La résolution est tout à fait étrange. Si Marc Antoine m’aime, il faut bien qu’il s’y range. Moi ? Je n’approuve point ce bas attachement, Et n’attends rien de bon de ce déguisement : Encor si vous vouliez seulement me permettre D’envoyer à Madrid le moindre mot de Lettre, Votre mère serait moins en peine de vous : Elle croit que son fils de sa nièce l’époux, A trouvé dans Séville, en Don Sanche son frère, Un oncle, un bienfaiteur, et comme un nouveau père ; Et que riche seigneur de seigneur indigent, Vous avez de son frère et la fille et l’argent : Cependant dans Orgas un malheureux village, Emporté des désirs d’un homme de votre âge, Sans songer qu’à Séville un grand bien vous attend, Vous suivez en aveugle un bel oeil qui vous prend : La villageoise est belle, et jeune, je l’avoue, Don Alfonse en passant peut la coucher en joue, Et s’il la peut blesser, bon ; c’est autant de pris : Mais être avec fureur de son amour épris, Et pour elle oublier son devoir, sa naissance, C’est en quoi je vous dois manquer de complaisance ; Et connaissez-vous bien ce Révérend Seigneur, À qui vous vous voulez donner pour serviteur ? C’est un homme bien riche à ce que j’entends dire, Et de qui le métier n’est que de faire rire. Tant mieux.     Mais il est fou de plus.         Encore mieux ; J’aurai mon passe-temps d’un fou facétieux. Je m’en vais vous en dire et l’histoire et la vie. Il se fait appeler Don Japhet d’Arménie, Venu de Père en fils du puîné de Noé, Voilà le Maître à qui vous vous êtes loué : Alors que Charles-Quint passa par son village, On mena devant lui ce sage Personnage, Il le trouva plaisant : il lui donna du bien ; Lui fit suivre la Cour, et presque en moins de rien Le Drôle a si bien fait par son humeur plaisante, Qu’il possède aujourd’hui cinq mil écus de rente : César ayant quitté l’Espagne, il a voulu Paraître en son village, où faisant l’absolu, (Car il est glorieux) son bien et sa marotte, Ont si mal réussi chez le Compatriote ; Que couru des enfants, des autres maltraité, Et de fréquents affronts tous les jours irrité, Comme dans son pays on n’est jamais Prophète, Il en est à la fin délogé sans trompette ; Et s’est depuis huit jours retiré dans Orgas, Où l’on l’a bien reçu ne le connaissant pas ; En peu de mots, voilà quel est le personnage. Tout ce que tu dis là me donne du courage. Je l’aperçois venir, et le Bailli du Bourg, Qui le croit, sot qu’il est, un des Grands de la Cour. Éloignons-nous.         Bailli, votre fortune est grande, Puisque vous m’avez plu.         Le bon Dieu vous le rende. Peut-être ignorez-vous encore qui je suis, Je veux vous l’expliquer autant que je le puis : Car la chose n’est pas fort aisée à comprendre, Du bon Père Noé j’ai l’honneur de descendre ; Noé qui sur les eaux fit flotter sa maison, Quand tout le genre humain but plus que de raison : Vous voyez qu’il n’est rien de plus net que ma race, Et qu’un cristal auprès paraîtrait plein de crasse ; C’est de son second fils que je suis dérivé ; Son sang de père en fils jusqu’à moi conservé, Me rend en ce bas Monde à moi seul comparable : L’Empereur Charles-Quint, ce Héros redoutable, Mon Cousin au deux mille huitantième degré, Trouvant avec raison mon esprit à son gré, M’a promené longtemps par les villes d’Espagne, Et depuis m’a prié de quitter la campagne ; Parce que deux soleils en un lieu trop étroit, Rendraient trop excessifs le contraire du froid : La façon de parler est obscure au village, Entendez-vous Bailli mon sublime langage ? Monsieur, je n’entends pas la langue de la Cour. Vous ne m’entendez pas ? Je vous aime autant sourd ; Car assez rarement mon discours s’humanise. Mais pour vous aujourd’hui je démétaphorise (Démétaphoriser, c’est parler bassement) Si mon discours pour vous n’est que de l’Allemand, Vous aurez avec moi disette de loquelle, L’Empereur donc de qui je suis le parallèle : M’entendez-vous Bailli ?     Nenni.         Le parangon ? Encore moins.         Comment ? Altérer mon jargon, Ce serait déroger à ma noblesse antique ; Tâchons pourtant d’user de quelque terme oblique Pour nous accommoder à cet homme des champs : Charles-Quint donc mon cher parent en peu de temps, M’ayant mis à son aise en prince de Cocaigne, Et tout à fait exclus des Hôpitaux d’Espagne ; (Car Bailli dussiez-vous cent fois en enrager, J’ai six mille ducats tous les ans à manger.) Le Cacique Uriquis, et sa fille Azatèque, L’un et l’autre natif de Chicuchiquizèque Étant venus en Cour pour se dépayser, L’Empereur mon Cousin me força d’épouser Cette jeune indienne un peu courte et camarde, Mais pourtant agréable en son humeur hagarde : À mes noces, le grand César rien n’oublia, Et fit le bon parent, même il trépudia : Entendez-vous le mot trépudier, Compère ? Non par ma foi Monsieur.         C’est danser en vulgaire : Enfin en équipage à ma grandeur égal, Mon train moitié sur mule et moitié sur cheval, Dans mon pays natal je menai ma famille, C’est-à-dire Uriquis, et ma femme sa fille : Arrivé dans mon bourg qu’on nomme Almodobar, Mon beau-père Uriquis y devint gras à lard, Et prit goût à nos vins, ma compagne de couche Fut comme son papa fort sujette à sa bouche ; Enfin elle mourut d’un excès de melon, Et son Père Uriquis d’un ulcère au talon : De ce beau-père éteint, de cette femme éteinte, Il ne me resta pas la moindre plume peinte, Le moindre Guenuchon, le moindre perroquet, Tout leur bien du Pérou n’étant que du caquet. Les gens d’Almodobar à leur dam me déplurent, Vous pouvez bien penser que punis ils en furent, Et bientôt ; car prenant ma résolution, J’ai choisi dans Orgas mon habitation, Où je vais faire un train digne de mon mérite : Bailli, cherchez-moi donc des serviteurs d’élite, Nobles, bien faits, adroits, sobres, et parlant peu. Je vous en ai trouvé déjà six.         C’est bien peu. C’est plus qu’il ne nous faut.         Il me faudra six pages, Sans les Valets de pied qui recevront des gages. On vous trouvera tout.         Comment est votre nom ? Je m’appelle Alonzo : Gil, Blas, Pedro, Ramon. Tant de noms de baptême ?     Autant.         Mon cher compère, On vous soupçonnera d’avoir eu plus d’un père. Vous ferai-je venir vos valets.         Promptement ; Foucaral ce Bailly me plaît extrêmement. Je vous amène ici la fleur de la Contrée. Qu’ils me fassent savant de leurs noms dès l’entrée. Comment ? Tous à la fois, Parlez séparément, et modérez vos voix. Toi, parle et dis ton nom, jeune homme au nez de Cabre. Torribio Poncil.     Ton pays ?         La Calabre. Maudit pays: et toi ?         Llorente Riberos. Ton pays ?     Portugal.     De quel lieu ?         De Miros. Pascal Zapatero.     Ton pays ?         Allobroge. Attends une autre fois qu’un Maître t’interroge ; Et ton pays natal, quel est-il ?         Annecy. Haye aux autres : et toi ?         Don Roc Zurducaci. Biscain ?         Non Monsieur, je suis de la Galice. Tu parais grand fripon.         Fort à votre service. Torribio Poncil est un nom apostat, Changeant Poncil en Ponce a mon majordomat, Il pourra parvenir : mais avant toute chose Il faut au nom de Ponce ajouter Don, pour cause : Llorente Riberos aura nom Ribera, Pascal Zapatero, Don Pascal Zapata. Ils prendront tous le Don, comme le majordome, Et seront dans deux ans des plus Grands du Royaume : Quant au Galicien Don Roc Zurducaci, Je lui donne congé de s’appeler ainsi ; Aurait-il bien l’esprit d’être mon Secrétaire ? Jeune comme je suis, Monsieur je sais tout faire, Je rase, je blanchis, je couds, je sais saigner, Je sais noircir le poil, le couper, le peigner, Je travaille en parfums, je sais la médecine ; J’entends bien les procès, et fais bien la cuisine ; Je suis grand spadassin, excellent écuyer, Fort entendu chasseur, et parfait jardinier ; J’écris Français, Gothique, Italien, Tudesque ; J’écris en héroïque aussi bien qu’en burlesque ; Je fais des impromptus, rondeaux et bouts rimés ; Bref, je suis bel esprit, et des plus renommés, Regardez si je suis digne d’être des vôtres. Et plus que digne. Holà, je casse tous les autres ; Car lui seul me suffit avec mon Foucaral. Monsieur, je ne vais point sans mon ami Pascal. Qu’il soit mis sur l’État. Pourquoi cette soutane ? Êtes-vous Insacris ? Id est antiprofane : Êtes-vous Médecin. Êtes-vous Avocat ? Monsieur, je suis pourvu d’un bon Canonicat. De Rome j’obtiendrai par grâce singulière, Que vous puissiez aller vêtu d’autre manière ; Le Pape mon cousin ne m’en peut refuser, Quittez donc la Soutane, ou l’achevez d’user, Zurducaci !     Seigneur.         N’étant que secrétaire, Le Don à votre nom n’est pas fort nécessaire. Je le retrancherai.     Zurducaci !         Seigneur. Don Pascal Zapata sera mon contrôleur. Et vous Zurducaci vous choisirez mes pages. C’est à moi trop d’honneur.         Choisissez-les bien sages. Et bien galleux aussi.         Faquin de Foucaral, Épargnez le prochain sans en dire du mal. Depuis deux ou trois jours j’ai la tête pesante, Je m’en vais exercer ma vertu caminante Dans les lieux d’alentour. Que l’on m’attende ici ; Foucaral !     On y va.         Nous voilà Dieu merci Enrôlés dans le train de Japhet d’Arménie, Ou plutôt nous voilà gradués en folie ; Madame votre mère.         Ha ! Ne me dis plus rien, Tu pourrais faire mieux, et je le sais fort bien : Et pour toi tu feras sagement de te taire, Ou retourne à Madrid, ou bien me laisse faire : Mais j’aperçois venir celle qui m’a charmé, Vis-tu jamais un corps par le Ciel mieux formé Et si je te disais, qu’un Esprit admirable Anime ce beau Corps te serais-je croyable ? Non par ma foi Monsieur.         