Ne doutez point, mon cher Monsieur Sapin Notre fera souche ; Mais de crainte qu’il n’effarouche, L’esprit du vulgaire idiot, Il faut l’envelopper d’un style inextricable. Inextricable ! Le beau mot. Vous en être content ?         Je le trouve admirable. Flattez toujours ; n’épargnez rien ! Et croyez qu’à mon tour je vous le rendrai bien. C’est très bien dit         Change pour change. Il est bien doux, Monsieur Sapin, De s’entre-passer la louange. Contre elle j’ai beau me raidir ; Je sens qu’en votre bouche elle flatte l’oreille. À vos propos ma sève se réveille, Et quoique bois coupé, je me sens reverdir. C’est vous qui de l’erreur avez levé les voiles, Des fruits de vos travaux l’univers est rempli Enfin sans vous, en plein midi, On n’aurait vu que des étoiles. Vous réunissez tous les goûts : Vous êtes en savoir un autre Depostere Et c’est avec raison que chacun dit de vous, Il parle Français comme Homère. Nous avons d’autres compagnons Qui comme autant d’étais soutiendront notre gloire ? Et feront revivre nos noms Dans les annales de l’histoire. Tout franc, excepté nous, nos coopérateurs ; Il n’est point de génie et pas même d’auteurs. Que Dûchesne en savoir est bien un vrai problème ! Quelle charpente il vous a dans l’esprit ! Comme il dit tout ce qu’on a dit : Et que solidement il bâtit un système. Il n’en démors jamais, et c’est ce que j’en aime, Quand il a dit un mot, ce seul mot il suffit. En dispute avec lui, gardez de passer outre : C’est vouloir vous heurter de front contre une poutre. Pour Dusaule, il est souple, et facile à plier, Il manque de raideur : il faudra l’étayer. Nous lui devons appui ; car c’est notre confrère. Un profane est ces lieux !... Que veut ce gros ventru ? Et parmi nous que vient-il faire ? Vous voyez un nouvel intru. Est-il déjà dans le mystère ? C’est un bien beau secret ; n’est-il pas vrai, Patron ? Contez nous un peu ça ; je suis bon compagnon ; Là ; rendez-moi la chose claire. Entendra-t-il notre jargon ? J’ai vu plus fins que moi qui ne l’entendait guère. Ouais ! C’est un philosophe.         Oh ! Oui, je crois qu’il l’est. Non. Mais je voudrais l’être ; et c’est là ma marotte. Il est du bois dont on les fait. Ou du bois dont on les fagotte. Mais il faudrait connaître tes talents. Dis-nous : dis nous quel est ton savoir faire ? Je suis de ce côté semblable à bien des gens, Je ne vaux rien sans un compère. Vraiment c’est l’homme qu’il nous faut ? Un homme qui n’ait point d’autre esprit que le nôtre : Que nous t’en donnerons !         Parbleu, Monsieur Fagot, Que vous êtes un bon apôtre ! Me bailler de l’esprit, à moi pauvre animal ? Je vous reconnais ; vous êtes libéral, Quand vous n’engagez rien du vôtre. Orsus, écoute mon enfant ; Nous te recevons pour confrère, De ton aveu, tu n’es qu’un ignorant. Nous allons te faire pédant. Vous n’aurez pas grand changement à faire. Polichinelle, mon ami, Pourquoi quittes-tu la Pratique ? J’ai de bonnes raisons pour ne agir ainsi ; Croyez que j’entends la rubrique. Vous savez qu’un marchand qui cherche son profit Doit achalander ses étoffes ; Partant ; moi qui connais le ton qui réussit, Au lieu de la Pratique autrefois en crédit, Je prends celle des philosophes ; Car elle fait bien plus de bruit. C’est très bien fait ; oui, c’est un parti sage. Songe à te mettre bien chez tous nos beaux esprits ; À tout ce qui vient d’eux rend un aveugle hommage, Et surtout, ne va pas admirant nos écrits, T’engourdir, et ronfler à la première page. Aucun de vos Écrits si sublime qu’il soit, Ne m’endormira, je vous le jure ; Car je ne sais pas lire.         