Sur les bords fortunés embellis par la Seine Je règne dès longtemps. Je préside aux concerts charmants Que donne Melpomène. Amours, Plaisirs, Jeux séducteurs, Que le loisir fit naître au sein de la mollesse, Répandez vos douces erreurs ; Versez dans tous les cours Votre charmante ivresse ; Régnez, répandez mes faveurs. Répandons, etc. Venez, mortels, accourez à mes yeux : Regardez, imitez les enfants de la gloire : Ils m’ont tous cédé la victoire. Mars les rendit cruels, et je les rends heureux. Nous sommes les enfants du maître du tonnerre : Notre nom jadis redouté Ne périra point sur la terre ; Mais parlons avec la liberté : Parmi tant de lauriers qui ceignent votre tête, Dites-moi quelle est la conquête Dont le grand cour d’Alcide était le plus flatté. Ah ! Ne me parlez plus de mes travaux pénibles, Ni des cieux que j’ai soutenus : En ces lieux je en connais plus Que la charmante Iole et les Plaisirs paisibles. Mais vous, Bacchus, dont la valeur Fit du sang des humains rougir la terre et l’onde, Quel plaisir, quel barbare honneur Trouvez-vous à troubler le monde ? Ariane m’ôte à jamais Le souvenir de mes brillants forfaits ; Et par mes présents secourables Je ravis la raison aux mortels misérables, Pour leur faire oublier tous les maux que j’ai faits. Volupté, reçois nos hommages ; Enchante dans ces lieux Les héros, les dieux, et le sages : Sans tes plaisirs, sans tes doux avantages, Est-il des sages et des dieux ? Jupiter n’est point heureux Par les coups de son tonnerre : Amour, il doit à tes feux Ces moments si précieux Qu’il vient goûter sur la terre. Le dieu qui préside au jour, Et qui ranime le monde? Ferait-il son vaste tour S’il n’allait trouver l’Amour Qui l’attend au sein de l’onde ? Ici tous les conquérants Bornent leur grandeur à plaire ; Les sages sont des amants ; Ils cachent leurs cheveux blancs Sous les myrtes de Cythère. Mortels, suivez les Amours ; Toute sagesse est folie. Profitez de vos beaux jours : Les dieux aimeront toujours ; Soyez dieux dans votre vie. Ah ! quelle éclatante lumière Fait pâlir les clartés du beau jour qui nous luit ? Quelle est cette nymphe sévère Que la sagesse conduit ? Fuyons la vertu cruelle ; Les Plaisirs sont bannis par elle. Mère des Plaisirs et des Jeux, Nécessaire aux mortels, et souvent trop fatale, Non, je ne suis point ta rivale ; Je viens m’unir à toi pour mieux régner sur eux. Sans moi, de tes plaisirs l’erreur est passagère ; Sans toi, l’on ne m’écoute pas : Il faut que mon flambeau t’éclaire ; Mais j’ai besoin de tes appas. Je veux instruire, et je dois plaire. Viens de ta main charmante orner la Vérité. Disparaissez, guerriers consacrés par la fable : Un Alcide véritable Va paraître en ce lieu, comme vous enchanté. Chantons sa gloire et sa faiblesse, Et voyons ce héros, par l’amour abattu, Adorer encor la Vertu, Entre les bras de la Mollesse. Chantons, célébrons, en ce jour, Les Dangers cruels de l’amour. Tribus captives, Qui sur ces rives Traînez vos fers ; Tribus captives, De qui les voix plaintives Font retentir les airs, Adorez dans vos maux le Dieu de l’univers. Adorons dans nos maux le Dieu de l’univers. Ainsi depuis quarante hivers Des Philistins le pouvoir indomptable Nous accable ; Leur fureur est implacable, Elle insulte aux tourments que nous avons soufferts. Adorons dans nos maux le Dieu de l’univers. Race malheureuse et divine, Tristes Hébreux, frémissez tous : Voici le jour affreux qu’un