Sire, Aprez avoir rendu Vostre Estat victorieux, tranquille & bien-heureux, il ne restoit plus à V.M. qu’à le rendre riche, brillant & magnifique. C’est dans cette veuë qu’elle a transplanté dans son Royaume les Arts Liberaux, le Commerce & les Manufactures, & qu’elle s’est appliquée avec tant de soin à l’embellissement de ses Maisons, & de sa Ville Capitale : C’est cét Esprit de grandeur & de magnificence, dont Vostre Ame Royale est entierement possedée, qui a fait sortir de terre ces grands Palais du Louvre, & de Versailles, & qui les a comblez de cette profusion admirable de meubles & de richesses : C’est luy qui a donné à la France tant de beaux divertissemens, & nouvellement ce Superbe Ballet, qui a fait l’étonnement de toute l’Europe. Toutes ces choses m’ont persuadé, S I R E, que V. M. auroit agreable que l’on introduisit dans son Royaume le seul spectacle & l’unique divertissement dont il estoit privé, qui est celuy des Opera, que l’Italie & l’Allemagne avoient de particuliers, & sembloient nous reprocher tous les jours. V. M. S I RE, a eu la bonté d’approuver mon dessein, & de l’appuyer de son authorité, & j’ay eu le bon-heur d’estre assisté dans cette entreprise des soins et de la dépense d’un des plus grands Seigneurs tout ensemble, & des plus beaux Genies de Vostre Royaume. Avec cela, S I R E, V. M. trouvera sans doute que nous avons mal répondu à la grandeur de ses illustres desseins, & à la magnificence de ses Ballets : Mais quelle proportion y peut-il avoir entre le Soleil et les Etoiles, entre de foibles sujets, & le plus grand des Roys. Le courage, S I R E, nous manque moins que les forces : Elles redoubleront, si V. M. honore nos representations de sa Royale presence, & nostre Academie de sa toute-puissante protection : Nous luy demandons tres-humblement l’un & l’autre. Pour moy, S I R E, je suis déja plus que content d’avoir témoigné par cet effort temeraire le zele passionné que j’ay pour l’avancement de vostre gloire, & la profonde veneration avec laquelle je suis, SIRE, De V. M. Le tres-humble, tres-obeïssant, & tres-fidele sujet & serviteur. PERRIN. Dez les premieres representations de cét Opera, mes amis m’avertirent que l’on en critiquoit les paroles, & comme ils estoient persuadez que c’estoit injustement, ils me conseillerent pour les justifier de les faire imprimer : Je m’en suis deffendu jusqu’icy, en leur representant que je n’estois point surpris des mauvais bruits que l’on en faisoit courir ; qu’outre que par une fronde de deux années j’estois tout accoustumé & tout preparé aux caquets des envieux, des interessez, & des ignorans, dont le nombre estoit infiny, je ne doutois pas que la nouveauté de cette Poësie Lyrique & Dramatique tout ensemble ne frapat d’abord les plus habiles , jusqu’à ce qu’ils en eussent pris le goust, & qu’à force de reflechir dessus ils fussent entrez dans son esprit, d’autant plus qu’ils ne trouveroient pas icy ce qu’ils attendoient, qui estoit des Airs & des Chansons de Chambre sur des paroles retournées & pleines de redites continuelles, telles que la Musique Françoise en a produit jusqu’icy, mais d’une manière de Poësie originale et sans modele : Que je devois estre content de voir que contre l’opinion generale j’estois parvenu à ma fin, & que ces Vers si criti- quez formoient non seulement un Opera François, que les Maistres de l’Art soûtenoient estre impossible par le deffaut de la langue & des Acteurs ; mais, de l’aveu public, le spectacle le plus surprenant, le plus divertissant & le plus beau que des particuliers ayent donné de nos jours à la France. Que les plus mal intentionnez, apres l’avoir veu & censuré en toutes ses parties, estoient forcez de revenir, & d’avoüer qu’ils ne s’y estoient point ennuyez, & que tout leur chagrin, apres deux heures & demie de representation, estoit de le voir si-tost finir : Qu’au reste ce n’estoient que des bruits confus & mal articulez, qui n’aboutissoient qu’à blâmer trois ou quatre vers, dont les expressions, disoit-on, estoient trop basses et trop vulgaires, sans considerer ny les personnes qui parlent, ny les choses ausquelles elles sont appliquées, & lesquels mesme j’ay changez pour éviter procez, & pour m’épargner des