Dieux bienfaisants, qu’en ce bois on adore, Protégez-moi toujours contre mes oppresseurs ! Les mages de Memphis me poursuivent encore ; Et de simples bergers sont mes seuls défenseurs. C’est ici que Tanis a repoussé la rage De nos implacables vainqueurs. Je n’ai d’autres plaisirs, dans mes cruels malheurs, Que de parler de son courage. Oubliez-vous Phanor ?         À mon père attaché, Il a suivi mon sort ; je connais sa vaillance. Ah ! Que vous le voyez avec indifférence ! Il a fait son devoir ; mon coeur en est touché. Des mages de Memphis il brava la colère. Depuis que ces tyrans ont détrôné les rois, Depuis qu’ils ont versé le sang de votre père, Il s’éleva contre eux, il défendit vos droits. Il a conduit vos pas : il vous aime ; il espère Vous mériter par ses exploits. Malgré tous ses efforts, errante, poursuivie, Je périssais près de ces lieux ; Lui-même allait tomber sous un joug odieux. Nous devons à Tanis la liberté, la vie. Que Tanis est grand à mes yeux ! L’estime et la reconnaissance Sont le juste prix des bienfaits ; Mais de simples bergers pourront-ils à jamais Des tyrans de Memphis braver la violence ? Votre trône est tombé ; vous n’avez plus d’amis. Quelle est encor votre espérance ? Au seul bras de Tanis je dois ma délivrance. J’espère tout du généreux Tanis. Demeurez, régnez sur nos rivages ; Connaissez la paix et les beaux jours. La nature a mis dans nos bocages Les vrais biens ignorés dans les cours. Sans éclat et sans envie, Satisfaits de notre sort, Nous jouissons de la vie ; Nous ne craignons point la mort. L’innocence et le courage, L’amitié, le tendre amour, Sont la gloire et l’avantage De ce fortuné séjour. On peut nous charmer, Jamais nous abattre ; Nous savons combattre, Nous savons aimer. Demeurez, régnez sur ces rivages ; Connaissez la paix et les beaux jours. La nature a mis dans nos bocages Les vrais biens ignorés dans les cours. Pasteurs, heureux pasteurs, aussi doux qu’invincibles, Vous qui bravez la mort, vous qui bravez les fers De nos pontifes inflexibles, Que j’aime vos riants déserts ! Que ce séjour me plaît ! que Memphis est sauvage ! Comment avez-vous pu, dans ce bois enchanté, Près des murs de Memphis, et près de l’esclavage, Conserver votre liberté ? Comment avez-vous pu vivre toujours sans maître Dans ces paisibles lieux ? Nous avons conservé les moeurs de nos ancêtres ; Nous bravons les tyrans, et nous aimons nos dieux. Que de grandeur, ô ciel ! dans la simple innocence ! Respectables mortels ! ciel heureux ! jours sereins ! C’est ainsi qu’autrefois vivaient tous les humains. Mais Tanis parmi vous a-t-il quelque puissance ? Dans notre heureuse égalité, Tanis a sur nos coeurs la douce autorité Que ses vertus et sa vaillance N’ont que trop bien mérité. Est-il possible, ô dieux ! Phanor ose entreprendre D’exposer vos beaux jours à nos fiers ennemis ! Qu’iriez-vous faire, hélas ! aux remparts de Memphis ? Quel sort y pouvez-vous attendre ? Nos campagnes, nos bois, et nos coeurs sont a vous. Faudra-t-il qu’un peuple perfide, Que des mages sanglants, une cour homicide, L’emportent sur des biens si doux ! Quoi ! Phanor, après sa défaite, Aux rivages du Nil ose-t-il retourner ? Ah ! s’il me faut quitter cette aimable retraite, Tanis veut-il m’abandonner ? Nous ne ravageons point la terre ; Nous défendons nos champs quand ils sont menacés ; Nous détestons l’horrible guerre ; Mais vous changez nos lois dès que vous paraissez. Au bout de l’univers je suis prêt à vous suivre. C’était peu de vous secourir ; C’est pour vous qu’il est doux de vivre, Et c’est en vous vengeant qu’il est doux de mourir. L’ennemi vient à nous, et pense nous surprendre. C’est à vous de me seconder ; Tanis, et vous, bergers, allez, allez défendre Vos passages qu’il faut garder. Nous n’avons pas besoin de votre ordre suprême ; Vous nous avez vus dans ces lieux Délivrer la princesse, et vous sauver vous-même ; Et nous ne connaissons de maître que ses yeux. Je commande en son nom.         