Oui je n’en doute plus, ou bien vous êtes fou. Ou le Diable d’Enfer, qui vous casse le cou, A depuis peu chez vous élu son domicile Arriver à telle heure en une telle ville, Courir toute la nuit sans boire ni manger, Menacer son Valet, et le faire enrager. Taisez-vous maître sot, cette rue où nous sommes Est celle que je cherche.         Ô le plus fou des hommes Et qu’y voulez-vous faire après minuit sonné ? Aller voir Don Fernand.         Oui tu l’as deviné Je veux dès cette nuit aller voir Isabelle. Dès cette nuit plutôt vous brouiller la cervelle, Si cervelle chez vous est encore à brouiller. Si faut-il Jodelet te résoudre à veiller, Quelque las que tu sois, quelque faim qui te tue, Je ne suis pas d’avis de sortir de la rue, Sans avoir vu de près l’objet de mon amour, Le dussé-je chercher jusques au point du jour. Ressouviens-toi mortel qu’il est tantôt une heure Que l’on n’ouvrira point où Don Fernand demeure, Que nous sommes partis ce matin de Burgos, Que tantôt sur mulets, et tantôt sur chevaux Nous avons vous et moi, grâce à votre Hyménée, Couru comme des fous le long de la journée, Et que toute la nuit faire le Chat-huant Est très grande folie au Seigneur Don Juan. Ressouviens-toi mortel que n’aimer que sa gueule, Que ne vivre ici-bas rien que pour elle seule Est être pis que bête, et donc, ô Jodelet, Vous n’êtes qu’une bête, habillée en valet. Que je hais les railleurs !         Que je hais les ivrognes ! Que je hais les amants et leurs mourantes trognes ! Moi que j’aime Isabelle, et que son seul Portrait Me perce jusqu’au coeur d’un redoutable trait. Vous êtes donc de ceux qu’une seule peinture Remplit de feu grégeois, et met à la torture, Et si Monsieur le Peintre a bien fait un museau, S’il s’est heureusement escrimé du pinceau, S’il vous a fait en toile une adorable idole, L’original peut être une fort belle folle, Sa bouche de Corail peut enfermer dedans De petits os pourris au lieu de belles dents, Un Portrait dira-t-il les défauts de sa taille, Si son corps est armé d’une jaque de maille, S’il a quelques égouts outre les naturels Accident très contraire aux appétits charnels : Enfin si ce n’est point quelque horrible Squelette Dont les beautés la nuit sont dessous la toilette, Ma foi si l’on vous voit de femme mal pourvu Puisque vous vous coiffez devant que d’avoir vu Vous ne serez pas plaint de beaucoup de personnes. Sais-tu bien Jodelet alors que tu raisonnes, Qu’il n’est point sous le Ciel un plus fâcheux que toi. Il n’est pas sous le Ciel un plus fâché que moi Quand il faut à tâtons courir de rue en rue, Ou dessous un balcon faire le pied de grue. Jodelet ?     Don Juan ?         Sans doute mon portrait Envers mon Isabelle aura fait son effet, J’y suis peint à ravir.         Je sais bien le contraire. Que dis-tu ?         Je vous dis, qu’il n’a fait que déplaire. D’où Diable le sais-tu ?         D’où ? Je le sais fort bien, Parce qu’au lieu du vôtre elle a reçu le mien. Traître si tu dis vrai, mais je crois que tu railles, J’irai chercher ta vie au fonds de tes entrailles. Venez la donc chercher, car je ne raille point, Mais en frappant mon corps, épargnez mon pourpoint. Ne pense pas tourner la chose en raillerie, Dis comment l’as-tu fait ?         Vous êtes en furie. Oui j’y suis tout de bon, je n’y fus jamais tant. Lorsque avec bon congé du Cardinal Infant, Et lettres de faveur nous partîmes de Flandre. Et bien.         Écoutez donc, et vous l’allez apprendre, Le désir violent de vous voir à Burgos Vous fit aller bien vite, et par monts et par vaux, Le voyage fut court, mais à notre arrivée Un frère mis à mort une soeur enlevée, Sans savoir ou, par qui, ni pourquoi, ni comment Vous pensèrent quasi gâter le jugement. À quel propos méchant viens-tu rouvrir ma plaie Par le ressouvenir d’une perte trop vraie. Ha ! Frère non vengé, soeur qui m’ôte l’honneur Et de ton assassin et de ton suborneur, Je saurai par mon bras si bien me satisfaire Que je pourrai vanter ce que j’avais à taire : Mais venons au Portrait.         J’y vais tant que je puis, Mais ma foi je ne sais quasi plus où j’en suis, Je ne fais que tirer et rengainer ma langue : Car vous interrompez à tous coups ma harangue, Je n’ai pourtant rien dit qui ne soit à propos. Que ne racontes-tu la chose en peu de mots ? Je ne puis ni parler tandis qu’un autre cause, Pour moi je dis toujours par ordre chaque chose : Or pour votre portrait que j’avais oublié. Jamais ses longs discours ne m’ont tant ennuyé. À peine fûmes-nous de retour en Castille Que Fernand de Rochas vous proposa sa fille Là-dessus son portrait qui vous fut apporté Vous rendit plus brûlant que le soleil d’été, Vingt mil écus étaient offerts avec la belle, Et vous pour la charmer comme vous l’étiez d’elle, Vous voulûtes aussi qu’elle eût votre Portrait, Ainsi vous la frappiez avec son même trait : Lors à bon chat, bon rat, et la pauvre donzelle Était pour en avoir profondément dans l’aile, Le stratagème était d’amant bien raffiné, Mais le Ciel autrement en avait ordonné. Enfin finiras-tu quelque jour ton histoire ? Oui Seigneur, mais il faut vous remettre en mémoire, Car pour moi je suis la de me ressouvenir. Fusses-tu las aussi de tant m’entretenir, J’ai bien ici besoin de patience extrême. Vous vous souviendrez donc que votre Peintre même Me voulut peindre aussi.         Poursuis, je le sais bien. Savez-vous bien aussi qu’il ne m’en coûta rien, Et que ce bon Flamand est brave homme, ou je meure. Et bien crois-tu pouvoir achever dans une heure, As-tu brûlé, vendu, mangé mon Portrait ? L’ai-je encore, l’a-t-elle, enfin qu’en as-tu fais ? Donnez-moi patience, et vous l’allez apprendre, Mais retournons chez nous, et laissons-là la Flandre, Comme j’étais après à vous empaqueter, Vous savez que je suis très facile à tenter, Et que le Ciel m’a fait curieux de nature, Pour votre grand malheur j’avisai ma peinture, Celle qu’au Pays-Bas, comme je vous ai dit, Sans qu’il m’en coûtât rien votre Peintre me fit, Je la mis aussitôt vis-à-vis de la vôtre, Pour voir si l’une était aussi belle que l’autre, Lors je ne sais comment le Diable s’en mêla, Ni ne vous puis conter comment se fit cela, La mienne prit la poste, et la vôtre restée, Fit que j’eus quelques jours la tête inquiétée, Mais le temps qui dissipe et chasse les ennuis, M’ayant favorisé de quelques bonnes nuits, Je me suis défâché de peur d’être malade : Vous si vous me croyez, sans faire d’incartade, Vous ne songerez plus au mal que j’ai commis, Puisque c’est par mégarde, il doit être remis, Voilà la vérité, comme on dit, toute nue. Et qu’aura-t-elle dit de ta face cornue ? Chien, qu’aura-t-elle dit de ton nez de blaireau ? Infâme.         Elle aura dit que vous n’êtes pas beau, Et que si nous étions artisans de nous-même, On ne verrait partout que des beautés extrêmes, Que chacun se ferait le nez efféminé, Et que vous l’avez tel que Dieu vous l’a donné : Mais que mal à propos peu de chose vous choque, Si vous pouvez demain lui conter l’équivoque, Quand elle vous verra brillant comme un Phébus, Vous me remercierez d’un si plaisant abus. Paix là, je vois quelqu’un qui saura bien peut-être Où loge Don Fernand, va le joindre.         Mon Maître. Que veux-tu ? Parle bas.         Peut-être il n’en sait rien. Ha malheureux poltron ! Tu mériterais bien Qu’il te donnât cent coups.         Il le pourra bien faire. Cavalier.     Qui va là ?         Soit dit sans vous déplaire Où loge Don Fernand ?         C’est ici sa maison. Ha vraiment pour le coup mon Maître avait raison, Le beau-père est trouvé, venez vite son gendre, Nous n’avons qu’à frapper.         Et moi je viens d’apprendre Que je suis un vrai sot de leur avoir montré. Où mon maître tantôt est en cachette entré, Et d’où je le tiens prêt de sortir tout à l’heure, Mais j’y veux donner ordre.         Est ce ici qu’il demeure. Oui, mais il est malade, et n’aime pas le bruit, Quelles gens êtes-vous ?         Nous n’allons que la nuit, Nous portons à la nuit amitié singulière, Et serions bien fâchés d’avoir vu la lumière : Nous sommes de Norvège un pays vers le Nord, Où maudit d’un chacun est tout homme qui dort : Pour moi je ne dors point, voyez-vous là mon maître ? C’est le plus grand veilleur, qui se trouve peut-être. Ou plutôt un voleur qui me fera raison De m’avoir l’autre jour surpris en trahison, Oui je le connais bien, et vous étiez ensemble. Homme un peu bien colère, et bien fou, ce me semble, Sachez si nous l’étions la moitié tant que vous, Que de ma blanche main vous auriez mille coups, Et si vous ne fuyez, que cette mienne lame N’aura plus de fourreau que celui de votre âme : Mon Maître avancez-vous, je commence à mollir, Et sans l’obscurité vous me verriez pâlir. À moi Rustaud, à moi que je vous civilise. Si faut-il, Ténébreux, que je vous dépayse, À deux cents pas d’ici, quoique vous soyez deux, Si vous osez me suivre on s’y battra bien mieux. Oui-da, je vous suivrai.         La peste comme il drille, J’ai pourtant eu frayeur de ce chien de soudrille, Autrement sans péril je lui cassais les os : Foin je n’aurai jamais poltron plus à propos, Mais d’où diable est sorti cet autre vilain homme. Étienne.     L’on y va.         C’est son valet qu’il nomme, Celui qui devant nous vient de gagner au pied. Ou je me trompe fort, ou je suis épié, Mais la rumeur ici troublerait Isabelle, Et je dois mépriser l’honneur pour l’amour d’elle, Fuyons puisqu’il le faut.         Demeure, ou tu es mort Demeure encor un coup.         Diantre qu’il pousse fort. Dis ton nom vitement, ou je t’ôte la vie. Je suis Don Jodelet natif de Sigovie. Au Diable le maraud, et l’homme du balcon. Il s’en est envolé léger comme un faucon, Et moi sot que je suis-je vidais sa querelle Tandis que le poltron enfilait la venelle, De deux grands vilains coups que vous m’avez poussés J’ai cru mes intestins par deux fois offensés, Vous êtes un peu prompt, mais de grâce mon maître, On sort donc à Madrid ainsi par la fenêtre : Vous ne me dites mot.         L’as-tu bien entendu ? Oui.     J’en suis tout confus.         Et moi tout confondu. Je ne dois pas ici rien faire à la volée. Vous avez ce me semble, un peu l’âme troublée. Oui je l’ai, Jodelet, et j’en ai du sujet ; Mais raisonnons un peu là-dessus.         C’est bien fait : Raisonnons, aussi bien j’en ai très grande envie, Et je ne pense pas durant toute ma vie Avoir été jamais en mes raisons si fort : Raisonnons donc mon maître, et raisonnons bien fort. Je suis né dans Burgos pauvre, mais d’une race Exempte jusqu’à moi de honte et de disgrâce. Fort bien.         À mon retour de la guerre à Burgos Je me trouve attaqué de deux différents maux, Le meurtre de mon frère, et ma soeur enlevée, Quoique soigneusement dans l’honneur élevée Me causent un chagrin qui n’eût jamais d’égal. Fort mal, fort mal, fort mal, et quatre fois fort mal. Don Fernand me choisit pour époux d’Isabelle, Ton portrait pour le mien est reçu de la belle. Pas trop mal.         