Me voici dans Charonne, et voilà le logis Où l’amour nous conduit : gardons d’être surpris, Il fait, ma foi, bien chaud, j’ai bien eu de la peine, Je suis venu sans boire. Ouf ! Je suis hors d’haleine. Je risque dans ce lieu bien plus qu’au cabaret. Monsieur Géronte a l’air d’un petit indiscret ; S’il me voit, ce vieillard m’éconduira peut-être Fort incivilement. D’ailleurs aussi mon maître Est un autre brutal qui n’entend point raison, Et veut être introduit ce soir dans la maison. Entre ces deux écueils, je le donne au plus sage À pouvoir se sauver ici de quelque orage. Qu’on est fou ! Pour un autre aller risquer son dos ! Ah ! Qu’un grand philosophe a dit bien à propos Qu’un bon valet était une pièce bien rare ! On dit que pour la noce ici tout se prépare. Je veux, en tapinois, faire la guerre à l’oil. Déjà la nuit commence à s’habiller de deuil. Lisette dans ces lieux m’a promis de se rendre Pour savoir quel parti mon maître pourra prendre. Mais j’entrevois quelqu’un.         Monsieur, voilà le rôt. Monsieur, voilà le vin.         Vous venez à propos. Ils me prennent sans doute ici pour l’économe : Profitons de l’erreur, faisons le majordome. Voilà douze poulets à la pâte nourris ; Autant de pigeons gras, dont les culs sont farcis ; Poules de Caux, pluviers, une demi-douzaine De râles de genêt, six lapins de garenne ; Deux jeunes marcassins, avec quatre faisans : Le tout est couronné de soixante ortolans ; Et des perdrix, morbleu ! D’un fumet admirable. Sentez plutôt. Quel baume !         Oui, je me donne au diable ; Ce gibier est charmant ; et je le garantis Bourgeois, et né natif en plaine Saint-Denis. Monsieur !         Oh ! Je connais vos tours. Qu’il vous souvienne Qu’un jour, étant chez vous, par malheur la garenne S’ouvrit, et qu’aussitôt on vit tous vos garçons S’armer habilement de broches, de bâtons, Et qu’ils eurent grand-peine, avec cet air si brave, À faire rembucher au fond de votre cave, Et dans votre grenier, tous les lapins fuyards, Qu’on voyait dans la rue abondamment épars. Je ne mérite pas, monsieur, un tel reproche. Donnez-moi deux perdrix : allez coucher en broche, Et souvenez-vous bien, vous et vos galopins, De mieux, à l’avenir, enfermer vos lapins. Entrez. Pour vous, monsieur, qui portez la vendange, Vous ne valez pas mieux ; on ne perd rien au change. C’est là tout mon vin ?         Tout ; on n’est pas un fripon. Il faut être en ce monde, ou marchand, ou larron. On est bien tous les deux. Voyons. Sans vous déplaire, Cette bouteille-ci me parait bien légère, Vous êtes un fripon, un scélérat.         Monsieur, Vous me rendez confus.         Un arabe, un voleur. Vous avez des bontés !         Sans parler de la colle, Ni des ingrédients dont votre art nous désole, Je vous y tiens : voilà, monsieur le gargotier, Des bouteilles qui sont faites d’un triple osier. Ah, monsieur le pendard !         Mais ce n’est pas ma faute. Le marchand....         Se peut-il volerie aussi haute ? De l’or et des grandeurs, je n’en demande pas : Juste ciel ! Seulement fais qu’avant mon trépas Je puisse de mes yeux voir trois de ces corsaires, Ornant superbement trois bois patibulaires, Pour prix de leurs larcins, en public élevés, Danser la sarabande à deux pieds des pavés ! Voilà les voux ardents que fait pour votre avance Le plus sincère ami que vous ayez en France. Adieu.... Laissez-m’en deux, comme un échantillon, Pour montrer qu’à bon droit vous passez pour fripon. Vous avez pris mon vin !         Qui me paiera ma viande ? Je l’ai fait à dessein. Hippocrate commande, Et dit en quelque endroit que, pour se bien porter, Il se faut quelquefois dérober un souper. Si toute cette troupe, et celui qui l’envoie, Etait au fond de l’eau, que j’en aurais de joie ! Voilà la noce en branle.         