J’ai lu, par ordre de Monseigneur le Chancelier, la Centenaire de Molière, et je crois qu’on peut en permettre l’impression. A Paris, ce 3 Mars 1773.
MARIN.
Le Privilège et l’Enregistrement se trouvent au nouveau Théâtre Français.
De l’Imprimerie de C. SIMON, Imprimeur de LL. AA. SS. Messeigneurs le Prince de Condé, et le Duc de Bourbon, rue des Mathurins.
Monsieur Bret, Auteur du nouveau Commentaire des oeuvres de Molière, dont l’Édition va paraître incessamment, ayant paru désirer que cette Pièce fût imprimée dans le même format, on s’est empressé de satisfaire à son désir. Quelques personnes sont toujours bien aises d’avoir ensemble tout ce qui est relatif aux oeuvres d’un aussi grand homme que Molière.
En me permettant de vous offrir ce léger hommage, vous hasardiez beaucoup, si je n’avais su combien vous haïssez la louange, et que l’histoire ne prend jamais des matériaux dans les épitres dédicatoires. Il faut donc que je me borne à vous présenter ici les assurances de mon respectueux attachement, et de ma reconnaissance, sans en détailler les motifs. Partout où vous êtes connu, ces sentiments ne peuvent manquer de me faire un honneur infini.
Je suis avec respect,
MONSEIGNEUR,
Votre Très humble, et très obéissant Serviteur, ARTAUD.
On lit dans votre adresse, Monsieur, que vous guérissez gratis ; et s’il n’y a point de friponnerie (comme il s’en rencontre toujours dans ces sortes d’écrits) il est tout naturel que vous me voyiez chez vous.
Il convient d’abord de savoir quel est le genre de votre maladie ?
Eh !
Ne le devinez-vous pas à mon air ?
Non...
À moins que ce ne soit la goutte.
Vous moquez-vous ?
Ai-je l’air d’un homme assez riche pour cette maladie-là ?
Le poumon ?
Non.
L’estomac ?
Non.
Vous verrez que ce sera la tête.
À l’autre !
Non.
M’y voilà.
Le coeur ?
Non, non, non.
De par tous les Diables, c’est dépenser bien du temps à se ruiner en questions.
Donnez-nous donc vous-même l’exemple de l’économie.
En deux mots le voici : c’est un appétit dévorant.
Tout est fort cher à présent ; je me ruine pour vivre, et cela altère ma santé.
S’il ne faisait pas aussi cher mourir, je vous conseillerais, moi...
Et je ne le sais que trop.
On n’a pas la moindre petite ressource ; mais enfin, voyons toujours de vos remèdes ; ils feront ce qu’ils pourront.
Vous prendrez...
Tenez, mettez là-dedans.
De quoi ?
De vos drogues.
Il les irait vendre.
De mes drogues ?
Je n’en donne point.
Et que diable donnez-vous donc ?
Des conseils.
Des conseils ?
C’est-à-dire, des paroles ; mais voyez donc la belle merveille de donner des paroles gratis !
Monsieur, Monsieur, ne vous moquez pas tant ; il y a bien des gens qui les vendent.
Eh !
Tenez, voilà Monsieur Trissotin qui vous en dira des nouvelles.
Voilà encore des femmes : je voudrais, pour beaucoup, qu’elles fussent aussi de Molière.
Restez à cette porte, petite fille, et si par malheur vous voyez arriver mon bourgeois de Mari, Monsieur George Dandin, vous nous avertirez ; entendez-vous ?
Cela suffit, Madame ; faudra-t-il lui dire que vous êtes venue avec Monsieur ?
Eh !
Non, petite sotte.
Voilà, Madame, le fameux Médecin dont on a tant parlé ce matin chez Monsieur le Baron de Sotenville, Monsieur votre père.
Monsieur, parmi les secrets merveilleux que vous avez apportés des Pays Étrangers, je désirerais bien qu’il y eût une recette contre les migraines de l’espèce de la mienne ; votre fortune serait faite.
Ensuite des vapeurs dont j’ai été dévorée, il m’en est resté une qui revient régulièrement tous les jours à la même heure.
Et quelle est cette heure-là ?
Dans ce temps-ci, environ six heures du soir.
Et vous n’imaginez point de cause étrangère à laquelle vous puissiez attribuer le retour de cette migraine.
