Vostre malheur au mien n’est pas à comparer, Consolez-vous, Albine, & layssez-moy pleurer. Que vous connoissez peu la douleur qui m’emporte, Si vous croyez la vostre, & plus juste & plus forte !  Dans l’Illustre Agrippa massacré laschement, Vous ne perdez qu’un frere, & j’y pers un amant. J’y pers un frere unique, & le mal qui m’accable, Est d’autant plus cruel, qu’il est irreparable :  Mais pour vous en effet l’on doit vous plaindre moins ; Le Prince à vous aymer a mis ses plus grands soins : Et pour vous consoler vos yeux ont sceu vous faire Beaucoup plus d’un amant, & je n’avois qu’un frere. J’avois plus d’un amant avant ce dur revers, Mais je n’en aymois qu’un, Albine, & je le pers ; Le Roy jusques au jour qu’il perdit vostre frere, Vous a parlé d’hymen, a tasché de vous plaire, Et le devant haïr, peut-estre en vostre cœur, Un frere ne fait pas toute vostre douleur. Ne me soupçonnez point d’un sentiment si lasche ; Ce coup d’avec le Roy pour jamais me destache ; Et soüillé de mon sang, il me fait trop d’horreur, Pour luy pouvoir laisser quelque place en mon cœur. Le retour en ces lieux de ce Tyran infame, Rouvre encor de nouveau cette playe en mon ame, Et quelque juste ennuy qu’il renouvelle en vous, Aupres de mes malheurs, les vôtres sont bien doux. Pres d’un an escoulé depuis nostre disgrace, Est pour vous consoler un assez long espace. Dites, dites pour vous, c’est bien plus aisement Que l’on peut oublier un frere qu’un amant. L’amour est bien plus tendre, en pareille avanture, Et n’est pas consolé si-tost que la nature. Le sang dans ses transports, content d’un peu de deüil, Ne va jamais plus loing que les bords du cerceuil : On cesse d’estre sœur quand on n’a plus de frere ; La nature s’arrête, & n’a plus rien à faire ; Mais l’Amour qui penetre au creux d’un monument, Peut faire encore aymer, quand on n’a plus d’amant. Pour regretter mon frere, & croistre ma tristesse, L’interest de ma gloire est joint à ma tendresse : Des vieux ans de mon pere estant l’unique appuy, Toute nostre esperance expire avecque luy. Nous descendons du sang dont Albe est l’heritage, Mais c’est d’un peu trop loin pour en prendre avantage ; Vous, vous touchez au throsne, & la Fortune un jour, Pourroit vous consoler des rigueurs de l’amour. Mon cœur est à l’amour, & non à la fortune ; Je tiendrois maintenant la Couronne importune, Et quand tout ce qu’on aime entre dans le tombeau, La pompe est une peine, & le sceptre un fardeau. Après Tiberinus, & son neveu Mezence, L’empire icy m’est deu, par les droits de naissance ; Mais le Roy trop cruel qui possede ce rang, Soüille par ses forfaits, son throsne, & notre sang, Et son ayeul Ænée, en ses faits magnanimes, Fit voir moins de vertus, qu’il n’a commis de crimes. Le meurtre d’Agrippa massacré par ses coups, Fut comme le dernier, le plus cruel de tous : Il sortait de son sang, & jamais plus de zelle N’esclatta pour un Roy, dans un sujet fidelle. Cependant, mesme aux yeux d’un père infortuné, Par ce Tyran barbare il fut assassiné, Sans avoir pû jamais l’accuser d’autre offence, Que d’avoir avec luy beaucoup de ressemblance. Apres ce crime affreux, le sang ny le devoir, N’ont rien en sa faveur qui puisse m’esmouvoir : Je ne vois plus en luy de parent ni de maistre, Je ne le connoy plus, ny ne le veux connoistre ; Et l’injuste assassin de mon illustre amant, Doit tout apprehender de mon ressentiment. Mais qui s’approche,         Adieu, c’est le Prince Mezence, Son amour prés de vous ne veut pas ma presence. Vous voyez de vos soins quel est pour moy le fruit, Dés que vous m’abordez tout le monde me fuit ? Si c’est moy qui fais fuir Albine qui vous quitte, J’oste à vostre douleur, un objet qui l’irrite. Le neveu du Tyran qui fait tout mon malheur Doit bien plustot encor irriter ma douleur. Par quelle cruauté, puny par vostre haine, Sans avoir part au crime, ay-je part à la peine ? Quand j’aurois de ma main fait perir vostre amant, Pourriez-vous ma traitter plus inhumainement ? Et qui peut m’asseurer que vostre jalousie, N’ait point poussé la main qui termina sa vie ? Le Roy contre Agrippa n’estoit point irrité : Que sçay-je si son bras n’estoit pas emprunté ? Et n’a point immolé cette illustre victime, Pour vous metre en estat de joüir de son crime ? Hier le Roy sur ce point s’expliquant hautement, Fit voir qu’il soupçonna la foy de vostre Amant, Qu’il l’avoit fait si grand qu’il luy fut redoutable, Et qu’enfin avec luy le treuvant trop semblable Il voulut, pour s’oster tout sujet de terreur, Prevenir par sa mort quelque funeste erreur. Pour les bien discerner, quelque soin qu’on put prendre, Leur rapport estoit tel qu’on pouvoit s’y meprendre, Et qu’apres les avoir cent fois considerez, Je m’y trompois, moy mesme, à les voir separez. La Nature oublia sans doute, en leurs visages, Ce dehors different qu’on void dans ses ouvrages, Et contre sa coustume elle ne mit jamais En deux corps separez, de si semblables trais. Mais la diversité qui distingue nos trames, Au défaut de leurs corps, se trouvoit dans leurs ames, Et la Nature en eux, avec des soins prudents, L’oubliant au dehors, la mit toute dedans. Mon Amant eut une Ame, aussi noble, aussi belle, Que celle du Tyran est perfide, & cruelle, Et ce Heros receut bien plustost le trepas, Parce qu’à ce Barbare, il ne ressembloit pas. Ce transport violent n’a rien de condemnable ; Le Roy mesme envers vous sent bien qu’il est coupable : Hier, pour le recevoir, m’estant fort avancé, Il me parla de vous, dés qu’il m’eut embrassé, Et lors que je luy dis la profonde tristesse Où la mort d’Agrippa vous plonge encore sans cesse, Je l’oüis soupirer, je le vis s’esmouvoir, Et pour vous consoler, il promit de vous voir. Ah ! C’est le dernier mal qui me restoit à craindre ! Ce cruel à le voir pretend donc me contraindre ! Et pour nouveau tourment, veut offrir à mes yeux Une main teinte encor d’un sang si précieux ! Dans le premier combat, au gré de votre haine, Un trait fatal perça cette main inhumaine ; Et le Destin fit voir par ce coup mérité, Qu’on ne peut vous déplaire avec impunité. Les Dieux justes vengeurs du sang de l’Innocence, N’ont fait encor sur luy, qu’esbaucher leur vengeance ; Et le trait dont sa main a senty le pouvoir, N’est qu’un premier esclat du foudre prest à choir. Vous mesme qui suivez ses barbares maximes, Et qu’avec luy le sang unit moins que les crimes, Redoutez que ces Dieux, dans leur juste couroux, N’estendent leur vengeance & leurs traits jusqu’à vous. Mais vous n’en croyez point, & vous en faites gloire. Si je n’en ay pas cru, je commence d’en croire : Je me sens convaincu, graces à vos beautez, Que l’on doit de l’encens à des Divinitez : De vos charmes divins l’esclat tout admirable Force assez de connoistre un pouvoir adorable, Et quand j’aurois tousjours douté qu’il fust des Dieux, Pour en croire, il suffit d’avoir veu vos beaux yeux : Du moins, quand en effet, j’aurois l’erreur encore De ne pas connoistre tous les Dieux qu’on adore, Pres de Vous, quelque erreur dont on soit prevenu, L’Amour n’est pas un Dieu qui puisse estre inconnu. Quoy qu’il en soit, Prince, à ne rien vous taire ; Agrippa n’estant plus, rien ne me sçauroit plaire, Le Ciel dans ce Heros prit soin de renfermer Les vrais & seuls appas qui me pouvoient charmer ; L’invincible pouvoir d’un destin tout de flame N’attacha qu’à luy seul tous les vœux de mon Ame ; On ne doit à l’Amour qu’un tribut à son choix, Et c’est trop pour un cœur d’aymer plus d’une fois. Je n’en sçaurois douter, inhumaine Princesse : Cet amant seul a pris toute vostre tendresse, Et reservant pour moy toute votre rigueur, Son ombre encor suffit pour m’oster votre cœur : Vostre couroux s’accroist, plus mon amour esclatte. Perdez donc cet amour.         Le perdre ! Helas ingratte ! Plustost tousjours pour moy, gardez ce fier couroux, Et laissez moy du moins l’amour que j’ay pour vous, Deussay-je voir tousjours vos beaux yeux en colère, Ils ont beau s’irriter, ils ne sçauroient deplaire. Pour des Destins divers, le Ciel nous sceut former. Le vostre est d’estre aymable, & le mien est d’aymer : Mais vous n’escoutez point, & vos yeux qui s’agittent Lassez de mes regards, avec soin les evitent. Voicy de mon amant le Pere infortuné, Quelque soucy le presse, il paroit estonné. Ne vous offencez pas, Seigneur, si je m’avance, J’apporte à Lavinie un advis d’importance : Et je viens l’avertir que l’on m’a fait sçavoir, Que le Roy va sortir à l’instant pour la voir. Ah ! Prince, si vostre Ame à ma peine est sensible, Empeschez qu’on m’expose à ce tourment horrible, Et tâchez par vos soins d’espargner à mes yeux, Le supplice de voir cet objet odieux. Mon plus ardent desir est celuy de vous plaire, Et de tout mon pouvoir je cours vous satisfaire. Le Prince entreprendra de l’arrester en vain ; Je ne connois que trop ce Tiran inhumain : Son ame violente en ses desirs persiste, Et sa fureur s’accroist pour peu qu’on luy resiste. Pour mieux vous en deffendre, il faut vous retirer. Je doute que chez vous par force il ose entrer, Il ne passera point à cette audace extréme. Ce Meschant craint le peuple, & le peuple vous ayme. Mais pour vous …         Que peut craindre un Pere desolé ? Le plus beau de mon sang par ses mains a coulé ; Pour le peu qui m’en reste, il faut peu me contraindre, Je suis trop mal-heureux pour avoir rien à craindre. Je veux luy reprocher son crime aux yeux de tous … Gardez qu’il ne vous voye, il vient, retirez-vous. Qu’on ne m’en parle plus, je veux voir Lavinie. Vous, allez donner ordre à la ceremonie. Faites tout preparer pour rendre grace aux Dieux, D’avoir mis par mes soins le calme dans ces lieux. Que le reste s’esloigne, & devant que je sorte Qu’aucun n’entre en ce lieu …quoy ! l’on ferme la porte ! Ouy, l’on la ferme, Ingrat, & c’est par mes avis. Mon Pere …         A peine en vous je reconnoy mon Fils. Nous sommes sans tesmoins, je parle en asseurance. Quoy ! chercher Lavinie, & contre ma deffence ! Oubliez vous ainsi, ce qu’avoit ordonné Un Pere, dont les soins vous ont seuls couronné ? Ne vous souvient-il plus que c’est par ma prudence, Que vous tenez icy la supresme puissance ? Et que vous ne vivez, ny regnez que par moy ? Je n’ay rien oublié de ce que je vous doy. Lorsque pour r’assurer la Frontiere alarmée, Tiberinus pressé de joindre son armée, N’ayant que nous, pour suitte, avec trois de ses gens, Passant l’Albule à gué, fut abismé dedans, Ce fut vous, dont le soin m’inspira l’assurance De regner apres luy , par notre resssemblance, Et sceut persuader les tesmoins de sa Mort De m’assister à prendre & son nom, & son sort. Tandis que sous ce nom qui m’a fait mesconnoitre, J’ay trompé tout le Camp, & m’y suis rendu maistre, Pour mieux feindre, en ces lieux retournant sur vos pas, Vous avez au Roy mesme imputé mon