Éloignons-nous un peu. À la voir seulement vous étiez tout en feu. Je ne le puis celer, je l’aime.         À la bonne heure, Puisqu’il vous aime aussi voulez-vous tout à l’heure Que j’aille lui parler ?         Ha ! Tu ne sais pas tout. Est-ce que l’Adonis se tient sur le bon bout ? Je ne le pense pas ; car il en a dans l’aile, Et se plaint tous les jours de votre humeur cruelle : Pourquoi donc tant pleurer ? Quelque autre de ce Bourg A-t-elle eu le pouvoir de gagner son amour ? Vous êtes belle et riche, et quoique villageoise, Vous pouvez aspirer à devenir Bourgeoise ; S’il était grand Seigneur comme il n’est qu’Écolier ? Si tel que tu le vois il était Cavalier. Est-ce lui qui le dit, il ne l’en faut pas croire, Un Inconnu peut bien nous forger une histoire. Tu n’en douteras plus quand je t’aurai conté Par quel moyen je sais quelle est sa qualité : Te souvient-il du jour que du prochain village, Le Peuple dans Orgas vint en Pèlerinage ? Te souvient-il aussi de ces deux Courtisans Qui se vinrent mêler parmi nos Paysans, Dont l’un était fort jeune, et de fort bonne mine ? Il m’en souvient fort bien, et que sur la poitrine Il portait la Croix rouge, et même qu’il vous prit Par deux fois à danser ; son compagnon me fit Mille discours en l’air ; le fils du vieux Ramire En fut jaloux de vous, et nous en fit bien rire ; Pourquoi m’en faites-vous aujourd’hui souvenir ? Je ne vois pas encor où vous voulez venir. Quoi, tu ne le vois pas ? As-tu des yeux Marine ? J’en ai : mais je ne suis sorcière ni devine. Je ne le suis non plus que toi mais toutefois, J’ai mieux connu que toi que celui que tu vois En habit d’Écolier, et dont je suis éprise, Est le beau Courtisan qui pour moi se déguise ; Dès le jour qu’il parut dans notre Bourg d’Orgas Je le reconnus bien, et ne me trompai pas : Mais ce n’est pas encor sur cela que j’assure Le fondement certain de cette conjecture : Une Lettre rompue, et qui s’adresse à lui, De sa poche est tombée à mes yeux aujourd’hui ; Soit qu’il n’en sache rien, comme cela peut-être, Ou qu’il ait fait le coup pour se faire connaître, Sans témoins je l’ai prise, et le mieux que j’ai pu, Seule en ai rassemblé chaque morceau rompu ; Non que de mon humeur je sois fort curieuse, Mais je l’aime Marine, et mon âme amoureuse Eût lors tout entrepris pour découvrir au vrai Pour qui mon coeur faisait son premier coup d’essai : Ma curiosité m’apprit à mon dommage, Qu’un homme tel que lui n’est pas pour le village : Je vis qu’il s’appelait Don Alfonce Enriquez ; Je vis de plus Marine en termes fort exprès, Qu’il va se marier richement à Séville, Où l’attend un parti de la même Famille ; Sa Mère lui mandait (car c’était de sa part Que la Lettre venait) que depuis son départ On n’avait eu de lui ni Lettres ni nouvelles, Et qu’elle s’en trouvait en des peines mortelles, Tu peux juger par là de l’état où je suis, À chasser mon amour je fais ce que je puis ; Et tant plus à chasser cet Amour je m’efforce, Tant plus dedans mon coeur il prend nouvelle force Mais quelque fort qu’il soit, il cède à ma raison ; Qui doute, qu’un jeune homme et de bonne Maison, Puisse être épris pour moi d’un amour légitime ? Je l’aime, mais non pas assez pour faire un crime ; Et bien que je sois faible à régler mes désirs, Je ne le veux pas être à choisir mes plaisirs : Il est vrai que j’abhorre un homme de village, Et ne puis deviner d’où me vient ce courage. Vous êtes en danger d’être fille longtemps. Il est peu de Maris qui ne soient dégoûtants. Et que deviendra donc le fils du vieux Ramire ? Qu’il meure.     Et l’écolier ?         Qu’il pleure et qu’il soupire, Je pleure et je soupire aussi de mon côté. Et s’il vous proposait avec sincérité D’être votre Mari, feriez-vous l’insensible ? Ha ! Ne me parle point d’une chose impossible. Pourquoi non ? S’il vous aime il faut tout espérer D’un homme qui pour vous s’amuse à soupirer, Plutôt que de s’aller marier à Séville, Où l’attend, dites-vous, je ne sais quelle fille : Mais vous vous y prenez de mauvaise façon, Il est tout feu pour vous, et vous êtes glaçon : Cependant vous l’aimez, voyez quelle faiblesse ? Par ma foi si j’étais de quelqu’un la Maîtresse, Et que ce quelqu’un-là me plût autant qu’à vous, Ce galant déguisé qui vous fait les yeux doux, Sans me donner la gêne en sotte villageoise, S’il me disait je t’aime, et moi vous, lui dirais-je : Car quand on aime bien, pourquoi dire que non ; Vous brûlez toute vive, et de grâce à quoi bon, Cette rigueur forcée ? Aimez-le, s’il vous aime, Je le dis tout de bon, je le ferais de même ; Montrez-lui de l’amour pour augmenter le sien : Promettez-lui beaucoup, ne lui permettez rien ; Si son amour le presse, il faudra bien qu’il chante, Ou son amour pour vous sera peu véhémente ; S’il aime jusqu’au point de vouloir épouser, Qu’il le fasse aussitôt : car ce n’est que ruser Qu’épouser en papier ou donner sa parole. Que je suis malheureuse, et que Marine est folle ? Léonore, il est temps que j’apprenne mon sort, Et que vous me donniez ou la vie ou la mort ; Je vous ai déclaré que pour vous je soupire, Vous ne me dites rien, quand j’ose vous le dire, Ce silence à mon feu ne promet rien de bon, Et quand vous m’aimeriez je puis croire que non. Je sais que la beauté quand elle est peu commune, Peut soumettre à ses pieds la plus haute fortune : Et quand bien je serais riche et de qualité ; Que mon Amour serait une témérité, Je ne vous dis donc point que le bien de mon Père Me pourrait élever au bonheur que j’espère ; Si par là seulement on vous peut espérer. Les grands Rois seulement peuvent vous adorer ; Mon Amour veut tenir le vôtre de soi-même ; Je crois vous dire assez, disant que je vous aime, Et par le simple aveu de mon affection, Que je mérite assez votre compassion ; Donnez-moi donc la mort, ou bien de l’espérance. Consultez là-dessus votre persévérance, C’est de là seulement, je le dis tout de bon, Que vous pourrez savoir si je vous aime, ou non : Mais le temps seulement me la fera connaître. Je puis donc espérer.         Cela pourrait bien être, Marine allons-nous-en.         La peste, qu’elle en sait ; Hé bien de son discours êtes-vous satisfait ? Oui, car je l’aimerai tant que j’aurai de vie. Vous ne pouvez avoir une plus noble envie. Foucaral ! Foucaral !         Monseigneur, Monseigneur. Ne veux-tu pas venir ?     Je viens.         Faquin d’honneur ; Et le Bailli vient-il ?     Il vient.         J’entends qu’il vienne ; Car encor faut-il bien que quelqu’un m’entretienne Dans ce malheureux Bourg rempli de gens grossiers, Avec ce Bailli seul, je parle volontiers : Il n’est que demi fat pour être du village : Mais ne viendra-t-il pas ? Sait-il bien que j’enrage Alors qu’il faut attendre ? Holà ho, Foucaral ; Don Roc Zurducaci ! Don Zapata Pascal ? Ou Pascal Zapata ; car il n’importe guère Que Pascal soit devant ou Pascal soit derrière. Holà mes gens ! Mon train ! Ô les doubles Coquins, Les Gredins, les Bourreaux, les traîtres, les Faquins ; Sachent tous mes valets que ma bonté se lasse, Sachent les malheureux qu’aujourd’hui je les casse ; Je m’en vais tant crier qu’ils viendront, les marauds. Monsieur ne criez point, tous vos gens en un gros Viennent auprès de vous.         Hé bien donc je m’apaise, J’avais déjà les yeux ardents comme la braise : Don Pascal Zapata, Don Roc Zurducaci Je veux être servi.         Nous vous servons aussi. Bailli !     Monsieur.         Le bourg est-il chargé de tailles ? Est-il noblifié de vives antiquailles ? Je ne vous entends point.         A-t-il des hobereaux ? Encore moins.         J’entends de ces gentilshommeaux, Des tireurs en volant, des tyrans de village, Des nobles.     Oui Monsieur.         Et de plus d’un étage ? Je ne vous entends plus.         Je veux dire les uns Nobles comme le Roi, les autres fort communs ; C’est-à-dire nouveaux, de Noblesse ambiguë, Qu’on reconnaît vilains dès la première vue. Oui Monsieur.     En grand nombre ?         Environ sept ou huit. Sont-ils Chasseurs rusés, ou Chasseurs à grand bruit ? Oui Monsieur.         Des enfants en ont-ils en grand nombre ? Oui Monsieur.     Déjà grands ?     Oui Monsieur.         Mal encombre. Puisse arriver à qui me répond toujours oui. Oui Monsieur.         Ha le traître ! Hé quoi tout aujourd’hui ? Il consentira donc ?     Oui Monsieur.         Ha j’enrage ! Dis-moi non, malheureux, et change de langage ? Confesse seulement une fois.         Mais Monsieur. Je ne vous entends point.         Vous faites le rieur Don Roc Zurducaci.     Non Monsieur.         Voici l’autre Qui me va tout nier ; Bailli, dans le Bourg vôtre Fait-on avec trois os insulte au bien d’autrui ? Le bon Bailli me va répondre encore oui. Ne vous entendant point, je ne sais que vous dire. Je ne sais si je dois le quereller ou rire ; Esprit bouché, dis-moi, joue-t-on dans ton Bourg ? Aux Cartes, aux Tarots, aux Dés ?         Oui tout le jour On ne fait autre chose.         Ont-ils de belles filles ? Oui Monsieur, pour ma part j’en ai deux fort gentilles. Quel âge ?         La plus vieille aura bientôt sept ans. Fi, vous n’avez encor que de petits enfants ; Ne s’en trouve-t-il point qui soient déjà venues ? Je ne hais point cela : mais je les veux charnues. Mon Maître est dégoûté.         La fille à Jean Vincent, Le Collecteur du bourg seule en vaut plus d’un cent : Mais la voilà qui parle à votre secrétaire. Le Drôle l’a fleurée.         