Enfin, personne icy ne sçauroit nous entendre, Quel est donc le bon-heur que vous voulez m’apprendre ? Je meurs de le sçavoir, contentez mon désir, Qui le déclare tost fait doublement plaisir. Ha l’heureux accident ! l’admirable avanture, Si j’en doy croire au moins certaine conjecture. Mais ces ravissemens sont pour moy superflus, Et mon impatience en augmente encor plus. O Ciel ! quelle fortune à la nostre est pareille ? Et que ne promet point cette rare merveille ? Tout cela jusqu’icy ne m’éclaircit de rien, Et je treuve une peine où j’atendois un bien. Ne hâtons point celuy que le sort nous envoye, Ménageons ses faveurs ainsi que nostre joye. Hé ne me tenés plus davantage en langueur, Ou comblés d’un refus vôtre injuste rigueur. Vous retranchés ce bien que vous croyés étendre, Et qui veut l’augmenter, il nous en doit surprendre. Encor, sur ce sujet quel est ton sentiment ? Songe un peu.         N'est-ce point quelque nouvel amant ? Déja dans ce penser un démon te l’inspire, Mais il faut qu’on m’embrasse avant que de le dire. S'il ne tient qu’à cela, j’aime mieux vous baiser, Je ne sçay rien apres qu’on me dût refuser. Flateuse, c’en est fait, je cede à tes caresses, Aprens donc en trois mots l’effet de tes adresses. Le dernier mois passé, tu sçais bien que nos Gens Voulûrent dans Seville aréter quelque temps, Que la permission leur en fut accordée. De l’honneur qu’on m’y fit je garde encor l’idée. Là, le jour du balet (jour des plus fortunés) Où tu menois danser des Mores enchainés... En effet, ce jour-là j’eus quelques avantages. Tes larcins glorieux en sont des témoignages. Ne te souvient-il pas de ce jeune Seigneur ? Je vous entens venir, le fils du Gouverneur N'est-ce pas ?     Justement.         Ha Dieu qu’il est aimable ! Qu'il est respectueux, galand, civil, affable ! Toutes ces qualités ne font ni bien, ni mal, Di qu’il est genereux, di qu’il est liberal, C'est la vertu des Rois, et qui fait l’honeste homme, De toute autre vertu l’effet est moins qu’un somme, A peine est-il formé qu’il meurt le plus souvent, Ce n’est qu’ombre et fumée, un apas decevant : La liberalité produit tout au contraire Un effet à la fois solide et necessaire, Tel que sont ces ducas dont il me fit present, Joint que l’aspect aussi n’en est pas deplaisant. Par son merite seul il m’est considerable. Et moy par ses dons seuls je le treuve adorable. Enfin quoy qu’il en soit, qu’a-t-il fait ce Seigneur ? Sçache, le croirais-tu ? qu’il nous a fait l’honeur... Remettons à tantost cette bonne nouvelle. Ha ma tante ! vrayment c’est étre trop cruelle De faire ainsi languir ma curiosité, De grace poursuivés ce discours arrété, Il nous a...         Ce matin, m’ayant veuë à Tolede. Que dit-elle, bon Dieu ? quel transport me possede ? Il nous a fait l’honeur de s’enquerir de toy. Il est en cette ville, et se souvient de moy ? Depuis quand, je vous prie, avez-vous fait ce songe ? Dans quelque étonnement que ce discours te plonge, Croy qu’il est veritable, et de plus...         Achevés, Et ne me celés rien de ce que vous sçavés. Que c’est à ton sujet qu’il a fait ce voyage, Ainsi que dans les mains, je li dans le visage. O Ciel ! est-il possible ?         Ouy, puisqu’il est certain. Il est vray que souvent il me baisoit la main, Et mesmes au raport que m’en fait ma mémoire, Les discours qu’il me tint furent tous à ma gloire, M'accusant d’un grand vol qu’avoit fait ma beauté. De son cœur, de son ame.         Et de sa liberté : Mais quoy qu’il me jurast dans sa cajolerie, Je crus que ce n’étoit que par galanterie. Par là, mon doute encore en est mieux éclaircy. Taisons-nous, j’apercoy quelqu’un qui vient icy. C'est nôtre Poëte, ô Dieu, l’étrange personnage ! C'est elle, je la voy.         Le moyen qu’il fut sage, Il est jeune, il est Poëte, et de plus amoureux, De ces trois qualitez naist un mal dangereux. Ouy, c’est la pauvreté, fuyons de sa presence. Ayés en ma faveur un peu de complaisance. Doux charme de mon cœur, miracle de nos jours, Jeune source d’apas, de graces, et d’Amours, Vôtre divine main m’enchaina dans Séville, La mesme a resserré mes fers en cette ville, Et ce rencontre heureux fait voir que le destin A vos yeux mes vainqueurs veut rendre leur butin. Franchement, voulés-vous m’obliger d’une grace ? Je vous veux obeir, que faut-il que je fasse ? Tréve d’Amour icy, ne parlons que de Vers. A quoy m’obligés-vous, honneur de l’Univers ? Doy-je pas de nouveau vous rendre mes homages ? Doy-je pas de mon feu retracer les images ? Et bravant les effors d’un respect rigoureux, Doy-je pas derechef m’avouër Amoureux ? Ce discours vous déplaist, et je suis temeraire, Mais qui se sent brûler ne sçauroit pas se taire, Et les trais de vos yeux, malgré vôtre rigueur, M'ouvrent tout à la fois et la bouche et le cœur. Vous sçavez à quel point j’aime la Poësie, Donnez preuve par là de vôtre courtésie, Quelque aimable travail de ce noble métier Qui charge son autheur de gloire et de laurier, Nous peut mieux divertir, et causer moins de blâme, Que tous ces vains discours et de trais et de flame. Parlons-en, je le veux, m’avés vous fait l’honneur De lire ce Sonnet où j’ai peint mon bon-heur ? Puisque cet entretien te plaist et te contente, Je m’en vay cependant faire un tour dans la tante, Mais si de son amour il t’ose encor parler, Tranche luy moy tout court, ou me viens appeler. Allés, cela vaut fait.         Ouy, j’ay leu cet ouvrage, C'est sur nôtre rencontre.         Ajoutés mon servage. Chaque rime en est riche, et dans les plus nouveaux, Les termes, à mon gré, ne semblent point si beaux, Le tour du Vers est noble, agréable et facile, Enfin vous triomphés dans la douceur du stile. Enfin vous vous moqués de ce que j’ay produit, Mais dans le triste état où vous m’avés réduit, Sous le fais de mes maux, mon ame gemissante Abat ainsi ma Muse, et la rend languissante, Et c’est bien rarement que l’on void des enfans, Quand leur pere se meurt, pompeux et triomphans. Mais si de quelque espoir vous consolés ma peine, Si vos rudes frédeurs ne glacent plus ma veine, Vous en verrés couler mille torrens de Vers, Qui de vôtre beau nom rempliront l’Univers, Et qui prenans dans l’air une route conuë, Vous remettront au Ciel, d’où vous étes venuë ; Beaux yeux qui m’inspirés ce glorieux dessein, Lancés pour son effet vôtre feu dans mon sein, Soyez mon Apollon...         C'est assés me confondre, Donnés-moy pour le moins le temps de vous répondre, Ou plustost , excusés ma curiosité, Vous mesme répondés, mais avec verité. Ce que je veux aprendre au moins n’est pas sans cause, Et le sçavoir au vray m’importe en quelque chose ; Dites-moy donc sans feinte, étes-vous Poëte ?         Non : Il est trop peu de gens qui méritent ce nom, Avec ardeur pourtant j’aime la Poësie, Et j’en puis sans secours, passer ma fantaisie. Si j’ay besoin d’une Ode, ou de quelque Sonnet, Une heure en fait l’office au lit, au cabinet, Mais pour faire des Vers je ne suis pas Poëte, Dieu me garde de l’étre, ou que je le souhaite. Peu de gens, dites-vous, en meritent le nom, Et vous en craignés tout, mesme jusqu’au renom : Cette condition n’est donc pas honorable. A ne faire autre chose elle est peu favorable. Ce n’est pas que l’effet n’en soit bien glorieux. Pourquoy le nom de Poëte est-il donc odieux ? C'est sans doute un venin de ces ames vulgaires Qui n’ont aucune part à nos sacrés mysteres, D'un tas de jeunes gens qui n’ont pas merité De sentir ce rayon de la divinité, De ces petits esprits qui se donnent la géne Pour treuver dans leur teste un mot qui rime à chaine, Qui n’ont sceu penetrer dans ces saintes forests, Où le Dieu du sçavoir découvre ses secrets, Et que les doctes Soeurs ont jugé trop indignes D'honorer comme nous de leurs faveurs insignes, Ignorans, babillars, censeurs, ambitieux, Enragés de nous voir si bien avec les Dieux : Ouy, ce sont ces messieurs, qui d’une humeur profane Approuvent dans leur cœur ce que leur voix condane : Car enfin ce bel Art, l’amour des beaux esprits, Dont les honestes gens se sentent tous épris, Cette chaste beauté qu’on nomme Poësie, Ne vient point, comme on croit, de nôtre frenesie, Elle est fille du Ciel, son aimable entretien Fait reverer par tout quiconque en use bien. Les Rois avec plaisir goûtent sa compagnie, Sa douceur est charmante, et sa grace infinie, C'est le Trône animé des plus nobles vertus, Le beau champ où l’on void les vices abatus, Le guide qui conduit les Heros à la gloire, La triomphante voix qui chante leur victoire, Le marbre où sont gravés leurs noms dignes des Cieux, Le temple de l’honneur, le langage des Dieux, La Reine des destins, la source de la vie, Le tresor des beaux fais, et le fleau de l’envie : Voylà de ce Soleil quelques simples crayons, Vous traceray-je encor quelqu’un de ses rayons ? C'est une piece rare, où cent beautés paressent, Qu'il ne faut exposer qu’à ceux qui s’y conessent, Non pas à la façon de quelques importuns, Qui, les offrant à tous, rendent ces biens communs. Ouy, mais cette beauté si noble et si cherie Est pauvre à ce qu’on dit.         C'est une raillerie, Au contraire elle est riche, au moins void-on contens Tous ceux qui dans son sein prenent leurs passe-temps : Rare condition, belle Philosophie, Dont l’usage est puissant, puisqu’il nous deïfie, Mais rendés-moy le bien que je vous ay prété, En excusant aussi ma curiosité, De la vôtre apres tout, peut-on sçavoir la cause ? Ouy da, c’est la raison qu’icy je vous l’expose, C'est que vous croyant Poëte à vôtre procedé, Et par cette raison pas trop acommodé, Voulant lire vos Vers, je crus étre charmée De voir une pistole avec eux enfermée, Je la tâtay cent fois, et j’en doutais encor, Mais l’ayant fait sonner, je veis qu’elle étoit d’or, Lors, quoy que toute seule à ce nouveau spectacle, Un Poëte, m’écriay-je, a de l’argent, Miracle ! Que je le sois ou non.         Souffrés ma liberté, Puisque vous n’avés rien de cette qualité. Prenés ces autres Vers qui partent de ma veine Et de ce que je suis ne soyés plus en peine, Suffit que si j’étois d’un monde possesseur, Je vous l’offrirois tout, aussi bien que mon cœur. O Dieu ! ce papier brûle, il est tout plein de flames, Et doit vivre long-temps, car il a plusieurs ames, La pistole en est une, et puis celle des Vers, Où l’on en void tousjours plus que dans l’Univers. Or sus, mon Cavalier, de ces biens qui sont vôtres, Reprenés l’ame d’or, je retiendray les autres, Voylà celle d’hier que je vous rens aussi, C'est elle-mesme au moins, et puisqu’il est ainsi, Contractons entre nous une amitié qui dure, Mais changés cette infame et lâche procedure, Venés me visiter quelque fois, j’y consens, Comme faiseur de Vers, et non pas de presens. Hé bien vous le voulés ? il faut donc les reprendre, Trop heureux de cett’offre, où je n’osois pretendre : Mais ayant eu l’honeur de passer par vos mains, Il ne doit plus servir au trafic des humains Ce tresor que j’égalle à ceux des Republiques, Et je vay l’enchâsser ainsi que des Reliques. Précieuse.     