trépas … Mais lorsque pour tenir l’entremise couverte, Je vous quitay, pour feindre encor mieux vôtre perte, Et pour en accuser la main mesme du Roy, L’ordre le plus pressant que vous eustes de moy, Pour conserver le Sceptre, & vos jours, & ma vie, Ne fut-ce pas, sur tout, d’oublier Lavinie ? Cependant, aussi-tost qu’on vous void de retour, Je vois encor pour elle esclatter vostre amour ? Vous venez hazarder qu’un soupçon, qui peut naistre Par l’esclat de vos feux, vous fasse reconnoitre, Et qu’un œil esclairé par cette vieille ardeur, Dessous les traits du Roy, decouvre un autre Cœur ? Il faloit sur le Throne estouffer cette flame ; Il faloit commencer à regner dans vostre ame, Estre Roy tout à fait & sçavoir reprimer… Pour estre Roy, Seigneur, est-on exempt d’aymer ! Pour avoir pris un Sceptre en est-on moins sensible ? Le Throne aux trais d’Amour est-il inaccessible ? Pensez-vous qu’à ce Dieu les Rois ne doivent rien ? Et qu’il soit quelqu’Empire independant du sien ? Ah ! quittez ces erreurs : l’Amour, & ses chimeres, Sont des amusements pour des Ames vulgaires, La foiblesse sied mal à qui donne des loix, Et la seule grandeur est l’amour des grands Rois. Agissez comme eust fait Tiberinus luy mesme. Mais il aymoit ma Sœur, voulez-vous que je l’ayme ? Que je presse un himen horrible, incestueux ? Non, un crime de vous n’est pas ce que je veux. L’heur de vous voir au thrône à mes vœux peut suffire ; Mais ne hasardez point cette gloire où j’aspire, Je veux que mon sang regne, & c’est ma passion. Quel mal fait mon amour à vostre ambition ? Lavinie est le charme où mon âme est sensible, Son Cœur avec le Sceptre est-il incompatible ? Quel peril voyez-vous à luy tout reveler ? Elle est jeune, elle est fille, & pourroit trop parler. Fiez-vous à moy seul : tout m’alarme, & me blesse, Tout m’est suspect d’ailleurs, l’Amour, vous, la Princesse, Les Amants osent trop, l’Amour est indiscret, La Nature est plus seure, & plus propre au secret, Quand mesme Lavinie auroit l’art de se taire, Vous ne vous pourriez pas empescher de luy plaire, Et si vous luy plaisiez, on verroit aisement, Que Lavinie en vous reconnoit son Amant. Pour mieux garder le sceptre, il faut soufrir sa haine, Et payer à ce prix la grandeur Souveraine. Ah ! Vous n’estimez point ce prix si grand qu’il est, Et le Sceptre n’est pas si doux qu’il vous paroist. Depuis que votre soin à qui je m’abandonne, A voulu sur ma teste attacher la Couronne, Je n’ay point ressenty cette felicité, Et ces vaines douceurs, dont vous m’aviez flatté. Je vois incessament le Ciel qui me menace : Les tesmoins de la mort du Roy pour qui je passe, Et qui m’aydoient à prendre un rang si glorieux, Dans le premier Combat perirent à mes yeux ; Sur cét objet encor ma veuë estoit baissée, Lors que d’un trait fatal j’eus cette main percée, Comme si le Ciel juste eust voulu la punir Du Sceptre desrobé qu’elle osoit soutenir. Ne craignez rien du Ciel, il vous est favorable, Bien qu’à Tiberinus vous soyez tout semblable : Les tesmoins de sa mort pouvoient vous descouvrir, Et le Ciel vous fit grace en les faisant perir. Vostre main sans ce coup eust mesme pû vous nuire, On vous eust pû connoistre à la façon d’escrire, Et pour vous donner lieu de regner sans frayeur, Le coup qui le perça fut un coup de faveur. Le sort comble avec soin vostre regne de gloire ; Vous avez entassé victoire sur victoire. Et venez de forcer les Rutules deffaits, Apres cent vains efforts, à demander la Paix. Si du Prince en regnant vous occupez la place, La Justice du Ciel vous y met, & l’en chasse, Noircy de cent forfaits qui l’ont dehonoré, Au dernier attentat il s’estoit preparé ; Et sans l’amour qu’il prit depuis pour Lavinie, Par qui l’ambition de son cœur fut bannie, Malgré le nœud du sang, de fureur transporté, Sur Tiberinus mesme il auroit attenté. Regnez mieux qu’il n’eut fait, meritez la Couronne, Mezence en est indigne, & le Ciel vous la donne ; Et puis qu’icy les Roys sont les portraits des Dieux, Faites en un en vous qui leur ressemble mieux. Le throsne eust pu changer les injustes maximes ; Respectons sa naissance, en detestant ses crimes ; Noircy d’impietez, de meurtres, d’attentats, Il sort tousjours d’Ænée.         Et n’en sortons nous pas ? Le sang des Dieux qu’Ænée a transmis à sa race, Dans le cœur de Mezence & s’altere & s’efface ; Quoy que plus loin en nous l’esclat s’en soustient mieux, Et s’il est de plus pres sorty du sang des Dieux, Le pur sang des Heros, quand la vertu l’anime, Vaut bien le sang des Dieux corrompu par le crime : Il se mocque des loix, se rit des immortels, Ses forfaits ont passé jusques sur les Autels, Et les Dieux offencez pour en tirer vengeance, Avec eux contre luy vous font d’intelligence, Pour l’esloigner du Throsne, & pour le luy ravir, C’est de vous que le Ciel a voulu se servir ; Vous estes l’instrument sur qui son choix s’arreste, Et puis qu’il veut enfin emprunter vostre teste, Souffrez y la Couronne, & vous representez Que c’est à tous les Dieux à qui vous la prestez. Accomodez ma flame avec le Diademe. Je consens à regner, mais consentez que j’aime. L’amour de Lavinie expose trop nos jours, Si vous voulez aimer, prenez d’autres amours. Je ne sçaurois rien voir de plus aimable qu’elle. Regardez la Couronne, elle est encor plus belle. Je suis amant, Seigneur, & vous ambitieux, Et nous ne voyons pas avec les mesmes yeux. Le Sceptre que j’ay pris ne m’a jamais sceu plaire Qu’autant qu’à mon amour je l’ay cru necessaire : Mezence estoit amant, en mesme lieu que moy, Et pouvoit estre heureux s’il fût devenu Roy. Il garde encor ses feux, gardez le Diadesme. Mais sous le nom du Roy du moins soufrez que j’aime. Sous ce nom odieux vous serez mesprisé. Ah ! qu’un mespris est doux, sous un nom supposé ! Caché sous les faux trais d’un Prince, où Lavinie Ne croit voir qu’un Tyran qui m’arracha la vie, Sa rigueur n’aura rien que de charmant pour moy, Ses dédains me seront des garants de sa foy. Comme assassin ensemble, & rival de moy-mesme, Son couroux me doit estre une faveur extreme, Et pour mieux m’exprimer sa tendresse, en ce jour, La haine servira d’interprette à l’amour. Hé bien, flattez vos feux de cette douceur vaine, Et perdant son amour joüissez de sa haine, Sondez jusqu’où pour vous son cœur est enflamé, Et sous un nom hay goustez l’heur d’estre aymé. J’ay d’importans secrets dont je vous doy instruire, Mais un long entretien icy nous pourroit nuire. Tirant le corps du Roy, sous vostre nom, des flots, A ses Manes errans je rendis le repos ; Je fis seul son Bucher, & ramassay sa cendre ; Et chacun dans mon deüil s’est si bien sceu mesprendre ; Que tous les factieux trompez par mes regrets, Se sont ouverts à moy de leurs complots secrets. Pour nous revoir, feignez d’en vouloir à ma Teste, Avant la fin du jour commandez qu’on m’arreste ; Vous m’examinerez, & je prendray ce temps Pour vous dire le nom de tous les mescontens. Cependant contre moy, paroissez en furie, Dites que mes conseils ont fait fuir Lavinie, Menacez, & d’abord m’ordonnez en couroux, De n’aprocher jamais ny d’elle ny de vous. De ce que je vous doy faire si peu de conte ! Un mepris qui vous sert ne me peut faire honte : Je vous deffends moy-mesme icy de m’espargner ; Ma veritable gloire est de vous voir regner. Fin du premier Acte. Ce Palais n’est pour vous qu’un objet de tristesse. Pouvez-vous y rentrer ?         C’est pour voir la Princesse. L’amitié, tu le sçais, nous unit fortement, Au frere que je pers, elle perd un amant, Et meslant nos ennuis, qui par là s’adoucissent, Outre notre amitié, nos malheurs nous unissent. Mezence m’a trop tost contrainte à la quitter ; Et sentant aujourd’huy tous mes maux s’augmenter, J’en veux aller chez elle adoucir l’amertume. Mais la porte est fermée, & contre la coutume. Peut-être, que le Roy de son deüil adverty, Est entré pour la voir, & qu’il n’est pas sorty. S’il est vray, je l’attens, & pleine de furie, Je veux luy reprocher sa lasche barbarie, Et dans l’ennuy mortel dont mon cœur est pressé, Luy demander raison du sang qu’il a versé. Je veux enfin : mais Dieux ! puis-je bien t’en instruire ? Qui vous fait hesiter , craignez-vous de me dire Que vous le hayssez ? & qu’un couroux puissant … Pour dire que l’on hait l’on n’hesite pas tant. Le meurtrier d’un frere à qui le sang vous lie, Pourroit vous plaire encor ?         J’en ay bien peur, Julie : Et mon mal à tes yeux cherche à se découvrir, Afin que tes conseils m’aident à m’en guérir. L’ingrat ! qu’il me fut doux autrefois de luy plaire ! Songez que maintenant il vous prive d’un frere. Il m’oste beaucoup plus encor que tu ne crois ; Il m’a ravy mon frere, & son cœur, à la fois. Depuis le coup fatal dont mon Pere l’accuse, Je n’ay point de sa part receu la moindre excuse, L’ingrat pour m’appaiser, n’a pris aucun soucy, Et si mon frere est mort, son amour l’est aussi. Vous ne devez pleurer qu’un frere plein de gloire. Il m’estoit cher, Julie, & plus qu’on ne peut croire. Pour un frere jamais le sang avec chaleur, Ne mit tant de tendresse en l’âme d’une sœur, Et la nature exprès, pour me le rendre aymable, Sçeut mesme à mon Amant le former tout semblable. Je l’aymois cherement, & sensible à son sort, J’offre encor tous les jours des larmes à sa mort ; Mais l’Amant que je pers n’ayant que trop de charmes, Mon frere, à dire vray n’a pas toutes mes larmes, Et son Tiran encor trop cher à mes désirs, Luy desrobe en secret beaucoup de mes soupirs. J’ay beau les refuser à cét Amant si lache, Quand j’en donne au devoir, le dépit m’en arrache : Et l’amour, malgré moy, meslé dans mes douleurs, Partage, avec le sang, mes soupirs & mes pleurs. Rappellez, pour hair cet assassin d’un frere, Ce que de ses fureurs raconte vostre Pere. Mon Pere à le haïr tâche de m’animer ; Mais luy mesme autrefois m’ordonna de l’aymer. Si j’ayme injustement, j’aimay d’abord sans crime, J’en receus de sa bouche un ordre legitime, Et d’ordinaire on sçait beaucoup mieux obeïr, Lorsqu’il s’agit d’aymer que lorsqu’il faut haïr. Je l’aimay par devoir, je l’ayme par coutume : Et dés qu’on a soufert qu’un premier s’allume, Julie, on s’aperçoit qu’il est si doux d’aymer, Qu’on peut malaisément s’en desacoutumer. Je n’ose avoir pour vous l’injuste complaisance, D’excuser laschement un feu qui vous offence, Ce seroit vous trahir que vouloir vous flatter. Je ne t’ay dit mon mal que pour y resister, Et seule estant trop foible à combattre ma flame, J’appelle tes conseils au secours de mon ame. Pour fuir ce feu funeste, & trop honteux pour vous, Il faut…         N’acheve pas, mon Pere vient à nous. O dure tirannie ! ô rigueur inhumaine ! Viens prendre part, Albine, à l’excez de ma peine. Qui peut causer, Seigneur, le trouble où je vous voy ? Un outrage nouveau que j’ay receu du Roy. Mais, Julie, observez si l’on peut nous entendre, Sans plainte & sans transports je ne puis te l’aprendre, Et pour perdre les siens, si tost qu’il l’entreprend, La plainte la plus juste est un crime assez grand. Lavinie a tantost refusé sa visite ; Et croyant, qu’en secret, contre luy je l’irrite, Si j’ose la revoir, il vient de m’assurer, Qu’à perir aussi-tost, je dois me preparer. Sa fureur cherche encor à me joindre à ton frere, Tout le sang de mon fils ne l’a pû satisfaire, Et la soif qu’il en a ne se peut appaiser, Si jusques dans sa source il ne vient l’espuiser. Ce n’est pas que la vie ait pour moy quelques charmes, Je n’ouvre plus les yeux que pour verser des larmes ; Mais te voyant encor, & jeune, & sans secours, Je doy prendre pour toy quelques soins de mes jours. Puis qu’on ne vous deffend que de voir Lavinie, Daignez donc prendre encor ce soin pour vostre vie ; Ou si vous la voyez, engagez la, Seigneur, A voir du moins le Roy pour calmer sa fureur, Et de peur que sur vous, sa cruauté n’esclatte, Par quelques faux respects soufrez qu’elle le flatte. Tu veux que je l’engage à flatter son amour ! Son amour !         