explications importunes. Que le reste n’estoient que de fausses plaisanteries, que l’on y crioit, disoit-on, des Pommes & des Artichauts, que l’on y parloit de Bourriques, & de pareils quolibets, qui ne meritoient pas une reflexion. Qu’enfin je devois estre consolé d’apprendre que quatre ou cinq de nos plus habiles hommes en Poësie, qui connoissoient par leur propre experience l’Art & la difficulté de composer des paroles pour la Musique, ne disoient pas du mal de celles-cy, & y reprenoient peu de choses, qu’ils confessoient encore estre faciles à corriger. Mes amis n’ont pas esté satisfaits de ces raisons, & m’ont representé. Que les bruits se fortifioient de jour en jour. Que le venin se glissoit par contagion jusques dans les esprits les plus éclairez, & les personnes les plus desinteressées. Que je leur donnois le temps de former & de debiter de mauvais jugemens, dont apres ils auroient honte & peine de se retracter ; qu’il y alloit non seulement de mon honneur de me justifier en imprimant les vers, mais de l’interest de cét establissement, que ses ennemis tachoient de ruïner par ces calomnies, & qu’enfin je donnasse quelque chose à leur amitié & à leur zele, & que je leur fournisse des armes pour me deffendre. Je me suis enfin rendu à leurs raisons & à leurs prieres, & j’ay consenty que la piece fût imprimée plûtost que je ne l’avois resolu, sans toutesfois pretendre de la justifier icy pour plusieurs raisons. L’une que j’aurois mauvaise grace de faire moy-mesme mon Apologie, l’autre que la matiere est trop vaste pour estre renfermée dans un Avant-Propos, & la derniere que je serois obligé d’expliquer les secrets d’un Art que j’ay découverts par un long estude, & que je suis bien aise de me reserver. Je supplie seulement ceux qui ne seront pas satisfaits de la piece d’en faire la critique, & de la donner au jour, nous en profiterons le public & moy. De ma part je pourray me corriger de mes deffauts, et d’ailleurs m’engageans à une responce, ils donneront occasion à une dissertation curieuse sur ce sujet, qui pourra tout ensemble instruire et plaire : Je les avertis seulement de remarquer que par les raisons que j’ay dites dans l’Avant-Propos de l’Argument que j’ay fait imprimer, j’ay jugé à propos d’ouvrir le Theatre par une piece Pastorale, bien que j’en eusse trois Heroïques toutes composées, qu’il en faut juger sur ce pied la, & considerer qu’elle est composée de Divinitez, & de Personnages Champestres, & qu’elle conduit tout ensemble, sur les Styles enjoüé & Rustique, l’intrigue de Theatre, la Musique & la Symphonie continuelles, la Machine & la Danse. Je leur demande apres cela qu’ils attaquent la place en galants hommes ; c’est à dire en soldats & par les formes, et non pas en frondeurs en escarmouchant, & je leur declare que s’ils continuënt de le faire par satyres et par invectives, je leur répondray par un doux silence, & que je donneray toute mon application à composer de nouvelles pieces pour continuer à les divertir. Au reste le champ est ouvert pour mieux faire, & si quelqu’un veut travailler sur cette matiere, & faire l’honneur à l’Academie de luy presenter un Opera, je luy dy de sa part, qu’apres qu’il aura esté examiné par des gens habiles et non suspects, s’il est par eux jugé digne d’estre representé, il le sera de bonne foy avec tous les soins & tous les ornemens possibles, & mesme si c’est une personne d’interest, on luy promet une honneste reconnoissance. La veuë de Paris à l’endroit du Louvre. Vergers de Pomone. Parc de Chesnes. Rochers & Verdures. Palais de Pluton. Jardin & Berceau de Pomone. Palais de Vertune. Toy qui vis autresfois le Fleuve des Romains Triompher des humains Et porter le sceptre du Monde, Vertune, que dis-tu de ma rive feconde ? J’admire tes grandeurs & la felicité De ta belle Cité ; Mais ta merveille la plus grande C’est la pompeuse Majesté Du Roy qui la commande. Dans l’Auguste LOUIS je trouve un nouveau Mars, Dans sa ville superbe une nouvelle Rome : Jamais, jamais un si grand homme Ne fut assis au thrône des Cesars. Aussi sur la Terre & sur l’onde, Ce Monarque puissant ne fait point de projets, Que le Ciel ne seconde : Il est l’Amour. Il est l’Amour & la terreur du monde ; L’effroy de ses voisins, le cœur de ses sujets. Mais quel dessein t’amene Sur le bord de la Seine ? Moy qui forge les visions, Je viens tromper ses yeux de mes illusions, Et luy montrer mes anciennes merveilles. Sus donc, par nos accords amoureux & touchants, Commençons de charmer son cœur & ses oreilles : Meslons nos voix, & remplissons les champs Du doux bruit de nos chants. Passons nos jours dans ces vergers, Loin des amours & des Bergers. Passons nos jours         passons nos jours Loin des Bergers et des amours. Ritornele. Qui voudra s’engage Sous les loix d’amour Qui voudra s’engage Et fasse la cour A ce Dieu volage: Qui voudra l’adore, Pour moy je l’abhorre Le flot de la mer, Est moins infidele La fleur en est belle Mais le fruit amer. La fleur, etc. Ritorn. Qui croit ce cajoleur N’a que peine et douleur. Dans l’empire amoureux Le sort le plus heureux Est le plus dangereux. Le flot de la mer Est moins infidele. La fleur en est belle Mais le fruit amer. La fleur, etc. Ritorn. Le doux plaisir d’amourette Est une tendre fleurette Qui ne dure qu’un matin, Il a le destin Des plus belles choses, Il naist, il fleurit, il passe en un jour Les chaisnes d’amour, Sont chaisnes de Roses. Les chaisnes, etc. Ritorn. Passons nos jours dans ces vergers, Loin des amours et des Bergers, Passons nos jours,         passons nos jours Loin des Bergers et des amours. Ritorn. Ah ! ma sœur, à quoy penses-tu ? Veux-tu bannir de ton empire Ce Dieu puissant, dont la vertu Anime tout ce qui respire, Et dont les fecondes chaleurs Font naistre tes fruits et mes fleurs. Je consens que ses flâmes Brûlent tout l’univers Pourveu que dans nos ames Il trouve incessamment la glace et les hyvers. Ah !si tu connoissois comme moy ses delices ! Ah !si tu connoissois comme moi ses malices ! De combien de douçeurs il flatte nos désirs ! Combien il cause de soupirs ! Que ses fers     que ses lois     sont doux ;         sont inhumaines ! Qu’il est beau,     qu’il est dur,         de vivre dans ses chaisnes ! Il a des biens, il a des peines ; Et je ne veux que des plaisirs. Soulage donc les flames Du grand Dieu des Jardins. De plaisirs eternels il sçait remplir les ames, Renonce pour jamais à l’amour des Blondins Foibles trompeurs, inconstans et badins, Unissons, unissons nos cœurs et nos empires ; Ajoûte aux fruits de tes vergers Les herbes de mes potagers, Join mes Melons à tes Poncires ; Et mesle parmy tes Pignons Mes Truffes et mes Champignons. C’est bien à toy, Dieu miserable, De pretendre à tes maux quelque soulagement ! C’est bien à toy, monstre effroyable, De servir un objet si rare et si charmant ! Elle a beau resister et faire la mutine, C’est à moy,         C’est à moy que le Ciel la destine. Tout cede Tout cede, tout se rend à mon pouvoir divin. Vous le dites en vain, On vous connoit tous deux, mais éprouvons les vôtres, Faites chanter les uns, faites danser les autres. Vive le Dieu des Jardiniers, Il est toujours prest à bien faire, Bergeres, portez vos paniers, Il a dequoy vous satisfaire. Sans luy les jeux, les passe-temps N’ont qu’une douceur imparfaite ; Et s’il n’est de la feste, L’on ne rit pas long-temps. Rien n’est si doux que sa fureur Ny si plaisant que sa folie ; Elle bannit de nostre cœur La plus noire mélancolie, Sans luy, etc. Hé bien ! dans tes buissons, Tes Oyseaux chantent-ils de pareilles Chansons ? Il est vray que jamais Rossignols d’Arcadie N’ont fait plus douce melodie. A vous, Bouviers, Illustre bande, Touchez, touchez n’importe, Menestriers ; Passepied, Menüet, Gavotte ou Sarabande. Entrée de ballet. Bouviers. Couronnez, il est temps, couronnez le vainqueur, Donnez-luy vostre main, donnez-luy vostre cœur. Cueillez, Nymphes, dans ces prairies, Cueillez pour eux des guirlandes fleuries. Et vous, ma sœur, Couronnez le vainqueur. Donnez-luy vostre main, donnez-luy vostre cœur. Venez voir couronner vos tendres amourettes, Et recevoir le premier de ses dons, Ah !pour un plus heureux on garde les fleurettes, Pour vous l’épine et les chardons. Ah !pour un plus heureux, etc. Voyla le prix de vos Musiques, Et ce que meritent vos chants : Voyla le fruit du Dieu des champs, Et dequoy paistre ses Bourriques. Voyla le fruit, etc. Helas !que