C'est fait.         R'entre sans contester, J'entens venir quelqu’un qui pouroit t’arréter, Nos gens vont à la ville, il faut que tu te pares. Nous bravons sans cela les beautés les plus rares. Hé bien, es-tu content puissant Maistre des Dieux, Conessant le sujet qui m’amene en ces lieux ? Ay-je enfin satisfait à ta juste colere ? Et puis-je desormais esperer de te plaire ? Je le confesse Amour, j’ay bravé ton pouvoir, Tes effets jusqu’icy n’avoient pû m’émouvoir, J'ay devant tes sujets ta gloire méprisée, J'ay fait de ton carquois un objet de risée, J'ay renversé ton trône, abatu tes autels, Je t’ay mesme tiré du rang des immortels, Et ne t’avois placé que dans la fantaisie De ceux qui sont ateints d’un peu de frenesie : Mais puisque je pechois par une aveugle erreur, Tu devois moderer l’excés de ta fureur, Et pour rendre pareil le châtiment au crime, N'ajoûter point la honte à ce joug qui m’oprime. S'il me faloit servir ces illustres beautés, Où la naissance est jointe aux rares qualités, Bien loin d’en murmurer je benirois mes chaines, Et ferois mon bon-heur des tourmens et des génes, Car enfin il est vray qu’il n’est rien de plus doux Que de se voir l’objet de leurs aimables coups, Que nôtre ame est heureuse alors qu’elle en soupire ! Et que cet esclavage est plus beau qu’un empire ! Mais qu’une Egiptienne ait rangé sous sa loy Ce cœur ambitieux, ce cœur digne d’un Roy, O mortelle infamie ! ô honte irréparable ! Par là tu prouves mieux ton pouvoir redoutable Que si tu deplyois tes plus puissans ressors, Et tu parois plus fort par ces febles effors, Il est, il est d’un Dieu, de prendre d’une offence Par un moyen si bas, une haute vengeance. Si bas, ha crime encor plus noir que le premier ! Peux-tu m’avoir ouy, Ciel, sans me foudroyer ? Profane qu’ay-je dit ? pardonne moy bel Ange, Tu ne brilles pas moins pour estre dans la fange, La terre a ses tresors, la nuit a son Soleil, L'éclat du diamant est par tout sans pareil, La rose est toujours rose au milieu des espines, Enfin, tout sert de lustre à tes beautés divines. Precieux instrument des nobles passions, Brillant fourier d’amour de toutes nations, Favorable enchanteur dont la force des charmes Peut des plus chastes mains faire tomber des armes, Ame de l’Univers qui fais tout, qui peux tout, Par qui de toute chose on peut venir à bout, Metal incorruptible, et qui peux tout corrompre, Puisqu’il n’est rien si fort que tu ne puisse rompre, Qu'un Dieu mesme implora ton pouvoir souverain, Et n’entra que par toy dedans la tour d’airain, Tu peux bien faire moins, seconde ma licence, Et fay moy triompher d’une jeune innocence. La voicy, Dieux ! je tremble à son divin aspect, Et je sens ce desir qui se change en respect. Qu'est-ce donc ?     Ce n’est rien.         Amour soutien ta cause. Rien !     Non rien.         Il faut bien que ce soit quelque chose. Dieu, qu’un petit sujet vous donne un grand soucy ! Hé bien, c’est une papier qui vient de choir icy. Etes-vous satisfaite ?         Ha que cet Astre brille ! Le voylà.     C'est luy-mesme.     Ouy.         Vien, suy moy ma fille, Il le faut aborder.     Qui ?     Ce Seigneur.         O Dieux ! Je ne le voyois pas, mais feignons pour le mieux. La Croix mon Cavalier.         O favorable augure ! Nous vous dirons apres vôtre bonne avanture. Viens-tu de quelque espoir consoler ma langueur, Et moderer le feu que tu meis dans mon cœur ? Répons en ma faveur une bonne parole. Voyons dans vôtre main, qui ce discours cajole. Mon bon Seigneur sur tout, mettés la Croix dedans, Celles d’or marquent mieux les heureux accidens. Vous étes né sous les planettes D'Amour et de Valeur, de Venus et de Mars, Vôtre honneur court quelques hazars Dans l’entreprise que vous faites. Ha ! ne me flate plus de cette erreur comune, De toy seulle depend l’une et l’autre fortune, Et mon sort si tu veux, soit doux, soit inhumain, Se lira dans tes yeux beaucoup mieux qu’en ma main. Ne reconois-tu pas ce Dom Jean de Carcame ? C'en est le corps au moins qui vient joindre son ame, Son ame que tu pris...         En quel temps ? En quel lieu ? Où ta rare beauté mit en sa place un Dieu, A Seville en un mot, ha ! c’est trop méconétre L'Amour que dans ton sein tes beaux yeux firent naitre, Là tu ravis mon cœur que je t’allois offrir, Et commenças dés lors à me faire souffrir, Garde le bien ce cœur, ce larcin m’est aimable, Je gaigne en cette perte un bien inestimable, Et si tous mes tresors te pouvoient contenter, En voicy quelques-uns que je viens t’apporter. Bon cela.         Recoy les avecque l’asseurance De posseder le reste.         Agreable esperance. Si tu veux approuver ma constante amitié. Ma fille qu’en dis-tu ? pour moy j’en ay pitié. Ouy, si quelque faveur répond à mon envie, Sans mener plus long-temps cette honteuse vie, Je vous mets toutes deux au faiste du bon-heur, Et je vous fay passer de l’opprobre à l’honneur. Vous n’étes pas le seul de qui l’ame abusée A jugé mon honneur une conqueste aisée, Plusieurs l’ont ataqué, tous ont été confus De souffrir comme vous la honte du refus. Consolés-vous Monsieur, vous avés des semblables, C'est le soulagement de tous les miserables. Le métier que je fays, et mes gayes humeurs, Qui sont de faux miroirs pour exposer mes mœurs, Inspirent, je le croy, cette injuste licence, Mais quand de ma vertu j’ai donné conessance, On se repent aussi des discours qu’on m’a fais, Voyant que l’apparence est contraire aux effets. Je vay, je viens, je cours, je ris et je folâtre, Toujours avec l’honneur dont je suis idolâtre, Et bien loin d’imiter vos Dames des Cités, Qui couvrent de frédeur leurs impudicités, J'ay les yeux tout de flame, et le cœur tout de glace, Et j’ose les braver dans mon honéte audace, Je ne perdis jamais à ce pudique jeu, Et c’est ainsi que l’or s’affine dans le feu. Si j’ay parlé de Croix, n’ayés pas la pensée Qu'un si lâche trafic me rende interessée, Non, non, l’argent n’est point l’objet de mes souhais, Et chacun sçait fort bien que je n’en pris jamais. Gardés donc vos tresors, et croyés je vous prie, Que ce que j’en ay dit c’est par galanterie, N'esperés pas par là ces innocens plaisirs, Qui sont dûs seulement aux innocens desirs, Si je vens mon honeur, ce seul tresor que j’aime, Ce ne sera jamais qu’au prix de l’honneur mesme. Voylà bien raisoner.         Ha ! banny ce penser, Le garder un moment, c’est beaucoup m’offenser : Mets là ta belle main, et sois toute asseurée D'une foy, d’une amour d’eternelle durée. Ma foy c’est tout de bon, il ne se moque point. Plusieurs difficultés s’opposent à ce point, Vous ne vaincrés jamais de si puissans obstacles. Amour dans le besoin sçait faire des miracles. Ouy, ouy, mon bon Seigneur.         Sçachés que parmi nous La fille et son amant qui s’offre pour époux Eprouvent leurs humeurs le cours de deux années, Avant que de pouvoir joindre leurs destinées. A ces conditions engager vôtre foy, Subir à mon sujet la rigueur de la loy, Abaisser vôtre rang à cette infame vie, Avoués que déjà vous en perdés l’envie. Douter de ma constance, ha ! mon cœur conoy mieux Le pouvoir de ma flame, et celuy de tes yeux. Propose si tu veux à mon ame asseurée Les perils encourus pour la Toison dorée, Rien ne peut étonner mon amour courageux, Tout m’est doux, tout m’est beau, tout m’est avantageux: Bref le Ciel m’est témoin qu’avec ma Precieuse Toute condition me sera glorieuse, Et je triompheray de toutes ses rigueurs, Pourveu qu’un chaste hymen unisse un jour nos cœurs. O merveilleux dessein !         Apres cette assurance, Si ma tante y consent...         Vivray-je en esperance ? Moy je consens à tout.         Hé bien, ouy, je me rends, Mais de quelle façon abuser vos parens ? Nous serions tous perdus s’ils en avoient un doute. Je conclus avec eux, ayant sceu vôtre route, De voyager en France, et m’en suis separé Sous ce pretexte faux qui me tient assuré, La guerre en fut un autre à m’exenter de suite. Quoy, vous étes tout seul ?     Ouy.         La rare conduite ! Il la faut achever, ne perdons point de temps, Pour ma réception préparés tous vos gens, Tandis que je feray transporter dans vos tantes. Quoy ?         Tout mon équipage, en serés vous contente ? Faites.         En m’atendant garde toujours cecy. Enfin vous m’offencés de me traiter ainsi. Donnés j’en auray soin.     Non pas.         Elle se moque. Je vous l’ay déjà dit, ce procedé me choque, De grace...         C'est assés, à Dieu, je t’obéis. Mes leçons et mes soins sont donc ainsi trahis. Voyez vous ? je haï trop cette humeur mercenaire. Folle tu ne sçais pas ce qui t’est necessaire, Refuser de l’argent, ô Dieux ! te moque-tu ? Conoy-tu son pouvoir ? en sçais-tu la vertu ? Somes-nous en danger ? l’argent nous en delivre, Dans les bras de la mort souvent l’argent fait vivre, Nous principalement, dont le sort quelque fois Est prest de succomber sous la rigueur des lois : Ces rayons exposés éblouïssent la veuë, Dissipent du malheur l’épouventable nuë, Eclairent à signer nôtre élargissement, Et nous font retirer des prisons prontement, Apprens qu’une clef d’or ouvre toutes serrures. Sçachés que la Vertu brave ces procedures, Au reste, allons hâter nos desseins resolus. Passe pour cette fois, mais n’y retourne plus. Fin du premier Acte. A peine mon vaisseau s’éloigne du rivage, Qu'un Neptune jaloux veut exciter l’orage, A peine dans la lice ay-je fait quelques pas, Qu'un fantôme importun me dit, ne poursui pas, Et lâche que je suis presque dans la bonace, Je cede au moindre effort du vent qui me menace, Et mon cœur infidelle apres un juste choix, Veut ce semble obeïr à cette injuste voix. Quel demon d’interest en mes routes divines Seme confusément la fange et les espines, Et pour me détourner d’un but si souhaité, Oppose l’infamie et la difficulté ? Forçons, forçons, mon cœur, ce rempart inutile, Rien n’est aux vrais Amans honteux ni difficile. Insolens ennemis de mon affection, Rang, honeur, qualité, naissance, ambition, Adieu, retirés-vous, sortés de ma pensée, De vos lâches conseils mon ame est offensée, En vain vous combatés ce vainqueur que je sers, Qui me donte à ma gloire, et m’honore en ses fers. Quel noble sentiment, partisan de ma flame, Me fait voir glorieux ce que je crûs infame ? Et quels nouveaux rayons ont si-tost dissipé Les vapeurs dont mon cœur étoit envelopé. Je sens qu’il est plus calme, et mon ame éclairée Dans ce beau champ d’Amour marche plus assurée. Le Ciel rit à mes vœux, l’air me semble plus dous. C'est l’effet du Soleil qui s’approche de nous. Il faut entretenir le feu qui le consome. Le voylà.     C'est assés.         Hé bien mon Gentilhome, Avés-vous medité dessus votre dessein ? Et sentés-vous encor mesme ardeur dans le sein ? Etes-vous resolu d’entrer en nôtre bande ? Mais veut-on m’honorer d’une faveur si grande ? Vous étes-vous tâté de toutes les façons ? Car enfin...         