MONSIEUR DE PRADE MONSIEUR, Voicy une restitution qu’un de vos meilleurs amis m’a chargé de vous faire ; et quelque chagrin que vous ait pu donner le larcin qu’il vous a fait de VOSTRE ARSACE, je pense que vous devez estre satisfait de la maniere dont il le repare, puis qu’il vous le rend à milliers pour un seul qu’il vous a pris. Si pourtant il vous en reste quelque ressentiment ; Considerez, s’il vous plaist, MONSIEUR, qu’il n’a point eu d’autre dessein que de vous acquerir l’estime de toute la terre, que d’exposer au grand jour une merveille que vous condamniez à des tenebres eternelles, et que le voulant dérober à tout le monde, vous estiez plus coupable que luy, qui ne l’a dérobé qu’à vous seul. En effect, le but de l’Art estant de plaire au public, il faloit que vous eussiez eu intention de l’en gratifier ; et si quelque consideration vous en avoit empesché pendant plusieurs années ; il estoit du devoir d’un amy de vous ramener à la premiere comme à la plus juste. Reconnoissez donc, MONSIEUR, que vous avoir fait un larcin de cette sorte, c’est avoir sceu vous rendre un bon office ; commencez à vous loüer de luy, puis qu’il vous a fait loüer par tant d’honnestes gens qui ont applaudy à vostre ouvrage ; et s’il a disposé sans vous d’un bien qui vous appartenoit, vous devez vous en prendre à l’estime qu’il en a fait, comme je le mets sous la presse par celle que j’en ay vû faire à plusieurs personnes d’esprit et de merite, Je suis, MONSIEUR, Vostre tres-humble et tres-obeissant serviteur, GIRARD. Ceux qui trouveront dans cét Ouvrage de la conformité avec quelques autres qui ont parû depuis six ou sept années, sont advertis qu’il estoit en estat d’estre mis au jour dés l’année 1650. Que les suivantes il fut promis dans les Affiches des Comediens du Marais, et depuis annoncé par ceux de l’Hostel de Bourgogne ; et que si Monsieur de Prade, qui ne l’avoit fait que pour son divertissement particulier, ne se fust opposé à la representation, il y eut éclatté dés ce temps-là avec tous les avantages que luy pouvoient donner ses beautez naturelles, soûtenuës des charmes de la nouveauté. Il a esté leu à une infinité de personnes de merite qui peuvent en rendre témoignage : Messieurs de Sainte Marthe, le Vayer de Boutigny, Lebret, de Folleuille, l’Abbé de la Motte le Vayer, de Montauban, de Scudery, de Rotrou, du Ryer, et Beïs ont publié dés l’année 1653, l’estime qu’ils en faisoient. Et il y a neuf ou dix ans que l’on en fit une lecture chez Monsieur le Comte de la Serre, où se trouverent Messieurs Quinault et Corneille le jeune, ce dernier mesme y releut à loisir quelques endroits dont il fut touché : Après cela je pense qu’il est aisé de conclure en faveur de Monsieur de Prade, puis qu’il ne pouvoit pas avoir jetté les yeux dans l’avenir pour y chercher un modele de son travail dans des pieces qui pour lors n’estoient pas seulement en idée. J’espere que l’on lui rendra justice, et que l’on estimera pas moins les belles choses, qui sont dans son ouvrage leur lieu naturel, que l’on a fait dans ceux où elles estoient transplantées. Le sujet d’Arsace est tiré du 42, livre de Justin, où il dit qu’Artaban septième Roy des Parthes succeda à son neveu Phradate : Et sur ce peu de mots qui contiennent ce qu’il y a de veritable, le reste a esté imaginé ; en sorte neantmoins que l’histoire en est plûtost estendüe que contredite. Que si l’on y represente Pharasmane si criminel, ce n’a pas esté sans fondement, puisque le mesme Justin témoigne qu’il estoit ordinaire aux Parthes d’avoir des Roys Parricides. Pour les vers je n’en diray rien, mais ceux qui s’y connoissent demeureront d’accord qu’on n’en a gueres veu de mieux imaginez, ou plus forts également par tout, et plus justes, ny de mieux tournés, et qui brillent d’un feu si vif. Aussi ont-ils fait dire à l’un des plus beaux genies de ce temps, qu’il n’avoit point encore veu de piece où il eut trouvé tant d’esprit, et l’illustre Monsieur Corneille, qu’elle avoit assez de beautez pour parer trois pieces entieres. ACTEURS. Deviendrez-vous subjet dans vos propres Estats ? J’abandonne le Trône, et ne m’en prive pas; Mes fils y regneront, et puis à trop attendre Je pourrois en tomber, j’ayme mieux en décendre, Et faire (en le quitant par generosité) Ce qu’on ne fit jamais que par necessité : De mon affection, je veux qu’il soit un gage, Qu’il leur soit un bien-fait, plutost qu’un heritage, Qu’ils m’en soient obligez, plus qu’à mon triste sort, Et qu’il leur soit aisé de pleurer à ma mort. Ce sont foibles motifs, pour quiter un Empire. J’en ay pour mon repos de plus puissans à dire, Et mes fils qui tous deux s’y veulent eslever, M’en imposent la loy si je les veux sauver. Tu sçais leur differend, et ce qui le fit naistre. Estant connu de tous je le puis bien connoistre, Quand vous estiés subjet, Pharasmane nâquit, Arsace vint apres avecque plus de bruit; Car la mort du feu Roy jointe à vostre naissance, Vous avoît mis en main, la suprême puissance; Leur sang est donc pareil, et leur rang inégal L’un est fils d’un monarque, et l’autre d’un vassal, Et ce droit naturel ou du rang ou de l’âge, De l’Empire futur est à chacun un gage; Pharasmane y prétend en qualité d’aisné; Arsace comme fils, d’un pere couronné, Il tient qu’avec moins d’heur, le Ciel l’auroit fait naistre S’il avoit resolu de lui donner un maistre; Et croit qu’apres son frere, il ne vit la clarté, Que pour attendre à naistre avec la Royauté; Ce sont leurs differends, que craignent nos Provinces, Et la Perse en a veu de pareils en ses Princes. Ils sont à redouter; mais j’en verray la fin, Lors que l’un sur le Trône élevant son destin, L’autre dans son malheur oubliera sa naissance, Et perdra son orgueil avec son esperance, Je vay donc leur donner, ce qu’ils voudroient ravir, Et si l’un regne heureux, je suis prest à servir, Ouy, je veux dés demain, que la voix d’un arbitre, Soit pour me succeder leur infaillible titre, Leur donner tout par elle, et m’espargner l’employ, D’en faire un malheureux, en faisant l’autre Roy ; D’un bien qu’un seul aura, l’autre me rendra grace, Car pour tous deux enfin, j’auray quitté la place. Un subjet de leur rang, est bien-tost revolté. Lors apuyant son Roy de mon authorité, Un sujet, quoy que grand, aura peine à l’abatre, Puis qu’il aura son pere, et son frere à combatre ; Mais il reconnoistra que son ambition, Ne pourra plus passer que pour rebellion ; Il n’osera rougir d’estre au dessous d’un frere, Quand il aura l’honneur d’estre égal à son pere ; Ny demander aux dieux la gloire d’estre Roy, De peur de demander d’estre au dessus de moy. Quiconque a pour ses fils de pareilles tendresses… Ecoute, à ce dessein j’ay mandé les Princesses, Voulant ceder le Trône à qui le Trône est deub, Vois qu’il sera par moi moins donné que rendu. Quand le sort nous ravit le feu Roy vostre pere ; Il me fit de son Sceptre un bien hereditaire, Et n’ayant point de fils comme Prince du sang, Voulut qu’aprés sa mort je montasse à son rang ; Depuis et mes faveurs et mon amour extréme, Ont comme esté vers vous le prix du Diadême, Mais pour m’en acquitter, maintenant je connois, Qu’il faut un bien égal à celuy que je dois, Et que pour bien payer une telle Couronne, Quiconque l’a receuë, il faut qu’il la redonne, Je veux donc vous la rendre, et voir avecque vous, Regner l’un de mes fils en qualité d’espoux ; Ainsi réünissant l’une et l’autre famille, Phradate apres sa mort regnera dans sa fille, Et je croiray qu’en vous, il va ressusciter, Pour faire qu’envers luy, je me puisse acquiter. Avecque tant de joye, à ce bonheur j’aspire, Que j’en auray beaucoup à quiter un Empire ; Mais pour mettre un espoux sous vos divines loix, Aux dépens de vos vœux je ne fay point de choix ; Et quelque effort sur moy que la nature fasse, Ne pouvant me resoudre à vous donner Arsace, Mais que vois-je ? Et pourquoy changez-vous de cou         leur ? Du plus infortuné, je ressens le malheur. Son amour que je sers, croit que je la menace. Ne pouvant me resoudre à vous donner Arsace, Ny Pharasmane aussi, vous choisirez demain A qui des deux offrir et l’empire et la main ; Comme Reyne en effect, que rien ne vous contraigne En me donnant un Roy, commencez vostre regne, Mon choix suivra le vostre, et je garde mes vœux Comme un droict pour celuy que vous ferez heureux. Sire, dispensez-moy de cette obeissance, Vos fils par leurs vertus meritent leur naissance ; Mais s’il me faut choisir, mon amour importun, De deux que vous m’offrez en doit mépriser un. Mais alors qu’à ce choix, il vous faudra reduire, L’un des deux sera crû digne de mon Empire, Digne d’estre mon fils et de me succeder, De vous avoir pour femme et de vous posseder, Et la gloire de l’un se joignant à la vostre, Me fermera les yeux sur le mépris de l’autre : Ne vous desfendez plus, demain toute ma Cour Doit prendre un nouveau Roy du choix de vostre amour. Celuy dont elle aura rendu l’attente vaine, Trouvera lors en nous un remede à sa peine Car s’il laisse une Reyne aux mains de son Rival, Il obtiendra la sœur, et sera mon égal. Adieu, je vais porter mes fils à se soûmettre A ce choix dont tous deux se doivent tout promettre. Que ce project est doux à vostre ambition ! Il est plus doux encore à mon affection. Le Roy décend du Trône, et m’y donne la place, Mais le Trône ma sœur me va donner Arsace. Votre interest m’engage à vous desabuser, Vous le pouvez choisir, il vous peut refuser. S’il est si peu sensible, à l’amour qu’il me donne, Peut-il ne m’aimer point avec une Couronne ? Ses brillans presteront de l’éclat à mes yeux ; Et s’il n’est pas amant, il est ambitieux. Comme Reyne du moins, si ce n’est comme amante, A cét ambitieux je paroistray charmante ; Et quand à mes desirs il voudroit resister, S’il ne se donne pas, j’ay de quoy l’achepter. Un Heros tel que luy n’abaisse point son ame Jusqu’à chercher l’empire en l’amour d’une femme, Il veut le conquerir s’il n’en herite pas, Et s’il faut le devoir, le devoir à son bras. Si de moy, si du Trône, il fait si peu d’estime ; En luy donnant un Roy, je punirai son crime : Et j’en feray ma sœur, quels que soient ses projets, Un rebelle à son pere, ou l’un de mes subjets : Si l’amour au respect ne le sçauroit contraindre, Le rang où je seray l’obligera d’en feindre, Je le verray soûmis adorer mon pouvoir, Si ce n’est par amour ce sera par devoir, Chaque jour, chaque instant, mon orgueil et ma haine, De sa soûmission luy feront une peine, Et le mettront si bas, qu’indigné de son sort, Ayant quité l’Empire, il cherchera la mort. C’est beaucoup.         