me sert-il de changer tous les jours De forme et de figure, Et de me déguiser à toute la nature, Si je ne puis changer l’objet de mes amours ! J’aime une insensible maistresse, Une ingrate et fiere Deesse, Qui se rit du tourment Et des soins d’un amant. Que ferons-nous, mon cœur, en des peines si dures ? Ah ! puis que vainement je dirois mes langueurs, Il faut nous transformer, et sous d’autres figures, Tacher de vaincre ses rigueurs. Vous que le Ciel soumet à ma puissance, Hola, Follets, venez, volez, suivez mes pas, Mais ne vous monstrez pas, A mes loix seulement rendez obeyssance. Ah ! n’est-ce pas assez qu’on aime et qu’on soupire Pendant le cours de sa jeune saison ? Pourquoy faut-il, Amour, étendre ton Empire Jusques sur nostre âge grison ? Malgré tous mes efforts, malgré toutes mes feintes, Je sents vivre tes feux dans mes cendres éteintes : D’une crüelle ardeur je me voy consumer, Que la glace des ans ne fait que rallumer ; J’ayme un Dieu… le voicy, tachons de le surprendre ; Il réve à ses amours, cachons-nous pour l’entendre. O doux Zephirs Vous enflamez la terre Par vos soupirs ; Et de vos pleurs On voit dans ce parterre Naistre les fleurs : Helas ! ainsi que vous, Je suis tendre et fidele, Discret et doux ; Et mes douleurs Ne touchent point la belle Pour qui je meurs. Mais pourquoy tant gemir ? poursuy ton entreprise, Lache, c’est trop se plaindre et soupirer en vain, Use de ton pouvoir divin, Join à l’amour la ruse et la surprise. Il faut l’attendre icy ; dans ce bocage vert, Elle cherche souvent le frais et le couvert. Quoy toujours inflexible, Toujours sourd à mes vœux, Et toûjours amoureux D’une belle insensible ? Le ridicule objet ! L’Enfer l’amene icy pour troubler mon projet. Quoy ? tant d’amour ? ingrat !         évitons sa poursuite. Arreste, et voy du moins ma peine et mes langueurs, Un moment encor et je meurs. Il faut l’épouvanter et luy donner la fuite. Que voyez-vous mes yeux ? Quel Dragon furieux ? Mais non, rasseurons-nous, c’est luy qui se transforme En ce monstre difforme. Hé bien ! cruël, saoule-toy de mon sang, Contente ton envie, Dechire moy le flanc, Arrache moy la vie Je béniray mon sort, Et je ne puis mourir d’une plus douce mort. Mais quel éclair ? quel horrible tonnerre ? Quel tremblement de terre ? Quels Fantômes affreux et quelles visions ? Que de monstres armez de feu, de fer, de foudre, Pour me reduire en poudre? Je vous connoy, Follets, et vos illusions. Vous croyez m’étonner par cette allarme feinte, Et me joüer à vostre tour : Mais l’on ne peut former les glaces de la crainte, Où regnent les feux de l’amour. Entrée de ballet. Fantomes. Hé bien, Follets, est-ce assez d’impostures, De grimaces et de postures ? Et croyez-vous encor sous ce masque trompeur, Me donner de la peur ? Au secours, je suis morte, On m’entraisne, on m’emporte. Pauvre Nourrisse, helas ! tes cris sont superflus. Donnons, donnons, frapons dessus. Tu veux m’assassiner ?         Ah ! ma chere voisine ! Ma sœur !     ma femme !         ma cousine ! C’est toy, Philandre, helas !         c’est toy chere Cloris ! Mon aymable Alcidor !         ma charmante Doris ! Ah Damon !         ah ! Climene ! O Dieux ! qui vous amene En ces bords étrangers ? Le desir de revoir nos aymables Bergers Depuis que vous cessez de cultiver nos terres, La mousse et les buissons croissent dans nos parterres : On voit sur nostre teint une jaune pasleur, Nous n’avons plus de Lys         nous n’avons plus de Roses, Et nos fleurs demy closes Fletrissent de douleur. Depuis vostre absence, Ce n’est que souffrance, Tristesse et langueur Dez la moindre peine, Nous perdons haleine, Courage et vigueur. Nos peaux sont plus seches Que des parchemins, Et nos pauvres beches Nous tombent des mains. Allons, Bergers,         allons, Bergeres. Allons Bergers, allons, Bergeres Gouster les douceurs du retour. Allons sur les vertes fougeres Cueillir les doux fruits de l’amour. Allons sur les vertes etc. Peste !quel changement ?quelle metamorphose ? Ah !nous trouvons l’épine, où nous cherchons la Rose ! Que viens-tu faire en ce lieu, Pauvre Dieu ? Tu brûles de vaines flâmes, Et tu souffres cent mépris, Toy qui fus l’amour des Dames, Et la terreur des maris. Est-ce