roi puissant destine A placer ses dieux parmi nous. Des prêtres mensongers, pleins de zèle et de rage, Vont nous forcer à plier les genoux Devant les dieux de ce climat sauvage : Enfants du ciel, que ferez-vous ? Nous bravons leur courroux ; Le Seigneur seul a notre hommage. Tant de fidélité sera chère à ses yeux. Descendez du trône des cieux, Fille de la Clémence, Douce Espérance Trésor des malheureux ; Venez tromper nos maux, venez remplir nos voux. Descendez, douce Espérance. Ah ! Déjà je les vois ces pontifes cruels, Qui d’une idole horrible entourent les autels. Ne souillons point nos yeux de ces vains sacrifices ; Fuyons ces monstres adorés : De leurs prêtres sanglants ne soyons point complices. Fuyons, éloignons-nous. Esclaves, demeurez, Demeurez : votre roi par ma voix vous l’ordonne. D’un pouvoir inconnu lâches adorateurs. Vous rampez dans nos fers, ainsi que vos ancêtres, Mutins toujours vaincus, et toujours insolents : Obéissez, il en est temps, Connaissez les dieux de vos maîtres. Tombe plutôt sur nous la vengeance du ciel ! Plutôt l’enfer nous engloutisse ! Périsse, périsse Ce temple et cet autel ! Rebut des nations, vous déclarez la guerre Aux dieux, aux pontifes, aux rois ? Nous méprisons vos dieux, et nous craignons les lois Du maître de la terre. Quel spectacle d’horreur ! Quoi ! ces fiers enfants de l’erreur Ont porté parmi vous ces monstres qu’ils adorent ? Dieu des combats, regarde en ta fureur Les indigne rivaux que nos tyrans implorent. Soutiens mon zèle, inspire-moi ; Venge ta cause, venge-toi. Profane, impie, arrête ! Lâches, dérobez votre tête À mon juste courroux ; Pleurez vos dieux, craignez pour vous. Tombez, dieux ennemis ! Soyez réduits en poudre. Vous ne méritez pas Que le dieu des combats Arme le ciel vengeur, et lance ici sa foudre ; Il suffit de mon bras. Tombez, dieux ennemis ! Soyez réduits en poudre. Le ciel ne punit point ce sacrilège effort ? Le ciel se tait, vengeons sa querelle. Servons le ciel en donnant la mort À ce peuple rebelle. Servons le ciel en donnant la mort À ce peuple rebelle. Vos esprits étonnés sont encore incertains ? Redoutez-vous ces dieux renversés par mes mains ? Mais qui nous défendra du courroux effroyable D’un roi, le tyran des Hébreux ? Le Dieu dont la main favorable A conduit ce bras belliqueux Ne craint point de ces rois la grandeur périssable. Faibles tribus, demandez son appui ; Il vous armera du tonnerre ; Vous serez redoutés du reste de la terre, Si vous ne redoutez que lui. Mais nous sommes, hélas ! sans armes, sans défense. Vous m’avez, c’est assez ; tous vos maux vont finir. Dieu m’a prêté sa force, sa puissance : Le fer est inutile au bras qu’il veut choisir ; En domptant les lions, j’appris à vous servir. Leur dépouille sanglante est le noble présage Des coups dont je ferai périr Les tyrans qui sont leur image. Peuple, éveille-toi, romps tes fers, Remonte à ta grandeur première, Comme un jour Dieu du haut des airs Rappellera les morts à la lumière Du sein de la poussière, Et ranimera l’univers. Peuple, éveille-toi, romps tes fers, La liberté t’appelle ; Tu naquis pour elle ; Reprends tes concerts. Peuple, éveille-toi, romps tes fers ! L’hiver détruit les fleurs et la verdure ; Mais du flambeau des jours la féconde clarté Ranime ta nature, Et lui rend sa beauté ; L’affreux esclavage Flétrit le courage : Mais la liberté Relève sa grandeur, et nourrit sa fierté. Liberté ! Liberté ! Ainsi ce