Eh ! c’est par cet endroit Que ta gloire en devient plus sûre ; Car du moins les censeurs ne t’accuseront pas D’avoir pillé tout ce que tu diras. Ce n’est point le temps de dormir ; Notre état est sujet à mainte catastrophe Il est bon de t’en prévenir. N’importe ; il n’est rien qui m’émeuve. On te maltraitera de propos, à coup sûr. J’ai le tympan de l’oreille assez dur ; Là-dessus je suis à l’épreuve. Oui, mais on te jouera.         Le malheur n’est pas grand ; Je me vengerai par des Quand. Oui-da, cette formule apprête assez à rire, Son retour monotone aiguise la satire. Certain auteur célèbre un beau jour t’inventa, Tout Paris aussitôt en singe l’imita. Ne peut-on pas trouver quelque autre particule Pour prêter a l’Auteur un nouveau ridicule ? Sans doute nous pouvons employer tour à tour Des car, des si, des mais, des quoi, des pour. Il faut te souvenir que la Philosophie Est, presqu’en tout, semblable à la maçonnerie : Le plus ou le moins des talents Nous est indifférent chez celui qui postule ; Et chez nous on reçoit tous les honnêtes gens Quand ils n’ont point trop de scrupule. Mais on m’a dit qu’il faut avoir Pour entrer dans la troupe un grand fonds de savoir. Rien moins : ce serait duperie. Eh ! Que faut-il donc, je vous prie. Il s’agit seulement d’accoupler de grands mots Faits pour éblouir le vulgaire, Que l’on répète à tout propos Et que soi-même n’entend guère. Quoi ? Sérieusement ?         C’est là tout le secret ; La science consiste à savoir le livret. En ce cas je prends sur moi l’affaire, Je vous suis l’un et l’autre, et vais me mettre au fait. Mon mari n’a-t-il pas vergogne De laisser tout à l’abandon ? Je gagerais qu’il est avec quelque tendron, Et qu’au premier bouchon enluminant sa trogne Il s’amuse sans vergogne à vider un flacon ; Mais je vais ventrebleu faire un beau carillon, Nous verrons s’il ne tient qu’à lamper du Bourgogne : Je vais mettre en entrant le feu dans la maison; Et puis je ferai voir à ce maître fripon Que le ressentiment de Madame Gigogne Est plus à redouter que celui de Junon. Ah ! Ah ! Vous voilà maître ivrogne ? Vous vous donnez donc du bon temps, Vous contentez donc votre humeur libertine ! Vous me laissez grosse de quatre enfants; Sans rien laisser à ma cuisine. Voyez le beau reproche. Eh! Que m’importe moi ! J’ai mes plaisirs ; cherchez les vôtres. Le Sage ne vit que pour soi, Et ne doit point songer aux autres. Comment, maraud, n’es-tu pas mon mari ? Me dois-tu pas prendre soin du ménage ? Le sage ne prend nul souci; Le repos est son apanage. Eh ! Quoi ! Les noeuds du mariage... Fi donc ! Les préjugés, Madame, où vous voilà, Ne sont que pour les gens de la plus mince sorte. Eh ! Depuis quand sais-tu ces belles choses-là ? Depuis que je suis philosophe. Oh ! Oh ! Ne tient-il qu’à cela ? Mon cher époux, laissez-moi faire ; Je vais aussi sur ce pied là; M’initier dans le mystère ; Et puisque c’est à qui s’enphilosophera, Je veux savoir aussi si ce masque m’ira. La voilà donc philosophesse ! J’en ressens un plaisir réel : Car si Gigogne sait agir avec sagesse ; Elle consultera l’intérêt personnel. Je verrai chez nous abonder la richesse. Allons, je veux de mon côté Tirer un parti favorable De ma nouvelle qualité, Et mettre à ma boutique une enseigne honorable. Il faut que je sois un grand chien. Où sont-ils ces Docteurs tout remplis d’importance ; Dont j’ai consulté la science, Et qui m’ont conseillé si bien. Ce sont eux cependant : c’est la belle morale, De tous ces conseillers de balle, Qui m’attire aujourd’hui ce désastre affligeant. Je voudrais bien tenir quelqu’un de leur caballe : Le premier qui paraît, je l’assome à l’instant. Un inconnu vers moi s’avance ; Sachons s’il n’en est point : écoute, mon garcon N’es-tu pas philosophe ?         