à toy de soûpirer Et prier, Toy qu’à genoux on implore ? Va soulager les desirs De la belle qui t’adore, Et qui meurt pour tes plaisirs. Cesse, grand Dieu, cesse tes plaintes vaines. Qu’enten-je ? quelle voix sort des rives prochaines, Echos, Arbres, Rochers ; est-ce vous, est-ce vous ? Nous sommes deux Nymphes des Chesnes, Et le Ciel t’annonce par nous, Qu’un jour il finira tes peines. Helas ! hé quand viendra ce bien-heureux moment ? Quand tu seras discret et fidele en aymant. Taisez-vous, taisez-vous, impertinents oracles, Amour en ma faveur fait bien d’autres miracles, Apprenez, apprenez qu’en l’empire amoureux On perd tout pour attendre, Et que le vigoureux Est souvent plus heureux Que le sage et le tendre. Apprenez, apprenez, etc. A la fin délivré d’une troupe importune, Je puis me transformer et paréstre à ses yeux. La voicy, cachons-nous : Destin, Amour, Fortune, Favorisez mes vœux. Sortez, petits Oyseaux, sortez de vos boccages, Quittez, quittez vos nids et vos buissons, Et meslez vos tendres ramages A nos agreables Chansons. Flutes. Volez, doux Rossignols, volez dans ces feüillages, Venez, Serins, venez, venez Pinsons, Et meslez, etc. Charmé de tes accents, adorable Pomone, Mais plus charmé de l’éclat de tes yeux, Je sors de mon empire et je viens en ces lieux, Du plus riche des Dieux T’offrir et le cœur et le throne. Si tu doutes de mes ardeurs Dans mes regards tu les pourras connestre : Si tu doutes de mes grandeurs Voy de quels biens je suis le maistre. Mon throne et mes tresors, ma flame et mes langueurs Ne pourront-ils, Deesse ? adoucir tes rigueurs. Non, non, garde ton or, tes pierres et tes marbres, Mon unique tresor sont mes fruits et mes arbres. Si tu bornes là tes plaisirs, J’ay dequoy pleinement contenter tes desirs. Voy-tu ces Bigarrades, Elles sont toutes d’or, et ces belles Grenades, Leurs grains sont rubis pretieux ; Je puis en peupler tous ces lieux. Il me suffit de mon partage, Et je ne veux rien davantage ; Moins de biens, moins de biens, et plus de liberté. Liberté, liberté. Hé bien garde ta pauvreté, Adieu, c’est trop aimer une ingrate beauté. Liberté, liberté. O la grande foiblesse ! De cherir les tresors, O la grande foiblesse ! C’est prendre l’ombre pour le corps, Et suivre un bien qui nous füit et nous laisse. Bannir de son cœur la noire tristesse, La folle tendresse, Les soins, les desirs : Rire, chanter, passer en plaisirs Sa belle jeunesse, C’est la veritable sagesse, La grandeur, la richesse N’est qu’ombre et vanité. Liberté, liberté. J’ay perdu mes soins et mes pas : Mais je ne me rends pas : Achevons l’imposture, Et l’abordons sous une autre figure. Place, place voisins, Place au Dieu des raisins. Ritorn. Remply d’amour et de tendresse, Je viens, belle Déesse, Comme les autres Dieux Rendre hommage à tes yeux, Et t’offrir à mon tour mon sceptre et ma couronne. Je sçay qu’elle a beaucoup d’éclat et de splendeur : Mais je renferme ma grandeur Dans celle que le Ciel me donne. Ta couronne est illustre et ton pouvoir divin, Mais le mien se répand sur la Terre et sur l’Onde, Et t’offrant l’empire du vin, Je t’offre l’empire du monde. N’ay-je pas dans le mien un jus doux et charmant, Que l’on cherit également ? O la comparaison étrange, Du Cidre au jus de la vandange ! Vive nostre aymable liqueur. Vive nostre aymable liqueur, Elle charme le goust,         elle échauffe le cœur. C’est le nectar des Dieux,         c’est l’honneur de la table. Rien n’est si doux,         rien n’est si delectable. Vive nostre aymable liqueur. Ritorn. O Dieux ! quelle chaleur m’enflame ! Je suis dans un double brasier, La soif altere mon gosier, Et l’amour échauffe mon ame. Que je te rencontre à propos, Grand Dieu des verres et des pots, Ah ! j’implore ta grace Et ton secours divin, Verse, helas ! dans ma tasse Une larme de vin. Il faut le secourir,         il y va de ta gloire. Donnez-luy du meilleur du muy, Enfants, faites-le boire, et beuvez avec luy. Beuvons tous à la ronde, Beuvons au Dieu fallot ; Que chacun me seconde ; Beuvons tous à la ronde A ce vieux sibilot : Fringue la tasse, fringue, Masse à luy, tope et tingue. Versez, versez à rouge bord, Masse à luy, tope et tingue. Donnez-donc, je meurs, Masse à luy, tope et tingue.         