Ne crains rien pour cét amant farouche, Ma fureur contre luy n’excite que ma bouche, Et loin de le punir, estant ce que je suis, Le dire seulement est tout ce que je puis. Je l’adore ma sœur, et quoy qu’il en arrive, Il sera courroné par sa propre captive. Vois-le donc, et du moins pour mon soulagement Espargne-moy l’affront de m’offrir vainement. Mais…         Laisse-moy le bien qu’un peu d’espoir me done, Ne m’oste pas la vie avant qu’il m’en ordonne, Si croyant me l’oster avec plus de douceur, Toy-mesme tu ne veux assassiner ta sœur. Qu’elle me connoist mal, et que son esperance Se fonde aveuglement dessus ma confidance, Ses amans sont les miens, et pour regner par eux, Je feins sans les aimer de répondre à leurs vœux, Ou si pour l’un des deux mon amour se remarque, J’ayme celui des deux qui doit estre Monarque, Et n’ay de deux amans solicité la foy, Qu’afin de m’asseurer de l’amitié d’un Roy. Non qu’enfin mon amour épuré dans mon ame, N’y brille pour l’aisné d’une plus vive flâme, Quelque charme secret plus fort que mes desirs, Souvent en sa faveur m’arrache des soûpirs ; Mais mon ambition, quelque ardeur qu’il m’inspire, Empesche que l’amour ne regne en ton empire, Qu’il ne soit assez fort pour ne te point ceder, Et te faire obeïr, où tu dois commander. Superbepassion, fay-moy toûjours connoistre Que ma franchise est deüe à qui sera mon maistre, Et qu’ayant du mépris pour le moins fortuné, Je dois aimer celuy qui sera couronné, Mais Pharasmane vient, mesme sort nous menace. Ha ! Si vous l’ignorez apprenez ma disgrace. Vostre sœur peut choisir de mon frere ou de moy ; Pour en faire à son gré son espoux et son Roy, Et de quelque costé que son desir la guide, Ou j’aimeray subjet, ou regneray perfide. Si la Princesse m’aime et me veut couronner, C’est me vouloir contraindre à vous abandonner : Et si je suis des deux, celuy qu’elle rejette, Je seray son subjet, et vous serez sujette ; Ainsi son esperance a de quoy se flatter, Mais moy des deux costez j’ay tout à redoutter. Le mal est arrivé, vous n’avez plus à craindre, Et cessant d’esperer, commencez à vous plaindre. Arsace… Ce nom seul vous doit rendre jaloux, La Princesse ma sœur le choisit pour espoux ; Et comme estant des deux celuy qu’elle rejette, Vous deviendrez subjet, et je seray subjette : Bref, il peut tout attendre, et mesme tout avoir, Avant que son audace en ait conçeu l’espoir. Mon frere me ranger sous son obeïssance ! Luy que mesme au berceau me soumit la naissance ! Non du Trône plûtost je feray son cercueil, Et j’ay pour obeir trop d’amour et d’orgueil. Il faut pour vous servir porter une couronne, Et la desfendre bien quand le Ciel nous la donne. Rival audacieux qui pretends m’asservir, Ce n’est qu’apres ma mort qu’on me la peut ravir, Arsace ton bon-heur te va couster la vie. Hé de grace quittez cette funeste envie. L’aimeriez-vous Princesse en feignant de l’aimer ? Un merite si grand a-t-il sceu vous charmer ? Quand on crût à la Cour, malgré le droict d’aisnesse, Qu’Arsace regneroit avecque la Princesse. Nous fismes mesme effort, par un amour trompeur, Moy pour le captiver, vous pour gagner ma sœur, Et les porter ainsi, pour ne nous point déplaire A l’horreur d’un hymen qui nous estoit contraire ; Cependant si ma sœur fut sourde à vos soûpirs, De vostre frere au moins, j’arrestay les desirs; Il en fit à ma feinte un veritable hommage, Il mit toute sa gloire en ce secret servage, Et l’empire absolu qu’il me donna sur luy, Fut alors nostre espoir, et peut l’estre aujourd’huy ; Attendez-en l’effect, et croyez que ma flâme, Rendra nostre party si puissant dans son ame, Que ma sœur qui peut tout verra par son refus, Que sans Sceptre à donner je puis encore plus. Suivons plutost la voye où la fureur m’entraine. Croyez vostre prudence et non pas vostre haine ; Et ne presumez point d’un esprit irrité, Lorsqu’il a plus de feu, qu’il ait plus de clarté : Mais voicy vostre frere, evitez sa presence, Et prenant sur mes soins une entiere asseurance, Allez pour l’observer entretenir ma sœur. Non, non, si je fuyrois, il se croiroit vainqueur. Advoüez que pour moy, vostre haine mortelle Donne à vostre allegresse une force nouvelle, Et vous fait moins sentir vostre propre bon-heur, Que celuy de m’oster et l’empire et l’honneur ; Mais alors que la joye est si vaine et si prompte, Elle ameine apres soy le regret et la honte ; Vous n’estes pas content puisque vous desirez, Et pouvez n’avoir rien puisque vous esperez. Vous sçavez qu’Araxie en donnant la Couronne Penchera du costé que son amour l’ordonne : Mais ne presumez pas que soûmis par son choix, J’abaisse mon orgueil à recevoir vos loix, Et qu’un lâche respect vienne occuper mon ame, Pour un Roy qui sera l’ouvrage d’une femme. La franchise est un bien qu’on ne me peut ravir ; Vous pouvez commander, mais je ne puis servir ; Et je vous punirois si vostre orgueil extresme Me traittoit de subjet seulement en vous-mesme, On est mauvais subjet à qui on fut égal, Et qui voulut regner obeïroit fort mal. Il faut, puis que mes droits sont unis à ma vie, Que pour me les oster elle me soit ravie ; Mais pour avoir ensemble et ma vie et mon rang, Jugez ce qu’à vous-mesme il coustera de sang : J’ay les Partes pour moy, si vous avez mon pere, Et pour rendre électif un Sceptre hereditaire, Il faut prendre sur eux de tyranniques droits, Et détruire l’Estat pour en changer les loix. Ne vous flattez donc pas d’une si vaine attente, Voyez vostre fortune avec quelque épouvante, Songez qu’elle vous place au dessus d’un aisné, Et craignez le bonheur d’en être couronné. Ors qu’il menace il craint.         Je dois craindre de mesme; Et ne pouvant m’aymer sans perdre un Diadême… J’ay préveu cette crainte, et vous viens témoigner Que ce n’est qu’avec vous qu’il m’est doux de regner ; L’ambition ne peut commander à ma flâme, Et mon plus cher Empire est celuy de vostre ame : Mais le Sceptre d’ailleurs estant tel en effet, Qu’à peine l’on consent au refus qu’on en fait… En un mot je vous pers, la Couronne est si belle, Qu’elle vous authorise à me quitter pour elle. Aussi m’oster ce cœur que vous m’avez donné, Est un crime si beau, qu’il sera couronné. Je ne m’en plaindray pas, au point où je vous aime ; Je vous souhaite heureux seulement pour vous-mesme, Je vous rends tout à vous, Prince allez vous offrir, Regnez avec ma Sœur et me laissez mourir. Le refus de sa main et celuy de l’Empire Quoy que vous en croiyez vous en fera dédire Soyez mon interprete, et faites luy sçavoir, Que pour m’acquiter mieux, je veux moins luy devoir : Mais allons consulter toute nostre prudence, Pour couvrir ce refus d’une belle apparence, Et joignons à ce coup tant d’art et de douceur, Qu’il puisse estre porté de la main d’une sœur. Ostons-luy tout espoir, faisons parler Arsace, Et malgré son respect, prestons-luy de l’audace. Araxie, a-t-il dit, se flatte vainement, Je veux regner en Prince et non pas en Amant, Et quite sans regret, Trône, Sceptre, Couronne, Si pour les posseder il faut que je me donne. Je ne veux point devoir un bien qui m’est acquis, Et quelque grand qu’il soit, il est cher à ce pris, Pour faire que ma flâme à la sienne réponde, Elle me doit offrir tout l’Empire du monde. Pour avoir mon amour il le faut meriter, Ou le payer ainsi lors qu’on veut l’achepter. L’insolent !         Il fait plus, il solicite, il presse, Pour vous oster le choix que son pere vous laisse. Il perira plûtost, et ma haine à son tour Pourra sur son destin, autant que mon amour. Quoy paroistre à mes yeux ?         Je vay trouver mon frere, Et m’éloigne d’icy pour ne vous point déplaire. Tu ne le peus ingrat, et malgré mon courroux, Ta presence m’inspire un mouvement plus doux. Ne crains pas qu’il éclate et rompe le silence, A tous mes sentiments je feray violence, Et pour les captiver sous l’Empire des tiens, Mon Coeur jusqu’à ma langue estendra ses liens Je dispose du Sceptre, et ton pere desire, Que le don de ma foy soit celuy de l’Empire ; Mais faisant beaucoup plus, en faisant moins pour toy, Je te le veux donner, separé de ma foy. J’useray de mes droicts, Amante genereuse, Pour te mieux asseurer la Couronne douteuse, Sans te faire pourtant une necessité De joindre mon hymen avec la Royauté. Par ta seule grandeur tu connoistras ma flâme, Je te dispenseray de me prendre pour femme, Et ton pere surpris reconnoistra demain, Que qui donne son Coeur peut refuser sa main. Que s’il veut malgré tout à l’hymen nous contraindre, Dans ce commun malheur, je seray seule à plaindre : Car punissant en moy ses tyranniques loix, Ma mort t’affranchira des rigueurs de mon choix. Mon choix de la Couronne aura paré ta teste, Ma mort t’en donnera la paisible conqueste. Puis qu’ ainsi mon trépas prévenant tes refus, Tu ne me devras rien, quand je ne vivray plus : Sont-ce des sentimens qui meritent ta haine, Je veux te voir au Trône et non pas à la gesne, Et je ne joindray point pour mon seul interest, Un present qui t’offense à celuy qui te plaist. Je te rendray content, sans devenir heureuse, Je voudrois t’acquerir, mais je suis genereuse, Et n’attends pas ton Coeur pour t’avoir couronné, Car j’aurois plus acquis que je n’aurois donné. Ainsi de quelque horreur que ma flâme t’anime, Si je n’ay ton amour, j’obtiendray ton estime, Ou si ma peine est deuë à ton adversion, Je seray morte, au moins, pour ma punition. Adieu, retiens ces pleurs, que je te vois répandre, J’ay surpris ta pitié, qui s’en vouloit desfendre, Tu viens de t’oublier pour sentir mes douleurs; Mais s’ils sont dérobez, je refuse les pleurs. Ha ! Madame…         Est-ce à moy que ce soûpir s’adresse ? De quel costé pancher, amour, pitié, tendresse ? Elles parlent pour elle, et vous les écoutez ? Elles veulent ma mort et vous les consultez ? Serois-tu bien touché d’un remors salutaire ? Il vous faut obeir, je vais trouver mon frere. La fureur me saisit, sa mortelle chaleur, Agite l’un par l’autre et mon sang et mon cœur, Et ce feu si subit dont mon ame est émuë, Esclatte dans ma bouche et reluit dans ma veuë; La honte à ce transport, encore se confond, L’une échauffe mon Coeur, l’autre rougit mon front, Et comme en son excés la fureur est muette, Le desordre où je suis en devient l’interprete, Ha ma sœur, laisse-moy, je souffriray bien moins, Quand ma confusion n’aura point de témoins. Mon dessein réussit, c’est icy que