Que votre orgueil contemple Et notre zèle et nos exploits ; Cessez de nous donner des lois, Et recevez de nous l’exemple. Tanis, en d’autres temps votre témérité Tiendrait un différent langage. En tout temps mon courage Méprise et dompte la fierté. Arrêtez : quel transport à mes yeux vous divise ? Ma fortune vous est soumise Tout est perdu pour moi si vous n’êtes unis. C’est assez, pardonnez : je vole, et j’obéis. Non, je ne puis souffrir l’indigne déférence Dont vous l’honorez à mes yeux : La seule égalité m’offense ; L’injurieuse préférence Est un affront trop odieux. Il combat pour vous-même ; est-ce à vous de vous plaindre ? Vous deviez plus d’égards aux exploits de Tanis. Il faut ménager, il faut craindre Les grands coeurs qui nous ont servis. Poursuivez, achevez, ingrate ; Faites tomber sur moi notre commun malheur ; Élevez jusqu’à vous un barbare, un pasteur. Oubliez...     Osez-vous ?...         Oui, je vois qu’il s’en flatte. Oui, vous encouragez sa téméraire ardeur. Votre faiblesse éclate Dans vos yeux et dans votre coeur. Pourquoi soupçonnez-vous que je puisse descendre Jusqu’à souffrir qu’il vive sous ma loi ? Vos soupçons menaçants suffiraient pour m’apprendre Qu’il n’est pas indigne de moi. Ô ciel ! qu’avec raison de ce fatal rivage Je voulais partir aujourd’hui ! Pouvez-vous à ce point outrager mon courage ? Si l’égaler à vous c’est vous faire un outrage, Surpassez son grand coeur en servant mieux que lui. Aux armes ! Aux armes ! Marchons, signalons-nous. Eh bien ! je vais périr pour vos perfides charmes ; Je vais chercher la mort, et j’en chéris les coups. Vous seule causez mes alarmes ; Je n’ai point d’ennemis plus funestes que vous. Aux armes ! aux armes ! Marchons, signalons-nous. Ah ! je mérite sa colère. Je n’osais avouer mes secrets sentiments ; Je vois par ses emportements Combien Tanis a su me plaire ; Je sens combien je l’aime à son nouveau danger. Je brûle de le partager. Que de vertu ! que de vaillance ! Dieux ! pour sa récompense Est-ce trop que mon coeur ? Faut-il que ma gloire s’offense D’une si juste ardeur ? Non, pour sa récompense Je lui dois tout mon coeur. Victoire ! victoire ! Nos cruels ennemis Sont tombés sous les coups du généreux Tanis. Périsse leur mémoire ! Plaisirs, ne soyez plus bannis. Triomphe ! victoire ! Tendre Isis, Osiris, premiers dieux des mortels, Pourquoi ne régnez-vous qu’en ces heureux bocages ? Ne punirez-vous point ces implacables mages, Ces ennemis de vos autels ? Aux portes de Memphis nous bravons leur puissance : Mais est-ce assez pour nous de ne pas succomber ? Quand les verrons-nous tomber Sous les coups de votre vengeance ? L’aimable liberté règne dans ces beaux lieux ; Quels autres biens demandez-vous aux dieux ? Doux bergers, si craints dans les alarmes, Ne soyez soumis que par nos charmes. Que ces fleurs nouvelles Ornent nos pasteurs : C’est aux belles À couronner les vainqueurs. Doux bergers, si craints dans les alarmes, Ne soyez soumis que par nos charmes. De Vénus oiseaux charmants, Vous n’êtes pas si fidèles. Des plus tendres tourterelles Les transports sont moins touchants. L’aigle impétueux et rapide Porte au haut des cieux, D’un vol moins intrépide, Le brillant tonnerre des dieux. Doux bergers, si craints dans les alarmes, Ne soyez soumis que par nos charmes. Venez, bergers, il en est temps ; Consacrez à nos dieux les nobles monuments De la valeur et de la gloire. Triomphe ! victoire ! Quoi ! vous ne suivez point leurs pas ? Demeure, ne me quitte pas. Tu connais ma secrète flamme : Connais le trouble affreux qui déchire mon âme. Redoutez-vous Phanor ?         