Madame ne voit ordinairement à cette heure-là que son, mari, qui revient de ses courses vers la fin du jour, et je crois avoir remarqué que, l’Été, les attaques sont moins longues.
Madame, vous êtes bienheureuse d’avoir auprès de vous un observateur comme Monsieur, et quand on connaît aussi bien les symptômes d’une maladie, il est aisé de la guérir.
Madame, vous entendez ?
À merveille, Monsieur.
Le voilà !
Le voilà !
Qui donc ?
Qui donc ?
Clitandre ?
Mon mari ?
Et la migraine ?
Il sera donc dit, Madame, que vous ne sortirez jamais sans avoir Monsieur avec vous ?
Est-ce que votre servante Claudine ne suffit pas ?
Une femme comme moi, Monsieur, ne saurait sortir sans avoir quelqu’un qui lui donne la main, et je vous déclare positivement que, tant que vous ne me donnerez pas un Laquais, je prierai Monsieur de m’accompagner, ne fût-ce que pour aller chez Monsieur le Baron de Sotenville.
Voilà bien les impertinences auxquelles je dois m’attendre.
Ah !
Pauvre George Dandin !
Tu l’as voulu ; à qui te plaindre ?
Tu le sais bien toi, Claudine.
Moi, Monsieur !
Je ne sais rien.
Non, Madame : il ne sera pas dit que vous me manquiez toujours de la sorte ; je porterai mes plaintes, il faudra en venir à une séparation.
Vous paierez encore ces frais-là, au moins.
Et n’est-ce pas moi qui fais les frais de tout.
Vous avez bonne grâce de vous plaindre ; ce serait moi qui devrais le faire : moi qui ai été sacrifiée, moi qui pouvais épouser un homme de qualité.
Un homme de qualité !
Qui est-ce qui parle de moi, là ?
Eh !
Bien, qu’est-ce, mes amis ?
Voyons, me voilà.
Oh !
Oh !
Eh !
C’est Monsieur Jourdain, en robe de chambre !
En cet équipage, venez-vous du bal ?
Non : je sors de chez Poitevin ; c’est le rendez-vous des gens les plus qualifiés : et...
Et vous n’avez garde de ne pas vous y trouver ?
Vous croyez peut-être que c’est par ton ?
Point du tout ; et si ce n’était pour des raisons de santé...
Vous paraissez pourtant vous porter à merveille.
N’est-ce pas qu’on ne voit guère de gens de qualité se porter aussi bien que moi ?
Je ne peux pas vous dissimuler que cet embonpoint a l’air un peu bourgeois.
Que je suis malheureux !
Allez, allez, laissez-moi faire, j’y mettrai bon ordre ; en vous comptant, voilà le huitième Médecin que je vois.
Quand nous serons à dix, nous ferons une croix.
Peste !
Vous devez avoir un tempérament de fer.
Ce qu’il y a de plus désolant pour moi, c’est que je n’ai pas même la ressource des chagrins pour maigrir.
Ma femme est morte.
Cette pauvre Madame Jourdain !
Et de quoi ?
De jalousie : parce que les Maîtresses de mes amis de la Cour auxquels je prête quelquefois de l’argent venaient chez moi ; et que je suis un peu aimable, elle s’est allé fourrer dans la tête...
Enfin elle est morte, et me voilà veuf.
Et prêt à vous remarier ?
C’est selon ; je ne dis pas que, si je trouvais une personne d’une certaine façon...
Quelle est cette Dame-là ?
C’est une Dame de qualité avec son mari.
Une Dame de qualité ?
Et c’est son mari, ça ?
Pourquoi vous en moquer ?
Est-ce que Monsieur n’en a pas bien la mine, oui ?
Vous allez voir.
Madame, que je suis fâché que vous soyez tombée en de si pauvres mains !
Mais, en vérité, c’est un meurtre : j’espère au moins que vous ne faites pas l’honneur à Monsieur de le traiter comme votre mari ?
Hélas !
Pardonnez-moi.
Malheureusement, j’ai été trop bien élevée pour manquer à mes devoirs.
Aussi elle le déteste.
À vous, Monsieur Jourdain ; allons, vous ne donnerez pas quelque chose ?
Est-ce du bon ton de chanter ?
Là, franchement, foi de Gentilhomme, je ne le crois pas.
Qu’en dites-vous, Monsieur ?
Est-ce qu’on chante ?
Tous ces airs là !...
Je n’en sais rien, moi ; attendez, voici...
Oui... :