Hé ! mon ame à quoy tant de soupçons ? J'ay remis en tes mains et mon sort et ma vie, Tu peux en disposer au gré de ton envie. Le dessein que j’ay fait de vivre sous tes lois, Doit m’élever plus haut que le trône des Rois, Juge si ma fortune en si beau lieu placée, Me peut faire dédire et changer de pensée. Venés donc suivés-moy, vous serés enrôlé. Voicy le Cavalier dont on vous a parlé. Bon, la façon m’en plaist, sa taille, et tous ses gestes, Sont d’un adroit voleur les preuves manifestes, J'atens de luy beaucoup en ce qu’il entreprend, Et sa mine promet quelque chose de grand. Tu sois le bien venu, cher soldat de Mercure, Aprens de ce nom seul quelle est ton avanture. Le Ciel de ses faveurs fut ainsi liberal, Donnant à nôtre armée un Dieu pour General, Rien n’échape à nos mains avec ses artifices, Et nous hazardons tout sous ses divins auspices, Cet avertissement doit déjà t’animer. Le glorieux motif !         Pour te faire estimer Dans la profession que tu veux entreprendre, Observe bien nos lois, que je te vais apprendre. Eloigne en premier lieu ce fantôme d’honneur, Si tu veux réussir avec quelque bon-heur, C'est un fâcheux demon jaloux de nôtre adresse, Qui rafine sur tout, et de tout s’interesse, Dont les tristes conseils, et les severes lois, Chargent de fers dorés les sujets et les Rois, Et nous portant au bien le moins digne d’envie, Retranchent les trois parts des plaisirs de la vie, Loin donc cet ennemi de nos contentemens, Loin la honte du blâme, et la peur des tourmens, Apres ces bons avis tu peux prendre les armes. L'honorable milice ! ô Dieux qu’elle a de charmes ! Nous cherchons les combas dont la bourse est le prix, Où la gloire consiste à n’étre point surpris, Où la subtilité l’emporte sur la force. Là, l’espoir du butin nous est bien quelque amorce, Le gain donne un plaisir, mais il s’en faut beaucoup Qu'il égale celuy d’avoir fait un beau coup, Eprouve cette joye, et quoy que tu hazardes, Songe qu’il faut duper qui se tient sur ses gardes, Endormir de discours ceux que nous réveillons, Et parétre en repos lors que nous travaillons, Comme il faut plus d’esprit, nôtre ame est plus ravie Quand un heureux effet succede à son envie. Etre prompt, avisé, hardi, subtil, adroit, Tirer sans qu’on le sente une bague du doit, Dénouër un colier, fouïller dans une poche, Prendre quoy que ce soit à qui que l’on approche, Afiner le plus fin, et le moins empéché, Escamoter par tout, dans le Temple, au marché, Relever ce qui tombe, et serrer ce qui traine, Tout nous duit, tout nous plaist, tout est bon, quoy qu’on prene, Des gans, une chemise, un mouchoir, un chapeau, Une poule, un coc-d’Inde, un mouton, une peau, Tandis qu’un frere chasse, entretenir le maitre, Luy déguiser son bien jusqu’à le méconetre, Faire la guerre à l’oeil, que rien ne soit perdu, Bref, ne livrer jamais ce que l’on a vendu, C'est à quoy nôtre esprit applique son étude, Secondé de nos mains et de leur prontitude. Le royal passe-temps ! quel divertissement ! Et que jusques icy le métier est charmant ! Ne te rebute pas de nos plaisans mysteres Pour l’ordre du carcan, le fouët ou les galeres, Pour quelque trait de corde, ou ces petits afrons Dont on punit icy les plus fameux larrons : Que pas un de ces maux n’ébranle ta constance, Et si ton mauvais sort te fait surprendre en France, Comme un present du Roy, reçoy la fleur de Lys, Par ces marques d’honneur nous somes ennoblis, Un bon soldat s’anime en voyant ses blessures, Et sans rien avouër nous souffrons les tortures, Au pouvoir du Prevost un de nous est-il mis, Il subit châtiment, non pour ce qu’il a pris, Mais pour étre si sot de s’étre laissé prendre. Qui ne sçait son métier doit tâcher de l’apprendre, Cela le subtilise en autre occasion, Et le rend bien plus prompt à l’execution. Qu'on prepare mon ame à d’agreables choses. Passons de quelque épine en des plaines de roses. Nous possedons sans peur mille tresors divers, Et nous somes Seigneurs de ce grand Univers, Nous chassons dans les bois et dessus les montagnes, Nous jouissons des biens des plus riches campagnes, La terre à nos desirs offre tout avec chois, Les forests au besoin nous presentent du bois, Les fontaines de l’eau, les côteaux de l’ombrage, Les rochers un abri quand il fait quelque orage, Les vignes des raisins, les étangs des poissons, Les arbres et les champs des fruis et des moissons, Enfin avecque nous, pour peu que tu t’exposes, Sans qu’il te couste rien espere toutes choses. Qui ne seroit ravi de ces commodités ? Jamais nous ne logeons dans l’enclos des Cités, Les dehors sont plus beaux, plus surs, et plus utiles, C'est là que nous plantons nos pavillons mobiles, Et nous en delogeons au moins quand il nous plaist, Là, nôtre emmeublement se trouve tousjours prest, Les gazons sont nos lits, et la belle prairie A nos palais volans sert de tapisserie, Nous y voyons aussi quantité de tableaux, Jamais dedans la Flandre il n’en fut de si beaux, L'art ne sçauroit atteindre à ces vivans ouvrages, Et Nature elle-méme a fait ces païsages. Ce cuir impenetrable aux rigueurs des saisons Nous fait braver le Ciel dans ces febles maisons, Les tonerres grondans sont pour nous des musiques, Les vens impetueux des zephirs pacifiques, Les éclairs des flambeaux, la pluye un bain charmant, Et les neges enfin un rafraichissement : Ainsi toujours contens nous passons nôtre vie Exemps d’ambition, de soucis, et d’envie, Ce beau dereglement ne te charme-t’il pas ? Ouy certes, et le trône a beaucoup moins d’apas. Au reste, tu peux prendre en l’ardeur qui t’enflame Cette jeune beauté pour maitresse ou pour femme. Arrétés-la de grace, et ne poursuivés point, Il est tombé d’acord avec moy sur ce point. Que s’il veut renoncer aux lois que j’ay prescrites, Je prefere l’honneur à ces rares merites, Nul de vous n’a pouvoir dessus ma volonté, N'en disposés donc pas avec autorité, Ce droit nous appartient avec plus de justice, Je l’ay fait esperer à deux ans de service, Mais quoy que le serment semble nous obliger, Il nous est libre encor de nous en dégager, Consultés-vous, Monsieur, touchant cette promesse, Recueillés vôtre cœur du someil qui le presse, Arrachés le bandeau qui vous couvre les yeux, Soyés plus raisonable, enfin choisissés mieux, Vôtre équipage est là, vous pouvés le reprendre. Je ne pourois jamais me resoudre à le rendre, Accordés-vous plustost.         Je te suis donc suspect ? Quoy dans beaucoup d’amour crains-tu peu de respect ? Non, non, engage encor mes flames amoureuses A des conditions qui soient plus rigoureuses, Mon cœur est une cire où tu ne peux imprimer Ces chastes sentimens qui te font estimer, Mais sçache que pour toy ce mesme cœur de cire Changera de nature apres ce doux martire, Et que pour mieux garder ton vouloir souverain Il deviendra plus dur que le fer ou l’airain. Ouy, ta seule presence entretiendra ma joye, Je seray trop content pourveu que je te voye, Et si l’Amour m’excite à quelque autre plaisir, Un baiser tout au plus bornera mon desir, Puis-je pas esperer ce remede à ma flame ? Ouy, si sage d’ailleurs...         N'en doute plus mon ame. Et vous mon Capitaine, il me faut octroyer Un mois d’aprentissage a ce noble métier. C'est trop de la moitié pour étre passé maitre, Apres deux ou trois vols assure-toy de l’etre. Souffrés que dans ce temps je n’en fasse pas un, Ces quatre cens ducas départis au comun Supleront au defaut de cette main oisive, Prenés-les pour ma part du bien dont je vous prive, 635 Apres qu’on laisse faire à mes secrets effors, Mon adresse d’abord s’ataque aux coffres fors. Ta generosité n’eut jamais son égale, Ouy, ces riches effets de ta main liberale, Font resoudre la troupe à quoy que tu voudras, Dispose de nos cœurs ainsi que de nos bras. Il reste maintenant à prendre un nom de guerre Qui te fasse inconu courir toute la terre, Herite de celuy du plus fameux voleur Qui jamais parmi nous signala sa valeur, Il se nomoit Andrés, plaist-il à ton envie ? Je le conserveray tout le temps de ma vie, Andrés, ha ! que ce nom me semble glorieux, Puisqu’il m’est imposé pour servir ces beaux yeux ! Donc que chacun de nous montre son allegresse, D'un si cher camarade exaltons la noblesse, Meslons un doux concert à nos remercimens, Et faisons mille vœux pour ses contentemens. Vive le noble Andrés, vive la Precieuse D'une vie à leur gré la plus delicieuse, Qu'Hymen joigne bien-tost ce beau couple d’Amans, Et que rien ne s’oppose à leurs embrassemens. Voyla qui vaut l’argent, cet objet qui t’engage Du fard Egiptien t’enseignera l’usage, Surtout change d’habit pour nôtre seureté, Et pour aller par tout avecque liberté, Nous en avons tousjours quelques-un dans nos tantes Pour ceux qui sont receus au métier que tu tentes : Tandis, pour eviter tout accident fatal, Je vay rendre l’honneur qu’on doit au Senechal, Nôtre bande a besoin du pouvoir qu’il possede, Déjà depuis deux jours nous rodons dans Tolede Sans la permission qu’il nous faut obtenir, Adieu, demeurés seuls pour vous entretenir. Enfin tout est à nous, homme, argent et bagage, Mais allons de plus prez visiter l’équipage. Puissant Dieu des matois, et des subtilités, Mercure inspire luy tes bonnes qualités, Afin qu’aux yeux de tous il vole en assurance, Et trompe des Argus l’exacte vigilance. Suivés-moy Compagnons, tous en ordre rangés, Ces ducas au retour vous seront partagés. Enfin j’ay le bon-heur où mon amour aspire, Mon sort est dans tes mains, je vis sous ton empire, Me voyla ton sujet, et j’ay receu tes lois, C'est trop pour égaler la fortune des Rois. Ce n’est point le pouvoir que ce titre leur donne Qui m’atache avec joye auprez de ta personne, Ce n’est point un espoir de leurs vaines grandeurs Qui contente mes sens et nourrit mes ardeurs, Ce n’est point ce hazard contre qui l’on declame, Qui fait voir dans tes fers et mon corps et mon ame, C'est ce charme adorable, invisible et puissant Que forment tes atrais, et ton cœur inocent, C'est cet esprit divin dont ce beau corps s’anime, Qui s’est acquis par tout une si haute estime, C'est ce je ne sçay quoy qui brille dans tes yeux Capable d’enchanter et les Rois et les Dieux. Ainsi puisque l’Amour et ta seule puissance Me rangent aujourd’huy sous ton obéissance, Espere que ces noms et d’esclave et d’amant Ne me feront traiter que favorablement, Me le jure tu pas par la celeste flame Que ces deux Astres bruns lancent jusqu’en mon ame ? Par la reflexion de ce feu glorieux Que l’une et l’autre joue emprunte de tes yeux, Par ce vivant coral qui fait tant de miracles, Et qui rend tous les jours mille divins oracles. Me le jure tu pas par ce berceau d’Amour, Où, comme dans tes yeux, ce Dieu fait son sejour ? Par ces monts animés dont le beau privilege Peut enflamer les cœurs à