j’espere. Et pour toute réponse, il va trouver son frere ! De toutes mes bontez un outrage est le prix ! Et son feint repentir ne produit que mépris ! A voir jusqu’à quel point l’insolent me rabaisse, Je pourrois oublier que je naquis Princesse, Si mon Coeur outragé, qui demande son sang, Ne m’estoit pas encore un témoin de mon rang. Ingrat plus je t’aymay, plus mon esprit s’irrite, Au dessein de ta perte il s’emporte si viste, Que cent fois ma pensée a prevenu mon bras, Pour te punir plûtost par autant de trépas. Mais que puis-je tenter qui ne me sois contraire ? Mais où je ne puis rien, que ne pourra son frere ? Il m’ayme, il veut regner, et je dois l’engager, Par ce double interest à vouloir me venger. Quand son obeïssance aura servy ma rage, Son pouvoir et son rang apaiseront l’orage. Souffrez que de mes maux je vous puisse parler. M’entendre seulement sera me consoler ; Madame, je voy trop en mon peu de merite, Du malheur qui m’attend le presage et la suitte, Et que par vostre choix, du rang où je suis né, Je vais tomber aux pieds, d’un frere couronné ; Mais si j’ose alleguer mon rang et ma naissance, Et les profonds respects de mon obeïssance, Madame en leur faveur plus propice à mon sort, Avant que de choisir ordonnez-moy la mort. Liberale des biens que l’un et l’autre espere, Donnez-moy le trépas, et l’Empire à mon frere ; Quel que soit mon bon-heur, pour un present si doux, Arsace asseurément n’en sera point jaloux. Je sens que mon repos doit préceder le vostre, Je ne pourrois vous voir entre les bras d’un autre ; Et ce Sceptre éclattant que l’on me va ravir, Soûleveroit ma haine au lieu de l’asservir. Ma gloire me prescrit de mourir avec elle, De n’estre point subjet, pour n’estre point rebelle ; Et je dois éviter le malheur sans égal, D’attaquer vostre espoux pour punir mon Rival. Ne pouvant des-unir ce que l’amour assemble, J’ayme mieux le sauver que de vous perdre ensemble ; Car je sçay que ma rage iroit jusques à vous, Puis qu’estant dans son Coeur vous sentiriez ses coups. Doncques pour prevenir…         Il en perdra la vie. Expirer à vos yeux est mon unique envie. Non, Prince, je m’égare en suivant mon transport, Je parle contre Arsace et demande sa mort. Quoy sa mort ?         Pour vous voir sans Rival et sans Maistre ; Par un coup genereux vengez-moy de ce traistre, Et témoignez ainsi de ma gloire jaloux, Ce que peuvent le Sceptre et mon amour sur vous. J’ordonne son trépas que rien ne vous retienne, Prestez-moy vostre main pour obtenir la mienne, Et payant de son sang, et l’Empire et ma foy, Faites de mon vengeur mon Espoux et mon Roy. Je ne regarde icy forfait ny recompense ; Et ne veux consulter que mon obeïssance. Vous l’ordonnez, Madame, et d’un esprit soûmis, En vous obeïssant je me croy tout permis. Je vay donc le punir d’avoir pû vous déplaire. Mais mon amour veut-il ce que veut ma colere ? Elle ose prononcer l’Arrest de son trépas, Et l’amour à l’instant ne le revoque pas ? Contre ce feu nouveau ma flâme est languissante ! Je suis son ennemie, et non pas son Amante ? Et lors que je consens à le faire perir, La crainte de sa mort ne me fait pas mourir. Va, ne me parle plus, ô fureur insensée, Si j’ai peu fait pour toy d’en avoir la pensée, Par quelque grand mépris qu’il aît pû m’outrager, J’en ay trop fait pour moy de m’en vouloir venger ; Prince, qu’il vive donc, et puis qu’enfin je l’aime ; Au lieu de l’attaquer, deffendez-le vous mesme. Je vous obeïray, Madame ; Il vient icy. Il y va de ma gloire et de la vostre aussi. Ouy, je vay l’immoler, rien ne m’en peut distraire, Je luy pardonnerois s’il n’estoit pas mon frere, Et si comme mon frere, il n’estoit mon Rival, Et n’avoit mesme droict sur le bandeau Royal. Qu’un Roy pour te venger à ma perte conspire, Arsace qu’il m’en couste et le jour et l’Empire. Je periray content de mon funeste sort, Si par la tienne au moins j’ay merité ma mort : Mais dans ce lieu fatal nul témoin ne m’éclaire, Et puis qui d’un tel coup accuseroit son frere ? Nostre malheur est grand, mais il pourra finir; Si du moins une fois nous nous pouvons unir, Le choix que de nous deux on donne à la Princesse, D’une crainte trop juste également nous presse, Et quoy qu’à l’un de nous, il doive estre bien cher, Nous n’agissons tous deux qu’afin de l’empescher. Mais le Roy qui le sçait, et qui craint qu’un rebelle Ne fasse à la Princesse une injure mortelle, S’en offense mon frere, et nous vient témoigner Que ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons regner, Il vient exprés icy : Mais quoy qu’il en ordonne, Demandons à l’envy qu’il garde la Couronne, Et monstrons…      Meurs plûtost.         Attenter à mes jours ! Ce n’est que d’un moment en prolonger le cours. O spectacle inhumain ! Dois-je esperer ou craindre ? Et suis-je icy venu les sauver ou les plaindre ? N’achevez pas le coup où je vous ay surpris, Le crime est assez grand de l’avoir entrepris. Il veut m’assassiner.         Il en veut à ma vie. Doncques mesme fureur vous donnoit mesme envie ? Mais lors qu’à cét excés vous en estes venus ; Répondez inhumains vous estes-vous connus : Ou bien n’est-il en vous de vous pouvoir connoistre : Que quand vous regardez celuy qui vous fit naistre Le sang qui vous unit de ses plus sacrés noeuds, Par une seule atteinte auroit coulé des deux, O que j’ay mal jugé de vos ames perfides, Je cherchois un Monarque entre deux paricides, Et voulant déposer le Sceptre dans vos mains, J’en partageois l’espoir entre deux assassins. Enfans dénaturez quel demon vous anime ? Il valoit mieux souffrir que commettre ce crime Du coup qu’on vous portoit ne vous pouvant troubler Du coup que vous portiez il vous faloit trembler, Plûtost que d’attaquer une si chere vie, Il faloit consentir qu’elle vous fut ravie. J’en aurois un à plaindre, et j’ay pour m’affliger Mes deux fils à punir, et pas un à venger. Mais je ne vois qu’un fer ; c’est le vostre ou le vostre, Il ne pouvoit ensemble attaquer l’un et l’autre, Et du crime de l’un ce complice averé Est en faveur de l’autre un témoin asseuré. Il le rend innocent s’il le fait méconnoistre, Et je juge d’ailleurs qu’un de vous le doit estre ; Car deux cœurs à la fois n’auroient pû concevoir Le penser seulement d’un attentat si noir ; Mes vœux sont exaucez, j’en ay donc un à plaindre, Et l’un doit esperer, lors que l’autre doit craindre. Tu ne t’en peux desfendre, et ton front estonné, Au raport de mes yeux t’a desja condamné. J’ay de l’estonnement, mon visage le montre, Mais qui n’en auroit pas en pareille rencontre Où l’œil comme abusé d’un fantosme impréveu, N’ose asseurer l’esprit de tout ce qu’il a veu. Un pere me condamne, un frere m’assassine, Et pour me perdre enfin tout mon sang se mutine ; Quel plus grand accident peut troubler mes esprits ? Il faudroit s’estonner si je n’estois supris, Et croire qu’à ce coup, mon ame préparée, Se seroit à loisir plainement asseurée. Donc perfide c’est toy, donc ce lâche dessein, Aura pû de ton cœur passer jusqu’à ta main. Et ton juste remorts ne peut trouver passage, Pour conduire la peur jusques sur ton visage. Sous un front asseuré tu caches son bourreau, Mais ta feinte innocence est un crime nouveau. Tu feins d’estre innocent pour le rendre coupable ; Tu veux que son trépas me paroisse equitable ; Et qu’ainsi l’ordonnant sans en avoir d’horreur, Au lieu de la punir j’imite ta fureur. Que de cette asseurance on me loüe, ou me blâme, Le visage se meut au mouvement de l’ame, Et si quelque remors agitoit mon esprit, On verroit mon forfait sur mon visage escrit. L’innocence l’asseure, et dans cette rencontre, Pour estre son témoin elle-mesme se montre, Elle répand sur moy ses plus vives clartez, Pour trouver le coupable en ces obscuritez. Mais si l’ambition fait la seule querelle, Qui peut rendre à ce point nostre main criminelle ? Sire, pourquoy commettre un attentat si noir ? Le choix de la Princesse asseuroit mon pouvoir, J’allois monter au Trône, et le vouloir détruire, N’estoit que d’un subjet affoiblir mon Empire. La Princesse le sçait, on la peut consulter. Tu seras criminel si je veux l’escouter. Parle.         Je croy, Seigneur, qu’il m’a voulu deffendre, Car ce sont mes raisons qu’il vous a fait entendre. Sire, pourquoy commettre un attentat si noir ? Le choix de la Princesse asseuroit mon pouvoir, J’allois monter au Trône, et le vouloir détruire, N’estoit que d’un subjet affoiblir mon Empire. La Princesse le sçait, et sans trop me flatter, Je crois que pour ma gloire on peut la consulter. Mais non n’en faites rien, helas je considere Qu’en me sauvant ainsi, je fais perir mon frere, Que j’asseure sa perte en asseurant mon sort, Et que mon innocence est le coup de sa mort ; J’en ay desja trop dit, et suprime le reste, J’en craindrois le succez, il luy seroit funeste ; Je commettrois ce crime en le desavoüant, Et m’en rendrois coupable en le justifiant. Mon frere parlez donc, je n’ay rien à répondre ; Et veux tout advoüer de peur de vous confondre, J’évitay mon trépas qui vous eut fait perir : Mais pour vous conserver je suis prest à mourir. Certes je suis surpris, cette impudence extresme, Me pourroit faire entrer en soubçon de moy-mesme ; Et si son attentat ne m’estoit si present, Je pourrois oublier que je suis innocent. Terminez ce combat, où mon ame incertaine Ne voit rien d’asseuré que le crime et la haine, Où tousjours le coupable est trop advantagé, Puis qu’entre mes deux fils mon cœur est partagé. Avec juste raison, il se cache le traistre, Et fait qu’en le voyant je ne le puis connoistre. Quoy que dans ma tendresse il pût trouver d’appuy, Ma rigueur toute entiere agiroit contre luy; Qu’il dissimule donc avec plus d’artifice, Et s’obstine au secret par la peur du suplice. Mais qu’il apprenne aussi qu’on luy peut reprocher, Que son crime redouble à le vouloir cacher, Puis-qu’employant la ruse apres la force ouverte, De son frere deux fois il hazarde la perte ; Qu’il sçache le cruel que mon ressentiment, Doit à ce double crime un double chastiment, Et que deux fois ainsi l’equité me convie, Aux plus severes lois d’abandonner sa vie. Ces noms de pere et fils luy seront superflus, S’il veut estre inconnu, je ne le connois plus. Mais il rit en secret alors que je menace: De mon aveuglement il espere la grace, Et croit rendre tousjours mon courroux impuissant, S’il confond sa fortune avec un innocent ; Mais quelque obscurité dont se couvre ce lâche, Qui me cache mon fils, quand luy-mesme il se cache, Qui