Ce secret enfin paroist au jour. Il vouloit aborder la Princesse sans suitte ; Et brulant de depit de voir qu’elle l’evite, Dans son premier transport il ne m’a pû cacher, Que pour elle en secret l’amour l’a sceu toucher ; Qu’il n’immola mon fils qu’à cette ardeur couverte, Que sur leur ressemblance il pretexta sa perte, Mais que ce fut l’amour qui seul luy fut fatal, Et qu’il ne le perdit que comme son Rival. Veux-tu me voir servir, aupres de Lavinie, Un feu qui de ton frere a fait trancher la vie, Et mettre enfin, de peur de le suivre au Tombeau, Le cœur de sa Maitresse aux mains de son boureau ! Non, cette lacheté, Seigneur, seroit infame ; Opposez vous plustost à cette indigne flame, Irritez Lavinie, & tâchez aujourd’huy, De redoubler encor l’horreur qu’elle a pour luy. C’est aussi maintenant le soucy qui me presse. Mais c’est vous exposer que de voir la Princesse ; Le Tiran vous perdra, s’il vient à le sçavoir, Et sans aucun peril je puis encor la voir. Laissez moy tout le soin d’animer son courage. Va donc, parle, agis, presse ; & mets tout en usage Pour nuire à ce Barbare, & le faire haïr. Je vous respons, Seigneur, de vous bien obeïr. Ouy, Julie, en effet je vais me satisfaire, Et servir à la fois mon depit, & mon pere, Si la Princesse en croit mon violent transport… Mais on ouvre chez elle, & je la voy qui sort. J’allois vous voir, Albine, & confuse & troublée, Vous dire un nouveau mal dont je suis accablée. Le fier Tiberinus contre moy declaré, Soüillé qu’il est du sang d’un Heros adoré, Par une cruauté qui toujours continuë, Veut encor m’exposer à l’horreur de sa vuë. Sa fureur va plus loin que d’offrir à vos yeux, Le bras qui fit couler un sang si precieux : Il porte plus avant son injuste extreme. Que peut-il faire plus le Barbare ?         Il vous aime. Ah ! de quel coup affreux frappez-vous mes esprits ! Mon pere qui l’a sceu me l’a luy-mesme apris ; Et sans un ordre exprés de fuir vostre presence, Il vous en eust donné la fatale asseurance. Ce feu perdit mon frere, & luy cousta le jour. Helas ! luy-mesme, Albine, ignoroit mon amour. Tousjours, un fier orgueil, tant qu’a vescu ton frere, S’il m’a permis d’aymer, m’a contrainte à le taire, J’ay caché tous mes feux avec des soins trop grands… Ah ! qu’un Rival jaloux à les yeux penetrans ! Il aura, malgré vous, esclairé par sa flame, Surpris dans vos regars, le secret de vostre Ame, Et si dans le Tombeau mon Frere est descendu, C’est pour l’avoir aymé, que vous l’avez perdu. Cette flame fatale aujourd’huy découverte, Vous coustant vostre Amant, vous charge de sa perte ; Et pour trancher ses jours, cét Amour odieux Fut un foudre mortel allumé par vos yeux. Le Tiran, à se feux donnant cette victime, Vous a sceu malgré vous, engager dans son crime, Et perdant ce Heros par un jaloux transport, A rendu vostre amour complice de sa mort. A ce penser horrible, à cette affreuse Image, Vous me voyez fremir & d’horreur, & de rage. Ah Barbare ! ah Tiran ! tremble, & crains ma fureur. Vous ne sçauriez pour luy, concevoir trop d’horreur. Il est digne en effect de toute vostre haine. Ouy, pour cét inhumain rendez-vous inhumaine. Vostre colere est juste, & loin d’y resister, Contre un si lasche amant j’ayme à vous irriter : Puisque son crime vient de l’amour qui l’anime, Faites son chastiment de ce qui fit son crime ; D’un eternel mespris payant ses cruels vœux, De l’autheur de vos maux faites un mal-heureux. Vostre vengeance est seure & dépend de vous même ; Pour punir ce Tiran il suffit qu’il vous ayme, Et l’amour dont son Cœur suit l’empire aujourd’huy, Est du moins un Tiran aussi cruel que luy. Ce n’est pas où je veux que ma haine en demeure, Elle ira bien plus loin, Albine, il faut qu’il meure. Le sang qu’il a versé demande tout le sien, Si je respire encor, c’est pour ce dernier bien. Apres mon Amant mort, il m’est honteux de vivre, Mon Cœur dans le tombeau tarde trop à le suivre ; Mais je luy doy vengeance, & mon cœur affligé N’ose le suivre encor qu’apres l’avoir vengé. Le Tiran de retour à mes fureurs se livre, Au bien qu’il m’a fait perdre, il a sceu trop survivre ; Et si mes vœux ardents sont exaucez des Dieux, Ce jour est le dernier qui doit luyre à ses yeux. Je brule dans sa mort de gouster l’avantage… Mais quel soudain effroy paroist sur ton visage ? Je tremble des perils où vous semblez courir. Quoyque que puisse un Tiran, du moins il peut mourir. L’Amour au desespoir ne void rien d’impossible. Tiberinus n’a pas un cœur inaccessible ; Tant de bras contre luy s’uniront avec moy, Qu’il ne te doit rester aucun sujet d’effroy. J’ay fait des Partisans, Mezence est temeraire, Et pour servir ma haine ayme assez à me plaire. Fais que de son costé, ton Pere prenne soin De tenir ses amis preparez au besoin. Mais le Roy va passer.         Evitez ce Barbare. L’ingrat merite assez le sort qu’on luy prepare, Et toutefois…         Songez vous mesme à l’eviter, Il vient.         Si je le voy, c’est pour mieux m’irriter. Le sort m’offre un bonheur où je n’osois pretendre, Je sçay quels sentimens pour moy vous devez prendre, Madame, & j’avoüeray que le bien de vous voir, Estoit une douceur qui passoit mon espoir. Il n’est pas mal-aisé de connoistre à mes larmes, Ce qu’au bien de me voir vos yeux trouvent de charmes : Et d’un frere meurtry tout le sang épanché Montre à quel poinct pour moy, vôtre cœur est touché. Je ne suis point surpris de voir vostre colere, Je vous ay fait outrage en vous ostant un frere ; De ses traits & des miens le merveilleux raport Ne sçauroient envers vous justifier sa mort ; Tout ce que d’une erreur on avoit lieu de craindre, Ny l’interest d’Estat…         Non, non, cessez de feindre. Je sçay quel interest fut en vous le plus fort ; L’Estat moins que l’amour eut part à cette mort ; Et vous sacrifiant cette illustre victime, L’Estat fit le pretexte, & l’amour fit le crime. Vos feux pour Lavinie armerent vostre bras. Je voy qu’on vous l’a dit, & ne m’en deffens pas ; Aussi bien, si j’en croy le sang qui vous anime, Pretendre à vostre cœur seroit un nouveau crime ; Et tout ce qu’a l’amour d’innocent & de doux, N’auroient rien desormais, que d’affreux parmy nous. J’ay dû peu m’étonner que vostre ame inhumaine, Pour se donner ailleurs m’ait pû quitter sans peine ; Vous trouvastes d’abord dans ce change fatal, Un grand crime à commettre en perdant un Rival, Et n’eussiez eû jamais, ne cherchant qu’à me plaire, De Rivaux à détruire, & de crimes à faire. De vôtre amour pour moy, vous fustes rebuté Par le trop d’innocence, & de facilité ; Vous ne pouviez m’aymer que d’un feu légitime ; Mais rien ne vous est doux, s’il ne vous coûte un crime Et vôtre ame aux forfaits unie estroitement, Se fut fait trop d’effort d’aymer innocemment. Esclattez, & traittez mon feu pour Lavinie, De noire trahison, de lasche Tyrannie, Nommez moy criminel d’adorer ses apas, Le crime en est si beau, que je n’en rougis pas. Mon cœur se treuve exempt, dans des flâmes si belles, Des remors attachez aux flâmes criminelles, Et quoy qu’auparavent noircy de trahison, Mon amour, est en paix, avecque ma Raison. L’absence des remors est, dans un cœur coupable, D’unTyran achevé la marque indubitable, Et c’est où peut monter la dernière fureur D’estre au comble du crime, & n’en voir plus l’horreur. Apres les noirs forfaits que cet amour vous couste, Vostre ame doit fremir de la paix qu’elle gouste. Tant qu’un remords demeure en l’ame d’un meschant, Il a vers l’innocence encore quelque penchant ; C’est toûjours dans un cœur où la fureur domine, De la vertu bannie un reste de racine, Mais ce reste est destruit quand on est sans combas Et l’on ne guerit point d’un mal qu’on ne sent pas. Si la perte d’un frere est tout ce qui vous blesse, Vous n’aurez rien perdu que vôtre douleur cesse ; Je vous offre en moy-mesme un frere plein d’ardeur ; Vous aurez mon estime au deffaut de mon cœur. Vôtre estime ? ah du moins, distes moy par quel crime, J’ay pû la meriter cette honteuse estime ? Et puis que les forfaits ont pour vous tant d’apas, Dequoy m’accusez vous pour ne me haïr pas ? Pour m’offrir un barbare, un Tyran pour mon frere ? Mon estime s’augmente avec vôtre colere : Et, quelqu’indignité qu’il m’en faille souffrir, Loin de m’en irriter je m’en sens attendrir. Le sang fait plus en vous, que je ne l’osois croire ; J’ay mesme, je l’avoue, eû peur, pour vostre gloire : Il m’a semblé, d’abord, qu’un peu d’émotion A trahy dans vos yeux vôtre indignation, Et qu’encor, à ma veuë, un vieux reste de flame S’est, à travers la haine, eschapé de vôtre ame. Je n’ay pour vous qu’horreur, n’en doutez nullement, Si mes yeux ont osé vous parler autrement, S’ils ont rien avancé dont vôtre orgüeil se louë, Ce sont des imposteurs que mon cœur desavouë. Ce cœur, fut, pour ma honte, offert à vos souhaits ; Mais la mort d’Agrippa vous l’osta pour jamais, Si tost que vos fureurs eurent coupé sa trame, L’Amour, tout indigné, s’arracha de mon ame. La Nature outragée en vint en briser les nœuds, Et dans le sang d’un frere, esteignit tous mes feux. Peut-estre, qu’en effet, vôtre premiere veuë A surpris, dans mes yeux, mon ame encore esmeuë ; Mais, sçachez que la haine, agissant à son tour A ses émotions, aussi bien que l’amour : Que l’abord odieux du Tyran qui m’outrage A pû d’un frere mort me retracer l’image, Et qu’il est naturel, que le sang offencé S’esmeuve en approchant du bras qui l’a versé. Je n’inviteray point vôtre haine à s’éteindre ; Ces mouvemens du sang, sont trop beaux pour m’en plaindre, Et vôtre cœur par eux, se montre esgalement, Digne d’un frere illustre, et d’un illustre amant. Apres ce que pour vous j’ay conceu de tendresse, Dans