En mon nom va lui faire Un petit compliment, et me la fais venir, J’ai dessein de la voir, et de l’entretenir ; Dis-lui d’abord mon nom, Don Japhet d’Arménie, Mon nom seul vaut autant qu’une cérémonie. Que maudit soit le fou, son laquais vient à nous. De la part de Japhet le cacique des fous, Je viens, plus fou que lui de servir un tel maître, Vous dire qu’à vos yeux il voudrait bien paraître. Le voilà tout paru ; par l’âme de Noé, La Sotte a l’oeil brillant et l’air bien enjoué. Quoi, vous m’appelez sotte ?         Ha, petite Mignonne ! Sotte entre Courtisans, c’est-à-dire Friponne. Friponne, encore pis.         Oui, tu m’as friponné ; Mon coeur infriponnable, oeil emérillonné : Ha ! Si le Ciel t’avait fait naître une Duchesse ; S’il t’avait seulement fait naître une Comtesse, Nous pourrions en vertu du lien conjugal, Coucher en même lit sans qu’on en dît du mal : Mais hélas par malheur ta naissance est trop basse, Et l’hymen entre nous aurait mauvaise grâce ; Si bien que sans rien craindre, et sans scrupuliser, À simple concubine, il faut s’humaniser, Si tu veux posséder un corps comme le nôtre. Monsieur, vous me prenez sans doute pour une autre, Si le Ciel vous a fait trop grand Seigneur pour nous, Le Ciel m’a fait aussi pour un autre que vous : Marine allons-nous-en.         Ha Beauté Printanière ! Veux-tu me fuir ainsi, comme une bête fière, Tu ne t’en iras pas sans m’avoir pardonné Le pardonnable effet d’un Amour forcené : Et toi, de ce Lion, Tigresse inséparable, N’auras-tu point pitié d’un Amant misérable ? Et vous, Monsieur Japhet, de Noé descendu, Tous ces beaux mots ne sont qu’autant de bien perdu, Léonore n’est point Lion, ni moi Marine ; Je ne suis point Tigresse, et n’en n’ai point la mine, Je suis bonne Chrétienne, et Léonore aussi, Allez faire blanchir votre linge noirci. Tu me reproches donc ma fraise, ha mouche guêpe ! Tu ne dois point trouver à redire à mon crêpe : Après avoir perdu ma fidèle moitié, Au moins devais-je un crêpe à sa rare amitié. Zurducaci.     Seigneur.         Quitte cette inhumaine, Et ne l’approche point sous peine de ma haine ; Je veux par des mépris un peu l’humilier : Mais que veut ce bonhomme avec ce cavalier ? Je crois que c’est à moi qu’il en veut.         À vous-même. Monsieur, c’est le Bailli.         Si faut-il qu’elle m’aime. Ma foi tout aujourd’hui ce Cavalier et moi Nous vous avons cherché.         Je suis comme le Roi ; On me trouve où je suis.         Il ne me quitte guère. Cette Lettre Monsieur vous apprendra l’affaire. Qui m’achemine ici.         Pour le Bailli d’Orgas, Je le suis grâce à Dieu, vous ne vous trompez pas. Bailli d’Orgas, ne manquez pas, la présente reçue, de mettre entre les mains du gentilhomme que je vous envoie, une jeune fille nommé Léonore, qu’un Laboureur d’Orgas nommé Jean Vincent a nourrie dès son bas âge. Elle n’est pas sa fille comme il a fait croire à tout le monde. Elle est ma nièce, fille de Don Pedro de Tolède ambassadeur à Rome. Don Fernand de Tolède, Commandeur de Consuegre. Jean Vincent, est-il vrai ?         N’en doutez point Marine. Puisque la villageoise est d’illustre Origine, Grâces à son Destin je puis sans déroger Avec elle bientôt sous l’hymen m’engager. Adorable Beauté qui d’une seule oeillade, Avez d’un homme sain fait un homme malade ; Puisque le Commandeur peut disposer de vous, Jetez les yeux sur moi, vous verrez votre Époux. Dieu m’en veuille garder.         Et vous belle Marine, Don Foucaral peut-il en vertu de sa mine, D’un esprit sans pareil, et d’un corps sans égal Multiplier par vous le nom de Foucaral ? Le nom de Foucaral ? Qui moi ? Laquais immonde ? Assez de Foucarals sans moi sont dans le monde. Vous m’aimerez bien fort ?         Plus qu’on ne peut penser. Ton bel oeil m’a blessé.         Va te faire penser. Mais notre ami Vincent, où l’aviez-vous trouvée ? Je vous dirai comment la chose est arrivée. À la Cour de Madrid, où m’avait appelé Un malheureux procès pour un cheval volé ; Une vieille Duègne un jour dans une Église Me demanda mon nom avec grande franchise. Je lui dis que j’étais un Laboureur d’Orgas, Appelé Jean Vincent : la Vieille parlant bas, Trouvez-vous vers le soir, en tel lieu, me dit-elle, C’est pour votre profit si vous êtes fidèle : À ce mot de profit, jugez si je manquai De me trouver au lieu qu’on m’avait indiqué ; Je n’y manquai donc pas, la vieille Gouvernante S’y trouva devant moi, plus que moi diligente ; Elle mit dans mes mains un beau petit enfant Qui n’avait pas un jour, et de plus de l’argent : L’enfant était paré d’une chaîne massive ; Je ne refusai rien, la Duègne craintive M’ayant recommandé le secret, s’en alla : L’enfant est justement la Dame que voilà, Je crois par son moyen que ma fortune est faite, Comme on me l’a promis la chose étant secrète : Or la chaîne, Messieurs, n’était pas de laiton, Elle était d’or ducat du poids d’un quarteron. Ma femme.         Taisez-vous, il ne m’importe guère Si votre chaîne était ou pesante ou légère. Cavalier, vous direz au Seigneur Commandeur Que le noble Japhet est fort son serviteur, Et qu’il se réjouit que son nom soit Tolède, Qu’en Noblesse ici bas le Roi même me cède : Car je suis Don Japhet, de Noé petit-fils, D’Arménie est mon nom, par un ordre préfix, Qu’avant sa mort laissa ce fameux Patriarche, Parce qu’en Arménie un mont reçu son Arche : Dites-lui que je puis avec lui m’allier, Puisque sa nièce et moi sommes à marier ; Qu’à cause de mon deuil il serait peu honnête Que j’allasse chez lui si tôt troubler la Fête ; Et que par bienséance il le faudra laisser Quelque temps tout son saoul sa nièce caresser ; Dites-lui que j’irai le trouver en personne : Et malheur pour Orgas puisque je l’abandonne. Partez.         Comment partez ? Quel est donc ce Seigneur ? C’est le grand Don Japhet.         De la Terre l’honneur. Cousin de Charles-Quint.         Le Mari d’Azatèque, Le gendre d’Uriquis, de Chicuchiquizèque. Et moi Don Foucaral.         Ha Monseigneur ! Pardon, Je suis tout étourdi du bruit de votre nom. J’embrasse vos genoux.         Et je vous en dispense, Sacrifice chez moi vaut moins qu’obéissance. Pascal, Roc, Foucaral, et vous Bailli d’Orgas, Suivez-moi : toutefois, non, ne me suivez pas. Ou bien suivez-moi donc : et vous ô Beauté fière, Votre Oncle vous va faire agir d’autre manière, Il sait combien par moi l’on peut être ennobli, Votre incivilité méritait un oubli : Mais je pardonne tout à cause de votre âge, La Cour vous ôtera bientôt l’air du village, Ô que joints par hymen, nous aurons des Japhets ; Et de corps et d’esprit également bien faits ! Je vous ai déjà dit, Monsieur mon Secrétaire, De ne l’approcher point, vous n’en voulez rien faire ; Vous me l’aviez bien dit, vous êtes factoton, Et vous ne valez rien sous ce noir Hoqueton : Et vous qui l’écoutez, Madame Léonore, Vous ne valez pas mieux ; et vous Monsieur encore Qui devriez à partir être plus diligent, Homme fait comme vous ne vaut pas grand argent. Japhet s’en va.         Si ce brave homme-là n’est blessé par la tête, Je le suis plus que lui, Madame êtes-vous prête ? Votre Carrosse attend.         Je suis prête à partir : Mais Marine sans toi je n’y puis consentir ; Me voudrais-tu quitter ?         Vous me devez connaître, Je vous suivrai partout quand ce serait au Cloître. Devant que de partir il faut un peu manger. La traite est longue, il faut promptement déloger, Un relais nous attend dans un bourg, où Madame Pourra faire un repas.         En l’état où j’ai l’âme Je n’en ai pas besoin.         Quand j’ai l’esprit content, Je suis ainsi que vous, je ne mange pas tant. Madame, Don Japhet, Monseigneur et mon Maître, Vous mande que demain vous le verrez paraître Auprès du Commandeur ; je voudrais bien savoir Ce qu’il peut espérer de l’honneur de vous voir ; Avec juste raison pour lui je m’intéresse, Souhaitant plus que lui de vous voir ma Maîtresse ; Mais avec la Fortune un esprit peut changer. La chose vaut assez la peine d’y songer ; Dites-lui cependant qu’il aime, et qu’il espère, Qu’il peut se montrer tel qu’il plairait à mon Père ; Et s’il daigna m’aimer tout pauvre que j’étais, Qu’un pareil sentiment peut lui donner mon choix, Pourvu qu’il soit constant, et qu’il soit véritable. Madame il fera tout, si votre oeil favorable, Par le moindre regard nous permet d’espérer : Oui, Madame, on peut être en état d’aspirer À quelque haut degré que le Ciel vous envoie, Pourvu qu’un peu d’espoir ressuscite ma joie. Adieu, nous vous verrons avec le grand Japhet. Cet homme pour un fou paraît bien fait : Mais son galimatias donne assez à connaître Qu’il a l’esprit malade aussi bien que son Maître. Il parle quelquefois intelligiblement. Vous n’avez que le temps qu’il vous faut justement : Allez tout de ce pas vous jeter en carrosse. Et nous droit à Séville achever notre noce. Nous n’en sommes pas là, Léonore n’est plus Un reprochable objet de désirs superflus ; À ses perfections la naissance étant jointe, Nonobstant tes avis, je veux suivre ma pointe ; Demain avec Japhet j’espère de la voir, Et toi sois complaisant tu feras ton devoir. Vous dites donc Monsieur, que ma bonne Cousine, Dans deux jours au plus tard en ces lieux s’achemine ? Son fils ne devrait pas lui donner tant d’ennui : Mais n’a-t-on point reçu de nouvelles de lui ? Depuis deux mois entiers qu’il partit de Séville, Personne ne l’a vu dans cette grande ville, Chez sa Mère à Madrid il n’est point retourné, Il peut être volé, malade, assassiné : Il se fie un peu trop en son jeune courage, Et n’a jamais été des hommes le plus sage ; Il a l’esprit, le coeur, la taille et la beauté : Mais on lui trouve aussi trop de témérité : Vous auriez grand pitié de cette pauvre mère, À voir de la façon qu’elle se désespère ; Elle craint pour son fils un malheur imprévu, Lorsqu’elle l’espérait de femme bien pourvu. Je la consolerai de toute ma puissance, Pour moi vous me voyez dans la réjouissance, La fille de mon frère, une jeune Beauté, À qui même on avait caché sa qualité, Pour certaine raison que vous saurez ensuite, A depuis peu d’Orgas été chez moi conduite ; Elle vous plaira fort, et le bon Laboureur Qui l’a si bien nourri est un homme d’honneur : Mais que veut ce garçon en son habit bizarre ? Monseigneur Don Japhet, des hommes le plus rare, Et le plus fou qui soit d’Angleterre au Japon, M’envoie ici savoir, si vous trouverez bon Que sa digne personne, et sa fine folie, Viennent chasser d’ici toute mélancolie. Quel est donc ce Japhet que je ne connais point ? Japhet ? C’est la folie en chausse et en pourpoint ; L’Empereur en vertu de son extravagance, En a fait en deux ans un homme d’importance, Et d’un gueux mort de faim, un fou très opulent. Il s’est mis dans la tête un amour violent Pour un Ange d’Orgas, Madame Léonore Votre nièce, Monsieur.         