confond sa vertu dans son crime douteux, Et veut qu’au lieu d’un traistre, on m’en reproche deux. Je sçauray le trouver, l’assassin de son frere, Qui garde asseurément mesme sort à son pere. Et qui pour n’estre point parricide à demy, Me hait pour avoir fait naistre son ennemy. Que si pour le punir, je ne le puis connoistre, 30 Injuste avec raison par la crainte de l’estre, Quoy que les droicts du sang me veüillent retenir, Sans l’avoir reconnu je l’oseray punir. Je vous perdray tous deux pour venger l’un ou l’autre, Pour punir vostre crime, ou pour punir le vostre, Ou plûtost en bon pere, et juge rigoureux, Pour vous venger tous deux, je vous perdray tous deux ; Aussi bien si j’en dois croire vostre querelle, D’un si grand attentat la faute est mutuelle ; L’un de vous de sa haine, a fait l’autre l’objet, Mais l’autre à cette haine a fourny de sujet, Et l’amour de vos cœurs également banie, L’un commença la faute, et l’autre l’a finie ; D’ailleurs, quoy qu’il en soit, vous m’estes ennemis : Car enfin vous vouliez assassiner mon fils. De crainte cependant, qu’aucun d’eux par sa fuite Ne se puisse soustraire à ma juste poursuite, Que Seleucie estant leur prison desormais, La Garde s’y redouble aussi bien qu’au Palais. Au surplus inhumains, je vous laisse en la vostre ; Et l’un quoy qu’il en soit me répondra de l’autre. Arsace est innocent, si je croy son grand cœur, Ses exploits et son bras de tant de Roys vainqueur ; Mais ce n’est pas assez que seul je l’ose croire, De ce soubçon honteux je dois sauver la gloire, Employer tous mes soins à la faire éclater, Et ne permettre pas qu’on en puisse douter. Ainsi j’auray sçeu joindre aux droicts de sa naissance, Celuy de ses vertus et de son innocence, Et par eux l’élever à l’Empire aujourd’huy, Avecque moins de haine, et plus d’éclat pour luy. Si vous la consultez, la Princesse pressée… Elle seroit suspecte estant interessée, Par un autre moyen, je puis me contenter, Ou sinon je pourray tousjours la consulter : Mais allons au Conseil, le genre de l’affaire Avec toutes ses voix veut que j’en délibere, Et je dois me servir de son authorité, Pour mieux executer ce que j’ay projeté. Tandis que sur nos jours le Conseil delibere, Je n’acuseray point la rigueur de mon pere, Je m’en prends à moy-mesme, et dois estre puny, Non d’avoir commencé, mais d’avoir mal finy. Quand d’Arsace à mes mains vous demandiez la vie, J’ay monstré vostre haine et ne l’ay pas servie. Moi j’ay voulu sa mort Prince ? C’est un abus. De vos commandemens ne vous souvient-il plus ? Voulez-vous demeurer sans rival et sans maistre ? Prince, me dites-vous, vengez-moy de ce traistre. Quand pour vous y porter je vous teins ce discours, Croiyez-vous qu’en effet j’en voulusse à ses jours ? Du mouvement confus de mon ame irritée, Ma langue malgré moy se trouvant agitée, J’ordonnay son trépas sans mon consentement, Et pris pars au forfait de la voix seulement. Ainsi contre un amant ma haine irresoluë A demandé la perte et ne l’a point vouluë. Mais vous-mesme par vous, jugez de mon dessein, Je vous avois choisi pour estre l’assassin ; Dans mes ressentiments à moy-mesme contraires, Je n’avois contre un frere employé que son frere. Et je n’avois donné l’ordre de m’en venger, Qu’à celuy dont l’amour me devoit proteger. Ainsi mon cœur poussé d’une contraire envie, Par le choix du Meurtrier prenoit soin de la vie ; Il excitoit vos bras à servir mon couroux, Et par ces mesmes bras en détournoit les coups, Cette fureur encore à sa perte animée, Y fut par mon amour aussi-tost desarmée, Contre elle d’un amant, j’embrassay l’interest, Et demandant sa mort j’en revocquay l’arrest : Le crime est donc à vous, qui voulant l’entreprendre, Avez feint à dessein de ne me pas entendre, Qui pouvez oublier à qui le sang vous joint, Qui paroissez son frere, et qui ne l’estes point. Et bien vous le voulez, pour immoler Arsace, Oüy je fermay l’oreille à l’arrest de sa grace. Mais ne m’imputez pas que par adversion, Je courusse, Madame, à sa punition. Malgré nos interests il fut tousjours mon frere ; Aussi n’estant poussé que de vostre colere, Je crûs que justement vous vouliez son trépas, Puis que pour l’en punir vous employiez mon bras ; Je crûs qu’à ce forfait vostre haine irritée, Par un autre plus grand avoit esté portée : Et mesurant l’offence à cette impieté, L’excès de son horreur m’en fit voir l’équité. Ne m’accusez donc pas d’avoir pû méconnoistre ; Celuy que de mon sang la nature a fait naistre, Entre mon frere et vous me laissant partager, Je l’aimay, mais aussi je voulus vous venger : Et tenant par le cœur à l’amour fraternelle, Ma main contre mon cœur soustint vostre querelle. Si vous aviez voulu me servir seulement, Vous auriez donné moins à mon ressentiment ; Loin de porter si-tost le coup de ma vengeance, Avecque mon amour estant d’intelligence : Vous l’auriez differé pour me faire songer, Qu’au dépens d’un amant je voulois me venger. Sa vie avec mes jours se trouvant confonduë, Au lieu de l’attaquer vous l’auriez desfenduë ; Mais pour vous asseurer de l’Empire et de moy, Vous couriez à la mort d’un Rival et d’un Roy ; Vous agissiez pour vous asseuré du salaire, Pour pretexte à sa mort vous preniez ma colere ; Et vouliez l’opposer apres ce grand forfait, Au reproche sanglant que je vous eusse fait. Et bien si j’ay failly ma perte est legitime, Découvrez tout ensemble et punissez mon crime, Et rendez-vous le Roy doublement obligé, De sçavoir le coupable, et d’en estre vengé. Je vous accuserois, si mon amour connuë Ne m’obligeoit sans doute à plus de retenuë, Je ferois croire ainsi que ce Prince en danger ; Par ce lasche moyen s’en voudra dégager, Ou me feroit parler pour seconder sa haine, Et rejetter sur vous et son Crime et sa peine, J’attends donc que le Ciel vous découvre sans moy… Mais à Dieu je vay voir ce que resoult le Roy. Qu’à la discretion, je suis peu redevable, En faveur d’un rival elle m’est favorable ; Mais que me veut sa sœur ? Dont l’amour déguisé, Alors qu’il est déceu croit m’avoir abusé. Pour perdre le coupable, on fait une injustice, Prince,         Sur qui des deux doit tomber le supplice ? Le diray-je ? Sur vous.         Quoy l’on m’oprime ainsi ? Princesse on me condamne !         Et vostre frere aussi. Pour trouver le coupable on ordonne,… je tremble, Qu’en public aujourd’huy vous combattrez ensemble. Et que vos bras armez pour sa punition, Iront par la desfaite à sa conviction. Cét auguste Conseil, où l’équité preside, Craignant de voir regner un Prince paricide ; Veut qu’il soit au combat par sa mort convaincu, Et croit que comme lasche il y sera vaincu. Ne pouvant qu’en aveugle ordonner son supplice, Il laisse à l’innocent à s’en faire justice. Et se remet au Ciel, équitable et puissant, De punir le coupable et sauver l’innocent. Ainsi dans le vaincu l’on verra le coupable, Sa desfaite rendra son trépas équitable, Et l’innocent enfin trouvé dans le vainqueur, Obtiendra pour son prix ma Couronne et ma Soeur. Le Roy donc y consent ?         Jugez-en par ma plainte, Le Roy qui par serment s’imposa la contrainte ; De permettre au Conseil, quoy qu’il pût ordonner Est forcé maintenant de vous abandonner. Et pour voir le succez d’un combat si barbare, Toute la Cour s’assemble et le champ se prepare. Mais Arsace m’offrant de ne combattre pas, A ma priere aussi mettez les armes bas, D’un et d’autre costé mon sort seroit à plaindre, J’aurois pour mon supplice également à craindre Que vaincu par Arsace, ou d’Arsace vainqueur, Mon Amant n’y perit, où n’épousât ma sœur. D’ailleurs comme le sort peut vous estre contraire Vous traiteriez d’égal avecque vostre frere : Qui pouvant l’obtenir du succez de ses coups, Seroit encor du Thrône aussi proche que vous. Adieu, laissez-nous seuls, je le voy qui s’avance. On veut que le combat monstre nostre innocence, Mais, si vous m’en croyez, tous deux prets à perir, Avant que de combattre on nous verra mourir, Un peut faire verser et mon sang et le vostre, Mais non pas nous contraindre à perir l’un par l’autre, Car nos mains qu’on destine à cette cruauté Relevent seulement de nostre volonté ; Allons donc appeler d’un Arrest si severe, Des rigueurs du Conseil aux tendresses d’un Pere, Ou manquant au devoir pour ne le pas trahir, Faisons une vertu de luy desobeïr ; L’amour qu’également nous luy ferons paroistre, Quelque rigueur qu’il ait le fléchira peut-estre, S’il veut punir en nous deux mortels ennemis, Il y protegera deux veritables fils. Quoy qu’exigent de luy nos discordes passées ; Par ces marques d’amour les croyant effacées, Il aymera bien mieux nous laisser impunis, Qu’ordonner le Combat à deux freres unis. Nostre amour luy rendra nostre faute incroyable, De l’avoir osé croire il se croira coupable, La prenant pour un songe, il croira que ses sens, Déposent devant luy contre deux innocens. Enfin de ce combat, injuste ou legitime, Vous voulez évitez le peril et le crime ; Mais moy je cours au crime afin de me venger, Et cherche le peril pour vous mettre en danger. Quand j’ay crû que dans vous l’amour pourra renaitre ; Je me suis aveuglé jusqu’à vous méconnoistre ; Mais vous voyant rebelle à ses plus saintes loix, Mon erreur se dissipe et je vous reconnois. Allons donc au combat, ou ma haine s’apreste ; Si vous me connoissez quel remors vous arreste ? C’est estre genereux et non dénaturé, Que vouloir triompher d’un ennemy juré ; Ma fureur lors qu’aux mains, on verra l’un et l’autre, Esclatant la premiere excusera la vostre, Et du crime, aussi bien, qui vous transit d’effroy. L’acte le plus sanglant, s’achevera par moy. D’un si frivol espoir vous devez vous deffendre, Comme vous du combat je pourrois tout attendre, Me promettre les biens dont il me peut combler ; Mais pour y consentir, il faut vous ressembler, Que le sort vous est doux ! Celuy qu’il vous oppose, Pour vous contre luy-mesme entreprend vostre cause. Il est vray que le sort ne peut m’estre plus doux, Dans tous mes interests il prend part contre vous ; Du coup qui fut un crime, il fait une victoire, Il veut qu’un attentat s’acheve avecque gloire ; Et par l’ordre du Roy nous faisant Ennemis, Pour m’en recompenser veut qu’il me soit permis : Du faict que j’en attends il separe la honte, Pour en rendre la joye, et plus grande et plus prompte. Il fait combattre et vaincre en mesme occasion, Mon amour, ma fureur, et mon ambition. Il donne tout ensemble au desir qui me presse, Vostre mort et l’Empire avecque la Princesse. Et croiroit avoir fait trop peu pour mon bonheur Si vous ostant la vie, il vous laissoit l’honneur ; Absous et couronné par ma propre victime, Au sort de l’innocent j’attacheray mon crime ; Et triomphant de vous et de vostre renom, Je seray l’assassin mesme de vostre nom. Mais parmy tant de biens que sa faveur m’envoye Un secret déplaisir empoisonne ma joye, Comme nous combattrons de tant d’yeux éclairez, Mes efforts contre vous seront plus moderez, Ma haine triomphante et non pas assouvie, Bornera vostre peine à vous oster la vie. A quelque humanité mon cœur sera contraint, Et vous épargnera pour montrer qu’il vous plaint. Sans me regler sur vous, je suis toûjours le mesme ; Et si vous haïssez, un frere, qui vous aime, Quelque ressentiment qui me doive animer, J’ayme un frere inhumain qui ne me peut aimer ; Aussi loin qu’au combat vostre haine m’engage, Je vais en l’évitant signaler mon courage, Et du Roy noblement meriter le Courroux, Plûtost que de vous perdre ou de perir par vous. Voulez-vous en effect m’en épargner le crime ? Faites-vous un effort plus grand, plus magnanime. Comment donc ?         