vostre gloire encor mon ame s’interesse, Vous devez me haïr, & j’aurois peine à voir, Qu’un cœur qui me fut cher soûtint mal son devoir. Je veux mesme vous fuïr, de crainte que ma veuë N’altere dans ce cœur la haine qui m’est deuë, Et qu’au fonds de vôtre ame, un charme encor trop doux, N’excite rien pour moy qui soit honteux pour vous. Je sçay bien qu’une offence irrite un grand courage, On s’arrache à l’amour quand ce qu’on aime outrage ; Mais tant qu’on se peut voir, l’amour a des retours Où tout cœur court hazard de retomber toûjours. Je veux en m’éloignant vous sauver cette peine, Et mettre en seureté l’honneur de vôtre haine. Pour te faire haïr, va ne prens aucun soin, Graces à tes forfaits, tu n’en a plus besoin. Ne crains plus mon amour, Tyran, crains ma vengeance ; Croy que j’en veux encore à ton cœur qui m’offence, Non plus pour l’attendrir, mais pour le déchirer, Et goûter la douceur de le voir expirer. Ah ! Julie, à ce coup, je sens mourir ma flame, C’en est fait, le dépit l’estouffe dans mon ame, Et ce que j’eus de feux ne sert plus seulement, Qu’à grossir les ardeurs de mon ressentiment. Le Tyran me fait grace en me trouvant sans charmes, Je ne veux plus de luy de soûpirs ny de larmes, C’est à verser son sang que tendent tous mes vœux, Et ses derniers soûpirs, sont les seuls que je veux. Allons prester nos soins pour hâter son suplice, Mon frere & mon dépit veulent ce sacrifice ; Et le sang, & l’amour, à la fois outragez, Sont trop forts, estants joints, pour n’étre pas vangez. Fin du second Acte. Quoy ! tant de mécontens qui s’offrent dans l’armée Dont la valeur paroist du repos allarmée, Et dont les bras hardis sont mal accoustumés A se voir par la paix oisifs & des-armés, Joints aux secrets amis dont pour vous Albe est pleine, Tous, pour vos interests prests d’éclater sans peine, N’éveillent point en vous l’ambitieuse ardeur Qui jadis pour le trône animoit vostre cœur ? Fauste, je suis amant, & depuis qu’on soûpire, A peine à l’amour seul tout un cœur peut suffire, Et cette impetueuse & fiere passion A du mien malgré moy chassé l’ambition. Pour m’élever au Thrône, avant que la Princesse M’eut forcé de me rendre au beau traict qui me blesse, La honte d’obeïr, & l’ardeur de regner M’eut fait tout entreprendre & ne rien épargner ; J’eusse aux derniers forfaits abandonné mon ame : Mais, depuis que ses feux ont allumé ma flame, Mon cœur purifié par leurs feux tout-puissants N’a plus formé que des vœux innocens : Tout mon bon-heur depend du cœur de ce que j’aime, Et s’il pouvoit se rendre à mon amour extreme, Je ne changerois pas un bien si precieux, Pour la felicité ny des Rois, ny des Dieux. Le Roy vient vers l’endroit où loge la Princesse. Il s’arreste en resvant, quelque soucy le presse. Sans paroistre indiscret puis-je estre curieux, Seigneur ? Quel noir chagrin se monstre dans vos yeux ? Tout conspire à l’envy pour remplir vôtre attente, Vous revenés vainqueur d’une guerre sanglante, Et ramenés ensemble au gré de vos desirs La Victoire & la Paix, l’Honneur & les Plaisirs. Dans un destin si beau quelle humeur sombre & noire, Ose aller jusqu’à vous à travers tant de gloire ? Où trouvés vous encore à former des souhaits ? Et qui peut vous troubler dans le sein de la Paix ? Tout paroist en effect m’applaudir sur la terre, Je reviens glorieux d’une sanglante guerre, Après d’heureux exploicts j’ay fini nos combats, Tout est tranquile icy, mais mon cœur ne l’est pas. Je ne sçaurois joüir du repos que je donne, Rarement on le gouste avec une Couronne, Et le calme qu’on trouve apres d’heureux exploits, Est fait pour les Sujets, & non pas pour les Rois. Les Rois heureux n’ont pas des soucis sans relache, La fortune sans cesse à tous vos voeux s’attache, Et tout exprés pour vous, sans jamais se lasser, A sa propre inconstance a semblé renoncer. Il est vray, jusqu’icy la Fortune constante A prevenu mes vœux & passé mon attente : Mais la Fortune seule a t-elle entre ses mains Dequoy pouvoir remplir tous les voeux des humains ? Nous sommes dépendans par des loix éternelles De deux Divinités aveugles & cruelles ; On les voit rarement nous flater tout à tour, Et seur de la Fortune, on doit craindre l’Amour. Je suis surpris qu’Albine encor puisse vous plaire, Elle dont vous avés sacrifié le Frere. Mon amour vient d’ailleurs, & vous l’ayant appris Je m’attens à vous voir encore plus surpris ; Ma flame pour Albine est pour jamais finie, Mais, pour vous dire tout, j’ayme enfin Lavinie. Lavinie !         A ce mot j’entends vostre douleur, Je connoy que ce coup vous perce jusqu’au cœur, J’entends tous vos soupirs se plaindre de ma flame ; Je sçay que Lavinie a sçeu charmer vôtre ame, J’ay regret de l’aymer quand vous l’aimés aussi, Mais il plaist à l’Amour d’en ordonner ainsi. Malgré l’ennuy profond que je vous fais paroistre, Et dont tout mon respect est à peine le Maistre, Je sçay qu’en ma faveur je ne pourrois qu’à tort Pretendre que mon Roy se fist le moindre effort. Je ne vous feray point de plaintes indiscrettes, Je sçay trop qui je suis, je sçay trop qui vous estes, Et ce que la hauteur du rang où je me voy Laisse encore de distance entre un Monarque & moy. Quoy que je sois sorty du sang qui vous fit naistre, Je suis toûjours sujet, quoy qu’enfin je puisse estre ; Et les fronts couronnés dans leur sort glorieux, N’ont pour leurs vrais parens que les Rois ou les Dieux. Le sang n’est entre nous qu’une chaîne imparfaite Qui rend ma dépendance encore plus étraitte, Et le thrône est si haut, Seigneur, qu’aupres des Rois La Nature est sujette & le sang est dans sans droits. Ce n’est donc pas pour moy qu’il faut que je vous presse D’étouffer, s’il se peut, vos feux pour la Princesse, Et si j’ose en parler, je ne vous diray rien Que pour vostre interest sans regarder le mien. Daignés vous épargner l’indignité cruelle De voir payer vos soins d’une horreur éternelle. L’amant de la Princesse immolé par vos coups Vous a fait pour jamais l’objet de son courroux ; Pour vous en faire aymer vostre puissance est vaine, Son ame n’est pour vous capable que de haine, Et c’est souffrir, Seigneur, mille maux tour à tour, D’exciter de la haine où l’on prend de l’amour. La rigueur dont l’ingratte a payé ma constance M’en a fait faire assés la triste experience, Et d’un feu si fatal vous serés peu tenté, Si vous considerés ce qu’il m’en a cousté. La rigueur où pour vous la Princesse se porte Loin de me rebutter rend ma flame plus forte ; Forcé de soupirer il doit m’estre bien doux Que ce soit pour un cœur qui ne puisse estre à vous. C’est un bien où mon ame est d’autan plus sensible, Que pour vous la conqueste en paroist impossible, Plus je vous voy hay, plus je suis enflammé, Et n’aymerois pas tant si vous estiés aymé. Mais sa rigueur pour vous est encor plus certaine ; Vous ne vaincrés jamais les fureurs de sa haine, Et jamais un grand Roy par la gloire animé Ne doit paroistre amant s’il n’est seur d’estre aymé. Il est de la grandeur de vostre rang supreme De menager en vous l’honneur du Diademe, Et de n’exposer pas par d’inutiles vœux La majesté du trône à des mepris honteux. Je connois sur ce point tout ce que doy croire ; Ne craignés rien pour moy j’auray soin de ma gloire, Et l’honneur de mon rang dans mes vœux empressés Ne court pas un peril si grand que vous pensés. La Princesse me hait, mais il est peu de haines Qui ne se laissent vaincre aux grandeurs souveraines, Et le sceptre en mes mains peut estre assés charmant, Pour luy faire oublier tout le sang d’un amant. Ah ! ne vous flattés point d’une si vaine attente, Seigneur, pour Agrippa son ame est trop constante, Et dans son cœur pour vous à la haine obstiné Cét amant quoy que mort est trop enraciné. Vouloir l’en arracher c’est tenter l’impossible ; C’est l’objet de tendresse où seul elle est sensible, Et vous ne sçauriés croire à quel ardent couroux Un sang si precieux l’anime contre vous. Vostre couronne encor fut elle plus charmante, Teint d’un sang si chery tout de vous l’épouvante, A vostre nom ses yeux sont de rage allumés, Et sa fureur est telle…         Ah ! que vous me charmés ! Qu’il m’est doux de trouver tant de fermeté d’ame, Tant d’amour, tant de foy, dans l’objet de ma flame ! Et de voir que l’amour en m’imposant des loix Ayt pris soin de me faire un si glorieux choix ! Ah ! Prince ! que d’un cœur si tendre & si fidelle La conqueste doit estre precieuse & belle ! Et qu’un si rare prix sous l’amoureuse loy Est digne d’occuper tous les vœux d’un grand Roy ! Mais songés vous qu’un cœur si fidelle & si tendre Est un prix que jamais vous ne pouvés pretendre ? Que vos feux vont encor redoubler sa fureur ? Qu’en vain…         Que j’ay pitié, Prince, de vostre erreur ! L’espoir de voir sur moy tomber toute sa haine Flatte déjà sans doute en secret vostre peine, Et vous fait presumer que son cœur en courroux En s’aigrissant pour moy s’adoucira pour vous. Mais sçachés qu’à mon gré je puis m’en rendre maître, Que pour le devenir je n’ay qu’à vouloir l’estre, Que j’ay des moyens seurs d’obtenir tant d’appas, Et ne vous reponds point de ne m’en servir pas. Pour vous épargner, Prince, une vaine esperance, Ma pitié se hazarde à cette confidence ; Et pour vos bons avis offerts à mon amour, J’ay crû vous en devoir quelque chose à mon tour. Fauste, as tu bien compris jusqu’où va ma disgrace ? Et le barbare effort dont le Roy me menace ? Il en dit trop, Seigneur, à ne vous point flatter, Pour nous laisser encor quelque lieu d’en douter : Il ne vous a donné que trop connoissance Qu’il pretend se servir de toute sa puissance, Contraindre la Princesse à luy donner la main, Et faire agir la force où l’amour seroit vain, Vos feux vont recevoir cette atteinte cruelle : Mais la Princesse sort, je vous laisse avec elle. Vous a-t’on dit, Seigneur, mes nouveaux deplaisirs ? Sçavés vous qu’un Tyran m’ose offrir ses soupirs ? Et que mes tristes yeux, pour comble de misere, Au plus lâche des cœurs ont la honte de plaire ? Helas ! je sçay bien plus, je sçay que malgré vous Ce fier Rival pretend devenir vostre époux. Le barbare ! ah, Seigneur ! s’il est vray que sans feinte Pour moy d’un pur amour vostre ame soit atteinte, M’abandonnerés vous dans cét estat fatal Aux attentats affreux d’un si cruel Rival ? Quoy que ce pur amour où je suis si sensible N’ayt jamais eu pour prix qu’une haine invincible, Il ne balance point, & pour vous secourir Aux plus mortels dangers il est prest à courir. Commandés seulement.         