Hâtez-vous, Pasteurs, accourez. La voix des oiseaux nous appelle. Nos champs sont éclairés. Nos coteaux sont dorés. Tout brille de l’éclat de la clarté nouvelle. Mille fleurs naissent dans nos prés : Que l’Astre qui nous luit rend la nature belle ! Ne perdons pas un seul moment D’un jour si doux et si charmant. Admirons, admirons l’Astre qui nous éclaire, Chantons la gloire de son cours ; Que tout le Monde revère Le Dieu qui fait nos beaux jours. Que chacun se ressente De la douceur charmante, Que le Soleil répand sur ces heureux climats. Il n’est rien qui n’enchante Dans ces lieux pleins d’appas, Tout y rit, tout y chante, Hé pourquoi ne rirons-nous pas ? Quel désordre soudain ! quel bruit affreux redoutable ! Que épouvantable fracas ! Quels gouffres s’ouvrent sous nos pas ! Le jour palît, le Ciel se trouble ; La Terre va vomir tout l’Enfer en courroux : Fuyons, fuyons, sauvons-nous, sauvons-nous. C’est trop voir le Soleil briller dans sa Carrière, Les Rayons qu’il lance en tous lieux, Ont trop blessé mes yeux ; Venez, noirs ennemis de sa vive lumière, Joignons nos transports furieux. Que chacun me seconde : Paraissez, Monstre affreux. Sortez ? Vents souterrains, des antres les plus creux, Volez, Tyrans des airs, troublez la Terre et l’Onde, Répandons la terreur ; Qu’avec nous le Ciel gronde : Que l’Enfer nous réponde ; Remplissons la Terre d’horreur : Que la Nature se confonde : Jetons dans tous les coeurs du monde La jalouse fureur Qui déchire mon coeur. Et vous Monstre, armez-vous pour nuire À cet astre puissant qui vous a su produire : Il répand trop de biens, il reçoit trop de voeux. Agitez vos marais bourbeux : Excitez contre lui mille vapeurs mortelles : Déployez, étendez vos ailes, Que tous les Vents impétueux S’efforcent d’éteindre ses feux. Osons tous obscurcir ses clartés les plus belles, Osons nous opposer à son cours trop heureux : Quels traits ont crevé le Nuage ? Quel Torrent enflammé s’ouvre un brillant passage ! Tu triomphes, Soleil ? Tout cède à ton pouvoir ? Que d’honneurs tu vas recevoir ! Ah quelle rage ! Ah quelle rage ! Quel désespoir ! Quel désespoir ! Chassons la crainte qui nous presse. Rien ne doit plus faire peur. Le Monstre est mort, l’orage cesse, Le soleil est vainqueur. Le monstre est mort, l’orage cesse, Le soleil est vainqueur. Qu’on lui prépare De superbes autels. Que l’on pare D’ornements immortels. Conservons la mémoire De sa victoire. Par mille honneurs divers, Répandons le bruit de sa gloire Jusqu’au bout de l’univers. Mais le soleil s’avance, Il se découvre aux yeux de tous. Respectons sa présence Par un profond silence, Écoutons, taisons-nous. Ce n’est point par l’éclat d’un pompeux sacrifice, Que je me plais à voir mes soins recompensés ; Pour prix de mes travaux ce me doit être assez, Que chacun en jouisse ; Je fais les plus doux de mes voeux De rendre tout le monde heureux. Dans ces lieux fortunés, les Muses vont descendre, Les jeux galants suivront leurs pas ; J’inspire les chants plein d’appas Que vous allez entendre : Tandis que je suivrai mon cours, Profitez des beaux jours. Profitons des beaux jours. Suivons tous la même envie. Profitons des beaux jours. Aimons, tout nous y convie. Profitons des beaux jours. Les plus beaux jours de la vie Sont perdus sans les Amours. Profitons des beaux jours. Heureux qui peut plaire ! Heureux les amants ! Leurs jours sont charmants : L’Amour sait leur faire Mille doux moments. Que sert la jeunesse Aux coeurs sans tendresse ? Qui n’a point d’amour N’a pas un beau jour. En vain l’Hiver passe, En vain dans les champs Tout charme nos sens, Une âme de glace N’a point de Printemps. Il faut se défaire d’un coeur trop sévère, Qui n’a point d’Amour N’a pas un beau jour. Peut-on mieux faire, Quand on sait plaire, Peut-on mieux faire Que d’aimer bien ; Quelque embarras que l’Amour fasse C’est toujours un charmant lien ; Trop de repos bien souvent