Nous traitons cette affaire sans bruit, Et je pars pour Madrid, où j’arrive de nuit. Un peu mal.         Sans songer, à me chercher un gîte Mon amour droit ici m’amène.         Un peu trop vite. Je rencontre un valet où loge Don Fernand Qui me fait à dessein querelle d’Allemand, J’en vois sortir son maître.         Il est vrai qui détale Comme un poltron qu’il est.         Mais de peur du scandale, Certes il ne vint point à nous comme un poltron. Comment y vint-il donc le malheureux larron ? Il y vint Jodelet comme aimé d’Isabelle. Fort mal.         Et c’est cela qui me met en cervelle. Raisonnons donc encore.         Ah ne raisonne plus, Tes sots raisonnements sont ici superflus, Attends certain conseil que l’amour me suggère, Guérira mes soupçons, c’est en toi que j’espère : Il faut que dès demain, ô mon cher Jodelet, Tu passes pour mon maître, et moi pour ton valet : Ton portrait supposé fait ici des merveilles, Qu’as-tu cher Jodelet, tu branles les oreilles ? Tous ces déguisements sentent trop le bâton, J’aime mieux raisonner, et puis que dirait-on, Don Juan est valet, et Jodelet est maître, Et si par grand malheur, car enfin tout peut-être, Votre maîtresse m’aime, et je l’aime aussi. De cela Jodelet ne prend aucun souci, Le mal sera pour moi, mais durant cette feinte Les trop justes soupçons dont mon âme est atteinte Pourront être éclaircis, car comme Jodelet Je ferai confidence avecque ce valet, Je ferai l’amoureux de la moindre soubrette. Mes présents ouvriront l’âme la plus secrète, Toi mangeant comme un chancre, et buvant comme un trou, Paré de chaîne d’or comme un Roi de Pérou, Sans prendre aucune part à ma mélancolie. Je commence à trouver l’invention jolie. Chez le bon Don Fernand tu seras régalé, Et moi de mes soupçons sans cesse bourrelé, Je me verrai réduit à te porter envie Sans espoir de guérir durant ma triste vie. Et je ne pourrai pas pour mieux représenter Le Seigneur Don Juan quelquefois charpenter Sur votre noble dos, bien souvent ce me semble, Vous en usez ainsi.         Quand nous serons ensemble Tous seuls et sans témoins, oui je te le permets. Potages mitonnés, savoureux entremets, Bisques, pâtés, ragoûts, enfin dans mes entrailles Vous serez digérés, et vous lâches canailles, Courtisans de Madrid, luisants, polis et beaux Nous vous en fournirons des cocus de Burgos. Croyez-moi Béatrix, faites votre paquet, Sans penser m’éblouir avec votre caquet, Je ne veux plus de vous         Et du moins que je sache Pour quel mal contre moi ma maîtresse se fâche. Vous ne le savez pas ?         Ma fois si j’en sais rien, Ne puissé-je jamais hanter les gens de bien. N’importe, je vous chasse.         Et bien donc patience, Je n’ai pourtant rien fait contre ma conscience, Et je veux si jamais j’ai contre vous manqué Crever comme un boudin que l’on n’a pas piqué : Tout ce mal-ci me vient de quelque âme traîtresse, Et tout mon péché n’est qu’aimer trop ma maîtresse, Vraiment l’on dit bien vrai que toujours les flatteurs, Sont plus crus mille fois que les bons serviteurs. Oui dame Béatrix, vous êtes innocente, Il n’est point dans Madrid de meilleure servante : Vous n’avez point ouvert mon Balcon cette nuit, Vous n’alliez pas nus pieds pour faire moins de bruit. Hélas ! Je m’en souviens, c’était votre dentelle Que j’avais mis sécher dessus une ficelle, Et j’eus peur que la nuit on la prit en ce lieu. Vous ne parlâtes point.         C’est que je priais Dieu. Quoi si haut...         Je le sais, afin que Dieu m’entende, Et la dévotion en est beaucoup plus grande. Et l’homme qui sauta de mon Balcon en bas, Était-ce ma dentelle ?         Ah ! Ne le croyez pas. Je l’ai vu, Béatrix.         Ha ma bonne maîtresse, Il est vrai Don Louis.         Ah Dieu ce nom me blesse. Quoi ce fut Don Louis ?         Oui votre beau cousin. Mon beau cousin, méchante, et pour quel bas dessein L’aviez-vous introduit infâme, abominable ? Si c’est un grand péché que d’être charitable, Vous avez grand sujet de me crier bien fort ; Mais si vous m’écoutiez, je n’aurais pas grand tort. Vous parlerez longtemps avant que je vous croie. Ne puissiez-vous jamais souffrir que je vous voie, Si je ne vous dis vrai, ce fut donc hier au soir Que le bon Don Louis vint ici pour vous voir, À cause qu’il pleuvait je le mis dans la salle, Ce fut bien malgré moi, car je crains le scandale : Mais le drôle qu’il est entra bon gré mal gré, Tôt après j’entendis cracher sur le degré Votre père Fernand, vous savez bien qu’il crache Plus fort qu’aucun qui soit dans Madrid que je sache : Au bruit de ce crachat Don Louis se sauva Dedans votre Balcon qu’entrouvert il trouva, Je l’enfermais encor lorsque vous arrivâtes, Avecque le vieillard très longtemps vous causâtes, Cependant Don Louis le Balcon habitait, Où de vos longs discours peu content il était : Enfin quand je vous vis dans le lit assoupie, Moi qui suis de tout temps encline à l’oeuvre pie Je l’allai délivrer très charitablement, Il me dit qu’il voulait vous parler un moment. Je dis nescio vos, et lui chantai goguette, Disant allez chercher votre dariolette, Un autre l’eût servi, car il parlait des mieux, Et je voyais tomber les larmes de ses yeux : Mais lorsqu’en me coulant en main quelques pistoles Et qu’en me conjurant de ses belles paroles, En m’appelant mon coeur, ma chère Béatrix, Il m’eût mis dans le doigt une bague de prix, Je veux bien l’avouer, j’eus une telle rage Que je pensai deux fois lui sauter au visage. Non que tous ses regrets ne me fissent pitié, Et vraiment je le tiens de fort bonne amitié : Mais dans vos intérêts je ne connais personne, Brebis partout ailleurs j’y suis une Lionne, Et lui sitôt qu’il vit que ce n’était plus jeu, Que de fine fureur j’avais la face en feu. Du Balcon sans tarder il sauta dans la rue, Où j’entendis crier tôt après tue, tue ; Voilà ce grand sujet de mon exclusion, Et le juste loyer de mon affection, Il faut bien que je sois fille peu fortunée, Je fondais mon bonheur dessus votre hyménée, Et si de Don Juan, qu’on dit être venu, Mon zèle à vous servir pouvait être connu Je n’espérais pas moins.         Quoi ! Don Juan encore, Un homme que je crains, un homme que j’abhorre Après un Don Louis m’est par vous allégué, Entendez-vous par là me rendre l’esprit gai ; Adieu fille de bien, que plus je ne vous voie. Au diable Don Louis, c’est là que je t’envoie, Maudit soit le badaud, et l’amoureux transi, Le malheureux qu’il est me cause tout ceci, Est-il dedans Madrid fille plus malheureuse ? Qu’avez-vous Béatrix, vous faites la pleureuse. Votre fille me chasse, et si je n’ai rien fait Que lui représenter qu’elle doit en effet Agréer Don Juan, parce qu’il le mérite, Et que vous le voulez.         La cause est bien petite Pour vous mettre dehors, et ma fille a grand tort Mais pour vous rajuster je ferai mon effort, Faites-la moi venir.         Souvent mon Isabelle, Et cette Béatrix ont ensemble querelle, Tantôt c’est pour un mot de travers répondu, Pour un miroir cassé, pour du blanc répandu, Souvent aussi ce n’est que pour une vétille, C’est-à-dire pour rien... mais j’aperçois ma fille. Ce n’est pas la saison de chasser des valets Quand il ne faut penser qu’à danses et ballets : Pour moi tout le premier je veux faire gambade, Car j’espère aujourd’hui Don Juan d’Alvarade. Espérez, espérez, cet agréable Époux, Moi j’espère la mort moins cruelle que vous. Je suis donc bien cruel, puisqu’elle est moins cruelle. Vraiment notre Isabeau vous me la baillez belle Ah ! Que si je croyais mon esprit irrité, Votre jeune museau se verrait souffleté, Et si je faisais bien, qu’avec ces deux mains closes Je ternirais de lys et fanerais de roses : Vous voulez volontiers quelque godelureau Qui méthodiquement vous lèche le morveau, Un faiseur de recueils, un débiteur de rimes, Un de ces libertins qui causent aux minimes, Un plisseur de canons, un de ces fainéants, Qui passent tout un jour à nouer des galants, Ou se faire traîner coucher dans un carrosse, Si je lui faisais plaie, ou du moins une bosse, Ne ferais-je pas bien ? Qu’en dis-tu ma raison, Puis-je oublier sa faute à moins que d’être oison ? La Coquine s’en rit, et je veux qu’elle en pleure, Et moi j’en ris aussi, peu s’en faut ou je meurs, Quand quelqu’un pleure ou rit, j’en use tout ainsi : Et parce qu’elle rit, je m’en vais rire aussi. Peste que je suis sot.         Je confesse, mon père Que vous avez raison de vous mettre en colère Mais confessez aussi regardant ce tableau Affreux au dernier point, bien loin de sembler beau, Que ma douleur est juste alors qu’elle est extrême, Et qu’il faut bien qu’il soit la brutalité même, Le brutal sur lequel ce marmouset est fait. Vous jugez donc d’un homme en voyant son portrait ? Souvent un vilain corps loge un noble courage, Et c’est un grand menteur souvent que le visage, Il est vrai, celui-ci doit se plaindre de l’art, Et tout y représente un indigne pendard, Où Diable ai-je pêché ce détestable gendre ? Et comment Don Fernand a-t-il pu se méprendre ? Je pensais bien avoir trouvé la pie au nid ; Mais pourtant, mais pourtant beaucoup de gens m’ont dit Qu’on estime à la Cour ce Juan d’Alvarade : Or bien promettez-moi sans faire de boutade, Que vous le traiterez partout civilement, Et moi je vous promets foi d’homme qui ne ment, S’il se trouve aussi sot que sa peinture est laide, À tous ces embarras de donner bon remède : Mais une Dame vient qui ne se veut montrer, Je voudrais bien savoir qui l’aura fait entrer, Sans venir demander si nous sommes visibles : Les bourreaux de valets sont tous incorrigibles : Madame sans vous voir, et sans vous demander Le nom que vous avez, vous pouvez commander. Je n’attendais pas moins d’une âme si civile, Je viens, ô Don Fernand, chez vous chercher asile, Mais puis-je sans témoins vous conter mon malheur ? Oui da.     Retirez-vous.         