Cette entreprise est grande ; C’est la mort du Tyran enfin que je demande ; Vous hesités ! & bien ; ne me secourés pas, Je sçauray bien sans vous braver ses attentats : Pour eviter sa rage, & fuïr sa tyrannie, Je sçay trop au besoin comme on sort de la vie, Et contre les Tyrans qui voudront m’attaquer La mort est un secours qui ne peut me manquer. Ah ! plustost mille fois, vivés, belle inhumaine Au prix fatal du sang qu’exige vostre haine, Du moins à son déffaut vous aurés tout le mien, Et je suis trop à vous pour vous refuser rien. Si j’hesite d’abord d’immoler une vie A qui le sang m’attache & le devoir me lie, C’est bien le moins qu’ont dû ce sang & ce devoir Que de ne ceder pas d’abord sans s’émouvoir. Mais en vain à l’effort où mon cœur se dispose Des droits les plus sacrés la puissance s’oppose, Il n’est rien sur mon cœur de si puissant que vous, Et les droits de l’amour sont les premiers de tous. Ah ! que de cette mort l’agreable promesse Flatte déjà ma haine & suspend ma tristesse ! J’ay fuy toûjours vos soins, mais ce bien m’est si doux, Que je consens, sans peine, à le tenir de vous. Non pas pour le peril dont ce coup me degage Je crains peu du Tyran ny l’amour, ny la rage, Je vous l’ay déjà dit, quoy qu’il puisse attenter, Qui ne craint pas la mort n’a rien à redouter, Vanger l’illustre amant dont j’adore la cendre Est toute la douceur que j’en ose pretendre, Et luy pouvoir donner du sang apres mes pleurs Est l’unique avantage où tendent mes douleurs. Tous mes vœux sont comblés, si j’ay l’heur que j’espere D’offrir cette victime à cette ombre si chere, Et si je puis gouster le plaisir infiny De voir sa mort vangée & son Tyran puny. C’est un grand bien encor dans un malheur extréme De perdre ce qu’on hait, & vanger ce qu’on ayme, La fureur assouvie a du charme à son tour, Et la vangeance est douce au deffaut de l’amour. Je vous entends, Madame, il faut toûjours m’attendre A me voir mépriser pour un Rival en cendre, Et vous offrant mon bras vous avés déjà peur Que quelque espoir leger n’ose flatter mon cœur. Hé bien, cruelle, & bien, je prens vostre deffense Sans exiger de vous aucune recompense, Mon cœur depuis le temps qu’il a pû vous aymer A servir sans espoir a dû s’accoustumer. Ce n’est pas peu pour moy que l’ingratte que j’ayme Fie au moins sa vangeance à mon amour extréme, Et qu’elle engage enfin son insensible cœur A former une fois des voeux en ma faveur. Le plus mauvais succés n’a rien qui m’epouvante, Vous m’allés voir perir ou remplir vostre attente, Et mon sort, quel qu’il soit, ne peut estre que doux, Par l’heur de vous servir, ou de perir pour vous. Je cours de mes amis solliciter le zele. Gardés de vous fier à quelque ame infidelle ; Sur tout asseurés vous Tirrhene qui paroit, Au coup que je demande il doit prendre interest ; Mais ma veuë en ces lieux empesche qu’il n’avance, L’ordre expres du Tyran luy deffend ma presence, Et je vous laisse seuls resoudre des moyens De combler promptement tous mes vœux & les siens. Venés sçavoir pour vous combien on s’interesse, Et quel remede on cherche à l’ennuy qui vous presse. En est-il pour les maux où l’on me voit plongé ? Mon fils peut-il revivre ?         Il peut estre vangé : La mort du Roy cruel qui termina sa vie Fait sans doute aujourd’huy vostre plus chere envie, Et je viens vous promettre en secondant vos coups. Tout ce que la vangeance eut jamais de plus doux. Vous, Seigneur, sur le Roy vous pourriés entreprendre ? Pensés vous que je feigne afin de vous surprendre ? N’avés vous pas appris qu’il me veut arracher L’aymable & seul objet qui seul m’a pû toucher ? Et ne sçavés vous pas quand l’amour est extréme Qu’on perd tout mille fois plustost que ce qu’on aime ? Je condamne avec vous vostre injuste Rival, Et cét indigne amour luy doit estre fatal : Mais se peut-il, Seigneur, estant fils de son frere Que l’amour force en vous la nature à se taire ? Ne pourra-t’elle rien sur vostre ame à son tour ? Et que peut la Nature opposée à l’Amour ? Je ne sens plus les noeuds par qui le sang nous lie ; Et dés que la Princesse a demandé sa vie, A peine ay-je un moment senty fremir mon cœur, Tant le nom de Rival traîne avec luy d’horreur. Son ordre exprés m’engage & veut ce sacrifice, Quelque devoir qu’il blesse il faut que j’obeïsse, Et ne dépendant plus que de son seul pouvoir Son ordre me tient lieu du plus sacré devoir : Quand ce qu’on ayme ordonne et presse d’entreprendre, En vain la voix du sang tâche à se faire entendre ; L’objet aimé peut tout sur quiconque ayme bien, Et dés que l’amour parle on n’écoute plus rien. Le peril qui suivroit l’entreprise avortée, La peur de la voir sçeue ou mal executée, La vengeance d’un Roy qui sçait peu pardonner, Forceront vostre cœur peut-estre à s’étonner. Non, non, ne craignés point qu’aucun danger m’étonne, Et me force à trahir l’espoir que je vous donne ; Un objet trop puissant m’engage à ce trépas, J’en voy tous les perils, & ne m’en emeus pas : La crainte dans mon cœur ne sçauroit trouver place, Et le Dieu qui l’occupe est un Dieu plein d’audace. Je vous laisse à juger dans des desseins si grands, L’effort que je doy faire, & la part que j’y prens : Mais, Seigneur, comme aux Rois on ne peut faire outrage Sans s’attaquer aux Dieux dans leur plus noble image, Peut-estre que l’horreur qui suit ces attentats Prés du coup malgré vous retiendra vostre bras. Si vous meprisés tout du costé de la Terre, Peut-estre craindrés vous les éclats du tonnerre ; Les plus grands criminels s’en treuvent efrayés. Les criminels toûjours ne sont pas foudroyés ; Quand le Ciel en courroux gronde contre la Terre, C’est sur les malheureux que tombe le Tonnerre, Et souvent, quand les Dieux le lancent avec bruit, Au sortir de leurs mains le Hazard le conduit. Mais quand, pour me punir du crime où je m’appréte, Tout le Ciel ébranlé menaceroit ma teste, Quand tous les Dieux vangeurs à ma perte animez Feroient gronder sur moy leurs foudres allumez, S’agissant de servir cette beauté charmante, Soyez seurs qu’en effet, ny la foudre grondante Ny tous les Dieux vangeurs armez pour mon trépas, Ny le Ciel ébranlé ne m’ébranleroient pas. Conduisez seulement ce que j’ose entreprendre, Faites voir l’interest qu’un Fils vous y fait prendre. Si vous pouviez sçavoir, Seigneur, jusqu’à quel poinct Cét interest me touche…         Ah ! je n’en doute point ; J’ay bien crû que c’estoit vous faire vive injustice Que vous refuser part à ce grand sacrifice ; Et que je ne pouvois, pour conduire mes coups, Me confier icy plus seurement qu’à vous. Je doy tout, je l’avouë, à cette confiance, Vous relevez par là ma plus chere esperance, Et m’auriez fait un tort qui m’eut desesperé, Si, sans m’en avertir, vous eussiez conspiré. Decidez donc de l’heure & du lieu qu’il faut prendre, J’ay des amis puissans & tous prests d’entreprendre, Qui dés mon premier ordre oseront tout tenter. Ah ! sur tout gardez vous de rien precipiter. Le Roy s’est fait icy suivre par son armée, Le Fort est bien gardé, la ville est enfermée, Et si le dessein manque, ou s’il est découvert, Nul espoir de salut ne peut nous estre offert. Ce peril de plusieurs peut estonner le zele, Et parmy nos amis nous faire quelque infidelle, Cet obstacle en ces lieux ne sera pas toûjours, Et l’armée au plustost doit partir dans six jours. Nos conjurez alors les plus forts dans la place Voyant moins de peril en prendront plus d’audace. Un grand dessein dépend d’en bien choisir le temps. Puisque c’est vostre advis, differons, j’y consens, L’entreprise vous touche, & vostre experience Doit icy prevaloir sur mon impatience : Nous tiendrons cependant mes amis preparez ; Je vay mander les miens, & vous en jugerez : J’attens tout de vos soins, c’est en eux que j’espere. Ah, Seigneur ! pour un fils que ne fait point un pere ! Pour peu que par le Ciel mes soins soient secondez, Ils pourront faire encore plus que vous n’attendez. Fin du troisième Acte. Quel malheur impreveu venez vous de m’apprendre ! Tirrhene est arresté !         Ce coup vous doit surprendre. Ainsi que vous, Madame, il m’a beaucoup surpris. J’attendois tout du Pere allant venger le fils ; J’avois fondé sur luy ma plus forte esperance. Il a beaucoup d’amis, de cœur, d’experience ; Il avoit desja veu mes partisans secrets ; Les avoit exortez à se tenir tous prests ; Et chacun, à l’envy, jurant d’estre fidelle, Avoit pris à l’entendre une audace nouvelle : Lors qu’Atis l’ayant veu qui sortait de chez moy, Est venu l’arrester, par les ordres du Roy. Jamais un prompt secours ne fut plus necessaire. Du sang de mon Amant, ce barbare s’altere : Et veut en perdre encor, d’un courroux obstiné, Jusqu’aux veines du Pere, un reste infortuné. Courez precipiter, sans que rien vous arreste, La perte du Tyran pour sauver cette Teste ; Prevenez, par vos coups, un coup si plein d’horreur, Et dérobez, du moins, ce crime à sa fureur. Il n’a que trop vescu, trop de cœurs en gemissent, Et c’est tousjours trop tard que les Tyrans perissent. Puisque vos Partisans sont tous prests d’esclatter, De leur premier transport songez à profiter : Par des reflexions, craignez qu’il ne s’altere ; Et ne leur donnez pas le temps d’en pouvoir faire. Si Tirrhene perit, sur tout, considerez Quel trouble peut alors saisir vos Conjurez ; Ce sont vos seuls desirs qu’icy je considere ; Je cours sans differer oser tout pour vous plaire : Et sans voir les raisons que vous examinez, La mienne, est seulement, que vous me l’ordonnez. L’heure mesme où le Roy doit faire un sacrifice, Est celle que mon cœur choisit pour son suplice : Et je jure vos yeux, ou de perdre le jour, Ou de vous apporter la teste à mon retour. Mais il vient.     Je le fuis.         Contraignez vostre haine ; Il s’est trop avancé, la fuite seroit vaine. Pour l’amuser icy, faites vous quelque effort, Et donnez ces momens aux aprests de sa mort. Il se peut donc, Princesse, enfin que je vous voye ? Mais, helas ! c’est pour vous, un tourment que ma joye : Et tout l’ardent amour dont vous touchez mon cœur, N’ose attendre aujourd’huy que mepris & qu’horreur. Mais je voudrois en vain, l’empescher de paroistre Cét amour, trop puissant, dont je ne suis plus maistre : C’est dans les maux communs qu’on peut dissimuler, Et l’Amour n’est pas grand, quand on le peut celer. J’ay preveu, quels transports de haine, & de colere, Doit attirer sur moy cét aveu temeraire : Vous m’allez accabler de rigueurs, de mepris, Mais mon amour encor, m’est trop doux, à ce prix. Eclatez : mais, ô Ciel ! qu’aperçois-je ? & quels charmes, Font que vos yeux, aux miens, ne montrent que des larmes ? Ma veuë attendrit elle un cœur si rigoureux ? Helas ! le puis-je croire ?         