embarrasse, Que fait-on d’un coeur qui n’aime rien ? L’Amour contente, Sa peine enchante, L’Amour contente, Tout en est bon. Dans les beaux jours de notre vie Les plaisirs sont dans leur saison, Et quelque peur d’amoureuse folie Vaut souvent mieux que trop de raison. Quoi, Cadmus, fils d’un roi qui tient sous sa puissance Les bords féconds du Nil et les climats brûlés ; Cadmus, après deux ans loin de Tyr écoulés, Étranger chez les grecs, n’a point d’impatience De revoir un pays dont il est l’espérance ? Et laisse sans regrets tant de coeurs désolés ? Nous suivons vos destins partout sans résistance : Faudra-t-il que toujours nous soyons exilés ? J’aimerais à revoir les lieux de ma naissance ; Mais avant que je puisse en goûter la douceur, J’ai juré d’achever une juste vengeance. Et cependant, Seigneur, Vous laissez en ces lieux languir votre grand coeur. Après avoir erré sur la Terre et sur l’Onde Sans trouver Europe ma Soeur ; Après avoir en vain cherché son ravisseur, Le ciel termine ici ma course vagabonde ; Et c’est pour obéir aux oracles des Dieux Qu’il faut m’arrêter en ces lieux. Si vous trouvez des Dieux dont l’ordre vous engage À choisir ce séjour ; Le dieu que votre coeur consulte davantage Est peut-être l’Amour. Serait-il possible Qu’un héros invincible Eût un coeur qu’Amour sut charmer ? Quel coeur n’est pas fait pour aimer ? Et pour être un héros doit-on être insensible ? Que sert contre Hermione un courage indompté ? Qui peut n’en pas être enchanté ? Le Dieu Mars est son père, Elle en a la noble fierté ; La mère d’Amour est sa mère, Elle en a la beauté. À quoi sert un amour qui n’a point d’espérance ; Hermione est sous la puissance. C’est un affreux géant, c’est un monstre odieux. Il est du sang de Mars, ce Dieu le favorise, Et c’est enfin à lui qu’Hermione est promise : Nul autre des mortels n’en doit être l’époux ; Et si vous en tentez la fatale entreprise, La Terre avec le Ciel s’armera contre vous. Hé bien je périrai si le Destin l’ordonne, Je veux délivrer Hermione : Et si je l’entreprends en vain, Je ne saurais périr pour un plus beau dessein. Où sont nos africains ? Que leur troupe s’avance : La Princesse veut voir leur plus galante danse. D’où vient qu’aucun d’eux ne paraît ? Vos ordres sont suivis, Seigneur, et tout est prêt ! Mais le tyran s’est mis en tête Qu’il faut que ses géans dansent dans cette fête. Comment faire mouvoir des colosses affreux ! Quand on lui dit, Comment ? Il répond, je le veux, Ces grands Hommes pleins de chimères Sont d’un raisonnement fâcheux, Et fiers d’être au-dessus des Hommes ordinaires Pensent que la Raison doit être au-dessous d’eux ; Je n’ai pu garder des mesures, J’ai pesté contre lui, j’ai vomi des injures, Je l’ai nommé tyran, cent fois. On doit toujours respect aux rois. Eut-il du m’étrangler, je n’aurais pu me taire : J’étais trop en colère ; Si je n’avais rien dit, J’aurais étouffé de dépit. Contentons le Géant, il est ici le maître ; Hermione est soumise à son cruel pouvoir : Ce divertissement, tel enfin qu’il puisse être, Me vaudra quelque temps le plaisir de la voir. S’il ne m’est pas permis de lui parler moi-même Et d’oser lui dire que je l’aime ; Du moins nos africains, par leurs chants les plus doux Pourront l’entretenir de mon amour extrême, En dépit d’un rival jaloux. Préparons tout en diligence, Hâtons-nous, la princesse avance. Allons.         