Je le croyais encore, Auprès de l’Empereur.         Son bon temps est passé, Et l’Empereur enfin s’en est, dit-on, lassé : Maintenant dans Orgas, fou qu’il est, il espère Qu’il obtiendra de vous, et de Monsieur son père, Madame Léonore, et je ne pense pas Qu’il soit encor longtemps sans venir sur mes pas, Tant sa présomption incessamment le presse De venir s’étaler aux pieds de sa maîtresse, Et de venir ici trancher du grand seigneur ; Car c’est là sa marotte.         Il me fait trop d’honneur, Ma nièce Léonore est fort à son service. Il ne faut pas douter qu’il ne vous divertisse, Il est un peu plus fou qu’il n’était à la Cour, Jugez ce qu’il doit être avec beaucoup d’amour. Nous en régalerons notre chère Cousine. L’absence de son fils la tue, et m’assassine, S’il était marié, je le serais aussi Avec sa Soeur que j’aime, et qu’elle amène ici : Vous le savez, Monsieur, ce que j’ai fait pour elle, Cependant depuis peu cette Mère cruelle À soi-même, à sa fille, et plus encore à moi, Diffère notre hymen, et ne dit point pourquoi ; Et ce n’est que depuis que ce fils qu’elle adore, N’écrivant point, la fait douter s’il vit encore, Auprès d’elle, Monsieur, vous pouvez m’obliger. Je vous entends, il faut la chose ménager, Et bien prendre son temps.         Avec votre licence Je m’en vais donner ordre à notre subsistance, Et visiter l’office.         Et quand arrive-t-il Votre Maître Japhet ?         Son esprit volatil ; Pressé de son amour qui lui donne des ailes, Le rangera bientôt auprès des Demoiselles. Je veux bien recevoir ce second Don Guichot, Instruire tous mes gens, et leur donner le mot, Afin que rien ne manque à la cérémonie, Dont je veux achever Don Japhet d’Arménie. Il est tout achevé si jamais on le fut ; Il a l’esprit gâté si jamais homme l’eut, C’est un fou très complet.         Don Japhet le fantasque, Jusques ici d’Orgas a trotté comme un Basque. Il arrive.         Hé mon Dieu, courez-y promptement. Seigneur Alvare, allez l’amuser un moment, Cependant que j’irai donner ordre à la pièce : Et vous Rodrigue, allez faire venir ma Nièce ; Il n’en n’est pas besoin, car elle vient à nous, Ma nièce vous verrez, aujourd’hui votre Époux, Le brave Don Japhet des hommes le plus sage. Je ne mérite pas un si grand Personnage. Je m’en vais donner ordre à le bien recevoir, Et vous de votre part faites votre devoir À lui faire un accueil digne de son mérite. Dieu sait si l’Écolier sera de la visite. J’en ai grand peur Marine, et d’un autre côté Du désir de le voir mon esprit est tenté ; Je n’avais contre moi que ma basse naissance, Et je crains aujourd’hui d’un Père la puissance, Qui sans avoir égard au choix que j’aurai fait, Peut-être a fait déjà sur moi quelque projet, Et m’aura destiné quelque Mari funeste Qui n’aura que du bien, et n’aura pas le reste : Je suis digne d’Alfonce, il est digne de moi ; Mais quand on a son Père on ne peut rien de soi, Et j’aurais bien l’aimer et m’en voir adorée, Qu’un tel bien sans mon Père aurait peu de durée. Si vous aviez l’esprit un peu plus résolu. Pourrais-je m’exempter d’un pouvoir absolu, De qui dépend ma bonne ou mauvaise fortune ? Mais voici de ce fou l’arrivée importune. Si tous mes gens sont prêts qu’on les fasse sortir, Aux dépens de Japhet je me veux divertir ; Don Alvare, instruisez ma nièce.         Place, place, Voici le grand Japhet.         Que tout le monde fasse Ce que j’ai commandé.         Pascal, Roc, Foucaral ! Dites bien que je suis venu sur un cheval, Les traîtres n’y sont plus. Ah, Canailles, Canailles ! Vous m’avez donc quitté par droit de représailles, Il faut que je vous quitte : ô gibiers de Corbeaux ! Puissiez-vous devenir chef-d’oeuvres de Bourreaux ! Puisque le grand Japhet me rend une visite, Je me tiens très heureux.     Monsieur.         À son mérite, Il n’est rien de pareil.     Si.         Son nom est connu Partout.     Je.         Par trois fois qu’il soit le bienvenu. Messieurs.         Le Commandeur, mon Seigneur et mon Maître Est ravi de vous voir.     Mais.         Pour bien reconnaître Tant d’obligation, je ne sais pas comment On peut s’en acquitter par un seul compliment. Enfin.         Nous tâcherons par notre bonne chère De vous faire oublier la Cour.         Et moi j’espère Que le grand Don Japhet m’aimera.         Quant à moi Je lui donne mon coeur, mon amour, et ma foi. Ha Messieurs, permettez au moins que je réponde : Trêve de compliments, ou que Dieu vous confonde. Pascal, Roc, Foucaral, parlons à notre tour. Monsieur.     Ventre de moi, je parlerai.         La Cour Qui vous a vu briller comme le Zodiaque, Et qui fit cas de vous comme d’un Roi d’Ithaque. Ô de ces grands parleurs le plus impertinent, Parle sans te moucher.         J’ai fait incontinent : La Cour donc, dont jadis vous fîtes les délices De notre grand César Charles-Quint.         Quels supplices Suis-je venu chercher.         La Cour donc, où jadis Chacun vous regarda comme un autre Amadis, Alors que.     Concluez.     La Cour donc.         Que fit-elle, La Cour, la Cour, la Cour.         La Cour donc, qu’on appelle Le céleste séjour.         Quoi toujours renifler, Moucher, tousser, cracher, et toujours me parler ? Et moi je ne pourrai dire quatre paroles ? Et de grâce, Messieurs, je donne cent pistoles, Et qu’on m’ôte d’ici ce fâcheux renifleur, De quoi diable sert-il à votre Commandeur. C’est son grand Harangueur.         Ô le plaisant office! Et vous qui me parlez, quel est votre exercice ? Je suis son grand Veneur.         Et tous ces grands fous-là. Ce sont ses Officiers.         Le beau Train que voilà Et votre Commandeur reçoit ainsi son monde ? Et ne veut pas chez lui que personne réponde ? Il vous honore fort.         Je m’en suis aperçu ; Mais l’Empereur saura comment on m’a reçu, Et si l’on traite ainsi les hommes de mérite ; Reçoit-on bien un homme alors que l’on le quitte ; Et qu’on lui met en tête un maudit Harangueur ; Qui m’aurait à la fin fait mourir de langueur ; J’en écrirai deux mots à l’illustre Duc Dalve, Son Parent et le mien. Bon Dieu.         C’est une salve Pour bien vous régaler.         Ah ma foi je suis sourd. Ce grand bruit a percé ma pauvre tête à jour ; nièce du Commandeur autrefois villageoise, Et main tenant grand Dame, et Dame discourtoise ; Est-ce de guet-apens, ou par cas fortuit Que l’on m’a voulu perdre à force de grand bruit ? De cent sots compliments sans y compter le vôtre, Contre moi décochés, entassés l’un sur l’autre, N’était-ce pas assez pour me faire enrager, Sans qu’un chien d’Harangueur me vint aussi charger De son hem, de sa toux, de sa reniflerie : Et pourquoi sur le tout cette mousqueterie ? À moi de l’arme à feu l’ennemi capital : Rendez-moi donc réponse, Ange ou Démon fatal. Parlez haut, parlez haut, sans tant mâcher à vide, Ô que l’amour devient à mon goût insipide ! Je ne vous entends point, me parlez-vous ou non ? Elle me parle, hélas, je suis sourd tout de bon ! Elle feint de parler, c’est moi qui n’entends goutte ; Le Cousin de César est assourdi sans doute : À mon âge Messieurs, n’est-ce pas grand pitié De m’avoir rendu sourd sous ombre d’amitié ? Parlez bien haut Messieurs, de grâce à la pareille, Vérifions un peu ma surdité d’oreille : Hélas on s’égosille, et je n’entends non plus Que si l’on me voulait emprunter mes écus : Maudit Amour, maudit Orgas, maudit voyage, Maudite Léonore, et maudit son voyage : Ha Commandeur d’Enfer vous voilà de retour, En êtes-vous bien mieux de m’avoir rendu sourd ; Vous riez, est-ce ainsi que mon malheur vous touche ? Peste soit le grand fou, comme il ouvre la bouche. Ô le fâcheux objet alors qu’on n’entend rien, De voir ouvrir ainsi tant de gueules de chien ; Sur mon Dieu je voudrais aussi perdre la vue, Afin de ne voir point cette sotte cohue, J’aimerais bien mieux voir un troupeau de Sergents ; Ô que les grands Seigneurs ont de vilaines gens ! Pascal, Roc, Foucaral, il faut plier bagage, Me voilà revenu de mon beau mariage ; Dieu m’a donné l’ouïe, et Dieu m’en a perclus, Et que de Léonore on ne me parle plus ; La Drôlesse me coûte et l’honneur et l’ouïe, Et je ne l’en vois pas guère moins réjouie. Si jamais à Coquette.         