Oüy, cruel, tu le peux. Mon cœur ne fait rien moins que ce qu’il croyait faire ; Je croyais que ta veuë aigriroit ma colere, Je croyois sans horreur, ne te pouvoir souffrir, Cependant, je te vois, & me sens attendrir : La haine dans mon cœur à peine à treuver place… Quoy , Madame, Agrippa de vôtre cœur s’efface ? Et vous pourriez aymer un Roy trop fortuné ? Et mon cœur d’un tel crime est par toy soupçonné ? Aymer le Meurtrier de l’objet de ma flame ? D’un Heros que la mort respecte dans mon ame ? Aymer de tous mes maux l’autheur injurieux ? Si tu m’entends si mal, je vais m’expliquer mieux. Avec toy mon Amant eut tant de ressemblance, Que je n’ay pû sans trouble endurer ta presence : Et sous les mesmes traits qui m’ont esté si doux, Tu t’es pû dérober d’abord à mon couroux. Ouy, cette chere image, a sçeu d’abord, sans peine, Amortir ma colere, & suspendre ma haine : Et mon cœur à ce charme engagé d’obeïr, A presque en sa faveur, eu peur de te haïr. Ces trait accoustumez à surprendre mon ame, Ne m’ont rien retracé que l’objet de ma flame, Ils n’ont pû me souffrir ny haine ny fureur, Et l’amour est, tout seul, demeuré dans mon cœur. Mais desja cet amour dont mon ame est si pleine, Rappelle ma fureur & fait place à ma haine ; Et mon couroux honteux d’estre trop suspendu Grossit, pour regagner le temps qu’il a perdu. Tu vas voir à son tour la fureur implacable, Que m’inspire le sang d’un amant adorable ; Tu vas voir tant de haine esclatter dans mes yeux… Helas ! Princesse, helas ! je n’attendois pas mieux. Armez vous d’une haine encore plus esclattante, Vous n’en paroistrez point à mes yeux moins charmante. Vous pouvez d’Agrippa m’imputer le trepas, M’en blâmer, m’en haïr, je ne m’en plaindray pas. Je veux bien vous aymer sans espoir de vous plaire, Sans murmurer jamais contre vôtre colere, Sans presser vôtre cœur d’estre moins animé ; Et n’aymeray pas moins pour n’estre pas aimé. C’estoit donc pour mes yeux trop peu que de mes larmes, Sans la honte & l’horreur, d’avoir pour toy des charmes. Ce feu dans un Tyran tombé mal à propos, Ne devoit enflamer que l’ame d’un Heros. Qu’il fut fatal ce feu que ton cœur deshonore A ce Heros destruit, qui m’est si cher encore ! Cet amour fut pour luy funeste autant que beau, Et sembla naistre exprés pour ouvrir son Tombeau. Fasse au moins, s’il se peut, la vengeance celeste Que cet amour pour toy, soit encor plus funeste ; Que la fatalité de ce feu malheureux T’expose à tout l’effort du sort le plus affreux ; Que cette mesmes flame, avec plus de Justice, Ne t’esclaire à ton tour, qu’à choir au precipice ; Qu’elle attire sur toy tout le couroux des Cieux, Qu’elle allume la foudre entre les mains des Dieux. J’obtiendray de ces Dieux dont tes crimes abusent… Ne les pressez point tant, ces Dieux qui vous refusent. Ils sçavent mieux que nous d’où despend nôtre bien, Princesse, croyez moy, ne leur demandez rien. Vous n’avez pas songé, peut-estre, à l’avantage Du Thrône dont mes yeux vous offrent le partage. Un tendre souvenir d’un amant malheureux, A touché jusqu’icy vôtre cœur genereux : Vos beaux yeux de leurs pleurs ont honoré sa perte ; Mais quel deüil ne console une Couronne offerte ? Le sceptre est un doux charme aux plus vives douleurs, Et le bandeau Royal seche aisément des pleurs. Dans les mains des Tyrans le Sceptre doit déplaire. Et l’ombre d’Agrippa m’est encore si chere, Qu’on me verroit choisir, avec bien moins d’effroy, Le cercueil avec luy que le Trône avec toy. Quoy ! haïr jusqu’au Thrône ! helas ! le puis-je croire ? Et que vous preferiez une ombre à tant de gloire ? C’est un exemple rare, encor jusqu’à ce jour, De n’avoir plus d’amant & d’avoir tant d’amour. Qu’il est commun de voir dans le cœur le plus tendre, Le feu bien tost esteint, quand l’objet est en cendre ! Et qu’apres quelqu’esclat de regrets superflus, On oublie aisement un amant qui n’est plus ! Connoy donc mieux, par moy, ce que la gloire inspire Aux Cœurs où l’Amour prend un legitime empire. La cendre sans chaleur de l’objet de mon deüil Nourrit encor mes feux du fonds de son cerceüil, Et mes soupirs, perçants dans la nuit la plus sombre, Vont jusques chez les morts, rendre hommage à son ombre. Rien n’arreste le cours d’un feu bien allumé ; Qui peut cesser d’aimer n’a jamais bien aimé. Apprens enfin, Barbare, aprens qu’une belle ame Peut perdre ce qu’elle aime, & conserver sa flame : Et que dans les grands Cœurs, en dépit du trépas, L’amour fait des lïens que la mort ne rompt pas. Ah ! devant qu’au Tombeau mon amant put descendre, Que n’a t’il-pû sçavoir ce que tu viens d’apprendre ! Helas ! d’un fier orgüeil l’effort imperieux A peine en sa faveur laissoit parler mes yeux : J’affectois des froideurs, quand je brûlois dans l’Ame, Et j’ay tant sçeu contraindre une innocente flame, Qu’il n’a pas en mourant emporté la douceur, De sçavoir quel empire il avait sur mon cœur. Dieux ! s’il eust pleinement joüy de ma tendresse S’il eust préveu mes pleurs…         Ah ! c’en est trop, Princesse ; Je ne puis plus tenir contre un charme si doux. Faites venir Tirrhene, Atis : Vous, laissez-nous ; C’est trop vous abuser, & c’est trop me contraindre, Mon amour veut parler, je ne sçaurois plus feindre. Mon secret trop pesant commence à devenir Un fardeau que mon cœur ne peut plus soûtenir. Cessez, cessez enfin, ô Beauté trop fidelle, De chercher Agrippa dans la Nuit eternelle ; Tiberinus fut seul dans le Fleuve abismé, Et vous voyez en moy cét Amant trop aymé. Vous ! ô Ciel…mais douter d’un Pere qui m’asseure !… Je voy que vous m’allez soupçonner d’imposture, Et je vous fais si tard ce surprenant aveu, Que j’ay bien merité qu’on me soupçonne un peu. Aussi ne croy-je pas pouvoir tout seul suffire, A vous persuader ce que j’ose vous dire ; J‘obligeray mon Pere à ne déguiser rien, Croyez en son rapport, n’en croyez pas le mien : Je m’en vais le forcer de nous rendre Justice, De finir vostre erreur, d’avoüer l’artifice, Et de ne chercher plus du moins, à l’avenir, A separer deux cœurs que l’Amour veut unir. Essayez cependant vous mesme à me connoistre, Croyez-en vostre cœur.         J’en croirois trop, peut-estre ; Mon cœur se peut mesprendre ; interdit comme il est Je n’ose l’écouter.         Tirrhene enfin paroist. Connoissez qui je suis par l’aveu qu’il va faire. Taschez d’estre son fils, si vous me voulez plaire. Seigneur, à la Princesse, enfin, j’ay tout appris : Vous m’en pouvez blâmer, vous en serez surpris ; Mais enfin, c’en est fait, l’amour m’a fait connoistre, Mon cœur de mon secret n’a pas esté le maistre, Je n’ay pû vous tenir ce que j’avois promis, J’ay tout dit.     Quoy ? Seigneur.         Que je suis vostre fils. Vous, Seigneur ! vous, mon fils ! que pouvez-vous pretendre ? Mon fils est au Tombeau, laissez en paix sa cendre, Helas ! c’est par vos coups…         Vos soins sont superflus, Un secret échapé ne se r’appelle plus. Avoüez qu’en faveur de nostre ressemblance, Depuis la mort du Roy, j’ay gardé sa puissance ; Que noyé par mal-heur, son corps tiré de l’eau Eust de vous, sous mon nom, les honneurs du tombeau. Que pour fuir tout soupçon, & pouvoir vous instruire De ce qu’entre-prendroient ceux qui me voudroient nuire, Vous avez accusé le Roy de mon trespas. Je vois ou je m’expose en ne l’avoüant pas ; Il y va de ma vie, & desja je m’appreste, Seigneur, à vous payer ce refus de ma Teste. Trahir le sang d’un fils pour m’entendre avec vous ! Quoy ?…         Non, en vain vos yeux éclattent de courroux : Vous m’avez mal connû si vous l’avez pû croire ; De cette lascheté l’infamie est trop noire, Et le sang mal-heureux qui peut m’estre resté, Ne vaut pas l’acheter par cette indignité. Que vous estes cruel, de chercher tant d’adresse Pour tromper une illustre & fidelle Princesse ! Ses beaux yeux dans les pleurs sans cesse ensevelis N’en ont-ils pas assez honoré vostre fils ? Je vous entends, Seigneur, vous ne sçauriez encore Souffrir que de ses pleurs la Princesse l’honore ? Et que, jusqu’au cercueil, un cœur si genereux Donne quelques soûpirs à ce fils mal-heureux ? Il ne vous suffit point qu’il ait cessé  de vivre Au delà du trépas vous le voulez poursuivre ? Et dans le tombeau mesme où vous l’avez jetté, Il n’est pas à couvert de vostre cruauté. Ah ! revenez, Seigneur, de cette injuste envie : Vous avez eu son sang, vous avez eu sa vie, Ne sçauriez vous laisser à cét infortuné ; Un cœur que pour luy seul l’Amour a destiné ? Ah ! n’empeschez donc pas que je le desabuse, Ce cœur que je possede, & que l’on me refuse : Ce cœur qui pour le mien est plus cher mille-fois Que toutes les douceurs du sort des plus grands Rois ; Ce cœur à qui toujours tout mon bon-heur s’attache ; Ce cœur que l’Amour m’offre, & qu’un Pere m’arrache, Un Pere qui pour fils veut ne m’avoüer pas. J’avoürois pour mon fils l’autheur de son trepas ! Sa mort, vous le sçavez, n’est que trop veritable, Et mon rapport, helas ! n’en est que trop croyable. J’en fus tesmoin, Seigneur, vous ne l’ignorez pas ; Tout percé de vos coups, il tomba dans mes bras : Son sang, à grands boüillons, rejaillit sur son Pere. Mais, Madame, admirez ce que l’amour peut faire, Vostre Amant expiroit, lors qu’apres de vains cris, Prononçant vostre nom, j’arrestay ses esprits ; Quoy que desja ses yeux, en baissant leur paupiere, Eussent pris pour jamais congé de la lumiere ; Malgré le voile espais dont la mort les couvrit, A ce nom adoré, l’Amour les entrouvrit. Son ame, avec son sang, desja toute écoulée, Dans sa bouche mourante encor fut rapellée Mais à peine sa flâme eust en vostre faveur, Commencé d’exprimer sa derniere chaleur, Que le Roy s’irritant de ce reste de vie, L’arracha de mes bras avecque barbarie, Et l’ayant fait jeter à la mercy des flots… Ah ! Princesse, d’un Pere excusez les sanglots, Ma parole s’estouffe à cét endroit funeste, Je n’ay plus que des pleurs pour vous dire le reste, C’est le sang qui s’émeut, & pour s’expliquer mieux, Au deffaut de ma bouche, il parle par mes yeux. Reçoy donc à la fois, Ombre qui m’es si chere, Les larmes d’une Amante, avec les pleurs d’un Pere, Et sois sensible encore, ayant perdu le jour, A ces derniers tributs du sang, & de l’Amour. Pardonne cher Amant, aux troubles qu’en mon ame, Ton Tyran, souz ton nom, a surpris à ma flâme, A ces doux mouvemens, qu’en mon premier transport, De ses traits & des tiens a produit le rapport. Maintenant que mon cœur éclairé par ton Pere Connoist ton assasin, & reprend sa colere, Pour vanger à la fois, ton sang, & mon erreur, Je vais porter si loin le cours de ma fureur, Je vais par tant de vœux, si le Ciel peut m’entendre, Presser sur ce Tyran la foudre de descendre, Et pour voir à mon gré tous les crimes punis. Mais, Seigneur, mais, helas ! s’il estoit vostre fils ? Quoy ! vous écouterez l’erreur qu’on vous inspire ? Quoy ! vous n’entendrez pas ce que l’amour veut dire ? N’est-il pas un tesmoin assez digne de foy, Pour l’entendre un moment, s’il veut parler pour moy ? Et puis qu’en vostre cœur sa voix m’est favorable… L’Amour parle en aveugle, & n’en est pas croyable. Suivrez vous, ma Princesse, une si dure loy ? Ne me croirez vous point ?         