Dans mes troubles cruels, Tout m’alarme auprès de Zélide. Ami, le plus fier des mortels Devient l’amant le plus timide. Je crains ce que j’adore, et tout me fait trembler. Mes yeux sont éblouis ; j’hésite, je chancelle : Mon coeur parle à ses yeux, ma voix n’ose parler. Je nourris en secret le feu qui me dévore ; Et lorsque le sommeil vient calmer ma douleur, Les dieux la redoublent encore. Osiris m’apparaît précédé des éclairs. Dans le sein de la nuit profonde, Autour de lui la foudre gronde ; Neptune soulève son onde, Les noirs abîmes sont ouverts. Qu’ai-je donc fait aux dieux ? quelle menace horrible ! Osiris vous protège, il a conduit vos pas : C’est lui qui vous rend invincible ; Il vous avertissait, il ne menaçait pas. Osiris, tu connais comme on aime. Isis, au céleste séjour, La seule Isis fait ton bonheur suprême. Dieux qui savez aimer, favorisez l’amour ! L’Amour te conduira dans la cité barbare Où les mages donnent la loi ; Soutiens le sort affreux que l’Amour t’y prépare, Et vois le trépas sans effroi. De quel trouble nouveau je sens mon âme atteinte ! De quelle horreur je suis surpris ! Pour braver les dangers, et voir la mort sans crainte, Mon coeur n’attendait pas l’oracle d’Osiris ; Mais pour mes tendres feux quel funeste présage ! Quel oracle pour un amant ! Ô dieux ! dont Zélide est l’image, Peut-on vous déplaire en l’aimant ? Princesse, dans mes yeux vous lisez mon offense ; Mon crime éclate devant vous. Je crains la céleste vengeance ; Mais je crains plus votre courroux. J’ignore à quels desseins votre coeur s’abandonne. Je vois en vous mon défenseur. S’il est un crime au fond de votre coeur, Je sens que le mien vous pardonne. Un berger vous adore, et vous lui pardonnez ! Ah ! je tremblais à vous le dire : J’ai bravé les fronts couronnés, Et leur éclat, et leur empire ; Mon orgueil me trompait ; j’écoutai trop sa voix : Cet orgueil s’abaisse ; il commence, Depuis le jour que je vous vois, À sentir qu’entre nous il est trop de distance. Il n’en est point, Tanis ; et s’il en eût été, L’amour l’aurait fait disparaître. Ce n’est pas des grandeurs où les dieux m’ont fait naître Que mon coeur est le plus flatté. L’amant que votre coeur préfère Devient le premier des humains ; Vous voir, vous adorer, vous plaire, Est le plus brillant des destins : Mais quand vous m’êtes propice, Le ciel paraît en courroux ; J’aurais cru que sa justice Pensait toujours comme vous. Non, je ne puis douter que le ciel ne vous aime. Je viens d’entendre ici son oracle suprême : L’Amour doit dans Memphis me punir à vos yeux. Vous punir ? Vous, Tanis ! Quelle horrible injustice ! Ah ! Que plutôt Memphis périsse ! Évitons ces murs odieux, Évitons cette ville impie et meurtrière. Je renonce à Memphis, je demeure en ces lieux : Vos lois seront mes lois, vos dieux seront mes dieux : Tanis me tiendra lieu de la nature entière : Je n’y vois plus rien que nous deux. Osiris que l’amour engage, Toujours aimé d’Isis, et toujours amoureux. Nous serons fidèles, heureux, Dans cet obscur bocage, Comme vous l’êtes dans les cieux. Zélide, inhumaine, cruelle ! C’est ainsi que je suis trahi ! J’avais tout fait pour vous : l’amour m’en a puni : Sous les lois d’un pasteur un vil amour vous range ! Ah ! si vous ne craignez, dans vos indignes fers, Les reproches de l’univers, Craignez au moins que je me venge. Vous venger ! et de qui ?         