peuple esclave, oubliant son devoir, Contre son roi lève un front indocile. Du sein de la poussière il brave mon pouvoir. Sur quel roseau fragile A-t-il mis son espoir ? Un imposteur, un vil esclave, Samson, les séduit et vous brave : Sans doute il est armé du secours des enfers. L’insolent vit encore ? Allez, qu’on le saisisse ; Préparez tout pour son supplice : Courez, soldats ; chargez de fers Des coupables Hébreux la troupe vagabonde ; Ils sont les ennemis et le rebut du monde, Et, détestés partout, détestent l’univers. Fuyons la mort, échappons au carnage ; Les enfers secondent sa rage. J’entends encore les cris de ces peuples mutins : De leur chef odieux va-t-on punit l’audace ? Il est vainqueur, il nous menace ; Il commande aux destins ; Il ressemble au dieu de la guerre ; La mort est dans ses mains. Vos soldats renversés, ensanglantent la terre ; Le peuple fuit devant ses pas. Que dites-vous ? un seul homme, un barbare, Fait fuir mes indignes soldats ? Quel démon pour lui se déclare ? Roi, prêtres ennemis, que mon Dieu fait trembler, Voyez ce signe heureux de la paix bienfaisante, Dans cette main sanglante Qui vous peut immoler. Quel mortel orgueilleux peut tenir ce language ? Contre un roi si puissant quel bras peut s’élever ? Si vous êtes un dieu, je vous dois mon hommage ; Si vous êtes un homme, osez-vous me braver ? Je ne suis qu’un mortel ; mais le Dieu de la terre, Qui commande aux rois, Qui souffle à son choix Et la mort et la guerre, Qui vous tient sous ses lois, Qui lance le tonnerre, Vous parle par ma voix. Eh bien ! Quel est ce dieu ? Quel est le témoignage Qu’il daigne m’annoncer par vous ? Vos soldats mourant sous mes coups, La crainte où je vous vois, mes exploits, mon courage. Au nom de ma patrie, au nom de l’Eternel, Respectez désormais les enfants d’Israël, Et finissez leur esclavage. Moi, qu’au sang philistin je fasse un tel outrage ! Moi, mettre en liberté ces peuples odieux ! Votre dieu serait-il plus puissant que mes dieux ? Vous allez l’éprouver ; voyez si sa nature Reconnaît ses commandements. Marbres, obéissez ; que l’onde la plus pure Sorte de ces rochers, et retombe en torrents. Ciel ! Ô ciel ! À sa voix, on voit jaillir cette onde Des marbres amollis ! Les éléments lui sont soumis ! Est-il le souverain du monde ? N’importe ; quel qu’il soit, je ne puis m’avilir À recevoir des lois de qui doit le servir. Eh bien ! Vous avez vu quelle était sa puissance, Connaissez quelle est sa vengeance. Descendez, feux des cieux, ravagez ces climats : Que la foudre tombe en éclats ; De ces fertiles champs détruisez l’espérance. Brûlez, moissons ; séchez, guérets ; Embrasez-vous, vastes forêts. Connaissez quelle est sa vengeance. Tout s’embrase, tout se détruit ; Un dieu terrible nous poursuit. Brûlante flamme, affreux tonnerre, Terribles coups ! Ciel ! Ô ciel ! Sommes-nous Au jour où doit périr la terre ? Suspends, suspends cette rigueur, Ministre impérieux d’un dieu plein de fureur ! Je commence à reconnaître Le pouvoir dangereux de ton superbe maître ; Mes dieux longtemps vainqueurs commencent à céder, C’est à leur voix à me résoudre. C’est à la sienne à commander. Il nous avait punis, il m’arme de sa foudre ; A tes dieux infernaux va porter ton effroi ; Pour la dernière fois peut-être tu contemples Et ton trône et leur temple : Tremble pour eux et pour toi ! Vous que le ciel console après des maux si grands, Peuples, osez paraître aux