Fais si bien ma douleur, Que l’on puisse trouver quelque excuse à mes fautes. Non je ne me plains point du repos que tu m’ôtes, Si je puis faire voir, par mes pleurs infinis, Que mes yeux ont été de mon crime punis. Mes yeux, mes traîtres yeux qui recouvrent la flamme, Qui noircit mon honneur, et me couvre de blâme. Mes traîtres yeux de qui les criminels plaisirs Me feront à la fin exhaler en soupirs : Pleurez donc, ô mes yeux, soupirez ma poitrine. Parbleu cette étrangère est de fort bonne mine. Et vous mes faibles bras embrassez ces genoux, Vous ne me verrez point lever de devant vous, Que je n’aie obtenu le secours que j’espère. Vous lisez les Romans, et je vous en révère, Ma sotte d’Isabeau n’a jamais lu Roman, Quant est de moi j’estime Amadis grandement : Vous n’êtes pas personne à qui rien on refuse, De refuser aussi personne ne m’accuse : Croyez donc aisément, tout cela supposé, Qu’il ne vous sera rien de ma part refusé. Il faut donc, ô Fernand, que je vous importune Du récit de ma race, et de mon infortune, Pour ma race bientôt vous en serez savant, Car mon père défunt m’a dit assez souvent Qu’il avait avec vous fait amitié dans Rome, Et qu’il vous connaissait pour brave Gentilhomme. Ces vers sont de Mairet, je les sais bien par coeur, Ils sont très à propos, et d’un très bon auteur, Toujours d’un bon auteur la lecture profite, Et savoir bien des vers est chose de mérite. Burgos est donc la ville où je reçus le jour, Mais cette ville aussi vit naître mon amour, Et je dois l’abhorrer, et pour l’un et pour l’autre. Hélas ! Fut-il jamais Destin pareil au nôtre Car ma mère en travail quand je naquis mourut, Mon père de regret quand mon amour parut, Cruel ressouvenir de ma faute passée Quand donnerez-vous trêve à ma triste pensée ? Diégo d’Alvarade est le nom qu’il avait Avec beaucoup de soin sa bonté m’élevait, Je lui fis espérer beaucoup de mon enfance : Mais hélas ! Ce fut bien une fausse espérance, Mes deux frères n’étaient pas moins de lui chéris ; Car le Ciel les avait traités en favoris, Je vivais avec eux contente et fortunée, Mais que l’amour bientôt changea ma destinée : Un étranger qui vint aux fêtes de Burgos Fit voir en nos tournois qu’il avait peu d’égaux, Nous nous vîmes le soir dedans une assemblée Je souffris son abord, et j’en fus cajolée, Ou plutôt mon esprit fut par le sien charmé, Il feignit de m’aimer, tout de bon je l’aimé : Mais souffrez que mes pleurs vous apprennent le reste Car tout en est honteux ; car tout en est funeste, Puisque mon crime, hélas ! un frère me ravit, Et que d’affliction mon père le suivit. Moi sans pleurer leur mort, sans rougir de ma flamme L’amour avait banni la raison de mon âme, J’adorais en esprit mon infidèle Amant, Que j’attendis deux ans à Burgos vainement, À la fin je vois bien que je suis délaissée ; Je quittai mes parents, et comme une insensée Maudissant mon amour, souhaitant le trépas, Pour trouver ce méchant j’adresse ici mes pas. Hélas ! Il m’avait dit qu’il me serait fidèle, Mais qu’on croit aisément alors qu’on se croit belle, Et que pour s’assurer d’un coeur comme le sien La beauté bien souvent est un faible lien : J’en suis, ô Don Fernand, un exemple effroyable, Car pour avoir cru trop un tigre impitoyable, Qui me pris par les yeux et triompha de moi, Se déguisant d’un nom aussi faux que sa foi, Je me vois devant vous comme une forcenée, Maudissant mille fois le jour sa destinée. Hélas ! Que contre moi le Ciel est irrité, Puisque tout mon espoir n’est qu’un nom aposté, Et qu’avec cet espoir justement je m’étonne, Quand je vois que ce nom n’est connu de personne, Cependant il est vrai qu’il habite ces lieux L’ingrat ; car l’autre jour il parut à mes yeux : Mais je ne le peux joindre, et je n’ai pu connaître Par un nom qu’il n’a pas la demeure d’un traître, Que le Ciel à mes yeux ne devrait plus cacher, Si les pleurs avaient pu jusqu’ici le toucher : Mais je m’adresse à vous comme au dernier remède, Pour trouver cet ingrat, je demande votre aide, Je sais bien vu le rang qu’en ces lieux vous tenez, Qu’il me fera raison si vous l’entreprenez : Je n’alléguerai point mon père et sa mémoire, Je veux vous conjurer par votre seule gloire, Et sans vous obliger d’un langage flatteur. Pour faire court je suis votre humble serviteur, Et l’ai toujours été de Monsieur votre père, Il me faisait l’honneur de m’appeler son frère, Quant à vous disposez de tout ce que je puis, Ma fille tâchera d’adoucir vos ennuis. Monsieur votre neveu demande avec instance De vous entretenir pour chose d’importance Madame je reviens à vous dans un moment, Béatrix menez-la dans mon appartement, Et qu’on fasse venir mon neveu tout à l’heure, Cette dame est la soeur de mon gendre, ou je meurs ! Il me faut présenter s’il voudra bien la voir, Nous ne laisserons pas de tout notre pouvoir, De chercher son Amant et la tirer de peine : Et bien, cher Don Louis, quelle affaire vous mène ? En quoi puis-je servir un si brave neveu ? Monsieur, un mien ami m’a mandé depuis peu Que j’avais sur les bras une grande querelle, Je sais bien pour chercher un Conseiller fidèle, Puisqu’il est question d’honneur et de combats Que m’adressant à vous je ne me trompe pas. Au moins ne pouvez-vous en employer un autre Qui vous chérisse plus, et qui soit autant vôtre, Jusques au dégainer je vous le montrerai, Est-ce par ce billet ?         Oui je vous le lirai. Lisez donc, aussi bien j’ai perdu mes lunettes, Et n’est pas trop aisé d’en recouvrer des nettes. Le jeune frère de celui Que vous avez tué pour quelques amourettes Part de ce pays aujourd’hui Pour aller en Cour où vous êtes : Je ne sais pas pour quel sujet ; Mais je sais bien que vous l’écrire Pour éviter pareil accident ou pire, Est à moi fort bien fait. Où fut-ce ?     Dans Burgos.         Était-ce un cavalier ? Oui de mes grands amis.         En combat singulier. Non ce fut par mégarde, et durant la nuit noire. Contez-moi le détail de toute cette histoire. Vous allez tout savoir.         S’entend en peu de mots. Vous vous souvenez bien des Fêtes de Burgos, Pour le premier enfant qu’eût la grande Isabelle, Des Royales vertus le plus parfait modèle, Un ami qui faisait trop d’estime de moi M’invita de venir à ce fameux Tournoi, Pour montrer avec lui notre valeur commune. Là contre six Taureaux j’eus assez de fortune, Dans les autres combats j’eus un bonheur égal, Le soir il me mena voir les dames au Bal, Une beauté m’y prit, et je la pris de même. Dans ce commencement j’eus un bonheur extrême ; Mais tout ce grand bonheur à la fin se trouva Un des plus grands malheurs qui jamais m’arriva. Le lendemain j’obtins de l’aller voir chez elle : Mais si je lui plaisais, je la trouvais fort belle ; Et certes je l’aimais aussi sincèrement Que peut jamais aimer un véritable Amant. Pour faire court, un soir que nous étions ensemble J’entends rompre la porte, et je la vois qui tremble, Je me lève, et je mets mon épée à la main, Elle prend la chandelle et la souffle soudain : La porte s’ouvre, on entre, on m’attaque, on me blesse, Sans voir je pousse, pare, et plus d’heur que d’adresse, J’en fais d’abord choir un blessé mortellement, Puis dans l’obscurité je m’échappe aisément. Hélas ! Le jour d’après quelle fut ma tristesse, Quand le mort se trouva frère de ma maîtresse, Et de plus, ô malheur, dur à mon souvenir, Ce même intime ami qui m’avait fait venir, Comment ne sus-je point que cette pauvre amante Depuis deux ou trois mois logeait chez une tante. Comment ne sûmes-nous devant ce triste jour, Moi qu’il eut une soeur, ou lui moi de l’amour : Mais c’est vous ennuyer d’une plainte inutile, Ayant toujours celé mon nom en cette ville J’en sortis aisément sans être soupçonné. C’est à vous qui voyez l’avis qu’on m’a donné, Et qu’en cet embarras quasi tout m’est contraire De me dire en ami tout ce que j’y dois faire, Je sais bien si je veux des conseils sur ce point Qu’aucun ne peut donner ce que vous n’avez point, Que mon homme est ici, je n’en fais point de doute, Qu’il tâche à me trouver, l’apparence y est toute, Je ne puis le fuir sans grande lâcheté, Je ne puis le tuer aussi sans cruauté, Je ne puis l’inviter à se battre sans crime, Et tout menace ici ma vie ou mon estime : Mais on frappe à la porte.         Et même rudement, Et qui Diable ose ainsi heurter insolemment ? Mon Maître cent écus pour si bonne nouvelle, Et qu’on fasse venir ma maîtresse Isabelle, Votre gendre est là-bas, beau poli, frais tondu, Poudré, frisé, paré, riant comme un perdu. Et couvert de bijoux comme un Roi de la Chine. Vous avez donc ainsi marié ma cousine, Sans qu’on en ait rien su, vous étiez bien pressé. Oui.         Hélas ! Que ce mot m’a rudement blessé. Béatrix vitement que ma fille s’ajuste : Va donc vite.     J’y cours.         Que le ciel est injuste ! Ha vraiment mon esprit n’est pas mal partagé, Mon neveu l’agresseur, mon gendre l’outragé : Comment donc garantir ma maison de carnage ? Ha ma fille approchez.         Que de bon coeur j’enrage. Allons le recevoir.         Ou plutôt à la mort. Cette chambre est fort belle, et je m’y plairai fort. Ô qu’il était bien peint !         Ô qu’elle était bien peinte ! Ce maudit éperon m’a blessé d’une atteinte. Soyez le bienvenu, Monseigneur Don Juan. Réponds...         Le beau-père a de l’air d’un chat-huant, Et vous le bien trouvé.         L’agréable figure. Quoi toujours ce vieillard, ô le mauvais augure ! Je m’en veux délivrer, il me tient trop longtemps. Mon gendre n’est pas sage, il parle entre les dents. Vous servez donc toujours d’écran à votre fille. Que dis-tu malheureux ?         La demande civile. Maudit soit le fâcheux.         De quoi donc parle-t-il. Ne puis-je point de face, ou du moins de profil, Vous guigner un moment, ô charmante Isabelle ? De grâce, Don Fernand, que l’on m’approche d’elle, Ou du moins qu’on m’en montre ou jambe, ou bras, ou main. Ma fille avait raison, mon gendre est un vilain. Ô Dieu ! Qu’en ce pays on est chiche d’épouse, Ailleurs j’aurais déjà des baisers plus de douze : Parbleu je la verrai dussé-je être indiscret. Ô Dieu qu’il m’a fait mal.         Je vous pousse à regret : Mais je suis amoureux, équitable beau-père : Je vous donc enfin, ô beauté que j’espère, Vous me voyez aussi, mais pourrai-je savoir Si vous prenez grand goût au plaisir de me voir. C’est fort bien débuter.         Ô l’impertinent gendre. Il rient tous ma foi, rient-ils de m’entendre, Est-ce que j’ai tenu quelque propos de fat ? Jodelet, on n’est pas chez nous si délicat : Si je ne suis assis j’en lâcherai bien d’autres. La ! Seigneur Don Fernand faites venir des vôtres, Vous êtes mal servi, mais j’y mettrai la main. Mon gendre, encor un coup, n’est ma foi qu’un vilain : Béatrix, vitement, que l’on apporte un siège. Dites-moi, ma maîtresse, avez-vous bien du liège ? Si vous n’en avez point, vous êtes sur ma foi D’une fort belle taille, et digne d’être à moi. Le joli compliment.         Ce jouvenceau qui cause Dites-moi, mon soleil, vous est-il quelque chose ? Ou si c’est un plaisant.         C’est mon cousin germain. Pour la troisième fois mon gendre est un vilain. Ce beau cousin germain tous mes soupçons réveille. N’avez-vous point sur vous quelque bon cure-oreille Je ne puis dire quoi me chatouille là-dedans, Hier je rompis le mien en m’écurant les dents : Quoi vous riez encore.         À propos ma cousine Vous ne contentez point Monsieur touchant sa mine, Il vous a dit tantôt qu’il désirait savoir Si vous preniez grand goût en l’honneur de le voir. Je n’ai jamais rien vu qui lui soit comparable, Et je ne pense pas qu’il trouve son semblable ; Et de corps et d’esprit.         