Ah, Merlin ! Te voilà La bouteille à la main ! Que diantre fais-tu là ? En t’attendant, tu vois que je me désennuie. Tout est perdu, Merlin ; Léonor se marie. Monsieur de Sotencour, pour nous faire enrager, De Falaise à Paris vient par le messager : Il arrive aujourd’hui ; et, pour lui faire fête, Hors ma maîtresse et moi, tout le monde s’apprête. Que j’en ai de chagrin !         Pour faire un plein régal, Ce soir, avant la noce, on donne ici le bal. On donne ici le bal ? L’affaire est donc finie ? Autant vaut, mon enfant.         Morbleu ! J’entre en furie, En songeant qu’un morceau si tendre et si friand Doit tomber sous la main d’un maudit Bas-normand, Et de Falaise encor. Dis-moi : monsieur Géronte, Père de Léonor, ne meurt-il point de honte ? Ce Normand a, dit-il, plus de cent mille écus ; Et, pour faire un mari, c’est autant de vertus. Et que dit ta maîtresse ?         Elle se désespère, S’arrache les cheveux.         Autant en fait Valère. À table, aux Entonnoirs, dans un grand embarras, Le pauvre diable attend sa vie ou son trépas. Il peut donc maintenant, puisque l’affaire est faite, Mourir quand il voudra.         Quoi ! Ma pauvre Lisette, Laisserons-nous crever un pauvre agonisant ? N’as-tu point de remède à ce mal si pressant ? Quelque élixir heureux, quelque once d’émétique ? Mais toi, ne peux-tu rien tirer de ta boutique ? J’ai fait le diable à quatre.         Et j’ai fait le dragon, Moi. J’attends même encore un mien parent Gascon, À qui j’ai fait le bec, et qui, ce soir, s’engage À venir traverser ce maudit mariage. Et quel est ce Gascon que tu mets dans l’emploi ? C’est un fourbe, un fripon, à peu près comme toi. Comme moi, des fripons ! Fijac seul me ressemble. C’est lui.         Je le verrai, nous agirons ensemble. Si Valère pouvait seulement se montrer... Bon ! Cela ne se peut. Comment pouvoir entrer ? Tout le monde au logis vous connaît l’un et l’autre. Ne sais-tu pas encor quelle adresse est la nôtre ? On m’a dit que ce soir on doit danser, chanter. On me l’a dit ainsi.         J’en saurai profiter. Aide-nous seulement.         Je suis prête à tout faire. Et moi je te promets que si, dans cette affaire, Mon maître, plus heureux, épouse incognito, Je pourrai t’épouser de même ex abrupto. Depuis que mon mari, par grâce singulière, D’un surtout de sapin, que l’on appelle bière, Dont on sort rarement, a voulu se munir, J’ai fait vou d’être veuve, et je le veux tenir. Oui-da, l’état de veuve est une douce chose : On a plusieurs amants, sans que personne en glose ; Et l’on fait justement, du soir jusqu’au matin, Comme ces fins gourmets qui vont goûter le vin. Sans acheter d’aucun, à chaque pièce on tâte : On laisse celui-ci de peur qu’il ne se gâte ; On ne veut pas de l’un, parce qu’il est trop vert, Celui-ci trop paillet, cet autre trop couvert ; D’un tel vin la couleur est malade et bizarre ; Cet autre, dans le chaud, peut tourner à la barre ; L’un est trop plat au goût, l’autre trop pétillant ; Et ce dernier enfin a trop peu de montant. Ainsi, sans rien choisir, de tout on fait épreuve : Et voilà justement comme fait une veuve. Une veuve a raison. J’aime mieux, prix pour prix, Deux amants comme il faut, que cinquante maris. Un époux est un vin difficile à revendre ; On peut en essayer, niais il n’en faut point prendre. Si tu voulais de moi faire un petit essai, J’ai du montant de reste, et le vin assez gai. Mais je m’arrête trop, et je laisse mon maître Se distiller en pleurs, et s’enivrer peut-être. Je te quitte, et je vais arrêter ses transports. Si Lisette est pour nous, nous sommes assez forts. Je veux à les servir m’employer tout entière : Ce monsieur Bas-normand me choque la visière. De la joie ! Ah, Lisette ! À la fin, dans la cour, Arrive avec fracas monsieur de Sotencour : Monsieur de Sotencour !         