palais des tyrans : Sonnez, trompette, organe de la gloire ; Sonnez, annoncez ma victoire. Chantons tous ce héros, l’arbitre des combats : Il est le seul dont le courage Jamais ne partage La victoire avec les soldats. Il va finir notre esclavage. Pour nous est l’avantage ; La gloire est à son bras ; Il fait trembler sur leur trône Les rois maîtres de l’univers, Les guerriers au champ de Bellone, Les faux dieux au fond des enfers. Sonnez, trompette, organe de sa gloire ; Sonnez, annoncez sa victoire. Le défenseur intrépide D’un troupeau faible et timide Garde leurs paisibles jours Contre le peuple homicide Qui rugit dans les antres sourds : Le berger se repose, et sa flûte soupire Sous ses doigts le tendre délire De ses innocentes amours. Sonnez, trompettes, organe de sa gloire ; Sonnez, annoncez sa vistoire. Dieux de Syrie, Dieux immortels, Écoutez, protégez un peuple qui s’écrie Au pied de vos autels. Éveillez-vous, punissez la furie De vos esclaves criminels. Votre peuple vous prie : Livrez en nos mains Le plus fier des humains. Livrez en nos mains Le plus fier des humains. Mars terrible, Mars invincible, Protège nos climats ; Prépare À ce barbare Les fers et le trépas. Ô Vénus ! Déesse charmante, Ne permets pas que ces beaux jours Destinés aux amours Soient profanés par la guerre sanglante. Livrez en nos mains Le plus fier des humains. « Samson nous a domptés ; ce glorieux empire Touche à son dernier jour ; Fléchissez ce héros ; qu’il aime, qu’il soupire : Vous n’avez d’espoir qu’en l’Amour. » Dieu des plaisirs, daigne ici nous instruire Dans l’art charmant de plaire et de séduire ; Prête à nos yeux tes traits toujours vainqueurs. Apprends-nous à semer des fleurs Le piège aimable où tu veux qu’on l’attire. Dieu des plaisirs, daigne ici nous instruire Dans l’art charmant de plaire et de séduire. D’Adonis c’est aujourd’hui la fête ; Pour ses jeux la jeunesse s’apprête. Amour, voici le temps heureux Pour inspirer et pour sentir tes feux. Amour, voici le temps, etc. Dieu des plaisirs, etc. Il vient plein de colère, et la terreur le suit ; Retirons-nous sous cet épais feuillage. Implorons le dieu qui séduit Le plus ferme courage. Le Dieu des combats m’a conduit Au milieu du carnage ; Devant lui tout tremble et tout fuit. Le tonnerre, l’affreux orage, Dans tous les champs font moins de ravage Que son nom seul n’en a produit Chez le Philistin plein de rage. Tous ceux qui voulaient arrêter Ce fier torrent dans son passage N’ont fait que l’irriter : Ils sont tombés ; la mort est leur partage. Ces sons harmonieux, ces murmures des eaux, Semblent amollir mon courage. Asile de la paix, lieux charmants, doux ombrage, Vous m’invitez au repos. Plaisirs flatteurs, amollissez son âme, Songes charmants, enchantez son sommeil. Tendre Amour, éclaire son réveil. Mets dans nos yeux ton pouvoir et ta flamme. Vénus, inspire-nous, préside à ce beau jour. Est-ce là ce cruel, ce vainqueur homicide ? Vénus, il semble né pour embellir ta cour. Armé, c’est le dieu Mars ; désarmé, c’est l’Amour. Mon cour, mon faible cour devant lui s’intimide. Enchaînons de fleurs Ce guerrier terrible ; Que ce cour farouche, invincible, Se rende à tes douceurs. Enchaînons de fleurs Ce héros terrible. Où suis-je ? en quels climats me vois-je transporté ? Quels doux concerts se font entendre ! Quels ravissants objets viennent de me surprendre ! Est-ce ici le séjour de la félicité ? Du charmant Adonis nous