Toi ne suis point mes pas, Je vais voir le géant, il faut que tu l’évites. Non, non, nous n’aurons point de bruit, ni d’embarras Pour les injures que j’ai dites, Je les disais si bas Qu’il ne m’entendait pas. Cet aimable séjour Si paisible et si sombre, Offre du silence et de l’ombre À qui veut éviter le bruit, et le grand jour. Ah ! Que n’est-il aussi facile De trouver un asile Pour éviter l’Amour ! L’impitoyable tyrannie, Dont je suis les barbares lois, Ne défend pas d’aimer le chant et l’harmonie : Vous qui me faites compagnie Répondez à ma voix. On a beau fuir l’Amour, on ne peut l’éviter, On n’oppose à ses traits qu’une défense vaine, On s’épargne bien de la peine, Quand on se rend sans résister. La peine d’aimer est charmante, Il n’est point de coeur qui s’exempte De payer ce tribut fatal. Si l’Amour épouvante Il fait plus de peur que de mal. Quel choix est en votre puissance ? Songez à quel époux le Ciel vous veut unir. Je frémis quand j’y pense, Pourquoi m’en fais-tu souvenir ? Vous êtes sans espoir du côté de la Terre : Le roi qui vous retient dans ce charmant séjour, A pour lui le Dieu de la Guerre ; Il a rassemblé dans sa Cour Les restes des Géants échappés du tonnerre. Gardez-vous pour Cadmus d’un malheureux amour, Le don de votre coeuur lui coûterait le jour. Ah ! Quelle cruauté de vouloir me contraindre À ce choix odieux que je ne puis souffrir ! Tout le monde vous trouve à plaindre, Personne cependant n’ose vous secourir. Voici les Africains, mais les géants les suivent. Quoi partout les géants ? Quoi toujours nous troubler. C’est d’ordinaire ainsi que les plaisirs arrivent ; Quelque chagrin fâcheux s’y vient toujours mêler. Suivons, suivons l’Amour, laissons-nous enflammer, Ah ! Ah ! Ah ! qu’il est doux d’aimer ! Quand l’Amour vous l’ordonne, Souffrons les rigueurs, Chérissons les langueurs, Il n’exempte personne De ses traits vainqueurs ; Quel péril nous étonne ? Laissons trembler les faibles coeurs. Suivons, suivons l’Amour, laissons-nous enflammer, Ah ! Ah ! Ah ! qu’il est doux d’aimer ! Deux amants peuvent feindre Quand ils sont d’accord ; Plus l’Amour trouve à craindre, Plus il fait d’effort ; On a beau le contraindre, Il en est le plus fort. Suivons, suivons l’Amour, laissons-nous enflammer, Ah ! Ah ! Ah ! Qu’il est doux d’aimer ! On n’a rien de charmant Aisément, Et sans alarmes : Mais tout plaît, en aimant, Il n’est point de tourment Qui n’ai des charmes ; Suivons, suivons l’Amour, laissons-nous enflammer, Ah ! Ah ! Ah ! Qu’il est doux d’aimer ! Il est temps de finir ma peine Après tant d’injustes refus. Où voulez-vous aller ? Vous fuyez, inhumaine ? J’étAis pour voir ici quelques danses Africaines, Les Africains ne dansent plus ? Rien ne doit plus m’être contraire : Mars est pour moi, c’est votre père, C’est lui qui veut unir votre coeur et le mien. Je suis soeur de l’Amour, et Vénus est ma mère, S’ils ne sont pas pour vous, les contez-vous pour rien ? Il faut que votre destinée Suive l’ordre du Dieu dont vous tenez le jour ; Et toujours l’hyménée Ne prends pas l’avis de l’Amour. Vous craignez les raisons dont je puis vous confondre ? Vous ne m’écoutez pas ? Voulez-vous m’éviter ? Quand on n’a rien à répondre, À quoi sert-il d’écouter ? Je vous suivrai partout malgré votre colère, Sans cesse à vos regards je veux me présenter ; Et si ce n’est pas pour vous plaire, Ce sera pour vous tourmenter. C’est trop l’abandonner à ce cruel supplice : Il est temps d’éclater, Et d’oser tout tenter Contre tant d’injustice. C’est exposer vos jours à d’horribles hasards, Vous aurez à dompter l’affreux dragon de Mars. Il faut semer ses dents, et voir soudain la Terre En former des soldats pour vous faire la guerre. Voyez à quels dangers vous allez vous offrir. Je ne vois qu’Hermione, et je la vois souffrir : Tout cède à cette horreur extrême ; Il est moins affreux de mourir Que de voir souffrir ce qu’on aime. Rien ne me peut épouvanter : Malgré tant de périls, l’Amour veut que j’espère. Où vas-tu téméraire ? Où cours-tu te précipiter ? C’est l’épouse et la soeur du maître du tonerre, La mère du Dieu de la guerre, C’est Junon qui vient t’arrêter. Va, Cadmus, que rien ne t’étonne, Va, ne crains ni Junon, ni le Dieu des Combats : Ose secourir Hermione, Tu vois dans ton parti la guerrière Pallas, Cours aux plus grands dangers, je vais suivre tes pas, C’est Jupiter qui me l’ordonne. Pallas pour les amants se déclare en ce jour ; Qui