Au diantre la bégueule, Avec son Sotencour : voyez comme elle gueule ! Je l’ai vu de mes yeux descendre de cheval : Il amène un cousin, un grand original, Qu’on avait mis en croupe ainsi qu’une valise. Mais les voici tous deux.         L’affaire est dans sa crise. Trop heureuse maison, et vous, murs trop épais, Qui cachez à mes yeux le plus beau des objets, Qui, dans vos noirs détours, recélez Léonore, Faites de votre pis, cachez-la mieux encore : Mais bientôt, malgré vous, je verrai ses appas Cap à cap, sans réserve, et du haut jusqu’en bas. Je verrai son nez... son... Mais j’aperçois Lisette. Maîtresse subalterne, adorable soubrette, Tu me vois en ces lieux, en propre original, Pour serrer le doux noeud du lien conjugal. Le bourreau t’en fasse un qui te serre la gorge, Maudit provincial !         De plaisir je regorge, En songeant... Ah, cousin ! Qu’elle a le nez joli, Le minois égrillard, le cuir fin et poli ! Sur son blanc estomac deux globes se soutiennent, Qui pourtant, à l’envi, sans cesse vont et viennent, Et qui font que d’amour je suis presque enragé. Pour le reste, cousin, quel heureux préjugé ! L’eau m’en vient à la bouche.         Est-elle brune ou blonde ? Oh ! Non, elle est bai clair ; ses cheveux sont en onde, Et fort négligemment flottent à gros bouillons Sur sa gorge d’albâtre et vont jusqu’aux talons. Son teint est... tricolore : elle est, ma foi, charmante. La belle de me voir est bien impatiente ? Comment se porte-t-elle ?         Assez mal : elle dit Qu’elle ne fait la nuit que tourner dans son lit. Dans peu nous calmerons le tourment qu’elle endure, Et nous l’empêcherons de tourner, je te jure. Sans cesse elle soupire.         Hé bien, cousin, tu vois : Ai-je tort, quand je dis qu’elle est folle de moi ? Tout est feinte, monsieur, souvent dans une fille : Ne vous y fiez pas. L’une parait gentille, Pour savoir se servir d’une beauté d’emprunt, Mettre un visage blanc sur un visage brun ; L’autre, de faux cheveux compose sa coiffure ; Cette autre de ses dents bâtit l’architecture ; Celle-ci doit sa taille à son patin trompeur, Et l’autre ses tétons à l’art de son tailleur. Des charmes apparents on est souvent la dupe, Et rien n’est si trompeur qu’animal porte-jupe. Léonore aurait-elle aucun de ces défauts ? Je ne dis pas cela ; mais le monde est si faux ! Une fille toujours a quelque fer qui loche. Oh ! Cousin, n’allez pas acheter chat en poche. Pour savoir si la belle est droite ou de travers, Faites-la visiter avant par des experts. Bon, hon : va, s’il fallait que cette marchandise Fût sujette à visite avant que d’être prise, Malgré tant d’acheteurs, je te jure, cousin, Qu’elle demeurerait longtemps au magasin. Mais je la vois paraître.         Ah ! Serviteur, mon gendre : Soyez le bien venu. Vous vous faites attendre : Votre retardement allait m’inquiéter, Et ma fille était prête à s’impatienter. J’en suis persuadé. Mais vous aussi, madame, D’impatients transports vous bourrelez mon âme : Mon cour, tout pantelant comme un cerf aux abois, Par avance à vos pieds vient apporter son bois. Vos beaux yeux désormais sont le nord ou le pôle Où de tous mes désirs tournera la boussole : Vos appas, vos attraits... qui vous font tant d’honneur... Vous ne répondez rien, doux objet de mon cour ? La joie et le plaisir...         Je vous entends, beau-père ; Le plaisir de me voir la gonfle de manière Qu’elle ne peut parler.     Justement.         Dans ce jour Nous ne ferons plus qu’un, vous et moi Sotencour. Ah, la belle union !         