je suis mort. Donnez, donnez, quelle fadese ! Tien, bon-homme, fay nous raison, Et pour estre mieux à ton ayse Couche toy-là sur le gazon. O quel plaisir, quand on est alteré, De voir autour de ses oreiles Un cercle inesperé De pots et de bouteilles ! Beuvons, beuvons, mais qu’est cecy ? La bouteille s’enfuit, et la seconde aussi. A l’ayde, le Demon l’entraisne. Et toy, joly flacon, te prendra-t-on ainsi ; Quoy toute la demy douzaine ? Ah ! du moins j’auray celle-cy, Et j’en rempliray ma bedaine. Ah! le fat ! ah! le badin! Il boit de l’eau pour du vin. On me berne, on me raille, Courez dessus Bouviers, Suivons cette racaille A grand coups de leviers. Ah ! le fat, etc. Sors de mon cœur, Folle fureur, Aveugle frenesie, Brutale ardeur, maudite jalousie ; Peste des cœurs, dont le poison Détruit l’amour et la raison, Sors de mon cœur et de ma phantaisie. C’est trop d’affronts soufferts, Rompons, brisons nos fers, Vengeons nous de qui nous méprise ; Et renversons du moins toute son entreprise, Mais le voicy qui medite en son cœur De nouveaux artifices, Et n’a pas épuisé sa ruse et ses malices, Observons ses desseins, fourbe, lâche imposteur. Amour, dy-moy, que dois-je faire, Pour la fléchir et pour luy plaire ? Amour, dy-moy, que dois-je faire ? En qui me transformer ? des plus puissans des Dieux, Cette insensible a méprisé les vœux. Mais pourquoy l’attaquer sous la forme d’un autre ? Peut-estre pourrions-nous luy plaire sous la nostre. Tachons de la surprendre une derniere fois, Prenons de Beroé la figure et la voix, Cette vieille insensée Possede entierement son cœur et sa pensée. Et si dans cet habit je ne puis la tenter, Je veux me presenter, Et luy parler moy-mesme De mon amour extréme, Je veux…mais la voicy. Qui cause ce soûpir De langueur et de flame ? L’absence de Zephir, Qui tourmente mon ame. Pour charmer les ennuis Dont elle est travaillée, Allons sous la verte feüillée Voir danser nos cüeilleurs de fruits. Mais te voila, Nourrisse, Hé qui t’a fait absenter si long-temps ? Il faut qu’un baiser t’en punisse. Mets-toy là, bonne mere, et voy nos passetemps. Hé bien ! que dis-tu ma sœur De nostre charmante vie ? Je dy que sa douceur Me donne peu d’envie : Sans le plaisir d’amour tous les autres plaisirs, Lassent facilement nos cœurs et nos desirs. Tu me conseilles donc desormais de le suivre ? Qui commence d’aymer, il commence de vivre. Nourisse, qu’en dis-tu ?         Croiras-tu mes avis ? Je les ay jusqu’icy fidelement suivis. Je detestois l’amour et traitois ses delices De crime et de supplices : Mais depuis que j’ay veu Vertune ton amant, J’ay bien changé de sentiment. Qu’il a d’amour ! qu’il a de charmes ! Il me dit l’autre jour les peines qu’il ressent, D’un air si doux, si languissant, Qu’il m’attendrit et me tira des larmes. Je le dy franchement, Si j’estois jeune et belle, Mon cœur à cét amant Ne seroit point rebelle. Le rusé, l’imposteur !         il seroit à mes yeux Le plus parfait des Dieux, Qu’à son amour je serois insensible ! Non, non, ce cœur est invincible. Allons le démentir. Souvent le plus constant S’ébranle en un instant. Je te tiens, fourbe, lâche. Dequoy m’accuses-tu ? quel crime ay-je commis ? Ah ! n’ay-je pas sans-toy d’assez fiers ennemis ? Hélas ! en le voyant ma fureur se relâche. Qu’il a l’air fier et doux ! ha ! qu’est-ce que je sents ? Un mouvement secret me transporte les sens. J’ay failly toutesfois, je suis un témeraire, D’aspirer, ô Deesse ! à l’honneur de te plaire. O Ciel ! que ferons-nous ?         aussi jusqu’à ce jour Le respect m’a contraint de cacher mon amour : Mais enfin emporté par son ardeur extreme, Je viens à tes genoux te dire que je t’aime, O Dieux ! il m’attendrit.         et me voir condamner Je n’en puis plus !         à des peines mortelles, Helas !         et d’autant plus cruelles Et je sents         que la mort ne peut les terminer, Et je sents     que dis-tu ?         