l’aspect de leur nege, Et par ce noble tout, ouvrage precieux Que formerent l’Amour, la Nature et les Dieux : Mais à te voir si triste en mon bon-heur insigne, Il semble que déjà tu m’en juges indigne. Me doy-je réjouir de vous avoir réduit A quiter un beau jour pour une afreuse nuit, A quiter des rayons pour un nuage sombre, La gloire pour la honte, et le Soleil pour l’ombre, Les plaisirs pour la peine, et les biens pour les maux, Un repos assuré pour de rudes travaux, Une Princesse enfin pour une Egiptienne ? Non, Seigneur, croyés-moy, quelque honneur qui m’en vienne, Je vous estime trop pour ne m’afliger pas Du tort que je vous fais par mes febles apas. Que ton affliction console bien mon ame ! Que ton regret me plaist ! que ta frédeur m’enflame ! Il est donc vray, mon cœur, que ta sainte amitié Fait déjà le devoir d’une chaste moitié : Mais ne plains point mon sort digne qu’un Dieu l’envie, Et juge mieux de l’heur qui va suivre ma vie, Treuvay-je pas en toy sans forcer mes desirs Ma gloire, mon repos, mes biens et mes plaisirs ? Tes yeux ne sont-ils pas des Soleils ? et ces Astres N'écarteront-ils par loin de moy les desastres ? N'ont-ils pas pour rayons mille feux petillans ? Et pour étre un peu noirs en sont-ils moins brillans ? Non, non, d’une façon qui n’est point coûtumiere Cette noirceur éclate et me rend la lumiere, Contre l’ordre du monde elle fait un beau jour, Et r'alume par tout le flambeau de l’Amour, Mais pardonneras-tu ma première licence ? Ouy, puisque vous avés une entière puissance. D'où te vient ce papier ? que son destin est doux ! Si c’est une douceur que de faire un jaloux, Ce poulet en ce lieu vous donne de l’ombrage, Avoüés.     Nullement.         L'Auteur vaut bien l’ouvrage. Je le croy.     Tout de bon ?     Ouy certes.         Cependant, Je veux de son rival faire mon confident, Tenés, apres cela doutés que je vous aime, Car je ne l’ay point leu.         La faveur est extreme. J'en espere pourtant un aimable entretien, Il est un peu remis.         Mon cœur ne crains plus rien. Lisés haut, vous riés.         Il faut bien que je rie De l’agreable effet de cette tromperie, Ce sont des Vers.         Hé bien, c’est le parler des Dieux, Le stile en est plus doux, et persuade mieux. Je chante dans les fers mieux qu’un Egiptien, Vous me réjouissés en me donnant la géne: Mais pourquoy joignés-vous le repos à ma chaine ? Suis-je si malheureux de n’étre propre à rien ? L'esclave trop oisif souffre un double tourment, Servés-vous du pouvoir que mon destin vous donne D'un employ prez de vous honorés ma personne, Et ne rejetés pas les vœux d’un pauvre amant. Hé bien qu’en dites-vous ? ce n’est pas un novice, Voyés qu’adrétement il m’offre son service. Voylà pour un captif parler bien librement, Mais il ne devoit pas finir si pauvrement, L'Amour est de ce mal la mortelle ennemie, Et pour un pauvre Amant je serois endormie. Ainsi que de ses Vers vous rirés de l’objet. Mais qui t’en feroit voir sur un autre sujet ? De qui ?         Dissimulons. D'un jeune Gentilhomme Mon plus intime amy, qui t’aime.         Et qui se nomme ? Son nom ne se dit pas.         C'est luy-mesme. Et pourquoy ? Pour cause, les voicy, c’est un recit pour toy, Au balet que...         J'entens ce que vous voulés dire, Voyons.         A ce penser il faut que je soupire, Là, mes superbes sens furent humiliés, Et ta grace à danser foula mon cœur aux piés. Epargnés ces discours où l’amour vous emporte. Tu devois à peu pres nous parler de la sorte. Vous avés leu les miens, que je lise ceux-ci. Il est juste, tiens donc, tu peux en rire aussi. Si je vous semble Egiptienne, Je n’en ay que l’habit, l’adresse et les cheveux, Et quoy que d’un Cesar leur Reine ait eu les vœux, Sa beauté toutefois fut moindre que la mienne. J'attire à moy tous les humains, Curieux de me voir ainsi que de m’entendre, Et pas un ne se peut defendre Des coups où mes beaux yeux font l’office des mains. Je donne aux ames la torture, Je ne prens que des cœurs, mes larcins sont hardis, Et je fais mieux que je ne dis, La bonne ou mauvaise avanture. Mes compagnes et moy d’une adresse subtile Nous volons en tous lieux, Mais de tout nôtre bien je leur quite l’utile, Et ne profite point que du delicieux. Comme on void nos larcins estre fort différens, Nos restitutions ont des effets contraires, La leur oblige fort, et moy lorsque je rens, Je cause des douleurs ameres, Et l’on me fait mille prieres De retenir tousjours ce que je prens. Que t’en semble ?         L'ouvrage est sans doute admirable, Heureuse si le sens en étoit véritable. Je le puis assurer sans faire le flateur. Si vous craignés encor qu’on découvre l’autheur, Suivés-moy seulement.         Sçais-tu qui ce peut estre ? Je le vay deguiser, il se fait trop conestre, Mais il faut qu’avec moy vous y mettiés la main. Elle s’en doute, Amour seconde son dessein. Fin du second Acte. Au secours, je suis mort, ha ! quelle destinée M'a fait treuver ces chiens dans leur rage obstinée ? Sans doute nos mâtins font quelque bon repas, Ils cessent d’aboyer, suy moy, doublons le pas. O Dieux ! je n’en puis plus.         J'entens quelqu’un se plaindre. Approche ta lumiere, et garde de l’éteindre. Ma foy c’est un berger prest à laisser sa peau, Tu verras que nos chiens sont apres le troupeau. Es-tu mort ?     Je me meurs.         Hé ! qui diable t’ameine En ces lieux, et de nuit ?         Ma fortune inhumaine, Mais sans plus discourir, de grace assistés-moy. Apres, qui nous payra ?     Moy-mesme.         As-tu de quoy ? Je ne fais rien pour rien, songe à quoy tu t’engages. Ouy, tenés, ce ducat vous servira de gages. Prens courage à present, va, croy moy, ce n’est rien, Quant tu seras guery tu te porteras bien. Un ducat d’un berger !         Amis, qui vous arreste ? Ca, donne-moy tes piés, toy prens-le par la teste, Une vieille entre nous par un magique sort, En touchant de l’argent feroit revivre un mort, Nous allons de ce pas te porter dans sa tante, Pour en estre content, rens-la devant contente. Je n’épargneray rien pour mon soulagement. Mon fils, où courés-vous ?         Arrestés un moment. La voyla, je l’entens, approchés bonne mere, Voicy de la pratique.         O Dieux quelle misere ! C'est la cause du bruit qui vous faisoit courir. Ma tante dépechons, il faut le secourir. Hé bien, qu’est-ce qui fait le sujet de tes plaintes ? Les dens de vos mâtins sur mes jambes empraintes. Helas ! si dans le temps qu’ils me faisoient ce mal, Il ne fut par bon-heur passé quelque animal, Dessus qui maintenant ils repaissent leur rage, Ils n’auroient pas encore arresté leur outrage. Si je te puis guerir que me donneras-tu ? L'or est un prompt remede, et de grande vertu, Le baume le meilleur coule de cette source, Et pour fermer la playe il fait ouvrir la bource. Hâtés ma guerison de tout vôtre pouvoir, Je vous contenteray par dessus vôtre espoir. Enfans, portés-le donc en la plus proche tante, Ma fille va querir de mon divin Nepante Je gueris avec luy toute sorte de maux, Mais il faut sur les tiens murmurer quelques mots, Pour arrester le sang qui coule en abondance. Mon mal va jusqu’au cœur.         Amy, prens patience. Ne l’as-tu point tantost assés considéré ? Cours, es-tu revenuë ?         Il est trop assuré, C'est nôtre Poëte, ô Dieux ! quelle est son entreprise, De nuit, et déguisé, je crains quelque surprise. Soleil dont la lumiere est si douce à mes yeux, Tarderas-tu long-temps de parétre en ces lieux ? Non, il est tantost jour.         Sa divine presence Peut des maux que je sens charmer la violence. Entrés-là, c’en est fait, son sang est arresté. O discours salutaire en cette extremité. Quoy déjà de retour ?         Viste, ma fille apporte. La charité m’oblige à courir de la sorte. Tu dois, s’il est ainsi, faire quelques effors, Pour soulager mon ame aussi bien que son corps. Si vous n’avés besoin que de ma diligence... Tu pourois sans courir hâter mon alegeance. Te voylà bien, à Dieu, repose en seureté, Tandis que j’en vay faire autant de mon côté, Si pour ta guerison trop long-temps je someille, Aprens qu’au son de l’or nôtre soin se réveille. Sa mine et son discours me font conestre assés Que vos soins quelque jour seront recompensés. J'entens bien dés demain recevoir mon salaire, Fut-il mon propre enfant, fut-il mon propre frere, S'il m’avoit fait attendre apres luy plus long-temps, L'un de l’autre tous deux nous serions mécontens, Point d’argent, point d’unguent, dessus cette pensée Allons nous retirer.         Qu'elle est intéressée ! Ma tante allés devant, nous vous suivons de prez. Les Lauriers d’Apollon sont changez en Cyprez. Comment ? à ce discours je ne puis rien comprendre. Le plaisant accident que je vous vais apprendre ! Qu'est-ce donc mon soucy ?         Mais me promettés-vous ? Ouy, parle, que veux-tu ?         De n’estre point jalous. Assis entre les Dieux, et parmi l’ambroisie, Qui pouroit à present troubler ma fantaisie ? Ce mal nous vient souvent d’un soupçon plus leger. Qui pensés-vous que soit ce malheureux berger ? Parle-tu du blessé ?         Je parle de luy-mesme. Le connois-tu d’ailleurs ? est-ce quelqu’un qui t’aime ? N'exciteray-je point une mauvaise humeur ? Point du tout.         Sçachez donc que c’est nôtre rimeur. Quoy, celuy dont tantost nous avons leu des Stances ? Celuy-là mesme, autheur de ces extravagances. Ha ! certes j’ay pitié de ce pauvre garçon. Le sort le persecute en plus d’une façon, Ce n’estoit pas assés qu’il eut mal à la teste, Il falloit que ses piés...         Enfin c’est ta conqueste, Pourquoy traiter si mal un si fidelle Amant ? Tu l’as porté peut-estre à ce déguisement. Ne voyla pas déja des effets de ma crainte. Vous estes donc jaloux.         Est-ce franchise ou feinte ? Moy, jaloux, nullement.         L'estrange vision De me croire complice en cette occasion ! Hé bien, pour avoir paix, et me montrer fidelle, Je ne le verray point.         