Moi bien fait, vous gentille, Nous allons mettre au monde une belle famille. Beau-père, on dit bien vrai ; quant à moi, j’y souscris : On a beau faire, il faut prendre femme à Paris, L’on y taille en plein drap. Nos femmes de province Ont l’abord repoussant, la mine plate et mince, L’esprit sec et bouché, le regard de hibou, L’entretien discourtois, et l’accueil loup-garou : Mais le sexe, à Paris, a la mine jolie, L’air attractif, surtout la croupe rebondie ; Mais il est diablement sujet à caution. On dit qu’à forligner il a propension. Je veux croire pourtant, malgré la destinée, Que je pourrai toujours aller tête levée ; Que, malgré votre nez, et cet air égrillard, Mon front, entre vos mains, ne court point de hasard. Voudriez-vous, mignonne, à la fleur de mon âge, Mettre inhumainement mon honneur au pillage ? Me réserveriez-vous pour un tel accident ? Hem ! Vous ne dites mot ?         Qui ne dit mot, consent, Beau-père, jusqu’ici, s’il faut que je le dise, La future n’a point encor dit de sottise ; Peut-être qu’elle en pense : en tout cas, j’avertis Qu’elle a l’entretien maigre, et le discours concis. Tant mieux pour une femme.         Oui, quand par retenue Elle caquette peu : mais si c’est une grue... Dans ma famille, au moins, on ne voit point de sots. Lui, par exemple, il a plus d’esprit qu’il n’est gros. Le cousin me connaît. Oh ! Je ne suis pas cruche, Tel que vous me voyez.         Lui... C’est la coqueluche Des filles de Falaise. Il étudie en droit, Et sait tout son Cujas sur le bout de son doigt. Oh ! Quand on a du code acquis quelque teinture, Près des femmes de reste on sait la procédure : Nous autres du barreau, nous sommes des gaillards. Vous êtes avocat ?         Et de plus, maître ès arts. Très altéré, beau-père, au moins ne vous déplaise : On a soif volontiers, quand on vient de Falaise. Allons tâter du vin.         Allons, c’est fort bien dit. Je me sens là-dedans un terrible appétit. Depuis trois jours je jeûne, afin d’être capable De pouvoir dignement faire figure à table. Monsieur est prévoyant.         Vraiment, c’est fort bien fait. Allons, suivez-moi donc, cousin Mathieu Crochet. Bientôt nous reviendrons, ô beauté, mon idole ! Voir si vous n’avez point retrouvé la parole. Voilà ce qui s’appelle un garçon fait au tour ! Lisette, que dis-tu de monsieur Sotencour ? Et de Mathieu Crochet, qu’en dites-vous, madame ? De monsieur Sotencour je deviendrais la femme ! À ne t’en point mentir, je suis au désespoir. Oh ! Qu’il ne vous tient pas encore en son pouvoir ! Valère n’est pas homme à quitter la partie ; Il faut qu’il vous épouse, où j’y perdrai la vie. Pour attraper un rossignol, Ré mi fa sol, Je disais un jour à Nanette : Il faut aller au bois ; mais chut ! Mi fa sol ut. Je me trouvai dans sa cachette ; Le rossignol y vint aussi, Mi ré ut si ; Et sitôt qu’il fut sur la branche, Prêt à chanter de son bon gré, Sol fa mi ré, Elle le prit de sa main blanche, Et puis dans sa cage le mit, La sol fa mi. Que cherchez-vous, monsieur, avec cet équipage ? Vous voyez un Breton prêt à vous rendre hommage. Depuis plus de vingt ans je rôde l’univers, Où je fais admirer l’effet de mes concerts. Tant mieux pour vous, monsieur, j’en ai l’âme ravie ; Mais nous ne sommes point en goût de symphonie : Laissez-nous, s’il vous plaît, avec tous nos ennuis. Quand vous me connaîtrez... vous saurez qui je suis. Je le crois bien.         Je suis un musicien rare, Charmé de mon savoir, gueux, ivrogne et bizarre. Pour la profession, voilà de grands talents ! Voudriez-vous m’entendre ?         Oh ! Je n’ai pas le temps. De chagrins trop cuisants j’ai l’âme pénétrée. Tant mieux : je vous voudrais encor désespérée. Elle n’en est pas loin.         