Ha tout beau Don Japhet, Vous guérirez bientôt.         J’entends bien en effet, Ha, sur mon Dieu j’entends !     Monsieur.         Tout doux, la peste. Vous nous entendez bien ?         Je vous entends de reste, Ne criez plus.         Monsieur, si le bien de vous voir A causé votre mal, j’en suis au désespoir. Il n’en est pas besoin, Commandeur de mon Âme, Je vous entends mon cher, grand Dieu que je réclame, Si vous m’avez rendu la faculté d’ouïr, Léonore peut bien encore se réjouir ; Je ne rétracte point le don de ma franchise : Mais qu’on reparle encor pour assurer la crise, Je ne suis plus fâché.         Monsieur assurément Vous n’aurez que la peur.         Ha ! Parlez doucement, Vous me rassourdissez, la peste comme il crie, On dirait qu’il n’a fait autre chose en sa vie. Vous nous entendez bien ?         Bon Dieu vous criez tous, J’aimerais bien autant ouïr hurler des Loups. On s’est accoutumé.         Qu’on se désaccoutume, Ma cervelle n’est pas dure comme une enclume. Vous nous entendez donc ?         Et oui, je vous entends Pour la centième fois : mais c’est malgré mes dents Qu’on me donne un fauteuil, Messieurs, et tout à l’heure, Car quand on devient sourd, on se lasse, ou je meure ; Et si vous m’aimez bien, notre cher Commandeur, Qu’on ne me montre plus le vilain Harangueur, S’il ne revient encore faire ses reniflades, On me verra ma foi sur lui faire à gourmades. Ne le voilà-t-il pas ?         Il n’a fait que passer. Qu’il ne passe donc plus, ou bien c’est m’offenser ; Pour un si grand Seigneur, vous avez ce me semble Autant de francs gredins qu’on puisse voir ensemble. Ils ont la mine tous d’être de grands Vauriens, Et je ne voudrais pas les changer pour les miens. C’est par trop de chaleur qu’ils ont pu vous déplaire. Ou sottise, ou chaleur, ils avaient pu mieux faire : Mais pour vous obliger j’oublierai le passé, Je vous suis venu voir de mon amour pressé, Engendré dans mon coeur par votre Léonore : Que me répondez-vous ?         Que votre Amour l’honore. Oui, mais j’en mourrai moi, si vous ne vous hâtez ; Car je suis fort pressé de mes nécessités : Nous autres esprits chauds nous pressons les affaires, Il faut donc donner ordre aux choses nécessaires. Ne précipitons rien.         Je meurs, d’homme d’honneur. Je viens de recevoir ordre de l’Empereur, De vous bien régaler ; de plus il amplifie D’un brevet de Marquis Don Japhet d’Arménie. L’Empereur mon Cousin me donne un Marquisat ? Bon Parent par mon chef, le présent n’est pas fat ; Un Marquisat pourtant est chose fort commune, La multiplicité de Marquis importune ; Depuis que dans l’État on s’est emmarquisé, On trouve à chaque pas un Marquis supposé. Celui que l’on vous donne est nommé Rochesolles. Le nom ne m’en plaît pas beaucoup.         Entre les pôles Il n’en est pas un tel : son nom vient d’un Rocher, D’où l’on voit chaque jour mille soles pêcher, Dont la dîme est à vous.     Est-ce un port ?         Magnifique. Le Château du Marquis est-il beau ?         Tout de brique. Il durera longtemps : les habitants du lieu, Morifiques ou chrétiens ?         Grands serviteurs de Dieu. Les Dames ?         Elles sont et courtoises et belles. Douces ?     Comme du lait.         Je les aime bien telles ; Et de Couvents, combien ?     Neuf.     Des paroisses ?         Huit. Y prend-t-on des manteaux ?         Par ci par là la nuit. Tant pis ; y souffre-t-on quelques filles de joie ? Selon.         Et le Seigneur fait-il battre monnoie ? Tant qu’il veut.         Lieu Public pour les comédiens ? Fort beau.         J’en veux avoir souvent d’Italiens, Je les trouve bouffons : mais toi que j’interroge, Es-tu natif du lieu pour en faire l’éloge ? Un Maître que j’avais y fut pendu tout vif, Pour avoir seulement coupé le nez d’un juif. Le juge en est sévère.         On y fait donc justice ? C’est le meilleur Bourreau qui soit dans la Galice. Je veux faire pourvoir dans les prochains États, À la confusion de tant de Marquisats ; Fais m’en ressouvenir : ô future Marquise, Vous voyez que le Ciel mes desseins favorise : Mais mon cher Commandeur, concluons vitement, Je suis de mon amour pressé cruellement ; L’humide radical dans mon coeur se dissipe, Mon esprit s’en altère, et mon corps s’en constipe. Tenez bien quelque temps.         Voire qui le pourrait, Mon Amour me conduit à mon trépas tout droit. Encor faudrait-il bien donner ordre aux affaires, Vos Noces ne sont pas des Noces ordinaires, Il y faut des Ballets, des combats de Taureaux. Taureaux, j’en suis, je veux y jouer des couteaux, Et donner au public sans crainte de leurs cornes Échantillon sanglant de ma valeur sans bornes ; Je veux tauricider avec mon seul laquais. Tauricidez tout seul.         Madame Anne Enriquez, Dans la Cour du Château présentement arrive Si mal, qu’on ne croit pas dans les deux jours qu’elle vive. Je vais la recevoir, Monsieur tout aussitôt Je reviens vous trouver.         Allez, il ne m’en chaut, Pourvu que mon Soleil incessamment m’éclaire : Mais ne la vois-je pas avec mon Secrétaire ? Il est récidivant le Faquin, et toujours Il prend sa blanche main avec sa patte d’Ours ; Je veux faisant semblant de chanter le surprendre, L’ayant surpris, le battre, et puis le faire pendre. Beauté seringue à brasier, Coeur d’acier Tu m’as mis le flanc, À feu et à sang : Hélas l’amour m’a pris Comme le chat fait la souris. Je t’y prends, grand pendard, tu baises donc sa main, Aujourd’hui tu mourras ou pour le moins demain ! Quoi, ta bouche à tabac, de ses moites moustaches, A cette main d’ivoire ose faire des taches ? Icare audacieux, téméraire Ixion, Je te juge et condamne à la décollation : Et toi, de qui je tiens la main très inquinée, Je t’exclus de l’honneur d’un futur hyménée. Si vous vouliez m’ouïr.         Je serais un grand sot. Monsieur.         Tais-toi truand, pied plat, cagou, bigot. Monsieur assurément si vous vouliez m’entendre, Vous connaîtrez l’erreur qui vous a pu surprendre. Je vous entends, parlez.         Votre homme m’ayant fait Des Compliments pour vous, pour montrer en effet Jusqu’à quel point mon coeur a pour vous de l’estime, Je vous mandais par lui, sans penser faire un crime, Que j’étais toute à vous, votre homme un peu trop prompt, M’en a baisé la main, et fait rougir le front, C’est de cette façon que c’est passé la chose. Tout de bon? Mon courroux s’apaise par sa cause: Donnez-moi cette main qu’il ne baisera plus, Je veux la dévorer de mes baisers goulus. Don Roc, regarde-moi promener cette Belle, Aussi digne de moi que je suis digne d’elle. Vous m’aimerez bien fort ?         Oui, je vous le promets Autant que je le dois.         Je n’en doutai jamais. Que cette nuit est propre à me bien affliger. Je ne vois pas encor votre Amour en danger. Il n’y fut donc jamais.         Votre mère peut-être. Ma Mère avec son fils a toujours fait le Maître : Mais est-elle arrivée ?         Et votre soeur aussi. Hélas que mon beau temps s’est bien tôt obscurci ! Es-tu bien assuré que c’est elle ?         Elle-même. Et que ferai-je donc en ce malheur extrême ? Vous pourriez espérer.         Je suis désespéré. Et la Terre et les Cieux ont mon trépas juré. Pour moi j’éprouverais la bonté de ma mère. N’ayant pas épouser la fille de son frère, Elle m’ayant prié de le faire instamment, Et moi l’ayant promis si solennellement ; Alors qu’elle verra que j’ai fait le contraire, Que pourrai-je lui dire ? Et qu’aura-t-elle à faire ; Me voudra-t-elle ouïr ? Tu connais son humeur, Et de son esprit fier la sévère rigueur ; Je n’y vois nul remède, il faut que je m’absente ; Car irais-je ajouter au mal qui la tourmente, La rage de me voir en ces lieux déguisé : Au lieu d’être à Séville, à sa nièce épousé ? Mais quitterais-je aussi la belle Léonore, Un ange à qui je plais, un ange que j’adore, Qui m’a donné son coeur en échange du mien : Hélas j’ai tout à craindre, et je n’espère rien ? Pour moi, je lui dirais ingénument la chose. J’y suis tout résolu, tantôt pourvu qu’elle ose Paraître en son balcon, comme elle m’a promis, Elle saura l’état où le malheur m’a mis. Voici venir quelqu’un.         À telle heure, une fille Chercher un escalier, l’ambassade est gentille ; Il faudrait pour le moins savoir l’art de Maugis Pour trouver ce qu’on cherche en un si grand logis. Qui va là ?     Haye, c’est moi.     Qui vous.         C’est moi, qui tremble. Ou je me trompe, ou c’est Marine.         Il me le semble. Marine, que viens-tu si tard chercher ici. Je vous y viens chercher.         Je t’y cherchais aussi. Je viens vous annoncer un sujet de tristesse, Léonore ne peut accomplir sa promesse ; Japhet à sa fenêtre en conversation, Doit passer cette nuit par assignation ; De l’ordre de son Oncle on ne s’est pu défendre, Voilà ce que je viens de sa part vous apprendre. Il ne me restait plus qu’un fou me vînt priver Du bonheur le plus grand qui pouvait m’arriver Quoi, les plaisirs d’un fou me coûteront des larmes ? Et j’en perds l’entretien d’un objet plein de charmes ; Et que veut-elle faire avec ce Maître fou ? Son oncle le voulant, je ne vois pas par où Elle peut s’exempter des choses qu’il désire. Un accident fâcheux que je lui voulais dire Se pouvait éviter sans ce Prince des fous ; Je veux ici l’attendre, et le rouer de coups, Pour avoir ma raison du mal qu’il me procure, L’exploit m’en est facile en une nuit obscure ; Retire-toi, Marine, ou bien demeure ici, Pour voir transir de peur un fou d’amour transi ; Léonore m’attend, foin, ma bougie est morte, Je pourrais bien heurter mon nez à quelque porte, Peste soit de l’amour.         