Chacun en dit autant, Mais les vingt mille écus est-ce en argent comptant, Éclaircissez-nous-en, et vidons cette affaire. Quoi, Seigneur Don Juan, vous êtes mercenaire. Tous ceux qui le croiront seront de vrais badauds, Et l’on n’en vit jamais dans les Alvarados. Dans les Alvarados n’aviez-vous pas un frère ? Oui, qu’un lâche assassin occit, mais par derrière. Si Don Juan savait quel est cet assassin, Il irait lui manger le coeur dedans le sein, S’il faut qu’entre mes mains ce détestable tombe, Le moindre de ses maux est celui de la tombe : Je le déchirerais, le traître, à belles dents, Je l’irais affronter entre cent feux ardents : Mais il tue en voleur, et se cache de même. Vraiment de ce valet l’impudence est extrême Quelqu’un m’a dit pourtant.         Et que vous a-t-on dit ? Que ce fut par malheur.         Ce quelqu’un-là mentit. Ce fut en trahison.         Vous voyez son audace. Qu’avecque sa fureur il conserve de grâce. Vous vous émancipez.         Il n’a pas le coeur bas. Je vous trouverai bien.         Je ne vous fuirai pas. Si ce n’était le lieu je vous ferais bien taire. Mon valet est vaillant, et quasi téméraire. Quoi, mon oncle un valet.         Hé ! Mon Dieu, qu’est ceci ? Le beau commencement de noces.         Mon souci, Laissons-les quereller et disons des sornettes : Ou bien si vous vouliez prendre vos Castagnettes, Le plaisir serait grand.         Oui c’en est la saison, Vous n’avez pas encor visité la maison, Prenez, Monsieur, ma fille, ouvrez la galerie Vitement Béatrix... mon neveu je vous prie, Allons, mes chers amis, allons, qu’attendons-nous ? Je suis sans compliment.         C’est fort bien fait à vous. Enfin dans mes soupçons je vois quelque lumière, Je n’ai plus qu’à trouver l’assassin de mon frère ; Je n’ai plus qu’à trouver mon imprudente soeur ; Je n’ai plus qu’à trouver son lâche ravisseur. Avec ce beau cousin je n’ai plus qu’à me prendre, C’est l’homme du balcon, l’on vient de me l’apprendre, J’ai su de son valet tirer les vers du nez, Je saurai bien encor, mants bien fortunés, Si vous faites de moi les moindres railleries Tandis que mon esprit s’abandonne aux furies, Mêler dans vos plaisirs quelque chose d’amer, Et même vous haïr au lieu de vous aimer : Si je puis découvrir, trop aimable Isabelle, Que vous ne soyez pas aussi sage que belle. Ne m’importune plus, le sort en est jeté. Vraiment Don Juan est par vous bien traité, Vous avez abusé sa soeur, tué son frère, Vous prétendez encore en sa femme.         J’espère En ma persévérance, en Béatrix, en toi, En mon oncle Fernand, en Isabelle, en moi, J’espère en Don Juan en sa mine importune, Et plus que tout cela j’espère en la fortune. Bon, voici Béatrix.         Ha Monsieur est-ce vous ? Non, c’est le grand Mogor.         Tout beau Roi des filous, Je parle à votre maître.         Et bien que fait le gendre ? Vous parlez d’un sujet où l’on peut bien s’étendre, Ce beau jeune Seigneur tantôt qu’on a dîné A mangé comme un diable, et s’est déboutonné, Puis dans un cabinet qui joint la vieille salle S’est couché de son long sur une natte sale, Un peu de temps après il s’est mis à ronfler, Je n’ai jamais ouï Cheval mieux renifler : Toute la vitre en tremble, et les verres s’en cassent, Mais si je vous disais les choses qui se passent. Ma pauvre Béatrix.         Mon pauvre Don Louis. Oui de toi je tiens tout le bien dont je jouis. J’en dis autant de vous, mais ce n’est qu’en promesse N’importe ce n’est pas le gain qui m’intéresse. Ha ! Non je veux mourir, demande à ce valet Si je n’ai pas laissé mon or sous mon chevet : Mais je reçois de moi quatre ou cinq cent pistoles. Bien, bien, écoutez donc la chose en trois paroles. J’ai hâte : Don Fernand votre oncle est enragé, Et voudrais de bon coeur se voir bien dégagé, Votre chère Isabelle également enrage, Jusques là qu’elle en a souffleté son visage. Le temps est, ou jamais, de jouer votre jeu, Il faut battre le fer tandis qu’il est au feu : Et si vous ne savez bien pêcher en eau trouble, Je ne donnerais pas de votre affaire un double : Tâchez donc de la voir et de l’entretenir, Promettez comme quand on ne veut pas tenir, Employez hardiment votre meilleure prose, N’oubliez pas le lys, n’oubliez pas la rose, Dites-lui bien qu’elle est l’objet de tous vos voeux, Pleurez, et soupirez, arrachez des cheveux, Puis sur vos grands chevaux monté comme un Saint Georges, Dites, que pour bien moins on se coupe la gorge, Que Don Juan n’a pas encore ce qu’il prétend. Qu’en tout cas vous savez fort bien comme on se pend. Si l’insolent vous nuit, reprenez le modeste, Invoquez-moi la mort, ou pour le moins la peste, Ne vous étonnez point, elle fera beau bruit : Mais vous savez qu’on perd le combat quand on fuit. Or si vous tirez la moindre lacrymule, Je vous donne gagné foi de Béatricule, Vous riez Don Louis de ce diminutif, Dame nous en usons et du superlatif. Un certain jeune Auteur qui tâche de me plaire Quand je vais visiter mon cousin le Libraire, M’apprend tous ces grands mots : mais adieu je m’enfuis, J’ai causé trop longtemps, maudite que je suis ; Car voici ma Maîtresse, et son père avec elle, Cachez-vous en ce coin,         Et vous Jean de Nivelle Sauvez-vous vitement.         Adieu donc faux teston. Je te battrai bien si je prends un bâton. Plutôt mourir cent fois quez fausser sa parole. Mais mon père.         Mais quoi êtes-vous folle, Tout ce que vous pouvez seulement espérer, Est que je pourrai bien vos noces différer : Car a-t-on vu jamais affaire plus mêlée, Ma foi j’en ai quasi la cervelle fêlée, Mon gendre est offensé, je le dois être aussi, Si c’est par mon neveu, que dois-je faire ici ? Dois-je abandonner l’un, pour me joindre avec l’autre ? Ventre de moi, partout il y va du nôtre, L’un me tient par le sang, et l’autre par l’honneur, Et j’ai besoin ici d’un extrême bonheur. Quoi ce fut Don Louis qui lui tua son frère. Oui ce fut Don Louis, et ce qui me désespère La Soeur de Don Juan m’implore contre lui, Lui puis-je honnêtement refuser mon appui ? Aujourd’hui mon neveu m’est venu tout de même Dire qu’il a besoin de ma prudence extrême Contre un homme qu’il a doublement offensé, Et cet homme est mon gendre, et moi pauvre insensé Tantôt à mon neveu, tantôt à ce beau gendre, Je ne sais quel parti je dois laisser ou prendre : Oui ma foi j’en suis fou, si jamais je le fus, À Dieu ! Je vais tâter mon gendre là-dessus. Et moi je vais pleurer ma triste destinée, Ô Ciel à quel brutal m’avez-vous condamnée, N’était-ce pas assez de cette aversion, Sans me troubler encore d’une autre passion ? Oui Ciel c’était assez pour être malheureuse. Mais vous voulez encor que je sois amoureuse, Ha ! C’est trop me haïr que de me faire aimer Vu que je n’oserais à moi-même nommer. Toi qui n’es pas pour moi faut-il que je t’adore, Et toi pour qui je suis faut-il que je t’abhorre, Et qu’un troisième mal à ces deux maux soit joint, Ce Don Louis qui m’aime, et que je n’aime point ? Oui bien loin de t’aimer je te hais misérable : Mais si mon mal est grand le mien est effroyable. Laisse, laisse-moi donc importun Don Louis Regarde au prix de moi de quel heur tu jouis, Tu n’es que trop vengé de la pauvre Isabelle, Toi qui peut sans rougir te dire amoureux d’elle, Toi qui peux sans rougir lui découvrir ton feu, Et tu te plains encor comme si c’était peu, Va, va, console-toi, ma fortune est bien pire ; Car j’aime malheureuse, et je n’ose le dire : Et de plus je te hais, j’ai ce mal plus que toi, Et de plus Don Juan sera maître de moi : Ainsi je hais, je crains, et je suis amoureuse, Avec ces passions puis-je être bienheureuse ? Hélas ! De tous ces maux qui me délivrera ? Moi charmante Isabelle, et quand il vous plaira, Oui de ce Don Juan vous serez dégagée, Puisque envers Don louis votre humeur est changée, Puisque de Don Louis autrefois méprisé, Le violent amour se voit favorisé : Commandez donc, Madame, et bientôt cette épée Dans le sang, ô dieux de Don Juan trempée Vous fera confesser devant la fin du jour Que rien n’était égal à vous que mon amour. Ô Dieu me proposer des crimes de la sorte, Sors d’ici malheureux, sort devant que je sorte, D’une indigne pitié, que presque malgré moi Même nom, même sang me font avoir pour toi ; Et comment m’aimes-tu ? Si tu me crois capable D’écouter seulement un dessein si coupable. Ah ! Ne te flatte point dedans ta passion, Tu ne seras jamais que mon aversion : Va, va-t-en à Burgos faire des perfidies, Va, va-t-en à Burgos jouer tes Tragédies ; Vas-y tromper la soeur, et tuer le germain, Et me laisse en repos, exécrable, inhumain, Assez grands sont les maux de la pauvre Isabelle, Sans tâcher de la rendre encore criminelle. Ah ! Si jamais.         Tais-toi le plus noirs des esprits, Ou bien je remplirai la maison de mes cris. Ha mon Dieu ! Parlez bas, Don Fernand et le gendre Sont dessus l’escalier, ils vous pourraient entendre, Je ne vois pas comment avec facilité Don Louis sortira : car de l’autre côté Son suffisant valet avec sa bonne mine Dans la chambre prochaine a je crois pris racine. Et que ferons-nous donc ?     Si j’osais.         Laisse-moi. Si ce valet fâcheux.         Il l’est bien moins que toi. Béatrix !         Par ma foi je tremble en chaque membre, Si vous vouliez pourtant le mettre en votre chambre. Où tu voudras, pourvu qu’il soit loin de mes yeux. Mettez-vous donc un peu dessus le sérieux, Et m’appelez bien haut effrontée, impudente. J’entends bien, cet avis n’est pas d’une imprudente, Car j’ai haussé la voix d’une étrange façon, Vraiment vous me donnez une belle leçon, Êtes-vous une folle, ou ne suis-je pas sage, Que vous m’osez tenir un si hardi langage. Don Juan n’est pas beau, Don juan vous déplaît Laissez-là Don Juan, je l’aime comme il est. Ha vraiment Béatrix, la sotte si mon père Apprend ce bel avis.         Vous êtes en colère. C’est pour certain bijou, qu’on m’a pris ou perdu. Non, non à d’autres non, j’ai le tout entendu. Vous ne m’aimiez donc pas Madame la traîtresse, Et vous me desservez auprès de ma maîtresse, Ha ! Louve ! Ha porque ! Ha chienne ! Ha braque ! Ha loup-garou. Puisses-tu te briser bras, main, pied, chef, cul, cou, Que toujours quelque chien contre ta jupe pisse Qu’avec ces trois gosiers, Cerberus t’engloutisse ; Le grand chien Cerberus, Cerberus le grand chien, Plus beau que toi cent fois, et plus homme de bien. Retirez-vous d’ici sotte mal avisée. Ne vous en servez plus, ce n’est qu’une rusée, Je la garantis telle.         Ô Dieu je meurs de peur, Que ce maître brutal n’aille trouver sa soeur : Il faut le mettre aux mains avecque sa maîtresse... Je vous quitte un moment pour affaire qui presse, Ma fille cependant demeure auprès de vous. Bien, bien, allez-vous-en.         