célébrons la fête ; L’Amour en ordonna les jeux ; C’est l’Amour qui les apprête : Puissent-ils mériter un regard de vos yeux ! Quel est cet Adonis dont votre voix aimable Fait retentir ce beau séjour ? C’était un héros indomptable, Qui fut aimé de la mère de l’Amour. Nous chantons tous les ans cette aimable aventure. Parlez, vous m’allez enchanter : Les vents viennent de s’arrêter ; Ces forêts, ces oiseaux, et toute la nature, Se taisent pour vous écouter. Vénus dans nos climats souvent daigne se rendre ; C’est dans nos bois qu’on vient apprendre De son culte charmant tous les secrets divins. Ce fut près de cette onde, en ces riants jardins, Que Vénus enchanta le plus beau des humains. Alors tout fut heureux dans une paix profonde ; Tour l’univers aima dans le sein du loisir. Vénus donnait au monde L’exemple du plaisir. Que ses traits ont d’appas ! que sa voix m’intéresse ! Que je suis étonné de sentir la tendresse ! De quel poison charmant je me sens pénétré ! Sans Vénus, sans l’Amour, qu’aurait-il pu prétendre ? Dans nos bois, il est adoré. Quand il fut redoutable, il était ignoré : Il devint dieu dès qu’il fut tendre. Depuis cet heureux jour Ces prés, cette onde, cet ombrage, Inspirent le plus tendre amour Au cour le plus sauvage. Ô ciel, ô troubles inconnus ! J’étais ce cour sauvage, et je ne le suis plus. Je suis changé ; j’éprouve une flamme naissante. Ah ! s’il était une Vénus, Si des Amours cette reine charmante Aux mortels en effet pouvait se présenter, Je vous prendrais pour elle, et croirais la flatter. Je pourrais de Vénus imiter la tendresse. Heureux qui peut brûler des feux qu’elle a sentis ! Mais j’eusse aimé peut-être un autre qu’Adonis, Si j’avais été la déesse. Ne tardez point, venez ; tout un peuple fidèle Est prêt à marcher sous vos lois : Soyez le premier de nos rois ; Combattez et régnez : la gloire vous appelle. Je vous suis, je le dois ; j’accepte vos présents. Ah !... Quel charme puissant m’arrête ! Ah ! Différez du moins, différez quelque temps Ces honneurs brillant qu’on m’apprête. Demeurez, présidez à nos fêtes ; Que nos cours soient ici vos conquêtes. Oubliez les combats ; Que la paix vous attire. Vénus vient vous sourire, L’Amour vous tend les bras. Craignez le plaisir décevant Où votre grand cour s’abandonne ; L’Amour nous dérobe souvent Les biens que la gloire nous donne. Demeurez, présidez à nos fêtes ; Que nos cours soient vos tendres conquêtes. Venez, venez, ne tardez pas : Nos cruels ennemis sont prêts à nous surprendre ; Rien ne peut nous défendre Que votre invincible bras. Demeurez, présidez à nos fêtes. Que nos cour soient vos tendres conquêtes. Je m’arrache à ces lieux... Allons, je suis vos pas. Prêtresse de Vénus, vous, sa brillante image, Je ne quitte point vos appas Pour le trône des rois, pour ce grand esclavage ; Je les quitte pour les combats. Me faudra-t-il longtemps gémir de votre absence ? Fiez-vous à vos yeux de mon impatience. Est-il un plus grand bien que celui de vous voir ? Les Hébreux n’ont que moi pour unique espérance, Et vous êtes mon seul espoir. Il s’éloigne, il me fuit, il emporte mon âme ; Partout il est vainqueur : Le feu que j’allumais m’enflamme ; J’ai voulu l’enchaîner, il enchaîne mon cour. Ô mère des Plaisirs, le cour de ta prêtresse Doit être plein de toi, doit toujours s’enflammer ! Ô Vénus ! Ma seule déesse, La tendresse est ma loi, mon devoir est d’aimer. Écho, voix errante, Légère habitante De