l’amour de ta mère. Mon choix n’est pas douteux... Le plus affreux malheur Est la perte de votre coeur. Ô chère enfant !         Mirval, que votre âme attendrie, Imite un généreux effort : Qui me donna le jour veut m’arracher la vie, Je signe l’arrêt de ma mort. Votre manque de confiance, Avait trop justement excité mon courroux. Apprenez tous les deux jusqu’où va ma vengeance. Adélaïde... embrasse ton époux. Ô ma bonne maman !         Je tombe à vos genoux. Ah ! Je vous reconnais !         Je commence à comprendre. C’est à présent qu’on valsera. Ma mère !         À ce bonheur aurais-je dû m’attendre ? Levez-vous mes enfants, et venez dans mes bras. J’ai peut-être un peu trop prolongé ma vengeance ; Mais c’est en vous faisant rougir, Que j’ai voulu tous les deux vous guérir De votre injuste méfiance. « Jeunes gens sans expérience, Fuyez la ruse et les détours ; Ne cachez rien aux auteurs de vos jours, Et comptez sur leur indulgence. Évitez les pièges trompeurs Où vous entraîne l’imposture. On marche au vice par l’erreur. Si vous voulez toujours suivre l’honneur, N’offensez jamais la nature. »