C’est comme je la veux, Pour donner à mon art un exercice heureux. Pour des Bretons, Monsieur, gardez votre science. J’ai tout ce qu’il vous faut, autant qu’homme de France. Tout Breton que je suis, je sais votre besoin. Ne le renvoyons pas, puisqu’il vient de si loin. Bans un concert d’hymen, lorsque quelqu’un discorde, Je sais juste baisser ou hausser une corde ; Nul ne sait de l’amour mieux le diapason, Ni mettre, comme moi, deux cours à l’unisson. Oh ! Vous aurez grand-peine, avec votre industrie, À faire ici chanter deux amants en partie. J’ai dans cet étui-là, madame, un instrument Qui calmerait bientôt vos maux, assurément : Il est doux, amoureux, insinuant et tendre, Et qui va droit au cour.         Ne peut-on point l’entendre ? Ah ! Laisse-moi, Lisette, en proie à mon malheur. Madame, un air ou deux calment bien la douleur. Écoutez-le, de grâce, un seul moment sans peine ; Et, s’il ne vous plaît pas, soudain je le rengaine. Cet instrument, madame, est-il de votre goût ? Que vois-je ? C’est Valère !     Et Merlin !         Point du tout. Je suis un Bas-breton.         Non, belle Léonore, Je n’ai pu résister au feu qui me dévore ; Et puisqu’on rompt les nouds qui nous avaient liés, Je viens, dans ce moment, expirer à vos pieds. À quoi m’exposez-vous ?         Pardonnez à mon zèle. Mon père va venir.         Je ferai sentinelle. Mais que prétendez-vous ?         Vous prouver mon amour. Pour détourner l’hymen qu’on veut faire en ce jour, Souffrez que cet amour soit en droit de tout faire. Gare ! Tout est perdu, j’aperçois votre père. Rentrez vite.         Non, non, ce n’est pas encor lui. Maugrebleu de la masque ! Allons rouvrir l’étui. C’est Lisette, monsieur, qui cause ce vacarme. Fais mieux le guet au moins : une seconde alarme Démonterait, morbleu, l’instrument pour toujours. Ah, madame ! Aujourd’hui secondez nos amours ; Évitez d’un rival l’odieuse poursuite ; Ce soir, pendant le bal, livrez-vous à sa suite. Mais comment ?         De Merlin vous saurez pleinement... Vite, vite, rentrez, monsieur de l’instrument. Ah, Merlin ! Pour le coup, c’est Géronte en personne. Ah, madame !...     Et rentrez.         A toi je m’abandonne. Oui, vous êtes un sot en bécarre, en bémol, Par la clef d’F ut fa, C sol ut, G ré sol. De la sorte insulter la musique bretonne ! Lisette, quelle est donc cette mine bouffonne ? C’est un musicien bas-breton !         Bas-breton. Cet homme doit chanter sur un diable de ton ; Je crois dès à présent sa musique enragée : Jamais, de son pays, il n’est venu d’Orphée ; Pour des doubles bidets, passe.         Fat, animal, Vil carabin d’orchestre, atome musical, Par la mort...     Doucement.         Tenez-moi, je vous prie ; Si j’échappe une fois, je veux avoir sa vie. Laissez...         Si je te tiens, je veux être empalé. Comment ! Me soutenir que mon air est pillé ! Un air délicieux, que j’estime, que j’aime, Et que j’ai pris plaisir à composer moi-même Dans Quimper-Corentin.     Il a tort.         Entre nous, Cela ne se dit point.         La, la, consolez-vous, Ce n’est pas un grand mal ; on ne voit point, en France, Punir de ces larcins la fréquente licence. Mais que vois-je ? Est-ce à vous ce petit instrument ? Pour vous servir, monsieur,         J’en joue élégamment ; Je vais vous régaler d’un petit air.         De grâce, Je ne puis m’arrêter... Il faut...         Sur cette basse Je veux que l’on m’entende un moment préluder. Vous seriez trop longtemps, monsieur, à l’accorder ; Et, de plus, mon valet a la clef dans sa poche. Tous ces gens-là sont faits de croche et d’anicroche. Je vous dis que je veux....         Vous en jouerez fort mal ; L’instrument est breton.         