C'est estre bien cruelle. Je vous ay fait déja deux fois mon confident, J'attens de vous le mesme en pareil accident, Ne me procurés point le mal dont je vous prive, Et chassons le martel aussi-tost qu’il arrive. Si je pouvois un jour t’en causer en effet, Je serois bien vangé du mal que m’as fait. Ha ! ma sainte amitié defend cette vangeance, Adieu, separons-nous en bonne intelligence. Un baiser tout au moins m’en fera la raison, Peut-on cueillir ce fruit en plus belle saison ? Est-ce là ce respect et cette retenuë ? Ouy, mal-gré mon amour mon respect continuë, Mais c’est une faveur permise à mon desir. Nous en disputerons le jour plus à loisir. Je n’ay pas entendu que ce fut à toute heure. La nuit, et sans témoins elle seroit meilleure. Loin de ces beaux charmeurs qui corrompent les sens, Donnons un libre cours à nos desirs pressans, Amour, foy, complaisance, incomparable idée, Dont par enchantement mon ame est possedée, Retirés-vous comme eux, et me laissés icy Examiner à part l’objet de mon soucy, Vôtre ligue est trop forte, et cette conference Demande une severe et juste indifference, Mon cœur à vôtre aspect n’agit point librement, Bref vous estes suspects à nôtre jugement. Ce rival odieux plus conforme à sa guise, Connoist, void, parle, escrit, vient de nuit, se déguise, Et je ne croirois pas qu’un favorable aveu Au mépris de ma flame entretienne son feu ; Ha, que ta trahison visiblement éclate ! Inconstante beauté, lâche cœur, ame ingrate, Dont l’adresse perfide a caché sous des fleurs Le dangereux aspic qui cause mes douleurs. Ne suis-je descendu du plus haut rang de gloire Dans ce honteux estat qui ternit ma memoire ? Ne t’avois-je promis d’élever ton bon-heur Au faiste des plaisirs, des biens et de l’honneur ? Enfin n’ay-je engagé mes plus belles années A suivre avecque toy d’infames destinées, Que pour voir preferer à mon chaste dessein Celuy d’un suborneur qui regne dans ton sein ? Acheve d’eriger ton indigne trophée, Sur le reste mourant de ma flame estouffée, Comble-le de faveurs en me comblant d’ennuis, Tout m’est indifferent en l’estat où je suis, Ton lâche mouvement vient d’arrester ma course, Et je vay remonter à mon illustre source. Mais pouray-je accomplir le projet que je fais ? Non, j’aime trop mes fers pour en sortir jamais : Impuissans ennemis du Dieu qui me maitrise, Sçavés-vous quelle chaine arreste ma franchise ? Sçavés-vous le pouvoir de ces noirs assassins , Qui me percent le cœur, et rompent vos desseins ? Si les trais et les feux vous marquent leur puissance, Que ne me rangés-vous sous leur obeissance, Et si de ces brillans vous ignorés le prix, Pourquoy me conseiller un injuste mépris ? Devés-vous pas avoir beaucoup de retenuë A dire vôtre avis d’une chose inconnuë ? Conseillers indiscrets, ou laissés-moy perir, Ou par d’autres moyens venés me secourir. Quoy donc je fay regner mon amour dereglée ? Quelle ombre, ou quel grand jour à mon ame aveuglée ? On s’offre à me tirer d’une infame prison, Et ce zele obligeant me paroist trahison, A quel point m’a reduit ma fiere destinée ? Dans cet aveuglement mon ame est obstinée, A me faire du mal je suis ingenieux, Et qui me veut aider me semble injurieux, De qui doy-je esperer un effet secourable, Puisque ma volonté ne m’est pas favorable ? Mais pour mieux profiter de ce raisonnement, Tirons de ce rival un éclaircissement, Arrachons son aveu par force ou par adresse, Et perdons puis apres le traitre et la traitresse. Camarade, dors-tu ?         Les langueurs que je sens Commençoient d’assoupir mes esprits et mes sens. Hé bien, que dit le cœur ? comment vont tes morsures ? Comme il plaist au destin qui m’a fait ces blessures. Je plains ton infortune, et j’en suis bien marry. Dans trois jours au plus tard tu seras tout guery. Mais qui te presse ainsi ? quelle affaire importante Te fait marcher de nuit, et devers cette tante ? Parle.     Helas !         Je le tiens, ce discours l’a surpris. Répons-moy, que crains-tu ? r'appelle tes esprits, Tu peux m’entretenir avec toute assurance. Hé de quoy ? de douleurs, de peine, de souffrance, C'est là tout l’entretien que vous pourriés avoir, Déplaisant à donner, et triste à recevoir... Voyés qu’il equivoque, et qu’il feint bien le traitre. Plus je t’entens parler, plus je te croy conestre, Ta mine et cet estat ont trop peu de rapport, Et ce rustique habit cache un plus noble sort, Confesse.     Plût au Ciel.         Ma pensée est trop vraye, Et me fait découvrir une nouvelle playe, Mon ame a succombé sous de plus doux effors, N'est-elle pas blessée encor plus que ton corps ? Certes, s’il est ainsi que je me l’imagine, Tu merite le bien que l’Amour te destine. Nous avons entre nous une jeune beauté, Dont l’éclat a de l’air de la Divinité, Un cœur aura receu son adorable Image, Et par son ordre exprez tu viens luy rendre hommage. Rien moins.         Ce rare effet de ta discretion Te rend plus digne encor de son affection. Perdés encore un coup cette injuste pensée, Dont sa chaste pudeur pouroit estre offensée. Comme il prend son parti, mais allons jusqu’au bout, Il faut apres cela qu’il me declare tout. A quoy bon, découvert te cacher davantage ? Je ne puis avouer un si faux avantage. Pour estre Egiptien ne croy pas que mon cœur Ignore le pouvoir de ce noble vainqueur, Je sçay bien que l’Amour porte à d’estranges choses, Et je pourois parler de ses Metamorfoses. Ne me cele donc plus ton dessein ni tes feux, La belle Egiptienne est digne de tes vœux, Bien loin de la blâmer j’estime ton adresse, Et je te veux servir auprez de ta maitresse. Ton zele enfin me charme, et ta civilité Me force à contenter ta curiosité, Mon cœur s’ouvre de joye au nom de cette belle, J'ay l’heur de la connestre, et d’estre connu d’elle, Et puisque tu peux lire en ce cœur malheureux, Je ne te niray plus que j’en suis amoureux. Apres avoir langui, enfin ce mot me tuë. Elle a rendu la force à mon ame abatuë, Et l’appareil plus doux à mon mal furieux, Fut le charme innocent qui vint de ses beaux yeux. Il guerit et je meurs, mais la rage m’anime, De ton rare merite elle fait grand’ estime. Si peu.         Quoy tu t’en plains, ha ! n’en fais plus le fin, Acheve d’exposer ton bien-heureux destin, Nous sommes, tu le sçais, les plus secrets du monde. As-tu de ses faveurs ? ta gloire est sans seconde, Montre-les moy, de grace, et ne me cache rien, Fay moy ton confident, je te feray le mien, Sous d’autres vestemens j’ay fait des avantures, Dignes de raconter à nos races futures, Et sans aller plus loin que ce mesme sejour, Je t’en pourois conter une du dernier jour, Qui vaut bien à mon gré la peine de l’entendre. Que je seray ravy si tu veux me l’apprendre ! Tu me fermes la bouche en me fermant ton coeur, Et tu me crois sans doute indiscret ou moqueur, Voy-tu ? ne couvre plus une flame apparente, Et sçache que la fille est ma proche parente, Que je vous puis servir tous deux en vos amours, Vous faisant preferer des nuits aux plus beaux jours. Je ne refuse pas cette offre avantageuse, Mais mieux que son parent je connoy Precieuse, On ne peut faire bréche à sa chaste vertu, Par discours, par presens, en vain j’ay combatu, Rien ne peut ébranler cette vivante roche, Mille trais enflamés en défendent l’approche, Et lorsqu’on la permet, c’est pour mieux faire voir Que sans intelligence on ne la peut avoir. Ha ! ce dernier discours me redonne la vie, Mais redoublons l’épreuve, et sçachons son envie. Dy ce que tu voudras pour cacher ton dessein, Je voy ce que tous deux vous avés dans le sein, Et dedans vôtre amour mon zele s’interesse, Mais enfin la veux-tu pour femme ou pour maitresse ? Si tu la veux pour femme, hé bien dans peu de temps J'y feray consentir tous ses autres parens, Sinon il ne faut point tant de ceremonies, De semblables vertus parmi nous sont banies, Pourveu que nous voyons quelque somme d’argent. Cher ami, ce discours est par trop obligeant. En as-tu ?         J'ay sur moy quelques six vingts pistoles. C'est pour la suborner. Donc sans plus de paroles Laisse-moy faire.         Hélas ! pers ce soin odieux, Puisqu’un autre dessein m’a conduit en ces lieux, Ce n’est pas qu’en effet je n’aime Precieuse, Et que ma passion ne me soit glorieuse : Mais de mon seul destin l’implacable couroux Me fait venir chercher un azile entre vous. Apprens en peu de mots le sujet qui m’ameine, Qui m’a fait déguiser, et qui cause ma peine. La mort d’un Cavalier couché sur le pavé, Dedans une querelle où je m’estois treuvé, Me fit quiter Séville, et venir à Tolede Pour treuver dans ma fuite un assuré remede. Mes parens cependant qui sçavent où je suis, Avertis du danger où mes jours sont réduis, M'ont fait donner avis cette mesme soirée, Que j’eusse à me pourvoir de retraite assurée, Tout ce que j’ay pû faire en ce pressant soucy, Est de changer d’habit, et de venir icy, Contre les trais du sort implorer assistance. Si ce n’est que cela repose en assurance, Je m’en vay de ce pas y resoudre nos gens. Va, je reconnestray tant de soins obligeans. Marche droit hardiment, ou mon ame abusée Sçaura bien se vanger de ta flame rusée, Qui cherche ma maitresse il cherche le trespas, Je t’irois immoler, à ses yeux, dans ses bras, Et si son lâche cœur trempoit dedans ton crime, J'abatrois d’un seul coup l’autel et la victime. Fin du troisieme Acte. Mais tu ne me dis rien de ce pauvre blessé, Est-ce ainsi qu’un Amant doit estre delaissé ? Est-ce ainsi que l’amour doit ceder à la crainte ? Que vous estes adroit à couvrir une feinte ! Vous l’avés veu sans doute.         Ouy, je l’ay visité, J'ay plus de soin que toy, j’ay plus de charité. S'il est vray qu’on appelle ainsi la jalousie. J'ay flaté la douleur dont son ame est saisie, Et mesme j’ay promis de l’en faire guerir. Apres avoir eu soin de vous bien enquerir, Mais se porte-t’il mieux ?         Je crains qu’il ne se trouble, Sa playe est toute en feu, la fiévre luy redouble, Enfin il est fort mal, tu devois bien aussi Faire en sorte qu’il vint plus surement icy, Et c’étoit bien assés du feu qui le devore. Quoy ? sur cet accident vous me raillés encore, Apprenés-moy plustost quel etrange dessein Sous ce rustique habit il cache dans le sein, Ce secret n’aura pas échapé vôtre adresse. Il ne le dira point qu’à sa seule maitresse, Et je me suis chargé pour son allegement, D'obtenir l’entretien d’une heure seulement, Ne luy refuse pas un bien si desirable, Et prepare à ses vœux un acueil favorable. Ha ! le fâcheux objet.         Hé quel mal-heur si prompt Vous met la flame aux yeux et la rougeur au front ? Ha ! c’est une Maistresse.         Une fille importune. Hé bien, faut-il rougir d’une bonne fortune ? Voyla ce que produit vôtre sombre beauté, Et le fard que je donne à cette qualité, Mais sa peine m’oblige à vous laisser ensemble. Voy mon dernier refus.         Le voyla, mais je tremble. Prié par ce regard si doux et si charmant D'une heure d’entretien pour son allegement, Ne luy refusés pas un bien si desirable, Et faites à ses vœux un acueil favorable. Je voy bien ce que c’est, tu veux rire à ton tour, Mais ne croy pas au moins...         