Nos fous viendront bientôt. Je m’en vais étriller Foucaral comme il faut ; Les voici.         Cette nuit est noire comme un diable. Elle est à mon dessein d’autant plus favorable. Et pour moi j’en ferai d’autant plus de faux pas. Pour te dire le vrai la nuit ne me plaît pas : Mais en cas d’employer une échelle de soie, On peut bien hasarder quelque chose.         Avec joie. Je pourrais hasarder quelques coups de bâton, S’il était question de tâter un téton. J’en tâterai tantôt deux, des plus beaux du monde, Durs, distants l’un de l’autre, et de figure ronde. Peste, quoi ? Deux Tétons ? J’en aurais assez d’un. Si le Ciel m’avait fait d’un mérite commun, Léonore aurait pu résister à mes charmes : Mais je n’ai qu’à paraître, il faut rendre les armes : Ce fat Zurducaci lui faisait les doux yeux. C’est un fat voirement, et Pascal en est deux. Je m’en vais te payer bientôt de ta louange. Que j’aurai du plaisir avecque ce bel Ange ; Je puis très justement dire avec feu César, Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.         Par hasard, Si ce vieil Commandeur vous donnait de l’épée ? Alors, je ne suis plus César, je suis Pompée. Que voulez-vous donc faire avec ces chantres-ci. J’en veux dulcifier mon amoureux souci. Et si le Commandeur entend votre Musique ? Foucaral, ta raison est assez énergique : Mais aussi j’irai perdre un ducat avancé. Préférez-vous l’argent à quelque bras cassé. Nous sommes loin encor d’où repose ma joie, Pour gagner mon argent devant qu’on les renvoie ; Ils chanteront les vers que je fis l’autre jour, Sur le feu violent de mon brûlant amour : Quant à moi de tout temps j’aime la symphonie, Et tiens que des bons vers, les beaux airs sont la vie Chantez Musiciens, mais non ne chantez pas, Foucaral a raison, retournez sur vos pas ; Ma Musique pourrait être ici scandaleuse, Écoute les doux fruits de ma vertu amoureuse. Amour Nabot, Qui du Jabot, De Don Japhet, As fait Une ardente fournaise ; Hélas, hélas ! Je suis bien las D’être rempli de braise. Ton feu Grégeois M’a fait pantois, Et dans mon Pis A mis Une essence de braise, Bon Dieu, bon Dieu, Le coeur en feu, Peut-on être à son aise. Qu’en dis-tu Foucaral, n’ai-je pas bien rimé ? Ces mots Nabot, Jabot, et Pantois m’ont charmé. Je pourrais bien demain après la jouissance, Ainsi que de raison produire quelque stance. Ha chien de Foucaral pourquoi me frappes-tu ? Qui moi ? Je viens aussi ma foi d’être battu. L’on redouble sur moi.         L’on m’en a fait de même. Le bourreau qui me frappe est d’une force extrême. Et celui qui me frappe est un hardi frappeur : Monsieur si vous vouliez je crierais au voleur. Ne gâtons rien.         Mort bleu cependant l’on me gâte. Le Lutin qui me bat n’a pas beaucoup de hâte, Il frappe posément.         Oui bien ce dites-vous, On m’a déjà donné plus de deux mille coups. Ouf, Messieurs les frappeurs, je défends le visage. Ma foi je vais crier.         Foucaral, soyez sage. Je ne le suis que trop pour le bien de mon dos. Pour sauver le visage aux dépens de nos os, Mettons-nous ventre à ventre, et face contre face. Où diable vous trouver ?         Maintenant que l’on fasse Tout ce que l’on voudra.     Qui va là ?         Rien ne va. Comment ?     Nous ne bougeons.         Il faut s’en tenir là ; C’est assez pour un coup.         On vous quitte des autres. Les reins me font grand mal.         Aussi font bien les nôtres ; J’y sens grande douleur.         Je n’en sens guère moins. Grâces à Dieu, ceci s’est passé sans témoins. Nommez-vous l’aventure une bonne fortune ? Et la grêle de coups doit-elle être commune Avec moi qui ne sers ici que de records ? Il revient des Esprits céans.         Plutôt des corps De frappante manière, et de main vigoureuse. Je n’en rabattrai rien de ma verve amoureuse ; Je tiens tous ces coups-là fort au-dessous de moi. Je les tiens dessus vous.         Je m’en veux plaindre au Roi. C’est fort bien avisé.         Le Balcon de ma Belle Doit être près d’ici, siffle.     Répondra-t-elle ? Elle me l’a promis.         Est-ce vous Don Japhet ? Oui, c’est moi mon bel ange, un peu mal satisfait, D’un petit accident que de bon coeur j’oublie, Puisque j’aurai l’honneur de votre compagnie. Je ne le puis celer, le désir de vous voir Me fait abandonner le soin de mon devoir. Ha ! Vous m’assassinez d’excès de courtoisie, Alérion musqué doux comme malvoisie : Mais ne ferais-je point vers vous ascension. Aimable Don Japhet, c’est mon intention, Je m’en vais vous jeter l’échelle.         Ha Séraphique ! Pour vous remercier faible est ma Rhétorique : Foucaral !     Monseigneur ?         Et bien, qu’en penses-tu ? Je suis venu, j’ai vu.         Mais l’on vous a battu. Foucaral !     Monseigneur ?         Je monte, ou Dieu me sauve. Foucaral !     Qu’a-t-il fait ?         L’occasion est chauve. Et vous aussi.     Va-t-en Foucaral.         Volontiers. En matière d’amour je n’aime pas un tiers. Il faudrait retirer l’échelle.         Oui ma Belle, Je la vais retirer cette divine échelle, Par qui j’ai pu monter à votre firmament. Je vous viens retrouver dans un petit moment ; Je m’en vais m’informer si mon Oncle sommeille. Je crains autant que vous que ce vieillard s’éveille. Allez donc ma Diane, allez voir ce qu’il fait, Et revenez trouver le bienheureux Japhet. Je ne reviendrai point, qu’après être assurée Qu’il dorme d’un sommeil profond et de durée ; S’il allait découvrir ce que je fais pour vous, Ce serait fait de moi.         Ce serait fait de nous : Ces assignations, ces balcons, ces échelles, Aboutissent souvent en blessures mortelles. Me voilà pris en cage ainsi qu’un Perroquet, Je commence à trembler pour mon dessein coquet : Ô des Amants furtifs Déesse ténébreuse ! Si tu fais réussir l’entreprise amoureuse, Je t’offre en sacrifice, un, deux, ou trois Lirons, Et deux gros chats-huants, déesse des larrons ; De ton obscurité redouble un peu la dose, Et rends bien assoupi le vieillard qui repose ; Prête-moi ta faveur à me bien divertir : Car j’en ai grand besoin pour ne te point mentir : J’entends quelque rumeur, le Ciel me soit en aide ! Amorce le fusil.         Je suis mort sans remède. Ou je me trompe fort, ou je vois un voleur Qui va par le balcon voler le Commandeur ; Qu’on lui mette d’abord du plomb dans la cervelle. Ha Messieurs ! Suspendez la Sentence mortelle, Je ne suis point voleur, je ne suis seulement Qu’homme à bonne fortune, ou bien fidèle Amant ; De plus, l’on m’a battu bien fort depuis une heure, Si frais battu Messieurs, est-il juste qu’on meure ? À grands coups de cailloux qu’on le fasse baisser. Cailloux à moi ? Bon Dieu, ce serait me blesser ; Un grand Seigneur blessé ne vaut pas le moindre homme. Ce n’est qu’un discoureur, vite qu’on me l’assomme. Tirerai-je ?     Oui tirez.         Tout beau, ne tirez pas. Je ne vaux rien, tiré.         Jette-toi donc en bas. Vous savez ce qu’on fait à quiconque se tue, Et que s’homicider est chose défendue. Faisons-le dépouiller, et jeter ses habits. Cavalier amoureux, loyal comme Amadis, Ou les cailloux sur vous vont pleuvoir d’importance, Ou bien dépouillez-vous sans faire résistance, De vos chers vêtements, pour nous en faire un don. Mes vêtements Messieurs, parlez-vous tout de bon ? Savez-vous que je suis le plus frileux du monde ? Savez-vous que l’on va faire jouer la fronde ? Vite, qu’on me le fronde, il ose raisonner. Frondeurs, ne frondez pas, je vais vous les donner : Voilà pour commencer, la rondelle et l’épée, Je me disais tantôt César, je suis Pompée : César vint, vit, vainquit, et moi, je suis venu, Je n’ai rien vu, l’on m’a battu, puis mis à nu. Ô noir amour !         Ma foi ce fou me fait bien rire. Vous riez, assassins.         Qu’est-ce que j’entends dire ? Je crois que ce voleur nous appelle assassins, Qu’on le tue.         Ha Messieurs ! Je disais spadassins, Et consens de bon coeur que quelqu’un m’assassine. Si j’ai cru votre troupe autre que spadassine. Cependant les habits ne se dépouillent pas. Vous me pardonnerez, je vais tout mettre bas. Vous marchandez beaucoup.         Qu’à mes habits ne tienne, Qu’on ne gâte une peau douce comme la mienne. Qu’ainsi ne soit, voilà, mon fidèle chapeau : Mais Messieurs voulez-vous que je demeure en peau ? Vous donnerai-je aussi les habits qui me couvrent ? Que cents coups de cailloux tout à l’heure l’entrouvrent. Messieurs, ne parlons plus de lapidation, Je m’en vais achever la spoliation, Et vous achèverez de plier ma toilette. Le malheureux me raille, il faut que je le mette De son Balcon en bas, donne-moi ce fusil, Je veux faire un beau coup.         Messieurs, que vous faut-il ? Ce n’est donc pas assez d’être nud en chemise ? Et la plainte au chétif ne sera pas permise ? Ma foi c’est bien à moi de faire le railleur, Mort de peur, mort de froid, et pris pour un voleur ; Laissez-moi donc en paix, attiédissez vos biles, Et que mes vêtements vous puissent être utiles : Voilà mon haut-de-chausse, et mon pourpoint aussi. C’est trop, c’est trop. Adieu, Seigneur, et grand merci. C’est trop, c’est trop ma foi, c’est moi-même qu’on raille, Me voilà nud pourtant, peste soit la canaille ; Si je n’avais été si haut embalconné, Cents coups au lieu d’habits je leur eusse donné : Mais mon ange est long temps.         La nuit est fort obscure, Gare l’eau.         