Calmez ce vain courroux : Je ne crains l’univers ni vous. Je dois avouer que je l’aime. Prétendez-vous forcer un coeur Qui ne dépend que de lui-même ? Êtes-vous mon tyran plus que mon défenseur ? Pardonnez à l’Amour, il règne avec caprice ; Il enchaîne à son choix Les coeurs des bergers et des rois. Un berger tel que lui n’a rien dont je rougisse. Ah ! Je rougis pour vous de votre aveuglement : Mais frémissez du tourment qui m’accable ; Vous avez fait du plus fidèle amant L’ennemi le plus implacable. L’asile où l’on trahit ma foi Ne vous défendra pas de ma rage inflexible ; Nous verrons si l’amant dont vous suivez la loi Paraîtra toujours invincible, Comme il le fut toujours en combattant sous moi. Vous pouvez l’éprouver, et dès ce moment même ; Quel plus beau champ pour la valeur ? Il est doux de combattre aux yeux de ce qu’on aime : Ne différez pas mon bonheur. C’en est trop, et mon bras...         Barbare que vous êtes, Percez plutôt ce coeur plein de trouble et d’ennui. Vous daignez arrêter ses fureurs indiscrètes, Moins par crainte pour moi que par pitié pour lui. Suspendez, suspendez la fureur inhumaine Qui vous trouble à nos yeux : La Discorde et la Haine N’habitent point ces lieux. Phanor, connaissez l’injustice D’un amour barbare et jaloux. Si vous aimez Tanis, il faut que je périsse : Je suis moins barbare que vous. Ô Discorde terrible, Fille affreuse du tendre Amour, Respecte ce beau séjour ; Qu’il soit à jamais paisible ! Laissez mon rival furieux Exhaler en vain sa rage : Zélide est mon partage : J’aurai pour moi tous les dieux. Ô Discorde terrible, Fille affreuse du tendre Amour, Respecte ce beau séjour ; Qu’il soit à jamais paisible ! Temple d’Isis où règne la nature, Beaux lieux sans ornements, images de nos moeurs, Vous allez couronner une ardeur aussi pure Que nos offrandes et nos coeurs. Ni l’amour de Phanor, ni l’éclat des grandeurs, N’ont séduit la belle Zélide. Zélide est semblable à nos dieux ; Comme eux sa bonté préfère Le coeur le plus sincère : Le reste des mortels est égal à ses yeux. Moments charmants, moments délicieux, Hâlez-vous d’embellir ce beau jour qui m’éclaire ; Hâtez-vous de combler mes voeux. Temple d’Isis où règne la nature, Beaux lieux sans ornements, images de nos moeurs, Vous allez couronner une ardeur aussi pure Que nos offrandes et nos coeurs. Jamais l’Amour n’a remporté Une victoire plus brillante. Je dois attendre ici la beauté qui m’enchante ; Que ces moments sont lents à mon coeur agité Zélide a dédaigné la grandeur éclatante : Zélide est comme nous, elle est simple et constante ; Et ses vertus égalent sa beauté. Jamais l’Amour n’a remporté Une victoire plus brillante. Dans le prochain bocage orné par ses appas, La pompe de l’hymen, et son bonheur s’apprête ; Nos bergers parent sa tête Des fleurs qui naissent sous ses pas. Phanor avec les siens a quitté nos asiles ; La Discorde fuit pour jamais. L’Hymen, le tendre Amour, et les Dieux, et la Paix, Nous assurent des jours tranquilles. Dans ce fortuné séjour, Les timbales et les musettes, Les sceptres dès rois, les houlettes, Sont unis des mains de l’Amour. Bientôt, selon l’usage établi parmi nous, Les pasteurs consacrés aux dieux de nos ancêtres, Au son de leurs flûtes champêtres, Vont amener Zélide à son heureux époux. Viens, vole, cher objet ; c’est l’Amour qui t’appelle. Nos chiffres sont tracés sur de jeunes ormeaux ; Le temps les verra croître, et les rendra plus beaux, Sans pouvoir ajouter à mon amour fidèle. Ces gazons sont plus verts ; une grâce nouvelle Anime le chant des oiseaux. Viens, vole, cher objet ; c’est l’Amour qui t’appelle. Ô perfidie ! Ô crime ! Ô douleur éternelle ! Ciel ! Quels maux nous annoncez-vous ? Des soldats de Memphis, et ton rival jaloux... Ceux qui n’auraient osé combattre contre nous... Eh bien ?         