ce que je n’ose dire Et je sents que mon cœur partage ton martire. O puissance d’amour ! ô divin changement ! Ce que l’esprit et la finesse, Les honneurs, la richesse Ont tenté vainement ; L’amour et la beauté le font en un moment. Pauvre Dieu des Jardins ! Pauvre Dieu de Village ! Voicy ce que le Ciel te reserve en partage. Voicy le mien         Voyla le tien. Voicy le mien         Voyla le tien. Voicy le mien, Voyla le tien. Si d’un Vulcain aussi difforme Le Ciel me faisoit la Venus ; Il en auroit le front aussi bien que la forme, Et ne cederoit point aux Dieux les plus cornus. En vain tu veux me faire voir L’estat de ton empire et ton divin pouvoir, Grand Dieu, ce que mon ame Ressent pour toy de tendresse et d’ardeur, Tu le dois à ta flame. Bien plus qu’à ta grandeur. C’est assez…. Je sçay trop que ta flame amoureuse Est pure et genereuse : Mais ce que je pretends Te montrer de puissance Est plus un passe-temps Qu’une magnificence. Mais voicy nostre sœur, dont le soin complaisant Nous regale aujourd’huy d’un aimable present. Vous ne manquez pas de couronne, Heureux amants, et le Ciel vous en donne Des plus nobles de l’Univers : Mais pour un cœur qu’amour tient dans ses fers, La plus belle et la plus charmante Est le Chappeau d’Hymen que ma main vous presente. Passez dans ses plaisirs et les jours et les nuits, Portez ses fleurs, goustez ses fruits. Ritorn. Je vous offre, grands Dieux, le present d’un pauvre homme, Mais le ragoust en est friand et chaud, Et dans un jour pareil la Truffe et l’Artichaut Vallent mieux que la Pomme. Suivons nostre dessein : sus, sus, Lares, Follets, Qu’on bastisse un Palais A ma belle maistresse. Pages, valets, Qu’on serve ma Deesse. Qu’on enfonce mille tonneaux, Que le vin coule à plein ruisseaux. Que le Haut-bois s’apreste A celebrer la feste. Vous, Esclaves, dansez, Et la divertissez. Hola, follets, paroissez dans les airs, Sous mille plaisantes images, Et pour la divertir, formez dans les nüages Des spectacles charmants, et d’aymables concerts. Venez, Dieux et mortels, à cette grande feste, Celebrez ce jour de conqueste, Ce jour illustre et bienheureux : Nostre Dieu va gouster les plaisirs amoureux, Sautons, rions, dansons, et chantons à sa gloire Des chants d’amour et de victoire. Rit. Courez, courez à pas legers, Courez, Satyres et Bergers, Sautez, riez, dansez, et chantez, etc. Rit. par les violons. Et vous, Follets, qui formez dans les airs La foudre et les éclairs, Des vents et des nuages, Arbitres souverains, Rendez les Cieux tranquilles et serains, Et chassez loin de nous la foudre et les orages. Voicy le jour, voicy le temps, Des jeux des ris, des passe-temps. Sautons, rions, dansons, et chantons, etc. Ritorn. Sautons, rions, dansons, etc. On attrappe aujourd’huy le plus fin des Renards, Aujourd’huy se grossit le nombre des Cornards. Sans troubler nos humeurs paisibles, Nous les porterons sur le front ; Mais les miennes y paroistront, Les siennes seront invisibles. Et toy, Nourisse, aussi, Tu viens paréstre icy ? Pauvre vieille insensée, Ne crains-tu pas de cet amant La hayne et le ressentiment ? Oses-tu regarder ta maistresse offensée ? Avant la fin du jour Mes fautes dans l’oubly seront ensevelies, Et qui ressent les plaisirs de l’amour, En pardonne aysement le crime et les folies. Non, non, sans m’offencer tu peux l’aymer toûjours, Nourisse, ne crains rien et poursuy tes amours. Vivons, vivons amis. Vivons, vivons amis. Ritorn.         que par toute la terre On chasse les ennuis, on bannisse la guerre. Que par toute la terre, etc. Ritorn. Que l’Automne,         que le Printemps, Brillent de jeux, de passe-temps ; Qu’on y cüeille les fleurettes, Et les doux fruits d’amourettes. Que pendant nos belles saisons, On fasse l’amour sur nos terres. Dans les jardins,         dans les maisons, Les champs,     les vergers,         les parterres. Dans les jardins, dans les maisons, Les champs, les vergers, les parterres. Louis par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre : A tous ceux qui ces presentes Lettres verront ; SALUT. Nôtre amé et feal Pierre Perrin, Conseiller en nos Conseils, et Introducteur des Ambassadeurs prés la personne de feu nostre tres-cher et bien-amé Oncle le Duc d’Orleans, nous a tres-humblement fait remonstrer, que depuis quelques années les Italiens ont estably diverses Academies, dans lesquelles il se fait des Representations en Musique, qu’on nomme OPERA ; Que ces Academies estans composées des plus excellens