Et tant soit peu brutal : Vous l’entendrez tantôt, je me ferai connaître ; Et vous verrez pour lors quel homme je puis être. Quoi ! Vous voulez, monsieur, donner concert céans ? Je cherche à me produire aux yeux d’habiles gens. Vous venez tout à point. Ce soir je me marie ; De la noce et du bal souffrez que je vous prie. Volontiers : j’y prétends figurer comme il faut. Faites toujours porter votre instrument là-haut. Allons, venez, monsieur ; je m’en vais vous conduire : Moi-même, dans le bal, je veux vous introduire. Et je m’introduirai de moi-même au soupé. Ma foi, nous et l’étui, l’avons bien échappé. Hé bien, que dirons-nous ? Où donc est ta maîtresse ? Je vois qu’à me trouver la belle peu s’empresse. Si nous ne nous cherchons jamais plus volontiers, Je ne lui promets pas grand nombre d’héritiers. Bon, je sais des maris, qui, pour éviter noise, N’ont jamais approché leurs femmes d’une toise, Et qui ne laissent pas d’avoir en leur maison Un grand nombre d’enfants qui portent tous leur nom. Je sais que Léonore aime un certain Valère, Un fat, un freluquet, qui n’a l’heur de lui plaire Que par son air pincé ; mais c’est un petit fou, Sans esprit, sans mérite, et qui n’a pas un sou : On m’a dit seulement que sa langue babille. Eh ! Que faut-il de plus pour toucher une fille ? Oui !... Dis à Léonore, en termes clairs et nets, Que je ne veux pas être époux ad honores. Vois-tu, je ne suis pas de ces gens débonnaires Qui font valoir leur femme en des mains étrangères ; Et, mettant à profit un salutaire affront, Lèvent, à petit bruit, un impôt sur leur front. Ah ! Monsieur, jé vous cherche. Eh ! Permettez dé grâce Qué, sans plus différer, ici jé vous embrasse. Pour la première fois, l’accueil est fraternel. N’est-cé pas vous, monsieur, qui vous nommez un tel ? Oui, je me nomme un tel ; mais j’ai, ne vous déplaise, Encore un autre nom.         Jé viens vous montrer l’aise Qué j’ai d’avoir appris qué vous vous mariez. Je ne mérite pas, monsieur, tant d’amitiés. Nul ne prend plus qué moi dé part à cette affaire. Et pourquoi, s’il vous plaît, peut-elle tant vous plaire ? Pourquoi ? Cetté démande est bonne ! Maintenant Qué vous allez rouler déssus l’argent comptant, Vous né ferez, jé crois, loyal comme vous êtes, Nulle difficulté de bien payer vos dettes. Grâces au ciel, monsieur, je ne dois nul argent, Et vais le front levé sans crainte du sergent. Cinq cents louis pour vous, c’est une vagatelle ; Allons, payez-les-moi.         La demande est nouvelle ! Sotencour est mon nom, me connaissez-vous bien ? Sotencour... Justement, c’est pour vous qué jé vien. Je vous dois quelque chose ?         Hé donc, lé tour est drôle ! C’est cet argent, monsieur, qué sur votre parole, Jé vous ai très gagné, l’autre hiver, à trois dés. À moi, monsieur ?     À vous.         Et, parbleu ! Vous rêvez ; Pour connaître vos gens, mettez mieux vos lunettes, Comment ! Chétif mortel, vous déniez vos dettes ? Vous né connaissez plus lé baron d’Aubignac, Vicomté : dé Dougnac, Croupignac, Foulignac, Gentilhomme gascon, plus noblé qué personne, D’uné race ancienne autant qué la Garonne ? Quand elle le serait encor plus que le Nil, Votre propos, monsieur, n’est ni beau ni civil. Je ne vous connais point, ni ne veux vous connaître. Il né mé connaît pas ! Lé scélérat ! Lé traître ! Né vous souvient-il plus dé cet hiver dernier, Quand notré régiment fut chez vous en quartier, Un jour dé carnaval, chez cetté conseillère Qui m’adorait... Hé donc, vous mémorez l’affaire ? Pas plus qu’auparavant : je ne sais ce que c’est. Ah ! Jé vous en ferai souvenir, s’il vous plaît ; Car, cadédis, jé veux qué lé diable mé scie... Ah ! Tout beau : dans ce lieu point de bruit, je vous prie ; Monsieur est honnête homme, et qui vous paiera bien. Moi, payer ! Hé pourquoi, si je ne lui dois rien ? Vous né mé dévez rien ?         