Adieu, jusqu’au retour. Feignons de l’arrester, quoy qui nous en avienne, Où va si promptement la belle Egiptienne ? Peut-on pour un moment icy l’entretenir ? Je ne suis point du tout sçavante en l’avenir. Celuy que vous voyés suivant ma conjecture, Vous dira mieux que moy vôtre bonne avanture. Hélas ! elle a raison, éprouvons son avis. De quel nouveau mal-heur mes jours sont-ils suivis ? Madame, vous m’offrés un honneur qui m’étonne. J'ay veu de vôtre part l’une et l’autre personne, Toutes deux m’ont parlé de vôtre indigne choix, Toutes deux m’ont ravy l’usage de la voix, Et maintenant encor je ne sçay que répondre, Trop d’éclat m’éblouit, trop d’heur me vient confondre, Et ces rares faveurs me font imaginer Qu'à quelque autre qu’à moy vous croyés les donner : Sortés de vôtre erreur, voyés ce que vous faites, Regardés qui je suis, et songés qui vous estes, Si vos yeux ont un voile, ou si vous sommeillés, Arrachés-le, Madame, ou bien vous éveillés. Non, non, ma passion ne m’a point aveuglée, C'est toy seul qui la rens et juste et déreglée, Tu contrains à t’aimer quiconque ose te voir, Et c’est le moindre effet de ton charmant pouvoir. Mon ame te sentit dès que mes yeux te veirent, Ta douceur m’enchanta, tes graces me ravirent, Je treuvay de l’éclat dans ce teint bazané, Et d’une obscure tige un noble Amour est né, Amour qui te remet les biens que je possede, En quoy sçache que nul ne m’égalle à Tolede, Amour qui t’offre encore un tresor plus exquis, Triomphe beau vainqueur après avoir conquis : De ce mesme regard qui me meit toute en flame, Lance un rayon d’espoir qui contente mon ame, Modere ton tourment, et romps enfin le sort Qui l’agite, la trouble, et me donne la mort. Nôtre pouvoir est vain pour les charmes de l’ame, Et ce sont les démons qu’en ce point on reclame. Autre démon que toy ne l’y sceut attacher, Autre démon que toy ne l’en peut arracher, Laisse, laisse cruel une importune feinte Qui donne à mon amour une mortelle atteinte. De Roy ne devient point un tyran de mon cœur, Ni de maitre adorable un insolent vainqueur, Que l’amitié succede à la feinte banie, N'ajoûte point la honte à ma peine infinie, Ne méle point l’orgueil aux belles qualités Que je vois au travers de ces obscurités. Quoy, manquay-je d’apas ? quoy, manquay-je de charmes Qui puissent t’obliger à me rendre les armes ? Ma personne, mes biens, et ma condition, Ne peuvent-ils forcer ton inclination ? Ne peux-tu preferer à cette vie infame L'avantageux bon-heur de m’avoir pour ta femme ? Quitte, quitte la honte où le sort t’engagea, Sors de cette misere où le sort te plongea, Seconde mes desirs en faveur de toy-mesme, Respons au nom d’Hymen à mon amour extréme, Par là, de mes tresors tu deviens possesseur, Tu vivras avec gloire, en paix, dans la douceur, Et goûtant des plaisirs tous purs et sans limites, Braveras la Fortune ingratte à tes mérites. Descendre jusqu’à moy, m’élever jusqu’à vous, D'un pauvre Egiptien en faire vôtre époux, Ravi d’une si haute et si rare merveille, Quoy que prez d’un soleil je doute si je veille, Et je ne comprens pas par quel heureux destin J'ai pû faire un si noble, et si riche butin. A quelles dures lois est mon ame asservie, Que je ne puisse pas contenter vôtre envie, Que je ne puisse pas jouir de ce bon-heur Qui contient le plaisir, la richesse et l’honneur ? Ha ! c’est bien maintenant que l’ingratte Fortune Me fait sentir les trais de sa haine importune, Me venant d’une main un tresor presenter, Que l’autre au mesme instant me defend d’accepter. Dans ce consentement que ta grace m’octroye, Qui s’oppose à ton bien ? qui s’oppose à ma joye ? La rigueur de nos loix, qui veut que parmi nous Nous prénions une femme et la fille un époux, Lors par qui mon mal-heur a sa rage assouvie, Et qu’il faut observer sur peine de la vie. Je te sauve de tout par mon authorité. Vous ne me sauvés pas de l’infidelité. Es-tu déjà soûmis au joug de l’Hymenée ? J'espere voir bien-tost cette heureuse journée. L'avantage en ce cas te permet de changer. Trop puissant est l’objet qui me sceut engager, Mais cet objet enfin n’est qu’une Egiptienne. Sa vertu me plaist mieux qu’une race ancienne. Quiconque a l’une et l’autre, elle est à preferer. De la seule vertu je puis tout esperer. Prens la possession, et quitte l’esperance. Je me tiens à l’espoir, qui m’en donne assurance. Le mal-heur trop souvent suit cet esprit flateur. Quoy qui puisse arriver j’en beniray l’autheur. La misere et l’orgueil ne sont pas bien ensemble. J'aime dans mon destin le nœud qui les assemble. Quoy ? mon atente est vaine, et je souffre un refus. Je ne vous puis donner un cœur que je n’ay plus. Quoy d’un Egiptien je me voy refusée ! Quoy d’un fier vagabond je me voy méprisée ! Ma faveur le poursuit, il suit d’autres apas, Je luy parle d’Hymen, il ne l’accepte pas, Honte, dépit, affront, ressentiment, vengeance, Laissés-vous triompher cette superbe engeance ? Souffrés-vous que ce traitre avec impunité Profane ma vertu, ma gloire et ma beauté ? Au secours ma fureur, viste forgeons un foudre, Qui reduise à mes yeux ces deux amans en poudre, Faisons pour le haster des effors merveilleux, Et lançons-le d’abord sur ce roc orgueilleux, Roc qui brave le Ciel qui s’atache à la terre ; Et semble défier les éclats du tonnerre, Bien-tost, bien-tost, ingrat, il va tomber sur toy, Tu sçauras ce que c’est de se moquer de moy, Tu sçauras ce que c’est de mépriser ma flame, Et de me preferer je ne sçay quelle infame, Tu ne tiens pas encor cet objet de tes vœux, Tu periras au port, et peut-estre tous deux, Je te vays de ce pas faire charger de chaines, Je te vays exposer aux plus cruelles génes, Et tu confesseras dans l’horreur de tes fers, Qu'il vaudroit mieux vivant tomber dans les enfers, Qu'au pouvoir irrité d’une amante enragée D'un indigne mépris dont je seray vangée. Bon augure, il est seul, mais las ! en peu de temps On peut beaucoup resoudre. Est-ce luy que j’entens ? Quoy soûpirer tout seul ? cette belle Maitresse Vous a quitté trop tost, c’est le mal qui vous presse. Que vous estes confus ! vous deviés bien aussi Luy donner rendés-vous en autre lieu qu’icy, Et c’est un peu manquer d’adresse et de prudence, Contés-moy vos transpors, Dieux le triste silence ! Vous ne me dites mot, mais quelle est mon erreur ? Peut-on garder la voix ayant perdu le cœur ? Amour, que ton pouvoir tyranise nos ames, Et que de ton flambeau sortent d’étranges flames ! Il est vray que l’Amour est un étrange Dieu, Il nous prend, il nous laisse, en tout temps, en tout lieu. Que dans ce changement une fille est à craindre. Non, non, ne craignés rien, j’aurois tort de m’en plaindre. Que cette affaire, helas, est fatale à ma foy ! Vous y puis-je servir ? voyés, employés-moy. Dieu ! quelle est ta malice, ha ! sois moins soupçonneuse. Il le faut avouër, je suis bien mal-heureuse, Je souffre tout, je m’offre, et le veux consoler, Et pour tant de bontés il me vient quereller. Pardon, tu vois mon ame encor toute agitée Du menaçant couroux d’une amante irritée. Est-ce à moy qu’elle en veut ? j’implore, beau vainqueur, Le pouvoir que l’Amour vous donne sur son cœur, Sauvés-moy du danger que prepare sa rage. Je suis compris aussi dans ce mortel orage, Mais le Ciel m’est témoin si j’ay peur que pour toy, Quoy que cette enragée ait vomy contre moy, Quelques fers qu’à present me forge sa malice, Je ne me plaindrois point d’un si proche supplice, Si ce mesme démon pour crestre mes douleurs, Ne vouloit t’exposer à de mesmes mal-heurs ; Je crains que sa menace enfin ne s’effectuë, Et c’est ce qui me trouble, et c’est qui me tuë, Fuyons, si tu m’en crois, de ce lieu mal-heureux. Fort bien, pour mieux nier vos larcins amoureux. Peut-on couvrir sa faute avec plus d’industrie ? Tréve, tréve, mon cœur à cette raillerie, L'orage dessus nous est tout prest à crever, Et nous sommes perdus si l’on nous peut treuver. Je ne puis croire encor ce projet detestable. Helas ! nôtre mal-heur le rend trop veritable. Dieux ! que m’apprenés-vous ?         Un sanglant desespoir, Mais fuyons j’oy du bruit.         Que je crains son pouvoir ! Courons donc du depart prier le Capitaine, Faut-il qu’à mon sujet vous ayés tant de peine ? O Ciel ! contre ces traits daigne armer nôtre sein, Ou bien fais avorter ce damnable dessein. Je bénis ce rencontre à mes yeux favorable, J'allois vous supplier de m’estre secourable. En quoy ? me voyla prest, et je me sens ravir Du glorieux bon-heur de vous pouvoir servir. Ces infames autheurs de mille fourberies Me sont venus voler toutes mes pierreries, Et je n’ay point d’espoir de recouvrer ce bien, Que par vôtre assistance, et par vôtre moyen. Il faut pour cet effet prendre le Capitaine, Nôtre exacte recherche autrement seroit vaine. Un certain entre tous d’assés bonne façon, De tout le voisinage attire le soupçon, On l’a veu qui rodoit fort prez de nôtre porte, Et les plus assurés l’ont dépeint de la sorte, Châtain clair, un peu gréle, et le plus haut de tous, Qui semble le plus propre à de semblables coups, Et dont la mine dit qu’il en a bien fait d’autres : Faites-le moy d’abord saisir par un des vôtres, Apres, nous fouillerons et sa valise et luy. Ces assés, ces voleurs rendront tout aujourd’huy. Ne perdons point de temps, l’affaire est d’importance, Allons, c’est icy prez, et s’ils font resistance, Sans attendre ma voix, main basse, tués tout, Du meurtre general mon pouvoir vous absout. Je te tiens arrogant, et ta perte arrestée Va vanger mon amour lachement rejetée, Ma fourbe par mes mains conduite adrétement, Prépare à ton orgueil un juste châtiment, Et ces joyaux tirés du fond de ta valise Feront selon mes vœux réussir l’entreprise. Ouy, je treuve à propos d’éviter sa fureur, La femme en se vengeant va jusques à l’horreur, La flame méprisée allume d’autres flames, Dans leurs caresses mesme il faut craindre les femmes, C'et pourquoy que chacun se prepare au depart, Afin de déloger quand il sera plus tard, Nous pouvons cette nuit choisir une retraite, Et les bois en sont une assurée et secrete. A quelle extremité vous ay-je ici reduit ? Ha ! mon cœur, c’est bien moy...         Ne faisons point de bruit, Et ne poursuivés point cette plainte inutille, Je m’en vay cependant faire un tour dans la ville, Afin d’en ramener quelques-uns de nos gens. Ainsi rien ne s’oppose à vos soins diligens. Sur nos chastes desseins mon amour se repose. On dit bien vray, l’épine est proche de la rose. Demeurés. Le premier qui fait le moindre effort. Ha bon Dieu ! qu’est cecy ?         Je le tuë, il est mort. Il faut restituer à cette jeune Dame Ses joyaux qu’on a pris.     L'effrontée !         Ha ! l’infame. Vous peut-elle preuver son accusation ? On ne connoist que trop l’autheur de l’action. Ouy, voyla mon voleur.     Moy !         Toy-mesme en personne, Toy que l’on m’a dépeint, et que chacun soupçonne. Celle qui m’a prié m’ose-t’elle accuser ? Craint-elle point la honte où je puis l’exposer ? Non, non, tout maintenant je veux qu’on me les rende, Ou l’on va t’enchainer avec toute la bande, Voyés qu’il est rusé : Sans faire plus de bruit Je les auray, dit-il, et devant qu’il soit nuit. Justes Dieux souffrés-vous cette lâche imposture ? Son bagage fouillé prouve ma conjecture, Commandés qu’on l’apporte.         Ouy, qu’on l’aille querir, Si tout ne m’appartient je consens à périr. Que ta fidelité me va coûter de larmes ! Qui croiroit tant de ruses avecque tant de charmes ? C'est l’aspic sous les fleurs.         La veue en fera foy. Ne fiés, s’il vous plaist, la recherche qu’à moy. Elle vous appartient estant interessée. Nous n’aurions point ces maux si l’on l’eut caressée. Apporte icy, mets là, vous verrés si j’ay tort D'accuser ce voleur.     