ce beau séjour, Écho, monument de l’amour, Parle de ma faiblesse au héros qui m’enchante. Favoris du printemps, de l’amour et des airs, Oiseaux dont j’entends les concerts, Chers confidents de ma tendresse extrême, Doux ramage des oiseaux, Voix fidèle des échos, Répétez à jamais : Je l’aime, je l’aime. Oui, le roi vous accorde à ce héros terrible ; Mais vous entendez à quel prix : Découvrez le secret de sa force invincible, Qui commande au monde surpris ; Un tendre hymen, un sort paisible, Dépendront du secret que vous aurez appris. Que peut-il me cacher ? il m’aime : L’indifférent seul est discret ; Samson me parlera, j’en juge par moi-même : L’amour n’a point de secret. Secourez-moi, tendres Amours, Amenez la paix sur la terre ; Cessez, trompettes et tambours, D’annoncer la funeste guerre ; Brillez, jour glorieux, le plus beau de mes jours. Hymen, Amour, que ton flambeau l’éclaire ; Qu’à jamais je puisse plaire, Puisque je sens que j’aimerai toujours ! Secondez-moi, tendres Amours, Amenez la paix sur la terre. J’ai sauvé les Hébreux par l’effort de mon bras, Et vous sauvez par vos appas Votre peuple et votre roi même : C’est pour vous mériter que j’accorde la paix. Le roi m’offre son diadème, Et je ne veux que vous pour prix de mes bienfaits. Tout vous craint en ces lieux ; on s’empresse à vous plaire. Vous régnez sur vos ennemis ; Mais de tous les sujets que vous venez de faire, Mon cour vous est le plus soumis. N’écoutons plus le bruit des armes ; Myrtes amoureux, croissez près des lauriers ; L’amour est le prix des guerriers, Et la gloire en a plus de charmes. L’hymen doit nous unir par des nouds éternels. Que tardez-vous encore ? Venez, qu’un pur amour vous amène aux autels Du dieu des combats que j’adore. Ah ! formons ces doux nouds au temple de Vénus. Non, son culte est impie, et ma loi le condamne ; Non, je ne puis entrer dans ce temple profane. Si vous m’aimez, il ne l’est plus. Arrêtez, regardez cette aimable demeure. C’est le temple de l’univers ; Tous les mortels, à tout âge, à toute heure, Y viennent demander des fers. Arrêtez, regardez cette aimable demeure, C’est le temple de l’univers. Amour, volupté pure, Âme de la nature, Maître des éléments, L’univers n’est formé, ne s’anime, ne dure Que par tes regards bienfaisants. Tendre Vénus, tout l’univers t’implore, Tout n’est riens sans tes feux ! On craint les autres dieux, c’est Vénus qu’on adore : Ils règnent sur le monde, et tu règnes sur eux. Vénus, notre fier courage, Dans le sang, dans le carnage, Vainement s’endurcit ; Tu nous désarmes ; Nous rendons les armes : L’horreur à ta voix s’adoucit. Chantez, oiseaux, chantez ; votre ramage tendre Est la voix des plaisirs. Chantez ; Vénus doit vous entendre ; Portez-lui nos soupirs. Les filles de Flore S’empressent d’éclore Dans ce séjour ; La fraîcheur brillante De la fleur naissante Se passe en un jour : Mais une plus belle Naît auprès d’elle, Plaît à son tour ; Sensible image Des plaisirs du bel âge, Sensible image Du charmant Amour ! Je n’y résiste plus : le charme qui m’obsède Tyrannise mon cour, enivre tous mes sens : Possédez à jamais ce cour qui vous possède, Et gouvernez tous mes moments. Venez : vous vous troublez.... Ciel, que vais-je lui dire ? D’où vient que votre cour soupire ? Je crains de vous déplaire, et je dois vous parler. Ah ! devant vous, c’est à moi de trembler. Parlez, que voulez-vous ? Cet amour qui m’engage Fait ma gloire