Un Gascon n’est pas homme À venir, sans sujet, demander une somme. Un Gascon ! Un Gascon a grand besoin d’argent ; Et pourvu qu’il en trouve, il n’importe comment. Jamais de son pays ne vint lettre de change ; Et, quoiqu’il mange peu, si faut-il bien qu’il mange. Donnez-lui seulement deux ou trois cents écus. J’aimerais mieux cent fois vous voir tous deux pendus. C’est trop contre un faquin réténir ma colère. Hé ! De grâce, monsieur !         Non, non, laissez-moi faire, Qué jé lé perce à jour.         À l’aide ! Je suis mort. Pour quel sujet, messieurs, criez-vous donc si fort ? Un atomé bourgeois qui perd sur sa parole, Et né veut pas payer ! ... Mais cé qui mé console, Jé veux dévénir nul, ou j’en aurai raison. Que veut dire cela ?         Monsieur, c’est un fripon, Un Gascon affamé qui cherche à vous surprendre. Rétirez-vous, monsieur.         Ah ! Tout beau, c’est mon gendre. Cet homme est votre gendre ?         Il le sera dans peu. Tant mieux : Vous nié paierez cé qu’il mé doit du jeu. Jé fais arrêt sur vous, sur la fille et la dote. Quoi ! Vous avez perdu ?         Je vous dis qu’il radote. Je ne sais...         Nuit et jour il hanté les brélans ; Il doit encore au jeu plus dé vingt millé francs. Plus de vingt mille francs !     Oui, monsieur.         Je vous jure, Foi de vrai Bas-normand, que c’est une imposture ; Que je ne comprends rien à ce maudit jargon, Et ne sais, pour tout jeu, que l’oie et le toton. Vous mé gâtez ici bien du temps en paroles. Monsieur, jé veux toucher mes quatré cents pistoles, Ou, cadédis, jé veux lé saigner à l’instant. Si mon gendre vous doit...     S’il mé doit !         Je prétends Que vous soyez payé ; mais, sans plus de colère, Permettez qu’à demain nous remettions l’affaire. Je marie aujourd’hui ma fille, et retiendrai Sur sa dot cet argent, que je vous donnerai. C’est parler comme il faut. Quand on est raisonnable, Tout Gascon qué jé suis, jé suis doux et traitable. Adieu. Jusqu’à déinain, Mais souvenez-vous-en, Qué j’ai votré parole, et grand besoin d’argent. Vous êtes donc joueur ?         Que l’on me pilorie, Si j’ai hanté ni vu ce Gascon de ma vie. Mais pourquoi viendrait-il...         C’est un fourbe ; et sans vous J’allais vous le bourrer comme il faut.         Entre nous, Vous avez d’un joueur acquis la renommée ; Et le feu, comme on dit, ne va point sans fumée. Oh ! Quittons ce propos, et ne songeons qu’au bal. J’aperçois le cousin ; il n’est, ma foi, point mal. Me voilà, mon cousin, dans mon habit de masque. L’équipage est galant, et l’attirail fantasque. Ma prétendue aussi n’est pas mal, sur ma foi ; Mon cour, en la voyant, me dit je ne sais quoi. Oh ! Qu’il ne vous dit pas tout ce que le mien pense ! Le cousin est masqué mieux que personne en France ; Il est tout à manger : les femmes, dans le bal, Le prendront pour l’Amour en propre original. N’est-il pas vrai ?         Parbleu, plus d’une curieuse De l’aîné des Amours va tomber amoureuse, Et voudra de plus près connaître le cousin. Qu’on s’y frotte... on verra.         Oh ! Le petit lutin ! Qu’il va blesser de coeurs !         Monsieur, je viens vous dire Que mon concert est prêt.         Çà, ne songeons qu’à rire. Cousin, il faut ici remuer le gigot. Laissez-moi faire ; allez, je ne suis pas un sot. Je vais plus qu’on ne veut, quand on m’a mis en danse. Allons, ferme, monsieur, il est temps qu’on commence. C’est à nous de danser et d’entamer le bal. Qu’en dites-vous, beau-père ? Eh ! Cela va-t-il mal ? Au secours ! Au secours ! Votre fille, on l’emporte ; Des carêmes-prenants lui font passer la porte. Que dis-tu là ?         