Non, Impertinent ! Et voilà pour t"apprendre. Me dire une injure. Un philosophe, moi ? J’aimerai mieux mille fois m’aller pendre : Je suis Gille ; et non pas philosophe.         Ma foi C’est bien dit ; touche là.         D’accord. Je veux t’apprendre Le beau tour que m’ont fait ceux que l’on nomme ainsi. Moi qui suis volontiers sans trouble et sans souci, J’envoyai bonnement ma femme à leur école. Ça lui formait l’esprit ; oh ! Rien n’était plus drôle. Elle y profita tant qu’enfin, le croiras-tu, Qu’enfin, deux mois après la masque m’a battu. Quoi ? N’est-ce que cela ? C’est bagatelle pure, Et j’appréhendais ; je te jure, Quelque accident pour toi bien plus fâcheux. Que veux-tu donc de pis ?         Je ne sais ; mais j’augure Que Gille des maris n’est pas leplus chanceux. Ta femme est femme et de plus philosophe. Je leur ferai bien voir de quel bois je me chauffe. Oui, c’est un tour très mal plaisant, Que sur la secte il faut poursuivre. J’approuve ton sentiment, Il faut leur enseigner à vivre. T’auraient-ils dont aussi conseillé ?         Oui vraiment ; Je portais à mon maître un fromage excellent ; Très propre à réjouir l’odorat et la vue, Son parfum s’étendait aux deux bouts de la rue ; Et j’y trouvais surtout De quoi satisfaire mon goût. Ah ! J’ignorais qu’il dut me coûter tant de larmes ; Avec avidité je parcourrais ses charmes ; Lorsque tournant les yeux sur un écrit, Qui par malheur servait d’enveloppe au fromage, J’y lus les Maximes d’un Sage Qui flattèrent mon appétit. Ce passage enseignait qu’il n’est valet ni maître ; Que les soins pour autrui sont des soins importuns ; Que l’intérêt peut tout ; que l’amour de son être À tout mortel doit se faire connaître ; Qu’enfin tous les biens sont communs ; Ou tout du moins le devraient être Séduit par un faux argument,J Je n’envisageai plus que mon propre avantage, J’écoutai, je suivis un conseil imprudent Et bref, j’avalai le fromage. Tout ceci pour ton dos ne me dit rien de bon : J’entrevois aisément la fin de l’aventure, Ton maître t’a rossé de bonne façon. Il m’en reste une courbature Qui prouve que Gille a raison. Mais oui, d’un frais battu tu portes t’encolure... Vois quelle est cette enseigne ; elle est celle que je crois, D’un philosophe.         Oui par ma foi. Va, cours vite, frappe à la porte, Frappe vite, te dis-je, et surtout fais en sorte Que l’ennemi ne nous échappe pas. Tout beau. Qui frappe ainsi là-bas : Hélas ! Hé ! Doucement.         Ô le plaisant visage ! Quels gens êtes-vous ?         Nous demandons un sage. C’est moi, Messieurs, que voulez-vous ? Nous voulons t’étrangler.         Messieurs, point de courroux. Que veulent dire je vous prie Ces compliments ? Quoi donc ? Êtes-vous fous ? Nous déclarons la guerre à la Philosophie. Écoutez, mes amis, je ne suis pas trop doux, Et si vous me mettez sur votre friperie... Mon cher Polichinelle ? Arrêtez. Qu’avez-vous ? Je veux les assommer, et me faire justice. La loi ne permet pas cela. Mais quel étrange forme ! Et qu’aperçois-je là ? Est-ce donc elle ? Oui ; mais par quel caprice ? Dame Gigogne, eh ! Quoi ? Vous moquez-vous des gens ? Mais, cette femme là