En dépit du jaloux. Ne pourrai-je savoir, ô beauté succulente, Que j’aime autant qu’un oncle, et bien plus qu’une tante. Comment dans votre coeur Don Juan est logé, Je n’ai pu le savoir, et j’en suis enragé. Pour vous dire la chose avec toute franchise, Aujourd’hui seulement je suis d’amour éprise, Je n’avais dans l’esprit devant qu’aversion, Le dédain seulement était ma passion : Mais hélas ! Croyez-moi depuis votre venue, La flamme de l’amour m’est seulement connue, Et bien que mon amour à nul autre second Doive se réjouir quand le vôtre y répond : Au contraire je suis dans une peine extrême De voir que vous m’aimez, et qu’il faille que j’aime Car votre amour du mien ne peut être le prix, Encore que par vous mon coeur se trouve pris, Bien qu’à vous et chez vous est tout ce que j’adore, Sachez pourtant qu’en vous est tout ce que j’abhorre. Ma foi j’entends bien ce discours raffiné, Je connais seulement qu’il est passionné, Où Diable prenez-vous tant de Philosophie ? Il faut bien envers vous que je me justifie, Vous doutez de ma flamme, oui j’aime encor un coup ; Ce que j’aime est à vous, et je l’aime beaucoup, Alors qu’en vous voyant, j’aperçois tout ensemble L’objet de mon amour, et je brûle, et je tremble ; Je brûle de désir, et je tremble de peur, Vous causez à la fois ma joie et ma douleur : Fut-il jamais un mal plus étrange et plus rare Lorsque je le dis, moins quasi je le déclare, Et si je le disais au lieu de m’alléger, Au lieu de me guérir je serais en danger ; Et quand sans discourir ou bien cacher ma flamme Je tâche à déguiser ce que je sens dans l’âme, En ce déguisement je trouve un sort égal, C’est-à-dire partout je n’ai rien que du mal. J’entends encore moins ce discours-ci que l’autre, Je connais seulement que l’amour la rend nôtre. Que la pauvrette brûle à notre intention : Car elle me lorgnait avec attention, Depuis que je vous vis bel Ange tutélaire, Parbleu pour achever je ne sais comment faire, Approchez mon valet, faites pour moi l’amour, Puis après je viendrai la reprendre à mon tour. Mais, Monsieur.         Mais faquin vous voudriez peut-être Me donner des conseils, suis-je pas votre Maître ? Et qui sait mieux que vous le bien que je lui veux, Et qui pourra donc mieux lui faire savoir, gueux ? Madame j’obéis puisqu’on me le commande. Qu’il a peur de faillir avec sa houppelande. Ça, radoucissez-vous sans faire le railleur, Faites bien les doux yeux, et donnez du meilleur, Je m’en vais cependant faire auprès de la porte Quelques réflexions sur chose qui m’importe. Comment pourrai-je donc tirer hors de son trou Ce maudit Don Louis, male peste du fou ? Mais n’est-ce point aussi Madame son étoile Qui la pousse sur nous, comme on dit, à plein voile ? La fortune ma foi s’irait rire de moi, Si m’offrant tel bonheur je ne vous l’empaumais. Mon Maître que sait-on peut en être bien aise ; Mais il arrive aussi que cela lui déplaise, Prenons l’occasion au péril d’un affront Par le fin beau toupet qu’elle a dessus le front, Par derrière elle est chauve, et ressemble une gogue : Mais qui l’eût jamais dit qu’un visage de dogue Peut donner de l’amour, il faut en profiter, Et quand nous serons seuls je prétends la tenter ; Rêvons un peu dessus cette présente affaire, Mon valet vous a-t-on mis là pour ne rien faire, Vous parlez à l’oreille, ha vraiment maître sot, Ou vous parlerez haut, ou vous ne direz mot. J’ai cru que parlant haut je pourrais vous distraire. Non, non, parlez tout haut si vous voulez me plaire. Je m’en vais donc vous dire ici ma passion, Mais tout ce que je fais n’est rien que fiction, Je ne suis pas ici ce que je devrais être, Et ce n’est pas ainsi que je devrais paraître, Lorsque je m’imagine objet charmant et doux, Le bien qu’aura celui qui sera votre époux : Mon âme je l’avoue est de fureur saisie, En un mot je me sens esprit de jalousie : C’est assez vous montrer que j’aime avec excès Mais qui m’assurera d’avoir un bon succès ? Ôtez-vous vitement je tiens une pensée Qui vaut son pesant d’or, si mon âme insensée, Tout ainsi que la mer a son flux et reflux Pouvait s’émanciper, ha ! Je ne la tiens plus, Elle m’est échappée adorable isabelle, Le plaisir que je prends en vous voyant si belle M’a séché la mémoire et troublé les esprits Ou bien plutôt c’est toi maudite Béatrix, Qui me porte guignon, allons vite qu’on gille ; Vous aussi mon valet qui faites tant l’habile, Qu’on me laisse ici seul.         Quoi seul qu’en dirait-on ? Et qui peut en parler si je le trouve bon ? Au moins que Béatrix.         Je n’en veux point démordre. Vous ne pouvez faillir, puisque c’est par mon ordre, Puisque je n’ai point encor visité le Balcon, Allons-y prendre l’air, on dit qu’il y fait bon. Oui principalement lorsque quelque vent souffle. Quel diable de dessein peut avoir ce maroufle ? Je le veux observer.         Allons donc mon souci. Vous me dispenserez, je ne bouge d’ici. Oui vous ne bougerez ? Ah ! C’est trop de mystère, Savez-vous que je suis un homme très colère : Ça donc vite qu’on vienne.         Ô Dieu quel insolent ! Quoi me tirer ainsi, d’un effort violent, Et je puis vivre encor, ô fortune cruelle, Faut-il que ce brutal trouve que je suis belle, Et que pour éviter le péril que je cours Le trépas soit le seul qui m’offre son secours. Ha ! Ma Reine de grâce.         Ô le dernier des hommes, Sache si ce n’était les termes où nous sommes, Que je t’arracherais et le coeur et les yeux, Et qu’avec ces deux mains.         Mais plutôt faites mieux, Souffrez que je les baise.         Ha je suis enragée, Quoi je n’étais donc pas déjà trop outragée : Laissons-là ce brutal.         Ha ! Ha, maître vilain, Vous vous ingérez donc de lui baiser la main. Moi ! C’est qu’elle a baisé la mienne.         Âme de boue, Tu railles donc pendard, et tu crois que je joue, Infâme sac à vin, insolent effronté, Tu te repentiras de ta témérité. Ha mon Maître !     Ha Coquin !         Ha la tête, ha l’épaule Ha de grâce Seigneur !         Si j’avais une gaule, Je te ferais crier d’une étrange façon : Mon Dieu c’est elle-même.         Et comment beau garçon, Oses-tu devant moi médire d’Isabelle ? Tu ne la trouves donc que passablement belle, Maître grimpe potence, et par haut et par bas. Et de pieds et de mains.         Hé ne le frappez pas. Ha bourreau !         Tu sauras comme les bras se cassent. Que vous a-t-il donc fait ?         Ce sont chaleurs qui passent. Le voyez-vous bien là ce vrai grippe-manteau, Il ne mérite pas qu’on lui donne de l’eau, Tu ne la trouves donc que passablement belle, Et d’esprit elle n’est aussi que telle quelle. Il me hait donc l’ingrat, ha ! C’est pour en mourir. Je ne puis différer, je vais me découvrir. Enfin je ne suis plus.         Loin, loin d’ici profane, N’attends plus rien de moi, si ce n’est coup de canne... Puis-je pas le sachant retenir son habit ? Non, non, si j’ai chez vous tant soit peu de crédit, Qu’il ne soit point chassé, ce n’est pourtant qu’un traître. Jamais coquin peut-il plus offenser son maître, Et qui l’eût jamais cru de ce chien de valet. Je vous quitte un moment mon ange.         Jodelet. Madame.         Je rougis et ne sais que lui dire Je vous nommais tantôt l’auteur de mon martyre, Et j’avais de l’amour pour vous, n’en croyez rien, Ce n’est qu’à Don Juan que je voulais du bien, Vous étiez Don Juan alors, mais à cette heure Vous êtes Jodelet.         Ha Madame je meurs, S’il me peut arriver jamais un bien plus doux, Que de voir Don Juan quelque jour votre époux. Il ne m’aima jamais, j’en suis trop assurée. Jamais chose de moi ne fut plus désirée, J’y mets toute ma gloire et mon ambition. Vous êtes donc content, car c’est ma passion. Oui je serais content trop aimable Isabelle, Si j’étais assuré que vous fussiez fidèle : Mais hélas ! Jusqu’ici tant mon malheur est grand, Tout semble vous convaincre, et rien ne vous défend. Il s’en est donc allé le mignon de couchette, Je pourrai maintenant tirer de sa cachette Le Seigneur Don Louis.         L’as-tu bien vu sortir ? Il n’en faut point douter.         Va le faire partir, Et me viens retrouver au jardin.         Malheureuse Ne vois-je pas sortir cette dame pleureuse, À qui Diable en veut donc ce fantôme hideux ? Peste soit de la dame, et du sot d’amoureux. Ce procédé nouveau me surprend et m’étonne ; C’est mal me protéger alors qu’on m’abandonne, Je reviens, m’a-t-il dit, à vous dans un moment, Et comme si c’était trop de ce compliment, Et de m’avoir donné sa chambre pour asile, Il est peut-être allé se divertir en ville : Je viens tout maintenant d’ouïr des gens parler, Crier fort haut, se battre, et se bien quereller : Tout ceci me paraît de fort mauvais augure, Mais je veux leur montrer une autre procédure, Je prendrai congé d’eux avant que de sortir, Je ne puis faire moins que les en avertir : Je pense que voilà la chambre d’Isabelle, Elle est ouverte, entrons, et prenons congé d’elle : Mais j’y vois, ce me semble, un homme, ô Dieu c’est lui ! Je ne puis l’éviter.         Je pense qu’aujourd’hui Béatrix a dessein de faire ici mon gîte... Mais, ô chère Isabelle, où courez-vous si vite ? Je ne suis pas ici pour vous persécuter : Quoi vous ne voulez pas seulement m’écouter, Et cependant pour vous nuit et jour je soupire. Hélas ! Je n’ai qu’un mot seulement à vous dire, Vous m’avez envoyé tantôt faire à Burgos Des crimes assez noirs pour n’avoir pas d’égaux. Vous m’avez reproché ma flamme criminelle, Comme si je trouvais quelque autre fille belle ; Après vous avoir vue, ou celle que j’y vis, Dont pour passer le temps je me feignis ravi, Ne posséda jamais que des appas vulgaires, Qu’elle estimait beaucoup, et qui ne l’étaient guères. Pour vous le témoigner mon nom je lui feignis, Et ce fut par pitié que je me contraignis À passer quelques nuits devisant avec elle, Je n’en ai depuis eu ni demandé nouvelle, D’en savoir ce n’est pas aujourd’hui mon souci. Ah ! Je t’en veux apprendre infâme, la voici, Celle qui n’eut jamais que des appas vulgaires, Celle qui t’aimait tant, et que tu n’aimais guères, Qui te hait maintenant, et qui te haïra, Qui morte, ou vive, aimée, ou méprisée ira Te reprocher partout, Amant impitoyable, Que ne t’ayant rien fait que n’être pas aimable, Tu la devais laisser pour ce qu’elle valait, Sans feindre de l’aimer, oui traître il le fallait, Et ne l’appeler pas et ton âme et ta Reine, Hélas ! J’aurais un frère, et je serais sans peine, Au lieu que je me vois par cette trahison Sans honneur, sans appui, sans frère, et sans maison, Tu penses m’échapper homicide parjure : Au secours, à la force.         Ha ! Madame je jure Que vous serez contente.         Âme et double et sans foi. Quel désordre est ceci ?         Dieu qu’est-ce que je vois ? N’est-ce pas là ma soeur ?         N’est-ce pas là mon frère ? Et l’un et l’autre objet me mettent en colère. À qui donc en veut-il ?         Je suis tout assuré Du crime de ma soeur, je n’ai pas avéré Tout à fait mes soupçons, commençons donc par elle : Malheureuse.     Ha Seigneur !         J’entreprends sa querelle, Encore qu’elle cherche à se venger de moi : Mais quel droit prétends-tu sur elle ? Je le dois.     