Dans le camp à vous-mesme inhumain, Tomber dessous l’effort de vostre propre main. Ha cruel !         C’est ainsi que vous pourez me plaire ; Soyez vostre ennemy, je seray vostre frere. Pour vous oster un frere il vous faudroit trahir ? Hé bien je vous perdray pour ne plus vous haïr. Adieu, votre fureur moins forte en mon absence, Vous y fera penser avec plus de prudence. Je l’invite au combat que je veux éviter, Mais il croiroit faillir s’il m’osoit imiter. Pour y pouvoir entendre il a trop de tendresse, Ou comme moy peut-estre il en connoist l’adresse ; Il voit qu’on veut trouver au combat proposé, L’innocent dans celuy qui l’aura refusé. Mais voicy…         Prenez-y moins de part que leur père. Ha ! Sire, revoquez un Arrest si severe, Qui m’arrachant un bien que j’ay receu de vous, A l’effort de vos fils expose mon Espoux. Vous aurez le vainqueur.         Je seray le salaire ! De celuy qui sera l’assassin de son frere ? Et qui digne plûtost d’un second chastiment, Aura peut-estre encore immolé mon Amant ? Ne l’esperez jamais, mon amour, ou ma gloire, Ne pourra s’accorder avecque sa victoire ; Mais, Sire, est-ce un effect de l’amour paternel Que d’exposer son fils pour perdre un criminel ? Jugez-vous du devoir d’un Monarque équitable ? D’en vouloir faire deux pour trouver un coupable ? Ils feront en public ce qu’ils tenoient caché, L’innocent par contrainte à son frere attaché, Deviendra criminel pour meriter sa grace, Et de son assassin surpassera l’audace. Ha ! Ce crime où l’on veut animer leurs esprits, Est plus grand que le crime où l’on les a surpris. Vous osez nous promettre un Roy de leur querelle, Mais craignez qu’à tous deux elle ne soit mortelle, Ils feront pour regner mesme effort, mesmes vœux, Et ne pouvant se vaincre ils periront tous deux, Leur fureur ne sera qu’un effect de la vostre, Ils periront par vous, et non pas l’un par l’autre, Par vous qui les forcez à ce lasche attentat, Et qui les combattrez sans aller au combat. Mais si l’un est vainqueur il doit avoir l’Empire : Sire, que faites-vous ? Vous couronnez le pire, Qui devant sa grandeur à l’effort de ses coups, En sera revestu sans la tenir de vous. Tous deux également se plaindront de leur Pere ; L’un y perdra le jour, l’autre y perdra son frere. Princesse à vos raisons la nature s’émeut, Et mon courroux s’incline à tout ce qu’elle veut, Ils ne combattront point.     Ha, Sire !         Mais Princesse, Quelque soupçon encor s’oppose à ma tendresse ; Permettez qu’avec eux un secret entretien, Me découvre leur cœur et leur montre le mien. Allez ! Conduisez-la Prince, et luy rendez grace, Puis revenez icy ; vous appelez Arsace. Son ennuy par l’espoir se trouvant appaisé, Precipitons l’effect d’un combat supposé, Celuy qui le fuira, loin de passer pour lâche, Sauvera son honneur d’une eternelle tache, Si quoy qu’on luy propose, il refuse aujourd’huy, De combattre son frere animé contre luy, Je pourrais bien penser, que toûjours magnanime, Il n’eust d’ambition que noble et legitime, Et que contre son frere il a moins entrepris, Puisqu’il fuit ce combat quand le Sceptre est son prix. De l’autre je croiray par un effect contraire, Qu’il voulut lâchement assassiner son frere. Puis qu’on l’auroit en vain au combat excité, Si ses propres fureurs ne l’avoient emporté. Lors je le puniray de m’avoir crû capable De voir entre mes fils ce combat effroyable, Comme si de le voir il m’eust esté permis, A cause que je suis le Pere d’un tel fils. Les voicy.         Du combat que juge la Princesse, Ce qu’elle doit juger apres vostre promesse. J’ay promis de le rompre afin de l’appaiser, Mais le Conseil l’ordonne, il luy faut disposer, Ma rigueur à ce prix met l’oubly de vos crimes, Et puis qu’elle vous rend Ennemis legitimes, Poursuivez la Victoire avec tant de chaleur, Qu’on ne soit estonné que de vostre valeur, Si la fortune à l’un reserve l’avantage, Que l’autre soit au moins son égal en courage. Et montrez que mon sang entre vous departy, Soûtient également l’un et l’autre party, Au moins tenant ainsi la victoire incertaine, Vous aurez differé vostre mort et ma peine, Et devant qu’en voir un coupable et malheureux, J’auray veu mes deux fils plus long-temps genereux : Ne considerez pas qu’au point où je vous ayme, Vous combattrez chacun contre un autre moy-mesme ; Et que m’interessant, et pour vous, et pour vous, Mon cœur sera toûjours au milieu de vos coups, Figurez-vous plûtost que ma haine équitable A separé de moy le pere du coupable, Qu’ainsi pour le vainqueur tout doit estre permis, Que sans m’en oster un, il me rendra mon fils, Que ce commun vengeur loin de m’estre funeste, Conservera le sang le plus pur qui me reste, Perdra le criminel loin de le devenir, Et sauvera sa gloire au lieu de la ternir. Mais, Sire, le combattre !         Il est ton adversaire. En un tel ennemy je ne voy que mon frere. Reglant mes sentiments sur ceux que vous prenez, Sire, je combattray si vous m’y contraignez. Qu’entends-je il y consent ?         Mais je n’ay rien à craindre, Car mon pere est trop bon pour m’y vouloir contraindre. Crains-tu d’estre vaincu ?         Moins que d’estre vainqueur. Ton crime est averé par ton manque de cœur. Estant moins innocent je serois moins timide ; Je n’ay jamais apris à faire un paricide. Lasches, dédaignez-vous de commettre un forfaict Qui ne vous paroist plus estre tel en effect ? Ou la peur du peril, entre vous mutuelle, Auroit-elle accordé vostre injuste querelle ? Seriez-vous ennemis lors qu’il se faut aimer ? Ou freres seulement lors qu’il se faut armer ? J’évite le comboit qui seroit une peine, Pour celuy de nous deux qui combattroit sans haine. Est-ce une illusion ? Est-ce une verité ? Qui joint tant de tendresse à tant de cruauté ; Doncques, sur l’offensé la nature preside, Et le frere est d’accord avec le paricide. Il respecte un coupable au mépris de son Roy, Et n’osant se venger, il entreprend sur moy. Doncques son assassin, qui le fait méconnoistre, Se veut dire innocent, et refuse de l’estre. Il en fuit le moyen, il n’ose l’accepter, Et craint de faire un coup qu’il a voulu tenter. La haine qui vous perd, et qui vous deshonore, Ne devoit point agir que pour agir encore. Vous deviez inhumains, pour paroistre mes fils, Ou courir au combat, ou demeurer amis. L’un des deux est au moins digne de vostre estime. L’un des deux fait au moins un refus legitime. L’un des deux est mon fils, mais sa timidité Le degrade en secret de cette qualité. Jusqu’icy m’accusant d’avoir produit un traistre, J’en creûs l’un innocent, et l’esperay connaistre ; Mais quand je cherche en vous ce fils que vous m’ostez, J’y trouve seulement deux enfans revoltez, Et j’apprends pour le moins d’un refus si timide, Que deux lasches en vous cachent un paricide ; Et comme l’un et l’autre est indigne de moy, J’y trouve le supplice et d’un pere et d’un Roy ; Allez monstres cruels, sortez de ma presence, Et n’esperez de moy ni pitié ni clemence, Si l’innocent m’inspire un sentiment plus doux, Le coupable aussi-tost réveille mon couroux, Et pour dire en un mot jusqu’où va ma colere, Si je ne voy mon fils, vous n’avez plus de pere. Mon attente est trompée, et je ne puis juger ; Qui des deux est celuy dont je me dois venger ; Mais le Ciel me fait grace, en me faisant outrage : L’innocence de l’un à tous deux se partage, Et servant d’un obstacle au couroux paternel, Pour me sauver un fils me cache un criminel, Mais quoy ! je n’ay pour eux ny tendresse ny hayne, Ou l’une et l’autre, enfin, est pour eux incertaine. Sire, pour vous tirer de ce doute confus, Consultez la Princesse et ne differez plus ; Tous deux sur sa faveur fondent leur innocence, Et peuvent s’en flatter avec quelque apparence, Amante en vain de l’autre quand l’autre est son Amant ; Elle a pû choisir l’un, et l’autre également, Mais sçachez vers lequel sa raison et sa flâme, Ont fait pencher ensemble et l’Empire et son ame ; Puis-je de son adveu me promettre aucun jour ? Puisque l’un a sa hayne, et l’autre son amour ? Sa hayne et son amour s’exprimant par sa bouche, Augmenteront mon trouble, et l’ennuy qui me touche, Voyons-là toutefois, je conçois un dessein, Qui la pourra contraindre à nous ouvrir son sein, Qui surprendra mes fils, et servira peut-estre, Ou par l’un ou par l’autre à les faire connoistre. Contre mes sentimens promettant à l’aisné, Qu’avecque la Princesse il sera couronné, Je vay de son Rival luy demander justice, Les observer tous trois, et par cét artifice, Contraire et favorable à tous leurs interests, Voir dans leurs actions leur sentimens secrets ; Allons donc consulter la Princesse et resoudre, Sur qui d’eux tombera la Couronne ou la foudre. Ouy je leur ay promis et l’Empire et mes vœux, Mais n’en abusant qu’un, j’en ay crû servir deux. Comme l’ambition de mon choix incertaine, A de sanglants effets eust pû porter leur hayne ; J’ay dû tout leur promettre et par cét interest, Les disposer sans trouble à subir mon arrest. Ha ! Si vous avez craint qu’une haine obstinée ; Ne voulut avant vous faire leur destinée ; Vous en avez connu le principe caché, Vous sçavez qui des deux en est le plus touché. Vous voyez l’innocent, et pour le rendre au pere, Pouvez le separer de son coupable frere. Vous le reconnoissez au plus certain espoir, Que du Sceptre par vous il a pû concevoir, Nommez-le