Ils ont trahi notre simple innocence ; Ils t’enlèvent Zélide !         Ô fureur ! Ô vengeance ! Ils l’enlèvent, ô dieux ! Courons, amis, punissons cet outrage. Sur un vaisseau caché près du rivage Ils ont fendu les flots impétueux. Sur la foi des serments nous demeurions tranquilles : C’est la première fois qu’ils ont été trahis Dans le sein de ces doux asiles. Elle invoquait les dieux, elle appelait Tanis : Nous ne répondions à ses cris Que par des sanglots inutiles. Grands dieux ! Voilà les maux que vous m’aviez prédits(2) ! Je les verrai ces murs malheureux et coupables, Ces implacables dieux, ces mages inhumains, Ces mages affreux dont les mains Versent le sang des misérables. Amis, c’est là qu’il faut mourir. On ne peut vous dompter ; on ose vous trahir. Détruisons cette ville impie. Amis, c’est à votre valeur De punir cette perfidie ; Amis, c’est à votre valeur De servir ma juste fureur. Nous allons tous chercher la mort ou la vengeance ; Nous marchons sous son étendard. Vengeons l’Amour, vengeons l’innocence ; Mais craignons d’arriver trop tard. Il faut franchir ce mont inaccessible, Et Memphis à nos yeux est un autre univers. L’Amour ne voit rien d’impossible ; Tous les chemins lui sont ouverts : Il traverse la terre et l’onde ; Il pénètre au sein des enfers ; Il franchit les bornes du monde : Croyez-en les transports de mon coeur outragé ; Memphis me verra mort, ou me verra vengé. Que vois-je ? quel heureux présage ? Nos dieux tournent sur moi les plus tendres regards. Dieux, dont la bonté m’encourage, Je suis l’Amour et vous : tout m’anime, je pars. Ministres de mes lois que ma vengeance anime, Phanor a réparé son crime. Puisse du sang des rois le dangereux parti, Qui menaçait l’autel et que l’autel opprime, Tomber anéanti ! Consultons de notre art les secrets formidables : Voyons par quels terribles coups Il faut confondre les coupables Qu’un sacrilège orgueil anima contre nous. Ô magique puissance ! Sois toujours dans nos mains L’instrument de la vengeance ; Fais trembler les faibles humains ! Que nos secrets impénétrables D’une profonde nuit soient à jamais voilés : Plus ils sont inconnus, plus ils sont vénérables À nos esclaves aveuglés. Ô magique puissance ! Sois toujours dans nos mains L’instrument de la vengeance ; Fais trembler les faibles humains ! Commençons nos mystères sombres, Cachés aux profanes mortels. Du fatal avenir je vais percer les ombres, Et chercher du Destin les décrets éternels. Que vois-je ? quel danger ! quelle horreur nous menace ! Un berger, un simple berger Des rois que j’ai détruits vient rétablir la race ! Il dresse un autel étranger !... Un dieu vengeur l’amène !... Un dieu vengeur nous chasse ! Que tout l’enfer armé prévienne cette audace ! Ôtons toute espérance aux vils séditieux. Du sang des rois, de ce sang si funeste, Zélide est le seul reste ; Il faut l’immoler à leurs yeux. Soyons inexorables : N’épargnons pas le sang ; Que la beauté, l’âge, et le rang, Nous rendent plus impitoyables ! Qu’on amène Zélide : il faut tout préparer Pour ce terrible sacrifice. Je viens vous demander le prix de mon service ; Vous me l’avez promis, et je dois l’espérer. Je ramène les miens sous votre obéissance ; Zélide est en mes mains ; nos troubles sont finis : Et Zélide est l’unique prix Que je veux pour ma récompense. Qu’osez-vous demander ?         