l’aurait jamais osé croire ? Qui peut être contre l’Amour Quand il s’accorde avec la gloire ? Évite un courroux dangereux. Profite d’un avis fidèle. Fuis un trépas affreux. Cherche dans les périls une gloire immortelle. Entre deux déïtés qui suspendent mes voeux, Je n’ose résister à pas une des deux, Mais je suis l’Amour qui m’appelle. Je poursuivrai tes jours. Je vole à ton secours. Charite, il est trop vrai, Cadmus veut entreprendre De remettre Hermione en pleine liberté : Il l’a dit au tyran, et je viens de l’entendre ! Et que dit le géant ? N’est-il point irrité ? Il rit de sa témérité, Mon maître doit voir la Princesse Avant d’attaquer le dragon furieux qui veille pour garder ces lieux ; Et l’Amour qui pour toi me presse Veut que je vienne aussi te faire mes adieux. En te voyant, belle Charite, J’avais cru que l’Amour fût un plaisir charmant ; Mais lorsqu’il faut que je te quitte, J’éprouve qu’il n’est point un plus cruel tourment. La douleur me saisit, je ne puis plus rien dire ; Quand je pleure, quand je soupire, Tu ris, et rien n’émeut ton coeur indifférent ? Tu fais la grimace en pleurant, Je ne puis m’empêcher de rire. La pitié, tout au moins, devrait bien t’engager À prendre quelque part à mes ennuis extrêmes. S’il est bien vrai que tu m’aimes, Pourquoi veux-tu m’affliger ? Pour soulager mon coeur du chagrin qui le presse, Te coûterait-il tant de l’affliger un peu ? C’est un poison que la tristesse, L’Amour n’est plus plaisant dès qu’il n’est plus un jeu. On console un amant des rigueurs de l’absence Par des tendres adieux. Quand il faut se quitter, un peu d’indifférence Console encore mieux. Tu me l’avais bien dit, qu’il était impossible Que ton barbare coeur perdit sa dureté. Au moins si tu te plains de me voir insensible, Tu dois être content de ma sincérité ; Puisqu’enfin pour te satisfaire Je ne puis pleurer avec toi ; Si tu voulais me plaire Tu rirais avec moi. C’est trop railler de mon martyre, Le dépit m’en doit délivrer ; N’est-on pas bien fou de pleurer Pour qui n’en fait que rire ? Guéris-toi, si tu peux, J’approuve ta colère ; Quand on désespère Un coeur amoureux ; C’est par un dépit heureux Qu’il faut se tirer d’affaire. Quand on désespère Un coeur amoureux ; C’est par un dépit heureux Qu’il faut se tirer d’affaire. Mais la nourrice vient, il me faut éloigner. Tu sais que tu lui plais, la veux-tu dédaigner ? C’est une conquête assez belle. Si je lui plais, tant pis pour elle. Quoi ! Dès que je parais, tu fuis au même instant ? Lorsqu’on a des amis, est-ce ainsi qu’on les quitte ? Le temps presse, et Cadmus m’attend. Quand tu parlais seul à Charite, Le temps ne te pressait pas tant : Quel charme a-t-elle qui t’attire ? Qu’ai-je qui te fait en aller ? J’avais à lui parler, Je n’ai rien à te dire. Je dois suivre Cadmus, nous partons de ce lieu. Me dire adieu, du moins, est une bienséance Dont rien ne te dispense. Je te dis donc adieu. Il me quitte, l’ingrat, il me fuit, l’infidèle ! Ne crains pas que je te rappelle ! Va, cours, je te laisse partir : Va, je n’ai plus pour toi qu’une haine mortelle : Puisses-tu rencontrer la mort la plus cruelle, Puisse le dragon t’engloutir. Crois-moi, modère L’éclat de ta colère ; Un dépit qui fait tant de bruit Fait trop d’honneur à qui nous fuit. Ah ! Vraiment je vous trouve bonne ? Est-ce à vous, peite Mignonne, De reprendre ce que je dis ? Attendez l’âge Où l’on est sage, Pour donner des avis. Je suis jeune, je le confesse, Trouves-tu ce défaut si digne de mépris ? N’a-t-on point de bons sens qu’en perdant la jeunesse ? Il serait bien cher à ce prix. Le temps doit mûrir les esprits, Et c’est le fruit de la vieillesse. Il n’est pas sûr que la sagesse Suive toujours les cheveux gris. Je souffre peu que l’on me blesse : Par des discours piquants Prétends-tu m’insulter sans cesse ? Je respecte trop tes vieux ans. Mais Cadmus, et la Princesse, Viennent dans ces lieux ; Ne troublons pas leurs adieux. Je vais partir, belle Hermione, Je vais exécuter ce que l’Amour m’ordonne, Malgré le péril qui m’attend : Je veux vous délivrer, ou me perdre moi-même ; Je vous vois, je vous dit enfin que je vous aime, C’est assez pour mourir content. Ah ! Cadmus, pourquoi m’aimez-vous ? Pourquoi vouloir chercher une mort trop certaine ? Eh ! Que peut la valeur humaine Contre le dieu Mars en courroux ? Voyez en quels périls votre Amour nous entraîne ! J’aurais mieux aimer votre haine : Ah ! Cadmus, pourquoi m’aimez-vous ? Vous m’aimez, il suffit, ne soyez point en peine ? Mon destin, tel qu’il soit, ne peut être que doux. Vivons pour nous aimer, et cesser de poursuivre Le funeste dessein que vous avez formé : Il doit être bien doux de vivre, Lorsqu’on aime, et qu’on est aimé. Sous une injuste loi je vous vois asservie ; Serait-ce vous aimer que le pouvoir souffrir ? Lorsque pour ce qu’on aime on s’expose à périr, La plus affreuse mort a de quoi faire envie. Mais vous ne songez pas qu’il y va de la vie : Faut-il que pour mes jours vous soyez sans effroi ? Je vivrais sous l’injuste loi Où mon cruel destin me livre. Mais si vous périssez pour moi, Je ne pourrai pas vous survivre. J’ai besoin de secours, voulez-vous m’accabler ? Ah ! Princesse, est-il temps de me faire trembler ? Soyez sensible à mes alarmes ! Je ne sens que trop vos douleurs. Partirez-vous malgré mes pleurs ? Il faut aller tarir la source de vos larmes. Quoi, vous m’allez quitter ?         Je vais vous secourir. Ah ! vous allez périr ! Vous cherchez une mort horrible ; Mon amour me dit trop que vous perdrez le jour. L’Amour que j’ai pour vous ne croit rien d’impossible : Il me flatte en partant d’un bienheureux retour. Croyez en mon amour, Vous n’écoutez point ma tendresse, Rien ne vous retient ?         Le temps presse. Au nom des plus beaux noeuds que l’Amour ait formés, Vivez, si vous m’aimez. Espérons.         Tout me désespère. Que je me veux de mal d’avoir trop sçû vous plaire ! Qu’un tendre amour coûte d’ennuis ! Vous fuyez ?     Il le faut.     Demeurez ?         Je ne puis, Je m’affaiblis plus je diffère ; Il faut m’arracher de ce lieu. Ah ! Cadmus !     Hermione !         Adieu. Amour, vois quels maux tu nous fais, Où sont les biens que tu promets ; N’as-tu point pitié de nos peines ? Tes rigueurs les plus inhumaines Seront-elles toujours pour les plus tendres coeurs ? Pour qui, cruel Amour, gardes-tu tes douceurs ? Calme tes déplaisirs, dissipe tes alarmes, L’Amour vient essuyer tes larmes, Il n’abandonne pas ceux qui suivent ses lois. Souviens-toi que tout m’est possible : Que rien à mon abord ne demeure insensible ? Que pour la divertir tout s’anime à ma voix ? Cessez de vous plaindre De souffrir en aimant ; Amants, vous devez ne rien craindre, Si vous souffrez, votre prix est charmant. Après des rigueurs inhumaines On aime sans peines, On rit des jaloux ; Un bien plein de charmes Qui coûte des larmes, En devient plus doux. Tout doit rendre hommage À l’Empire amoureux ; Il faut tôt ou tard qu’on s’engage, Sans rien aimer on ne peut être heureux. Après des rigueurs inhumaines, etc... Amours, venez semer mille fleurs sous ses pas. Laissez-moi ma douleur, j’y trouve des appas. Dans l’horreur d’un péril extrême, Est-ce là le secours que l’on me doit offrir ? Peut-être ce que j’aime Est tout prêt de périr. Je vais le secourir. Tu détournes bien tes regards ? As-tu peur du dragon de Mars ? La défiance est nécessaire, Il est bon de prévoir un fâcheux accident, On ne doit point marcher ici en téméraire. C’est très bien fait d’être prudent. Je suis hardi quand il faut l’être ; Si quelqu’un en doutait, il pourrait le connaître. Qui voudrait s’attaquer à toi ? On te croit vaillant sur ta foi. Mais la couleur de ton visage Répond mal à ta valeur ! Est-ce par la couleur Que l’on doit juger du courage ? Que tes sens paraissent troublés ! Tu trembles ?         