donc, Princesse, et rendez legitime, Mon amour, qui pour luy n’est maintenant qu’un crime, Et si vous me plaignez en ce double malheur, D’estre pere sans fils, et Roy sans successeur : Donnez pour mon repos en le faisant connoistre, Un fils à ma famille, à mon estat un maîstre. Je l’ignore, Seigneur, et veux bien l’ignorer, Pour n’estre point contrainte à vous le declarer ; Si je l’avois nommé de sa gloire ennemie, J’aurois à son triomphe ajoûté l’infamie, Je l’aurois fait rougir de la honte de voir, Son frere convaincu d’un attentat si noir ; Je vous aurois reduit au sort inévitable, Ou de hayr un fils ou d’aymer un coupable, De vouloir son supplice ou son impunité, D’avoir trop peu d’amour, ou trop peu d’equité, De manquer au devoir ou de Juge ou de pere, De condamner un Prince en qui l’Estat espere, Ou de luy reserver par une injuste loy, L’ennemy de son frere ou celuy de son Roy : Mais cherchez vostre fils seulement en vous-mesme ; Et luy voulant ceder la puissance suprême, Pour ne vous point tromper en ce doute confus, Honnorez-en celuy que vous aimez le plus : Sa vertu qui sans doute et plus vive et plus pure, A vous le faire aimer seconda la nature ; Cette mesme vertu peut encore aujourd’huy Arrester vostre estime et vos faveurs sur luy ; Puisque pour inspirer un si grand paricide, La rage est impuissante où la vertu preside : Joint que l’amour des Rois, comme il importe à tous, Par le merite seul est attiré sur nous ; Le Ciel qui les gouverne en leur ame l’inspire, Il empesche leurs sens de les pouvoir seduire, En affoiblit l’amorce et permet rarement Que leur faveur se donne avec aveuglement. Si vous l’aymez en fils, il est digne de l’estre, Croyez-en cét amour que les Dieux ont fait naitre, Et ne permettez pas qu’un aveugle couroux, Démente vostre cœur qui le connoist pour vous. Hé bien à vos avis je deffere, Princesse, Et si pour l’un des deux plus d’amour m’interesse, Comme digne en effect et du Sceptre et de moy, Je vay le reconnoistre et pour fils et pour Roy. Mais si par cet amour fatal à l’innocence, Je donne au criminel la suprême puissance : Comme complice enfin de mon aveuglement, Craignez que les effects n’en soient le chastiment. Adieu, dans un moment vous en serez instruite, Et de vostre Conseil vous apprendrez la suite. Ainsi tout vous succede, et son affection Va remplir mon attente et vostre ambition, Esperez tout de luy, Prince, il vous considere, Moins en juge irrité qu’en veritable pere, Et ne deffere plus à ce devoir forcé, Qui pour vostre Rival l’a seul interessé. Je le r’apelle à vous, par luy je vous couronne, Et luy rends à dessein le pouvoir qu’il m’en donne. Non qu’avec déplaisir je n’en cede l’honneur, Et ne differe ainsi vostre propre bonheur, Mais, Prince, en vous nommant j’eusse fait violance A ce droict qu’à vous-mesme attacha la naissance. Et mon amour trop vain eust semblé témoigner, Que par luy seulement vous eussiez pû regner. Le Sceptre, en le prenant de la main d’un Monarque Sera de vos vertus une plus belle marque ; Et montrant ce qu’il croit de ce Prince et de vous, L’heur de le posseder vous en sera plus doux. Mais quoy que mon respect vous soit si favorable Prince, ne croyez pas m’en estre redevable, Ce respect eust-il fait plus pour vous que pour moy, J’en mets la recompense à vous avoir pour Roy. Adieu.         Si je l’en croy c’est en vain que j’espere Mais j’ay lieu d’esperer, si j’en dois croire un pere, Il est pere, il est Roy, l’amour et l’équité, Dispenseront ses vœux avec égalité. Si pour vous toutefois sa faveur declarée, Rend par vostre bonheur ma disgrace asseurée, Achevez de me perdre, et terminant mon sort, De mes droits usurpez heritez par ma mort. J’attens comme un bien-faict et non comme un supplice Ce coup de vostre hayne ou de vostre justice : Empeschez que manquant à ce que je vous doy, Je n’attaque en vous seul et mon frere et mon Roy : Et qu’enfin…         Ha ! Quittez cette esperance vaine, D’animer contre vous ma justice ou ma haine, J’en seray toûjours maistre, et toûjours genereux, Je ne refuseray que la mort à vos vœux. Mais quelqu’un vient…         Le Roy contre toute apparence ; N’a pas tenu long-temps vostre sort en balance, Sans crainte et sans remors il en fait l’un heureux, Et traite avecque l’autre en pere rigoureux, Il promet à mesme heure et nous dône un Monarque, Et fait voir aisément à cette illustre marque, Quoy qu’il ait témoigné d’en douter aujourd’huy, Qu’il a toûjours connu le plus digne de luy. Auquel donc ?         Recevez avecque mon hommage, Du choix qu’il fait de vous ce premier témoignage. Il vous éleve au Trône, et veut que dés demain, Pour y placer ma sœur, vous luy donniez la main, Et tandis que pour vous il agit auprès d’elle, Je viens vous annoncer cette heureuse nouvelle. Il fait ce qu’il doit faire, et juste au plus haut point, Jugeant mesme au hazard il ne s’abuse point ; Mais j’en ferois douter, si ma haute fortune Ne vous estoit, mon frere, avecque moy commune, Et si mon amitié ne faisoit voir ainsi, Qu’alors qu’il me couronne, il vous couronne aussi. Donc par mon amitié commençant à connoistre, Combien peu justement vous me craigniez pour maistre : Mon frere recevez ma parole et ma foy, Que dans le Trône unis, nous ne ferons qu’un Roy, Et que de ma grandeur le plus grand avantage, Ne sera que d’en faire un si noble partage. A mon exemple, Prince, oubliez le passé, Et ne me craignez point pour m’avoir offensé, Mais s’il nous faut unir d’une nouvelle estrainte, Pour rendre plus auguste une amitié si sainte, Quand j’espouse Araxie, épousez-en la sœur, Par elles aymons-nous avecque plus d’un cœur, Et comme par le sang, freres, par l’hymenée, Tenons d’un double nœud la discorde enchaisnée, Consentez-y, Princesse, et comme moins heureux, Par l’ordre du Roy mesme il doit avoir vos vœux, Couronnez son amour au deffaut de la mienne ; Donnez-luy vostre main, et recevez la sienne. J’avois crû que le Sceptre en vos mains affermy ; Me feroit de mon frere un puissant ennemy ; Et je voy cependant qu’il me fait au contraire, D’un ennemy puissant un veritable frere. Ha ! Prince, de quel bien plus long-temps souhaité,58 Me pouviez-vous payer celuy qui m’est osté ? J’ose mettre en balance avecque la Couronne, L’heur d’estre aimé de vous que sa perte me donne, Non que quelque soupçon ne me doive alarmer, De vous voir si facile et si prompt à m’aymer ; Mais je n’écoute icy ce soupçon temeraire, Que comme un imposteur qui s’attaque à mon frere. Et qui de ma raison voulant s’authoriser, N’embrasse mon party que pour nous diviser, Que m’en promettre aussi, qu’amour et que tendresse ? Lors que voulant m’unir avec cette Princesse, Il veut aux droits du sang joindre de nouveaux droits, Et m’avoir pour son frere une seconde fois. Mais de cette bonté que dois je enfin attendre ? Madame, c’est de vous que je le dois apprendre, Qu’à cét instant fatal…         C’est trop peu d’un instant Pour resoudre un hymen à ce point important. Un peu plus à loisir permettez que j’y pense, Que je me donne à vous avecque connoissance, Et qu’ainsi mon amour m’en imposant la loy, Avecque plus d’éclat vous asseure ma foy. Icy comme sujete aux vœux d’un grand Monarque, Je dois de mon respect cette derniere marque, Mais comme amante aussi, je dois vous faire voir, Que mon amour s’accorde avecque mon devoir. Oseray-je le dire ? Une raison si vaine Ne monstre pour mes feux que mépris et que haine : Vous fuyez un hymen dont les funestes nœuds, Uniroient vostre sort au sort d’un malheureux. Prince, quoy que sensible à l’ennuy qui vous touche, Ma pitié fasse effort pour me fermer la bouche, De tant de lâcheté me voyant accuser, Je vay me découvrir et vous desabuser. Mais si je vous déplais par cét adveu sincere, Songez que l’honneur seul m’engage à vous déplaire, Et que tout interest devant ceder au sien, Je ne m’attaque à vous qu’en deffendant le mien. Si je voyois en vous cette vertu reluire, Qui vient à vostre aisné de disputer l’Empire, Dans vostre abaissement aux pieds d’un Souverain ; Je tiendrois à bonheur de vous donner la main : Mais en vous desormais ; ne voyant plus d’Arsace ; De mon premier amour le souvenir s’efface, Ne vous connoissant plus je puis m’en dégager, Et vostre changement m’authorise à changer. Ce sont des sentimens que mon devoir m’ordonne, Je trahirois déjà le Roy que l’on me donne, Si par un lasche hymen je pouvois m’asservir A celuy dont le bras nous l’a voulut ravir, Et si de mon devoir aujourd’huy peu jalouse, De son propre ennemy je devenois l’épouse. Il peut vous pardonner au lieu de vous punir ; Mais de vostre attentat je me dois souvenir, Et malgré ses bontez à vos desirs cruelle, Par ma rebellion luy demeurer fidelle. Je sçay qu’avec tant d’art vous l’avez sceu cacher ; Qu’on paroist comme injuste à vous le reprocher ; Mais je sçay bien aussi qu’un frere magnanime, Mesme par son pardon présuppose le crime, Et d’ailleurs que pour vous un pere rigoureux, De vostre abaissement vous fait un sort honteux. Arbitre de ses fils, cét équitable pere, Où le droict est égal à la vertu deffere. Il veut feindre pour vous, mais l’amour paternel Nommant son successeur nomme le criminel. Et sur le front de l’un la Couronne affermie, Le couvre enfin de gloire, et l’autre d’infamie. J’en crois donc ce qu’il pense et dois plus l’écouter ; Plus l’amour fait effort à m’en faire douter. Pour me cacher en vous ce que j’y voy d’aymable, Je dois vous regarder seulement en coupable, Opposer vostre crime à mes vœux les plus doux, Et par l’horreur du crime en concevoir pour vous. C’est vouloir retrancher des effets de ma grace, Que de luy reprocher un forfait qu’elle efface. Que ces fausses couleurs de generosité Ont peine à déguiser vostre infidelité ! Je la connoy, Madame, et voy vostre esperance ; Mais enfin mon respect m’impose le silence, Et quoy qu’à ma douleur inspire mon couroux, Je remets à mon frere à me venger de vous.  Je vais à vostre sœur avecque mon hommage Rendre de mon respect ce premier témoignage, Et me justifiant de mon refus passé, M’arracher aux remors dont je me sens pressé. Est-ce ainsi que pour moy vostre amour s’interesse ? C’est ainsi que contraint d’espouser la Princesse, Par mon frere je veux devenir vostre espoux, Et vous unir à luy pour m’attacher à vous. Que puis-je faire plus ?         