Helas ! tient-il à moy ? Vostre cœur n’a-t’il pas, contre cette imposture, Assez bien entendu la voix de la nature ? En a-t’il dit trop peu, ce sang tout interdit, Dont le trouble…         Ah ! Tirrhene, il n’en a que trop dit. Il ne m’oste que trop, sur un trepas si rude, La flatteuse douceur d’un peu d’incertitude. Vostre fils ne vit plus, je ne puis m’en flatter, La nature le dit, & je n’ose en douter : Mais ce doute est si doux, que l’Amour qui murmure Voudroit bien, s’il osoit, démentir la Nature. Quoy que le Roy vous die, asseurez vous si bien… Ah ! si je ne le fuis, je ne respons de rien. Ses traits ressemblent trop à ceux qui m’ont charmée, Pour les voir sans fremir, & sans estre allarmée. Ce n’est pas que de vous je n’aye assez appris, Qu’il n’est qu’un imposteur, qu’il n’est point vostre fils, Avec trop de clarté vos raisons me le montrent ; Mais, pour peu que ses yeux & les miens se rencontrent, Ce regard, malgré moy, vous, & ses trahisons, Est seul presqu’aussi fort que toutes vos raisons. Fuyez-le donc, Madame, & pour mieux vous deffendre… Ah ! Princesse, arrestez un moment pour m’entendre. Cruel, qui que tu sois, jusqu’où va ta rigueur ? N’es-tu pas satisfait des troubles de mon cœur ? Quoy ! fuir sans m’écouter ?         Est-ce peu pour ta gloire ? Va, si je t’escoutois, j’aurois peur de te croire. Je ne vous quitte point, que vous n’ayez pû voir… Arreste, aveugle, arreste, & rentre en ton devoir : Sois mon fils en effet, songe à me satisfaire. Et vous ne voulez plus, Seigneur, estre mon Pere ! A cét aveu fatal trop de peril est joint : C’est estre Pere icy, que de ne l’avoüer point. Puisque la guerre a pû nous oster les complices De vostre heureuse audace, & de mes artifices ; Et qu’en vostre faveur, le Ciel a pris le soin De ne vous en laisser que moy seul pour tesmoin, Obligé d’esmpescher ce secret de paroistre, Pour en répondre mieux, j’en veux seul estre maistre ; Et j’aime mieux dans l’heur de vous voir commander, Des-avoüer mon fils, que de le hazarder. Je voudrois, pour vous voir sans crainte au rang suprême, En vous cachant à tous, vous cacher à vous mesme, Et le sang, seul tesmoin de tout vostre bon-heur, S’applaudiroit assez dans le fonds de mon cœur. Voyez où nous reduît desja vostre foiblesse. Vous deviez si bien feindre, auprés de la Princesse ; Sçavoir bien vous taire, & nourrir son erreur ; Vous l’aviez tant promis.         Et l’ay-pû, Seigneur ? Prés d’un Objet aimé vostre Esprit trop severe, Connoist mal un Amant, sil croit qu’il se peut taire. On n’est pas seur toûjours de feindre autant qu’on veut ; Et l’amour bien souvent promet plus qu’il ne peut. J’avois pû me flatter que mon amour, sans peine, Seroit, dans son erreur, satisfait de sa haine, Et ses mespris trompez, en effet trop charmans, M’ont donné cent plaisirs inconnus aux Amans. J’ay gousté la douceur si chere, & si nouvelle, D’estre seur d’estre aimé d’un cœur vrayment fidelle, D’un cœur qu’on ne peut perdre, ayant perdu le jour, Et d’où mesme la Mort ne peut chasser l’Amour. N’estoit-ce pas assez de ce bon-heur extréme ? Peut-on estre en effet heureux sans ce qu’on aime ? Et quand on est charmé d’un Objet plein d’appas, Est-ce un bon-heur qu’un bien qu’il ne partage pas ? Voir souffrir ma Princesse, & d’une ame inhumaine, Luy desrober ma joye, & joüir de sa peine, C’estoit pour mon amour un plaisir trop cruel : Le bon-heur des Amants est d’estre mutuel. Je plains des feux si beaux ; mais il faut les contraindre, Nous avons maitenant trop sujet de tout craindre, Nos secrets, n’ont jamais esté plus importants ; Que vostre amour se taise au moins pour quelque temps. Le moindre éclat nous perd ; Mezence enfin conspire, Pour vous ravir le jour, la Princesse, & l’Empire, Et l’Empire pour vous, la Princesse, & le jour, Valent bien tout l’effort que fera vostre amour. Les autres Conjurez sont Volcens, Corinée, Antenor, Serranus, Sergeste, Ilionée, Tous Mescontents secrets, parmy le Peuple aimez, Et tous, sans vous connoistre, à vous perdre animez. Grace à l’heureuse erreur que ma feinte autorise, Mezence m’a rendu maistre de l’entreprise. Sans doute, en ma faveur, il parlera d’abord ; Accordez luy ma grace & sans beaucoup d’effort, Par mes soins, pour six jours, l’attentat se differe. Mesnagez bien un temps pour vous si necessaire ; Donnez aux conjurez, des emplois specieux, Qui leur faisant honneur les oste de ces lieux. Feignez quelques avis pour retenir l’Armée, Et redoublez du Fort, la garde accoustumée. Sur tout, flattez Mezence, & de toutes façons, Par une fausse estime, endormez ses souçons ; En suitte, asseurez vous sans bruit de sa personne, Et dans un lieu bien seur…Quoy ! vostre ame s’étonne ! Sans scrupules à ce prix peut-on donner des loix ? Le scrupule doit estre au dessous des grands Rois. Mezence veut vous perdre, & s’y resoud sans peine, Le crime n’est pas moindre, encor qu’il se méprenne, Et sur ce qu’il vous croit, jugeant de ses desseins, Cest dans un sang sacré qu’il veut tremper ses mains. Le Ciel veut l’en punir, par vostre ministere, Les Dieux vous font regner, il faut les laisser faire, Et sans approfondir leurs secrets, ny vos droits, Leurs soins doivent en vous répondre de leur choix. Si dans ce haut degré, vostre vertu peut craindre Que quelque ombre de crime encor vous puisse atteindre, Tenez-vous ferme au Thrône, & gardez d’oublier Qu’il faut n’en pas sortir pour vous justifier : Quand on monte en ce rang, quelle qu’en soit l’audace, Le crime est d’en tomber, & non d’y prendre place ; On n’a jamais failly qu’au poinct qu’on en descend, Et qui regne tousjours est tousjours innocent. Regnez donc. Ah ! mon fils, si vous pouviez connoistre, Combien est beau le droit de n’avoir point de Maistre… Ah ! si vous connoissiez combien l’Amour est doux, Seigneur…         J’entends du bruit ; on vient : songez à vous. He bien ! par tout mon sang, contentez vostre haine. Tout est prest dans le Temple.         Allons, qu’on le rameine. Va, barbare.         Ah ! Seigneur, craignez d’estre entendu. Que peut-on craindre, helas ! quand on a tout perdu ! Fin du quatrième Acte. De quel effroy, Madame, estes vous agitée Au poinct que l’entreprise est presque executée ? On a surpris le Prince, en luy faisant sçavoir Qu’avec empressement vous cherchez à le voir. Oüy, Fauste, je le cherche, & luy veut faire entendre Qu’il seroit bon encor de ne rien entreprendre ; Que je voy tout à craindre à trop tost éclater ; Qu’un peu trop de chaleur sceut d’abord m’emporter ; Qu’un attentat si grand veut moins de promptitude : Le Prince s’est douté de vostre inquietude ; Et se trouvant au Temple engagé prés du Roy, Pour vous tirer de peine, il s’est servy de moy. Je viens vous asseurer que pour vostre vengeance, Le Ciel mesme avec Nous, paroist d’intelligence : Jamais un grand dessein ne s’est veu mieux conduit. Le Prince a r’assemblé ses Conjurez sans bruit, Il a joint avec eux les amis de Tirrhene ; Et tous les partisans que s’est fait vostre haine, Qui, tous ensemble unis, brûlent de partager Dans la mort du Tyran, l’honneur de vous vanger. Par de vaines frayeurs cessez d’estre allarmée ; Je sçay que l’on peut craindre, & le Fort, & l’Armée, Mais, Tiberinus mort, Mezence est icy Roy, Et chacun en tremblant en recevra la loy. La Ville en sa faveur, doit estre soûlevée, Et l’on est seur de voir l’entreprise achevée, Avant qu’aucun des Chefs du contraire Party Au Fort, ny dans l’Armée, en puisse estre averty. Tout nous rit, & sans doute, apres le sacrifice, Tiberinus surpris ne peut füir son supplice. Le Palais de Tirrhene en est le lieu marqué ; C’est là, qu’à son retour, il doit estre attaqué, Pour mieux apprendre à tous, que suivant vostre envie, Aux Manes d’Agrippa l’on immole sa vie. On diroit, à le voir flatter les Conjurez, Qu’il s’offre mesme aux coups qui luy sont préparez. Pour Mezence, sur tout, tant d’estime le touche, Qu’à peine pour Tirrhene a-t’il ouvert la bouche, Que le Roy, tout à coup, cessant d’estre irrité, L’a fait en sa faveur remettre en liberté. Puisque Tirrhene est libre, il est plus seur d’attendre ; Il faut le consulter avant que d’entreprendre. Tout m’effroye en ce jour, je sens secrettement D’un funeste destin l’affreux pressentiment. Helas ! si pour servir mon aveugle colere… Ah ! si Mezence m’ayme, obtenez qu’il differe : Hastez-vous.         J’obeïs, mais vous courez hazard Que cét ordre impreveu n’arrive un peu trop tard ; Madame, nous touchons à l’heure qu’on a prise ; On doit sortant du temple estre prest sans remise ; Le signal est donné, les ordres sont receus. Empeschez qu’on n’acheve ; allez, ne tardez plus. Que pourra-t’on penser du desordre ou vous estes ? De ces troubles pressants, de ces craintes secretes ? Si ce n’est que le Roy par un doux entretien… Qu’on pense tout, pourveu qu’on n’execute rien. Dieux ! si le coup fatal qu’a tant pressé ma haine Tomboit…mais qu’on me laisse entretenir Tirrhene. Venez, Seigneur, venez, s’il se peut, dissiper Les mortelles frayeurs dont je me sens frapper. Par une voix secrette, en mon cœur eslevée, Ma vengeance s’estonne, & craint d’estre achevée. J’ay fremy quand d’abord j’ay sceu l’amour du Roy, Et j’avois aussi-tost caché ce fer sur moy, Pour pouvoir au besoin m’en servir de deffence, Et sur tout, pour tascher d’en haster ma vengeance : Cependant, l’ayant veu, sans suitte & sans soldats, Une tendresse aveugle a retenu mon bras. Le voyant si semblable à l’objet de ma flâme, Mon couroux en tremblant, est sorty de mon ame, Et jusqu’en un Tyran tout noircy de forfaits, Ma main de ce que j’ayme a respecté les traits. Toute autre à vous entendre eust esté convaincuë ; Mais tous mes sens m’estoient attentifs quà sa veuë, Et quand vous me parliez, dans mon cœur à tous coups, Je ne sçay quoy pour luy ! parloit plus haut que vous. Profitons maintenant maintenant icy de son absence ; S’il n’est point vostre fils, resveillez ma vengeance, Et tandis que de luy rien ne me peut toucher, Rendez moy mon courroux qu’il vient de m’arracher. De ses discours encor mon ame est toute pleine, Et des vostres, Seigneur, il me souvient à peine. J’ay preveu tout l’excés du trouble où je vous voy : Et si-tost que Mezence a pû fléchir le Roy, Et que de ce Tiran l’âme aujourd’huy moins fiere, A bien voulu donner ma grace à sa priere, J’ay fait mon premier soin de vous desabuser, Quelque nouveau peril où ce soit m’exposer. On peut connoistre assez à l’ennuy qui m’accable, Si la mort que je pleure, est feinte ou veritable : Mes déplaisirs sans fin, par le temps mesme aigris, Ne vous disent que trop que je n’ay plus de fils. S’il vivoit, s’il regnoit, quoy que je pusse faire, La Nature contente auroit peine à s’en taire ; Le sang comme l’Amour, inspire des transports, Qui tousjours tost ou tard, échapent au dehors. Mais il me reste encore une preuve plus sure, Pour convaincre entre nous le Tiran d’imposture : C’est la