Toi n’es-tu pas valet ?         Don Juan est mon maître. Son honneur est le mien.         Il se cèle peut-être, Avec quelque dessein.         Quoi me voir quereller Deux fois par un valet.         Ah ! Non pour s’en aller. C’est ce que je ne veux, et ne dois pas permettre : Mais en cette maison qui vous a donc pu mettre, Et pourquoi tant de cris ?         Vous allez tout savoir, J’entrais dans cette chambre, et c’était pour y voir Isabelle, j’ai vu cet homme, ce me semble, Qui m’a paru surpris : las encore j’en tremble ! À quelle intention il s’y voulait cacher, Je ne sais, le voyant sortir pour l’empêcher, J’ai crié, mais je crois que sans votre venue. C’est assez, c’est assez, mon offense est connue, Je veux fermer la porte.         Hélas ! Je meurs de peur. Il faut, ô Don louis, faire valoir sa valeur. Tu mourras de ma main.     Je vous tiens.         Je suis morte. On frappe, on vient à nous.         Achevons, il n’importe. Il la faut enfoncer.         Je ferai bien d’ouvrir. N’ouvre pas, si par toi l’on peut me découvrir. Ha Seigneur, Don Fernand, appelez tous les vôtres. Arrêtez, par la mort, le premier de vous autres Qui ne rengainera, je serai contre lui : Ô Dieu que d’embarras m’accablent aujourd’hui. Qui vous a mis ici, mon Neveu, vous Lucresse ? Qui vous a découverte, et vous quel mal vous presse ? Qui n’avez fait encore ici que quereller ? Vous allez tout savoir.         Non laissez-moi parler, Je le sais mieux que lui ; main il faut que je sache, Si ce n’est pas céans que Lucrèce se cache, Si Don Louis n’est pas parent de la maison. Oui, l’un et l’autre est vrai.         N’est-ce pas la raison Qu’un valet dans l’honneur d’un maître s’intéresse, Lorsque dans son honneur on l’attaque, on le blesse. On ne le peut nier.         Écoutez si j’ai tort : Je suis ici couru que l’on criait bien fort. Lucrèce avait trouvé sans doute à l’insu d’elle Don Louis dans la chambre où se couche Isabelle Je l’ai vue éplorée aux prises avec lui, Il faut qu’il ait été caché tout aujourd’hui : Car je n’ai pas levé l’oeil de dessus la rue, Et l’on n’a pu sortir sans passer à ma vue. Ha ! C’est pour un Valet trop de raffinement. Je ne suis pas au bout, il faut assurément Mon Maître étant époux de Madame Isabelle, Qu’il se trouve offensé pour Lucrèce ou pour elle. Il pourrait bien encor l’être pour toutes deux, Je ne puis donc manquer en un cas si douteux, Puisqu’en toutes les deux il peut aller du nôtre D’achever Don Louis, ou pour l’un ou pour l’autre. D’achever, tu n’as pas encore commencé. Arrêtez, Don Louis, êtes-vous insensé ? Jodelet, ha voici la plus étrange affaire Dont on ait ouï parler.         Vous n’y pouvez rien faire, Il faut que je le tue.         Ha, mon cher Jodelet, Remettez votre épée.         Il faut que ce valet Soit jaloux pour son maître, et la chose est nouvelle. On ne saurait jamais vider notre querelle : Mais pour l’amour de vous j’ose bien hasarder Un moyen qui pourra les choses retarder, C’est que vous me fassiez chacun une promesse, Vous Seigneur Don Fernand de remettre Lucrèce Au pouvoir de son frère alors qu’il le voudra, Vous Seigneur Don Louis alors que l’on pourra, De vous couper la gorge avec Don Juan même Quant à moi je ne puis sans une peine extrême Prendre ou donner parole à des gens comme toi. Sachez que Don Juan n’est pas autre que moi, Si ce n’est que bientôt Don Juan vous assomme, Vous savez si je suis ou puis être votre homme. Oui nous vous promettons ce que vous désirez. Mon Neveu.         Je ferai tout ce que vous voudrez. Je donne ma parole.         Et je donne la mienne Que je n’avance rien que Don Juan ne tienne. Je n’ai donc qu’à chercher votre maître demain. Vraiment vous n’aurez pas à faire grand chemin. Je m’en vais le chercher.         Vous y pourrai-je suivre ? Oui, venez.         J’ai bien peur que nous le trouvions ivre. Votre civilité m’est ici bien cruelle, Laissez-moi, laissez-moi sortir belle Isabelle. Et quoi vous pensez donc ainsi nous échapper, Le bonhomme n’est pas si facile à tromper, Il s’en est bien douté ; mais aussitôt il espère De vous raccommoder avecque votre frère, C’est une affaire aisée, ou je me trompe fort. Mon frère ne se peut fléchir que par sa mort. Délivrez-vous plutôt de cette infortunée, Ses pleurs s’accordent mal avec votre hyménée : Car vous dirai-je enfin la chose comme elle est, Don Juan n’est rien moins que ce qu’il vous paraît. Ha ! Le voici venir, cachez-vous je vous prie, Vous n’avez qu’à passer dans cette galerie, Pour gagner le jardin où je vous vais trouver, Cependant je me cache ici pour l’observer. Soyez nettes mes dents, l’honneur vous le commande, Perdre les dents est tout le mal que j‘appréhende. L’Ail ma foi vaut mieux qu’un oignon, Quand je trouve quelque mignon, Sitôt qu’il sent l’ail que je mange, Il fait une grimace étrange Et dit la main sur le rognon, Fi cela n’est point honorable, Que béni soyez-vous Seigneur, Qui m’avez fait un misérable Qui préfère l’ail à l’honneur. Soyez nettes mes dents, l’honneur vous le commande, Perdre les dents est tout le mal que j‘appréhende. Que ce fut bien fait au destin De faire en moi qu’un faquin. Que jamais de rien ne s’offense ; Ma foi j’ai raison quand je pense Que plus grand est l’heur du gredin, Ni que du prélat en l’Église, Ni que du prince en un État, D’être peu, beaucoup je me prise, Il n’est rien tel qu’un pied plat, Soyez nettes mes dents, l’honneur vous le commande, Perdre les dents est tout le mal que j‘appréhende. Quand je mets à discourir Que le corps enfin doit pourrir, Le corps humain où la Prudence Et l’honneur font leur résidence, Je m’afflige jusqu’au mourir ; Quoi cinq doigts mis sur une face, Doivent-ils être un affront tel, Qu’il faille pour cela qu’on en fasse Appeler un homme en duel ? Soyez nettes mes dents, l’honneur vous le commande, Perdre les dents est tout le mal que j‘appréhende. Un Barbier y met bien la main, Qui bien souvent n’est qu’un vilain, Et dans son métier un grand aze Alors que tel barbier vous rase, Il vous gâte un visage humain, Pourquoi ne t’en veux-tu pas battre, Toi qu’un soufflet choque si fort Que tu t’en fais tenir à quatre, Un souffleté vaut bien un mort ? Soyez nettes mes dents, l’honneur vous le commande, Perdre les dents est tout le mal que j‘appréhende. Pour moi j’estime moins qu’un chien Celui qui n’aime ici bat rien Que botte en tierce ou bien en quarte, Ou cheval qui de la parte, Ou pistolet qui tire bien, Faut-il qu’en duels on abonde Pour quelque injure que ce soit, Si coups de bâton sont au monde, Qui font mal quand on les reçoit ? Soyez nettes mes dents, l’honneur vous le commande, Perdre les dents est tout le mal que j‘appréhende. Messieurs les lions rugissants, Qui tout allez éclaircissant Au gré de votre jaune bile, Sachez qu’aux champs comme à la ville Un soufflet vaut mieux que cinq cent, Puisque soufflet les déshonorent, Ou les hommes sont insensés, Ou Messieurs les vivants ignorent Quels sont Messieurs les trépassés. Soyez nettes mes dents, l’honneur vous le commande, Perdre les dents est tout le mal que j‘appréhende. Ha Seigneur Don Juan l’on vous a bien cherché. L’on me devait trouver, je n’étais pas caché, Et qui sont ces chercheurs ?         L’un est votre beau-père, Et l’autre Don Louis fils de son défunt frère, Votre valet en est aussi.         J’étais allé Chez un ami manger d’un pied de boeuf salé, Où j’ai trouvé d’un Ail qui sent bien mieux que l’ambre : Quelle clef tenez-vous ?         Celle de votre chambre, Don Fernand vous destine un autre appartement, Où vous serez bien mieux et plus commodément. Pourquoi ce changement ?         Il craint la médisance, Et vous ne pouvez pas avec bienséance Coucher près de sa fille.         Ha chère Béatrix Sais-tu bien que pour toi je suis d’amour épris, De tout temps je me trouve enclin aux Béatrisses. Pour toi je couve un feu plus chaud que des épices. Moi j’aime de tout temps les Seigneurs Don Juan Et je sentis mon mal quand vous vîntes céans. Follette, Dieu me sauve.         Ha prenez-la donc vite. Mais viens donc me mener jusqu’à ce nouveau gîte. Tarare suivez-moi, j’y vais tout de ce pas. Larronesse des coeurs tu n’échapperas pas ; Las faut-il donc pour vous que notre poitrine arde Si vous n’êtes pour nous qu’une nymphe fuyarde. Quoi Seigneur Don Juan, vous courez Béatrix. Je voulais tant soit peu m’esbaudir les esprits. Je ne vous croyais pas de si peu de courage. Ce sont jeux de garçon qui passent avec l’âge. Vous donnerez de vous mauvaise opinion, Et je dois bien douter de votre affection. Allez-vous en filler notre épouse future, Plus grand Dame que vous est Madame Nature, Je suis son serviteur, et le fus de tout temps, Et nargue pour tous ceux qui n’en sont pas content. Je vais donc vous laisser de peur de vous déplaire. Objet charmant et beau vous ne sauriez mieux faire. Ma foi je m’y suis pris de mauvaise façon, Car je sais que son coeur ne fut jamais glaçon. Aristote a raison, qui dit qu’une maraude Ne se doit point prier, mais qu’il faut à la chaude La gripper aux cheveux, la saisir au collet, Quelquefois l’affaiblir avec un beau soufflet : Si soufflet ne suffit, user de la gourmade, Si la gourmade est peu, lors de la bastonnade. Tout homme de bon sens doit, ce dit-il user Pour la mettre en état de ne rien refuser, Mais autre censeur vient de mes censeurs le pire. Je vous cherche partout Don Juan.         Que désire L’équitable Fernand de son humble valet ? N’avez-vous rien appris de votre Jodelet ? Non, mais devant la nuit je le verrai possible. C’est pour vous proposer chose assez mal plausible. Quelle est donc cette chose ?         Il faut absolument (Pensez bien qu’à regret.)         Que faut-il vitement. Aller à la campagne.         Est-ce tout que m’importe ? Oui, mais c’est pour vous battre.         Ha, non en cette sorte, Il m’importe beaucoup ; mais si sans résister Je veux vous obéir, à quoi bon m’irriter ? Parce qu’on vous a fait une offense mortelle. Don Fernand vous montrez ici peu de cervelle. Il faut que vous soyez certes un Maître fou. Courage Don Juan, mais puis-je savoir d’où Vous pouvez inférer que je ne sois pas sage ? De venir sottement m’avertir d’un outrage Que je ne connais point, et ne voulais savoir. Apprenez en cela que j’ai fait mon devoir, Et que si vous voulez vous acquitter du vôtre, Il faut sans vous servir de la valeur d’un autre Aujourd’hui, s’il se peut, voir l’épée à la main, Celui qu’on sait avoir tué votre germain, Il le tua la nuit, soit hasard, soit vaillance Vous devez vitement en faire la vengeance. Fut-ce la nuit ?     La nuit.         