C’est qu’il vous le semble : Chacun croit que l’on lui ressemble, C’est peut-être vous qui tremblez ? Que maudit soit l’Amour funeste Qui nous fait tant souffrir dans ce malheureux jour ! On se soulage quand on peste, Et l’on ne saurait trop pester contre l’Amour. Gardons-nous bien d’avoir envie D’être jamais amoureux : De tous les maux de la vie L’Amour est le plus dangereux. Cadmus veut essayer de rendre Mars propice, C’est ici qu’il prétend offrir un sacrifice. Pour des soins différents il faut nous séparer. Allons nous préparer. Acquittons-nous des soins où Cadmus nous engage. Quel bruit ! Non, ce n’est rien, courage amis, courage ! Qu’on a peine à donner du courage en tremblant Il ne tient pas à moi que je ne sois vaillant, Je tâche au moins de le paraître ; Je ne suis pas le seul qui se pique de l’être, Et qui n’en fait que le semblant. Il faut puiser de l’eau pour la cérémonie ; Avancez, je vous suis. Quel dragon furieux ! Ô Dieux ! Ô Dieux ! Ah ! C’est fait de ma vie. N’est-il point d’arbres, ou de rocher, Qui s’entrouve pour me cacher ? Où vas-tu ?     Le Dragon...     Hé bien ?         Ah ! mon cher maître... Parle donc ?     Le Dragon...         Où le vois-tu paraître Je regarde partout, et je n’aperçois rien. Quoi le dragon nous suit ? Mais regardez bien ? Où sont les compagnons ? Qui t’oblige à te taire ? Tu parais interdit d’effroi ? Seigneur, vous jugez mal de moi, Si je suis interdit, ce n’est que de colère. Mes pauvres compagnons ! Hélas ! Le dragon n’en a fait qu’un fort léger repas. Allons il faut que je les venge. Quelle hâte avez-vous que le Dragon vous mange ? Laissez-le se cacher. Ah ! Le voilà qui sort ! Au secours ! Au secours ! Je suis mort ! Je suis mort ! Ô ciel ! Où sera mon asile ? La frayeur me rend immobile ; Je ne saurais plus faire un pas : Ah ! cachons-nous, ne soufflons pas. Il ne faut plus que je diffère D’engager le Dieu Mars à calmer sa colère ; Si je puis l’adoucir, rien ne peut me troubler. Mes gens sont écartés, il faut les rassembler. Le Dragon assouvi de sang et de carnage, S’est enfin retiré dans quelque antre sauvage : Tout est calme en ces lieux, et je n’entends plus rien. Je sens revenir mon courage, Allons conter partout le trépas de mon maître Que je plains son funeste sort ! Allons, mais que vois-je paraître ! Le Dragon étendu ! Ne fait-il point le mort ? Non, je le vois percé, son sang coule, ah ! Le traître ! Je ne puis contre lui retenir mon courroux, Et je lui veux donner au moins les derniers coups. Quoi l’épée à la main ! Que faut-il entreprendre ? De quel péril es-tu pressé ? Nous aurons soin de te défendre. Vous venez un peu tard, le péril est passé. Que voyons nous ! Qui l’eût pû croire ? Quoi le Dragon est abbattu ! Nous en avons sans vous remporter la victoire. As-tu suivi Cadmus ?         As-tu part à sa gloire ? Eh, nous n’étions pas loin quand il a combattu. Conte-nous ce combat.         J’en suis si hors d’haleine. Que je ne puis encore m’exprimer qu’avec peine. Il est bon d’essuyer ce fer ensanglanté, De crainte qu’il ne soit gâté. Ah ! Quels chagrins pour nous de manquer l’avantage De signaler notre courage ! Tous ces chagrins, et ces regrets Sont des soins qui ne coûtent guère, Quand on ne voit plus rien à faire On fait le brave à peu de frais. On prend peu garde à toi ; Cadmus nous rend justice, Mais il vient, rangeons-nous pour voir le sacrifice. Mars ! Ô toi qui peux Déchaîner quand tu veux Les fureurs de la guerre, Ô mars ! Reçois nos voeux. Ton funeste courroux n’est pas moins dangereux Que l’éclat fatal du tonnerre : Ô Mars ! Reçois nos voeux. Ô Mars ! Reçois nos voeux. Les combats sanglants sont tes jeux ; Tu sais, quand il te plaît, remplir toute la Terre De ravages affreux. Ô Mars ! Reçois nos voeux. Ô Mars ! Reçois nos voeux. Mars redoutable ! Mars indomptable ! Ô Mars ! ô Mars ! ô Mars ! Mars redoutable ! Mars indomptable ! Ô