Au pied de vos autels C’est à vous de former cette auguste alliance. Venez la disputer à nos dieux immortels. Ciel ! qu’est-ce que j’entends ! je tremble, je frissonne. Après vos complots criminels, C’est beaucoup si l’on vous pardonne. Ô crime ! Ô projet infernal ! J’entrevois les horreurs que ce temple prépare ; C’est moi, c’est mon amour barbare Qui va porter le coup fatal. Vengez-moi, vengez-vous : prévenez le supplice Qui nous est à tous destiné. Qu’attendez-vous de leur justice ? Ces monstres teints de sang n’ont jamais pardonné. Quel appareil horrible à mes yeux se découvre ! Zélide dans les fers ! Un glaive sur l’autel ! Rassemblons nos amis ; secondez mon courage, Partagez ma honte et ma rage ; Suivez mon désespoir mortel. Achevez, monstres inflexibles : Frappez, ministre cruel ; Hâtez les vengeances du ciel Par vos sacrilèges horribles. Qu’est devenu Tanis ? Ciel qu’est-ce que je voi ? Arrêtez, arrêtez, ministres du carnage : De ce temple sanglant j’apprends quelle est la loi. La mort doit être mon partage ; Zélide a mon coeur et ma foi. Un époux en ces lieux peut s’offrir en victime. Respectez l’amour qui m’anime ; Que tous vos coups tombent sur moi. Ô prodige d’amour ! ô comble de l’effroi Tanis pour moi se sacrifie ! Voici le seul moment de ma funeste vie Où je puis désirer de n’être point à toi. Il n’est point mon époux ; c’est en vain qu’il réclame Des droits si chers, un nom si doux. Ah ! Ne trahissez pas mon espoir et ma flamme ! Que j’emporte au tombeau le bonheur d’être à vous ! Sauvez la moitié de moi-même ; Frappez, ne différez pas. Pardonnez à ce que j’aime : C’est à moi qu’on doit le trépas. Notre indigne ennemi lui-même se déclare ; C’est lui qu’ont amené les dieux et les enfers. Je suis ton ennemi, n’en doute point, barbare. Qu’on le charge de fers : Commençons par ce sacrifice. Téméraire, tu périras ; Mais ton juste supplice Ne la sauvera pas. Prenez ce fer sacré. Dieux ! quel affreux prodige ! Ce fer tombe en éclats... ces murs sont teints de sang !... Ton dieu m’impose en vain par ce nouveau prestige ; Il reste encor des traits pour te percer le flanc. Peuples, un dieu prend sa défense. Amis, suivez mes pas, et vengeons l’innocence. Soldats qui me servez, terrassez l’insolence. Vous, gardez ces deux criminels ; Vous, marchez, combattez, et vengez les autels. Ô prodige inutile ! Ô douloureuses peines ! Phanor combat pour vous, et je suis dans les chaînes ! Tous les miens m’ont suivi, mais leurs secours sont lents : Je n’ai pour vous que des voeux impuissants. Cédez, tombez, mourez, sacrilèges coupables ; Nos traits sont inévitables. Entendez-vous les cris des combattants ? Quel son harmonieux se mêle au bruit des armes ! Quel mélange inouï de douceurs et d’alarmes ! Des dieux équitables Prennent soin de vos beaux jours ;. Des dieux favorables Protègent vos tendres amours. Je reconnais la voix de nos dieux secourables ; Ces dieux de l’innocence arment pour vous leurs bras. Tombez, tyrans ; mourez, coupables ; Tombez dans la nuit du trépas. Je frémis !         Non, ne craignez pas. Si mes dieux ont parlé, j’espère en leur clémence ; J’en crois leurs bienfaits et mon coeur : Ils ont conduit mes pas dans ce séjour d’horreur ; Ils font éclater leur puissance ; Ils étendent leur bras vengeur. Dieux bienfaisants, achevez votre ouvrage ; Délivrez l’innocent qui n’espère qu’en vous ; Lancez vos traits, écrasez sous vos coups Le barbare qui vous outrage. On vous redoute encore, on nous sépare, hélas ! La mort approche, on nous sépare. Qu’ils tremblent à la voix du ciel qui se déclare ! C’est à nous d’espérer jusqu’au sein du trépas. La mort en ces lieux nous rassemble ; Le sacrifice est prêt, nous périrons ensemble. Zélide, calmez vos