Musiciens du Pape et autres Princes, mesme de personnes d’honneste famille, Nobles et Gentils-hommes de naissance, tres-sçavans et experimentez en l’Art de la Musique, qui y vont chanter, font à present les plus beaux Spectacles et les plus agreables divertissemens, non seulement des Villes de Rome, Venise et autres Cours d’Italie ; Mais encore ceux des Villes et Cours d’Allemagne et Angleterre, où lesdites Academies ont esté pareillement établies à l’imitation des Italiens ; Que ceux qui font les frais necessaires pour lesdites Representations se remboursent de leurs avances sur ce qui se prend du Public à la Porte des lieux où elles se font. Enfin que s’il nous plaisoit luy accorder la permission d’establir dans nostre Royaume de pareilles Academies, pour y faire chanter en public de pareils OPERA , ou Representations en Musique en Langue Françoise ; Il espere que non seulement ces choses contribuëroient à nostre divertissement et à celuy du Public, mais encore que nos Sujets s’accoustumans au goust de la Musique, se porteroient insensiblement à se perfectionner en cet Art, l’un des plus nobles des Liberaux. A CES CAUSES, desirant contribuer à l’avancement des Arts dans nostre Royaume, et traitter favorablement ledit Exposant, tant en consideration des services qu’il a rendus à feu nostre tres-cher et bien-amé Oncle le Duc d’Orleans, que de ceux qu’il Nous rend depuis plusieurs années en la composition des paroles de musique qui se chantent tant en nostre Chapelle, qu’en nostre Chambre : Nous avons audit Perrin accordé et octroyé, accordons et octroyons, par ces presentes signées de nôtre main, la permission d’establir en notre bonne ville de Paris, et autres de nostre Royaume, des Academies composées de tel nombre et qualité de Personnes qu’il avisera, pour y representer et chanter en public des OPERA et representations en Musique en Vers François, pareilles et semblables à celles d’Italie. Et pour dédommager l’Exposant des grands frais qu’il conviendra faire pour lesdites representations, tant pour les Théâtres, Machines, Decorations, Habits, qu’autres choses necessaires ; Nous luy permettons de prendre du Public telles sommes qu’il avisera, et à cette fin d’establir des Gardes et autres Gens necessaires à la porte des Lieux où se feront lesdites representations ; Faisant tres-expresses inhibitions et deffences à toutes personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient, mesme aux Officiers de nostre Maison, d’y entrer sans payer, et de faire chanter de pareilles OPERA ou representations en Musique en vers françois, dans toute l’étenduë de nostre Royaume pendant douze années, sans le consentement et permission dudit Exposant, à peine de dix mil livres d’amende, confiscation des Theatres, Machines et Habits, applicable un tiers à Nous, un tiers à l’Hospital General, et l’autre tiers audit Exposant. Et attendu que lesdits OPERA et Representations sont des ouvrages de Musique tous differents des Comedies recitées, et que Nous les erigeons par cesdites presentes sur le pied de celles des Academies d’Italie, où les Gentil-hommes chantent sans déroger : VOULONS et nous plaist, que tous Gentil-hommes, Damoiselles, et autres personnes, puissent chanter ausdits OPERA, sans que pour ce ils dérogent au tiltre de Noblesse ny à leurs Privileges, Charges, Droits et Immunitez. REVOQUONS par ces presentes toutes Permissions et Privileges que Nous pourrions avoir cy-devant donnez et accordez, tant pour raison desdits OPERA, que pour reciter des Comedies en Musique, sous quelques noms, qualitez, conditions et pretextes que ce puisse estre. SI DONNONS EN MANDEMENT à nos amez et feaux Conseillers les Gens tenans nostre Cour de Parlement à Paris, et autres nos Justiciers et Officiers qu’il appartiendra, que ces presentes ils ayent à faire lire, publier et enregistrer, et du contenu en icelles, faire joüir et user ledit Exposant pleinement et paisiblement, cessant et faisant cesser tous troubles et empéchemens au contraire : CAR tel est nostre plaisir. DONNÉ à S. Germain en Laye le 28. Jour de Juin 1669. Et de nostre Regne le vingt-septiéme. Signé LOUIS ; et sur le reply, par le Roy, COLBERT. Et scellé du grand Sceau de cire jaune.