Mars ! ô Mars ! ô Mars ! Ô Mars impitoyable : Est-il révocable Que ta haine implacable Accable Une âme inébralable Au milieu des hasards. Ô Mars ! ô Mars ! ô Mars ! Mars redoutable ! Mars indomptable ! Ô Mars ! ô Mars ! ô Mars ! Que les tumultes des alarmes, Que le bruit, que le choc, que le fracas des armes, Retentisse de toutes parts. Ô Mars ! ô Mars ! ô Mars ! Mars redoutable ! Mars indomptable ! Ô Mars ! ô Mars ! ô Mars ! Qu’on fasse approcher la victime : Puisse-t-elle calmer le courroux qui t’anime, Et n’attirer sur nous que tes doux regards. Ô Mars ! ô Mars ! ô Mars ! Mars redoutable ! Mars indomptable ! Ô Mars ! ô Mars ! ô Mars ! C’est vainement que l’on espère Que d’inutiles voeux apaisent ma colère ; Je ne révoque point mes lois. Si Cadmus veut me satisfaire Qu’il achève, s’il peut, de mériter mon choix ! Un vain respect ne peut me plaire, On ne satisfait Mars que par de grands exploits. Vous, que l’enfer a nourries Venez, cruelles Furies, Venez, brisez l’autel en cent morceaux épars ! Ô Mars ! ô Mars ! ô Mars ! Voici le Champ de Mars, il faut que sans remise J’achève ici mon entreprise ; J’ai les dents du dragon, et je vais les semer. Ce sont des ennemis que vous verrez former : Tant de soldats armés vont naître, Que vous serez d’abord accablé de leurs coups ; Et vous ne songez pas, peut-être, Que vous n’avez ici que moi seul avec vous. Je ne veux exposer personne Au péril où je m’abandonne ; Je dois combattre seul, et ne retiens que toi : Tu connais mon amour, je suis sûr de ta foi, Je veux bien que tu sois le dernier qui me quitte. Seigneur, vous m’honnorez plus que je ne mérite : Si je ne fais qu’un vain effort, Accompli ce que je t’ordonne : Sitôt que tu sauras ma mort, Hâtes-toi de voir Hermione : Va, porte-lui mes derniers voeux. Qu’elle vive, il suffit de plaindre un malheureux : Qu’elle ait soin de garder le souvenir fidèle D’une flamme si belle ; C’est l’unique prix que je veux De ce que j’aurai fait pour elle. Je ne prétends plus t’arrêter. Laisse-moi.         Faut-il vous quitter ? Je le veux : obéis.         Ah ! Quelle violence, Seigneur exigez-vous de mon obéissance. Cadmus reçoit le don que je viens t’apporter ! C’est l’ouvrage du Dieu qui forge le tonnerre ; Ne manque pas de le jeter ; Il faut faire voir en ce jour Ce que peut un grand coeur secondé par l’Amour. Achève le dessein où mon ardeur t’engage. Je te vais obéir dans tarder davantage. Il faut faire voir en ce jour Ce que peut un grand coeur secondé par l’Amour. Arrêtons un transport funeste ; Pourquoi nous immoler en naissant dans ces lieux ? Réservons le sang qui nous reste, Pour servir un héros favorisé des Dieux. Allez : que dans ces murs chacun de vous s’empresse De rendre hommage à la princesse Qui doit donner ici des ordres absolus ; Vos premiers respects lui sont dûs, Je vous suivrai de près, c’est ma plus douce envie. Cherchons nos tiriens, ils tremblent pour ma vie. Allons les rassurer, voyons de toutes parts. Non, ce n’est point assez d’avoir satisfait Mars : Tu vois un ennemi qu’il faut encore abbattre, Au lieu de triompher recommence à combattre. Combattons.         J’ai pitié du péril que tu cours : Il m’est honteux de vaincre avec tant d’avantage, Va, fuir, et cède moi l’objet de nos amours. Tu n’auras plus de Dieux qui défendent tes jours. Les dieux m’ont donné du courgae, Et c’est un assez grand secours. Voyons s’il n’est rien qui t’étonne. Qu’on vienne à moi, qu’on l’environne ! Qu’on le perce de tous côtés ! Cadmus fermez les yeux. Perfides arrêtez. Vois, Cadmus, vois quel supplice A puni leur injustice. Que vois-je ! Les géants armés Ne sont plus des corps animés. Je t’ai promis mon assistance, Je vais te préparer un superbe Palais : Je veux joindre aux douceurs d’un hymen plein d’attraits, L’éclat, et la magnificence. Goûte en paix un sort glorieux. Va, n’écoute plus rien que l’amour qui t’anime ; Hermione vient dans ces lieux. Par quel remerciement faut-il que je m’exprime ? Protéger la vertu d’un prince magnanime, C’est le plus doux emploi des Dieux. Ma princesse !     