Se battre qui voudra, Puisque sans voir il tue alors qu’il me verra, Que pourrais-je durer contre un tel Matamore, Et, de plus voulez-vous que je vous dise encore L’avantage qu’aurait ce dangereux garçon ? C’est que cet enragé sait déjà la façon Dont il faut dépêcher ceux de notre lignage. Pensez-vous Don Juan avoir bien du courage ? Oui-da j’en ai beaucoup, et n’en ai que du bon, Dites-moi seulement où le trouvera-t-on ? Est-il bien loin d’ici ? Se fera-t-il attendre ? Savez-vous son logis ? Le pourrai-t-on apprendre ? Et son nom quel est-il ?         Don Louis de Rochas. Quoi c’est votre neveu, je ne me bats donc pas, Puis qu’il a votre nom qui m’est si vénérable, Cette qualité m’est assez considérable, Pour me mettre à ses pieds où je le trouverai, Et si vous le voulez, même je l’aimerai. Ce n’est pas tout encor une seconde offense Vous devrait contre lui portez à la vengeance, Votre soeur a sujet de s’en plaindre bien fort. Je veux qu’en offensant ma soeur il ait eu tort, Mais je suis de serment, et n’en déplaise aux Dames De ne prendre jamais querelle pour des femmes. Vous êtes un poltron, ou je me trompe bien. Au Beau-père cela ne doit toucher en rien. Apprenez néanmoins que tout ceci me touche. Beau-père trop hargneux, beau-père trop farouche, Beau-père assassinant, et beau-père éternel Qui me viens proposer un acte criminel Que vous a déjà fait un misérable gendre, Que vous tâchez déjà de voir son sang répandu ? Monseigneur Belzébuth qui vous puisse emporter, Vous aurait-il chargé de me venir tenter, Si le danger n’était que d’un simple homicide : Mais vous voulez sur moi voir faire un gendricide, Et le faire devant la consommation, Est certes Don Fernand très cruelle action. Votre Valet tantôt a donné sa parole De se battre pour vous.         Qu’il la tienne le drôle, Je ne suis point jaloux de le voir plein de coeur. Vous ne vous battez point pour frère n pour soeur. Il faut être en humeur pour se battre, et je meure, Si j’y fus jamais moins que j’y suis à cette heure. Je vous croyais vaillant, je me suis trompé. Quand d’un glaive tranchant je serai découpé Qu’en sera mieux ma soeur, qu’en sera mieux mon frère, Laisse-moi donc en paix, homme, singe, ou beau-père. Vous n’avez qu’à chercher autre femme à Madrid. Que vous eussiez aimé pour votre gendre un Cid Qui vous eût assommé, puis épousé chimène. N’attendez plus de moi que mépris et que haine. Ô le plus grand poltron qui jamais ait été. Je suis, ô Don Fernand, de votre cruauté, Malgré vos noires dents Serviteur très fidèle, Et je le suis aussi de Madame Isabelle. Je ne suis point le vôtre, et hors de ma maison, Je vous forcerais bien à me faire raison. Qu’avez-vous Don Fernand qui vous met en colère ? Ce gendre mal choisi...         Parlez mieux mon beau-père. Éloignons-nous de lui, ce gendre donc maudit Vous désavoue eu tout, et m’a nettement dit Qu’il n’était point d’avis de venger son offense Et qu’il ne fut jamais enclin à la vengeance, Même qu’il m’a quasi dit qu’il a perdu le coeur, Faites-lui revenir, sauvez-lui son honneur, Trop fidèle valet d’u trop timide maître ; Montrez-lui vivement quel homme il devait être, Qu’étant de Don Louis doublement outragé, C’est l’avoir bien servi que l’avoir engagé, Quoique son ennemi soit homme redoutable, Que cette offense aussi n’est guère supportable ; Montrez-vous bon ami, montrez-vous bon valet, Inspirez-lui du coeur valeureux Jodelet : Je sais bien qu’en ceci j’ai quelque part à prendre, Mais touchant mon devoir on ne peut rien m’apprendre. Si j’étais offensé comme lui doublement, On verrait Don Fernand agir tout autrement, Enfin n’oubliez rien afin qu’il s’évertue, Son ennemi l’attend au bout de cette rue, Qui s’imaginera qu’on le redoute fort Je m’en vais le trouver.         Mais de quel autre tort Mon Maître Don Juan doit-il tirer vengeance ? Il vous apprendra tout, le voici qui s’avance. Or ça mon Jodelet, dis-moi sans rien changer, Quels outrages nouveaux avons-nous à venger ? S’en est-il en allé ?     Oui.         Tant mieux que je meure S’il ne m’a quasi fait enrager tout à l’heure, Seigneur il n’est plus temps de se plus déguiser, Le faire plus longtemps ce serait niaiser, Don Louis en ferait une pièce pour rire ; Mais l’avez-vous pour moi défié.         Sans lui dire Que j’étais Don Juan, oui je l’ai défié, Et ma foi je m’étais toujours bien défié, Que ce jeune galant cajolait Isabelle, Enfin je l’ai trouvé tantôt caché chez elle ; Et sans un accident que je te dois celer Nous nous fussions battus au lieu de quereller, Et je n’ai seulement l’affaire différée, Qu’attendant que je voie un peu mieux avérée Une chose qui n’est encore en mon esprit Qu’un sujet de soupçon, de rage et de dépit : Car enfin ce peut-être un coup de téméraire, Un tour de Béatrix, que l’argent a fait faire, Puis j’ai quelques raisons pour croire assurément Qu’Isabelle en ceci ne trempe nullement. Monsieur ce n’est pas tout que votre jalousie, Autre chose vous doit brouiller la fantaisie, Don Louis en l’honneur vous offense bien fort, De vous expliquer mieux la chose j’aurais tort, Elle ne peut quasi s’entendre ni se dire, L’un et l’autre l’augmente, et la rend toujours pire. Ah ! Ne me la dis point, je la devine assez ; Mais que tous mes malheurs et présents et passés Se bandent contre moi, j’ai pour moi bon courage, Et qui le sait encor ?     Tout le monde.         Ha ! J’enrage. Ha ! Maintenant fureur Je m’abandonne à vous, Et Don Fernand est-il pour nous ou contre nous. Don Louis est son sang mais pour l’honneur du vôtre Il fait ce qu’on ne fit jamais pour pas un autre, Il veut que Don Louis vous en fasse raison, Et Don Louis m’attend près de cette maison, Qui me croit Don Juan.         Il faut que je le tue, Mais on est bien souvent séparé dans la rue, Les combats de pavé sont moins guerre que paix, C’est à quoi je ne puis me résoudre jamais, J’hasarde ma vengeance allant à la campagne, On y fait quasi plus de combat en Espagne, Qu’on ne conte la chose autrement qu’elle n’est Et ce lieu de combat moins que l’autre me plaît Si dans quelque maison quoique contre la mode... Attendez je vous trouve une place commode, Je tiens ici la clef d’un bas appartement, Où nous devons coucher, là très commodément Vous vous pourrez venger presque aux yeux d’Isabelle, Sans qu’il en soit rien su que de son père ou d’elle. Ha ! Mon cher Jodelet, que tu l’as bien choisi, Va vite le trouver.         Mais plutôt allez-y. Il est temps ou jamais qu’on sache qui vous êtes, Comment prétendez-vous faire ce que vous faites, Et passer pour valet, allez, allez Seigneur, Vous découvrir, vous battre, et venger votre honneur. Quoi si par un effet de pure jalousie Pour un simple soupçon né dans ma fantaisie J’ai déguisé mon nom, veux-tu pour un affront, De qui le moindre mal est de rougir mon front, Que je m’aille montrer, ah plutôt je te prie, Si tu n’aimes mieux voir Don Juan en furie, Souffre encore mon nom qui ne t’offense en rien, Une offense est bien pire, et je la souffre bien. Vous me l’ordonnez, donc.         Même je t’en conjure. Il vous faut obéir : mais si par aventure, Comme les hommes sont souvent impatients Il voulait dégainer devant qu’être céans, Que fera Jodelet qui n’aime point la guerre, Et qui se plaît bien fort au séjour de la terre. Fais-lui signe de loin, il ne manquera pas De te venir trouver : Et toi d’un même pas Tu me l’amèneras en cette chambre basse. Autre difficulté mon esprit embarrasse, S’il est court de visière.         Ha ! C’est trop discourir Ne me réplique plus, et me le vas quérir. Ce dur commandement terriblement me choque ; Mais Seigneur gardez-vous surtout de l’équivoque, Discernez Jodelet d’avecque Don Louis, On a souvent les yeux de colère éblouis, Et si sans y penser devant Don Louis j’entre, Et que sans y penser vous me perciez le ventre, Me disant Jodelet, ma foi j’en sui marri, Je serai tout à l’heure et content et guéri. Pleurez, pleurez mes yeux, l’honneur vous le commande, S’il vous reste des pleurs, donnez m’en j’en demande. Je viens d’allumer ma chandelle, La nuit noire comme du geais Vient d’arriver pompeuse et belle Plus que je ne la vis jamais, De ses Damoiselles suivantes Les étoiles étincelantes, Elle traîne un brillant troupeau, Que ses servantes sont heureuses, Si d’un valet qui se croit beau Elles ne sont point amoureuses. Pleurez, pleurez mes yeux, l’honneur vous le commande, S’il vous reste des pleurs, donnez m’en j’en demande. Étoiles luisantes et nettes Si vous en aimiez comme moi, Toutes célestes que vous êtes Vous enrageriez sur ma foi, Tantôt ce Grenadin, ce More Comme du feu qui me dévore Je lui contais la cruauté, M’a dit que je ne valais guères, Et qu’il était bien fort tenté De me donner les étrivières. Pleurez, pleurez mes yeux, l’honneur vous le commande, S’il vous reste des pleurs, donnez m’en j’en demande. D’écus une assez bonne somme Devant lui je faisais sonner, Et lui faisais assez voir comme Moi qui prends je lui veux donner : Aussitôt cette âme rebourse M’a donné de ma même bourse Un si grand coup dessus le cou Que je m’en sens toute échinée Ô que pour aimer un tel fou Il faut que je sois forcenée ? Pleurez, pleurez mes yeux, l’honneur vous le commande, S’il vous reste des pleurs, donnez m’en j’en demande. S’il plaisait à la destinée, Qu’il fut l’importun à son tour, Et Béatrix l’importunée, Alors à beau jeu beau retour, Encore aurais-je quelque joie : Mais hélas ! Jusque dans le foie Il me brûle le faux larron, Et s’en rit l’impitoyable homme Aussi fort qu’autrefois Néron Riait alors qu’il brûlait Rome. Pleurez, pleurez mes yeux, l’honneur vous le commande, S’il vous reste des pleurs, donnez m’en j’en demande. Et ce pendant mon mal me presse ; Mais quelqu’un vient par l’escalier, C’est Isabelle ma maîtresse, Reprenons notre chandelier : Que si quelqu’un de l’assistance Trouve qu’à moi n’appartient stance, Qu’il sache que l’auteur discret Qui sait fort bien le colloque Est dangereux pour le secret M’a régalé d’un soliloque. Pleurez, pleurez mes yeux, l’honneur vous le commande, S’il vous reste des pleurs, donnez m’en j’en demande. Madame Béatrix que faites-vous ici ? Je prépare une chambre à votre Amant transi, Et vous d’où venez-vous, et Madame Lucresse ? Je viens de me donner en proie à la tristesse. Madame je vous dis pour la seconde fois Quand on aurait remis la chose à votre choix, Vous ne pouviez choisir en toute la Castille Un plus digne mari d’une excellente fille : Alors que Don Juan vous sera mieux connu Vous me confesserez que je vous ai tenu Un discours véritable.         Et moi je vous assure Lorsque si richement vous faites sa peinture, Qu’il faut que de nous deux quelqu’une rêve bien, Vous de le voir tel, moi de n’en croire rien. Hélas ! À vous sa soeur l’oserais-je bien dire ? Il semble qu’il ne songe à rien qu’à faire rire : Toujours dans l’action d’un homme extravagant, Soit par accoutumance, ou soit par accident, Parlant toujours du nez, et de plus il affecte La façon de parler toujours la moins correcte, Toujours quelque mot goinfre est dans tous ses discours, Et je pourrais passer heureusement mes jours Avec un tel époux : ah fille malheureuse ! Encor si je pouvais être religieuse : Mais hélas ! Je me sens pour la religion, Et pour ce brave époux pareille aversion. Finissez, finissez votre quérimonie, Et gagnons l’escalier ; et sans cérémonie Quelqu’un ouvre la porte, et l’on vous surprendra, Quant à moi je m’enfuis, me suive qui voudra. Laissons la porte ouverte, et gagnons cette alcôve, Je les entends venir.         