et mon bonheur ; Mais il m’en faut un nouveau gage Qui m’assure de votre cour. Prononcez ; tout sera possible À ce cour amoureux. Dites-moi par quel charme heureux, Par quel pouvoir secret cette force invincible ?... Que me demandez-vous ? C’est un secret terrible Entre le ciel et moi. Ainsi, vous doutez de ma foi ? Vous doutez, et m’aimez !... Mon cour est trop sensible ; Mais ne m’imposez point cette funeste loi. Un cour sans confiance est un cour sans tendresse. N’abusez point de ma faiblesse. Cruel ! quel injuste refus ! Notre hymen en dépend ; nos nouds seraient rompus. Que dites-vous ?... Parlez, c’est l’amour qui vous prie. Ah ! cessez d’écouter cette funeste envie. Cessez de m’accabler de refus outrageants. Eh bien ! vous le voulez ; l’amour me justifie : Mes cheveux, à mon Dieu consacrés dès longtemps, De ses bontés pour moi sont les sacrés garants : Il voulut attacher ma force et mon courage À de si faibles ornements : Ils sont à lui ; ma gloire est son ouvrage. Ces cheveux, dites-vous ? Qu’ai-je dit ? Malheureux ! Ma raison revient ; je frissonne De l’abîme où j’entraîne avec moi les Hébreux. La terre mugit, le ciel tonne, Le temple disparaît, l’astre du jour s’enfuit, L’horreur épaisse de la nuit De son voile affreux m’environne. J’ai trahi de mon Dieu le secret formidable. Amour ! Fatale volupté ! C’est toi qui m’a précipité Dans un piège effroyable ; Et je sens que Dieu m’a quitté. Venez ; ce bruit affreux, ces cris de la nature Ce tonnerre, tout nous assure Que du dieu des combats il est abandonné. Que faites-vous, peuple parjure ? Quoi ! De mes ennemis je suis environné ! Tombez, tyrans...         Cédez, esclave. Frappons l’ennemi qui nous brave. Arrêtez, cruels ! arrêtez ; Tournez sur moi vos cruautés. Tombez, tyrans...         Cédez, esclave. Ah ! Quelle mortelle langueur ! Ma main ne peut porter cette fatale épée, Ah, Dieu ! ma valeur est trompée ; Dieu retire son bras vainqueur. Frappons l’ennemi qui nous brave ; Il est vaincu ; cédez, esclave. Non, lâches ! non, ce bras n’est pas vaincu par vous ; C’est dieu qui me livre à vos coups. Ô désespoir ! Ô tourments ! Ô tendresse ! Rois cruels ! Peuples inhumains ! Ô vénus, trompeuse déesse ! Vous abusiez de ma faiblesse. Vous avez préparé, par mes fatales mains, L’abîme horrible où je l’entraîne ; Vous m’avez fait aimer le plus grand des humains Pour hâter sa mort et la mienne. Trône, tombez ; brûlez, autels, Soyez réduits en poudre. Tyrans affreux, dieux cruels, Puisse un dieu plus puissant écraser de sa foudre Vous et vos peuples criminels ! Qu’il périsse, Qu’il tombe en sacrifice À nos dieux. Voix barbares ! Cris odieux ! Allons partager son supplice. Profonds abîmes de la terre, Enfer, ouvre-toi ! Frappez, tonnerre, Écrasez-moi ! Mon bras a refusé de servir mon courage ; Je suis vaincu, je suis dans l’esclavage ; Je ne la verrai plus, flambeau sacré des cieux ; Lumière, tu fuis de mes yeux. Lumière, brillante image D’un Dieu ton auteur, Premier ouvrage Du créateur ; Douce lumière, Nature entière, Des voiles de la nuit, l’impénétrable horreur Te cache a ma triste paupière. Profonds abîmes, etc. Hélas ! Nous t’amenons nos tribus enchaînées, Compagnes infortunées De ton horrible douleur. Peuple saint, malheureuse race, Mon bras relevait ta grandeur ; Ma faiblesse a fait ta disgrâce. Quoi ! Dalila me fuit ! Chers amis pardonnez A de si honteuses alarmes. Elle a fini ses jours infortunés. Oublions