terreurs. Nos cruels tyrans sont vainqueurs : À peine on voit de loin paraître nos pasteurs, Et Phanor a perdu la vie. Il méritait la mort ; il vous avait trahie. Vous êtes seul et désarmé, Et votre coeur est sans alarmes ! Je vous aime, je suis aimé : L’amour et les dieux sont mes armes. Tanis ! mon cher Tanis ! Sans vous, sans nos amours, Je braverais la mort qui me menace : Mais ces mages sanglants sont maîtres de vos jours ; Nous sommes enchaînés : vous êtes sans secours. Nos chaînes vont tomber ; tout va changer de face. Quoi ! Les dieux à ce point voudraient nous protéger ! Fuyons ces lieux...         Moi, fuir, quand je puis vous venger ! N’abusez point de la faveur céleste ; Dérobez-vous à ces mages sanglants : Tout l’enfer est soumis à leur pouvoir funeste ; La nature obéit à leurs commandements. Elle obéit à moi.         Ciel ! Qu’est-ce que j’entends ? D’Isis et d’Osiris les destins m’ont fait naître. Ah ! Vous êtes du sang des dieux ! Vous savez assez qu’à mes yeux Vous seul étiez digne d’en être. Ils daignaient m’éprouver par les plus rudes coups : Ils n’ont voulu me reconnaître Qu’après m’avoir enfin rendu digne de vous. Lorsque ces tyrans sanguinaires Nous séparaient par un barbare effort, J’ai revu mes dieux tutélaires ; Ils m’ont appris ma gloire, ils ont changé mon sort ; Ils ont mis dans mes mains le tonnerre et la mort. Vous allez remonter au rang de vos ancêtres ; L’Égypte va changer et de dieux et de maîtres. Un si grand changement est digne de vos mains. Mais je vois avancer ces mages inflexibles. Hélas ! je vous aime ; et je crains... Ils trembleront bientôt, ces tyrans si terribles. Peuples, prosternez-vous ; terre entière, adorez Les éternels arrêts de nos dieux redoutables ; Monstres de l’Égypte, accourez : Connaissez ma voix, dévorez Ces audacieux coupables, Au fer de l’autel échappés. Osiris, mon père, frappez ; Lancez du haut des cieux vos traits inévitables. Ô ciel ! se peut-il concevoir Qu’on égale notre pouvoir ! Art terrible et divin, déployez vos prodiges ; Confondez ces nouveaux prestiges ! Sortez des gouffres des enfers, Du brûlant Phlégéton, flammes étincelantes ! Cieux, à ma voix soyez ouverts ! Torrents suspendus dans les airs, Venez, et détruisez ces flammes impuissantes ! Ô ciel ! dans ce combat quel dieu sera vainqueur ? Vous osez en douter ! Que la voix du tonnerre Gronde et décide en ma faveur ! Éclairs, brillez seuls sur la terre ! Éléments, faites-vous la guerre, Confondez-vous avec horreur ! Les dieux t’ont exaucé, mais c’est pour ton supplice. Voici l’instant de leur justice : L’enfer va succomber, et ton pouvoir finit. Le ciel s’est enflammé ; le tonnerre étincelle. Tremble, c’est ta voix qui l’appelle : Il tombe, il frappe, il te punit. Ah ! Les dieux de Tanis sont nos dieux légitimes. Autels sanglants, prêtres chargés de crimes, Soyez détruits, soyez précipités Dans les éternels abîmes Du Ténare dont vous sortez ! Vous, qui venez venger Zélide, Le ciel a prévenu vos coeurs et vos exploits. Sa justice en ces lieux réside ; Il n’appartient qu’aux dieux de rétablir les rois. Sur ces débris sanglants, sur ces vastes ruines, Célébrons les faveurs divines. Régnez tous deux dans une paix profonde, Toujours unis et toujours vertueux. Fille des rois, enfant des dieux, Imitez-les, soyez l’amour du monde. Le calme succède à la guerre. De nouveaux cieux, une nouvelle terre, Semblent formés en ce beau jour. Sur les pas des Vertus les Plaisirs vont paraître ; Tout est l’ouvrage de l’Amour. Régnez tous deux dans une paix profonde, Toujours unis et toujours vertueux. Fille des rois, enfant des dieux, Imitez-les, soyez l’amour du monde.