n’est pas dans son vrai sens. J’ai pris le bon parti ; croyez-moi mes enfants ; « Pour la Philosophie un goût à qui tout cède, M’a fait choisir exprès l’état de quadrupède : J’invite même ici le sexe à m’imiter, Du moins ; si mon exemple a de quoi le tenter.» Je n’approuve point cette mode. Croyez que cette marche est bien la plus commode. « L’homme s’est fait esclave en se donnant des lois, Et tout n’irait que mieux s’il vivait dans les bois. Pour moi, je goûterais une volupté pure À nous voir tous rentrer dans l’état de nature. » Où diantre a-t-elle pris ces gentillesses-là ? Peste : Elle parle comme un livre. Eh ! Que n’en fait-elle un ?         Un livre ! Et mais, oui-dà. L’idée est assez bonne ; et je prétends la suivre. Un instant. Attendez-moi là. Compère, je crois qu’elle est ivre. Au secours, mes amis! Je crains de me livrer Au Dieu qui daigne m’inspirer, Je vois son flambeau qui m’éclaire, Je sens que le génie opère. Aï ! Aï ! Aï !     Qu’est ceci ?         Veut-elle plaisanter ? Qu’avez-vous ?         Ah ! Je sens que je vais enfanter. J’accouche. Aï ! Aï ! Aï ! Aï !         Compère, est-ce une fille ? Non.     Qu’est-ce donc ?         Ce sont quatre fils naturels. À qui tu tiendras de Père de famille. Cette femme a toujours aimé les pluriels ; C’était bien assez d’un, pourquoi m’en donner quatre ? J’ai tout fait pour le mieux, et n’en puis rien rabattre. Ne sais-tu pas mon cher, qu’après le dénouement; (Car mon second accouchement En est un bien complet et de la bonne espèce...) Hé bien ! Achève.         Hé bien ! Après la pièce Il nous fallait bien un Ballet ; Peut-on mieux l’amener ; dis ! Le voilà tout à fait. Il faut lui rendre grâce encore de sa largesse ; La coquine est féconde en tout, même en raisons. Allons servons-nous donc de ces petits fripons ; Mais foin de la philosophie, Foin de celui qui l’injurie, Foin de tout écrivain qui crie, Et qui dans ses écrits, décrie Celui qui contre lui s’écrie. Parlez-moi de mon cher ami, De mon féal et bon compère. Je ne veux vivre qu’avec lui ; Car d’un bon compère l’appui À tout le monde est nécessaire ; C’est ce que je prouve aujourd’hui Par des couplets à ma manière ; Car comme un autre j’en sais faire, Écoutez-nous bien, les voici. Ceci n’est point une satire Qui pourrait nous accuser ? Messieurs nous ne cherchons qu’à rire Notre seul but est d’amuser Si nos jeux ont de quoi vus plaire Venez à Passy quelques fois. Voir les philosophes de bois Polichinelle et son compère. Dans tous les cafés de la ville Auteurs crottés, abbés blondins, D’une façon fort incivile Font l’éloge de nos voisins ; En arts, en sciences en guerre, On veut en tout nous voir soumis, Pour exalter nos ennemis Il est chez nous plus d’un compère. Lise à quinze ans simple grisette, Avait gentillesse et fraîcheur, Mais retirée en sa chambrette Elle était sans adorateur : Un vieux chevalier la déterre, La promène en robe d’été ; On la court ; c’est une beauté ; Lise avait besoin d’un compère. Des auteurs bruyants se chamaillent, Libelles volent des deux parts, L’honnête public qu’ils tiraillent Rit bonnement de leurs écarts ; Mais lui seul, dupe du mystère, Prenant parti dans le combat, Ne voit pas que dans leur débat, L’un à l’autre sert de Compère. Il faut avoir bien de l’adresse, Pour plaire sans être méchant, Et je dois craindre que ma pièce N’ait pas votre applaudissement : Car le suffrage du parterre Ne s’accordent qu’aux bons auteurs On ne peut gagner ses faveurs, Par commère, ni par Compère.