Gare l’eau ? Bon Dieu, la pourriture ; Ce dernier accident ne promet rien de bon : Ha ! Chienne de Duègne, ou servante, ou Démon ; Tu m’as tout compissé, pisseuse abominable, Sépulcre d’os vivant, habitacle du Diable ; Gouvernante d’Enfer, épouvantail plâtré, Dents et crins empruntés, et face de châtré. Gare l’eau.         La Diablesse a redoublé la dose ; Exécrable Guenon, si c’était de l’eau rose On la pourrait souffrir par le grand froid qu’il fait ; Mais je suis tout couvert de ton déluge infect ; Et quand j’espérerais le retour de ma Belle, Étant tout putréfait que ferais-je avec elle ? Il faut céder au Temps, c’est assez pour un coup. J’ai fort mal réussi : mais j’aurai fait beaucoup Si je puis descendant l’échelle que j’accroche, Garantir mon cher corps de chute, ou d’anicroche : Que maudit soit l’amour, et les Balcons maudits D’où l’on sort tout couvert d’urine, et sans habits : Que le métier d’amour est un rude exercice ! Qui va là ?     Qui me dit qui va là ?         La Justice. Je ne suis point gibier de tels chasseurs que vous. Qu’on le saisisse au corps.         Autre grêle de coups : Faisons bien les mauvais : au premier qui me touche De l’âme d’un fusil je fermerai la bouche. Les armes bas, de par le Roi.         Le Ciel m’a fait Son plus proche parent.         Est-ce vous Don Japhet ? Est-ce vous Commandeur ?         Ainsi nud à telle heure. Je m’en allais baigner.     En Hiver ?         Oui je meure ; L’Amour mon pauvre corps a si fort enflammé, Que je me puis baigner sans en être enrhumé : Amour par ta bonté rends l’échelle invisible ? Autant que la saison votre amour est terrible ; Et l’on vous peut nommer un amoureux sans pair, De vous baigner ainsi dans le fort de l’Hiver. Foi de fidel amant présentement je sue. J’ai trouvé ces habits au détour de la rue ; Un homme qui fuyait les tenait embrassés Il les a laissés choir, je les ai ramassés. À qui sont ces habits ?         Ce sont ceux de mon Maître, Je les reconnais bien.         Cela pourrait bien être ; Je les avais donnés à garder à mes gens, Ils les ont égarés, comme ils sont négligents. Seigneur Japhet, venez chauffer votre Personne, Et prenez vos habits, la chaleur vous est bonne. Pour vous faire plaisir j’approcherai du feu. La Fortune et l’Amour me font ici beau jeu ; L’échelle de ce fou tout à l’heure aperçue, Me prépare une entrée au Ciel.         J’en crains l’issue. Le Commandeur dormant, que peut-il m’arriver ? Et s’il vient voir sa nièce, il vous pourra trouver. Et si le Ciel tombait ? Vois-tu, laisse-moi faire, La Fortune et l’Amour ont soin du téméraire ; Suis-moi dans le Balcon, où tu feras le guet. Dieu nous veuille garder d’avoir pis que Japhet ; Ô qu’il est mal aisé quand on sert un jeune homme De dormir tous les jours à l’aise et de bon somme. L’Alezan est fougueux.         Il ne me plaît donc pas. Il ne vous faudrait donc qu’un bon cheval de pas. Fort bien, et qui pourtant donnât quelques courbettes : Je hais fort les chevaux qui portent des bossettes : J’en voudrais un qui fût entre triste et gaillard, Qui tînt fort de la Mule, et fort peu du Bayard. J’en chercherai quelqu’un doux comme une litière. Mon dessein entre nous, menace de la bière ; Ne puis-je pas porter quelque bonne arme à feu, Afin de mieux tirer mon épingle du jeu ? Ce serait un coup sûr : mais ce n’est pas la mode. Quoi, l’usage prévaut ? Ô sottise incommode? En chose où le péril paraît de tous côtés, On peut fort bien passer sur les formalités. Et si quelque taureau vient à moi comme un foudre, Puisqu’un vilain taureau peut un homme découdre, Ne peut-on pas alors se tirer à quartier ? Ce serait l’action d’un lâche Cavalier. Ce serait l’action d’un Cavalier bien sage. Laissez votre sagesse, et montrez du courage. Je n’en montre que trop, et l’arme que j’aurai, Que sera-ce ?         Une lance au bois peint et doré. Je veux entrer en lice avec la hallebarde. Hallebarde contre un taureau, Dieu vous en garde. Et qu’on pourrait-on dire?         On s’en moquerait fort. S’en moquera-t-on moins quand on me verra mort ? Souvenez-vous au reste en frappant de la lance, De choisir bien l’épaule.         Et pourquoi non la panse? Et plus large, et plus tendre, et plus belle à frapper. Où l’on peut ajuster cent coups sans se tromper. Cela n’est pas permis.         Ô le maudit usage ! Monsieur encore un coup, ayez bien du courage, Et le reste ira bien.         J’ai peur qu’il aille mal: Car un Taureau n’est pas un traitable animal. En peu de mots, voici ce que vous devez faire, Vous entrerez en lice hardi, non téméraire ; Votre lance en l’arrêt, ferme dans les arçons, Et rendant le salut aux dames des balcons. Et puis après j’irai chercher des coups de cornes ; Ô que mon sot dessein rend tous mes esprits mornes ! Je voudrais de bon coeur être sans Marquisat, Et pouvoir m’exempter de ce maudit combat : Adieu je vais m’armer, si jamais j’en échappe, Je veux que l’on me berne, en cas qu’on m’y rattrape. Hé bien, ma chère Elvire, ai-je encor à languir ? Ma Mère est un esprit qui ne peut revenir, Nous n’obtiendrons jamais ce que nous voulons d’elle, Qu’elle ait de mon frère une bonne nouvelle ; S’il ne revient bientôt nous espérons en vain. Il faut l’aller chercher, et partir dès demain : S’il est en quelque endroit des lieux que le Ciel couvre, Il sera bien caché si je ne le découvre : Mais il est mort, Elvire ?         Hélas j’en ai grand peur ! Car ma Mère en mourrait sans doute de douleur. Vous me commandez donc de chercher votre frère. C’est l’unique remède à nos maux salutaire. Mais aussi vous quitter !         Mais Alvare, il le faut, Sa mort, ou son retour vous ramènent bientôt. Bien donc, pour vous rejoindre il faut que je vous quitte. Votre action Alvare, aura tout son mérite, Vous trouverez un frère, et vous aurez sa soeur. Ha Seigneur Don Alvare, un horrible malheur Aujourd’hui nous prépare une histoire tragique. Quoi donc Seigneur Pedro ?         Ce fou mélancolique Avait un Secrétaire en habit d’écolier ; Ce n’en était pas un, c’était un cavalier, Éperdument épris d’amour pour Léonore. Elle l’aime ?         Elle l’aime, et même elle l’adore : Ce bienheureux Amant, dans sa chambre introduit Où vraisemblablement il a passé la nuit, Fait bien voir qu’elle l’aime, et qu’elle en est aimée. Et comment l’a-t-on su ?         Sa chambre mal fermée Les a laissé surprendre à notre Commandeur ; Soit qu’il fût averti ; soit que le seul malheur Ait conduit notre Maître à voir son infamie, Lorsqu’il pensait trouver une nièce endormie, Il ne s’est point troublé le téméraire Amant ; Aux cris du Commandeur, nos gens en un moment Sont venus bien armés au secours de leur Maître, L’autre valet du fou, camarade peut-être, De ce jeune écolier, s’est mis à son côté, Et lui sans s’effrayer de l’inégalité, A fait tout ce qu’eût fait le plus brave des hommes ; Oui, jamais il n’en fut en la terre où nous sommes : De plus vaillant que lui : c’est un Roland, un Cid ; Il a blessé nos gens du plus grand au petit ; Notre Commandeur même est blessé dans l’épaule : Enfin on a saisi cet Amadis de Gaule, Et sous son jupon noir qui le décréditait, Non sans étonnement, on a vu qu’il portait Un riche vêtement, non d’un homme ordinaire, Mais bien d’un grand Seigneur, soi-disant Secrétaire : Quoique pris on l’a vu conserver sa fierté, Comme un jeune Lion dans les fers arrêté : Madame Léonor dans sa chambre est pâmée, Où notre Commandeur l’a lui-même enfermée. Quel étrange malheur ?         Je crois que le voici. Quand je devrais mourir.         Tu dois mourir aussi. J’en aurais fait mourir devant ma mort bien d’autres, À moins d’être accablé du grand nombre des vôtres. Exécrable assassin.         Mon crime est mon Amour, Je serai trop heureux quand je perdrai le jour. Tu n’es qu’un imposteur.         Je suis un misérable. Et mon infâme nièce.         Est un ange adorable. Ha je la punirai, je le dois, je le puis. Oses-tu sans respect parler d’elle où je suis ? Si je n’étais, lié, ta bouche criminelle Ne hasarderait pas des blasphèmes contre elle. Méchant, tu l’as séduite ; et ta condition Est chose supposée, et pure invention. Il est vrai Commandeur, j’ai ta nièce séduite, Nous devions elle et moi demain prendre la fuite ; Je l’adore, elle m’aime, et m’a donné sa main, Que n’exécutes-tu ton Arrêt inhumain ? Sa bouche d’un soupir rendra ma mort heureuse ; C’est là l’ambition de mon âme amoureuse, Si mon trépas lui coûte une larme, un soupir, Je mourrai de l’Amour le glorieux Martyr. Je te ferai mourir au milieu des supplices. Les plus cruels tourments me seront des délices, Puisqu’ils me serviront vers elle à mériter. Dis ton nom, scélérat, ou je te vais planter Ce poignard dans le sein.         C’est toute mon envie, Si je perds Léonore, ai-je affaire de vie ? Délivre-moi le bras, donne-moi ton poignard, Tu me verras percer mon coeur de part en part ; Tu veux savoir mon nom, je le saurais bien taire Au bien de mon Amour s’il était nécessaire, Pour la peur de cent morts je ne dirais pas, Un Amant comme moi ne craint point le trépas : Mais pour justifier ma flamme, il le faut dire, Je m’appelle Enriquez, voilà ma soeur Elvire, Et ma Mère est ici malade, et moi je suis Prêt de te satisfaire autant que je le puis : Si ce que je te dis t’irrite davantage, Exerce dessus moi ton poignard et ta rage. Ha mon frère !         