Estre à moy par vous-mesme ; Car que ne peut l’amour en un pouvoir supresme, Empeschant qu’à vos vœux on ne fasse la loy, Témoignez en effect qu’on vous a nommé Roy, Fuyez le des-honneur de vous laisser contraindre, Et devant estre craint, ayez honte de craindre. Subir en les donnant la contrainte des loix, Et craindre d’estre injuste est la gloire des Roys : Lors que l’on fait en moy regner le droict d’aisnesse, Dois-je l’assujettir moy-mesme en la Princesse ? Faisant plus que le Roy ne s’est jugé permis, Vous soûmettray-je ainsi l’arbitre de ses fils ? Celle qu’il m’a choisie et pour femme et pour Reyne ? Et dont luy-mesme encore il fait sa souveraine ? Non, non, je suis amant, mais Monarque en ce jour ; Je dois tout à ma gloire, et rien à mon amour. Ha ! Vous devez plûtost comme Roy magnanime, Proteger cet amant qu’en vous-mesme on opprime. N’avez vous pas preveu, pour m’aimer et regner, Que vous auriez enfin ma sœur à dédaigner ? Cependant aujourd’huy me serez vous contraire ? Ferez-vous moins pour moy que n’a fait vostre frere ? Il refusa ma sœur et d’en estre fait Roy, Refusez seulement la Princesse pour moy. D’un trop indigne prix son amour est suivie, Et je vous connois trop pour en avoir l’envie. C’est avec beaucoup d’art que vous dissimulez, Mais vostre feinte esclatte au feu dont vous brûlez : Sans s’arrester à nous, il monte à la couronne, Et c’est pour l’acquerir que vostre amour se donne ; Vous nous avez aimez tant qu’un espoir douteux, Avec nostre esperance a partagé vos vœux ; Mais quand de mon rival la disgrace est certaine, Quoy qu’il vous soit fidelle, il est digne de haine, Et reçoit le mépris qui m’estoit destiné, Si pour m’en affranchir je m’estois couronné. J’ay feint jusques icy de ne le pas connoistre ; Mais mon sort a changé, je dois agir en maistre ; Et quittant des respects qu’on doit avoir pour moy,63 Témoigner en effect que l’on m’a nommé Roy. Ouy le reproche est juste, et je dois y souscrire. J’aymois ce Prince et vous pour m’asseurer l’Empire ; Mais soûmise à tous deux par mon ambition, Je ne l’estois à vous que par affection, Sans quitter un party, je m’attachois à l’autre, Je craignois son bon-heur et desirois le vostre, Je vous faisois l’object de mes vœux les plus doux, Et demandois aux Dieux de regner avec vous ; Ainsi par mon orgueil mon amour combatuë, En estoit esbranlée, et non pas abatuë ; Je vous manquois de foy sans infidelité, J’accordois l’inconstance avec la fermeté ; Mais plus elle eust d’ardeur, plus ma flame outragée, En un feu de couroux s’est aisément changée. Je cours à la vengeance, et loin de craindre un Roy, Un Roy pour ma victime est plus digne de moy: Aussi bien desormais confuse et méprisée De deux Princes trahis la haine et la risée, Et si loin de ce Trône ou je devois monter… Mais le Roy vient.         Qui fuit n’est point à redouter. Enfin vostre innocence avec le droict d’aisnesse, Vous asseure aujourd’huy le Sceptre et la Princesse. Car pour vous mon amour plus tendre et plus puissant, Prince deffend vos droicts et vous rend innocent ; Mais pour justifier un Roy qui vous couronne, Servez-vous justement du pouvoir qu’il vous donne, Monstrez que la justice, aussi bien que mon sang, Vous esleve en mon cœur pour monter à mon rang. Si vous ne l’estes point, vostre frere est coupable, Comme vostre grandeur sa peine est equitable, Et si Roy contre vous j’ay deû le maintenir, Quand vous estes son Roy vous le devez punir. Donc soûmis par le Sceptre à m’en faire justice, Comme j’ay fait du prix ordonnez du suplice, Et du foudre des Roys vous armant contre luy, De le lancer moy-mesme, espargnez-moy l’ennuy. Devant partir des mains ou de l’un ou de l’autre, La mienne justement s’en remet à la vostre : La Nature dans vous moins forte que dans moy, Vous y fera resoudre avecque moins d’effroy, Puis qu’un frere immolé par la rigueur d’un frere, La blesse moins qu’un fils immolé par un pere ; Par un autre interest vous y serez forcé, Vous serez plus severe estant plus offencé, En vous le souvenir de sa rage inhumaine, Au secours du devoir appellera la haine, Et témoin de son crime ordonnant son trépas, La peur de vous tromper ne vous retiendra pas. Tout prest à faire voir…         Imposez-vous silence ; Et soit que par respect ou que par defferance, Vous couriez à sa mort toute juste qu’elle est, Avant que d’y penser n’en donnez point l’Arrest. La justice à pas lents doit conduire au suplice, Et quand elle est trop prompte elle n’est plus justice. Acquerez-vous l’honneur par ce retardement, D’avoir comme à regret conclu son chastiment ; Et vous monstrant vous-mesme à vous-mesme contraire Soyez frere indulgent, et Monarque severe. Tandis que sur sa haine il se va consulter, Pour m’en instruire mieux, s’il l’a fait éclater, La Princesse par moy de son hymen pressée, Peut-estre à s’expliquer se trouvera forcée. Non, non, tiens-toy cachée, ou pour paroistre au jour, Ma haine emprunte icy la forme de l’amour ; Trompe les yeux du Roy qui te flatte peut-estre, Et te livre un rival pour te pouvoir connoistre, Bien mieux par cét amour, où je me dois forcer, Je trouveray ce cœur que je luy veux percer ; Arsace si je viens pour flatter ton attente, De t’offrir ma faveur avecque ton amante, Je te tiendray parole, et veux que mon pouvoir, T’esleve à ce bon-heur, mais pour t’en faire choir : Et qu’en toy ma faveur donnant prise à ma rage, Elle t’acquiere tout pour t’oster davantage. Mais voyons Médonie, et l’allons disposer Par de nouveaux mépris à vouloir l’épouser, Dédaignons son amour, et faisons qu’en son ame La colere allumée en esteigne la flame. Tout mon bien en dépend : par cet hymen fatal Je me délivre d’elle, et combats mon rival, Je le rends plus suspect, par ses devoirs de frere, Je luy parois plus doux que le Roy ne l’espere, Et j’engage Araxie en perdant son amant, A vouloir m’écouter plus favorablement : Allons donc adjoûter ce qui manque à ma gloire, Et faisons d’une seule une triple victoire. Des fers de Médonie estant donc dégagé, Je vous soûmets un cœur qui n’est point partagé, Et montre en mon amour, si grand dés sa naissance, L’effort impetueux de ma reconnoissance. Mais comme en un destin si triste et rigoureux, J’ose jusques à vous faire monter mes vœux : Punissez mon audace, et rendez-vous justice, Ordonnez que mes feux deviennent mon supplice, Et que de leur ardeur me laissant devorer, Je vous aime tousjours sans jamais esperer. Non, non, esperez tout.         O ciel ! Quelle nouvelle, Arsace est repentant, et ma sœur infidelle, Je trouve mon vaincu dans mon propre vainqueur, Et ma rivale enfin dans ma perfide sœur ; Mais Vologese vient, et porte en son visage De quelque grand malheur le sinistre présage. Ha ! Quelque grand qu’il soit, il tremble seulement Qu’il n’est de nos malheurs que le commencement ; Que je viens annoncer de grands sujets de plainte, Que vous allez prévoir de grands sujets de crainte. Qu’est-ce ?         Un assassinat dont l’horreur me transit. De cet évenement faites-moy le recit ; Souffrir est moins que craindre une peine infinie. Ayant ordre du Roy d’asseurer Médonie, Que comme il unissoit Pharasmane avec vous, Il vouloit luy donner Arsace pour espoux : J’allois l’en asseurer, et de cette nouvelle, Mesme avant son bonheur, faire un bonheur pour elle ; Lors que je l’ay trouvée en son appartement : Mais helas…     Poursuivez.         Vous diray-je comment ? Un poignard dans le sein, assise et languissante, Elle n’estoit pas morte, et n’estoit pas vivante, Et monstroit dans ses yeux, qui ne se mouvoient plus ; Et d’ombre et de lumiere un meslange confus. A peine son visage empruntoit de son ame La mourante clarté d’un rayon de sa flâme ; Son cœur pourtant encor survivant à ses sens, Elle poussoit par fois des soûpirs languissans, Et proche du moment de son depart funeste, Prenoit congé par eux de la clarté celeste, Tandis que Pharasmane à ses pieds estendu, Mesloit encor son sang, à son sang répandu, Et comme ayant horreur d’une mort si cruelle, La regardoit mourir pour mourir avant elle ; Et trop sensible ainsi, par la pitié pressé, Approfondir le coup dont il estoit blessé. Pharasmane et ma Soeur ! O disgrace impréveüe ! Interdit et surpris à cette triste veüe, Pour leur donner secours, en vain je fais effort, Car mon estonnement m’est une courte mort : Mais enfin m’arrachant à des peines si dures, Je fais entrer leurs gens, et fermer leurs blessures. Le Prince alors revient et recouvre à la fois, Contre notre esperance, et la force et la voix. Mais quoyqu’on s’en informe, et quoyque l’on luy dise Il nous cache l’autheur de cette perfidie ; Il demande son frere, il parle en sa faveur, Et veut avant sa mort le voir son successeur. O funeste amitié.         Cependant la Princesse ; Par nos cris et nos soins revient de sa foiblesse ; Mais ces moments de vie adjoûtez à son sort, Sont aussi-tost suivis du moment de sa mort ; Comme du Prince alors l’ennuy se renouvelle, Je commande aussi-tost qu’on le separe d’elle, Je laisse l’ordre aux siens d’observer sa douleur, Et donne advis au Roy de ce double malheur. Mais aussi-tost le Roy pour comble de disgrace, En impute le coup à la fureur d’Arsace, Et le soubçonnant seul, croit que son equité, Doit immoler ce Prince à sa severité : Opposez-vous, Madame, à ce dessein funeste ; Et lors qu’il perd un fils, sauvez celuy qui reste, Pour s’en plaindre avec vous, il vient ; mais le voicy. Revoyez Pharasmane, et la Princesse aussi. Princesse, enfin nos maux sont les crimes d’Arsace ; De nouveau sur son frere, il porte son audace, Et dans ses attentats la redoublant pour vous. Il vous oste une sœur, aussi bien qu’un espoux. Qui l’accuse ?         