Quel titre !         Mais quel sort ! Ne voyla pas déjà mes bracelets, ma chaine ? Pour découvrir le reste il ne faut point de géne. Que voy-je ?     Ton larcin.         Dieux que je suis confus ! Tu dois bien l’estre aussi, si jamais tu le fus, Bon, je tiens mon colier, il faut que tout revienne, Oseras-tu nier que ce bien m’appartienne ? Tout cela ne se fait que par enchantement. Il me revient encore un certain diamant, Cherchons bien.         Juste Ciel fay voir son innocence. C'est de luy seulement que j’attens ma defense. Courage, le voicy, nous tenons tout. Enfin Confesse qu’avec moy tu n’es pas le plus fin. Ouy, je succombe aux trais de ta noire malice. Il m’injurie encor.         Viste, qu’on le saisisse, Et qu’on le mette aux fers.         Ecoutés pour le moins. Que peut-il alleguer, faut-il d’autres témoins ? Commandés qu’il se taise.         Ha monstre que j’abhorre ! Tu m’empesches en vain.         Tu discoures encore. Ha Dieu, quelle impudence !         Un soufflet, effronté ! Ton sang me vangera de ta temerité. Empeschés.     C'en est fait, il est mort.         Quoy perfide, A ton larcin encor ajoûter l’homicide ! Je n’enduray jamais de semblables affrons. Il faut le dépescher.         C'est ce que nous ferons. Amis, vangés la mort de vôtre camarade, Immolés-luy ce traitre, et toute sa brigade, Encor sera-ce peu pour contenter son sang. Allons, et que pas un ne sorte de son rang, L'arrest du Senéchal fera punir son crime. Bourreaux, vous lâcherés cette illustre victime, Et je luy vay conter, lâche, ta trahison. Vous autres, vous aurés mon logis pour prison. Je sçauray reconnestre un si loüable office. Je seray toujours prest à vous rendre service. Fin du quatriéme Acte. Vous voyés bien, Monsieur, par cet évenement, Qu'hier je combatois vos bontés justement, Et qu’avecque raison mon ame estoit génée De la permission que vous aviés donnée : Ces démons que le Ciel eut déjà foudroyés, Si comme un de ses fleaux il n’estoient envoyés, Ont-ils pû s’abstenir de leur crime ordinaire ? Mais pour ce rare effort comment pouroient-ils faire ? Ils semblent destinés à ce mestier honteux, Ils naissent de larrons, sont nourris avec eux, Et du premier moment qu’ils se peuvent connestre, S'efforcent d’imiter ceux dont ils tienent l’estre, Tant ce charme odieux est puissant sur leurs cœurs, Il faut donc l’arracher par d’extrémes rigueurs, Et qu’un arrest de flame en ce jour extérmine Ces noirs autheurs de maux, de fraude et de rapine. Madame, il est certain qu’un foudre rougissant Devroit exterminer cet hydre renaissant, Encor que tels voleurs, quoy qu’il nous puissent prendre, Par un droit ancien soient quites pour le rendre : Mais le meurtre jamais ne se doit pardonner, Et l’homicide ouy je le vay condamner. N'en demeurés pas là, que de rudes suplices Soient aussi preparés pour ses lâches complices ; Une seule entre tous m’excite à la pitié, Et par un tendre instinct gagne mon amitié, Ce charme de nos cœurs, ce jeune astre qui brille, Me fait ressouvenir de nôtre chere fille, A ce triste penser, coulés, coulés mes pleurs. Ne renouvellés point nos sensibles douleurs, Et laissons faire au Ciel, dont la toute-puissance Des secrets plus cachés sçait donner connessance. Helas ! depuis douze ans qu’un destin mal-heureux Nous ravit à Madrid ce gage de nos feux, Au travers des ennuis dont je suis possedee, Cet objet que je plains m’en retrace l’idee. Cela luy doit valoir quelque meilleur parti, Son sort avec ce traitre estoit mal assorti, Pour un plus noble époux elle semble estre nee. Comment ? au criminel elle estoit destinée. En m’apprenant son crime on me l’a dit ainsi, Mais dessus ce propos je croy que la voicy, Considérés, Monsieur, sa grace non commune, Et ce front dont l’éclat repugne à sa fortune. En effet, j’y remarque un air tout glorieux, Laissés faire à mes soins, je la pourvoiray mieux. La vertu sollicite aujourd’huy pour le vice. Il la faut escouter.         Ha ! Monseigneur, justice, Delivrés mon époux, sauvés un innocent, Sa vertu vous en prie, et le Ciel y consent, S'il meurt, je doy mourir, c’est à tort qu’on l’accuse, Le vol qu’on luy suppose est l’effet d’une ruse, C'est un mauvais office, et qui part d’un démon Dont il vous apprendra la malice et le nom, Faites-luy seulement la faveur de l’entendre, Escoutés ses raisons qui le sçauront defendre, Et ne vous hâtés pas de juger ce procez, Dont le Ciel par vos soins me promet bon succez. Ma fille, laisse là l’interest d’un perfide, Le vol peut estre faux, et non pas l’homicide. Il est vray que son bras l’a vangé d’un affront Qui fait rougir ensemble et sa jouë et son front, Il est homme d’honneur, et dans son innocence Endurer un soufflet excedoit sa puissance : Mais, Monsieur, nous mettons nos biens à l’abandon, Pour obtenir plustost un si juste pardon, Et si, pour accorder sa grace à nostre envie, Ils ne suffisent pas, j’offre encore ma vie, Qu'on me mette en sa place, et qu’il soit delivré, Il ne sçauroit mourir tandis que je vivray, Il vit dedans mon cœur beaucoup mieux qu’en luy-mesme, Et je suis cause enfin de ce mal-heur extréme. Mais oyés ses raisons.         Cesse de t’affliger, Ouy, tes vœux sont receus, je vay l’interroger, Demeure cependant pour divertir Madame. Je chasseray le dueil qui regne dans son ame. Cette affaire contient des mysteres cachés, Il s’en faut éclaircir.         Hé ! Monsieur, depéchés. Justes Dieux qui sçavés le crime et l’innocence ! N'ordonnés point la peine à qui souffre l’offense. Ne crains point, Precieuse, approche, baise moy, Si l’on luy fait faveur, c’est pour l’amour de toy. Tay toy, seche tes pleurs, banny cette tristesse, Tu briseras d’icy la chaine qui le presse, Et tu sçais emporter d’un effort ravisseur Ce que ta voix demande avec tant de douceur. Quel charme as-tu sur toy dont la force secrete T'obtient si promptement ce que ton cœur souhaite ? Par quel aimable sort te fais-tu tant aimer ? Ha ! ce sont tes beaux yeux qui nous sçavent charmer, Ta beauté, ton esprit, ta grace et ton adresse Elevent jusqu’au Ciel ton indigne bassesse, Bonne mere, approchés.         Dans l’ennuy que je sens Quelle nouvelle peur vient troubler tous mes sens ? Je voy bien qu’en son mal vostre ame s’interesse, Cette fille est à vous.         Madame, c’est ma Niece. Quel âge a-t’elle bien ?         Je croy qu’elle a quinze ans, C'est tout ce que j’en sçay. Ha ! discours déplaisans. Helas ! c’est à peu prez l’âge qu’auroit ma fille, Elle seroit ainsi belle, aimable et gentille, Et rien ne semble mieux à ce gage d’Amour, Qu'on nous ravit si jeune à Madrid en plein jour. Dieu ! Qu'est-ce que j’entens ?         Ha, ma chere Constance ! Voyla son mesme nom.         Montre moy ta presence, Fay nous voir ta personne, et non pas ton portrait. O Ciel ! pour quelque temps cache encor ce secret. Mais quel nouveau soucy semble acrestre ta peine ? Parle un peu, répons-moy.         Si ma priere est vaine, Madame assurés-vous que je cours au trespas, Puisque de mon époux je veux suivre les pas. Ha ! c’est trop affecter sa ville destinée, Espere, Precieuse, un plus noble Hymenée, Ouy, nous voulons donner en cette occasion Un plus illustre objet à ton affection. Sa vertu me contente ainsi que sa naissance, Que puissiés vous, Madame, en avoir connessance, Je cesserois de craindre, et vous de m’affliger, Voulant porter icy mon esprit à changer. Mais encor quelle chaine et si belle et si forte Dedans ses interests t’engage de la sorte ? A-t’il quelque merite, et d’autre qualité Que celle de voler avec subtilité ? Ha ! ne luy donnés point cette honteuse tache, Il est bien éloigné d’un sentiment si lâche, Puisque quelque tresor qu’on lui vint presenter, Je doute avec raison qu’il voulut l’accepter. Il est riche et content, il est sage et fidelle, C'est d’un homme de bien le plus parfait modelle, Et s’il avait l’honneur d’estre connu de vous, Vous vous étonneriés qu’il se fit mon époux. Quoy, tu veux que son corps enferme une belle ame ? Il a le cœur d’un Roy sous cet habit infame. Quoy, tu veux faire croire, estant Egiptien, Qu'il est homme d’honneur, qu’il est homme de bien ? Il se voit à ce conte unique en son espece. Aussi l’est-il, Madame, en merite, en noblesse, Et ce cœur genereux n’eut jamais de second. Quoy, tu veux annoblir un traitre, un vagabond ? Il est ce qu’il vous plaist, mais il est honneste homme, Et vous me croirés mieux s’il faut que je le nomme. Mais il est criminel, et quel que soit son sort, La Justice aujourd’huy doit conclure à sa mort. Qu'ay-je ouy, juste Ciel ! ha ! mon ame abatuë Cede au cruel effort de ce mot qui me tuë : Si j’ay l’honneur encor de plaire à ces beaux yeux Qui sceurent enchanter un Ministre des Dieux, Si vous daignés comme eux defendre l’innocence, Si vostre cœur connoist l’Amour et sa puissance, Si vous avés aimé son joug aimable et doux, Si vous aimés encor vostre fidelle époux, Madame, par vos soins, vos bontés et vos charmes, Par ces divines mains que j’arrose de larmes, Par vostre cher époux, par mes fébles apas, Que vous me témoignés ne vous déplaire pas, Par vostre fille prise en un âge si tendre, Que peut-estre le Ciel se prepare à vous rendre, Par cette ressemblance et ce juste rapport, D'âge, d’aspect, de mœurs, et possible de sort, Enfin au nom d’Hymen je demande une grace, Que la Justice mesme ordonne qu’on nous fasse, Ne laissés point au vice opprimer la vertu, Mon genereux Andres l’a trop bien combatu, Sauvés-le du danger où l’a mis l’imposture, Mon destin est meslé dans sa triste avanture, E s’il succombe aux trais d’une injuste rigueur, Les mesmes trais aussi me perceront le cœur. Quoy qu’il ait fait pour toy, par là tu le surpasses, Heureux dans son mal-heur d’avoir tes bonnes graces, Hé bien, pour t’obliger ; je parleray pour luy, Modere cependant l’excez de ton ennuy. Parlons ; pour seconder une si juste envie, C'est l’unique moyen pour luy sauver la vie. Puis-je esperer, Madame, un pardon ?         Et de quoy ? D'un important larcin que j’ay fait.         Est-ce à moy ? Helas ! ouy, c’est à vous.         La bonne conscience ! Donnés moy, s’il vous plaist, un moment d’audience, Et je vous feray voir ce que je vous ay pris. Un si nouveau remors estonne mes espris, Et déja sur ce point certain desir me presse, Parlés donc,         Quel espoir vient chasser ma tristesse ? Si l’heureux accident que je vay découvrir Ne sçauroit empescher qu’on me fasse mourir, Et si vostre bonté vainement je reclame, Au moins auparavant, lisés cela Madame, Consultés vostre cœur, et voyés bien aussi Si vous reconnestrés le colier que voicy. O funeste present que le sort me renvoye, Quelle confusion de douleur et de joye ! Hé bien qu’est devenu cet enfant precieux ? Est-il vivant ou mort ?         