Ha ma soeur, laisse-moi donc parler ! Que délibère-t-on ? Je suis tout prêt d’aller Pour réparer ma faute épouser Léonore, Ou bien perdre le jour, que sans elle j’abhorre, Et je répète encor que je bénis mon sort, Si mon Ange visible a regret en ma mort. Le valet de Japhet étant un Don Alfonce, Vous délier moi-même est toute ma réponse, Vous priant d’oublier tout ce qui s’est passé. C’est à vous d’oublier, vous êtes l’offensé. J’espère qu’entre nous finira la querelle, Vous donnant Léonore, et mon bien avec elle. C’est m’élever au Trône en me tirant des fers, Et me porter au Ciel au sortir des Enfers. Que l’on aille quérir ma nièce.         Hélas mon frère ! Que vous avez coûté de larmes à ma mère ? J’aurai peine à fléchir son esprit absolu, Qui ne démord jamais de ce qu’elle a voulu. Nous obtiendrons tout d’elle, une juste prière, Parmi les gens d’honneur ne se refuse guère. Elle pourrait sans doute en une autre saison Se plaindre de son fils avec juste raison. Je devais épouser sa nièce, elle était belle, Je pouvais espérer de grands biens avec elle : Mais peut-on éviter la volonté des Cieux ? Et peut-on s’exempter du pouvoir de deux yeux ? Pouvais-je deviner qu’en allant à Séville, J’entrerais dans les fers d’une divine fille ? Et suis-je dans les fers où les beaux yeux m’ont mis, En l’état de tenir ce que j’avais promis ? Messieurs, or écoutez le malheur effroyable, Qui vient d’assassiner Don Japhet misérable. Le Taureau l’a-t-il mal traité ?         Vous l’avez dit, Il s’est mis sur les rangs aussi vaillant qu’un Cid ; Un taureau mal appris qui l’a vu dans la place, A pris aversion pour sa tragique face ; Et l’a suivi longtemps les cornes dans les reins ; Le vaillant champion sans songer à ses mains, Voyant que le taureau le poursuivait si vite, A de la selle en bas bientôt changé de gîte ; L’impertinent taureau le voyant piéton, Est allé droit à lui sans craindre son bâton ; Et le brave Japhet, voyant ses grandes cornes, S’est présenté trois fois pour transgresser les bornes ; Le peuple mal courtois a dit, nescio vos ; Cependant l’animal a pris son homme à dos : Et les cornes s’étant en grègue embarrassées, L’infortuné Japhet, et ses belles pensées, Ayant été longtemps dans l’air bien secoué, (Sans cornade pourtant, dont le Ciel soit loué) S’est à la fin trouvé couché sur la poussière, Foulé de coups de pieds d’une étrange manière : On le remporte à quatre, et je viens tout exprès Vous faire le récit de ce triste succès : Mais notre Secrétaire est vêtu comme un Prince, Que diable a-t-il donc fait de son justaucorps mince ? Don Roc Zurducaci n’est plus un écrivain, Il épouse aujourd’hui Léonore, ou demain ; Et mon maître ?         Et ton Maître, il prendra patience. Cela nuira beaucoup à sa convalescence : Comme un valet toujours dit tout ce qu’il a vu, Je m’en vais lui conter la chose à l’impourvu. Ma nièce, approchez-vous, dedans la promptitude Je vous ai tantôt fait un traitement bien rude : Mais je crois me remettre assez bien avec vous, En vous faisant présent d’un si parfait Époux. Votre bonté me rend et muette et confuse, Et mon crime est si grand.         Votre choix vous excuse : Monsieur, je vous la donne.         Et moi je la reçois, Comme un bien, qui me rend aussi riche qu’un Roi. Il faut aller trouver votre mère, et j’espère Que nous obtiendrons tout d’une si bonne mère. Ce bien heureux Hymen va la ressusciter. Et vous et Don Alvare, y pourrez profiter. Si vous vous en mêlez la chose est fort facile. Et de plus elle est juste, autant qu’elle est utile. Place Messieurs, je viens vous trouver à grands pas, Mortel avant-coureur de quatre ou cinq trépas ; Pour vous signifier que la fureur dans l’âme, Don Japhet courroucé vient chanter votre gamme. Où se cachera-t-il, ce Commandeur maudit, Qui dans un même jour a son dit et dédit ? Ha te voilà vieux fou, sans honneur sans parole, Maître de valets fous, Oncle de nièce folle ! Et tu ris grand vilain ? Et tu m’as mal traité ? Et tes valets ont pris la même liberté ? Cependant qu’au péril de cent mille cornades, Je combats des Taureaux à grands coups de lançades, Tu me ravis ta nièce, ignorant, affronteur ; En faveur d’un valet qui n’est qu’un imposteur : Elle aurait succédé dans ma couche honorable, À ma chère Azatèque une Reine adorable : Et traître tu la fais femme d’un écrivain, D’un grand faquin qui vit du travail de sa main ? De fourbe le plus grand qui soit dans la Castille, Est-ce pour tes beaux yeux qu’on s’expose en soudrille ? Ne contes-tu pour rien d’être venu d’Orgas ? Et suis-je un homme à perdre, et mon temps et mes pas ? Si je n’étais Chrétien (mais le Christianisme) Me défend d’entreprendre un sanglant cataclysme, Si je n’étais Chrétien, Commandeur effronté, Je t’aurais dépaulé, décuissé, détêté ; Si je n’avais eu peur de m’accabler moi-même, J’aurais fait le Samson dans ma fureur extrême ; J’aurais mis ton château tout sens dessus dessous, Ton renifleur et toi, ta nièce, et son époux : Si tu m’avais tenu la parole promise, Je lui donnais mon bien, je la faisais Marquise, Moi parent de César, moi Marquis, moi Japhet J’allais faire l’esclave, et j’aurais fort mal fait : Mais que je sache encor pourquoi d’un secrétaire Cette jeune indiscrète, est l’injuste salaire ; Est-ce pour les profits du Secrétariat, Qui ne lui vaudra pas par an demi ducat ? Monseigneur Don Japhet.         Vitement, qu’on me l’ôte Ce perfide valet.         Je confesse ma faute : Mais lorsque vous saurez que j’étais Cavalier, Que l’amour m’a fait prendre un habit d’Écolier, Et que j’étais aimé de ma belle Maîtresse ; Vous ne me croirez plus d’âme double et traîtresse, Et vous pardonnerez.         Maudit soit le Cornet. C’est bien encore pis que le coup de Mousquet. Qui diable es-tu ?         Je suis le Courier ordinaire De votre grand César.     Qui t’amène ?         Une affaire Qui vous importe fort.         Parle, et ne corne pas, On je t’étranglerai.         Parlerai-je tout bas ? Pourquoi faquin ?         De peur de vous rompre la tête. Et tu viens de la rompre abominable bête, Parle donc vitement ?         Je n’ai point à parler. Et pourquoi non bourreau, que je dois étrangler ? Parce que ce paquet de tout vous doit instruire. Lis-le donc vitement.         Je n’ai su jamais lire. Qu’un autre lise donc.         Je le sais tout par coeur. Fais-en donc le récit.         De par moi l’Empereur. De ce visage-là je garde quelque idée, Et j’ai vu quelque part cette face ridée. L’héritier du Soleil, le grand Mango Capac, Souverain du pays d’où nous vient le Tabac, Prit Coïa Mama sa soeur en Mariage, Du pays du Pérou la fille la plus sage ; Du Valeureux Mango, de la belle Coïa Est sortie en nos jours l’Infante Ahihua ; Elle arrive à Madrid pour être baptisée, De mon Cousin Japhet qu’elle soit l’Épousée ; Je leur donne un impôt que j’ai mis depuis peu, Tant sur les Perroquets qui sont couleur de feu, Que sur les Lamantins du grand Fleuve Orillane, Et mes prétentions sur la riche Guyane. Le traître de Courier ressemble au Renifleur, Faites-moi voir un peu le seing de l’Empereur. Le voilà bien écrit de sa dextre Royale. Il n’en faut point douter.         La Dame Occidentale A deux vaisseaux chargés de précieux bijoux, De gorges de Griffons, de peaux de Loups-garous De baume gris de lin, de Vezugues musquées, De grandes pièces d’or non encor fabriquées. Bon cela.         De Guenons qui parlent Portugais, De gros diamants bruns, et de rubis balais. Est-ce tout ?         Ce n’est pas là la centième partie. Mais il faut faire grâce à votre modestie. Mais ne seriez-vous point ce maudit renifleur, Ou du moins le parent de ce mauvais railleur ? Si ce malheureux-là m’avait fait le message, Je romprais là-dessus tout net un mariage, L’Empereur mon Cousin s’en dût-il offenser. Hé bien la belle Iris, vous pouviez bien penser Qu’un homme comme moi ne manque point de femme, Vous avez avec nous un peu fait la grand Dame, Je m’en vais épouser l’Infante Ahihua, Qui me va réjouir comme un Alléluia : Et vous son cher galant, jadis mon Secrétaire, Vous m’avez fait du bien, en me pensant mal faire, Je vous sais fort bon gré de m’avoir supplanté, Coquettes et cocus ont grande affinité, Coquettes avec Coquet ne trouve pas son compte, Et Coquet de Coquette a toujours de la honte ; Vous avez bien joué le Roc Zurducaci, Vous en êtes content, et je le suis aussi : Et vous le Commandeur qui me l’aviez promise, Un grand fourbe est gîté dedans votre chemise ; Certains petits discours parvenus jusqu’à moi, Me font beaucoup douter de votre bonne foi ; Vos fréquents compliments, votre reniflerie, L’affaire du Balcon, et la mousqueterie, Tout cela contre vous fait un procès-verbal, Qui vous condamne d’être à jamais animal, Si ce n’est qu’un Japhet doit mépriser l’offense, César est son Parent, malheur à qui l’offense, Je pars pour aller voir un Ange du Pérou. Vous n’y pouvez aller sans savoir bien par où ; Un ordre m’est venu de César qu’on doit suivre, Quatre mille ducats dans huit jours on me livre, Que l’on doit employer à faire votre train. Tout de bon ?         Vous verrez l’ordre écrit de sa main : Cependant, Monseigneur, votre noble Présence Prendra part s’il lui plaît à la réjouissance. Je suis donc votre avis, et ne m’en irai pas : Foucaral, fais venir mon bagage d’Orgas. Il est déjà venu sans mulets ni charrette, J’ai tout dans un chausson au fonds de ma pochette. Allons voir votre mère, et tâchons d’obtenir Qu’elle veuille aujourd’hui vos souffrances finir, Le Seigneur Don Japhet honorera vos Noces, Et puis après ira suivi de vingt Carrosses Recevoir dans Madrid l’infante Ahihua, Qui vient de Père en fils, de Capac et Coïa. Soit ; aussi bien mon train n’est pas chose encore prête, Mais point de renifleur, ou je trouble la fête.