Je dis que quatre hommes, là-bas, La font aller, monsieur, plus vite que le pas. Quoi ! Ma fille...     Oui, monsieur.         La plaisante nouvelle ! Tu rêves : tiens, voilà que je danse avec elle, Monsieur, laissez-la dire ; elle a perdu l’esprit. Non, vous dis-je.         On te dit que dessous cet habit C’est Léonore.         Et non ; je n’ai pas la berlue, Je viens de la quitter à l’instant dans la rue. Au diable la pécore avec ses visions ! Il faut te détromper de tes opinions. Tiens, voilà Léonor.     Serviteur.         C’est le diable ! Prêt à vous emporter ; mais pourtant fort traitable. Vous mé dévez, cherchons quelque accommodement. J’ai votré Léonor pour mon nantissement, Et jé la fais conduire au château dé la Garde : Dé l’argent, jé la rends ; point d’argent, jé la garde. On m’enlève ma fille ! Au secours ! Au voleur ! Monsieur, pour Léonor, n’ayez aucune peur ; Loin qu’on veuille lui faire aucune violence, Contre un hymen injuste on a pris sa défense. Ah, Valère, c’est vous !         Quoi ! Valère... Comment ! Que veut dire ceci ?         Que très civilement Je viens ici vous dire, en parlant à vous-même, Que Léonor, pour vous, sent une haine extrême ; Qu’elle mourrait plutôt que...         Léonor me hait ? Si vous ne m’en croyez, croyez-en ce billet. « Pour éviter l’hymen dont mon amour murmure, Et pour ne jamais voir votre sotte figure, J’irais au bout du monde, et plus loin même encor. On ne peut vous haïr plus que fait Léonor. » En termes clairs et nets cette lettre s’explique, Et le tour n’en est point trop amphibologique. Oh bien, la belle peut revenir sur ses pas Elle aurait beau courir, je ne la suivrais pas. Je vous cède les droits que j’ai sur l’accordée, Et ne me charge point de fille hasardée. Oh ! Ma fille est à vous.         Non, parbleu, par bonheur : Je lui baise les mains et la rends de bon coeur. Vous me faites plaisir, monsieur, de me la rendre. Oh ! Vous ne manquerez, sur ma foi, pas de gendre, Ni vos petits-enfants de père. Allons, Mathieu, Retournons à Falaise.         Adieu, messieurs, adieu. Place à Mathieu Crochet.         À vos genoux, mon père... Oublions le passé, ma fille ; en cette affaire, Je n’ai point prétendu forcer tes volontés. Que ne vous dois-je point pour de telles bontés ! Pour vous, dont je connais le bien et la famille, Valère, je veux bien que vous ayez ma fille. Monsieur...         Nous vous devons assez en ce moment, De nous avoir défait de ce couple normand. L’honnête homme, morbleu ! Vive monsieur Géronte ! Ma foi, sans moi, la belle en avait pour son compte. Puisque tout est d’accord maintenant entre vous, Rions, chantons, dansons, et divertissons-nous. Cadédis, vive la Garonne ! En valur on n’y craint personne ; Les faquins y sont des héros : Jé vous lé dis en quatré mots, En amour, comme au jeu, jé vrille, Et, comme un dé, j’escamote uné fille. Un jour de printemps, Tout le long d’un verger, Colin va chantant, Pour ses maux soulager : Ma bergère, laisse-moi, La la la la, rela, rela : Ma bergère, laisse-moi Prendre un tendre baiser. Ma bergère, laisse-moi, La la la la, rela, rela : Ma bergère, laisse-moi Prendre un tendre baiser. La belle, à l’instant, Répond à son berger : Tu veux, en chantant, Un baiser dérober ? Non, Colin, ne le prends pas, La la la la, rela, rela : Non, Colin, ne le prends pas, Je vais te le donner. Non, Colin, ne le prends pas, La la la la, rela, rela : Non, Colin, ne le prends pas, Je vais te le donner. Si mon air breton A su vous divertir, Messieurs, d’un haut ton, Daignez nous applaudir : Mais s’il ne vous plaisait pas, La la la la, rela, rela ; Mais s’il ne vous plaisait pas, Dites-le-nous tout bas.