Cadmus !     Quel bonheur !         Quelle gloire ! Je vous vois libre enfin !         Je vous revois vainqueur ? Quelle favorable victoire ! Qu’elle a coûté cher à mon coeur ! Que c’est un charmant avantage Que de pouvoir sauver d’un cruel esclavage La beauté dont on est charmé ! Que c’est un sort digne d’envie Que de pouvoir tenir le bonheur de sa vie, De la main d’un vainqueur aimé ! Après des rigueurs inhumaines, Le ciel favorise nos voeux ; Ah ! Que le souvenir des peines Est doux quand on devient heureux. Dieux ! Je ne vois plus Hermione ! Quel nuage épais l’environne ! Tu vois l’effet de mon courroux, Il faut combattre encore Junon et sa puissance. Le soin que prend pour toi mon infidèle époux Attire sur tes feux l’éclat de ma vengeance. Iris, détruis l’espoir de cet audacieux ! Enlève sur ton arc Hermione à ses yeux. Exécute à l’instant ce que Junon t’ordonne. Ô Ciel !         Ô Ciel, ô ciel ! Hermione, Hermione. Belle Hermione, hélas, puis-je être heureux sans vous ? Que sert dans ce palais la pompe qu’on prépare ? Tout espoir est perdu pour nous ? Le bonheur d’un amour si fidèle, et si rare, Jusques entre les Dieux a trouvé des jaloux. Belle Hermione, hélas, puis-je être heureux sans vous ? Nous nous étions flattés que notre sort barbare Avait épuisé son courroux : Quelle rigueur quand on sépare Deux coeurs prêts d’être unis par des Liens si doux ? Belle Hermione, hélas, puis-je être heureux sans vous. Tes voeux vont être satisfaits ; Jupiter et Junon ont fini leur querelle, L’Amour lui-même a fait leur paix ; Ton Hermione enfin descend dans ce palais, Des Dieux s’avancent avec elle ; Le Ciel veut que ce jour soit célébré à jamais. Que ce qui suit les lois du Maître du tonnerre, Que les Cieux, et la Terre, S’accordent pour combler vos voeux. Après un sort si rigoureux, Après tant de peines cruelles, Amants fidèles, Vivez heureux. Après un sort si rigoureux, Après tant de peines cruelles, Amants fidèles, Vivez heureux. L’Hymen veut vous offrir ses chaines les plus belles. Junon en veut former les noeuds. Amants fidèles, Vivez heureux. Vénus vous donnera des douceurs éternelles. J’écarterai de vous les fatales querelles, Et les ennemis dangereux. Amants fidèles, Vivez heureux. Attendez de Pallas mille faveurs nouvelles. L’amour conservera toujours de si beaux feux. Après un sort si rigoureux, Après tant de peines cruelles, Amants fidèles, Vivez heureux. Hymen, prend soin ici des Danses et des Jeux. Amants fidèles, Vivez heureux. Venez, Dieu des festins, aimables Jeux, venez ; Comblez de vos douceurs ces époux fortunés Tandis que tout le ciel prépare Les dons qu’il leur a destinés, La terre y doit mêler ce qu’elle a de plus rare. Venez, Dieu des festins, aimables jeux, venez ; Comblez de vos douceurs ces époux fortunés. Serons-nous dans le silence Quand on rit, et quand on danse : Les chagrins ont eu leur temps, Pour jamais le Ciel les chasse, Les plaisirs ont pris leur place ; Lorsque deux coeurs sont constants Tôt ou tard ils sont contents. Qu’il est doux quand on soupire, De sortir d’un long martyre : Les chagrins ont eu leur temps, Pour jamais le Ciel les chasse, Les plaisirs ont pris leur place ; Lorsque deux coeurs sont constants Tôt ou tard ils sont contents. Amants, aimez vos chaînes, Vos soins et vos soupirs ; L’Amour suivant vos peines, Mesure vos plaisirs. Il cause des alarmes, Il vend bien cher ses charmes ; Mais pour un si grand bien Tous les maux ne sont rien. Sans une aimable flamme La vie est sans appas ; Qui peut toucher une âme Qu’Amour ne touche pas ? Il cause des alarmes, Il vend bien cher ses charmes ; Mais pour un si grand bien Tous les maux ne sont rien. Après un sort si rigoureux, Après tant de peines cruelles, Amants fidèles, Vivez heureux.