pressante ardeur que j’ay pour son trépas, Dont tantost devant luy, je ne vous parlois pas. Mézence est un témoin, dont vous pouvez apprendre Si contre ce barbare, il m’est doux d’entreprendre, Et si des Conjurez dont on connoist la foy, Aucun est de son sang plus altéré que moy. Ne m’avez vous pas veu plein des vœux que vous faites, Chercher des mécontens les factions secretes, Entrer dans leurs complots, me rendre chef de tous, Et briguer ardemment l’honneur des premiers coups ? Je vous ay du Tyran cent fois dépeint le crime, Pour aigrir contre luy l’horreur qui vous anime ; Vous sçavez pour la mort quels soins j’ay tousjours pris ; Et vous pourriez encor, penser qu’il fût mon fils. Luy dont je suis prest d’aller trancher la trâme… Que vous rendez, Seigneur, un doux calme à mon ame. Pour fuir l’affreux desordre en mon cœur excité, Je prens cette asseurance avec avidité ; J’ecarte de mes sens, j’étouffe en ma memoire, Tout ce qui me pourroit détourner de vous croire. Je ne veux plus ouïr ce que mon cœur me dit ; Un Pere est moins suspect qu’un cœur tout interdit ; L’amour est trop aveugle auprès de la Nature ; Et sur l’aveu du sang ma haine se r’asseure. Tout mon courroux revient plus ardent que jamais ; La perte du Tyran fait mes plus chers souhaits. Je n’ay plus d’autres soins que ceux de ma vengeance : J’en goûte avec transport les douceurs par avance Je m’abandonne entiere à la felicité D’oster au moins la vie, à qui m’a tout osté, Au barbare assassin d’un Heros adorable… Pleust au Ciel, seul recours d’un Pere miserable, Que dés ce mesme jour, il m’eust ésté permis D’offrir cette victime aux Manes de mon Fils. C’est un tourment cruel, pour mon impatience, De n’oser pas encor haster nostre vengeance. Pressant un si grand coup, on l’eust trop hazardé : L’Armée est autour d’Albe, & le Fort bien gardé. Il faut encor languir, il faut encor attendre. Non, non, consolez-vous, j’ay fait tout entreprendre. Quoy ! sans considerer…         Vous sçachant arresté, J’ay voulu sans delay, que l’on ait éclaté, Et vous pouvez flatter dés ce jour vostre haine, De toutes les douceurs d’une vengeance pleine. Ah, Madame ! empeschons ce coup precipité. Sans doute, il n’est plus temps, tout est executé. Avez-vous assez tost pû rejoindre Mezence ? J’ay couru par vostre ordre avecque diligence ; Et dans vos interests le Ciel prend tant de part, Qu’enfin heureusement, je l’ay rejoint trop tard. Ciel ! qu’entens-je !         Admirez un bonheur sans exemple. Je n’ay pas eu besoin d’aller jusques au Temple ; J’ay trouvé le Tyran au retour attaqué, Prés de l’endroit fatal pour sa perte marqué. Pressé du Prince enfin, sans espoir, hors d’haleine, Et se trouvant fort prés du Palais de Tirrhene, Il a pris, malgré nous, le temps de s’y jetter, Tandis que tous les siens ont sceu nous arrester. Leur sang a satisfait nostre troupe animée ; Mais le Tyran entré, la porte s’est fermée, On a craint les fureurs d’un Peuple soûlevé, Et le Roy seul…         O Dieux ! se seroit-il sauvé ? Chacun s’est, comme vous, senty l’ame allarmée : Nous avons craint le Fort, nous avons craint l’Armée, Et perdant tout, enfin, à beaucoup differer, Par force, après le Roy, l’on s’apprestoit d’entrer ; Lors que d’une Terrace, Albine, toute émeuë, A tasché d’arrester nos efforts par sa veuë ; Et son sexe, & son rang, la faisant respecter, Nous avons fait silence, afin de l’escouter. Seigneur, a-t’elle dit, s’adressant à Mezence, La Princesse me doit ma part dans sa vengeance ; L’Amour a commencé, c’est au sang d’achever ; Le Roy s’est mieux perdu, quand il s’est creu sauver, Mes Gens l’ont immolé par mon ordre à mon Frere, Tout son sang à mes yeux, vient de me satisfaire. C’en est fait, il est mort.     Dieux !         Ces mots, tout d’un temps, Ont fait pousser au Ciel mille cris éclatants. Chacun admire Albine, & le Prince s’appreste A venir du Tyran vous presenter la teste : Vous l’avez demandée, & pour vous contenter, De sa main à vos pieds, il la veut apporter. Albine doit la rendre. Il l’attend, & m’envoye Pour preparer vostre Ame à cét excés de joye. Ainsi donc, tous nos voeux sont comblez pleinement. Vous vengez vostre Fils, je venge mon Amant, Albine venge un frere, & nous goûtons les charmes… Mais, d’où naissent, Seigneur ces soudaines allarmes ? Ce trouble où vous tombez ?         Je tremble, je fremis. Quoy ! le Roy mort !         Helas ! Madame, c’est mon fils. Vostre fils !         Je sens trop icy que je suis Pere : La voix du sang m’échape, & ne peut plus se taire : La Nature à ce coup, laisse la feinte à part : Elle parle.         Ah ! pourquoy parle-t’elle si tard ? Enfin, il est donc vray, j’ay perdu ce que j’ayme, J’en recherchois la cause, & la trouve en moy mesme ; J’en poursuivois le crime, & viens de m’en charger ; Et j’ay versé le sang que je voulois venger. J’ay tant sollicité, tant demandé sa perte, Que le Ciel trop propice, à la fin l’a soufferte : De mes vœux importuns, les Dieux se sont lassez, Et c’est pour m’en punir qu’ils les ont exaucez. Que ces Dieux sont cruels, quand ils sont trop faciles ! Helas ! que leur refus sont quelquefois utiles ! Et qu’on trahit souvent ses plus chers interests, En fatiguant le Ciel, par des vœux indiscrets ! Mais, c’est à vous, Barbare, à qui je me doy prendre Du sang de mon Amant que je viens de respandre. Je l’ay persecuté, sous un nom decevant ; J’ay creu l’adorer mort, & l’ay haï vivant ; Sa perte estoit la mienne, & j’ay pû l’entreprendre ; Mais, Pere ingrat, c’est vous qui m’avez fait meprendre, Et, si je l’ay perdu, persecuté, haï, C’est sur la foy du Sang, que l’Amour s’est trahy. Vous avez aveuglé ma passion extréme ; Vous avez revolté mon feu contre luy mesme ; Vous avez corrompu tous les vœux de mon cœur ; De ma flame innocente envenimé l’ardeur, Et fait cruellement, par vos dures maximes, Du plus pur des Amours, le plus affreux des crimes. Politique inhumain, qu’un soin ambitieux Rend, pour perdre son fils assez ingenieux : Si le jour vous esclaire, apres ce parricide, Si pour vous en punir, mon bras est trop timide, Rendez graces, cruel, dans mon juste courroux, Au sang de vostre fils que je respecte en vous. Quand un Pere a fait choir son fils au precipice, Il n’a guere besoin qu’on aide à son supplice ; Et pouvant d’Agrippa me reprocher la mort, Le Sang pour m’en punir, est tout seul assez fort. Ouy, pour ce fils trop cher, ma tendresse trahie N’a rien fait qu’il n’ait veue tourner contre sa vie, Et l’Amour paternel, par trop d’ardeur seduit, L’a jusqu’au coup mortel, en victime, conduit. J’ay sceu rendre avec moy, par tous mes artifices, Son Amante, & sa Sœur, de son trépas complices, Et j’ay pû soûlever pour le perdre aujourd’huy, L’Amour & la Nature à la fois contre luy. Soit crime, soit mal-heur, il cesse enfin de vivre, Je l’ay tousjours perdu, c’est assez pour le suivre. Suivons-le, mais du moins par nos derniers efforts, Entraisnons avec nous Mezence chez les morts. Le crime est assez grand pour luy coûter la vie, D’avoir trop bien servy mes vœux qui m’ont trahie. Rien ne me couste à perdre, après ce que je pers, Avec mon Fils & nous, perisse l’Univers ; Que ma Fille elle-mesme évite ma colere. Mal-heureuse ! où viens-tu ?         Me livrer à mon Pere ; Luy déclarer mon crime, & m’offrir à ses coups ; Le remords me deffend d’éviter son courroux. Sçais-tu ce que ton crime en effet vient de faire ? Sçais-tu, cruelle Sœur, que tu trahis ton Frere ? Je sçay que j’ay trahy mon Frere, & mon devoir. Son meurtrier vainqueur…Mais vous allez le voir. Il vient.         Tournons sur luy la fureur qui nous presse. Ay-je encor, contre moy, mon Pere, & ma Princesse ? Mon Fils respire encore !         Agrippa void le jour ! Quel favorable Dieu le rend à mon Amour ? L’instinct sacré du sang est le Dieu tutelaire, Par qui ma Sœur…         Seigneur, vous estes donc mon Frere ? Oüy, loin de faire un crime, empeschant son trépas, Tu nous a tous sauvez… Mais ne l’interromps pas. Par vostre ordre, Madame, attaqué par Mezence, J’ay contre luy d’abord fait peu de resistance, Et voulu témoigner jusqu’aux plus cruels coups, Que je sçay respecter tout ce qui vient de vous. J’ay pourtant creu devoir quelques soins à ma vie, Seur, qu’en effet ma mort n’estoit pas votre envie, Et vostre tendre amour qui m’est venu flatter, Au Palais de mon Pere enfin m’a fait jetter. Le desordre où l’on craint qu’un Peuple émeu s’emporte, Dés qu’on me void entré, force à fermer la porte. Ma Sœur qui m’apperçoit de son appartement, Et qui ne croit, en moy, voir qu’un perfide Amant, S’avance avec transport, & me fait en attendre Ce qu’une aveugle erreur luy peut faire entreprendre : Mais contre mon attente, & malgré son erreur, Le sang dans ce peril s’éveille en ma faveur. Comme pour un Amant, son cœur tremble, & murmure ; Elle impute à l’Amour, ce que fait la Nature, Et la Nature ardente à me sauver le jour, N’a pas honte d’agir sous le nom de l’Amour. Albine cede enfin à l’instinct qui la guide : Va, dit-elle, en tremblant, va, sauve-toy, perfide. J’obeïs sans replique, & passe sans effort, A travers des jardins qui touchent presqu’au Fort. J’y cours, & je m’y rends sans rien voir qui m’arreste ; J’y trouve des Soldats, je m’avance à leur teste ; Le nombre en croist sans cesse, & dés le premier bruit, L’élite de l’Armée, & les joint & me suit. J’approche, & trouve encor, pleins de joye, & d’audace, Les Conjurez espars avec la Populace, Qui trompez par ma Sœur, trop credules, & vains, N’attendoient plus qu’à voir ma teste entre leurs mains. Chacun d’eux à ma veüe, & fremit & s’égare ; La consternation de tous leurs cœurs s’empare, Et n’osant mesme fuir, ny faire aucun effort, Tous laissent à mon choix, ou leur grace, ou leur mort. Je fais saisir les Chefs, & je pardonne au reste. Mezence seul s’obstine en cét estat funeste. Je deffends qu’on le presse, & retiens les Soldats ; Mais en vain on l’épargne, il ne s’épargne pas. Animé par vostre ordre, & n’ayant pû le suivre, Par les soins d’un Rival, il dédaigne de vivre, Ne peut se pardonner, & sans monstrer d’effroy, Tourne sur luy, les coups qu’il a manquez sur moy. Je meurs pour vous, Princesse, est tout ce qu’il peut dire : Je cours pour l’arrester : mais il tombe, il expire ; Et fait dans son trépas, voir tant d’amour pour vous, Qu’avec tout mon bon-heur, j’en suis presque jaloux. Je le plains, mais le bien qu’en vous le Ciel m’envoye Ne laisse dans mon cœur, de lieu que pour la joye. C’est à vous que le sceptre est dû par ce trespas. De mes droits pour regner, ne vous allarmez pas. Si le sceptre m’est doux, ce n’est pas pour moy-mesme, C’est pour mieux l’asseurer aux mains de ce que j’ayme. Venez, aux yeux de tous, voir dés ce mesme jour, Vostre Fils de nouveau couronné par l’Amour. Fin du cinquième & dernier Acte.