à jamais la cause de nos larmes. Quoi, j’éprouve un malheur nouveau ! Ce que j’adore est au tombeau ! Profonds abîmes de la terre, Enfer, ouvre-toi ! Frappez, tonnerre, Écrasez-moi ! Amour, tyran que je déteste, Tu détruis la vertu, tu traînes sur tes pas L’erreur, le crime, le trépas : Trop heureux qui ne connaît pas Ton pouvoir aimable et funeste ! Vos ennemis cruels s’avancent en ces lieux ; Ils viennent insulter au destin qui nous presse ; Ils osent imputer aux pouvoirs de leurs dieux Les maux affreux où dieu nous laisse. Élevez vos accents vers vos dieux favorables ; Vengez leurs autels, vengez-nous. Élevez nos accents, etc. Terminons nos jours déplorables. Ô Dieu vengeur ! ils ne sont point coupables ; Tourne sur moi tes coups. Élevons nos accents vers nos dieux favorables ; Vengeons leurs autels, vengeons-nous. Ô Dieu !... pardonne.         Vengeons-nous. Inventons, s’il se peut, un nouveau châtiment : Que le trait de la mort, suspendu sur sa tête, Le menace encore et s’arrête ; Que Samson dans sa rage entende notre fête ; Que nos plaisirs soient son tourment. Tous nos dieux étonnés, et cachés dans les cieux, Ne pouvaient sauver notre empire : Vénus avec un sourire Nous a rendus victorieux : Mars a volé, guidé par elle : Sur son char tout sanglant, La victoire immortelle Tirait son glaive étincelant Contre tout un peuple infidèle, Et la nuit éternelle Va dévorer leur chef interdit et tremblant. C’est Vénus qui défend aux tempêtes De gronder sur nos têtes. Notre ennemi cruel Entend encor nos fêtes, Tremble de nos conquêtes, Et tombe à son autel. Eh bien ! Qu’est devenu ce dieu si redoutable, Qui par tes mains devait nous foudroyer ? Une femme a vaincu ce fantôme effroyable, Et son bras languissant ne peut se déployer. Il l’abandonne, il cède à ma puissance ; Et tandis qu’en ces lieux j’enchaîne les destins, Son tonnerre, étouffé dans ses débiles mains, Se repose dans le silence. Grand Dieu ! J’ai soutenu cet horrible langage, Quand il n’offensait qu’un mortel ; On insulte ton nom, ton culte, ton autel ; Lève-toi, venge ton outrage. Tes cris, tes cris ne sont point entendus. Malheureux, ton dieu n’est plus. Tu peux encore armer cette main malheureuse ; Accorde-moi du moins une mort glorieuse. Non, tu dois sentir à longs traits L’amertume de ton supplice. Qu’avec toi ton dieu périsse, Et qu’il soit comme toi méprisé pour jamais. Tu m’inspires enfin ; c’est sur toi que je fonde Mes superbes desseins ; Tu m’inspires ; ton bras seconde Mes languissantes mains. Vil esclave, qu’oses-tu dire ? Prêt à mourir dans les tourments, Peux-tu bien menacer ce formidable empire A tes derniers moments ? Qu’on l’immole, il est temps ; Frappez ; il faut qu’il expire. Arrêtez ; je dois vous instruire Des secrets de mon peuple, et du Dieu que je sers : Ce moment doit servir d’exemple à l’univers. Parle, apprends-nous tous tes crimes ; Livre-nous toutes nos victimes. Roi, commande que les Hébreux Sortent de ta présence et de ce temple affreux. Tu seras satisfait. La cour qui t’environne, Tes prêtres, tes guerriers, sont-ils autour de toi ? Ils y sont tous, explique-toi. Suis-je auprès de cette colonne Qui soutient ce séjour si cher aux Philistins ? Oui, tu la touches des mains. Temple odieux ! que tes murs se renversent, Que tes débris se dispersent Sur moi, sur ce peuple en fureur ! Tout tombe, tout périt. O ciel ! ô Dieu vengeur ! J’ai réparé ma honte, et j’expire en vainqueur.