Demandés-le à vos yeux, Si vous ne l’apprenés de vostre fille mesme, La voyla, parlés-luy.         Felicité supréme ! Quoy, c’est là ma Constance ? hé dites-moy comment, Ne laissés point de doute en mon ravissement. Faites-moy donc l’honneur de m’écouter encore. Je pris cette beauté, que tout le monde adore, A l’âge de trois ans, devers cette saison, A Madrid, en plein jour, et dans vôtre maison, J'appris secretement qu’on la nommoit Constance, Et fis écrire un mot de chaque circonstance, Afin que quelque jour tout cela pût servir A luy rendre les biens que j’osois luy ravir, Et sauver l’un de nous d’une mort violente, Comme l’occasion aujourd’huy s’en presente. Depuis elle a vescu mieux que nous ne faisons, En combatant nos mœurs avec mille raisons, Dont les moindres prouvoient par leur force divine La gloire et la vertu de sa noble origine. Est-il vray ? n’est-ce point un fantôme moqueur ? Mais pourquoy dementir et mes yeux et mon cœur ? Ha ! je n’en doute plus, vien mon sang, vien ma vie Redoubler le plaisir dont mon ame est ravie. Madame, je cheris un bon-heur si parfait, D'autant plus que je voy qu’il vous plaist en effet. Apres douze ans d’ennuis et de peine soufferte, Je recouvre en ce jour une si chere perte, Je te revoy, ma fille, ha quel contentement ! O favorable jour, ô bien-heureux moment ! Ouy, tout confirme icy ces faveurs desirees, J'en voy dessus ton bras des marques assurees, Mon œil de ce colier reconnoist la façon, Le sang acheve enfin de lever tout soupçon, Hola, viste quelqu’un.         Ma fille Egiptienne, Allés dire à Monsieur qu’il quitte tout, qu’il vienne, Ma Constance.     Madame.         Unique et cher tresor, Approche, baise-moy, que je t’embrasse encor. Mais parmy ces transpors, quelle estrange disgrace D'un reproche honteux diffame nôtre race ? Deviés-vous l’accorder, sçachant sa qualité, Avec un de vos gens, quelle inegalité ? Madame, il est aussi d’une illustre naissance. O Dieux !         Et son nom seul en donne connessance. L'esprit de vôtre fille avec sa chasteté, D'un pouvoir glorieux secondant sa beauté, Ont fait naitre en plusieurs une amour sans pareille Pour cette incomparable et celeste merveille, Mais Dom Jean de Carcame est le seul entre tous Que j’ay treuvé plus propre à faire son époux, Et d’hier seulement il est en cette ville. Ce nom nous est connu, n’est-il pas de Seville ? Ouy, Madame, et son pere en est le Gouverneur. Ha l’aimable avanture, ha l’insigne bon-heur ! Sois beny juste Ciel d’un destin si prospere, Que ce rare accident va réjouir ton père ! Madame, un doux excez de joye et de plaisirs Arreste bien ma voix, et non pas mes desirs. Que veux-tu ?         Le pardon pour cette bonne mere, Qui tremble et qui fremit au seul nom de mon pere. Faites qu’il s’y contente, appaisés son couroux. Ma bonne Dame, helas ! je n’espere qu’en vous. Dans quelque étrange sort qu’elle m’ait engagee, D'un vray soin maternel je luy suis obligee, Joint qu’ayant declaré ce rapt sans l’y forcer, On doit songer plustost à la recompenser. Allés, ne craignés rien.         Ce n’est pas tout, Madame, Il faut tirer des fers la moitié de mon ame, Helas ! songeant aux maux qu’il endure pour moy, Je succombe, je meurs.         Enfin, console toy, Attens cette faveur des bontés de ton pere, C'est luy qui te rendra ce noble époux, espere : Ce que tu m’as appris de son extraction Le rend un digne objet de ton affection, Mais le voicy.         Monsieur, benissés l’avanture Qui prepare une histoire à la race future, Qui nous rend nôtre fille.         O Dieux ! qu’ay-je entendu ? Qui nous rend ce tresor que nous avons perdu. Le verray-je ?         Ouy Monsieur, approche ma Constance, Non, non, ne témoignés aucune resistance, Mon esprit sur ce doute est trop bien éclaircy, La marque de son bras, le colier que voicy, Et ce que dit encor cette carte roulee De l’endroit et du temps qu’elle nous fut volee, Vous doivent bien, Monsieur, assurer du bon-heur Qui nous la rend si belle, et même avec l’honneur. Inutilles témoins d’une fille si chere, Cedés à son aspect aux atteintes du pere, Ouy, je te reconnois espoir de mes vieux jours, Gage si precieux de mes chastes amours, Accours dedans mes bras, vien ça que je t’embrasse. Ha Monsieur, que d’honneur succede à ma disgrace ! O du Ciel et du sort l’incomparable effet ! Apres tant de faveurs je mouray satisfait. Mais qui t’a découvert cet étrange mystere ? Ne sçaurois-je punir l’autheur de ta misere ? O Dieux ! je suis perdue.         Hé ! Monsieur, par ce nom Ou de pere ou de fille accordés ce pardon, Voyla qui la causa, mais loin d’estre punie, Je la doy caresser puisqu’elle l’a finie. Il est juste, Monsieur.         Madame, révés-vous ? A nôtre fille encor destiner un époux Un traitre Egiptien, un voleur, un infame. Mais fils du Chevalier Dom François de Carcame, Qui s’est mis dans leur troupe épris de sa beauté. Dieux ! que m’apprenés-vous ?         La pure vérité. Courés viste quelqu’un dans la prochaine, Et que sans luy rien dire icy l’on me l’ameine, S'il est vray, le pardon vous est tout assuré. Ainsi chacun aura ce qu’il a desiré. Dom François de Carcame ! ô Ciel ! quels avantages, Ce noble compagnon d’armes et de voyages, Mon Pylade avec qui j’ay si long-temps vescu, Mon second, avec qui j’ay tant de fois vaincu, Ha comble de plaisir qui n’est point ordinaire ! Ouy par l’aspect du fils je me remets le pere, Il est ainsi posé, grave, modeste et doux. Ne desirés-vous pas en faire son époux ? Ne desirés-vous pas en faire vôtre gendre ? Si tu l’aimes, ma fille, ouy tu peux le pretendre. Je n’ay d’amour pour luy dans un si grand bon-heur Que ce qu’en doit avoir une fille d’honneur, Une fille portée à la reconnessance Des devoirs d’un amant de si haute naissance, Qui méprisant son rang a tout quitté pour moy, S'est fait Egiptien, et m’a donné sa foy. O miracle d’Amour, ô vertu sans pareille ! Il nous faut achever cette rare merveille, Le voicy qu’on amene.         En quel état odieux. Que personne à present ne montre un front joyeux, D'un si parfait bon-heur ma voix le veut surprendre. Que j’ay peur de sa crainte, ha s’il pouvoit m’entendre ! Approche scelerat.         Dieu ! qu’est-ce j’entens ? Ouy, je veux aujourd’huy rendre tes vœux contens, Devant que de souffrir la mort la plus infame, A l’Hymen pretendu dispose icy ton ame, M'as-tu pas demandé cette insigne faveur ? C'est le dernier souhait qui parte de mon cœur, Et je mouray content pourveu que je l’obtienne. C'est aussi le desir de cette Egiptienne. Sa vertu meritoit un destin plus heureux, Et je devois avoir un sort moins rigoureux. Toy meurtrier, toy voleur.         Ha Dieu que j’apprehende ! Toy le plus renommé de cette infame bande Que ma juste fureur dût toute exterminer, Pour vanger tant de maux, et pour les terminer. Ces reproches honteux commencent mon suplice. De tes vols pour le moins cette fille est complice. Dites, sans offenser sa generosité, Complice d’innocence et de fidelité. Ce larron d’Andres mort, si Dom Jean de Carcame Succede à son bon-heur, et la reçoit pour femme. Quoy donc je suis trahy de son affection ? Elle n’a pû se taire en cette occasion, Mais pour vous témoigner combien je vous honore, Outre la liberté, prenés ma fille encore, Je voy chacun content de cet offre.         En effet, Nous ne pouvons pretendre un gendre plus parfait, Et je ne pense pas que Monsieur le refuse. Si j’ay la liberté, permetés que j’en use. Ce n’est pas que mon sort dans l’honneur de ce chois Ne fut trop glorieux de vivre sous ses lois, Mais j’ay déja donné mon ame à cette belle, Et j’aime mieux mourir mal-heureux qu’infidelle. Si son cœur y consent vous ne le serés point, Et nous nous promettons son aveu sur ce point. Ouy, cet Hymen me plaist, et je vous le conseille. O Ciel ! ha lâcheté qui n’a point de pareille ! Quoy tu peux consentir...         Ne vous en fâchez pas, Ma fille est aussi belle, et n’a pas moins d’apas. Madame, montrés-luy.         Vien ma Constance, approche. Quoy vous me refusés ? ha ! j’ai droit de reproche. O Dieux !         N'en doutés point, et n’apprehendés plus, Vous serés à loisir éclaircy là dessus, Ouy, c’est ma fille unique, et cette Egiptienne Empesche vôtre perte en reparant la mienne. Quoy donc je voy finir la rigueur de mon sort ? Je treuve mon salut dans les bras de la mort, Et dans le desespoir la source de ma joye, Que le Ciel me cherit ! que de biens il m’envoye ! Ha si-tost que je veis cette rare beauté, Je leus bien sur son front en sa haute qualité, Je leus bien dans ses yeux son illustre naissance, Toutes ses actions en donnoient connessance, Et sans examiner ces témoins superflus, Sa pudique vertu le prouvoit encor plus. Mais de ces belles fleurs qui flatent mon estime, Peut-estre voulés-vous couronner la victime. Non, non, un faux apas n’abuse point vos yeux, Au nom de l’Hymenée embrassés-vous tous deux. Mon Soleil.     Mon espoir.     Ma lumière.         Ma vie. Que mon cœur est content !         Que mon ame est ravie ! Enfin je suis a toy doux charme de mes sens. Enfin je suis à vous sans attendre deux ans. Le Ciel vueille allonger vos nobles destinees, Une fois pour le moins autant que j’ay d’annees. Et vous, pour vous payer ma gloire et votre soin, Puissiés vous jusqu’au bout en estre le témoin. Mais en faveur du bien que je prétens vous faire, Ayés soin du blessé dont vous sçavés l’affaire. Je vous obeiray.         Je vous en prie aussi. Dés qu’il pourra marcher je vous l’amene icy. Au reste assurés-vous d’un aveu que j’espere, Estant comme je suis amy de vôtre pere, Joint que l’extraction, les biens, la qualité, Font voir de nos deux maisons dedans l’égalité. Le mal me presse un peu, hâtés ce doux remede. Un Courier dés demain partira de Tolede. Que je suis redevable à vos rares bontés ! Que de joye à la fois ! que de felicités ! Madame, Amour, Monsieur, mon pere, ma Maitresse, A qui premier de vous faut-il que je m’adresse ? Dieux ! qui nous vient troubler en ce jour solemnel ? Grace, grace, Monsieur, il n’est point criminel. Ne craignés plus pour luy, je sçay toute l’affaire, Hipolite en a fait un aveu volontaire. C'est elle qui m’a dit que j’amenasse icy Ces gens que vous voyés.         C'estoit mon ordre aussi, Puisque dans ce païs ils n’ont point fait de crime, Qu'ils ayent la liberté dont ils font tant d’estime. Enfans, reconnessés la grace qu’on vous fait, Payés d’une Cascade un si rare bien-fait, Faites le noble Andres témoin de vôtre adresse, Et dancés en faveur de sa belle Maitresse. Si nous eussions préveu tant de contentement, Nous eussions augmenté ce divertissement. Allés, vivés contens, rendés grace à ma fille, Dont vous avés privé si long-temps ma famille, Publiés ce bon-heur et nos ravissements, Annoncés la vertu de ces nobles Amans, Et que par vôtre choix voix l’Univers s’entretienne Du destin qu’épreuva la belle egiptienne. FIN.