Mon Maître Dieu me sauve Ne fut jamais qu’un traître, il s’en est en allé : Hélas ! J’en ai le sang quasi tout congelé, Et qui l’eût jamais cru ?         Peste il ferme la porte, Que deviendrai-je donc ?         Nous pouvons de la sorte Nous battre tout le saoul, si le coeur vous en dit. Vous me pardonnerez je n’ai point d’appétit. Que différez-vous donc à venger votre outrage ? Je crains votre raison moins que votre courage : Vous ne me dites mot, et bien qu’attendons-nous ? Ha ! Vraiment si j’étais offensé comme vous, Je vous montrerais bien une autre impatience. Mon Maître assurément n’a point de conscience. Que Diable cherchez-vous ?         Je cherche ma valeur. Après avoir tantôt montré tant de chaleur Vous êtes maintenant, ce me semble, un peu tiède, Mais pour vous réchauffer je tiens un bon remède. Ha bon dieu ! Quelle longue épée à giboyer, Et qui peut seulement la voir sans s’effrayer. Don Juan est poltron, ou fait semblant de l’être. Le Seigneur soit loué, je viens de voir mon maître, Je n’ai plus maintenant qu’à faire le fougueux. Ma colère est tantôt au point où je la veux : Sitôt qu’elle y sera vous verrez faire rage : Ha ! Seigneur sortez donc, manquez-vous de courage ? Va donc pour l’amuser te battre en reculant. Dieu veuille être avec nous.         L’effort est violent. Vous vous battez fort bien.         Assez bien, ha que n’ai-je Contre les coups d’estoc quelque bon sortilège, Attendez...     Ah mon Maître !         Ah c’est trop me presser, Mon épée est faussée, il la faut redresser, N’avez-vous pas tué mon frère sans lumière ? Oui.         Pour vous témoignez que je ne vous crains guère Je ne veux point avoir d’avantage sur vous, Je veux sans voir, vous battre, et vous rouer de coups. Meurs donc chandelle, meurs, et nous laisse en ténèbres : Et vous allez finir vos passe-temps funèbres, Pour moi qui suis exact en ce que je promets, Je veux être pendu si l’on m’y prend jamais. C’est dans l’obscurité que la lumière est belle, Vous ne vous battiez pas si bien à la chandelle, Et vous m’avez blessé, mais je m’en vengerai. Béatrix.         Sors, sors vite, ou je t’étranglerai. Qu’est-ce ci mes amis ?         Je venge mon offense. On m’a tiré du sang, j’en veux tirer vengeance. Est-ce d’un estocade, ou d’un estramaçon ? L’un et l’autre ma foi n’est point de ma façon. Montrez-moi, vous avez la main un peu coupée. La sale vision que de voir une épée. Allons, mes chers amis, battez-vous hardiment. Je ne parais ici pour la paix nullement. L’un de qui l’honneur souffre est pour être mon gendre, Et l’autre est mon parent qui voit son sang répandre. Battez-vous donc Amis, et bien fort vous serez Bien plutôt animés, par moi, que séparés. Votre conseil est trop d’un homme de courage Pour n’être pas suivi.         De tout mon coeur j’enrage, Ha le malheureux vieillard qui conseille un duel. La colère me rend insolent et cruel, J’ai trompé votre soeur, j’ai tué votre frère, Je le ferais encor si je l’avais à faire, Il ne me reste plus qu’à vous tuer aussi. Vous ne connaissez pas Don Juan, le voici, Vous trompâtes ma soeur, vous tuâtes mon frère, Mais bientôt votre mort s’en va me satisfaire, C’est au vrai Don Juan qu’appartient seulement De venger son honneur offensé doublement. Quel est donc de vous deux Don Juan ?         C’est moi-même. Et lui ?         Je ne le suis qu’en cas de stratagème. Oui je suis Don Juan qui vous vient de blesser, Si je l’ai fait sans voir, vous pouvez bien penser Qu’à moi venger ma honte est chose fort aisée, Maintenant que je vois celui qui l’a causée, Tandis que mon esprit a seulement douté J’ai voulu m’éclaircir, et n’ai rien attenté, Sous le nom d’un valet j’ai souffert mon offense, Tandis qu’un seul soupçon m’en demandait vengeance Vous qui me l’avez faite, et l’osez déclarer, Vous me croyez peut-être un homme à l’endurer, Je n’ai pour le savoir de science certaine Oublié jusqu’ici ni finesse ni peine : Enfin mon déshonneur ne m’est que trop connu, Vous savez, Don Louis, à quoi je suis tenu : Pour mon sang répandu, j’ai répandu du vôtre, Mais deux autres sujets m’en demandent bien d’autre. Je ne puis vivre heureux sans vous faire mourir, Pour cela seulement j’ai dû me découvrir, Je suis donc Don Juan, que personne n’en doute. Croyez-vous à ce nom que plus on vous redoute ? Et croyez-vous aussi me donner le trépas, Vous ne tuez qu’alors que l’on ne vous voit pas : Mais puisque je vous vois, qui vous pourra barbare Garantir de la mort que ma main vous prépare ? Quand je vous aurais tous ici pour ennemis, Je veux qu’on tienne ici tout ce qu’on a promis, L’on m’a promis ma soeur, il faut qu’on l’effectue, Je lui dois votre mort, il fait que je vous tue, Voyez si Don Juan tient bien ce qu’il promet, Soit qu’il paraisse en Maître, ou se cache en valet : Don Fernand tenez donc la parole donnée, Commandez que ma soeur me soit vite amenée, Et vous le plus mortel de tous mes ennemis Battez-vous contre moi, vous me l’avez promis. Ha ! Seigneur Don Juan un peu de patience ! Pour en avoir eu trop j’ai manqué ma vengeance. Pourquoi vous êtes-vous déguisé parmi nous ? J’étais jaloux.     De qui ?     De lui.     De moi.         De vous. Je vous ai vu sortir du Balcon d’Isabelle. Vous m’en vîtes sortir.         Vous-même, et puis chez elle Je vous ai vu caché : mais ces jaloux soupçons Ne ralentirent point mon feu de leurs glaçons ; Au contraire il s’accrut avecque violence, Lors je me déguisai, je gardai le silence, Et ne fus pas longtemps sans rencontrer en vous Un rival dont j’avais sujet d’être jaloux : Vous n’excitiez alors que ma simple colère, Et n’eusse jamais cru que la mort de mon frère Dût se trouver encor un coup de votre main ! Je vous croyais coquet, et non pas inhumain ; Enfin j’ai su depuis qu’une mortelle offense Me devait contre vous porter à la vengeance ; J’ai cru que vous étiez coupable envers ma soeur, J’ai cru que vous étiez son lâche ravisseur, Lors par ressentiment plus que par jalousie La fureur contre vous m’avait l’âme saisie : J’ai bientôt préféré pour vous priver du jour Les soins de mon honneur à ceux de mon amour. Quand on souffre en l’honneur, l’amour ne touche guère, Maintenant que je vois que de mon pauvre frère, Que vous avez tué la nuit trop lâchement, Vous m’osez reprocher la mort insolemment : Que pour vous contre moi le ciel avec la terre, Et tout le genre humain me déclare la guerre. Malgré le ciel, la terre, et tout le genre humain, Il faut que vous mouriez aujourd’hui par ma main. Ceux qui me connaîtront sauront bien que la crainte N’est pas ce qui me fait approuver votre plainte, Quand vous me reprochez que votre frère est mort, La raison est pour vous, et moi j’ai toujours tort : Mais je devrais plutôt être par cette offense, Un objet de pitié, qu’un objet de vengeance ; Hélas je le tuai, mais comment, et pourquoi ? Et quand je le sus mort, qui pleura plus que moi, Il m’attaqua la nuit, et moi sans le connaître, Je cru l’ayant tué, n’avoir tué qu’un traître : Malheureux que je suis, l’avoir tué sans voir, Le plus intime ami que je croyais avoir, Oui je l’aimais autant qu’on peut aimer un autre, Puisqu’il fut mon ami pour devenir le vôtre, Je donnerais mon sang, je donnerais mon coeur, Et ce discours n’est point un effet de ma peur. Outre qu’un généreux facilement pardonne, Cette seule raison sans doute est assez bonne : Je veux que vous l’ayez tué sans y penser, Et que vous n’ayez eu dessein de m’offenser ; Mais vous ne vous lavez ici que d’une offense, Et ma soeur contre vous me demande vengeance : Et puisque son honneur à mon honneur est joint, Je serai sans honneur si ma soeur n’en a point. En l’humeur où je suis-je n’ai pas grande envie, Si vous m’ôtez l’honneur, de vous laisser la vie. Je pourrais bien encor épousant votre soeur, Et vous rendre content, et vous rendre l’honneur, Vous n’auriez plus sujet d’en vouloir à ma vie, Et je n’en n’aurais plus pour vous porter envie : Quoique je visse à vous avec tous ses appas, Celle que j’aimai bien, mais qui ne m’aima pas C’est de vous que je parle, ô trop sage Isabelle, Qui ne fûtes jamais envers moi que cruelle. Don Juan quittez donc tous vos jaloux soupçons, Que le feu de l’amour en fonde les glaçons. Ne soyez plus atteint de cette frénésie, Ni moi l’objet fâcheux de cette jalousie. Il est vrai Béatrix m’a deux fois introduit Dans sa chambre le jour, dans son balcon la nuit : Mais sur ma foi bien loin d’être de la partie, De me l’avoir promis, ou d’en être avertie, Sitôt qu’elle le sut, elle l’en querella, Et Béatrix pensa s’en aller pour cela. Mon Neveu ne dit rien qui ne soit véritable, Et si, cher Don Juan, vous êtes raisonnable, Vous ne fermerez plus l’oreille à la raison : Chassons donc le tumulte hors de cette maison, Et faisons y rentrer la joie et l’hyménée : Ça vite que Lucrèce soit ici amenée, Et ma fille Isabelle... Ah ! Je les vois venir, Venez, venez tâcher de les bien réunir, Que je devrai d’encens à la bonté divine, Puisqu’elle fait finir cette guerre intestine ; Que je me sens heureux, et vous mes chers enfants, Tant pour votre repos que celui de mes ans, Devenez bons amis, embrassez-vous ensemble, Et qu’une bonne paix à jamais vous assemble. Je ne résiste plus, je suis votre conseil. Le plaisir que j’en sens n’eut jamais de pareil. Ô ma chère Isabelle !         Ô ma chère Lucresse ! Que nous avons de joie après tant de tristesse, Et bien avais-je tort lorsque vous vous plaigniez D’assurer qu’il n’était pas tel que vous disiez. Je n’ai donc qu’à quitter mon habit de parade, Puisque je ne suis plus Don Juan d’Alvarade. Non, non, cher Jodelet, gardez tous vos bijoux, Ils vous parent trop bien pour n’être pas à vous. Vous dont l’amitié m’est un don inestimable, Recevez de ma main cette fille adorable. Vous que je haïssais tantôt de tous mon coeur, Sachez que je suis vôtre aussi bien que ma soeur. Allons, mes chers enfants, finir cette journée Par l’accomplissement de ce double hyménée. Ma foi vous n’êtes pas encor où vous pensez, Et les discours ici ne sont pas tous passés, Il me faut un portrait que retient Isabelle, Qui pend à deux rubans au fonds de sa ruelle, Moi qui ne sais si c’est ou pour bien, ou pour mal Qu’elle garde un portrait, perdant l’original : Je veux qu’on me le rende, ou bien la comédie, Par moi Don Jodelet deviendra tragédie. Oui je la veux avoir cette idole de prix Pour en favoriser ma chère Béatrix.