Un témoin si grand, si magnanime ; Que par son indulgence il augmente son crime, Pharasmane l’accuse, en ne l’accusant pas ; Et voulant de ce traistre empescher le trépas, Son silence fait voir à ma juste colere, Que dans son assassin, il protege son frere, Son amour le fait voir, lors qu’il veut le cacher ; Car quel autre à ce point luy pourroit estre cher ? Mais il fait voir aussi sa haine en son silence, Qui fatal à son frere en cache l’innocence. Non, il demande Arsace, il parle en sa faveur ; Et veut avant sa mort le voir son successeur ; Mais desja par mon ordre on ameine ce traistre. O justice ! Ô rigueur ! Il est temps de paroistre ; Ostez-luy le secours qu’il peut trouver en moy, Et soûmettez son pere à son juge et son Roy : Combattez cette amour qui s’oppose à sa peine, Dans la moitié d’un cœur dont il chasse la haine ; Et qui d’intelligence avec l’autre moitié, Y surmonte la haine avecque la pitié. De crainte d’en rougir je t’ay déjà fait dire Tous mes soins jusqu’icy pour te donner l’Empire ; Mais comme j’ay plus fait que tu n’as merité, Seul je puis faire foy de cette verité ; Prince connois moy donc et pour mieux me connoitre ; En voyant quel je fus, vois quel je te dois estre. Je t’aimay par instinct dés que tu vis le jour, Mon estime depuis t’assura mon amour, Elle t’en fit un ample et peu juste partage, J’aimay moins ton aisné pour t’aimer davantage ; Fils ingrat, et toûjours pour te le voir soûmis, J’ay fait peut-estre plus qu’il ne m’estoit permis. Mais cét amour si grand de ton aveugle pere Est un bien usurpé qui retourne à ton frere, Et qui passant en luy me doit mieux exciter A punir l’assassin qui vient de me l’oster, Aprés ton vain effort pour t’immoler sa vie, Par ton bras mieux instruit se la voyant ravie, Il recouvre son pere et son affection, Il me devient plus cher pour ta punition, Au moins si plus qu’un fils, j’ay pû cherir un traiste, Ma rigueur l’attaquant lors qu’il se fait connoistre, Pour m’en justifier fera voir noblement, Que je ne l’ay cheri que par aveuglement, Si ce fut honte à moy d’avoir esté ton pere, C’est ma gloire envers toy d’estre juge severe, Pour faire meconnoistre à la posterité Ton pere qui se change en un juge irrité. D’ailleurs à te punir tout l’Estat me convie, Il faut pour son bonheur qu’il t’en couste la vie, Je sauve mes sujets quand je te fais perir, Et croy les adopter en te faisant mourir. Doncques de ma bonté n’espere point de grace ; j’en prononce l’Arrest, tu vas mourir Arsace, Et quoy que dans ton frere il te reste un appuy, Tu vas mourir Arsace, et mourir avant luy. Je le vengerois mal, je serois mauvais pere. Si je te permettrois de survivre à ce frere. Ha ! Je n’appelle point de ce fatal arrest, Et suis prest à mourir, puisque ma mort vous plaist, Quand vous me condamnez avant que de m’entendre ; Sire, vous m’ordonnez de ne me point desfendre, Et vous desobeïr ce seroit en effet, A ceux dont on m’accuse adjoûter un forfait ; Mais il faut que ma mort soit un coup magnanime, Qu’il ne vous couste point de remors ny de crime, Qu’il parte de ma main en ce danger pressant, Que du trépas d’un fils il vous laisse innocent ; Ainsi vous me verrez sans faire une injustice, Et mort et tout ensemble affranchy du supplice, Exempt de vos rigueurs sans m’avoir pardonné, Et puny toutefois sans m’avoir condamné : Je vay donc à la mort ainsi qu’à la victoire, Puis qu’elle vous contente et desfend vostre gloire, Et vous laisse à juger en cette extremité,Dij ; 75 Si c’est ou desespoir, ou generosité. Arreste ; qu’aisément ma rigueur se relache, Je condamne à mesme heure et veux sauver un lâche, Mais nul amour enfin ne me peut retenir, J’ay mon fils à venger et mon fils à punir, Et si l’amour s’oppose à ma rigueur extréme, Pour m’aider à le vaincre il se combat soy-mesme. Ha ! Dans ce grand combat si l’amour n’est vainqueur, Qu’il ne succombe pas dessous vostre rigueur, Alors qu’elle menace une si chere teste, S’il ne la peut dompter que du moins il l’arreste, Plus le couroux est grand, moins on s’y doit regler ; Et son premier effect est de nous aveugler, N’estant plus irrité, vous douteriez peut-estre, Du crime qu’irrité vous presumez connoistre, Et ce doute cruel d’un tourment infiny, Vous puniroit vous-mesme aprés l’avoir puny. Differez donc au moins pour averer son crime, Et si pour vous fléchir il faut une victime ; Sire, afin que mes vœux ne vous dérobent rien, Je répendray mon sang en échange du sien. Pour venger vostre sœur aussi bien que son frere, Loin de la ralentir excitez ma colere, Pour me resoudre mieux à voir finir ses jours, Je fais à ma justice emprunter son secours, Qu’il meure.         Soyez-luy juge plus équitable, Arsace est innocent, et son frere est coupable. Pharasmane coupable !         Escoutez seulement, J’estois auprès de luy dans son appartement, Lors qu’estant adverty que contre toute attente Médonie est encore ou semble estre vivante, Je passe dans le sien et par un prompt secours, De leur terme fatal je recule ses jours. Et lors pour l’engager à le faire connoistre, Detestant l’assassin d’une femme et d’un maistre, Comme tel je luy dis qu’Arsace condamné A payer de sa teste est déjà destiné. A ces mots plus perçants que le coup qui la tuë, C’est à moy, c’est à moy, que la peine en est deuë. J’ay trahy, me dit-elle, et ma sœur et le Roy, J’ay trahy ses deux fils pour m’asseurer leur foy, Et pour regner par l’un à tous deux infidelle, J’ay fait regner sur eux ma flâme criminelle. Aujourd’huy trop aveugle en Pharasmane heureux, Me croyant eslevée au comble de mes vœux, J’ay dédaigné son frere, et moy-mesme abusée, Aussi-tost de l’aisné me voyant méprisée, J’ay resolu leur mort, et sans plus balancer, Par celle de l’aisné j’ay voulu commencer. Luy mort j’ay presumé que la rigueur d’un pere Comme autheur de ce meurtre immoleroit son frere, Et qu’ainsi desormais entre le Trône et moy, Je verrois seulement la Princesse et le Roy, Qui sous le faix de l’âge estant prest à s’abatre, Ne me laisseroit plus que ma sœur à combattre ; Mais le Ciel équitable à mon espoir trompé, De ce mesme poignard dont je l’avois frapé, Pharasmane s’armant d’une atteinte mortelle, A fait justice à tous de cette criminelle. Courez le direau Roy, les Cieux ne m’ont permis De voir encor le jour, que pour luy rendre un fils, Et je serois en butte à toute leur colere, Si j’abusois ainsi de l’équité d’un pere, Elle expire à ses mots, et j’accours à l’instant, Sire, vous annoncer ce secret important. Ha ! Mon fils.     Ha ! Mon pere.     Ha ! Mon Prince.         Ha ! Madame ; Enfin du criminel on découvre la trame. Rendons graces au Ciel, qui propice à mes vœux, Dérobe à ma colere un fils si genereux, Et contre un déloyal faisant agir la sienne, Vous rend vostre innocence et me laisse la mienne. Sire, le Prince vient, la fureur le conduit, De ce qui s’est passé l’on l’a sans doute instruit. Mon crime est découvert, et ma peine arrestée ; Mais je ne mourray pas sans l’avoir meritée, Pere dénaturé voy mourir devant moy, Celuy dont par ma mort tu pretends faire un Roy. Arreste, ou fais encore un plus grand parricide. Ma foiblesse s’entend avecque ce perfide, Elle retient mon bras, elle abaisse mon cœur Jusques à me soûmettre aux pieds de mon vainqueur Arsace, ne crains plus, la force m’abandonne, Et tombant, sur ton front j’éleve la Couronne. Enfin par tes transports tu découvres assez Ta noire perfidie et tes crimes passez ; Ce fut toy qui voulus attenter à sa vie, Et lors que ta blessure a vengé Médonie, Ta feinte de ce coup, le faisant soupçonner, Pour le faire perir, le vouloit Couronner. Je ne m’en deffends point, oüy, pour haster sa perte, J’ay fait agir la feinte aprés la force ouverte, A tes yeux de nouveau je l’ay mesme attaqué ; Mais si je me repens, c’est de l’avoir manqué : La mort estoit bien deuë à qui sur ma naissance Pretendit que la sienne obtint la preference, Qui courut vers le Trône où m’appelloient les loix, Et me rendis coupable en deffendant mes droits. Je te diray bien plus si tu le veux apprendre, Ta faveur l’ayant mis en estat d’y pretendre, A tes yeux j’ay voulu mesler son sang au mien ; Pour te percer le cœur en luy perçant le sien, Et goûter en sa mort cette double allegeance, Que de tous deux ainsi m’eust donné la vengeance : Si tu veux m’en punir plains toy de mon trépas, Qui te reduit au point de ne le pouvoir pas. Ha ! Pour dernier excez d’une fureur si noire, Il te restoit encor d’attenter à ma gloire, Par un devoir contraire à tous deux partagé, Ce fut sans t’opprimer que je le protegé, Bien que d’un grand Empire et l’exemple et l’usage, Pour regner aprés moy lui donnast l’avantage, Je fus toûjours égal, ou n’accorday mes vœux Pour le bien de l’Estat qu’au plus digne des deux, J’en doutay par ton crime et le voulus connoistre, Ce fut à ce dessein que je te fis son maistre : Je voulus t’éprouver, et crus que ta rigueur Pouvant tout dessus luy, découvriroit ton cœur ; Mais si je t’aimay moins, par ta fureur extréme, De ce manque d’amour tu m’excuses toy-mesme ; Tu montres que le Ciel avec election Dispensa ma faveur et mon adversion. Mais c’est perdre en discours le temps de ton suplice, A mes fils inhumain devant faire justice, Pour la rendre à ton frere et le venger de toy, Voy devant ton trépas que je le fais ton Roy. Ainsi par un effet de hayne et de tendresse, Je t’accorde, mon fils, le Sceptre et la Princesse, Je te les vay donner, et par cette bonté T’oster le souvenir de ma severité. Seigneur…         Il peut regner, mais ma blessure ouverte, Au point de sa grandeur precipitant ma perte, Je brave ta rigueur, et dans mon sort fatal, J’auray le bien encor de mourir son égal, Puisque le seul moment que je l’ay vû Monarque, De ma sujetion ne peut laisser de marque. Vivez…         Ha ! Que sans fart ne m’en fais-tu la loy, Je mourrois plus content de mourir malgré toy. Loin de perdre à regret une vie ennuieuse, Autant qu’à tout l’Estat à moy-mesme odieuse Et telle qu’à sa honte, on connoist aisément Qu’elle est d’un ennemy le bien-faict seulement, Je meurs avec plaisir pour moderer le vostre, Et je crois me venger et de l’un et de l’autre, Puisque mon desespoir coûte à mes ennemis, La perte toute ensemble et d’un frere et d’un fils. A ces tristes objets sa colere s’irrite, Et seule le soûtient quand son ame le quitte. Gardes, emportez-le.         Gardes n’en faites rien, Les troubler par ma veüe est mon unique bien. Pere injuste et cruel, qui cessant d’estre pere, Disposes à ton choix d’un Sceptre hereditaire, Rival qui criminel de me l’avoir osté, Me rends plus criminel de l’avoir disputé, S’il est des dieux vengeurs, la grandeur souveraine Ne sera pour tous deux qu’une source de haine, L’un des deux va connoistre en un rang plus abject, Que qui la quitte Roy, la desire subject, Et l’autre redouter plus esclave que maistre, Un sujet assez grand pour s’empescher de l’estre, Et s’armant, en un mot, contre son protecteur, Me rendre regretable à mon persecuteur. Que l’on l’oste, mon cœur à cette triste veüe Sent passer jusqu’à luy l’atteinte qui le tuë. Ha ! Que ne puis-je donc pas par un nouvel effort, Me donner à tes yeux une seconde mort. (On l’emporte.) Mais avant que le Sceptre acquitte ma promesse, Donnez-moy tout ce jour pour vaincre ma tristesse, Vous croiriez me l’oster quand je vous l’offrirois, Si les larmes aux yeux je vous le presentois.